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13/11/2007 | CEDH | N°57325/00

CEDH | AFFAIRE D.H. ET AUTRES c. REPUBLIQUE TCHEQUE


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête no 57325/00)
ARRÊT
STRASBOURG
13 novembre 2007
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire D.H. et autres c. République tchèque,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   MM. B.M. Zupančič,    R. Türmen,    K. Jungwiert,    J. Casadevall,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. K. Traja,    V. Zagrebelsky,   Mme E. Stei

ner,   M. J. Borrego Borrego,   Mme A. Gyulumyan,   MM. K. Hajiyev,    D. Spielmann,    S.E. Jebens,    J. ...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête no 57325/00)
ARRÊT
STRASBOURG
13 novembre 2007
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire D.H. et autres c. République tchèque,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Sir Nicolas Bratza, président,   MM. B.M. Zupančič,    R. Türmen,    K. Jungwiert,    J. Casadevall,   Mme M. Tsatsa-Nikolovska,   MM. K. Traja,    V. Zagrebelsky,   Mme E. Steiner,   M. J. Borrego Borrego,   Mme A. Gyulumyan,   MM. K. Hajiyev,    D. Spielmann,    S.E. Jebens,    J. Šikuta,   Mme I. Ziemele,   M. M. Villiger, juges,  et de M. M. O'Boyle, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 17 janvier 2007 et 19 septembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 57325/00) dirigée contre la République tchèque et dont dix-huit ressortissants de cet Etat (« les requérants » – leurs coordonnées figurent en annexe) ont saisi la Cour le 18 avril 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants ont été représentés devant la Cour par le Centre européen pour les droits des Roms sis à Budapest, par Lord Lester of Herne Hill, Q.C., avocat, par Me J. Goldston, membre du barreau de New York, et par Me D. Strupek, avocat au barreau tchèque. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm.
3.  Les requérants alléguaient en particulier avoir subi une discrimination dans la jouissance de leur droit à l'instruction en raison de leur race ou de leur origine ethnique.
4.  La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Le 1er mars 2005, après une audience portant à la fois sur les questions de recevabilité et sur celles de fond (article 54 § 3 du règlement), la requête a été déclarée partiellement recevable par ladite chambre.
6.  Le 7 février 2006, la chambre, composée de M. J.-P. Costa, président, M. A.B. Baka, M. I. Cabral Barreto, M. K. Jungwiert, M. V. Butkevych, Mme A. Mularoni et Mme D. Jočienė, juges, ainsi que de Mme S. Dollé, greffière de section, a rendu son arrêt concluant, par six voix contre une, à la non-violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1.
7.  Le 5 mai 2006, les requérants ont sollicité le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre en vertu de l'article 43 de la Convention. Le 3 juillet 2006, un collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
8.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Lors des délibérations finales, MM K. Traja et J. Casadevall, suppléants, ont remplacé MM. C. Rozakis et P. Lorenzen, empêchés (article 24 § 3 du règlement).
9.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur le fond de l'affaire. Des observations ont également été reçues des organisations non gouvernementales International STEP by STEP Association, Roma Education Fund et European Early Childhood Research Association, Interights et Human Rights Watch, Minority Rights Group International, European Network Against Racism et European Roma Information Office, ainsi que de la Fédération internationale des ligues des Droits de l'Homme. Le président les avait toutes autorisées à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement). Le Gouvernement a répondu à ces commentaires (article 44 § 5 du règlement).
10.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 17 janvier 2007 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. V.A. Schorm,  agent,  Mmes M. Kopsová,     Z. Kaprová,    J. Zapletalová,
MM. R. Barinka,
P. Konůpka, conseils ;
–  pour les requérants  Lord Lester of Herne Hill, Q.C., avocat,  Mes J. Goldston, avocat,   D. Strupek, avocat, conseils.
La Cour a entendu en leurs déclarations Lord Lester of Herne Hill, Mes Goldston et Strupek, ainsi que M. Schorm.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
11.  Des renseignements concernant l'identité et le lieu de résidence des requérants figurent en annexe.
A.  Le contexte historique
12.  D'après les documents disponibles sur le site internet de la Division des Roms et des Gens du voyage du Conseil de l'Europe, les Roms sont originaires des régions situées entre le Nord-Ouest de l'Inde et le plateau iranien. Les premières traces écrites de leur arrivée en Europe remontent au XIVe siècle. Aujourd'hui, on compte de huit à dix millions de Roms en Europe. Ils sont présents dans la quasi-totalité des Etats membres du Conseil de l'Europe ; dans certains pays d'Europe centrale et orientale, ils représentent plus de 5 % de la population. Ils parlent pour la plupart le romani, langue indo-européenne comprise par une très grande partie des Roms d'Europe, en dépit de ses nombreuses variantes. En général, les Roms parlent aussi la langue dominante de la région dans laquelle ils vivent, voire plusieurs langues.
