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15/05/2007 | CEDH | N°52391/99

CEDH | AFFAIRE RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS


AFFAIRE RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS
(Requête no 52391/99)
ARRÊT
STRASBOURG
15 mai 2007
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Ramsahai et autres c. Pays-Bas,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    L. Wildhaber,     C.L. Rozakis,   Sir Nicolas Bratza,   MM. B.M. Zupančič,    P. Lorenzen,    L. Loucaides,    I. Cabral Barreto,   Mmes N. Vajić,    S. Botoucharova,    A. Mularoni

,   M. S. Pavlovschi,   Mme E. Fura-Sandström,
M. K. Hajiyev,    D. Spielmann,   Mme D. Jočienė,   M. D. ...

AFFAIRE RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS
(Requête no 52391/99)
ARRÊT
STRASBOURG
15 mai 2007
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Ramsahai et autres c. Pays-Bas,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
MM. J.-P. Costa, président,    L. Wildhaber,     C.L. Rozakis,   Sir Nicolas Bratza,   MM. B.M. Zupančič,    P. Lorenzen,    L. Loucaides,    I. Cabral Barreto,   Mmes N. Vajić,    S. Botoucharova,    A. Mularoni,   M. S. Pavlovschi,   Mme E. Fura-Sandström,
M. K. Hajiyev,    D. Spielmann,   Mme D. Jočienė,   M. D. Popović, juges,   Mmes W. Thomassen, juge ad hoc,  et de M. M. O'Boyle, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 octobre 2006 et le 21 février 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 52391/99) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont trois ressortissants néerlandais, M. Renee Ghasuta Ramsahai, Mme Mildred Viola Ramsahai et M. Ricky Moravia Ghasuta Ramsahai (« les requérants »), ont saisi la Cour le 8 septembre 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été représentés par Me G.P. Hamer, avocat inscrit au barreau d'Amsterdam. Le gouvernement néerlandais (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. R.A.A. Böcker et Mme J. Schukking, du ministère néerlandais des Affaires étrangères.
3.  Les requérants alléguaient en particulier que les circonstances du décès de M. Moravia Siddharta Ghasuta Ramsahai, petit-fils des deux premiers requérants et fils du troisième, qui avait été abattu par un policier, avaient emporté violation de l'article 2 de la Convention. Ils soutenaient également que la procédure d'enquête subséquente avait manqué d'effectivité et d'indépendance.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1). La présente espèce est alors échue à la troisième section telle que nouvellement composée (article 52 § 1 du règlement). Après que M. Myjer, le juge élu au titre des Pays-Bas, se fut déporté (article 28 du règlement), le Gouvernement a désigné Mme W. Thomassen pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 27 § 2 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).
6.  Par une décision du 3 mars 2005, une chambre de ladite section a déclaré la requête recevable.
7.  Le 10 novembre 2005, la chambre, composée de M. B.M. Zupančič, président, M. J. Hedigan, M. L. Caflisch, Mme M. Tsatsa-Nikolovska, M. V. Zagrebelsky, M. David Thór Björgvinsson, juges, Mme W. Thomassen, juge ad hoc et M. V. Berger, greffier de section, a rendu un arrêt (« l'arrêt de la chambre ») dans lequel elle concluait à la majorité qu'il y avait eu violation de l'article 2 de la Convention à raison des déficiences relevées dans les procédures d'investigation relatives au décès de Moravia Ramsahai ; à l'unanimité qu'il n'y avait pas eu violation de l'article 2 de la Convention pour le surplus ; à l'unanimité que l'article 6 de la Convention n'était pas applicable et, à l'unanimité, qu'aucune question distincte ne se posait sur le terrain de l'article 13 de la Convention. Au texte de l'arrêt se trouvait annexé l'exposé de l'opinion partiellement dissidente de Mme Thomassen et M. Zagrebelsky.
8.  Par une lettre du 9 février 2006, le Gouvernement, s'appuyant sur l'article 43 de la Convention et sur l'article 73 du règlement de la Cour, a demandé le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre. Un collège de la Grande Chambre a accueilli cette demande le 12 avril 2006.
9.  La composition de la Grande Chambre a été déterminée conformément aux dispositions de l'article 27 §§ 2 et 3 de la Convention et de l'article 24 du règlement.
Le 19 janvier 2007, le mandat de président de la Cour exercé par M. Wildhaber est arrivé à expiration. Ayant succédé à M. Wildhaber en cette qualité, M. Costa a assumé la présidence de la Grande Chambre en l'espèce (article 9 § 2 du règlement).
10.  Seul le Gouvernement a déposé un mémoire sur le fond. Les requérants se sont bornés à renvoyer aux observations qu'ils avaient soumises dans le cadre de la procédure suivie devant la chambre.
11.  Une audience a eu lieu en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 18 octobre 2006 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le gouvernement défendeur  MM. R.A.A. Böcker, agent,   M. Kuijer,  Mme T. Dopheide, conseillers ;
–  pour les requérants  Me G.P.Hamer, conseil,  Mme M. van Delft, co-conseil.
La Cour a entendu en leurs observations ainsi qu'en leurs réponses à des questions posées par des juges Me Hamer, M. Böcker et M. Kuijer.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
12.  Les deux premiers requérants, M. Renee Ghasuta Ramsahai et Mme Mildred Viola Ramsahai, sont le grand-père et la grand-mère respectivement de feu M. Moravia Siddharta Ghasuta Ramsahai (ci-après Moravia Ramsahai). Tous deux sont nés en 1938. Ils furent les tuteurs de Moravia Ramsahai jusqu'à ce que ce dernier atteignît sa majorité, à l'âge de dix-huit ans. Le troisième requérant, M. Ricky Moravia Ghasuta Ramsahai, né en 1960, est le père de Moravia Ramsahai.
13.  Moravia Ramsahai naquit le 6 décembre 1979. Il est décédé le 19 juillet 1998.
A.  Les circonstances de l'espèce
1.  Les circonstances du décès de Moravia Ramsahai et les événements subséquents
14.  Le soir du samedi 19 juillet 1998, pendant le festival « Kwakoe » (célébration par la communauté surinamaise de l'abolition de l'esclavage au Surinam, 135 ans plus tôt), qui se tenait dans le quartier Bijlmermeer d'Amsterdam, Moravia Ramsahai força le propriétaire d'un scooter, un certain Vinodkumar Hoeseni, à lui céder son véhicule en le menaçant d'une arme à feu. Il sauta ensuite sur l'engin et prit la fuite.
15.  M. Hoeseni rapporta les faits à deux policiers qui patrouillaient à pied. Ceux-ci signalèrent alors le vol par radio au policier de garde du commissariat de police de la Flierbosdreef. Le policier de garde avertit à son tour les policiers qui patrouillaient dans le secteur. Dans l'intervalle, M. Hoeseni et les deux policiers s'étaient lancés, mais sans succès, à la poursuite de Moravia Ramsahai et du scooter.
16.  Une controverse s'éleva par la suite entre les deux policiers précités et M. Hoeseni au sujet de la question de savoir si ce dernier avait mentionné le fait que Moravia Ramsahai était porteur d'une arme à feu. M. Hoeseni assurait qu'il avait donné cette information mais qu'elle n'avait pas été entendue. Les deux policiers affirmaient pour leur part que cette information ne leur avait pas été communiquée et qu'ils n'avaient donc pas pu la transmettre au commissariat.
17.  Cinq minutes plus tard environ, deux policiers en uniforme, les agents Brons et Bultstra, qui patrouillaient à bord d'une voiture de police signalisée, aperçurent un scooter conduit par une personne correspondant à la description qui leur avait été donnée s'arrêter à côté d'une barre d'habitation appelée « Huigenbos ». Ils immobilisèrent leur véhicule et en sortirent. L'agent Bultstra courut en direction de la personne qu'ils avaient vue conduire le scooter et qu'ils identifièrent plus tard comme étant Moravia Ramsahai et tenta de l'appréhender. Une brève lutte s'ensuivit alors, à l'issue de laquelle Moravia Ramsahai réussit à se dégager.
18.  L'agent Bultstra vit Moravia Ramsahai sortir un pistolet de la ceinture de son pantalon. Il laissa alors tomber un émetteur-récepteur radio qu'il tenait dans sa main, dégaina son pistolet de service et ordonna à Moravia Ramsahai de lâcher son arme. Moravia Ramsahai refusa d'obtempérer. L'agent Brons, le conducteur de la voiture de patrouille, s'était sur ces entrefaites approché. D'après une déposition livrée ultérieurement, Moravia Ramsahai aurait alors levé son pistolet et l'aurait pointé en direction de l'agent Brons, qui aurait dégainé son pistolet de service et aurait fait feu. Moravia Ramsahai fut touché au cou.
19.  La confrontation entre Moravia Ramsahai et les agents Brons et Bultstra ne fut observée de près que par un seul témoin, M. Petrus van den Heuvel, qui suivit l'incident de la galerie extérieure du cinquième étage de l'immeuble Huigenbos. Lorsqu'il vit sortir les pistolets, l'intéressé s'accroupit toutefois derrière le parapet pour se mettre à l'abri ; il n'a donc pas vu la scène du coup de feu.
20.  Plusieurs autres personnes assistèrent à la confrontation et à la scène du coup de feu, à une distance d'au moins cinquante mètres. Aucun de ces témoins ne déclara par la suite avoir vu le pistolet de Moravia Ramsahai.
21.  A 22 h 03, l'un des deux policiers – d'après une déposition livrée ultérieurement, il s'agissait de l'agent Brons – avertit par radio le commissariat de la Flierbosdreef qu'il avait tiré sur quelqu'un et demanda l'envoi d'une ambulance.
22.  Lorsque l'ambulance arriva sur les lieux, vers 22 h 15, le personnel médical qui était à son bord ne put que constater le décès de Moravia Ramsahai.
23.  A son retour au commissariat de la Flierbosdreef, l'agent Brons rendit compte de l'incident au préfet de police Van Riessen, chef de la police d'Amsterdam/Amstelland, qui prononça des mots de réconfort et de soutien. D'après les requérants, le préfet de police Van Riessen aurait par la suite été cité dans le quotidien à grand tirage De Telegraaf comme ayant déclaré : « Ils peuvent mettre en place la commission d'enquête qu'ils veulent, elle n'entrera pas chez moi » (« Wat voor een onderzoekscommissie er daarnaast ook wordt ingesteld, ze komen er bij mij niet in »).
24.  Le médecin d'état civil (lijkschouwer) d'Amsterdam examina la dépouille de Moravia Ramsahai avant qu'elle ne soit enlevée. Dans son rapport au procureur, il formula l'avis provisoire que le décès avait résulté d'un tir d'arme à feu qui avait endommagé des organes vitaux ou des structures vitales du cou.
25.  Les agents Brons et Bultstra reprirent leurs fonctions quelques jours après l'incident.
2.  Les mesures d'investigation effectuées par la police d'Amsterdam/Amstelland
26.  Des agents de la police locale arrivèrent sur les lieux, établirent un cordon de sécurité et prirent les noms de M. Van den Heuvel et d'autres personnes qui avaient été témoins de la confrontation.
27.  Des experts en police technique et scientifique de la police d'Amsterdam/Amstelland recueillirent les preuves, essentiellement sous la forme de clichés photographiques qui furent par la suite versés au dossier de l'enquête. Ils trouvèrent la balle qui avait traversé le corps de Moravia Ramsahai et avait détruit une vitre mais qui n'avait laissé aucune autre marque, ainsi que le pistolet de Moravia Ramsahai, chargé et prêt à l'emploi.
28.  Plus tard dans la nuit, une unité mobile (Mobiele Eenheid) de la police d'Amsterdam/Amstelland interrogea l'ensemble des résidents de l'immeuble Huigenbos qui se trouvaient à leur domicile. Dans un appartement, elle trouva une fillette âgée de douze ans, Mlle Sangeeta Edwina Pamela Mungra, qui déclara que lorsqu'elle était sortie de l'ascenseur au rez-de-chaussée la porte de l'ascenseur avait heurté un scooter qui était allongé par terre. En sortant de l'ascenseur, elle avait entendu une détonation. Elle avait vu deux policiers et les avait entendus dire : « J'ai tiré ». Elle avait vu un jeune homme allongé sur le sol.
29.  Les jours suivants, des agents de la police d'Amsterdam/Amstelland recueillirent diverses dépositions de témoins, qui se trouvent reproduites sous une forme condensée ci-dessous.
a) M. Hoeseni
30.  M. Vinodkumar Hoeseni signala le vol de son scooter à la police d'Amsterdam/Amstelland le 19 juillet 1998.
31.  M. Hoeseni avait acheté son scooter quelques jours plus tôt. La nuit du 19 juillet 1998, il l'avait enfourché pour aller au festival Kwakoe, où il avait retrouvé sa petite amie. Alors qu'il se trouvait avec elle, un jeune qu'il ne connaissait pas s'était approché de lui et lui avait dit : « Descends. Descends. Je te bute. Je te bute. » (« Deraf. Deraf. Ik schiet jou, ik schiet jou. »). M. Hoeseni avait senti qu'on lui enfonçait quelque chose dans le côté droit. Baissant la tête, il avait identifié l'objet comme étant un pistolet de femme. Il avait d'abord refusé d'abandonner le scooter mais sa petite amie l'avait pressé de céder plutôt que d'être abattu. Il avait ensuite laissé partir le scooter et avait couru vers les premiers policiers qu'il avait aperçus.
32.  Il avait déclaré à l'un d'eux qu'il s'était fait voler son scooter sous la menace d'une arme à feu et lui avait demandé, à lui et au collègue qui l'accompagnait, de se lancer à la poursuite du voleur. Il avait fourni une description du scooter et du voleur. M. Hoeseni et les deux agents de police s'étaient ensuite lancés à la poursuite du voleur et du scooter mais ceux-ci avaient disparu.
33.  M. Hoeseni avait alors entendu, grâce à l'émetteur-récepteur des policiers, que le scooter avait été retrouvé. Avec les policiers, il s'était rendu sur place et avait identifié l'engin comme étant le sien.
b) Mlle Bhondoe
34.  Mlle Anita Andjjiewie Bhondoe, la petite amie de M. Hoeseni, fut entendue le 19 juillet 1998. Elle s'était rendue avec son frère au festival Kwakoe, où elle avait retrouvé M. Hoeseni. Celui-ci venait d'acheter un nouveau scooter. Le frère de Mlle Bhondoe était parti chercher quelque chose à boire pour eux trois. Après une quinzaine de minutes, M. Hoeseni et elle avaient été accostés par un jeune homme dont elle avait remarqué qu'il l'observait, elle et le scooter. Le jeune homme avait dit à M. Hoeseni : « Descends, descends » (« Stap af, stap af »), et il avait appuyé un objet ressemblant à une arme à feu contre le ventre de M. Hoeseni. Elle avait tout d'abord pensé qu'il s'agissait d'un ami de M. Hoeseni qui faisait une blague, puis elle s'était rendu compte en voyant l'expression du visage de M. Hoeseni que ce n'était pas le cas.
35.  Elle avait pressé son petit ami d'abandonner le scooter lorsque l'intrus avait dit : « Descends, descends, sinon je vais tirer » (« Ga eraf, ga eraf, anders ga ik schieten »). M. Hoeseni avait ensuite couru pour chercher de l'aide, cependant que le jeune homme faisait démarrer le scooter et se sauvait avec. M. Hoeseni était revenu avec deux policiers et tous trois s'étaient lancés à la poursuite du jeune homme et du scooter. Mlle Bhondoe les avait un moment rejoints, puis son frère lui avait dit de faire demi-tour. Ensemble, ils avaient couru dans la direction empruntée par les policiers. Arrivés devant l'immeuble Huigenbos, ils avaient aperçu un grand nombre de voitures. M. Hoeseni leur avait déclaré que le jeune homme avait été intercepté et que la police l'avait abattu.
c) M. Van den Heuvel
36.  M. Petrus van den Heuvel fut entendu le 19 juillet 1998. Il déclara qu'il habitait au cinquième étage de l'immeuble Huigenbos.
37.  Alors qu'il se trouvait sur la galerie extérieure d'accès aux appartements de son étage, il avait vu un policier courir vers l'entrée de l'immeuble. Il avait aperçu un homme de couleur au crâne rasé qui sortait de l'immeuble. Il avait vu le policier tenter d'agripper l'homme de couleur par le bras. L'homme de couleur avait fait un mouvement de côté avec son bras, comme pour dire qu'il ne voulait pas obtempérer, et le policier n'avait pu l'attraper.
38.  L'homme de couleur avait alors sorti un pistolet ou un revolver de la poche ou de la ceinture de son pantalon, M. van den Heuvel n'avait pu distinguer. L'arme était de couleur gris argent et la crosse était de couleur foncée. La réaction instinctive de M. van den Heuvel avait été de se protéger en s'accroupissant derrière la balustrade de la galerie. Par curiosité il avait ensuite jeté un bref regard vers la scène et il lui avait semblé que le policier s'était écarté de quelques pas. L'homme de couleur avait toujours l'arme dans sa main. Il ne la pointait pas dans une direction particulière, mais il ne l'avait pas jetée non plus. Tout cela s'était passé très vite, peut-être en moins de trente secondes.
39.  Dans l'intervalle, un second policier était arrivé en courant. Le témoin avait alors entendu quelqu'un crier très fort au moins quatre fois « Lâche ça ». L'homme de couleur devait avoir entendu cette injonction mais il l'avait ignorée. M. van den Heuvel ne se souvenait pas avoir vu le second policier demeurer immobile une fois qu'il avait atteint le théâtre de l'incident. Il avait entendu une détonation et avait vu l'homme de couleur s'effondrer. L'arme était tombée sur le sol quelques mètres plus loin. Le premier policier avait marché en direction de l'homme de couleur pour le palper. Le second policier avait parlé dans une sorte d'appareil, après quoi des renforts étaient arrivés. Le témoin avait essayé d'appeler la police sur son téléphone mais on lui avait répondu que les secours étaient en chemin. Il avait continué de regarder la scène pendant un moment, puis il était descendu et avait donné son nom aux policiers en leur précisant qu'il était prêt à témoigner.
d) L'agent Dekker
40.  L'agent de police Bas Dekker fut entendu le 20 juillet 1998. Vers 22 h 05 la nuit d'avant, il était en train de patrouiller avec l'agent Boonstra sur le site du festival Kwakoe.
41.  Il avait été accosté par un jeune homme qu'il ne connaissait pas. Celui-ci lui avait dit qu'il avait été agressé par un jeune homme qui l'avait obligé à descendre de son scooter et était parti avec. Cela s'était produit moins d'une minute plus tôt. Le jeune homme lui avait donné les papiers d'assurance du scooter et lui avait indiqué la direction dans laquelle le voleur était parti avec le scooter. Les agents Dekker et Boonstra, accompagnés du jeune homme, avaient couru dans la direction indiquée par ce dernier. Tout en courant, l'agent Dekker avait transmis par radio la description du scooter à d'autres policiers. A ce moment, il ne savait pas que le voleur avait utilisé une arme ; le propriétaire du scooter ne l'avait pas précisé. L'agent Dekker avait supposé que le voleur avait seulement fait usage de la force physique, le propriétaire du scooter ayant déclaré qu'il avait été arraché de sa machine.
42.  Le voleur avait réussi à démarrer le scooter lorsqu'ils l'avaient aperçu. Ils avaient continué à courir, mais le scooter avait été plus rapide. L'agent Dekker avait communiqué par radio sa propre description du scooter et de son conducteur, les directions que ce dernier pouvait avoir prises et le numéro de la plaque d'assurance de l'engin. Ils avaient continué à courir. Lorsqu'ils avaient atteint le passage piéton souterrain, l'agent Dekker avait entendu sur son émetteur-récepteur un autre policier qui faisait état d'un incident où un coup de feu avait été tiré et qui, peu après, appelait une ambulance. L'agent Dekker estima à environ une minute le temps qui s'était écoulé entre sa transmission de la description du scooter et l'annonce concernant le coup de feu, mais il précisa qu'il n'était pas sûr de son évaluation.
43.  Alors que les agents Dekker et Boonstra se demandaient s'il y avait un lien quelconque entre le coup de feu et le vol du scooter, le propriétaire de celui-ci, qui avait apparemment entendu l'annonce faite sur la radio de la police, leur avait dit que le voleur était en possession d'un petit pistolet de couleur argentée.
44.  Les agents Dekker et Boonstra et le propriétaire du scooter s'étaient alors rendus à l'endroit où avait été tiré le coup de feu, devant l'immeuble Huigenbos. Ils avaient vu une personne gisant par terre sur le dos, deux policiers en uniforme agenouillés à ses côtés. Ils s'étaient avancés et avaient reconnu le scooter.
c) L'agent Braam
45.  L'agent de police Paulus Antonius Braam fut entendu le 20 juillet 1998. Son travail consistait notamment à suivre et à traiter les messages envoyés par émetteur-récepteur.
46.  Le 19 juillet 1998 à 21 h 55, l'agent Braam se trouvait assis à sa table traçante lorsqu'il avait intercepté le message d'un policier qui, sur son émetteur-récepteur, signalait qu'il était à la poursuite d'un jeune homme qui venait de voler un scooter. Peu après, le même agent avait signalé par radio que le voleur avait réussi à faire démarrer le scooter et avait indiqué la direction dans laquelle le voleur s'était enfui. Le ton de sa voix était neutre, comme s'il s'agissait d'un vol tout à fait « ordinaire » de scooter.
47.  Comme l'agent était à pied, il avait demandé l'assistance d'un collègue motorisé. Par la même occasion, il avait fourni une description du scooter. L'agent Braam avait demandé à un collègue à moto de rouler dans la direction qui avait été indiquée.
48.  Alors que l'agent à moto s'apprêtait à quitter la cour du commissariat, l'agent Braam avait, depuis sa voiture de police signalisée, entendu l'agent Bultstra indiquer qu'il avait vu le voleur pénétrer avec le scooter dans le hall d'entrée donnant accès au troisième ascenseur de l'immeuble Huigenbos et qu'il allait essayer de l'appréhender. L'agent Bultstra avait lui aussi parlé sur un ton neutre.
49.  Quatre ou cinq minutes plus tard, peut-être moins, l'agent Braam avait entendu l'agent Bultstra dire : « Le suspect a été abattu, il me faut une ambulance ». Là encore, l'agent Bultstra s'était exprimé de manière calme et professionnelle. L'agent Braam avait alors averti les services appropriés.
50.  L'agent Braam n'avait pas entendu l'agent Brons participer à la conversation radio. Cela correspondait à la pratique habituelle, suivant laquelle le conducteur d'une voiture de police – en l'espèce l'agent Brons – avait son émetteur-récepteur réglé sur la fréquence du bureau central des incidents, le « passager » – en l'espèce l'agent Bultstra – ayant quant à lui son émetteur-récepteur réglé sur la fréquence utilisée par l'équipe locale.
f) L'agente Van Daal
51.  L'agente Renate Quirina van Daal fut entendue le 20 juillet 1998.
52.  Agente en uniforme, elle faisait partie du personnel de soutien général de la police. La nuit précédente, elle s'était trouvée à la table traçante de 20 h 15 à minuit. Jusqu'à l'incident du coup de feu, la nuit avait été calme. Dans la salle se trouvaient également l'agent Braam et le commissaire Casper Sikking.
53.  Vers 22 heures, elle avait entendu sur la fréquence radio utilisée par la police du quartier qu'un agent avait pris en chasse un scooter et également quelle direction le scooter avait prise. Elle ne se souvenait pas des termes exacts utilisés ni d'une quelconque description qui aurait été donnée du conducteur du scooter.
54.  Peu après, elle avait entendu la voix de l'agent Bultstra qui déclarait avoir repéré le scooter. Une ou deux secondes plus tard, l'agent Bultstra avait indiqué qu'il apercevait le scooter dans un des halls d'entrée de l'immeuble Huigenbos.
55.  S'exprimant sur le canal radio, le commissaire Sikking avait dit : « Okay, les gars, tout le monde au Huigenbos » (« Jongens met z'n allen naar Huigenbos »).
56.  Très peu de temps après, l'agent Bultstra avait dit : « Il me faut une ambulance, j'ai tiré » (« Ik heb geschoten »). Le commissaire Sikking lui avait demandé de répéter. L'agent Bultstra avait répété : « J'ai tiré ». Là-dessus, la plupart des agents de police qui étaient présents étaient sortis du commissariat et les agents Van Daal et Braam avaient averti les services d'urgence appropriés.
57.  L'agente Van Daal avait ultérieurement entendu l'agent Brons dire que l'ambulance devait partir d'urgence car le suspect était dans un état très grave.
58.  Ce n'était que plus tard que l'agente Van Daal avait été informée par d'autres agents que c'était en fait l'agent Brons qui avait tiré.
g) L'agent Van Dongen
59.  L'agent de police Bruin Jan van Dongen fut entendu le 20 juillet 1998. Basé au commissariat de la Flierbosdreef, ce maître-chien au grade de brigadier était de garde la nuit précédente avec son chien policier.
60.  Il avait entendu sur son émetteur-récepteur qu'un scooter avait été volé au festival Kwakoe. L'auteur du message avait indiqué la direction dans laquelle le voleur s'était enfui. Il avait également donné une description de l'intéressé : il s'agissait d'un homme de couleur, habillé en noir, qui conduisait un scooter rouge. L'agent Van Dongen avait fait route dans la direction indiquée.
61.  La voiture de l'agent Van Dongen avait été dépassée par une voiture de police signalisée à bord de laquelle se trouvaient deux agents. Il avait reconnu le conducteur, l'agent Brons, mais non le passager. Il avait vu la voiture se garer et le passager en sortir.
62.  L'agent Van Dongen avait lui aussi garé sa voiture, dans l'intention d'aider à trouver le voleur s'il en avait la possibilité. Il était en train de sortir son chien lorsqu'il avait entendu un coup de feu.
63.  Il s'était précipité avec le chien dans la direction de la détonation. Une fois arrivé devant l'immeuble Huigenbos, il avait rencontré l'agent Brons, qui venait vers lui. Il avait aperçu l'agent Bultstra agenouillé à côté de la tête d'un homme allongé sur le sol.
64.  Il avait demandé à l'agent Brons ce qui s'était passé. L'agent Brons lui avait répondu qu'un coup de feu avait été tiré. L'agent Van Dongen lui avait demandé qui avait tiré. L'agent Brons lui avait répondu qu'un pistolet avait été braqué sur eux et qu'ils avaient tiré.
65.  L'agent Brons avait pointé du doigt un pistolet de couleur argentée qui se trouvait par terre non loin de l'homme. L'agent Bultstra avait administré les premiers soins à la victime. L'agent Van Dongen n'avait pu voir aucune blessure. Il n'avait pu s'approcher de l'homme à cause du chien.
66.  L'homme allongé sur le sol correspondait à la description donnée de la personne qui avait volé le scooter. Il y avait un scooter rouge dans l'entrée de l'immeuble, et l'agent Van Dongen avait ainsi compris qu'il s'agissait de la personne qu'on soupçonnait d'avoir commis le vol.
67.  L'agent Van Dongen avait entendu l'agent Brons avertir les services de santé locaux et le commissaire de police de garde. L'agent Van Dongen avait gardé la zone jusqu'à l'arrivée des enquêteurs (recherche) et des experts en police technique et scientifique. Il était resté sur les lieux jusqu'à ce qu'ils eussent terminé leur travail et était rentré au commissariat à minuit.
h) L'agent Boonstra
68.  L'agent de police Klaas Boonstra fut entendu le 20 juillet 1998. Il avait été chargé, avec l'agent Bas Dekker, de patrouiller dans l'enceinte du festival Kwakoe. Il s'agissait pour eux d'effectuer un travail d'observation et d'assurer une présence préventive. A un certain moment, un Hindoustani1 avait accouru vers eux et les avait invités à le suivre. Comme l'Hindoustani leur avait donné l'impression que quelque chose s'était produit, ils l'avaient suivi. Tout en courant, l'intéressé avait indiqué à l'agent Dekker de quoi il s'agissait. L'agent Boonstra les suivait à une distance d'une dizaine de mètres.
69.  L'agent Boonstra avait entendu sur son émetteur-récepteur qu'un scooter avait été volé. Il n'avait pas compris immédiatement que le scooter appartenait à l'Hindoustani.
70.  A un certain moment, ils avaient aperçu, trente mètres devant eux, le scooter, qui roulait à faible allure. L'agent Dekker avait indiqué à l'agent Boonstra qu'il s'agissait du scooter qui avait été volé. La personne qui conduisait le scooter avait aperçu les policiers, mais au lieu de s'arrêter elle avait accéléré. Alors qu'ils se dirigeaient vers l'immeuble Huigenbos, ils avaient entendu sur leur émetteur-récepteur qu'un coup de feu avait été tiré. Ils n'avaient pas immédiatement fait le lien entre le coup de feu et le vol du scooter. Toujours accompagnés de l'Hindoustani, ils avaient poursuivi leur chemin vers l'immeuble Huigenbos, où ils avaient noté la présence de trois ou quatre voitures de police. L'Hindoustani avait reconnu son scooter.
i) Mme Boujedaine
71.  Mme Najima Boujedaine fut entendue le 21 juillet 1998. Elle travaillait comme responsable de la caisse dans un restaurant Burger King situé sur la Leidseplein à Amsterdam. Le 19 juillet 1998, elle faisait partie de l'équipe de nuit, dont le travail commençait à 18 h 30 pour se terminer à 5 heures le lendemain matin.
72.  A partir de 18 h 30 elle avait noté la présence d'un certain jeune homme. Elle le décrivit comme étant d'origine surinamaise ou antillaise, âgé de dix-huit ans, chauve, avec deux dents en or, vêtu d'un tee-shirt et d'un pantalon noirs ainsi que de chaussures noires et portant une chaîne en or autour du cou. A partir de 19 h 30 elle l'avait vu distraire l'une des caissières, une jeune femme appelée Nancy.
73.  Invitée à se concentrer sur son travail, Nancy avait expliqué à Mme Boujedaine que le jeune homme était son petit ami. Le jeune homme avait réagi de manière agressive, disant à Mme Boujedaine qu'elle ferait bien de laisser Nancy tranquille.
74.  Après avoir dit à Nancy en plaisantant qu'elle pourrait avoir à rester un peu plus longtemps, Mme Boujedaine avait vu le jeune homme la regarder fixement. Cela l'avait effrayée mais elle n'avait pas voulu montrer sa peur. Juste avant qu'elle ne se retourne pour verser un soda, elle avait vu la main droite du jeune homme se diriger vers la ceinture de son pantalon.
75.  La sœur de Mme Boujedaine, Mimount (ou Mimout), qui travaillait elle aussi au restaurant, avait alors dit : « Najima, il t'a visée avec un pistolet ! ». Mme Boujedaine s'était retournée et elle avait alors vu le jeune homme rentrer quelque chose dans la ceinture de son pantalon. Mimount avait plus tard décrit le pistolet comme étant un petit modèle gris argenté généralement qualifié de « ladykiller ».
76.  Une fille surinamaise avait ensuite posé une question au jeune homme dans sa propre langue et l'intéressé y avait répondu. La fille avait alors dit à Mme Boujedaine qu'elle avait demandé au jeune homme s'il avait un pistolet sur lui, à quoi il avait répondu par l'affirmative.
77.  Le jeune homme donnait l'impression d'avoir peut-être fumé du cannabis, mais Mme Boujedaine n'était pas sûre.
78.  Le jeune homme avait continué à embêter Nancy dans son travail. Il était parti à plusieurs reprises mais était chaque fois revenu. A un certain moment il était réapparu sur un tout nouveau scooter gris argenté.
79.  Le jeune homme avait entamé une conversation avec Mme Boujedaine, à laquelle il avait indiqué qu'il avait l'intention de vider le coffre après la fermeture. Il lui avait demandé de lui donner la combinaison du coffre. Au cours de cette conversation il avait observé les tiroirs des caisses enregistreuses.
80.  Plusieurs fois il avait dit à Mme Boujedaine qu'il était déjà 21 heures et qu'elle devait fermer la caisse enregistreuse de Nancy.
81.  Mme Boujedaine s'était sentie mal à l'aise et avait eu peur, particulièrement après que le jeune homme eut dit qu'il avait l'intention de « tordre le cou au gérant ».
82.  Le jeune homme s'était fâché une nouvelle fois à 21 heures, lorsque Mme Boujedaine avait mis fin à la conversation. Mme Boujedaine avait ensuite fermé à clé la caisse enregistreuse de Nancy et mis à l'abri le contenu du tiroir. Elle avait vu le jeune homme et Nancy quitter les lieux vers 21 h 30 sur le scooter au guidon duquel le jeune homme était arrivé un peu plus tôt.
j) M. De Getrouwe
83.  M. Ronald de Getrouwe s'était présenté après avoir eu vent de l'incident qui avait eu lieu près de l'immeuble Huigenbos. Souhaitant déclarer qu'il avait été menacé, il fut entendu le 22 juillet 1998.
84.  Le dimanche 19 juillet 1998 à 18 h 15, il se trouvait sur les lieux du festival Kwakoe avec sa femme et quelques amis. Derrière eux se trouvait un groupe de jeunes, dont un était assis sur un scooter ou un vélomoteur (bromfiets). M. de Getrouwe décrivit le véhicule comme ayant un carénage bleu. A un certain moment, le jeune homme en question avait mis le moteur en marche, ouvrant à fond à plusieurs reprises le poignée des gaz, faisant ainsi sortir du pot d'échappement de grandes quantités de fumée, ce qui avait provoqué des récriminations au sein du groupe de M. de Getrouwe. M. de Getrouwe lui-même s'était alors dirigé vers le jeune homme et lui avait demandé soit de partir, soit d'éteindre le moteur de son scooter parce qu'il empoisonnait tout le monde avec ses fumées toxiques. Le jeune avait éteint le moteur et s'était approché de M. de Getrouwe, auquel il avait dit : « Tu fumes [une cigarette], tu vas aussi mourir. » M. de Getrouwe avait pensé que le jeune homme souhaitait discuter comme une personne raisonnable. Au lieu de cela, le jeune homme avait sorti de la poche droite de son pantalon un petit pistolet de couleur métallisée et il avait dit : « Personne ne va me dire ce que j'ai à faire. Je fais ce qu'il me plaît, nous allons tous mourir de toute façon. »
85.  Terriblement effrayée à la vue du pistolet, la femme de M. de Getrouwe avait agrippé son mari et l'avait fait rejoindre le groupe. Le jeune homme avait réenfourché le scooter.
86.  Aucune des personnes présentes, et il y en avait beaucoup, n'avait offert son aide. Elles en avaient manifestement été dissuadées par la vue du pistolet.
k) M. Bondhoe
87.  M. Sanchaai Kumar Bhondoe, frère de M. Hoeseni, fut entendu le 22 juillet 1998.
88.  Le dimanche 19 juillet 1998 entre 20 h 30 et 22 heures, il s'était trouvé au festival Kwakoe en compagnie de sa sœur et de son ami M. Hoeseni. Il les avait quittés pour aller chercher quelque chose à boire pour eux trois. Il avait entendu des cris et avait vu M. Hoeseni se diriger en courant vers des policiers qui se trouvaient sur place. Il avait couru après M. Hoeseni et lui avait demandé ce qui se passait. Vinod lui avait répondu qu'il lui expliquerait plus tard. Il avait trouvé sa sœur en larmes et lui avait demandé ce qui s'était passé. Elle lui avait raconté comment M. Hoeseni avait été forcé, sous la menace d'une arme, d'abandonner son scooter.
3. L'enquête menée par l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde, de l'Inspection générale de la police nationale
89.  L'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde, de l'Inspection générale de la police nationale (hoofdinspecteur van politie-rijksrecherche) fut chargé de l'enquête. A l'issue de celle-ci, il établit un rapport dans lequel il indiquait qu'après 13 h 30 le 20 juillet 1998 la police d'Amsterdam/Amstelland, agissant à la demande de l'Inspection générale de la police nationale, s'était bornée à mener des investigations « dans l'entourage » de Moravia Ramsahai. Il adressa le document au procureur De Vries, qui était le magistrat responsable des enquêtes pénales effectuées par les agents du commissariat de la Flierbosdreef.
90.  L'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde recueillit les dépositions d'un certain nombre de témoins, dont certains avaient déjà été entendus par des agents de la police d'Amsterdam/Amstelland. Ces dépositions sont résumées ci-dessous.
a) M. Van den Heuvel
91.  M. Petrus van den Heuvel fut à nouveau entendu le 21 juillet 1998, cette fois par l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde.
92.  Complétant sa déclaration antérieure, il décrivit ce qu'il avait vu de la galerie extérieure du cinquième étage de l'immeuble Huigenbos. Il avait aperçu un agent de police en uniforme qui courait vers l'entrée de l'immeuble. Il avait vu un homme de couleur sortir de l'entrée de l'immeuble et s'avancer vers le policier. L'homme marchait très lentement, à l'allure d'un escargot. Le policier avait cherché à agripper l'homme par le bras gauche, autant que M. van den Heuvel pût s'en souvenir. L'homme de couleur avait fait un geste comme pour repousser le policier. Il avait touché le policier, lui faisant perdre un peu l'équilibre, ce qui lui avait permis de passer.
93.  Après être passé il avait sorti, en utilisant sa main droite, un pistolet ou un revolver, une arme à feu en tout cas. Il avait gardé son bras ballant, pointant ainsi le pistolet vers le sol et il avait tenté de poursuivre son chemin. M. Van den Heuvel n'avait pas vu les policiers sortir leurs pistolets. Se sentant menacé par le pistolet qu'il avait vu l'homme de couleur sortir, et peu désireux d'être touché par une balle perdue, il s'était accroupi pour se mettre à l'abri. Il n'avait ainsi pas vu comment le coup de feu avait été tiré mais il avait à plusieurs reprises entendu crier « Lâche ça ».
b) L'agent Brons
94.  L'agent Brons, qui entre-temps faisait l'objet d'une enquête comme auteur présumé d'un acte criminel, fut entendu par l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde dans l'après-midi du 22 juillet 1998, non sans avoir été averti que ses déclarations pourraient être retenues contre lui. L'avocat qui avait été commis pour lui et pour l'agent Bultstra, Me van Kleef, était présent.
95.  L'agent Brons et l'agent Bultstra étaient en train de revenir vers le commissariat après avoir mené à bien les tâches qui leur avaient été assignées. Ils se trouvaient à bord d'une voiture de police signalisée. C'était l'agent Brons qui conduisait. C'est alors qu'ils avaient entendu l'appel radio concernant le voleur du scooter. On leur avait indiqué la marque du scooter et sa couleur, on leur avait donné une brève description du voleur et on leur avait précisé la direction dans laquelle il avait pris la fuite. On ne leur avait pas dit qu'il était armé.
96.  Alors qu'ils roulaient dans la direction qui leur avait été indiquée, les agents Brons et Bultstra avaient aperçu un scooter et son conducteur correspondant à la description qui leur avait été donnée tourner vers l'immeuble Huigenbos et pénétrer dans le hall donnant accès à l'un des ascenseurs de l'immeuble. Cela les avait surpris, car ils se seraient plutôt attendus à voir l'individu chercher à se soustraire à l'arrestation une fois qu'il s'était rendu compte qu'il était suivi par une voiture de police signalisée.
97.  Les agents Brons et Bultstra étaient convenus que l'agent Bultstra courrait après le voleur tandis que l'agent Brons garerait la voiture. L'agent Bultstra avait couru vers l'entrée de l'immeuble, tenant à la main un émetteur-récepteur. Alors qu'il se trouvait encore à une distance d'environ vingt à vingt-cinq mètres de l'entrée de l'immeuble, le voleur était sorti de celui-ci et avait effectué quelques pas en courant. Il s'était ensuite arrêté et avait levé les mains lorsqu'il avait vu l'agent Bultstra et avait crié quelque chose d'inintelligible. L'agent Bultstra avait empoigné le voleur des deux mains et avait tenté de lui faire faire demi-tour vers l'immeuble. Le voleur avait toutefois résisté. L'agent Bultstra lui avait crié quelque chose, que l'agent Brons n'avait pas saisi.
98.  L'agent Brons avait compris que le voleur ne se rendrait pas sans résister et que l'agent Bultstra avait besoin d'aide ; il avait donc laissé la voiture et avait couru vers eux. Alors qu'il lui restait environ cinq à sept mètres à faire pour rejoindre le voleur, celui-ci avait réussi à se dégager et s'était retrouvé à une distance d'environ trois mètres de l'agent Bultstra. Soudain l'agent Brons avait vu le voleur tenir une arme de couleur argentée qu'il ne l'avait pas vu sortir. Il s'agissait d'un petit pistolet et il était pointé vers le sol. L'agent Brons n'avait pas vu si le pistolet était ou non armé. Il avait eu l'impression que l'agent Bultstra avait lui aussi aperçu le pistolet car il l'avait vu faire un pas en arrière, sortir son pistolet de service et adopter une posture défensive. Il l'avait entendu crier au moins à deux reprises : « Lâche cette arme. Sois raisonnable, mon gars. » (« Laat vallen dat wapen. Doe nou normaal man. »).
99.  A la surprise de l'agent Brons, qui avait vu l'agent Bultstra pointer son arme en direction du voleur, celui-ci n'avait pas réagi en lâchant son pistolet. Vu que le voleur était armé et qu'apparemment il n'avait pas l'intention d'obtempérer, l'agent Brons avait considéré que l'agent Bultstra était menacé. Il avait jugé très possible que le voleur utilise son arme contre l'agent Bultstra. Il avait été obnubilé par le voleur. Il avait seulement vu que le voleur tenait un pistolet, le doigt sur la détente. A ce moment l'agent Brons n'avait pas encore jugé nécessaire de sortir sa propre arme de service, car l'agent Bultstra avait son arme dirigée contre l'intéressé. Il avait la main proche de l'étui de son pistolet, mais non posée dessus.
100.  L'agent Brons avait alors vu le voleur se tourner vers la droite dans sa direction et lui faire face, à une distance de cinq à sept mètres. Il avait vu le voleur lever son pistolet et le pointer dans sa direction. De crainte que le voleur ne lui tire dessus, l'agent Brons avait à toute vitesse (bliksemsnel) sorti son pistolet de sa gaine et avait immédiatement fait feu sur le voleur. Il n'avait pas eu le temps de viser un point précis du corps de l'intéressé. Il était convaincu que s'il n'avait pas tiré, le voleur aurait tiré le premier.
101.  Sur le moment, l'agent Brons avait pensé qu'il avait touché le voleur en haut de la poitrine. Ce n'est qu'après qu'on lui avait dit qu'il avait touché le voleur dans le cou. Le voleur était resté un instant campé sur ses pieds, puis il avait titubé et s'était effondré en lâchant le pistolet. Il avait tenté de se relever tout en faisant d'amples mouvements avec les bras. L'agent Brons avait d'un coup de pied éloigné le pistolet du voleur afin d'empêcher que celui-ci ne s'en saisisse à nouveau.
102.  L'agent Bultstra s'était approché de l'homme alors qu'il gisait sur le sol. Constatant que le voleur ne représentait plus une menace, il avait rengainé son pistolet.
103.  L'agent Brons avait contacté le commissariat sur son émetteur-récepteur et avait demandé l'intervention du service médical de la commune (Gemeentelijke Geneeskundige en Gezondheidsdienst – « GG&GD »). Comme il avait l'impression que le personnel médical tardait à venir il avait rappelé le commissariat pour insister sur le caractère urgent de l'intervention demandée.
104.  L'agent Bultstra s'était occupé de la victime. L'agent Brons, quant à lui, avait quitté la scène. Il avait aperçu un homme tenter d'entrer dans le hall de l'immeuble et il l'avait invité à rester dehors, lui expliquant qu'il fallait disposer un cordon de sécurité autour de la zone pour l'enquête.
105.  Les agents Brons et Bultstra avaient été ramenés au commissariat par un de leurs collègues. L'agent Brons avait déposé son pistolet au commissariat. Les agents Brons et Bultstra avaient bénéficié de l'assistance et du réconfort de leurs collègues et de leur supérieurs et on les avait informés de la manière dont la procédure allait se poursuivre.
106.  L'agent Brons n'avait tiré qu'une seule fois. Il n'avait jamais eu l'intention de tirer pour tuer. Son seul but avait été de mettre fin à une situation dans laquelle sa vie se trouvait menacée. Il n'avait pas eu le choix. Il regrettait profondément que le voleur fût décédé.
c) L'agent Bultstra
107.  Comme l'agent Brons, l'agent Bultstra fut entendu par l'inspecteur en chef Van Duivenvoorde le 22 juillet 1998, en présence de l'avocat Me van Kleef.
108.  Avec l'agent Brons, ils étaient en train de revenir vers le commissariat de la Flierbosdreef après avoir accompli une mission lorsqu'ils avaient entendu sur leur émetteur-récepteur qu'un autre policier poursuivait à pied un individu qui venait de voler un scooter. Ils avaient entendu la description du scooter et du voleur et la direction empruntée par le voleur. Il n'avait pas été précisé que le voleur était armé. Ils avaient alors changé d'itinéraire pour intercepter le voleur.
109.  Apercevant un individu et un véhicule qui correspondaient à la description donnée se diriger vers un immeuble déterminé, ils avaient décidé de garer la voiture et d'appréhender l'intéressé. Ils étaient convenus que l'agent Bultstra sortirait immédiatement de la voiture et poursuivrait le suspect, tandis que l'agent Brons fermerait la voiture et rejoindrait l'agent Bultstra.
110.  L'agent Bultstra avait vu l'homme pénétrer au guidon du scooter dans le hall d'entrée de l'immeuble. Alors qu'il s'était approché à une distance d'une vingtaine de mètres de l'immeuble, l'agent Bultstra avait vu l'homme sortir de l'entrée en courant. Apercevant l'agent Bultstra, l'homme avait crié : « Et alors, qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il y a ? » (« En wat nou ? En wat nou ? »). L'intéressé avait les bras ballants. Il les avait légèrement levés lorsqu'il avait posé la question. L'agent Bultstra et l'homme s'étaient rapprochés l'un de l'autre. L'homme avait glissé un regard furtif vers la droite puis vers la gauche, apparemment dans l'espoir de trouver une issue et d'échapper à l'arrestation. Comme sa préférence semblait aller à un passage souterrain menant de l'autre côté de l'immeuble, l'agent Bultstra s'était avancé pour lui barrer le chemin. Son intention était de se saisir de l'homme et de l'arrêter.
111.  L'agent Bultstra avait empoigné l'homme par le bras gauche et l'avait poussé avec son corps contre l'immeuble. L'homme lui avait fait une impression agressive, compte tenu de sa posture et de sa manière de parler, et il avait semblé déterminé à résister à l'arrestation. Il avait réussi à se dégager de l'étreinte du policier et à se retourner. Il avait alors reculé de deux pas vers l'entrée de l'immeuble. Ses mains étaient tout près de son corps, qui était incliné vers l'avant, et sa posture était menaçante.
112.  L'homme avait alors dirigé sa main droite vers la gauche de sa poitrine ou de son ventre, comme s'il s'apprêtait à en sortir une arme. Il avait regardé l'agent Bultstra droit dans les yeux et avait dit : « Et alors, qu'est-ce qu'il y a ? » (« En wat nou ? »). Voyant le geste, l'agent Bultstra avait pensé que l'homme agissait comme quelqu'un qui s'apprêtait à sortir une arme. Son bon sens lui avait commandé d'être sur ses gardes. Il avait reculé et avait placé sa main droite sur son pistolet de service, défaisant en même temps la fermeture de la gaine. Il n'avait pas sorti son pistolet de service mais il s'était positionné de manière à pouvoir le faire immédiatement. Pointant sa main gauche vers l'homme, il avait crié : « Montre tes mains. Sois raisonnable. » (« Laat je handen zien. Doe normaal. »). L'homme avait alors baissé sa main et repris sa posture antérieure, les bras ballants le long du corps. Il avait dit : « Et alors ? Et alors ? (« En wat dan ? En wat dan ? ») et il s'était éloigné de l'agent Bultstra. Son corps était toujours incliné vers l'agent Bultstra et ses yeux étaient toujours dirigés vers lui. L'agent Bultstra était demeuré dans la même position.
113.  L'homme avait une nouvelle fois porté sa main droite vers son corps, au même endroit qu'auparavant, et il avait saisi quelque chose. L'agent Bultstra avait été incapable de voir de quoi il s'agissait. L'homme avait alors écarté légèrement sa main de son corps et l'agent Bultstra avait vu qu'il tenait dans son poing un petit pistolet de couleur argentée.
114.  Devant le caractère menaçant de la situation, l'agent Bultstra avait sorti son pistolet de service afin de se protéger. Vu l'attitude adoptée par l'homme, il craignait que celui-ci ne fît feu. L'agent Bultstra avait saisi son arme de service des deux mains puis, adoptant une posture défensive, l'avait dirigée vers la poitrine de l'homme. Il se souvenait avoir crié « Lâche ça » (« Laat vallen ») à plusieurs reprises. Il avait peut-être crié d'autres choses encore, mais il ne se souvenait pas avoir dit autre chose que « Sois raisonnable. Lâche ça. » (« Doe normaal. Laat vallen. »). Il avait vu l'homme descendre le long de son corps la main qui tenait le pistolet, le canon pointant désormais vers le sol. L'homme faisait toujours face à l'agent Bultstra, les jambes légèrement écartées et les bras non ballants, et il ne cessait de remuer les mains, si bien que le pistolet changeait lui aussi de direction. Le canon était toutefois demeuré dirigé vers le sol. L'agent Bultstra décrivit la posture de l'homme comme celle étant d'un cow-boy qui pouvait commencer à tirer à tout moment. Il s'était senti menacé, au point qu'il avait décidé de tirer si l'homme pointait son pistolet vers lui.
115.  Autant qu'il pût s'en souvenir, cette situation avait duré environ quatre secondes, temps pendant lequel il avait par deux fois crié à l'homme de laisser tomber son pistolet. L'homme n'en avait rien fait. Les choses s'étaient passées très rapidement. L'agent Bultstra estimait à quinze à vingt secondes au maximum le temps qui s'était écoulé depuis le moment où il avait agrippé l'homme jusqu'au coup de feu fatal.
116.  L'agent Bultstra avait vu l'homme réagir soudain à quelque chose. Toujours dans sa position de cow-boy, l'homme avait effectué un quart de tour vers la gauche. L'agent Bultstra était incapable de se souvenir du temps que cela avait pris, mais cela avait été très rapide. L'homme avait légèrement soulevé son bras droit, celui au bout duquel il tenait son pistolet, d'une manière qu'il n'avait pas encore adoptée auparavant. Cela avait amené l'agent Bultstra à penser : « Maintenant je tire ». Comme l'homme soulevait sa main et son bras, l'agent Bultstra avait été convaincu qu'il s'apprêtait à tirer. L'agent Bultstra avait accumulé dans sa main droite une certaine tension pour presser la détente de son pistolet de service lorsqu'il avait entendu sur sa droite un bruit qu'il avait reconnu comme étant celui d'un tir de pistolet. Il avait immédiatement pensé : « [L'agent Brons] lui a tiré dessus ». L'agent Bultstra s'était senti si menacé qu'il aurait lui-même tiré si l'agent Brons ne l'avait pas fait.