13.  Même s'ils sont présents en Europe depuis le XIVe siècle, les Roms ne sont bien souvent pas reconnus par les sociétés majoritaires comme un peuple européen à part entière. Ils ont souffert, tout au long de leur histoire, de rejet et de persécutions, qui culminèrent avec la tentative d'extermination perpétrée par les nazis, lesquels considéraient les Roms comme une race inférieure. Ce rejet séculaire a aujourd'hui pour résultat que les Roms vivent bien souvent dans des conditions très difficiles, fréquemment en marge des sociétés des pays dans lesquels ils se sont installés et que leur participation à la vie publique est extrêmement limitée.
14.  En République tchèque, les Roms bénéficient du statut de minorité nationale, ce qui leur confère des droits spécifiques propres aux minorités nationales. C'est le Conseil chargé des minorités nationales, organe consultatif du gouvernement tchèque sans compétence exécutive, qui a pour tâche de défendre les intérêts des minorités nationales et donc ceux de la minorité rom.
Quant au nombre actuel de Roms en République tchèque, il existe un décalage entre les statistiques officielles basées sur le recensement et les estimations. Selon ces dernières, disponibles sur le site internet du Conseil du gouvernement tchèque chargé des minorités nationales, on compterait aujourd'hui de 150 000 à 300 000 personnes appartenant à la minorité rom.
B.  Les écoles spéciales
15.  D'après les informations fournies par le gouvernement tchèque, les écoles spéciales (zvláštní školy) furent créées après la Première Guerre mondiale pour les enfants ayant besoin d'une attention particulière, dont les enfants ayant un handicap mental mais aussi social. Le nombre d'élèves placés dans ces écoles est allé croissant (passant de 23 000 en 1960 à 59 301 en 1988). Etant donné les exigences des écoles primaires (základní školy) et la sélection qui en résultait, la plupart des enfants roms fréquentaient avant 1989 les écoles spéciales.
16.  D'après la loi no 29/1984 sur les écoles, applicable dans la présente affaire, les écoles spéciales constituaient une catégorie d'écoles spécialisées (speciální školy) et étaient destinées aux enfants présentant des déficiences mentales, qui ne pouvaient pas être formés dans des écoles primaires « ordinaires » ou spécialisées. En vertu de ladite loi, l'orientation vers un tel établissement était décidée par le directeur de l'école, sur la base des résultats d'un test des capacités intellectuelles de l'enfant effectué dans un centre de conseil psychopédagogique, et sous réserve du consentement du représentant légal de l'enfant.
17.  A la suite du passage à l'économie de marché dans les années 1990, le système des écoles spéciales en République tchèque connut de nombreux changements, qui eurent des répercussions également sur l'éducation des élèves roms. En 1995, le ministère de l'Education élabora une instruction prévoyant des cours complémentaires pour les élèves ayant terminé leur scolarité obligatoire dans une école spéciale. Depuis l'année scolaire 1996/1997, des classes préparatoires, destinées aux enfants provenant d'un milieu social défavorisé, sont ouvertes auprès des écoles maternelles, primaires et spéciales. En 1998, le ministère de l'Education approuva un programme éducatif alternatif pour les élèves d'origine rom placés dans les écoles spéciales. Des assistants d'enseignement roms furent également affectés à des écoles primaires et spéciales afin de seconder les enseignants et de faciliter leur communication avec les familles. En vertu de l'amendement no 19/2000 à la loi sur les écoles, entré en vigueur le 18 février 2000, les élèves ayant accompli leur scolarité obligatoire dans une école spéciale pouvaient aussi être admis à étudier dans les établissements d'enseignement secondaire, sous réserve de satisfaire aux conditions d'admission prévues pour la formation choisie.
18.  Selon les données fournies par les requérants et ressortant des réponses aux questionnaires adressés en 1999 aux directeurs des écoles spéciales (au nombre de huit) et primaires (au nombre de soixante-neuf) de la ville d'Ostrava, le nombre total des élèves placés dans les écoles spéciales à Ostrava s'élevait à 1 360, dont 762 (à savoir 56 %) étaient roms. En revanche, les Roms ne représentaient que 2,26 % du nombre total des 33 372 élèves fréquentant les écoles primaires d'Ostrava. De plus, alors que seulement 1,8 % des élèves non roms étaient inscrits dans les écoles spéciales, le pourcentage des Roms d'Ostrava orientés vers ces écoles s'élevait à 50,3 %. Ainsi, un enfant rom à Ostrava aurait eu 27 fois plus de chances de se retrouver dans une école spéciale qu'un enfant non rom.
D'après les données recueillies par l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (désormais l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne), plus de la moitié des enfants roms en République tchèque fréquentent des écoles spéciales.