117.  Il avait vu immédiatement que l'homme avait été touché. L'homme avait légèrement bougé le torse. Ses genoux s'étaient pliés et il s'était effondré sur le sol. Dans sa chute, il avait laissé tomber son pistolet. Il avait en vain tenté de se relever. Les agents Brons et Bultstra s'étaient approchés de part et d'autre de l'homme tout en ne cessant de le viser. Une fois qu'il avait rejoint l'homme, l'agent Bultstra avait rengainé son pistolet et saisi l'homme par l'épaule. Son intention était d'empêcher l'homme de se relever et de s'emparer du pistolet. Il s'était assis à côté de l'homme. L'homme était allongé, le dos contre les genoux de l'agent Bultstra. A ce moment, l'agent Bultstra avait vu l'agent Brons s'approcher sur sa droite. Il ne se souvenait pas si l'agent Brons avait toujours son pistolet de service dans sa main. L'agent Brons avait écarté du pied le pistolet de l'homme, de manière à ce que celui-ci ne pût plus s'en saisir.
118.  Faisant usage de son émetteur-récepteur, l'agent Brons avait appelé le commissariat pour qu'il sollicite d'urgence l'aide du service médical de la commune. Les agents Brons et Bultstra avaient laissé les lieux tels quels jusqu'à l'arrivée d'autres policiers. L'agent Bultstra avait toutefois desserré les vêtement de l'homme afin de voir où il avait été touché. L'homme avait été touché au cou, et sa chemise était maculée de sang. L'agent Bultstra avait tenté de lui faire décliner son identité mais il n'avait reçu aucune réponse. L'homme avait gargouillé. Il était trop tard. Il était décédé rapidement.
119.  Après l'arrivée d'autres policiers, les agents Brons et Bultstra avaient été ramenés au commissariat de la Flierbosdreef, où ils étaient demeurés un moment, que l'agent Bultstra estimait à trois heures. L'agent Brons avait été invité à remettre son arme de service. L'agent Bultstra et l'agent Brons avaient parlé avec une série de collègues, y compris avec le préfet de police Van Riessen, le chef de la police du district (districtschef), et avec l'équipe de l'auto-assistance (zelfhulpteam).
120.  L'agent Bultstra déclara que c'était l'homme lui-même qui avait déterminé le scénario (zelf het scenario heeft bepaald). Il avait eu le choix de ne pas sortir son arme, ou encore de la laisser tomber une fois qu'il l'avait sortie. L'agent Bultstra lui avait adressé plusieurs avertissements. L'intéressé n'y avait pas répondu. Au lieu de cela, il s'était campé face à l'agent Bultstra dans une posture menaçante, avec un pistolet prêt à tirer. L'agent Bultstra n'avait eu d'autre choix que de sortir son arme de service afin de se protéger. La situation était tellement menaçante que l'agent Bultstra aurait tiré afin de neutraliser l'homme et ainsi éliminer le danger que l'intéressé représentait pour lui-même et éventuellement pour d'autres. Cela n'avait toutefois pas été nécessaire car l'agent Brons avait tiré le premier.
d) Mme Rijssel
121.  Mme Henna Emelita Rijssel, entendue le 24 juillet 1998, était une assistante sociale domiciliée à Amsterdam.
122 Le 19 juillet vers 22 heures, avec sa fille Syreeta Michelle Lieveld, elle rentrait à pied du festival. Alors qu'elles traversaient un passage souterrain, elles avaient dû s'écarter pour laisser passer un scooter que conduisait une personne que Mme Rijssel décrivit comme étant un jeune négroïde qui ne portait pas de casque. Elles l'avaient vu poursuivre sa route, puis tourner vers l'une des entrées d'un immeuble à appartements. Elles avaient noté qu'il conduisait d'une manière inhabituellement lente, mais elles n'avaient pas fait autrement attention. Elles avaient toutefois vu le jeune homme ressortir du hall d'entrée de l'immeuble, dans lequel elles avaient aperçu le scooter. Bien qu'elles fussent à une certaine distance, elles avaient clairement pu distinguer le scooter, car il ne faisait pas encore sombre.
123.  Elles avaient vu le jeune homme sortir du hall d'entrée et avaient vu un policier courir vers lui. Elles avaient alors noté la présence d'une voiture de police, qu'elles n'avaient ni vue ni entendue jusqu'alors.
124.  Elles avaient vu le jeune homme sortir du hall d'entrée de l'immeuble en tenant sa main droite à l'intérieur de sa veste ou de sa chemise. Il avait la main sur le ventre juste au-dessus de la ceinture du pantalon. Elles avaient décidé de s'approcher car il se passait apparemment quelque chose.
125.  Mme Rijssel avait vu le jeune homme s'avancer en marchant vers le policier. Elle l'avait vu lever les bras d'une manière qui signifiait : « Qu'est-ce que vous voulez ? ». Elle n'avait entendu prononcer aucune parole. Le policier avait saisi le jeune homme par le bras, ramenant celui-ci dans le dos de l'intéressé. Mme Rijssel avait eu l'impression que le policier procédait à l'arrestation du jeune homme. Elle avait vu le policier tenter de pousser le jeune homme face au mur. Le policier n'y était toutefois pas parvenu car le jeune homme avait réussi à se dégager.
126.  Mme Rijssel avait vu une nouvelle fois le jeune homme glisser sa main à l'intérieur de sa chemise, comme elle l'avait vu faire auparavant. Elle ne l'avait pas vu sortir quoi que ce soit de sa chemise. A aucun moment elle n'avait vu le jeune homme sortir une arme à feu.
127.  Le policier était demeuré là où il était, et il ne s'était pas approché du jeune homme. Celui-ci avait fait quelques pas de côté. Mme Rijssel n'avait pas vu le policier sortir son arme à feu.
128.  Un autre policier s'était approché en courant. Il s'était immobilisé à une distance d'environ six mètres. Le jeune homme avait toujours sa main à l'intérieur de sa chemise non loin de la ceinture de son pantalon. Mme Rijssel avait alors vu le second policier sortir son pistolet et le diriger vers le jeune homme. Elle avait alors entendu crier une fois « Lâche ça » (« Leg neer »). Elle pensait que l'injonction avait été lancée par le policier qui avait son arme dirigée vers le jeune homme. L'injonction avait été lancée après que le policier eut sorti son pistolet et l'eut dirigé vers le jeune homme. Immédiatement après que l'injonction « Lâche ça » eut été lancée, Mme Rijssel avait entendu un coup de feu. Le jeune homme s'était immédiatement effondré.
129.  Mme Rijssel déclara catégoriquement qu'elle n'avait à aucun moment vu le jeune homme diriger un pistolet ou un autre objet analogue vers le policier. Elle se souvenait que le jeune homme avait la main à l'intérieur de sa chemise tout près de la ceinture de son pantalon. Elle en était certaine, malgré la rapidité avec laquelle les événements s'étaient succédé.
130.  Immédiatement après que le coup de feu eut été tiré, elle avait couru vers l'endroit où le jeune homme s'était effondré. Elle avait crié aux policiers : « J'ai vu ce que vous avez fait. C'est un être humain. » (« Ik heb gezien wat jullie hebben gedaan. Het is een mensenkind. »).
131.  Le policier avait pris le pouls du jeune homme. Le bras du jeune homme était retombé inerte.
132.  D'autres policiers étaient arrivés, dont un à moto, qui l'avait invitée à faire une déposition. Elle s'y était refusée au motif qu'elle n'avait pas envie de faire une déclaration susceptible d'être utilisée contre le jeune homme et de crainte que ses paroles pussent être mal interprétées. Elle avait dit à deux policiers, un homme et une femme qui étaient en train de disposer un cordon de sécurité autour des lieux, qu'ils n'avaient pas besoin de couvrir une zone aussi étendue. L'un des policiers l'avait accusée d'essayer de semer le trouble et lui avait dit qu'elle ne savait pas ce qui avait provoqué l'incident. Elle avait répliqué qu'elle ne connaissait pas la cause de l'incident mais qu'elle avait vu ce qui s'était passé et avait demandé si les policiers n'étaient pas censés tirer un coup de sommation avant de tirer sur une personne. Il était fort possible que, sous le coup de l'émotion, elle eût dit d'autres choses encore.
133.  Le 20 juillet 1998, Mme Rijssel était venue déposer des fleurs à l'endroit où le jeune homme avait été abattu. Elle avait rencontré la famille du jeune homme et avait parlé avec eux. Ils lui avaient dit qu'ils avaient pris comme avocat Me Hamer, et elle leur avait donné son numéro de téléphone. Elle avait plus tard été contactée par Me Hamer, qui l'avait invitée à faire une déclaration à l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde.
e) Mlle Lieveld
134.  Mlle Syreeta Michelle Lieveld, entendue le 24 juillet 1998, était collégienne à l'époque. Née en 1983, elle était la fille de Mme Rijssel. Le 19 juillet 1998 vers 22 heures, elle rentrait à pied du festival Kwakoe avec sa mère. Alors qu'elles traversaient un passage piéton souterrain, elles avaient été dépassées par un jeune homme qui conduisait un scooter. Le jeune homme était habillé en noir. Il était foncé de peau mais pas tout à fait noir. Il portait ses cheveux à plat. Il ne portait pas de casque. Mlle Lieveld ne put décrire le scooter.
135.  Le jeune homme avait quitté le sentier au guidon de son scooter et avait traversé la pelouse séparant le chemin de l'immeuble Huigenbos. Mlle Lieveld ne l'avait pas vu rentrer le scooter dans le hall d'entrée de l'immeuble.
136.  La mère de Mlle Lieveld avait alors dit : « Regarde, il y a la police ». Mlle Lieveld avait aperçu un policier qui se tenait debout face à l'immeuble, non loin du jeune homme. Avec sa mère elles s'étaient alors approchées de la scène. Mlle Lieveld avait vu le policier tenter de procéder à l'arrestation du jeune homme. Il l'avait saisi et avait tenté de lui plaquer le visage contre le mur. Le jeune homme avait toutefois réussi à se dégager. Il avait fait un geste des bras comme pour dire : « Qu'est-ce que vous me voulez ? »
137.  Le jeune homme avait alors porté l'une de ses mains, Mlle Lieveld ne se souvenait pas laquelle, vers la ceinture de son pantalon. Il avait ainsi donné l'impression d'avoir un pistolet dissimulé à cet endroit mais il s'agissait bien sûr d'un coup de bluff.
138.  Un second policier était arrivé en courant. Mlle Lieveld avait entendu crier « Lâche ça ». Elle se souvenait avoir entendu l'injonction une seule fois. Elle avait vu les deux policiers tenir chacun son pistolet de service dans la main. Elle avait vu le premier policier, celui qui avait tenté d'arrêter le jeune homme, avoir son pistolet sorti, mais elle ne l'avait pas vu le diriger vers le jeune homme. Elle n'avait pas vu le jeune homme tenir un pistolet ou quelque chose du genre.
139.  L'autre policier tenait lui aussi son pistolet de service dans la main. Il l'avait dirigé vers le jeune homme. Mlle Lieveld pensait que le coup avait été tiré immédiatement après l'injonction « Lâche ça ». Une fois le coup tiré, le jeune homme avait légèrement tourné sur lui-même et s'était effondré. Elle l'avait vu lâcher quelque chose. Elle pensait qu'il s'agissait d'un téléphone portable. Plus tard, après s'être approchée de la scène, elle avait aperçu sur le sol à côté du jeune homme un téléphone portable. Elle supposait que c'était le jeune homme qui l'avait laissé tomber.
140.  Mlle Lieveld fut incapable d'estimer la distance à laquelle elle se trouvait lorsque le jeune homme s'était effondré mais elle déclara qu'elle ne se trouvait pas à proximité immédiate. Les choses s'étaient passées très vite, comme dans un éclair.
141.  D'après le procès-verbal, le témoin, vu son état émotionnel, signa sa déposition en présence de sa mère.
f) M. Van Rij
142.  Né en 1982, M. Merlijn van Rij était à l'époque des faits collégien et résident de l'immeuble Huigenbos. Il fut entendu le 24 juillet 1998.
143.  Le 19 juillet 1998 vers 22 heures, il se trouvait chez lui avec son père dans le salon de leur appartement, situé au premier étage. La nuit était chaude et les fenêtres étaient ouvertes.
144.  A un certain moment il avait entendu crier une fois « Ne bouge pas ». Une seconde plus tard, ou peut-être moins, il avait entendu un claquement qui provenait de l'entrée de l'immeuble et qui ressemblait à un tir de pistolet. Comme il avait entendu l'injonction « Ne bouge pas », qui avait peu de chances d'avoir été prononcée par un délinquant, il en avait conclu que le coup avait été tiré par la police. Il avait voulu aller voir mais sa mère ne l'avait pas laissé faire car elle jugeait de mauvais goût de s'intéresser au malheur des autres. Plus tard dans la nuit, son père était sorti promener le chien. Il avait vu de nombreux policiers et une personne allongée sous un drap.
g) M. Oostburg
145.  Né en 1983, M. Matthew Jiri Oostburg était collégien à l'époque des faits. Il fut entendu le 24 juillet 1998.
146.  Le 19 juillet 1998 vers 22 heures, il revenait à pied avec son père du festival Kwakoe et se dirigeait vers l'immeuble Huigenbos, où habitait la petite amie de son père. Ils avaient relevé la présence de policiers à moto qui cherchaient apparemment quelque chose ou quelqu'un.
147.  Juste avant de pénétrer dans un passage piéton souterrain, ils avaient entendu un bruit, que le père de M. Oostburg avait identifié comme étant celui d'un coup de pistolet. Il venait de la direction de l'immeuble Huigenbos. Ils avaient vu des policiers se diriger vers l'immeuble Huigenbos, mais ils se trouvaient trop loin pour voir ce qui se passait.
148.  Alors qu'ils s'approchaient de l'immeuble, ils avaient été stoppés par des policiers qui disposaient un cordon de sécurité.
149.  Ils avaient alors pénétré dans l'immeuble en empruntant une autre entrée. Ils étaient montés au premier étage et M. Oostburg avait alors regardé la scène d'en haut. Il avait aperçu un jeune homme chauve de couleur foncée qui gisait sur le sol, devant l'entrée de l'immeuble. Il avait vu un petit pistolet brillant devant les pieds du jeune homme. Il avait entendu d'autres personnes dire qu'elles avaient tout d'abord pensé que le jeune homme avait sorti un téléphone portable et que la police avait fait feu au motif qu'elle avait pris ce téléphone portable pour un pistolet. Mais en vérité il s'agissait bien d'un pistolet.
150.  M. Oostburg et d'autres personnes avaient supposé que le jeune homme avait sorti un pistolet et l'avait dirigé vers les policiers et que ceux-ci avaient fait feu pour ce motif.
151.  Un peu plus tard, M. Oostburg avait vu arriver les services d'urgence. Il était manifeste que le jeune homme était mort, car on l'avait recouvert d'un drap blanc.
h) L'agent Boonstra
152.  L'agent de police Boonstra fut entendu par l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde le 27 juillet 1998.
153.  Il déclara que lui-même et son collègue Dekker ignoraient le fait que Moravia Ramsahai était armé. Lui-même et l'agent Dekker avaient été abordés par un jeune homme de couleur, qui les avait invités à le suivre en courant. Comme lui-même et l'agent Dekker ne s'étaient pas immédiatement mis à courir, le jeune homme s'était retourné et leur avait fait signe de le suivre. Cela leur avait donné à penser que quelque chose était en train de se passer, et ils avaient suivi le jeune homme. C'était l'agent Dekker qui avait parlé avec le jeune homme, car il se trouvait plus près de lui que l'agent Boonstra. C'était également l'agent Dekker qui avait communiqué par radio le numéro d'immatriculation, et peut-être la couleur du scooter, ainsi que la position précise des agents Dekker et Boonstra et la direction dans laquelle ils couraient avec le jeune homme. L'agent Boonstra déclara ne pas se souvenir si l'agent Dekker avait donné une description du voleur.
154.  Une fois le scooter perdu de vue, ils avaient entendu sur leur émetteur-récepteur qu'un coup de feu avait été tiré près de l'immeuble Huigenbos. Les agents Boonstra et Dekker s'étaient rendus sur place afin d'offrir leur aide. Ne sachant pas que la personne qui avait volé le scooter était armée, ils n'avaient pas établi de lien entre le coup de feu et le vol.
155.  Ce n'était que lorsque eux-mêmes et le propriétaire du scooter avaient atteint les lieux de l'incident et que le propriétaire avait reconnu son véhicule qu'ils lui avaient demandé ce qui s'était précisément passé. C'était alors que le propriétaire du scooter leur avait dit qu'il avait été contraint, sous la menace d'une arme, de céder son véhicule. L'agent Boonstra lui avait alors reproché de ne pas avoir dit cela plus tôt (« Dat had je wel eens eerder mogen zeggen. »).
156.  L'agent Dekker avait ultérieurement dit à l'agent Boonstra que lui aussi ignorait que le voleur était porteur d'une arme à feu, et il avait lui aussi été indigné de ne pas avoir été averti. Les deux agents s'estimaient heureux qu'on ne leur eût pas tiré dessus pendant la poursuite.
i) M. Hoeseni
157.  M. Hoeseni fut entendu par l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde le 31 juillet 1998. Il fut invité à préciser quand il avait parlé de l'arme à feu à l'agent Dekker.
158.  M. Hoeseni déclara que son scooter lui avait été volé sur le site du festival Kwakoe le 19 juillet 1998 entre 21 heures et 22 heures. Un jeune homme de couleur l'avait contraint sous la menace d'une arme à lui céder le véhicule. Il identifia sur une photographie portant le numéro 10 (pour une description des photographies, voir ci-dessous) le pistolet avec lequel il avait été menacé. Il avait relevé que le pistolet était armé et prêt à tirer. Cela l'avait effrayé et il avait abandonné le scooter.
159.  Apercevant deux policiers il s'était précipité vers eux et les avait invités à le suivre. Ils ne l'avaient pas suivi immédiatement, mais seulement quand il leur avait fait signe une deuxième fois. Tout en courant, il leur avait parlé du vol du scooter, leur avait donné les papiers d'assurance du véhicule, ainsi qu'une description de celui-ci et du voleur.
160.  M. Hoeseni avait parlé de l'arme à feu aux policiers en même temps qu'il leur avait remis ses papiers d'assurance.
161.  Lorsqu'il avait entendu sur l'émetteur-récepteur des policiers qu'un coup de feu avait été tiré, il avait immédiatement établi un lien avec le vol de son scooter. Il avait alors dit aux policiers que le voleur était porteur d'un petit pistolet de couleur argentée.
j) M. Chitanie
162.  Né en 1945, M. Wladimir Mohammed Abzell Ali Chitanie était fonctionnaire à l'époque des faits. Il fut entendu par l'inspecteur en chef Van Duivenvoorde le 3 août 1998.
163.  Le 19 juillet 1998 vers 22 heures, il roulait dans la Huntumdreef au volant de sa voiture lorsqu'il avait aperçu dans son rétroviseur une voiture de police signalisée qui le suivait. La voiture de police avait alors brutalement stoppé, un policier en était sorti et avait couru en direction de l'entrée de l'immeuble Huigenbos. Se doutant que quelque chose était en train de se passer, M. Chitanie avait décidé d'aller voir par lui-même. Il avait garé sa voiture, en était sorti et s'était dirigé en marchant vers la porte d'entrée vers laquelle le policier s'était dirigé. L'éclairage public était allumé. C'était le crépuscule. Il estima à 75 à 100 mètres la distance qui le séparait de l'entrée de l'immeuble Huigenbos.
164.  Il avait aperçu un jeune homme âgé d'une vingtaine d'années vêtu de couleur sombre sortir de la porte d'entrée de l'immeuble. Il n'avait pas vu de scooter dans l'embrasure de la porte. Il y avait un policier qui se tenait debout face au jeune homme, les deux étant séparés d'environ six mètres. Le policier pointait un pistolet vers le jeune homme. Celui-ci tenait dans sa main droite un objet de couleur sombre que M. Chitanie ne pouvait distinguer et il le pointait vers le policier. D'une main le policier avait fait un geste en direction du jeune homme, apparemment pour lui ordonner de jeter ce qu'il tenait dans sa main, tout en continuant de pointer son pistolet de service dans sa direction. M. Chitanie n'avait pas entendu dire ou crier quoi que ce soit, la distance étant trop grande. Il avait vu le jeune homme jeter l'objet non identifié qu'il tenait dans sa main droite.
165.  Alors que le premier policier avait toujours son arme pointée vers le jeune homme, M. Chitanie avait vu un second policier s'approcher en courant de son collègue, apparemment dans l'intention de lui prêter son aide. Ce second policier avait sorti son pistolet de service et, le tenant à deux mains, l'avait dirigé vers la tête du jeune homme. M. Chitanie avait entendu immédiatement un coup de feu. Celui-ci avait été tiré après que le jeune homme eut jeté l'objet qu'il tenait dans sa main. Les événements s'étaient déroulés très rapidement : il ne s'était écoulé que quelques fractions de secondes entre le moment où le jeune avait jeté l'objet et le coup de feu. Le jeune homme avait esquissé quelques mouvements en direction du lampadaire et s'était écroulé.
166.  A ce moment, cela avait été la panique. Des policiers étaient arrivés en voiture et à moto. Après le coup de feu, des personnes s'étaient agglutinées autour de M. Chitanie. La police leur avait ordonné de quitter les lieux, ce qu'ils avaient fait. M. Chitanie avait demandé à un policier pourquoi on n'avait pas demandé une ambulance. Le policier lui avait répondu : « On s'occupera de ça plus tard. »
167.  Une fois rentré dans l'immeuble Huigenbos, M. Chitanie avait observé la scène du haut du deuxième étage et avait vu la victime recouverte d'un drap blanc. Il n'avait pas vu de pistolet à côté du corps. Il avait entendu dire par des personnes qui se trouvaient là que le jeune homme avait jeté un téléphone portable, mais cela il ne l'avait pas vu.
168.  Il avait fallu six à sept minutes à M. Chitanie pour atteindre le deuxième étage de l'immeuble. Il avait vu les policiers disposer des indications chiffrées et prendre des photographies. Apparemment, les curieux n'étaient pas censés voir ce qui se passait car les policiers tenaient un grand drap tendu au-dessus du corps tandis que leurs collègues prenaient leurs photos sous le drap. M. Chitanie pensait que le jeune homme était peut-être toujours en vie à ce moment parce qu'il avait entendu un râlement, comme si la gorge du jeune homme était remplie de sang.
169.  M. Chitanie estima à trente minutes, voire plus, le temps qu'il avait fallu pour qu'une ambulance arrive. Il avait vu quelqu'un équipé d'instruments médicaux examiner la victime, accompagné d'une personne qu'il avait prise pour un membre du ministère public.
170.  D'après M. Chitanie, toute menace avait disparu une fois que le jeune homme avait jeté l'objet qu'il tenait à la main. Il n'avait pas été témoin de ce qui s'était passé par la suite.
k) L'agent Brons
171.  Le 3 août 1998, l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde confronta l'agent Brons avec la déposition du témoin Chitanie aux termes de laquelle Moravia Ramsahai avait jeté un objet avant que le coup fatal ne soit tiré. L'agent Brons démentit cette version des faits. Compte tenu de la menace posée par le voleur, l'agent Brons avait focalisé son attention sur les mains du voleur. Jusqu'à ce que le voleur sorte son pistolet il n'avait rien eu dans les mains.
l) L'agent Dekker
172.  Le 3 août 1998, l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde demanda des informations complémentaires à l'agent Dekker. Il voulait notamment savoir quand l'intéressé avait appris que le vol du scooter avait eu lieu sous la menace d'une arme à feu.
173.  L'agent Dekker déclara que M. Hoeseni lui avait dit qu'on l'avait arraché de son scooter mais sans mentionner le fait qu'une arme à feu avait été utilisée. Tant l'agent Dekker que l'agent Boonstra avaient dès lors supposé qu'il avait seulement été fait usage de la force physique.
174.  M. Hoeseni avait immédiatement et de son propre chef donné à l'agent Dekker les papiers d'assurance du scooter, et il avait en même temps donné une description du voleur. Les agents Dekker et Boonstra, rejoints par M. Hoeseni, avaient couru après le voleur. Ils l'avaient toutefois perdu de vue. L'agent Dekker avait alors communiqué, via son émetteur-récepteur, la direction dans laquelle le voleur s'était probablement enfui ainsi que le numéro d'immatriculation du scooter.
175.  A aucun moment pendant qu'ils couraient M. Hoeseni n'avait précisé que le voleur était armé. L'agent Dekker avait toutefois remarqué que M. Hoeseni était effrayé et qu'il parlait à voie basse. Il était donc fort possible que M. Hoeseni eût mentionné le fait mais que l'agent Dekker ne l'eût pas entendu parce qu'ils étaient en train de courir.
176.  Ce n'est qu'après que l'information concernant le coup de feu eut été communiquée que l'agent Dekker avait entendu M. Hoeseni dire : « Il avait un petit pistolet de couleur argentée. » Ils s'étaient alors tous dirigés vers l'immeuble Huigenbos. L'agent Dekker avait demandé à M. Hoeseni : « Pourquoi ne nous as-tu pas dit cela plus tôt ? » Mais M. Hoeseni n'avait pas donné de réponse claire. Il avait l'air bouleversé.
177.  Par la suite, les agents Dekker et Boonstra avaient pensé qu'ils avaient eu de la chance de ne pas se faire tirer dessus. Si l'agent Dekker avait su plus tôt que le voleur avait fait usage d'un pistolet pour voler le scooter, il aurait communiqué cette information immédiatement et avant toute chose. Par ailleurs, lui et l'agent Boonstra n'auraient pas couru après le voleur : ils étaient partis non armés effectuer leur mission de surveillance au festival.
m) L'agent Bulstra
178.  L'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde confronta l'agent Bultstra avec la déposition du témoin Chitanie le 4 août 1998. L'agent Bultstra consentit à être entendu hors la présence de son avocat.
179.  Il jugea peu probable que M. Chitanie pût en aussi peu de temps avoir garé sa voiture et être revenu en marchant à l'endroit d'où il affirmait avoir été témoin de l'incident. L'agent Bultstra lui-même avait eu besoin de peut-être dix secondes pour franchir en courant les 50 mètres qui séparaient l'endroit où la voiture de police avait été garée de Moravia Ramsahai et de l'agent Brons.
180.  Apparemment, M. Chitanie n'avait pas assisté à la lutte avec Moravia Ramsahai : il n'en avait rien dit dans sa déclaration. Cela pouvait s'expliquer, compte tenu de la distance qui séparait l'endroit où M. Chitanie avait garé sa voiture du théâtre des événements.
181.  Il n'était pas vrai que l'agent Brons tenait son arme de service d'une main. Il fallait les deux mains pour tenir l'arme en posture défensive. L'agent Brons avait fait des gestes, mais c'était avant que Moravia Ramsahai ne sorte son pistolet.
182.  Moravia Ramsahai n'avait rien eu en mains jusqu'au moment où il avait sorti son pistolet. Il n'avait toutefois pas dirigé celui-ci vers l'agent Bultstra : il l'avait pointé vers le sol. Il l'avait eu en permanence dans la main. Il n'avait absolument rien jeté ni rien laissé tomber. Il avait seulement lâché le pistolet une fois que l'agent Brons lui avait tiré dessus, et encore seulement une fois qu'il s'était effondré.
183.  L'agent Bultstra tenait son émetteur-récepteur dans la main gauche une fois qu'il avait quitté la voiture de police. A un moment donné, il l'avait lâché. Il ne pouvait plus dire quand cela s'était produit mais c'était au plus tard lorsqu'il avait sorti son pistolet de service, car en position défensive il fallait les deux mains pour tenir l'arme. Il ne se souvenait pas non plus s'il avait déjà lâché la radio au moment de la lutte entre son collègue et Moravia Ramsahai. Il l'avait toutefois aperçue plus tard sur le sol à hauteur de la poitrine de Moravia Ramsahai, à une soixantaine de centimètres du corps de la victime. Il ne l'avait pas ramassée.
184.  L'ambulance avait été appelée immédiatement. Pas une fois, mais deux. L'agent Bultstra ne l'avait pas vue arriver. A ce moment, des collègues étaient en train de les reconduire, l'agent Brons et lui-même, en voiture au commissariat. Ils avaient passé entre cinq et sept minutes sur la scène de l'incident.
185.  L'agent Bultstra avait entendu le râle de mort de Moravia Ramsahai. Les râlements avaient cessé avant que l'agent Bultstra et l'agent Brons ne quittent les lieux. L'agent Bultstra avait eu l'impression que les poumons de Moravia Ramsahai se remplissaient de sang mais il ne pouvait rien faire pour arrêter cela.
n) M. Van den Heuvel
186.  L'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde décida d'entendre ce témoin une seconde fois, à la lumière de la déposition de M. Chitanie. L'audition eut lieu le 4 août 1998.
187.  Le témoin réaffirma qu'il avait eu son attention absorbée par l'homme de couleur, qui portait une arme à feu. Il avait clairement vu l'homme de couleur tenir une arme à feu dans sa main droite et la pointer vers le sol. L'autre main de l'homme de couleur était vide.
188.  M. van den Heuvel n'avait pas vu le policier tirer car il s'était mis à l'abri derrière la balustrade. Il avait regardé pour voir ce qui s'était passé juste après le coup de feu. Cela s'était passé quelques fractions de seconde plus tard. Il n'avait pas vu le pistolet de l'homme de couleur tomber par terre. Lorsque M. van den Heuvel avait regardé la scène, le pistolet gisait sur le sol, à côté de l'homme de couleur, comme le montrait une photographie prise sur les lieux de l'incident. Le pistolet que montrait une autre photographie était très similaire à celui que M. van den Heuvel avait vu dans la main de l'homme de couleur.
189.  Pour le reste, M. van den Heuvel confirma sa déclaration antérieure.
o) L'agent Van Dongen
190.  L'agent de police Bruin Jan van Dongen fut entendu par l'inspecteur en chef Van Duivenvoorde le 4 août 1998. Il était en train de conduire une voiture de police avec à son bord un chien policier sur la Huntumdreef quand il avait entendu sur son émetteur-récepteur qu'un scooter avait été volé sur le site du festival Kwakoe. Il avait écouté la description donnée du scooter et du voleur et s'était mis à la recherche du voleur. Il n'avait pas été précisé que le vol avait eu lieu sous la menace d'une arme à feu.
191.  L'agent Van Dongen avait été dépassé par une autre voiture de police. Il avait identifié le conducteur comme étant l'agent Brons. Il avait vu la voiture de police s'arrêter et le passager en sortir.
192.  Il avait garé sa voiture et en était sorti. Ce faisant, il avait vu l'agent Brons sortir de sa voiture. Alors qu'il se dirigeait vers l'arrière de la voiture pour faire sortir le chien policier, l'agent Van Dongen avait entendu un coup de pistolet provenant de l'immeuble Huigenbos. Le chien avait réagi furieusement lorsqu'il avait entendu la détonation. Il avait fallu que l'agent Van Dongen se montre particulièrement vigilant avec le chien, qui, dans son excitation, aurait pu attaquer des gens.
193.  Il avait rencontré l'agent Brons et lui avait demandé ce qui s'était passé. L'agent Brons lui avait répondu qu'un pistolet avait été dirigé contre les policiers et qu'un coup de feu avait été tiré par les policiers, mais il n'avait pas précisé quel agent avait tiré.
194.  L'agent Van Dongen avait marché en direction de la victime, qui gisait sur le sol. Il s'était arrêté à une distance de deux mètres, compte tenu du caractère imprévisible de la réaction que pouvait avoir le chien. La victime était immobile, hormis le fait qu'elle avait ouvert et fermé la bouche à plusieurs reprises. L'agent Van Dongen n'avait entendu aucun râle de mort.
195.  Lorsque l'agent Van Dongen était arrivé sur les lieux, seuls y étaient présents les deux agents de police et la victime. L'agent Van Dongen n'avait vu personne d'autre à proximité. Le chien aurait réagi s'il y avait eu quelqu'un d'autre.
p) Mme Hup
196.  Mme Lambertina Helena Hup fut entendue par l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde le 5 août 1998. Elle était la conductrice de l'ambulance qui avait été dépêchée sur place pour prendre Moravia Ramsahai, touché par le coup de feu.
197.  A 22 h 02, l'équipage de l'ambulance avait reçu instruction de se rendre à l'immeuble Huigenbos au motif que quelqu'un y avait été abattu. L'ambulance était partie à 22 h 04, clignotant bleu allumé et sirène activée. Il y avait un certain trafic mais il n'avait pas particulièrement retardé Mme Hup. L'ambulance était arrivée sur les lieux à 22 h 14, c'est-à-dire nettement dans le délai autorisé, qui était de quinze minutes.
198.  Mme Hup et l'autre membre de l'équipage de l'ambulance, M. van Andel, avaient alors sorti la civière et l'avaient donnée à des policiers. Mme Hup et M. van Andel avaient ensuite sorti leur équipement et avaient couru vers la victime. Mme Hup décrivit la victime comme étant un jeune homme de type négroïde. Sur le sol, à côté de lui, se trouvait un petit pistolet de couleur argentée, que Mme Hup et M. van Andel avaient dû prendre soin de toucher en faisant leur travail.
199.  Mme Hup n'avait pas entendu la victime émettre de râlement ni quelque autre bruit que ce soit. Mme Hup avait assisté M. van Andel dans l'administration des premiers soins. Elle avait branché le moniteur cardiaque sur la victime. M. van Andel avait vérifié les réflexes pupillaires en projetant un faisceau lumineux dans chaque œil mais il n'avait décelé aucune réaction et avait relevé l'absence de pouls et de respiration. Des informations ainsi obtenues M. van Andel avait conclu que la victime était décédée sur-le-champ.
200.  Mme Hup et M. van Andel avaient vu la blessure qu'avait provoquée la balle en pénétrant sur le côté droit du cou de la victime. Ils n'avaient pas vu la blessure de sortie.
201.  Mme Hup et M. van Andel avaient recouvert le corps d'un drap blanc. Ils avaient ensuite passé un moment à parler avec les policiers. Ils n'avaient pas enlevé le corps, qu'un véhicule spécial était venu chercher ultérieurement.
q) M. Van Andel
202.  M. Leendert van Andel, qui était auxiliaire médical, était l'autre membre de l'équipage de l'ambulance conduite par Mme Hup. Il fut entendu par l'inspecteur en chef Van Duivenvoorde le 5 août 1998.
203.  Vers 22 h 02, ils avaient reçu instruction de se rendre à l'immeuble Huigenbos, où quelqu'un avait été abattu. On leur avait indiqué un itinéraire. Ils étaient partis à 22 h 04. Il s'était agi d'un transport A-1, ce qui signifiait urgence et utilisation de signaux optiques et acoustiques. Le flash bleu clignotant et la sirène étaient restés activés d'un bout à l'autre du trajet. L'équipage était arrivé sur les lieux à 22 h 14.
204.  Mme Hup et M. van Andel avaient couru rapidement vers la victime. Les policiers avaient porté la civière et Mme Hup et M. van Andel le reste de l'équipement.
205.  Un policier lui avait dit que le jeune homme avait été abattu. Il avait vu la blessure d'entrée dans le cou mais pas de blessure de sortie. Un petit pistolet se trouvait sur le sol à côté de la victime. M. van Andel n'avait pas remarqué d'émetteur-récepteur sur le sol.
206.  La victime n'avait donné aucun signe de vie. M. van Andel n'avait pas entendu de râle. Il avait vérifié les fonctions vitales de la victime et avait noté l'absence de toute fonction cardiaque (vérifiée à l'aide d'un moniteur cardiaque) et de réaction pupillaire. Combinées avec la blessure occasionnée par le coup de pistolet, ces données avaient amené M. van Andel à conclure que le jeune homme était mort. Après s'être entretenus brièvement avec l'un des policiers présents et lui avoir dit qu'il n'y avait plus rien à faire, M. van Andel et Mme Hup avaient recouvert le corps d'un drap.
207.  M. van Andel et Mme Hup étaient alors retournés à l'ambulance et s'étaient déclarés prêts pour une autre mission à 22 h 35. La dépouille mortelle avait été enlevée plus tard.
r) M. Pel
208.  Entendu par l'inspecteur en chef Van Duivenvoorde le 7 août 1998, M. John Pel était un agent de police technique (technisch rechercheur). Appelé le soir du 19 juillet 1998, il avait reçu pour instruction de se rendre à l'immeuble Huigenbos, où un coup de feu avait été tiré. Il était arrivé après le départ de l'ambulance. Lorsqu'il était arrivé sur les lieux, il avait vu un drap blanc recouvrant la victime et un pistolet sur le sol.
209.  M. Pel et un collègue, M. Popping, avaient identifié les pièces à conviction et leur avaient attribué des numéros avant de les photographier. M. Pel avait également examiné le corps de la victime, en particulier ses mains, afin de vérifier s'il n'y avait pas des traces résiduelles du coup de feu (schotrestbemonstering). Il avait fallu pour cela soulever le drap qui recouvrait la victime.
s) Mme Jalink
210.  Mme Hèlen Milian Jalink était une grand-tante du côté maternel de Moravia Ramsahai. Elle fut entendue par l'inspecteur en chef Van Duivenvoorde le 11 août 1998.
211.  Le lundi 20 juillet 1998, elle avait été informée par une tante de Moravia Ramsahai que son petit-neveu avait volé un scooter et que la police l'avait abattu pour ce motif. Le soir du 20 juillet, entre 18 et 19 heures, avec d'autres proches du défunt elle avait organisé une réunion de prière à l'endroit où l'incident s'était produit.
212.  Au cours de cette réunion de prière, on lui avait présenté deux personnes qui disaient avoir été témoins des événements. Ces personnes lui avaient dit qu'alors qu'elles passaient en voiture elles avaient vu une voiture de police dont les portes étaient ouvertes, un policier qui se tenait debout à proximité de l'immeuble Huigenbos et un autre qui courait dans la même direction. Ils avaient vu un jeune homme, qui était apparemment sorti de l'entrée de l'immeuble, marcher les mains levées. Ces personnes n'avaient pas dit à Mme Jalink à quelle hauteur son petit-neveu avait les bras levés mais elles lui avaient dit qu'il les avait levés. Elles ne lui avaient pas parlé d'une quelconque lutte entre le jeune homme et le policier. Elles ne lui avaient pas dit que le premier policier avait son pistolet de service pointé sur le jeune homme. Le second policier, celui qui était arrivé en courant, avait abattu le jeune homme. Les personnes en question n'avaient pas vu le jeune homme tenir une quelconque arme à feu. Elles avaient été catégoriques sur ce point. Elles avaient vu le jeune homme être touché et s'écrouler. Elles avaient vu qu'on le recouvrait d'un drap.
213.  Certaines personnes présentes avaient parlé d'un téléphone portable, dont la police avait dit qu'il s'agissait d'un pistolet.
214.  Les deux personnes qui avaient dit avoir assisté à l'incident étaient demeurées évasives lorsqu'on leur avait demandé si elles étaient prêtes à faire des dépositions à la police. Elles s'étaient montrées davantage disposées à parler à un avocat. Rendez-vous avait été pris à cet effet avec Me Hamer, le représentant des requérants dans la procédure aujourd'hui pendante devant la Cour, mais les personnes en question n'étaient pas venues au rendez-vous. On avait dit à Mme Jalink qu'elles étaient parties en Allemagne.
215.  Les deux personnes en question étaient des Tsiganes qui parlaient un néerlandais et un anglais limités. Mme Jalink n'avait aucune idée des raisons pour lesquelles elles s'étaient montrées si réticentes à coopérer pleinement.
t) M. Chitanie
216.  L'inspecteur en chef Van Duivenvoorde entendit M. Chitanie une seconde fois, le 17 août 1998.
217.  M. Chitanie répéta qu'il n'avait pas été témoin d'une quelconque lutte entre la victime et le premier policier.
218.  A la question de savoir s'il avait vu un policier avec un chien, il répondit qu'il avait seulement fait attention à ce qui se passait à l'endroit où gisait la victime. Il avait toutefois vu des policiers avec des chiens. Il ne se souvenait pas du nombre. Il y avait également des civils avec des chiens. Aucun policier avec un chien n'était passé tout près de lui car il se tenait à l'écart pour observer la scène.
219.  M. Chitanie se souvenait qu'un policier lui avait dit qu'« ils »   – c'est-à-dire la police – décideraient du moment où l'ambulance devrait venir, que si la victime ne pouvait plus parler « eux » en étaient encore capables, et qu'il y avait d'autres blessés qui avaient fui.
220.  M. Chitanie avait vu des Tsiganes et on lui avait dit qu'ils avaient tout vu. Ils s'étaient toutefois montrés réticents à coopérer car ils faisaient partie d'une association de malfaiteurs.
u) Les requérants
221.  Le 7 août 1998, l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde entendit les requérants. Ceux-ci lui dirent qu'à leur connaissance Moravia Ramsahai n'avait pas de pistolet et qu'ils ne pouvaient pas imaginer qu'il pût en avoir un. En revanche, Moravia Ramsahai avait un téléphone portable, qui n'avait pas été retrouvé. Le troisième requérant déclara également à l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde qu'il avait entendu parler de deux Tsiganes qui avaient assisté à l'incident mais qu'ils ne souhaitaient pas fournir d'informations au motif qu'ils résidaient de manière illégale aux Pays-Bas.
4. L'autopsie et l'examen toxicologique
222.  Le 20 juillet 1998, une autopsie fut pratiquée sur le corps de Moravia Ramsahai au laboratoire de pathologie judiciaire (Laboratorium voor Gerechtelijke Pathologie) de Rijswijk. Le médecin pathologiste établit un rapport détaillé aux termes duquel Moravia Ramsahai avait été touché dans la région du cou par une balle qui avait perforé des vaisseaux sanguins et des organes importants, notamment l'artère et la veine brachiocéphaliques (innominées) ainsi que le poumon droit. Le rapport concluait que le décès était résulté desdites blessures.
223.  Un examen toxicologique fut par ailleurs effectué. Daté du 23 décembre 1998, le rapport indique que l'échantillon sanguin prélevé sur le corps de Moravia Ramsahai contenait 0,85 milligramme d'alcool par litre, l'échantillon d'urine 1,51 milligramme par litre, l'humeur vitreuse de l'œil gauche 1,53 milligramme par litre et celle de l'œil droit 1,55 milligramme par litre. Initialement suspectée, la présence d'amphétamines dans l'échantillon urinaire ne fut pas confirmée par l'analyse effectuée ultérieurement.  L'échantillon d'urine révéla par ailleurs des traces de nicotine, de cotinine (un produit dérivé de la nicotine) et de psilocine (un composé alcaloïde présent dans certains champignons hallucinogènes – type Psilocybe – communément appelés « champignons magiques »). La concentration de psilocine dans le sang était trop faible pour pouvoir être déterminée.
224.  Le rapport d'autopsie tel qu'il fut versé au dossier d'enquête ne comportait en annexe ni croquis ni clichés photographiques.
5. Autres mesures d'enquête
225.  Le 29 juillet 1998, l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde téléphona à l'Institut royal météorologique néerlandais pour connaître les conditions météorologiques qui régnaient le soir du 19 juillet. On lui donna les renseignements suivants :
« Chaud en journée et en soirée ; ciel légèrement couvert
21 h 45, coucher du soleil
22 heures, crépuscule
22 h 30, nuit »
226.  Le 30 juillet 1998, l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde entendit Sangeeta Edwina Pamela Mungra, qui était âgée de douze ans. La fillette confirma ce qu'elle avait dit aux membres de l'unité mobile la nuit du 19 juillet. Elle ajouta qu'elle avait seulement regardé à l'extérieur après avoir entendu la détonation. A ce moment, Moravia Ramsahai gisait déjà sur le sol. Elle n'avait pas bien vu les policiers. Elle était remontée, avait jeté un coup d'œil du septième étage et était rentrée chez elle.
227.  L'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde était revenu sur les lieux de l'incident avec Mmes Rijssel et Lieveld et avec M. Chitanie et son épouse, après avoir pris leurs dépositions respectives. Les intéressés lui avaient montré où ils se trouvaient au moment des faits et l'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde avait mesuré la distance qui les séparait du lampadaire auprès duquel Moravia Ramsahai s'était effondré. La distance était d'environ 57 mètres dans le cas de Mmes Rijssel et Lieveld et d'environ 58 mètres dans le cas de M. et Mme Chitanie.
228.  L'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde était également retourné sur les lieux avec l'agent Bultstra, qui lui avait montré où il pensait que l'agent Brons avait garé la voiture. L'endroit était situé à environ 48 mètres du lampadaire. L'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde avait demandé à l'agent Bultstra de parcourir cette distance en courant et l'avait chronométré au moyen d'une montre chronomètre. Il avait fallu 9,4 secondes à l'agent Bultstra pour parcourir la distance. L'inspecteur en chef Van Duijvenvoorde nota dans son rapport que la distance à laquelle se trouvait l'endroit où la voiture avait été garée avait en fait été mesurée la nuit de l'incident et que le chiffre noté à l'époque avait été de 56 mètres.
6. Autres rapports de police
229.  L'inspecteur de police principal Jacob Cornelis Peter Schultz, qui était basé au commissariat de la Flierbosdreef, opéra la saisie officielle du corps à l'endroit où celui-ci gisait à 22 h 02 et identifia provisoirement la dépouille comme étant celle de Moravia Ramsahai à partir des documents d'identité trouvés dans les vêtements de la victime. Un procès-verbal établi ultérieurement par le même inspecteur principal Schultz indique que le 20 juillet 1998 à 14 h 15 la dépouille fut montrée à Mme Ruth Helen Versteeg-Tewari, la mère de Moravia Ramsahai, et M. Carlitto Marciano Farook Alihusain, cousin de ce dernier. Tous deux reconnurent le corps et l'identifièrent comme étant celui de Moravia Ramsahai.
230.  Un rapport établi par les agents de police technique (technisch rechercheurs) John Pel et Jan Popping décrit les actes accomplis à la suite de l'incident pour recueillir les informations et éléments de preuve disponibles sur le lieu de l'incident et indique l'emplacement du corps. A côté du corps, lesdits agents avaient trouvé un pistolet de type Beretta 950 B, de calibre 6,35 mm, dont le chien était armé. Ils avaient également trouvé une cartouche usagée. Ils avaient constaté la présence du scooter dans l'entrée de l'immeuble. A côté de la porte d'entrée, il y avait une cage d'escalier qui donnait sur l'extérieur et qui était fermée par de grandes fenêtres. Dans une de ces fenêtres lesdits agents avaient découvert un trou de balle. Sous ce trou de balle ils avaient trouvé une balle sur le sol. Ils n'avaient trouvé aucune marque de ricochet dans la cage d'escalier. Il leur avait de ce fait été impossible de déterminer la trajectoire précise de la balle.Vingt-neuf photographies étaient annexées au rapport, dont des photocopies – en noir et blanc – sont contenues dans le dossier de la Cour.
231.  Le 4 août 1998, le commissaire Ronald Groenewegen, de la police d'Amsterdam/Amstelland, rédigea un rapport décrivant les événements dont lui-même avait été témoin. Le soir du 19 juillet 1998, il était sorti en uniforme car il commandait le détachement de police chargé de surveiller le festival Kwakoe. A 21 h 55, il avait entendu sur son émetteur-récepteur que deux agents de son équipe étaient en train de poursuivre un individu qui avait volé un scooter. De messages diffusés ultérieurement il avait conclu que d'autres agents s'étaient également lancés à la poursuite de l'individu, notamment les agents Brons et Bultstra à bord d'une voiture de police. Vers 22 heures, le commissaire Groenewegen avait entendu que les agents Brons et Bultstra étaient en train de pourchasser le voleur dans la direction de l'immeuble Huigenbos. Peu après, il avait entendu une information aux termes de laquelle un coup de feu avait été tiré et une ambulance requise. Le commissaire Groenewegen s'était immédiatement dirigé vers l'immeuble Huigenbos. A son arrivée, il avait vu un homme allongé sur le sol avec une blessure au cou. Il avait vu gisant par terre à une distance d'un mètre environ des pieds de l'homme un pistolet de couleur argentée. Il avait également relevé la présence sur le sol d'un émetteur-récepteur de police à une distance de plus ou moin un mètre du corps de l'individu, à hauteur de hanche. L'ambulance était arrivée vers 22 h 20 et l'équipage en était sorti avec une civière. Peu après, quelqu'un avait jeté un émetteur-récepteur dans les mains du commissaire Groenewegen en lui disant que c'était l'émetteur-récepteur de l'agent Bultstra. Le commissaire avait supposé que l'émetteur-récepteur en question était celui qu'il avait vu sur le sol.
232.  Le dossier contient un procès-verbal de saisie d'une bande d'enregistrement de conversations ayant eu lieu entre des policiers utilisant leur émetteur-récepteur la nuit du 19 juillet 1998, ainsi qu'une transcription de ces conversations. D'après cette transcription, c'est l'agent Dekker qui signala le vol, en donnant une description de l'engin et du voleur et c'est un policier à moto, dont le nom n'est pas précisé, et l'agent Bultstra qui lui répondirent. Il ressort du document que l'agent Bultstra, utilisant son émetteur-récepteur, annonça qu'un scooter correspondant à la description donnée avait été repéré, et que c'est l'agent de police Brons qui déclara qu'il avait tiré et qu'il avait besoin d'une ambulance.
233.  Un autre procès-verbal précise qu'une bande vidéo enregistrée par la télévision en circuit fermé du restaurant Burger King de la Leidseplein peu avant l'incident fatal montre le comportement intempestif de Moravia Ramsahai.
234.  D'autres procès-verbaux dressés par des policiers décrivent les effets personnels trouvés sur le corps de Moravia Ramsahai – vêtements, bijoux, contenu des poches – et leur restitution aux proches de la victime, la restitution à Vinodkumar Hoeseni du scooter que lui avait pris Moravia Ramsahai et l'ouverture d'un registre temporaire de documents pour l'affaire.
235.  Le dossier contient également un listing donnant les résultats des entraînements aux armes à feu subis par l'agent Brons dans la période du 1er janvier au 19 juillet 1998. Ce listing montre que pendant la période considérée l'agent Brons avait tiré 390 balles d'entraînement, obtenant un score moyen de 88,80 % de cibles touchées, et que l'intéressé avait subi un entraînement de remise à niveau le 10 juillet 1998.
236.  Le dossier ne comporte aucun rapport attestant de la réalisation d'un examen des armes de service que portaient les agents Brons et Bultstra au moment des faits, de la cartouche usagée ou de la balle trouvée sur les lieux de l'incident.
B. Procédures intentées par les requérants
237.  Le 11 septembre, le procureur écrivit aux parents de Moravia Ramsahai pour les informer qu'il était parvenu à la conclusion que l'auteur du coup de feu avait agi en état de légitime défense et qu'aucune poursuite ne serait donc intentée contre l'agent Brons. Le 23 septembre 1998, Me Hamer écrivit au magistrat pour lui annoncer l'intention du troisième requérant de solliciter une ordonnance judiciaire prescrivant l'ouverture de poursuites à l'encontre de l'agent Brons.
238.  Les requérants se virent reconnaître le droit d'accéder au dossier. Le 2 octobre 1998, ils sollicitèrent pareille ordonnance auprès de la cour d'appel d'Amsterdam, au travers d'une plainte contre la décision de ne pas poursuivre (article 12 du code de procédure pénale – Wetboek van Strafvordering ; voir ci-dessous). La requête était signée de Me Hamer en qualité de représentant des requérants et de chacun des requérants individuellement. Les intéressés plaidaient que l'on ne pouvait, au vu des informations disponibles, admettre la conclusion selon laquelle le coup de feu tiré par l'agent Brons contre Moravia Ramsahai était suffisamment justifié. Ils faisaient également observer que certaines parties clés de l'enquête menée après l'incident l'avaient été par la police d'Amsterdam/Amstelland – c'est-à-dire par les collègues directs de l'agent Brons – et estimaient que dans ces conditions l'enquête n'avait pas été « effective » et « indépendante ». D'autres griefs visaient le fait que les agents Brons et Bultstra n'avaient été interrogés que plusieurs jours après l'incident, le fait que tous les policiers qui étaient arrivés sur les lieux après l'incident n'avaient pas été interrogés au sujet de ce qu'avaient dit les agents Brons et Bultstra, le fait que la trajectoire précise de la balle n'avait pas été déterminée (ce qui, d'après les requérants, aurait pourtant été possible), le fait que la présence de traces résiduelles du coup de feu n'avait pas été recherchée sur les mains des agents Brons et Bultstra, ainsi que d'autres lacunes perçues dans l'enquête. La demande se référait également à la déclaration du préfet de police Van Riessen, telle qu'elle avait été rapportée dans le journal De Telegraaf, selon laquelle l'intéressé n'autoriserait pas une enquête indépendante, ainsi qu'au fait que le procureur en chef (hoofdofficier van justitie) d'Amsterdam assumait la responsabilité globale de l'enquête et de toute décision d'ouverture de poursuites.
239.  Le 8 janvier 1999, le procureur général adjoint (plaatsvervangend procureur-generaal) près la cour d'appel d'Amsterdam soumit un avis en réponse au grief des requérants relatif à la décision de ne pas poursuivre l'agent Brons. Le magistrat y déclarait estimer suffisamment clair au vu des preuves disponibles que l'agent Brons avait agi en état de légitime défense et se disait non convaincu que le procureur De Vries, qui avait décidé de ne pas poursuivre, eût de quelconques préjugés. Même si certains auraient pu préférer que la décision de ne pas poursuivre fût prise par un organe officiel plus éloigné de la police d'Amsterdam, c'était là un souhait qui n'avait pas à être pris en compte par les tribunaux. Le magistrat concluait que dans ces conditions le grief des requérants formulé le 2 octobre 1998 était dépourvu de fondement.
240.  Le 23 février 1999, Me Hamer, qui avait été informé de la date à laquelle une audience pourrait se tenir pour l'examen dudit grief des requérants, écrivit à la cour d'appel pour demander que l'audience soit publique.
241.  Le même jour, Me Hamer écrivit au procureur général adjoint près la cour d'appel pour se plaindre de ce que le greffe de cette juridiction ne lui eût pas fourni copie de l'intégralité du dossier et pour demander que cette lacune fût réparée. Il adressa une demande analogue au président de la cour d'appel.
242.  Le greffier de la cour d'appel répondit le 24 février 1999, indiquant que la question à trancher était celle de savoir s'il y avait lieu de tenir une audience. En pareil cas, il conviendrait que les comparants fussent autorisés à consulter le dossier, mais pour des raisons de prudence il avait été décidé de ne pas communiquer de copies du dossier. Par une lettre distincte datée du même jour, le greffier informa Me Hamer que l'audience ne serait pas publique mais que l'avocat pourrait soulever la question à l'audience s'il le souhaitait.
243.  Le procureur général adjoint répondit le 25 février 1999, indiquant qu'il n'était pas un organe d'appel compétent pour contrôler les décisions du greffier de la cour d'appel de ne pas communiquer des documents. Il faisait observer qu'en tout état de cause Me Hamer avait pu consulter l'ensemble des documents disponibles.
244.  Le grief des requérants fondé sur l'article 12 du code de procédure pénale fut examiné en chambre du conseil par un juge délégué (raadsheer-commissaris) le 1er mars 1999. Me Hamer formula oralement au nom des requérants des observations détaillées.
245.  Le 19 mars 1999, avec le consentement de l'avocat général chargé de l'affaire, Me Hamer écrivit au juge présidant la chambre de la cour d'appel qui devait examiner le grief des requérants dirigé contre la décision de ne pas poursuivre, pointant ce qu'il jugeait être une incohérence entre les déclarations des agents Brons et Bultstra et les déclarations des autres policiers telles qu'elles avaient été rapportées dans le communiqué de presse, incohérence qui d'après lui justifiait un complément d'enquête pénale.
246.  Le 26 avril 1999, la cour d'appel rejeta la plainte formée par les requérants contre la décision du procureur de ne pas poursuivre. Elle précisa dans les motifs de son arrêt qu'elle approuvait la décision prise par le juge délégué de ne pas tenir une audience publique. Elle déclara qu'eu égard aux dispositions légales applicables le pouvoir judiciaire excéderait son pouvoir de développer le droit s'il décidait de tenir en public une audience précisément censée permettre de déterminer si un justiciable doit ou non être jugé en public. Elle ajouta que, de surcroît, cela contrecarrerait le but poursuivi par les dispositions légales applicables.
247.  Quant au fond de l'affaire, la cour d'appel se dit convaincue que l'agent Brons avait agi dans le but de parer au risque de subir un dommage susceptible d'être provoqué par une arme mortelle et en état de légitime défense. Elle fonda ses conclusions sur les déclarations des agents Brons et Bultstra et sur la déposition de M. Van den Heuvel. Elle ajouta que si l'agent Brons avait disposé de plus de temps il lui aurait peut-être été possible d'éviter l'infliction d'une blessure mortelle, mais qu'il lui avait été nécessaire de réagir à cette vitesse, d'autant qu'il avait été constaté par la suite que l'arme de la victime avait une balle dans la chambre et que le chien en était en position de tir. Pour la cour d'appel, cette conclusion se trouvait renforcée par les informations selon lesquelles l'intéressé avait plus tôt dans la journée volé un véhicule en menaçant son propriétaire d'un pistolet et avait par ailleurs utilisé l'arme en question d'une manière menaçante au moins en une autre occasion, ainsi que par les traces d'alcool et de la substance active de champignons hallucinogènes découvertes ultérieurement dans le corps de Moravia Ramsahai. Selon la cour d'appel, les autres témoignages disponibles étaient manifestement inexacts (comme dans le cas de M. Chitanie et de Mme van Rijssel) ou dépourvus de pertinence, ou ils n'étaient pas de nature à infirmer sur des points essentiels les constatations ci-dessus.
248.  Tout en souscrivant à l'avis des requérants selon lequel une reconstitution des événements aurait été souhaitable, la cour d'appel conclut à l'absence d'éléments donnant à penser que les preuves disponibles n'avaient pas fait l'objet d'un examen consciencieux. Elle estima par ailleurs que l'allégation selon laquelle les plaignants et leur avocat s'étaient vu refuser l'accès à certains documents ne pouvait mener à une conclusion différente.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
A.  Procédure pénale
249.  A l'époque des événements incriminés, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale étaient ainsi libellées :
Article 12
« 1.  Si un acte punissable n'est pas poursuivi ou si les poursuites ne sont pas menées à leur terme, toute personne directement intéressée (rechtstreeks belanghebbende) peut adresser une plainte écrite à la cour d'appel dans le ressort de laquelle a été prise la décision de ne pas poursuivre ou de ne pas mener les poursuites à leur terme.
Article 12d
« 1.  La cour d'appel ne statue qu'après avoir d'abord entendu le plaignant, ou tout au moins après l'avoir dûment convoqué (...) »
Article 12e
« 1.  La cour d'appel peut convoquer la personne dont la poursuite est sollicitée afin de lui donner l'occasion de formuler des observations sur la demande faite dans la déclaration de plainte et sur les motifs qui la sous-tendent. Pareille convocation s'accompagne d'une copie de la déclaration de plainte ou comporte une indication du fait auquel la plainte se rapporte.
2.  Une ordonnance du type visé à l'article 12i ne peut être rendue tant que la personne dont la poursuite est sollicitée n'a pas été entendue par la cour d'appel, ou tout au moins tant qu'elle n'a pas été dûment convoquée. »
Article 12f
« 1.  Le plaignant et la personne dont la poursuite est sollicitée peuvent être assistés en chambre du conseil. Ils peuvent être représentés par un avocat (...)
2.  Le président de la cour d'appel autorise (...) le plaignant et la personne dont la poursuite est sollicitée ainsi que leurs avocats ou représentants autorisés (gemachtigden) à consulter les pièces du dossier s'il est saisi d'une demande à cet effet. La consultation des pièces a lieu de la manière déterminée par le président. Le président peut, d'office ou à la demande du procureur général, et dans l'intérêt de la protection de l'intimité de la vie privée, de l'enquête ou de la poursuite d'actes criminels ou pour des motifs importants d'intérêt général, exclure certaines pièces de la consultation. »
Article 12g
« La personne dont la poursuite est sollicitée n'est pas obligée de répondre aux questions qui lui sont posées en chambre du conseil. Elle doit recevoir cette information avant d'être interrogée. Le fait qu'elle a reçu l'information en question doit être consigné dans le procès-verbal. »
Article 12i
« 1.  Si la plainte est du ressort de la cour d'appel, que le plaignant est recevable à la soumettre (de klager ontvankelijk is) et que la cour d'appel estime que des poursuites auraient dû être ouvertes ou que celles ouvertes auraient dû être menées à leur terme, la cour d'appel ordonne l'ouverture ou la continuation des poursuites relativement au fait auquel la plainte se rapporte.
2.  La cour d'appel peut également refuser, pour des motifs tenant à l'intérêt général, de rendre pareille ordonnance.
3.  L'ordonnance peut également enjoindre au procureur de formuler la demande visée à l'article 181 ou à l'article 237 § 3 [demande invitant le juge d'instruction (rechter-commissaris) à ouvrir ou à continuer respectivement une enquête judiciaire préliminaire (gerechtelijk vooronderzoek)] ou prévoir que la personne dont la poursuite est sollicitée doit être renvoyée en jugement. La première injonction citée peut également être prononcée par la cour d'appel si le procureur a déjà fait notifier à la personne dont la poursuite est sollicitée la décision de clôture d'une enquête judiciaire préliminaire ou si le délai prescrit à l'article 237 § 3 a déjà été dépassé.
4.  Dans tous les autres cas, la cour d'appel rejette (...) la plainte. »
Article 24
« 1.  La décision de la chambre du conseil est motivée. Si un examen public par la chambre du conseil est prescrit, la décision est rendue en public.
4.  Sauf disposition contraire, la décision est notifiée sans délai au suspect et aux autres participants à la procédure. »
B.  Le ministère public
1.  La loi sur l'organisation judiciaire
250.  A l'époque des événements incriminés, les dispositions pertinentes de la loi sur l'organisation judiciaire (Wet op de rechterlijke organisatie) étaient ainsi libellées :
Article 4
« Le ministère public assume la responsabilité exclusive du maintien de l'ordre juridique, de la poursuite de l'ensemble des actes délictueux et de l'exécution de l'ensemble des décisions de justice rendues au pénal. (...) »
Article 5
« Les membres du ministère public obéissent aux ordres qui leurs sont donnés au nom du monarque par l'autorité compétente dans le cadre de leurs fonctions officielles. »
Article 5a
« (...) Les procureurs et les procureurs adjoints sont, dans le cadre de leurs fonctions officielles, subordonnés au chef du parquet (parket) dans le cadre duquel ils exercent leurs fonctions. »
2.  Le code de procédure pénale
251.  Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale étaient ainsi libellées :
Article 140
« 1.  Le procureur général près la cour d'appel veille, dans le ressort de la cour d'appel auprès de laquelle il officie, à ce que les infractions qui sont du ressort des tribunaux d'arrondissement (arrondissementsrechtbanken) ou des tribunaux cantonaux (kantongerechten) fassent l'objet des enquêtes nécessaires. (...)
2.  A cet effet, il donne des ordres aux chefs de parquet officiant près les tribunaux d'arrondissement. »
Article 148
« 1.  Le procureur est chargé d'enquêter sur les infractions qui sont du ressort du tribunal d'arrondissement auprès duquel il officie et des tribunaux de canton qui se trouvent dans le ressort de ce tribunal d'arrondissement, et d'enquêter dans le ressort de ce tribunal d'arrondissement sur les infractions qui sont du ressort d'autres tribunaux d'arrondissement ou de canton.
2.  A cet effet, il donne des ordres aux autres personnes chargées de ces enquêtes. (...) »
C.  Autorité sur la police
252.  La loi de 1993 sur la police (Politiewet) comportait les dispositions suivantes :
Article 12
« 1.  Lorsque la police agit dans une commune pour maintenir l'ordre public et exécuter sa mission d'assistance au public (hulpverleningstaak), elle se trouve sous l'autorité du maire.
2.  Le maire est habilité à donner aux policiers concernés des instructions quant à la manière d'exécuter les tâches mentionnées au premier paragraphe. »
Article 13
« 1.  Lorsque la police agit pour maintenir l'ordre juridique au travers du droit pénal et lorsqu'elle exécute des tâches d'aide à l'administration de la justice, elle se trouve sous l'autorité du procureur.
2.  Le procureur est habilité à donner aux policiers concernés des instructions quant à la manière d'exécuter les tâches mentionnées au premier paragraphe. »
D.  Les textes régissant l'usage de la force par la police
1.  La loi de 1993 sur la police
253.  L'article 8 § 1 de la loi de 1993 sur la police est ainsi libellé :
« Tout policier nommé pour exécuter les tâches de la police est habilité à user de la force dans l'exercice légal de ses fonctions lorsque le but ainsi poursuivi le justifie compte tenu également des risques associés à l'usage de la force et que ledit but ne peut être atteint autrement. L'usage de la force doit être précédé si possible d'un avertissement. »
2.  L'instruction de service de 1994
254.  A l'époque pertinente, l'instruction de service pour la police, la gendarmerie et les fonctionnaires investis de pouvoirs d'enquête spéciaux (Ambstinstructie voor de politie, de Koninklijke Marechaussee en de buitengewone opsporingsambtenaar) comportait les dispositions suivantes :
Article 7
« 1.  L'usage d'une arme à feu autre qu'une arme à feu pouvant être utilisée pour le tir automatique ou le tir de précision à longue distance n'est autorisé que dans les cas suivants :
a)  pour arrêter une personne qui représente une menace liée à l'usage d'armes à feu (vuurwapengevaarlijk persoon) ;
b)  pour arrêter une personne qui cherche à se soustraire ou s'est soustraite à son arrestation ou à sa présentation à l'autorité judiciaire compétente (die zich aan zijn aanhouding of voorgeleiding tracht te ontrekken of heeft onttrokken) et qui est soupçonnée d'avoir commis ou a été condamnée pour avoir commis un délit grave (ernstig misdrijf) qui doit en outre être considéré comme une perturbation grave de l'ordre juridique.
3.  Dans les cas mentionnés au paragraphe 1 sous les alinéas a) et b), il ne peut être fait usage d'une arme à feu si l'identité de la personne devant être arrêtée est connue et que l'on peut raisonnablement supposer que le report de l'arrestation ne compromettra pas l'ordre juridique d'une manière pouvant être jugée inacceptable. (...) »
Article 12
« 1.  Immédiatement avant qu'il ne fasse usage d'une arme à feu autre qu'une arme à feu pouvant servir pour le tir automatique ou le tir de précision à longue distance, le fonctionnaire lance d'une voix forte ou d'une autre manière non équivoque un avertissement aux termes duquel il fera feu si son injonction n'est pas sur-le-champ suivie d'effet. Cet avertissement, qui peut en cas de nécessité être remplacé par un tir de sommation, ne peut être omis que si les circonstances ne permettent pas de le lancer.
2.  Tout tir de sommation doit être exécuté de manière à éviter autant que possible de mettre en danger les personnes ou les biens. »
3.  Le règlement de 1994 sur l'armement de la police
255.  Lorsqu'ils sont en service, les policiers en uniforme des Pays-Bas peuvent être armés d'un pistolet semi-automatique. Obligation leur est faite d'entretenir leur habileté à l'usage de ce type d'armes, sous peine de ne plus être autorisés à en porter.
E.  Règles définissant les compétences de l'Inspection générale de la police nationale
1.  La loi de 1993 sur la police
256.  L'article 43 de la loi sur la police est ainsi libellé :
« 1.  Pour certaines tâches déterminées par le ministre de la Justice après consultation du ministre de l'Intérieur, le procureur général a à sa disposition des fonctionnaires de police spéciaux (bijzondere ambtenaren van politie) (...).
2.  Le ministre de la Justice est chargé de la gestion des fonctionnaires de police mentionnés au premier paragraphe. Ces fonctionnaires de police sont (...) nommés, promus, suspendus et révoqués par le ministre de la Justice. »
2.  Règlement portant organisation des services dépendant du ministère public
257.  En vertu de l'article 1 du règlement portant organisation des services dépendant du ministère public (Organisatieregeling dienstonderdelen Openbaar Ministerie), l'Inspection générale de la police nationale (Rijksrecherche) est un service national placé directement sous la responsabilité collective des procureurs généraux près les cours d'appel. Ses affaires courantes sont gérées par un directeur, qui relève des procureurs généraux (article 3).
F.  Développements intervenus dans le droit interne après l'arrêt de la chambre
1.  Questions parlementaires
258.  L'arrêt de la chambre a suscité un intérêt considérable des médias aux Pays-Bas. Le 23 novembre 2005, deux membres de la chambre basse (Tweede Kamer) du Parlement, M. P. Straub et M. A. Wolfsen, invitèrent le ministre de la Justice à faire connaître ses vues sur ledit arrêt et sur les modifications à apporter en conséquence au droit et à la pratique internes.
259.  Le ministre de la Justice communiqua sa réponse au Parlement le 16 décembre 2005 (Tweede Kamer der Staten-Generaal, Aanhangsel van de Handelingen – chambre basse du Parlement, annexe au compte rendu des débats parlementaires – 2005-2006, no 567, pp. 1209-1210). Les paragraphes qui suivent en sont extraits :
« 2.  Il importe de noter qu'il n'est pas question d'une violation matérielle de l'article 2 de la Convention : la Cour juge de manière unanime que le policier concerné a agi en état de légitime défense. Elle conclut qu'il y a eu violation procédurale de l'article 2 de la Convention sur deux points : l'intervention (excessivement) tardive de l'Inspection générale de la police nationale dans l'enquête et le fait que la décision rendue en vertu de l'article 12 du code de procédure pénale de ne pas poursuivre les policiers impliqués n'a pas été prononcée en public. En ce qui concerne l'intervention de l'Inspection générale de la police nationale, il y a lieu de relever plusieurs points. La Cour ne critique pas la position de l'Inspection générale de la police nationale par rapport à la police en tant que telle ; elle juge de manière explicite que cette position se concilie avec l'exigence d'indépendance résultant de l'article 2 de la Convention. En revanche, dans le cas présent, l'enquête au sujet du coup de feu mortel a, pendant les quinze premières heures, été menée par des policiers qui appartenaient au même corps de police que l'agent qui avait tiré le coup fatal. Ce n'est qu'après que l'Inspection générale de la police nationale a assumé la responsabilité de l'enquête. La Cour juge que l'Inspection générale de la police nationale (service indépendant) est intervenue trop tard dans cette affaire spécifique. Depuis la décision rendue par la cour d'appel d'Amsterdam le 23 juin 2004 dans l'affaire de la Mercatorplein (non publiée), le système de permanence de l'Inspection générale de la police nationale a été affûté (aangescherpt), de manière à permettre à ce service de descendre plus tôt sur les lieux. L'Inspection générale de la police nationale arrive aujourd'hui sur les lieux dans un délai moyen d'une heure à une heure et demie après la communication de l'incident. Il n'est donc plus possible de considérer que les procédures aujourd'hui suivies aux Pays-Bas en matière d'enquêtes au sujet de coups de feu mortels impliquant des policiers ne sont pas compatibles avec la Convention. Aussi j'estime que des changements structurels dans les procédures existantes ne s'imposent pas. Il serait toutefois utile de clarifier la procédure sur certains points, notamment en ce qui concerne l'intervention de l'Inspection générale de la police nationale. Le collège des procureurs généraux (College van procureurs-generaal) est en train d'établir à cet effet une nouvelle « instruction sur les modalités d'intervention en cas de recours à la force par un fonctionnaire (de police) » (Aanwijzing handelwijze bij geweldsaanwending (politie)ambtenaar) – ci-après l'« instruction »), qui remplacera [une instruction antérieure]. Cette instruction prévoira explicitement que l'Inspection générale de la police nationale doit être informée immédiatement (terstond) des cas où il y a eu recours à la force par un fonctionnaire de police et fera obligation au fonctionnaire de garde concerné de l'Inspection générale de la police nationale de se rendre sur les lieux de l'incident aussi rapidement que possible. Avant son arrivée, le service de police local prendra uniquement les mesures propres à figer la situation, par exemple en établissant un cordon de sécurité autour des lieux. En revanche, la police locale n'accomplira en principe aucune mesure d'enquête. L'instruction devrait entrer en vigueur au début de l'année prochaine.
3.  Dans le cas d'une décision au titre de l'article 12 du code de procédure pénale, l'intérêt du plaignant à la publicité de la procédure s'oppose à l'intérêt de la personne dont la poursuite est demandée à voir la procédure demeurer confidentielle. Le point de départ à cet égard est que pendant la phase au cours de laquelle aucune décision n'a encore été prise quant au point de savoir si une personne déterminée doit ou non être poursuivie, l'intérêt de cette personne à éviter toute publicité l'emporte sur l'intérêt du plaignant à la publicité. Dès lors qu'une décision au titre de l'article 12 du code de procédure pénale ne concerne pas une « accusation en matière pénale » au sens de l'article 6 de la Convention, on ne saurait déduire de cet article une exigence de publicité de pareille décision. Dans l'arrêt en cause de la Cour européenne des Droits de l'Homme, l'exigence de publicité est toutefois puisée dans l'article 2 de la Convention. La Cour estime que la décision aurait dû être rendue en public, compte tenu de la gravité de l'affaire et du fait qu'elle concernait une personne investie de l'autorité publique. Il ne sera pas possible de donner effet à l'arrêt de la Cour sans modifier l'article 12 du code de procédure pénale.
Nous sommes pour l'heure toujours en train d'examiner la question de savoir s'il convient d'introduire une demande de renvoi à la Grande Chambre au titre de l'article 43 de la Convention. Je vous informerai de l'issue de la réflexion à cet égard au début de l'année prochaine.
4.  La Cour estime que la position du ministère public par rapport à la police est suffisamment indépendante. Le fait qu'un procureur dépende de la police pour obtenir informations et assistance n'affecte pas cette conclusion. La Cour note de surcroît que les actes du procureur sont susceptibles d'un contrôle indépendant par les tribunaux. En l'occurrence, le procureur chargé de l'affaire était un magistrat spécialement responsable du secteur à l'intérieur duquel s'effectue le travail du commissariat de police de la Flierbosdreef dont relevait le fonctionnaire de police concerné. Je partage l'avis de la Cour selon lequel il n'est pas souhaitable (du point de vue de l'indépendance) qu'un procureur entretienne des liens par trop étroits avec le corps de police dont relèvent les fonctionnaires de police concernés. A cet égard, je renvoie à ladite instruction du collège des procureurs généraux. Cette instruction prévoira que dans les cas tels celui de l'espèce l'enquête ne pourra en aucun cas être menée par un procureur entretenant des liens étroits avec le district dont relèvent les policiers concernés (par exemple le procureur d'arrondissement). Je relève de surcroît que la commission consultative de l'usage des armes à feu par la police (Adviescommissie Politiëel Vuurwapengebruik) donne un avis sur le suivi des enquêtes menées au sujet des cas de recours effectif à des armes à feu par des fonctionnaires de police et lorsque des investigations ont déjà effectivement été menées par l'Inspection générale de la police nationale. Le procureur en chef est tenu de soumettre à la commission consultative la décision qu'il se propose de prendre. De cette manière, une sorte de « second avis » est intégrée à la procédure dans de tels cas. »
2.  L'instruction sur les modalités d'intervention en cas de recours à la force par un fonctionnaire (de police)
260.  La nouvelle instruction du collège des procureurs généraux que le ministre avait annoncée pour début 2006 a en fait été publiée le 26 juillet 2006 (Journal officiel – Staatscourant – 2006, no 143). Le collège des procureurs généraux constitue l'organe le plus élevé du ministère public. Il répond, par l'intermédiaire de son président, devant le ministre de la Justice.
261.  Une note explicative accompagnant l'instruction précise que celle-ci est la conséquence, notamment, de l'arrêt de chambre rendu par la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Ramsahai et vise à clarifier les missions d'enquête de l'Inspection générale de la police nationale et le rôle des services de police locaux.
262.  L'instruction vise non seulement les fonctionnaires de police, mais également d'autres fonctionnaires dotés de pouvoirs de police, tels les fonctionnaires de la gendarmerie (Koninklijke marechaussee) et les membres des forces armées exerçant des fonctions de police. Elle s'applique dans les cas où l'usage d'une arme à feu a causé un décès ou des blessures et dans d'autres cas où le recours à la force a eu pour conséquence un décès ou des blessures graves.
263.  Chaque fois que se produit un incident emportant application de l'instruction, l'enquête doit être menée par l'Inspection générale de la police nationale. La police régionale est censée informer ledit service de l'incident sur-le-champ. Le fonctionnaire de permanence de l'Inspection générale de la police nationale doit se rendre sur les lieux de l'incident aussi rapidement que possible. La police locale doit prendre toutes mesures urgentes nécessaires, telles que l'établissement d'un cordon de sécurité autour de la zone concernée, la dispensation des premiers soins aux blessés et la consignation des noms des témoins éventuels. Elle ne doit entreprendre elle-même aucune mesure d'investigation, sauf et dans la mesure où son intervention est inévitable.
264.  Toute enquête ne pouvant être menée par l'Inspection générale de la police nationale elle-même doit être menée par le Bureau des enquêtes internes (Bureau Interne Onderzoeken) de la région de police concernée ou par les membres d'un corps de police voisin. Pour toute mesure d'investigation à caractère technique, il y a lieu de faire appel aux spécialistes de police technique et scientifique d'une autre région de police.
265.  On présume qu'un fonctionnaire de police qui est obligé de recourir à la force dans l'exercice de ses fonctions est normalement fondé à exciper d'ordres reçus de ses supérieurs ou d'une situation de légitime défense. Un fonctionnaire de police ayant eu recours à la force n'est donc pas considéré comme un suspect, à moins qu'il n'y ait d'emblée des doutes raisonnables à cet égard. Il doit être entendu comme témoin, étant précisé toutefois qu'il n'est pas obligé de s'incriminer lui-même.
266.  Le procureur en chef, qui assume la responsabilité ultime de l'enquête et de la décision quant au point de savoir s'il y a lieu ou non d'intenter des poursuites, doit veiller à ce que l'enquête ne soit en aucun cas supervisée par un procureur entretenant des liens étroits avec l'unité de police à laquelle appartiennent le ou les fonctionnaires de police concernés. Il y a lieu d'éviter toute apparence de manque d'indépendance.
267.  Si une arme à feu a été utilisée, le procureur en chef est tenu, avant de décider s'il convient ou non d'entamer des poursuites, de soumettre la décision qu'il se propose de prendre et les documents à l'appui à la commission consultative de l'usage des armes à feu par la police, laquelle doit donner un avis consultatif dans un délai de sept jours ouvrables.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
268.  L'article 2 de la Convention est ainsi libellé :
« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2.  La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :
a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ;
c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
269.  Les requérants formulent une série de griefs sur le terrain de cette disposition.
270.  Ils soutiennent, premièrement, que la mort de Moravia Ramsahai n'était pas absolument nécessaire pour l'un quelconque des buts énumérés au paragraphe 2.
Ils considèrent, deuxièmement, que l'enquête menée à la suite du décès de Moravia Ramsahai a été déficiente. Ils plaident plus précisément :
a)  que l'enquête ne peut passer pour avoir été « indépendante », dans la mesure où des parties essentielles en ont été effectuées par la police d'Amsterdam/Amstelland, celle-là même à laquelle appartenaient les agents Brons et Bultstra ;
b)  qu'après la première recherche, effectuée au porte-à-porte, de témoins dans l'immeuble Huigenbos lui-même, plus aucun effort n'a été accompli pour trouver des témoins civils, et qu'en réalité plusieurs ont même été éconduits ;
c)  que les agents Brons et Bultstra n'ont été interrogés que plusieurs jours après l'incident fatal et que dans l'intervalle ils ont eu l'occasion de discuter de l'incident entre eux et avec d'autres ;
d)  que diverses investigations techniques qui sont normalement effectuées dans un tel cas n'ont pas été menées : ainsi, aucune tentative n'aurait été faite pour établir la trajectoire précise de la balle (ce qui, d'après les requérants, aurait été possible), des traces résiduelles de tir n'auraient pas été recherchées sur les mains des agents Brons et Bultstra, le dossier de l'enquête ne comporterait aucun rapport d'un quelconque examen de l'arme de service de l'agent Brons, de ses munitions et de la cartouche usagée, et il n'y aurait eu aucune reconstitution de l'incident ;
e)  que l'annonce par le préfet de police Van Riessen qu'il refuserait d'apporter son concours à tout complément d'enquête démontre une partialité subjective de l'intéressé ;
f)  que l'on ne peut considérer que l'Inspection générale de la police nationale était indépendante et impartiale, puisque aussi bien elle relevait du procureur en chef local, lequel était également responsable du ministère public local et de la police locale ;
g)  que, contrairement à la pratique normalement suivie aux Pays-Bas, les agents Brons et Bultstra se sont vu désigner un seul et même avocat ;
h)  que la décision de ne pas poursuivre l'agent Brons a été prise par un procureur d'Amsterdam qui était spécifiquement responsable du travail de police effectué au commissariat de la Flierbosdreef et qui était tributaire des fonctionnaires affectés à ce commissariat pour toute aide et information dont il pouvait avoir besoin.
271.  Invoquant tant l'article 2 que l'article 6 de la Convention, les requérants allèguent par ailleurs que l'enquête n'a pas été indépendante et effective. Ils énoncent les griefs suivants concernant la procédure suivie devant la cour d'appel :
a)  l'audience n'aurait pas été publique et la décision n'aurait pas été prononcée en public ;
b)  les requérants se seraient vu refuser l'accès à certains documents, notamment des conclusions du procureur, qui aurait en revanche été mis à la disposition du procureur général adjoint près la cour d'appel et de la cour d'appel elle-même ;
c)  des demandes d'audition en public des agents Brons et Bultstra, d'accès aux états de service de l'agent Brons (y compris à d'éventuelles plaintes déposées contre lui) et de reconstitution de l'incident ayant impliqué les agents Brons et Bultstra auraient été écartées ;
d)  la cour d'appel n'aurait pas mené elle-même une enquête indépendante, mais elle se serait appuyée sur les informations fournies par la police d'Amsterdam/Amstelland et par l'Inspection générale de la police nationale ;
e)  l'audience aurait eu lieu devant un juge unique, alors que la décision aurait apparemment été rendue par un collège de trois juges ;
f)  apparemment, l'audience devant la cour d'appel n'aurait pas donné lieu à l'établissement d'un compte rendu, ce qui serait contraire à la loi.
272.  Le Gouvernement conteste pour sa part qu'il y ait eu la moindre violation de l'article 2.
A.  Le décès de Moravia Ramsahai
1.  Etablissement des faits
273.  Pour apprécier les preuves, la Cour adopte le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Toutefois, une telle preuve peut résulter d'un faisceau d'indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (voir, parmi d'autres, Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII, et Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, §§ 112-113, CEDH 2001-IV).
274.  La chambre a établi comme suit les faits ayant entouré le décès de Moravia Ramsahai (paragraphes 356-371 de l'arrêt de la chambre) :
« 356.  Il est nécessaire que la Cour établisse les faits concernant le décès de Moravia Ramsahai.
357.  Sensible à la nature subsidiaire de sa mission, la Cour reconnaît qu'elle ne peut sans de bonnes raisons assumer le rôle de juge du fait de première instance lorsque cela n'est pas rendu inévitable par les circonstances de l'affaire dont elle se trouve saisie. Toutefois, lorsque des allégations sont formulées sur le terrain de l'article 2 de la Convention, elle doit se livrer à un examen particulièrement attentif, quand bien même certaines procédures et investigations auraient déjà été menées au plan interne (Aktaş c. Turquie, no 24351/94, § 271, CEDH 2003-V (extraits))
358.  Sans préjudice de ses conclusions relativement à l'aspect procédural de l'article 2, la Cour note que l'enquête officielle menée au sujet des événements litigieux paraît avoir été approfondie et que les conclusions en sont fort détaillées. C'est ainsi qu'ont été entendus les fonctionnaires de police impliqués dans l'incident et un grand nombre de témoins civils, dont certains avaient été cités au nom des requérants, et que des preuves techniques ont été recueillies. La Cour basera son propre examen de la cause sur les informations factuelles qui se dégagent des documents officiels – paraphrasés ci-dessus – produits devant elle, éclairées en tant que de besoin par les informations provenant d'autres sources.
359.  Il ressort des preuves produites qu'avant l'incident fatal Moravia Ramsahai avait par deux fois adopté un comportement menaçant en exhibant un pistolet. Le premier incident s'était produit dans le restaurant Burger King de la Leidseplein, où Moravia Ramsahai avait pointé un pistolet en direction de Mme Najima Boujedaine. Le second s'était produit sur l'aire du festival Kwakoe, où l'intéressé avait, en le menaçant de son pistolet, forcé M. Vinodkumar Hoeseni à lui céder son scooter.
360.  M. Hoeseni rapporta le vol de son scooter aux premiers policiers qu'il aperçut, les agents Dekker et Boonstra, qui accomplissaient une mission de suveillance non armée. Tous trois se mirent à la poursuite du voleur. Moins rapides que le scooter, ils perdirent toutefois celui-ci de vue. Utilisant leur émetteur-récepteur, lesdits agents signalèrent alors le vol au commissariat de police local, en donnant une description du voleur et du scooter et en indiquant la direction dans laquelle le voleur s'était enfui. Le policier de garde enjoignit alors immédiatement à l'ensemble du personnel de police disponible de se lancer à la poursuite du voleur.
361.  Par la suite, les agents Dekker et Boonstra indiquèrent que M. Hoeseni ne leur avait dit que plus tard que Moravia Ramsahai avait un pistolet ; ils précisèrent que s'ils avaient su, étant eux-mêmes non armés, ils ne se seraient jamais lancés à la poursuite du voleur et auraient certainement averti leurs collègues. M. Hoeseni affirme quant à lui qu'il avait bel et bien parlé du pistolet, mais que les policiers ne l'avaient pas entendu. Quoi qu'il en soit de l'exactitude de la déclaration de M. Hoeseni, la Cour admet que les agents Dekker et Boonstra n'ont pas entendu l'intéressé mentionner que Moravia Ramsahai était armé.
362  Des fonctionnaires de police présents à proximité, les premiers à être en mesure de répondre à l'ordre susmentionné furent les agents Brons et Bultstra, qui patrouillaient ensemble dans le quartier Bijlmermeer à bord d'une voiture de police signalisée. Ils aperçurent Moravia Ramsahai qui se dirigeait au guidon du scooter vers l'immeuble Huigenbos et le prirent en chasse.
363.  Les agents Brons et Bultstra virent Moravia Ramsahai rentrer le scooter dans une entrée de l'immeuble Huigenbos. L'agent Brons, qui conduisait, gara la voiture. Pendant ce temps, l'agent Bultstra sortit de la voiture et courut vers l'entrée de l'immeuble. Il tenait un émetteur-récepteur de radio.
364.  Moravia Ramsahai adopta un comportement de défi et résista à l'arrestation. Comme il tentait de s'échapper, l'agent Bultstra chercha à l'agripper. Il y eut une brève lutte, à l'issue de laquelle Moravia Ramsahai réussit à se dégager. Alors qu'il se trouvait éloigné de plusieurs mètres de l'agent Bultstra, Moravia Ramsahai adopta une posture menaçante et sortit son pistolet.
365.  La Cour écarte les déclarations de témoins civils d'après lesquelles Moravia Ramsahai était en réalité non armé. Il apparaît que ces personnes ont assisté aux événements à des distances importantes et alors que la nuit tombait. De surcroît, les déclarations en question sont incompatibles avec la découverte ultérieure d'un pistolet, avec les preuves montrant que Moravia Ramsahai avait sorti un pistolet correspondant à la description de celui découvert sur les lieux pour en menacer deux autres personnes avant l'incident fatal et avec la déclaration de M. Van den Heuvel, qui assista de près à une partie des événements.
366.  Apercevant le pistolet de Moravia Ramsahai et se sentant menacé, l'agent Bultstra laissa tomber ou jeta son émetteur-récepteur de radio, sortit son pistolet de service et, d'une voix forte, ordonna au moins une fois à Moravia Ramsahai de lâcher son arme. Moravia Ramsahai pointa alors son pistolet vers le sol, mais d'une manière qui fut jugée menaçante par l'agent Bultstra, et fit quelques pas pour s'éloigner.
367.  Sur ces entrefaites, l'agent Brons avait garé et fermé la voiture et il était arrivé pour prêter son aide à l'agent Bultstra. Il vit que Moravia Ramsahai tenait un pistolet et qu'il refusait de le lâcher nonobstant le fait que l'agent Bultstra pointait son arme vers lui et qu'il lui avait ordonné de lâcher la sienne.
368.  Le pistolet que Moravia Ramsahai tenait dans sa main était armé et chargé de cinq cartouches, dont l'une était chambrée, et prêt à l'emploi.
369.  Tant l'agent Brons que l'agent Bultstra virent Moravia Ramsahai tourner et lever la main tenant le pistolet. L'agent Brons vit Moravia Ramsahai pointer le pistolet dans sa direction. Il sortit alors son pistolet de service – ce qu'il n'avait pas encore fait – et fit feu une fois.
370.  L'agent Brons ne tira pas pour tuer. En réalité, il ne visa pas un endroit particulier du corps de Moravia Ramsahai. Son souci était de mettre fin immédiatement à une situation menaçante.
371.  La balle tirée par l'agent Brons transperça l'artère brachiocéphalique (innominée) (vaisseau essentiel de la nuque, qui part de l'arc aortique et irrigue en définitive la moitié du cerveau) de Moravia Ramsahai. Celui-ci perdit connaissance en quelques secondes et il succomba à ses hémorragies en quelques minutes. »
275.  Ainsi qu'elle s'en expliquera plus loin, la Cour a des préoccupations concernant l'indépendance et la qualité de l'enquête menée au sujet du décès de Moravia Ramsahai. En particulier, il y a une discordance apparente entre les dépositions des agents Brons et Bultstra eux-mêmes, qui déclarèrent tous deux que c'était l'agent Brons qui avait tiré le coup de feu fatal (paragraphe 15 ci-dessus), et celles des agents Braam et Van Daal, les fonctionnaires de police qui étaient en charge du suivi des échanges radio de la police, qui déclarèrent tous deux qu'ils avaient entendu l'agent Bultstra déclarer qu'il avait tiré et qu'il avait besoin d'une ambulance (paragraphes 27 et 30 ci-dessus). De surcroît, à ses premiers stades l'enquête fut menée par des policiers qui, tout comme les agents Brons et Bultstra, faisaient partie de la police d'Amsterdam/Amstelland.
276.  Cela étant, l'établissement des faits tel qu'il résulte de l'arrêt de la chambre n'a pas été sérieusement remis en cause : le Gouvernement n'a pas formulé de remarques à cet égard et les requérants se sont contentés de renvoyer simplement en termes généraux aux observations relatives aux faits qu'ils avaient adressées à la chambre, sans mettre en exergue d'éventuelles inexactitudes dans les constatations de fait figurant dans l'arrêt de la chambre et sans livrer une version des faits qui s'en écarterait.
277.  La description du comportement de Moravia Ramsahai fournie par les agents Brons et Bultstra est compatible avec les faits établis suivants : l'intéressé avait exhibé un pistolet dans le restaurant Burger King de la Leidseplein (voir la déposition de Mme Boujedaine, paragraphes 75-76 ci-dessus) et il avait utilisé un pistolet pour menacer M. De Getrouwe (voir la déposition de ce dernier, paragraphe 84 ci-dessus) et pour voler le scooter de M. Hoeseni (voir les dépositions de ce dernier, paragraphes 31 et 158 ci-dessus, et la déposition de Mlle Bhondoe, paragraphe 34 ci-dessus). Elle est également compatible avec les dépositions du témoin M. Van den Heuvel (paragraphes 37-38 et 93 ci-dessus).
278.  Dans ces conditions, la Cour n'aperçoit aucun motif de mettre en doute la sincérité des récits livrés par les agents Brons et Bultstra. Aussi admet-elle que l'agent Bultstra laissa tomber son émetteur-récepteur de radio pour pouvoir sortir son pistolet de service. Les agents Braam et Van Daal peuvent fort bien avoir entendu et ne pas avoir correctement identifié l'auteur de l'appel téléphonique réclamant l'envoi d'une ambulance. Quant au fait que jusqu'à l'après-midi du lendemain du coup de feu l'enquête ait été menée par la police d'Amsterdam/Amstelland, il sera examiné séparément plus bas.
279.  Eu égard à ce qui précède ainsi qu'à la position prise par les parties quant aux faits tels qu'ils ont été établis dans l'arrêt de la chambre, la Cour examinera la cause à la lumière de ces faits.
2.  L'arrêt de la chambre
280.  La chambre a estimé que les agents Brons et Bultstra ignoraient complètement que Moravia Ramsahai était armé et qu'ils n'avaient donc aucun motif de croire qu'ils seraient appelés à effectuer autre chose qu'une arrestation de routine.
281.  La chambre a par ailleurs conclu que l'agent Bultstra avait dégainé son arme de service après seulement que Moravia Ramsahai eut lui-même sorti son pistolet et que l'agent Brons avait dégainé son arme de service et fait feu après seulement que Moravia Ramsahai, ignorant les sommations non équivoques de lâcher son arme, eut commencé à lever celle-ci vers l'intéressé.
282.  Ayant ainsi établi les faits, la chambre ne pouvait considérer que les agents Brons et Bultstra auraient dû solliciter d'autres informations ou appeler des renforts. Elle a estimé par ailleurs que le recours à la force létale n'avait pas excédé ce qui était « absolument nécessaire » aux fins de l'arrestation de Moravia Ramsahai et de la protection des vies des agents Brons et Bultstra et que, par conséquent, le tir mortel de l'agent Brons contre Moravia Ramsahai n'avait pas, en soi, emporté violation de l'article 2 de la Convention.
3.  Thèses défendues par les parties
a)  Les requérants
283.  Les requérants soutiennent que même à supposer que la violence infligée à Moravia Ramsahai visât à permettre son « arrestation régulière », les agents Brons et Bultstra ont agi de manière inconsidérée. Ils auraient notamment négligé de demander les informations pertinentes, des instructions supplémentaires ou des renforts, toutes choses qui auraient peut-être permis de réduire au minimum possible les risques d'atteinte à la vie.
b)  Le Gouvernement
284.  Le Gouvernement s'appuie sur les conclusions de la cour d'appel d'Amsterdam. Cette juridiction aurait considéré que Moravia Ramsahai avait menacé l'agent Brons au moyen d'une arme létale – un pistolet armé ayant une balle chambrée – et que c'était donc l'intéressé lui-même qui avait créé une situation rendant absolument nécessaire le recours à la force, dût-elle être létale.
285.  Le Gouvernement soutient de surcroît que les agents impliqués avaient pris les précautions appropriées pour réduire au minimum tout risque d'atteinte à la vie et qu'ils ne se sont pas montrés négligents dans leur intervention. Il ne serait pas correct de discuter avec le bénéfice du recul des mérites d'une tactique différente.
4.  L'appréciation de la Cour
286.  La Cour rappelle que les exceptions définies au paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention montrent que cette disposition vise certes les cas où la mort a été infligée intentionnellement, mais que ce n'est pas son unique objet. Le texte de l'article 2 pris dans son ensemble démontre que le paragraphe 2 ne définit pas avant tout les situations dans lesquelles il est permis d'infliger intentionnellement la mort, mais décrit celles où il est possible d'avoir « recours à la force », ce qui peut conduire à donner la mort de façon involontaire. Le recours à la force doit cependant être rendu « absolument nécessaire » pour atteindre l'un des objectifs mentionnés aux alinéas a), b) ou c) (Oğur c. Turquie [GC], no 21594/93, § 78, CEDH 1999-III).
287.  A cet égard, l'emploi des termes « absolument nécessaire » figurant à l'article 2 § 2 indique qu'il faut appliquer un critère de nécessité plus strict et impérieux que celui normalement employé pour déterminer si l'intervention de l'Etat est « nécessaire dans une société démocratique » au titre du paragraphe 2 des articles 8 à 11 de la Convention. La force utilisée doit en particulier être strictement proportionnée aux buts mentionnés aux paragraphes 2 a), b) et c) de l'article 2 (ibidem).
288.  La Cour a déjà décidé d'admettre l'appréciation faite par la chambre et non sérieusement remise en cause des faits ayant entouré le décès de Moravia Ramsahai (paragraphes 80-83 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour ne trouve rien à redire à la conclusion de la chambre selon laquelle le coup fatal tiré par l'agent Brons n'a pas excédé ce qui était « absolument nécessaire », au sens qu'il faut attribuer à l'expression dans le cadre de l'article 2 de la Convention.
289.  Aussi la Cour considère-t-elle que le tir dirigé contre Moravia Ramsahai n'a pas violé l'article 2 de la Convention.
B.  L'enquête menée à la suite de l'incident
1.  L'arrêt de la chambre
a)  Effectivité de l'enquête
290.  La chambre a estimé qu'il n'était pas établi que les autorités internes eussent, comme le prétendaient les requérants, éconduit ou omis de rechercher des témoins qui auraient pu livrer des informations précises et pertinentes pour le dossier.
291.  La chambre a fait sienne l'observation des requérants selon laquelle certaines mesures d'investigation dont le dossier d'enquête ne comporte aucun rapport – à savoir la détermination de la trajectoire précise de la balle fatale, la recherche d'éventuelles traces résiduelles de tir sur les mains des fonctionnaires de police concernés, l'examen de l'arme utilisée, de ses munitions et de la cartouche usagée, et la reconstitution de l'incident – devraient être automatiques dans les cas de décès par arme à feu. Elle a toutefois estimé qu'en l'espèce il n'y avait jamais eu le moindre doute quant à l'identité du suspect, que les circonstances de l'incident avaient pu être établies de manière adéquate sans ces examens et que la non-réalisation de ceux-ci n'avait donc pas nui à l'effectivité de l'enquête considérée dans son ensemble.
292.  La chambre a admis que les autorités compétentes auraient dû prendre plus tôt les dépositions des agents Brons et Bultstra, de manière à pouvoir les confronter l'une avec l'autre, et, plus tard, au besoin, avec les preuves techniques recueillies. Elle a toutefois estimé que, cela étant, il n'était pas possible de juger que les agents Brons et Bultstra se fussent entendus entre eux ou avec d'autres fonctionnaires de police pour entraver le bon déroulement de l'enquête.
293.  En conclusion, la chambre n'a constaté aucune violation de l'article 2 relativement à l'effectivité de l'enquête.
b)  Indépendance de l'enquête
294.  La chambre a admis que l'Inspection générale de la police nationale, service national qui possède sa propre chaîne de commandement et qui relève de la plus haute autorité de poursuite du pays, le collège des procureurs généraux, possédait une indépendance suffisante aux fins de l'article 2 de la Convention.
295.  Elle a constaté toutefois que des parties essentielles de l'enquête, à savoir l'examen technique du lieu de l'incident, la recherche au porte-à-porte de témoins et l'audition initiale des témoins, y compris des policiers qui appartenaient eux aussi à la police d'Amsterdam/Amstelland, avaient été menées par le corps de police même auquel les agents Brons et Bultstra appartenaient, la police d'Amsterdam/Amstelland, et dans le cadre de la même chaîne de commandement. Elle a relevé par ailleurs que d'autres investigations avaient été effectuées par la police d'Amsterdam/Amstelland à la demande de l'Inspection générale de la police nationale.
296.  Dans ces conditions, la chambre, relevant par ailleurs que la supervision par une autre autorité, quelque indépendante qu'elle fût, ne constituait pas une garantie suffisante d'indépendance de l'enquête, a conclu à la violation de l'article 2 sous son aspect procédural.
c)  Participation des requérants
297.  La chambre a observé que la divulgation ou la publication de rapports de police et d'éléments concernant des enquêtes pouvaient poser des problèmes sensibles et présenter des risques de conséquences préjudiciables pour des particuliers ou pour d'autres enquêtes. Elle a ainsi jugé que l'on ne pouvait considérer comme une exigence découlant automatiquement de l'article 2 que les proches de la victime fussent tenus au courant des progrès de l'enquête. Elle a estimé de même que les autorités d'enquête ne sauraient être tenues de déférer à chaque souhait émis par un proche d'une victime concernant les mesures d'enquête. Elle a en tout état de cause jugé suffisamment effective l'enquête menée au sujet du décès de Moravia Ramsahai.
298.  La chambre a par ailleurs estimé qu'il n'était pas établi que les requérants se fussent vu totalement refuser l'accès à certains documents.
299.  La chambre a ainsi jugé que les requérants avaient bénéficié d'un accès aux informations produites par l'enquête à un degré suffisant pour leur permettre de participer de manière effective à la procédure visant à faire invalider la décision de ne pas poursuivre l'agent Brons.
d) Procédure suivie devant la cour d'appel
300.  La chambre a estimé que la procédure devant la cour d'appel n'avait pas à comporter une audience publique. Elle a jugé pouvoir souscrire à l'avis du Gouvernement selon lequel une personne qu'il ne se justifie pas de renvoyer en jugement doit également se voir épargner le désagrément d'être donnée en spectacle.
301.  La chambre a en revanche considéré que l'absence de publicité de la décision de la cour d'appel était une autre question. Elle a précisé que lorsqu'est rendue une décision aux termes de laquelle une personne investie de l'autorité publique et aux mains de laquelle un être humain a perdu la vie ne doit pas faire l'objet de poursuites pénales, l'article 2 exige que la décision puisse faire l'objet d'un contrôle public.
e) Le rôle du procureur
302.  La chambre s'est dite préoccupée par le fait que le procureur désigné pour superviser l'enquête au sujet de l'incident mortel était lié au commissariat même dont relevaient les agents Brons et Bultstra. Elle a toutefois estimé que, combiné avec la possibilité qu'avaient les requérants de solliciter un contrôle par la cour d'appel de la décision de ne pas poursuivre, le degré d'indépendance du procureur satisfaisait aux exigences de l'article 2.
2.  Thèses défendues par les parties
a)  Les requérants
303.  Les requérants réitèrent pour l'essentiel la position qu'ils ont défendue devant la chambre.
304.  Ils voient une violation des exigences procédurales de l'article 2 dans le fait que la cour d'appel ne s'est pas penchée sur les déclarations faites par des personnes autres que les agents Brons et Bultstra et M. Van den Heuvel. Ce dernier n'aurait en réalité même pas vu la scène du coup de feu. D'autres témoins, en particulier Mmes Lieveld et Rijssel et MM. Chitanie et Van Rij, n'auraient pas été entendus, nonobstant les demandes tendant à leur audition adressées à la cour d'appel par les requérants, et leurs déclarations auraient été ignorées.
305.  Certaines mesures d'investigation normalement accomplies dans les affaires de ce type auraient été omises, notamment la recherche d'éventuelles traces résiduelles de tir sur les mains des fonctionnaires de police concernés et ailleurs, une reconstitution des événements et la détermination de la trajectoire de la balle. En outre, le dossier ne comporterait pas les croquis ou clichés photographiques réalisés lors de l'autopsie et montrant les blessures d'entrée et de sortie occasionnées par la balle.
306.  Une partie importante de l'enquête – et notamment certaines mesures d'investigation non aisément reproductibles par la suite – aurait été menée par des fonctionnaires de police qui appartenaient non seulement au même corps de police que les agents Brons et Bultstra – la police d'Amsterdam/Amstelland – mais également au même commissariat, celui de la Flierbosdreef à Amsterdam, et qui, dès lors, relevaient clairement de la même chaîne de commandement. Les requérants jugent cela d'autant plus regrettable que les fonctionnaires de police s'étant rendus sur les lieux avaient éconduit des témoins importants, Mmes Rijssel et Lieveld, et peut-être d'autres encore, dont les noms n'auraient pas été enregistrés. Ce seraient les requérants et leur avocat qui auraient dû les chercher eux-mêmes par la suite.
307.  Quant à l'Inspection générale de la police nationale, les requérants admettent devant la Grande Chambre que ce service relevait hiérarchiquement des plus hautes autorités de poursuite et ne contestent pas son indépendance à l'égard de la police d'Amserdam/Amstelland. Ils font valoir toutefois que l'enquête menée par l'Inspection générale de la police nationale n'a pas eu lieu sous la responsabilité d'une autorité de poursuite n'ayant aucun lien avec la police d'Amsterdam/Amstelland. Cette enquête aurait été menée sous la responsabilité du procureur De Vries, dont la position par rapport à la police d'Amsterdam/Amstelland ne pourrait guère être qualifiée d'indépendante.
308.  L'Inspection générale de la police nationale aurait certes interrogé les agents Brons et Bultstra. L'audition de ceux-ci aurait toutefois eu lieu bien après l'incident litigieux et alors que les intéressés avaient eu l'occasion de discuter de l'affaire avec d'autres, et notamment avec le préfet de police Van Riessen. En outre, les agents Brons et Bultstra auraient été autorisés à reprendre leurs fonctions alors que l'enquête était toujours en cours et alors que des fonctionnaires de leur propre commissariat, celui de la Flierbosdreef, étaient toujours en train de consigner par écrit des informations importantes.
309.  Pendant toute la durée de l'enquête, les requérants se seraient vu dénier toute participation et tout accès au dossier, nonobstant les demandes formulées en leur nom par leur avocat. Cette situation aurait perduré même après que le procureur eut décidé qu'il n'y avait pas lieu d'ouvrir des poursuites. De surcroît, ce ne serait qu'une fois que le procureur avait fait connaître sa décision aux requérants qu'il avait consenti à rencontrer les intéressés.
310.  Quant à la procédure suivie devant la cour d'appel, elle n'aurait pas permis une participation des requérants suffisante pour la sauvegarde de leurs intérêts. Des demandes raisonnables, notamment une tendant à la communication de copies de certains documents du dossier et à l'accomplissement de certaines mesures d'investigation, auraient été rejetées. Par ailleurs, les requérants ne comprennent pas pourquoi la procédure ne pouvait pas être publique.
b)  Le Gouvernement
311.  Le Gouvernement plaide que l'article 2 de la Convention ne comporte pas une obligation spécifique de mener une enquête effective et indépendante à la suite d'un décès survenu aux mains d'agents de l'Etat, en ce sens que les garanties procédurales devraient être examinées séparément des circonstances du décès.
312.  Quoi qu'il en soit, fondée sur les constatations de l'enquête de police, la conclusion de la chambre selon laquelle le tir mortel contre Moravia Ramsahai n'a pas emporté violation de l'article 2 de la Convention montrerait que l'enquête n'a pas été viciée au point d'avoir manqué aux exigences procédurales découlant de l'article 2 de la Convention.
313.  L'enquête consécutive au décès de Moravia Ramsahai aurait été menée de manière consciencieuse et approfondie. La police locale aurait immédiatement recueilli toutes les preuves disponibles sur place et collecté l'ensemble des informations nécessaires. En constatant une violation de l'article 2 au motif que des mesures d'enquête avaient été effectuées par la police locale, la chambre aurait méconnu l'importance cruciale de recueillir les preuves immédiatement après l'incident. Si la police locale devait être obligée d'attendre de manière passive l'arrivée de l'Inspection générale de la police nationale, des informations importantes pourraient être perdues : les témoins pourraient partir avant que leurs noms ne soient consignés, et des traces physiques pourraient disparaître à cause des conditions météorologiques ou simplement à cause du va-et-vient des uns et des autres.
314.  La police locale pouvant dans la plupart des cas être présente avant l'Inspection générale de la police nationale, la pratique habituelle serait qu'elle recueille les preuves disponibles et abandonne l'enquête à l'Inspection générale de la police nationale dès l'arrivée des fonctionnaires de ce service. Ceux-ci prendraient alors les mesures nécessaires.
315.  L'Inspection générale de la police nationale se serait certes fondée sur les rapports d'enquête établis par le corps de police local auquel l'agent Brons appartenait lui-même. Elle aurait toutefois entrepris elle-même des investigations complémentaires approfondies et refait le travail de la police locale dans la mesure où elle le jugeait nécessaire et utile.
316.  Le Gouvernement admet que la procédure de plainte au titre de l'article 2 du code de procédure pénale n'était pas publique. Il explique cette particularité par le souci de protéger les individus que les autorités de poursuite pourraient juger ne pas devoir poursuivre – lesquels pourraient très bien ne pas mériter d'être poursuivis et même avoir fait l'objet de fausses accusations – de toute stigmatisation publique. Eu égard en particulier à la présomption d'innocence, il serait raisonnable que la balance entre les intérêts de la personne sollicitant l'ouverture de poursuites à l'encontre d'une autre et ceux de la personne en question penche en faveur de cette dernière.
317.  Ce principe s'appliquerait à plus forte raison dans les cas impliquant des fonctionnaires. Une obligation légale de rendre publique l'issue de procédures entamées contre eux au titre de l'article 12 du code de procédure pénale pourrait nuire à leur manière de servir par la suite.
318.  Toute exigence de publicité serait suffisamment satisfaite par l'association du plaignant à la procédure et par la possibilité pour lui de signaler la question à l'attention du public, comme les requérants eux-mêmes l'auraient fait dans le cas présent.
319.  Le Gouvernement admet par ailleurs qu'il n'y a eu en l'espèce ni reconstitution des événements ni enquête balistique. Il juge toutefois que de telles mesures n'étaient pas nécessaires. Il serait établi que la balle ayant tué Moravia Ramsahai a été tirée par le pistolet de service de l'agent Brons, et ce dernier n'aurait jamais nié être l'auteur du coup fatal. L'absence d'une reconstitution des événements et d'une enquête balistique n'aurait pas empêché la cour d'appel de conclure que l'agent Brons avait tiré en état de légitime défense.
320.  Le Gouvernement reconnaît également qu'un délai de deux jours s'est écoulé entre l'incident et le moment où les agents Brons et Bultstra ont été entendus. Ce délai s'expliquerait par la décision prise par les autorités compétentes d'entendre les intéressés une fois seulement que les preuves techniques et les premières dépositions de témoins auraient été recueillies. Au besoin, les deux fonctionnaires concernés auraient alors pu être confrontés aux témoins, ce qui aurait accru l'efficacité de leur audition. En tout état de cause, il n'y aurait eu aucune raison de considérer que les agents Brons et Bultstra risquaient de se soustraire à leur audition ou de prendre la fuite.
3.  L'appréciation de la Cour
a)  Principes applicables
321.  La Cour a énoncé les principes applicables de la manière suivante (voir, récemment, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, §§ 110-113, CEDH 2005-VII, références à la jurisprudence omises) :
« 110.  L'obligation de protéger le droit à la vie qu'impose l'article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l'Etat en vertu de l'article 1 de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », requiert, par implication, que soit menée une forme d'enquête officielle et effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d'homme (...). Il s'agit essentiellement, au travers d'une telle enquête, d'assurer l'application effective des lois internes qui protègent le droit à la vie et, dans les affaires où des agents ou organes de l'Etat sont impliqués, de garantir que ceux-ci aient à rendre des comptes au sujet des décès survenus sous leur responsabilité (...).
112.  Pour qu'une enquête sur une allégation d'homicide illégal commis par des agents de l'Etat soit effective, il faut que les personnes qui en sont chargées soient indépendantes et impartiales, en droit et en fait (...).
113.  L'enquête doit également être effective en ce sens qu'elle doit permettre de déterminer si le recours à la force était justifié ou non dans les circonstances et d'identifier et de sanctionner les responsables (...). Les autorités doivent avoir pris les mesures raisonnables dont elles disposaient pour assurer l'obtention des preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires et des expertises médicolégales. Les conclusions de l'enquête doivent se fonder sur une analyse approfondie, objective et impartiale de l'ensemble des éléments pertinents et doivent appliquer un critère comparable à celui de la « nécessité absolue » énoncé à l'article 2 § 2 de la Convention. Toute carence de l'enquête affaiblissant sa capacité à établir les circonstances de l'affaire ou les responsabilités risque de faire conclure qu'elle ne répond pas à la norme requise d'effectivité (...). »
ou encore comme suit (voir, parmi beaucoup d'autres, Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, § 140, CEDH 2002-IV) :
« 140.  Le public doit avoir un droit de regard suffisant sur l'enquête ou sur ses conclusions de sorte qu'il puisse y avoir mise en cause de la responsabilité tant en pratique qu'en théorie, préservation de la confiance du public dans le respect par les autorités de la prééminence du droit, et prévention de toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux. Le degré requis de contrôle du public peut varier d'une situation à l'autre. Dans tous les cas, toutefois, les proches de la victime doivent être associés à la procédure dans toute la mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts légitimes (...) »
322.  La Cour observe à ce stade que l'obligation de mener sans délai une enquête effective dans les cas où le recours à la force s'est soldé par le décès d'une ou de plusieurs personnes et d'entamer les poursuites qui s'imposent ou de permettre l'ouverture de telles poursuites est indépendante du jugement porté en définitive sur la question de savoir si le recours à la force lui-même était ou non contraire à l'article 2 de la Convention.
b)  Effectivité de l'enquête
323.  La Cour juge opportun de clarifier la portée et la substance de son examen de l'effectivité de l'enquête.
324.  Pour pouvoir être qualifiée d'« effective » au sens où cette expression doit être comprise dans le contexte de l'article 2 de la Convention, une enquête sur un décès engageant la responsabilité d'une Partie contractante au titre de cette disposition doit d'abord être adéquate. Cela signifie qu'elle doit être apte à conduire à l'identification et au châtiment des responsables. Il s'agit là d'une obligation non de résultat, mais de moyens. Les autorités doivent avoir pris les mesures qui leur étaient raisonnablement accessibles pour que fussent recueillies les preuves concernant l'incident. Toute carence de l'enquête affaiblissant sa capacité à conduire à l'identification de la ou des personnes responsables risque de faire conclure à son inadéquation (Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, 223, CEDH 2004-III).
325.  Ensuite, on peut considérer d'une manière générale qu'il est nécessaire, pour que l'enquête puisse passer pour « effective » au sens visé, que les personnes qui en sont responsables et celles effectuant les investigations soient indépendantes de celles impliquées dans les événements. Cela suppose non seulement l'absence de tout lien hiérarchique ou institutionnel mais également une indépendance pratique (Tahsin Acar, précité, § 222). Il y va de l'adhésion de l'opinion publique au monopole du recours à la force possédé par l'Etat.
i) Adéquation de l'enquête
326.  Les requérants font observer à bon droit que plusieurs examens techniques normalement effectués dans un cas tel celui de l'espèce n'ont pas été réalisés : ainsi, aucune tentative n'a été faite pour déterminer la trajectoire précise de la balle (chose qui, pour les requérants, aurait été possible) ; des traces résiduelles de tirs n'ont pas été recherchées sur les mains des agents Brons et Bultstra ; le dossier de l'enquête ne comporte aucun rapport d'un quelconque examen de l'arme de service de l'agent Brons, de ses munitions et de la cartouche usagée ; le rapport d'autopsie versé au dossier ne comportait aucun croquis ni aucune photographie montrant les blessures d'entrée et de sortie provoquées par la balle fatale ; et il n'y a pas eu de reconstitution de l'incident. Enfin, les agents Brons et Bultstra n'ont été interrogés que plusieurs jours après l'incident, dont ils ont ainsi eu l'occasion de discuter ensemble et avec d'autres.
327.  Il est vrai qu'aucune tentative ne fut faite pour établir la trajectoire de la balle. On peut se demander toutefois si celle-ci aurait pu être déterminée sur la base des informations disponibles : après avoir touché Moravia Ramsahai, la balle ne laissa aucune trace, hormis un carreau cassé (paragraphe 230 ci-dessus).
328.  La Cour estime par contre que les autres déficiences mises en exergue par les requérants ont affaibli l'adéquation de l'enquête. Sur ce point, ses conclusions diffèrent de celles de la chambre.
329.  La non-recherche de traces résiduelles de tirs sur les mains des agents Brons et Bultstra, la non-reconstitution de l'incident, l'apparente absence de tout examen des armes (paragraphe 236 ci-dessus) et munitions des fonctionnaires de police concernés et celle d'un descriptif adéquat des traumatismes causés au corps de Moravia Ramsahai par la balle fatale (paragraphe 224 ci-dessus) n'ont pas été expliqués.
330.  Qui plus est, les agents Brons et Bultstra n'ont pas été tenus séparés après l'incident et ils n'ont été interrogés que pratiquement trois jours plus tard (paragraphes 94 et 107 ci-dessus). Bien que – cela a déjà été noté – rien ne suggère qu'ils se soient entendus entre eux ou avec leurs collègues de la police d'Amsterdam/Amstelland, le simple fait que les démarches appropriées n'aient pas été entamées pour réduire le risque de pareille collusion s'analyse en une lacune importante affectant l'adéquation de l'enquête.
331.  Lesdits défauts ayant entaché l'enquête sont d'autant plus regrettables qu'en dehors des agents Brons et Bultstra eux-mêmes il n'y a aucun témoin qui a vu de près la scène du coup fatal. La Cour a déjà attiré l'attention sur l'incohérence qui existe entre les déclarations desdits agents, d'après lesquelles le coup fatal fut tiré par l'agent Brons, et celles des agents Braam et Van Daal, qui affirmèrent tous deux avoir entendu l'agent Bultstra indiquer qu'il avait tiré et qu'il avait besoin d'une ambulance (paragraphe 275 ci-dessus).
332.  En conséquence, il y a eu violation de l'article 2 de la Convention à raison du caractère inadéquat de l'enquête menée au sujet des circonstances ayant entouré le décès de Moravia Ramsahai.
ii)  Indépendance de l'enquête de police
333.  L'indépendance de l'Inspection générale de la police nationale n'a pas été remise en cause devant la Grande Chambre, qui n'aperçoit aucun motif de conclure différemment de la chambre sur ce point.
334.  En revanche, quinze heures et demie s'écoulèrent entre le décès de Moravia Ramsahai et l'intervention de l'Inspection générale de la police nationale dans l'enquête (paragraphe 89 ci-dessus). Aucune explication n'a été fournie pour ce délai.
335.  Nul n'a contesté que des parties essentielles de l'enquête, à savoir l'examen technique du lieu de l'incident, la recherche au porte-à-porte de témoins et l'audition initiale des témoins, y compris des policiers qui appartenaient eux aussi à la police d'Amsterdam/Amstelland, ont été menées par le corps de police même auquel les agents Brons et Bultstra appartenaient, la police d'Amsterdam/Amstelland (paragraphes 26-88 ci-dessus).
336.  Après que l'Inspection générale de la police nationale eut assumé la direction de l'enquête, d'autres investigations furent menées par la police d'Amsterdam/Amstelland, mais à la demande et sous la responsabilité de l'Inspection générale de la police nationale (paragraphe 89 ci-dessus).
337.  La Cour a conclu dans une affaire à la violation de l'article 2 considéré sous son aspect procédural au motif qu'une enquête au sujet d'un décès survenu dans des circonstances engageant la responsabilité de l'autorité publique avait été menée par les collègues directs des personnes soupçonnées d'être les responsables du décès (Aktaş, précité, § 301). Dans d'autres affaires, la Cour a jugé que la supervision par une autre autorité, quelque indépendante qu'elle fût, ne constituait pas une garantie suffisante d'indépendance de l'enquête (Hugh Jordan, précité, § 120, et McKerr, précité, § 128).
338.  S'il est vrai qu'obliger la police locale à demeurer passive jusqu'à l'arrivée d'enquêteurs indépendants risque d'entraîner la perte ou la destruction de preuves importantes, le Gouvernement n'a mis en exergue aucune circonstance spéciale qui en l'espèce exigeât de la police locale une action immédiate excédant la sécurisation des lieux. Il n'est toutefois pas nécessaire que la Cour se penche sur cette question dans l'abstrait.
339.  Qui plus est, dans une autre affaire concernant la même partie défenderesse portée devant la Cour, l'Inspection générale de la police nationale arriva quatre heures et demie après qu'un coup de feu fatal eut été tiré (Romijn c. Pays-Bas (déc.) no 62006/00, 3 mars 2005). De surcroît, ainsi que le ministre de la Justice l'a déclaré au Parlement, l'Inspection générale de la police nationale est capable, en moyenne, d'arriver sur les lieux en moins d'une heure et demie. Considéré à la lumière de ces éléments, un délai de pas moins de quinze heures et demie est inacceptable.
340.  Quant aux investigations menées par la police d'Amsterdam/Amstelland après l'intervention de l'Inspection générale de la police nationale, la Cour estime que le rôle joué par ce dernier service ne peut suffire à purger le vice résultant de l'absence d'indépendance de la police d'Amsterdam/Amstelland.
341.  A eux seuls, ces motifs sont suffisants pour amener la Cour à conclure à la violation de l'article 2 de la Convention à raison du caractère insuffisamment indépendant de l'enquête de police.
iii)  Le rôle du procureur
342.  L'enquête de police fut menée sous la supervision d'un procureur d'Amsterdam qui était spécifiquement responsable du travail effectué par les policiers du commissariat de la Flierbosdreef (paragraphe 89 ci-dessus). La décision de ne pas poursuivre l'agent Brons fut prise par le même procureur en vertu des pouvoirs qui lui avaient été délégués par le procureur en chef (paragraphe 237 ci-dessus).
343.  Aux Pays-Bas, le ministère public, même s'il ne jouit pas d'une totale indépendance judiciaire (paragraphe 250 ci-dessus), possède sa propre hiérarchie, distincte de celle de la police, et, pour les questions opérationnelles de droit pénal et pour l'administration de la justice, la police se trouve sous ses ordres (paragraphes 251 et 252 ci-dessus).
344.  Les procureurs s'appuient inévitablement sur la police pour obtenir informations et assistance. Cela ne suffit pas en soi pour justifier la conclusion qu'ils manquent d'indépendance à l'égard de la police. Des problèmes peuvent surgir, toutefois, si un procureur a une relation de travail étroite avec un corps de police particulier.
345.  En l'espèce, il eût été préférable que l'enquête fût supervisée par un procureur n'ayant aucun lien avec la police d'Amsterdam/Amstelland, spécialement eu égard à la participation de la police d'Amsterdam/Amstelland à l'enquête elle-même. Cela étant, il convient de tenir compte du degré d'indépendance du ministère public néerlandais et du fait que c'était le procureur en chef qui assumait la responsabilité ultime de l'enquête. De plus, il existait la possibilité, dont les requérants ont d'ailleurs fait usage, d'un contrôle par un tribunal indépendant.
346.  En conséquence, il n'y a pas eu violation de l'article 2 sur ce point.
c)  Participation des requérants
347.  La divulgation ou la publication de rapports de police et d'éléments concernant des enquêtes peut poser des problèmes sensibles et présenter des risques de conséquences préjudiciables pour des particuliers ou pour d'autres enquêtes. On ne saurait donc considérer comme une exigence découlant automatiquement de l'article 2 que les proches d'une victime puissent avoir accès à l'enquête tout au long de son déroulement. Le nécessaire accès du public ou des proches de la victime peut être conféré à d'autres stades des procédures disponibles (voir, parmi d'autres, McKerr, précité, § 129).
348.  La Cour estime que l'article 2 n'impose pas aux autorités d'enquête l'obligation de satisfaire à toute demande de mesure d'investigation pouvant être formulée par un proche de la victime au cours de l'enquête.
349.  La chambre a estimé que les requérants avaient bénéficié d'un accès aux informations produites par l'enquête à un degré suffisant pour leur permettre de participer de manière effective à la procédure visant à faire invalider la décision de ne pas poursuivre l'agent Brons. La Cour note que cette question n'a pas suscité un nouveau débat entre les parties devant la Grande Chambre, qui de son côté n'aperçoit aucun motif de statuer différemment de la chambre sur la question.
350.  En conséquence, il n'y a pas eu violation de l'article 2 à cet égard.
f)  Procédure suivie devant la cour d'appel
351.  Les discussions devant la Grande Chambre ont tourné autour de la question de savoir si la procédure suivie devant la cour d'appel et la décision rendue par celle-ci auraient dû revêtir un caractère public.
352.  La Cour examinera ci-dessous le point de savoir si l'article 6 s'applique à la procédure au titre de l'article 12 du code néerlandais de procédure pénale. Pour ce qui est de la problématique intéressant l'article 2, elle fait sien l'avis de la chambre selon lequel la procédure en question ne doit pas être assimilée à l'ouverture de poursuites. Il s'agit simplement, au travers de cette procédure, de contrôler le bien-fondé d'une décision de non-lieu à poursuivre.
353.  L'article 2 ne va pas jusqu'à exiger que l'ensemble des procédures consécutives à des enquêtes menées au sujet de décès violents revêtent un caractère public. Ainsi que la Cour l'a dit par exemple dans l'affaire Anguelova (paragraphe 122 ci-dessus), il s'agit de se demander si le public a un droit de regard suffisant sur l'enquête ou sur ses conclusions, de sorte qu'il puisse y avoir mise en cause de la responsabilité tant en pratique qu'en théorie, préservation de la confiance du public dans le respect par les autorités de la prééminence du droit et prévention de toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux. Il faut admettre à cet égard que le degré requis de contrôle du public peut varier d'une situation à l'autre.
354.  Se tournant vers les faits de l'espèce, la Cour considère avec la chambre que la procédure suivie devant la cour d'appel n'avait pas à revêtir un caractère public. Au rebours de la chambre, toutefois, elle estime que la décision de la cour d'appel n'avait pas davantage à être rendue publique. Les requérants ont pu avoir accès à l'intégralité du dossier d'enquête, ils ont pu participer de manière effective à l'audience devant la cour d'appel et ils se sont vu notifier une décision motivée. Il y avait donc très peu de chances qu'une quelconque autorité ayant eu à intervenir dans la cause pût avoir dissimulé des informations pertinentes à la cour d'appel ou aux requérants. De surcroît, dès lors que rien n'empêchait ceux-ci de rendre la décision publique eux-mêmes, la Grande Chambre estime que l'exigence de publicité a été satisfaite dans une mesure suffisante pour obvier au danger d'un éventuel étouffement de l'affaire par les autorités néerlandaises.
355.  En conséquence, il n'y a pas eu violation de l'article 2 relativement à la procédure suivie devant la cour d'appel.
e.  Conclusion
356.  La Cour a estimé que l'enquête menée au sujet du décès de Moravia Ramsahai n'avait pas respecté les standards applicables : elle a été entachée de défauts qui ont nui à son adéquation (paragraphe 332 ci-dessus) et une partie en a été effectuée par le corps de police même auquel les agents Brons et Bultstra appartenaient (paragraphe 341 ci-dessus). Dans cette mesure, il y a eu manquement à l'obligation procédurale imposée par l'article 2 de la Convention.
357.  Il n'y a en revanche eu violation de l'article 2 ni à raison du fait que l'enquête fut supervisée par le procureur sous l'autorité de laquelle les agents Brons et Bultstra et leurs collègues se trouvaient placés (paragraphe 346 ci-dessus), ni à raison des conditions dans lesquelles le requérant a eu accès à l'enquête (paragraphe 350 ci-dessus), ni à raison de l'absence de publicité de la procédure au titre de l'article 12 du code de procédure pénale, ni à raison de l'absence de publicité de la décision rendue par la cour d'appel le 26 avril 1999 (paragraphe 355 ci-dessus).
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
358.  La partie pertinente en l'espèce de l'article 6 de la Convention est ainsi libellée :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
1.  L'arrêt de la chambre
359.  La chambre a estimé qu'il ne s'agissait pas, dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 12 du code néerlandais de procédure pénale, de faire statuer sur des « droits et obligations de caractère civil » et que pareille procédure n'affectait pas la possibilité, pour la partie demanderesse, d'engager une action au civil. Elle a ainsi conclu que l'article 6 ne trouvait pas à s'appliquer sous son aspect civil. Elle a considéré par ailleurs que l'article 6 n'était pas davantage applicable sous son aspect pénal, son libellé lui-même (« contre elle ») faisant apparaître clairement qu'en matière pénale les garanties de ladite disposition protègent la personne sur laquelle pèsent les accusations.
2.  Décision de la Grande Chambre
360.  Ni les requérants ni le Gouvernement n'ont soumis le moindre argument sur ce point à la Grande Chambre, qui n'aperçoit aucun motif de statuer différemment de la chambre et conclut donc à l'inapplicabilité de l'article 6.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
361.  L'article 13 de la Convention est ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
1.  L'arrêt de la chambre
362.  Relevant que les griefs énoncés par les requérants sur le terrain de l'article 13 coïncidaient avec ceux formulés par eux sous l'angle de l'article 2 relativement à la procédure suivie, la chambre s'est limitée à ses conclusions concernant ces derniers. Elle a estimé qu'aucune question distincte ne se posait au regard de l'article 13.
2.  Décision de la Grande Chambre
363.  Comme la chambre, la Grande Chambre n'aperçoit aucune question distincte sur le terrain de l'article 13 de la Convention.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
364.  L'article 41 de la Convention est ainsi libellé :
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
1.  L'arrêt de la chambre
365.  La chambre a alloué aux requérants collectivement 20 000 euros (EUR) pour dommage moral.
2.  Prétentions des requérants
366.  Comme ils l'avaient fait devant la chambre, les requérants sollicitent une somme de 30 000 EUR pour dommage moral. Ils ne demandent rien pour dommage matériel.
367.  Le Gouvernement trouve la prétention des requérants excessive. Relevant que la violation constatée par la chambre revêtait seulement un caractère procédural, il estime par ailleurs que la somme allouée par la chambre est trop élevée.
3.  Décision de la Grande Chambre
368.  Statuant en équité, la Grande Chambre alloue aux requérants conjointement 20 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ou de taxe sur cette somme.
B.  Frais et dépens
1.  L'arrêt de la chambre
369.  La chambre a accordé aux requérants 8 000 EUR, moins la somme de 701 EUR qui leur avait déjà été versée par le Conseil de l'Europe dans le cadre de l'assistance judiciaire, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ou de taxe.
2.  Prétentions des requérants ; arguments devant la Grande Chambre
370.  Les requérants sollicitent une somme de 1 818,18 EUR, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comprise, pour les frais exposés par eux devant les juridictions internes, jusqu'à la décision rendue par la cour d'appel. Pour la procédure suivie devant la chambre, ils demandent une somme de 11 872,10 EUR, TVA comprise, moins la somme de 701 EUR leur ayant déjà été versée par le Conseil de l'Europe dans le cadre de l'assistance judiciaire.
371.  Ils sollicitent en outre une somme de 1 800 EUR pour les honoraires d'avocats dus pour la procédure suivie devant la Grande Chambre, plus 900 EUR pour les frais de voyage et de subsistance entraînés par la comparution devant celle-ci.
372.  Au total, les intéressés demandent donc une somme de 15 682,28 EUR, dont doivent être déduites les sommes accordées aux intéressés par le Conseil de l'Europe dans le cadre de l'assistance judiciaire, tant devant la chambre que devant la Grande Chambre.
373.  Le Gouvernement n'a formulé aucune observation au sujet de ces prétentions.
3.  Décision de la Grande Chambre
374.  La Grande Chambre confirme la décision de la chambre concernant les frais et dépens engagés dans la procédure jusqu'au prononcé de l'arrêt de la chambre.
375.  L'article 60 du règlement de la Cour dispose notamment :
2.  Sauf décision contraire du président de la chambre, le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond.
3. Si le requérant ne respecte pas les exigences décrites dans les paragraphes qui précèdent, la chambre peut rejeter tout ou partie de ses prétentions.
376.  Les prétentions des requérants concernant la procédure suivie devant la Grande Chambre ont été reçues après l'expiration du délai visé à l'article 60 § 2 du règlement. Aucune explication n'a été fournie pour le non-respect de ce délai. Aussi la Cour rejette-t-elle lesdites prétentions.
377.  Elle ne peut donc allouer une indemnité que pour les frais et dépens engagés jusques et y compris la procédure suivie devant la chambre. Elle juge raisonnable la somme allouée par la chambre à cet égard, à savoir 8 000 EUR, moins les 701 EUR déjà versés dans le cadre de l'assistance judiciaire. Il convient de noter par ailleurs que les requérants se sont aussi vu accorder le bénéfice de l'aide judiciaire pour la procédure suivie devant la Grande Chambre.
378.  La Cour accorde donc aux requérants 7 299 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ou de taxe sur cette somme.
C.  Intérêts moratoires
379.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, à l'unanimité, que le tir dirigé contre Moravia Ramsahai n'a pas emporté violation de l'article 2 de la Convention ;
2.  Dit, par treize voix contre quatre, qu'il y a eu violation de l'article 2 de la Convention à raison du caractère inadéquat de l'enquête menée au sujet du décès de Moravia Ramsahai ;
3.  Dit, par seize voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 2 de la Convention à raison du caractère insuffisamment indépendant de l'enquête menée au sujet du décès de Moravia Ramsahai ;
4.  Dit, par treize voix contre quatre, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention relativement à la position du procureur qui supervisait l'enquête menée par la police au sujet du décès de Moravia Ramsahai ;
5.  Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention relativement au degré de participation des proches de Moravia Ramsahai à l'enquête ;
6.  Dit, par quinze voix contre deux, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention relativement à la procédure suivie devant la cour d'appel ;
7.  Dit, par treize voix contre quatre, que l'article 6 de la Convention n'est pas applicable ;
8.  Dit, à l'unanimité, qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 13 de la Convention ;
9.  Dit, par seize voix contre une
a)  que l'Etat défendeur doit verser aux requérants conjointement, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i.  20 000 EUR (vingt mille euros) pour dommage moral ;
ii.  7 299 EUR (sept mille deux cent quatre-vingt-dix-neuf euros) pour frais et dépens ;
iii.  tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ou de taxe sur lesdites sommes ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
10.  Rejette à l'unanimité la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais et en français, et prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 15 mai 2007.
Jean-Paul Costa    Président   Michael O'Boyle   Greffier adjoint
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :
–  opinion partiellement dissidente commune à M. Rozakis, Sir Nicolas Bratza, M. Lorenzen et Mme Vajić ;
–  opinion partiellement dissidente commune à M. Costa, Sir Nicolas Bratza, M. Lorenzen et Mme Thomassen ;
–  opinion partiellement dissidente commune à M. Cabral Barreto et à Mmes Botoucharova, Mularoni et Jočienė ;
–  opinion partiellement dissidente commune à Mme Jočienė et à M. Popović ;
–  opinion partiellement dissidente de Mme Thomassen.
J.-P.C.  M.O.B.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE  À M. ROZAKIS, Sir Nicolas BRATZA, M. LORENZEN  ET Mme VAJIĆ, JUGES
(Traduction)
1.  Nous avons voté contre la conclusion de la majorité selon laquelle l'article 6 de la Convention n'était pas applicable en l'espèce.
2.  Devant la chambre, les requérants avaient défendu l'idée que les violations procédurales de l'article 2 avaient également emporté violation de l'article 6 de la Convention. La chambre a rejeté ce grief, estimant que l'article 6 était inapplicable tant sous son aspect civil que sous son aspect pénal. Devant la Grande Chambre, aucune des parties ne s'est exprimée sur le terrain de l'article 6. La majorité de la Grande Chambre a suivi la chambre et conclu à la non-applicabilité de l'article 6. Dès lors que le grief n'a pas été repris devant la Grande Chambre et qu'en tout état de cause il n'ajoute rien à celui déjà examiné sous l'angle de l'article 2, nous aurions préféré conclure simplement à l'absence de nécessité d'examiner la cause séparément sur le terrain de l'article 6.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE  À m. COSTA, Sir Nicolas BRATZA, M. LORENZEN  ET Mme THOMASSEN, JUGES
(Traduction)
1.  Nous ne pouvons souscrire à l'avis de la majorité de la Grande Chambre selon lequel il y a eu violation des exigences procédurales de l'article 2 de la Convention à raison du caractère inadéquat de l'enquête menée au sujet du décès de Moravia Ramsahai.
2.  Les principes régissant les exigences procédurales de l'article 2 sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour. Combinée avec le devoir général incombant à l'Etat en vertu de l'article 1 de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis dans la Convention, l'obligation de protéger le droit à la vie qu'impose l'article 2 de la Convention requiert, par implication, qu'une forme d'enquête officielle effective soit menée lorsque le recours à la force a entraîné mort d'homme. Pour qu'une enquête menée au sujet d'un homicide puisse passer pour « effective », la personne responsable des investigations doit être indépendante et impartiale, en droit comme en pratique. L'enquête doit en outre être « effective » en ce sens qu'elle doit être apte à permettre de déterminer si la force utilisée était justifiée dans les circonstances et d'identifier et châtier les responsables du décès dans le cas contraire. C'est ce dernier aspect de l'exigence d'« effectivité » (dont l'arrêt précise qu'il concerne l'« adéquation » de l'enquête) que la majorité de la Cour juge avoir été défaillant en l'espèce.
3.  Ainsi que la majorité le souligne dans son arrêt, l'obligation procédurale résultant de l'article 2 est une obligation non de résultat mais de moyens. Il ressort par ailleurs clairement de la jurisprudence de la Cour qu'une enquête peut satisfaire aux exigences d'effectivité ou d'adéquation découlant de la Convention même s'il n'a pas été démontré que toutes les mesures possibles d'investigation ont été prises. Une lacune ou une déficience dans une enquête n'emporte violation de l'obligation procédurale que si elle est de nature à affaiblir sa capacité à établir les faits entourant l'homicide ou la responsabilité des personnes en cause. Cette question s'apprécie à la lumière des circonstances particulières de l'espèce.
4.  Devant la Grande Chambre, les requérants se plaignaient de six déficiences dont les investigations de police technique et scientifique et autres menées au sujet du décès auraient été entachées : i) le fait que rien ne fut entrepris pour déterminer la trajectoire précise de la balle ; ii) la non-recherche de traces résiduelles de tirs sur les mains des agents Brons et Bultstra ; iii) l'absence dans le dossier de tout élément attestant de la réalisation d'un examen de l'arme de service de l'agent Brons, de ses munitions et de la cartouche usagée ; iv) l'absence dans le rapport  
d'autopsie versé au dossier de croquis ou de clichés photographiques montrant les blessures d'entrée et de sortie provoquées par la balle fatale ; v) la non-réalisation d'une reconstitution de l'incident ; et vi) le fait que les agents Brons et Bultstra n'ont été interrogés que plusieurs jours après l'incident, dont ils auraient ainsi eu l'occasion de discuter ensemble et avec d'autres.
5.  Tant la chambre que la Grande Chambre ont, à juste titre selon nous, rejeté la première critique des requérants au motif qu'il n'est pas certain que la trajectoire de la balle aurait pu être déterminée sur la base des informations disponibles : après avoir touché Moravia Ramsahai, elle ne laissa en effet aucune trace, hormis un carreau cassé.
6.  En ce qui concerne les autres déficiences alléguées, les conclusions de la Grande Chambre diffèrent de celles de la chambre. La majorité conclut en effet, sans plus de détails, que les défauts constatés n'ont pas été expliqués (paragraphe 329) et qu'ils ont « affaibli l'adéquation de l'enquête » (paragraphe 328).
7.  Si nous pouvons admettre que les examens techniques et scientifiques du type visé sous les points ii) et iii) ci-dessus ne sont pas seulement utiles en général mais constituent souvent un élément indispensable à l'effectivité de l'enquête lorsqu'il y a eu décès par balle, nous partageons l'avis de la chambre selon lequel, dans les circonstances particulières de la cause, l'absence de pareils examens n'a pas nui à l'adéquation de l'enquête. Malgré la discordance apparente entre les déclarations des deux policiers directement concernés et celles des agents Braam et Van Daal, à laquelle il est fait référence au paragraphe 231 de l'arrêt, il fut clairement établi au cours de l'enquête, et ce constat n'a jamais été remis en cause, qu'une balle seulement fut tirée au cours de l'incident fatal, qu'elle le fut par l'agent Brons et que l'arme de service de ce dernier, toujours chargée de sept balles sur un total possible de huit, fut remise au laboratoire judiciaire de Rijswijk avec une cartouche usagée (voir les paragraphes 234 à 238 et 263 de l'arrêt de la chambre). Dans ces conditions, nous n'apercevons pas clairement ce qu'un examen scientifique ou technique des mains des deux agents en cause ou de leurs armes aurait pu révéler.
8.  Une reconstitution sur les lieux d'un incident mortel peut également former un élément important d'une enquête effective, spécialement lorsqu'il y a ou qu'il peut y avoir eu plusieurs témoins oculaires de l'incident, pareille mesure étant de nature à rafraîchir ou à clarifier leur souvenir des événements. A l'instar de la chambre, nous estimons toutefois qu'eu égard aux circonstances particulières de l'espèce semblable reconstitution ne représentait pas, en l'occurrence, un élément indispensable de l'enquête et que sa non-réalisation n'a pas nui à l'adéquation de celle-ci.
9.  Quant à l'absence de croquis ou de clichés photographiques décrivant de manière adéquate le traumatisme causé au corps de Moravia Ramsahai par la balle fatale, elle ne semble pas avoir été expressément dénoncée par les requérants devant la chambre ; en tout cas l'arrêt de la chambre n'en parle pas. L'arrêt de la Grande Chambre indique de son côté (paragraphe 224) que « le rapport d'autopsie tel qu'il fut versé au dossier de l'enquête ne comportait en annexe ni croquis ni clichés photographiques ». Certes, mais cela ne signifie pas que le dossier d'enquête fût vide de toute preuve photographique. Ainsi que la chambre l'a précisé dans son arrêt (paragraphes 255-280), vingt-neuf photographies furent prises sur les lieux de l'incident, dont quatre du corps de Moravia Ramsahai. De surcroît, une description de la blessure par balle de la victime figurait tant dans les conclusions provisoires du médecin pathologiste (paragraphe 295 de l'arrêt de la chambre) que dans le rapport d'autopsie proprement dit (paragraphes 286-287 de l'arrêt de la Grande Chambre). S'il eût peut-être été souhaitable que les photographies de la blessure par balle de la victime fussent annexées au rapport d'autopsie, de manière à confirmer les conclusions du médecin pathologiste, nous ne pouvons considérer que leur non-incorporation audit rapport ait en aucune manière nui à l'effectivité de l'enquête.
10.  Le fait que les agents Brons et Bultstra n'aient pas été séparés après l'incident et qu'ils n'aient été interrogés que pratiquement trois jours après les faits est selon nous plus problématique. Si, comme on peut le lire dans l'arrêt de la chambre, rien n'indique qu'il y ait eu la moindre collusion entre ces deux agents eux-mêmes ou entre eux et d'autres policiers, il importait clairement, à notre sens, que des mesures fussent prises pour prévenir tout risque de collusion et que les dépositions des deux policiers concernés fussent recueillies à bref délai par une autorité indépendante de la police. Nous estimons toutefois que cette déficience a moins trait à l'adéquation de l'enquête dans son ensemble qu'au manque d'indépendance des investigations initiales de la police et au fait que l'Inspection générale de la police nationale n'a pas pris le contrôle de l'enquête dès que possible, aspect qui a conduit à un constat séparé de violation procédurale de l'article 2.
11.  Ayant examiné dans leur ensemble les mesures prises aux divers stades de l'enquête, lesquelles se trouvent résumées dans l'arrêt, nous ne pouvons souscrire à l'opinion de la majorité selon laquelle les déficiences en cause, qu'elles soient considérées individuellement ou cumulativement, ont nui à l'effectivité de l'enquête dans son ensemble ou l'ont rendue inadéquate. 
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE a M. Le JUGE CABRAL BARRETO et à Mmes LES JUGES BOTOUCHAROVA, MULARONI et JOČIENĖ
(Traduction)
1.  Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l'avis de la majorité concernant la position du procureur qui était chargé de superviser l'enquête de police au sujet du décès de Moravia Ramsahai (point 4 du dispositif).
2.  Nous observons que l'enquête de police fut menée sous la supervision d'un procureur d'Amsterdam qui était spécifiquement responsable du travail effectué par les policiers du commissariat de la Flieborsdreef. La décision de ne pas poursuivre l'agent Brons fut prise par le même procureur en vertu de pouvoirs qui lui avaient été délégués par le procureur en chef.
3.  Nous estimons nous aussi qu'il est inévitable que les procureurs s'appuient sur la police pour obtenir informations et assistance et que cela ne suffit pas en soi pour justifier la conclusion qu'ils manquent d'indépendance à l'égard de la police. Nous admettons également que des problèmes peuvent surgir si un procureur a une relation de travail étroite avec un corps de policiers particulier (paragraphe 344 de l'arrêt).
4.  La Cour a souligné dans de précédentes affaires l'importance d'une indépendance non seulement hiérarchique et institutionnelle mais également pratique (Mastromatteo c. Italie, GC, no 37703/97, § 91, CEDH 2002-VIII, Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, § 70, CEDH 2002-II).
5.  La Cour a estimé en l'espèce que l'enquête a manqué d'indépendance du fait que des parties importantes en ont été menées par les collègues directs des policiers impliqués dans le décès de Moravia Ramsahai (paragraphes 333-341 de l'arrêt). Nous estimons que la même conclusion devait être tirée du constat selon lequel l'enquête a été supervisée par le procureur même dont le commissariat de police de la Flierbosdreef, auquel appartenaient les agents Brons et Bultstra, relevait dans son activité quotidienne.
6.  En conséquence, nous estimons qu'il y a eu violation de l'article 2 de ce chef.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE  À Mme la JUGE JOČIENĖ ET à M. le juge POPOVIĆ
(Traduction)
1.  Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à la conclusion de la majorité selon laquelle il n'y a pas eu violation de l'article 2 de la Convention relativement à la procédure suivie devant la cour d'appel.
2.  Le recours formé par les requérants au titre de l'article 12 du code de procédure pénale fut examiné en chambre du conseil par un « juge délégué » (raadsheer-commissaris) le 1er mars 1999. Me Hamer formula des observations orales détaillées au nom du requérant. Il demanda notamment un ajournement des débats afin que pussent être versés au dossier le rapport officiel du procureur De Vries et les états de service de l'agent Brons (en particulier le détail des plaintes enregistrées contre ce policier).
3.  Le 26 avril 1999, la cour d'appel rejeta le recours formé par les requérants contre la décision de classement sans suite du procureur. Cette décision ne fut pas rendue publique.
4.  Ainsi qu'on l'a mentionné ci-dessus, l'audience devant la cour d'appel ne se tint pas en public. Nous admettons avec la Grande Chambre (paragraphe 353 de l'arrêt) que l'article 2 ne va pas jusqu'à exiger que l'ensemble des procédures consécutives à des enquêtes menées au sujet de décès violents revêtent un caractère public. Concernant ce point, nous pouvons suivre l'avis exprimé par la chambre dans son arrêt du 10 novembre 2005 (paragraphe 421) ainsi que la conclusion de la Grande Chambre (paragraphe 354) selon laquelle la procédure suivie devant la cour d'appel n'avait pas à revêtir un caractère public.
5.  Toutefois, lorsque nous analysons cet aspect de l'affaire, nous ne pouvons nous empêcher de partager les doutes des requérants mentionnés dans l'arrêt de la Grande Chambre (paragraphe 310) : « Quant à la procédure suivie devant la cour d'appel, elle n'aurait pas permis une participation des requérants suffisante pour la sauvegarde de leurs intérêts. [...] Par ailleurs, les requérants ne comprennent pas pourquoi la procédure ne pouvait pas être publique (...) ». Cela dit, nous pouvons souscrire à l'avis de la chambre (paragraphe 421 de l'arrêt) selon lequel une personne qu'il ne se justifie pas de renvoyer en jugement doit se voir épargner le désagrément d'être donnée en spectacle.
6.  En revanche, l'absence de publicité de la décision de la cour d'appel est une autre question. Le constat d'une violation concernant la procédure suivie devant la cour d'appel était pour nous l'aspect le plus important de l'affaire. Nous souscrivons totalement à l'avis exprimé par la chambre dans son arrêt du 10 novembre 2005 (paragraphe 422) : « Lorsqu'est rendue une décision aux termes de laquelle une personne investie de l'autorité publique et aux mains de laquelle un être humain a perdu la vie ne doit pas faire  
l'objet de poursuites pénales, l'article 2 exige que la décision puisse faire l'objet d'un contrôle public (voir Finucane c. Royaume-Uni, no 29178/95, § 79, CEDH 2003-VIII) ».
7.  Pour les mêmes motifs, il doit y avoir un élément suffisant de contrôle public de l'enquête ou de ses résultats pour que soit garantie en pratique comme en théorie la possibilité de faire rendre des comptes aux responsables. Le degré de contrôle public requis peut varier d'une situation à l'autre. Dans tous les cas, cependant, les proches de la victime doivent être associés à la procédure dans la mesure nécessaire à la sauvegarde des intérêts légitimes de la victime (Güleç c. Turquie, arrêt du 27 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, § 82 ; et McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, § 148, CEDH 2001-III, etc.).
8.  Nous tournant vers les faits de l'espèce, nous ne pouvons souscrire à ce que dit la Grande Chambre au paragraphe 354 de l'arrêt : « (...) la Cour considère avec la chambre que la procédure suivie devant la cour d'appel n'avait pas à revêtir un caractère public. [...] De surcroît, dès lors que rien n'empêchait [les requérants] de rendre la décision publique eux-mêmes, la Grande Chambre estime que l'exigence de publicité a été satisfaite dans une mesure suffisante pour obvier aux dangers d'un éventuel étouffement de l'affaire par les autorités néerlandaises. »
9.  Nous continuons à penser qu'une décision rapide et publique donnée par les autorités à l'issue d'une enquête au sujet d'un recours à la force létale est indispensable au maintien de la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux (voir, par exemple, Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, §§ 108 et 136-140, CEDH 2001-III). Nous estimons par ailleurs que l'on ne saurait faire peser sur les requérants la charge de rendre la décision publique. Dans une affaire aussi sensible, seule une décision publique est de nature à permettre aux personnes concernées de protéger de manière adéquate leurs intérêts légitimes, au besoin en attaquant la décision devant les tribunaux, et seule une décision publique peut exclure toute allusion négative concernant les actes accomplis par les autorités dans le cadre de l'examen d'une question d'une importance aussi cruciale. Nous faisons nôtre également la critique des requérants, exposée au paragraphe 309 de l'arrêt de la Grande Chambre, selon laquelle ils se sont vu dénier toute participation à l'enquête et tout accès au dossier et n'ont ainsi pu protéger leurs intérêts de manière adéquate.
10.  Nous estimons en conséquence qu'il y a eu violation de l'article 2 relativement à la procédure suivie devant la cour d'appel, et spécialement au fait que la décision de celle-ci ne fut pas rendue publique.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE  DE Mme La JUGE THOMASSEN
(Traduction)
1.  J'ai voté avec la majorité de la Grande Chambre sur tous les aspects de l'affaire sauf ceux concernant le volet procédural de l'article 2 de la Convention.
2.  Dans la mesure où le constat de violation auquel la Cour a abouti à cet égard se fonde sur l'inadéquation de l'enquête, je suis en désaccord avec la majorité de la Grande Chambre, pour les motifs exposés dans l'opinion partiellement dissidente commune aux juges Costa, Bratza, Lorenzen et moi-même.
3.  Je suis toutefois également en désaccord avec la conclusion de la majorité selon laquelle il y a eu violation de l'article 2 au motif que l'enquête n'a pas été menée avec l'indépendance requise.
4.  Si je considère moi aussi que l'Inspection générale de la police nationale aurait dû assumer plus tôt le contrôle de l'enquête et que les deux policiers concernés auraient dû être séparés et interrogés à un stade plus précoce, j'estime que la question de savoir si ces défauts ont emporté violation des obligations procédurales découlant de l'article 2 doit être appréciée à la lumière des circonstances particulières de l'espèce.
5.  Or, ainsi que la chambre l'a relevé à juste titre, rien n'indique qu'il y ait eu la moindre collusion entre les policiers concernés eux-mêmes. De surcroît, dès que l'Inspection générale de la police nationale eut pris le contrôle de l'enquête, plusieurs actes d'investigation qui avaient été accomplis par la police d'Amstelland furent refaits, puis une nouvelle enquête, fort détaillée, fut menée. Cette enquête permit à la cour d'appel, juridiction indépendante, d'établir les faits de la cause et de conclure que l'agent Brons avait agi en état de légitime défense. Elle permit de même à la Grande Chambre de dire, à l'unanimité, que l'article 2 n'avait pas été violé sous son aspect matériel.
6.  En d'autres termes, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, les défauts évoqués ci-dessus n'ont eu aucune incidence sur l'effectivité de l'enquête ni sur la conclusion de la Cour selon laquelle il n'y a pas eu de violation matérielle de l'article 2. Eu égard à l'ensemble des actes accomplis aux divers stades de l'enquête, on ne peut considérer que celle-ci, prise dans son ensemble, ait manqué d'effectivité. Aussi j'estime qu'il n'y a pas eu violation de l'article 2.
1.  Hindoustani : Surinamais (ou membre de la communauté surinamaise immigrée aux Pays-Bas) descendant de travailleurs sous contrat recrutés dans le sous-continent indien au XIXe siècle.
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS 
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS – OPINION    PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS – OPINION    PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS 
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS 
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS – OPINION PARTIELLEMENT    DISSIDENTE COMMUNE À Mme la JUGE JOČIENĖ ET à M. le juge POPOVIČ
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS – OPINION PARTIELLEMENT 
DISSIDENTE COMMUNE À Mme la JUGE JOČIENĖ ET à M. le juge POPOVIČ
ARRÊT RAMSAHAI ET AUTRES c. PAYS-BAS


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 52391/99
Date de la décision : 15/05/2007
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 2 ; Non-violation de l'art. 2 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 13 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention

Analyses

(Art. 2-1) VIE, (Art. 2-2) ABSOLUMENT NECESSAIRE, (Art. 2-2) RECOURS A LA FORCE, (Art. 6-1) ACCUSATION EN MATIERE PENALE


Parties
Demandeurs : RAMSAHAI ET AUTRES
Défendeurs : PAYS-BAS

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-05-15;52391.99 ?
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