Le comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales observe dans son rapport du 26 octobre 2005 que, selon des estimations non officielles, les Roms représentent jusqu'à 70 % des élèves inscrits dans les écoles spéciales.
Enfin, d'après une comparaison de données recueillies par l'OCDE en 1999 concernant quinze pays, parmi lesquels des pays européens, asiatiques et nord-américains (comparaison citée dans les observations présentées par International STEP by STEP Association, Roma Education Fund et European Early Childhood Research Association)1, la République tchèque se serait classée au deuxième rang pour le placement, dans les écoles spéciales, des enfants présentant des déficiences organiques et au troisième pour la scolarisation, dans des établissements spéciaux, des enfants ayant des difficultés d'apprentissage. Par ailleurs, parmi les huit pays ayant fourni des informations sur la scolarisation des enfants dont les difficultés trouvent leur source dans des facteurs sociaux, la République tchèque serait la seule à avoir recours à des écoles spéciales ; les autres pays s'en remettraient presque exclusivement aux écoles ordinaires pour l'éducation de ces enfants.
C.  Les faits de l'espèce
19.  Entre 1996 et 1999, les requérants furent inscrits dans des écoles spéciales à Ostrava, directement ou après un certain temps passé dans des établissements d'enseignement primaire.
20.  Il ressort du dossier que les parents des requérants avaient consenti à l'orientation de leurs enfants vers une école spéciale, voire avaient expressément demandé une telle mesure. Le consentement avait été exprimé par l'apposition d'une signature sur un formulaire prérempli. Dans le cas des requérants mentionnés sous les numéros 12 et 16, les dates figurant sur les formulaires sont postérieures à celles des décisions par lesquelles les intéressés furent placés dans les écoles spéciales ; dans les deux cas, cette date est corrigée au crayon, une fois avec une note de l'institutrice invoquant une erreur de frappe.
Le placement fut ensuite décidé par les directeurs des écoles spéciales concernées, qui se référaient aux recommandations émanant des centres de conseil psychopédagogique dans lesquels les requérants avaient subi des tests psychologiques. Les dossiers scolaires contiennent un rapport dudit examen, avec les résultats des tests commentés par l'examinateur, des dessins faits par les intéressés et, dans plusieurs cas, un questionnaire destiné aux parents.
Les décisions écrites sur ledit placement furent notifiées aux parents des requérants. Elles contenaient une instruction sur la possibilité de faire appel, dont aucun des intéressés ne se prévalut.
21.  Par ailleurs, le 29 juin 1999, les requérants reçurent une lettre des autorités scolaires les informant des possibilités de passer d'une école spéciale à une école primaire. Il semble que quatre d'entre eux (mentionnés en annexe sous les numéros 5, 6, 11 et 16) aient réussi les tests d'aptitude et fréquenté ensuite des écoles ordinaires.
22.  Dans la procédure portant sur les recours ci-après, les requérants furent représentés par un avocat agissant en vertu d'une procuration signée par leurs parents.
1.  Le recours en réexamen en dehors de la procédure d'appel
23.  Le 15 juin 1999, les requérants, à l'exception de ceux mentionnés en annexe sous les numéros 1, 2, 10 et 12, adressèrent à l'office des écoles (Školský úřad) d'Ostrava une demande tendant à un réexamen, en dehors de la procédure d'appel (přezkoumání mimo odvolací řízení), des décisions administratives relatives à leur placement dans des écoles spéciales. Ils soutenaient que leurs capacités intellectuelles n'avaient pas été testées de façon fiable et que leurs représentants n'avaient pas été suffisamment informés des conséquences de leur consentement au placement dans des écoles spéciales ; ils demandaient donc l'annulation des décisions attaquées, alléguant que celles-ci n'avaient pas satisfait aux exigences de la loi et portaient atteinte à leur droit à l'instruction sans discrimination.
24.  Le 10 septembre 1999, l'office des écoles fit savoir aux requérants que, les décisions attaquées étant conformes à la législation, les conditions pour entamer une procédure en dehors de l'instance d'appel n'étaient pas réunies en l'espèce.
2.  Le recours constitutionnel
25.  Le 15 juin 1999, les requérants mentionnés en annexe sous les numéros 1 à 12 introduisirent un recours constitutionnel. Ils se plaignaient notamment d'être soumis à une discrimination de facto découlant du fonctionnement général du système d'éducation spéciale ; à cet égard, ils invoquaient entre autres les articles 3 et 14 de la Convention et l'article 2 du Protocole no 1. Tout en admettant ne pas avoir interjeté appel contre les décisions relatives à leur placement dans des écoles spéciales, les requérants alléguaient ne pas avoir été suffisamment informés des conséquences d'un tel placement et soutenaient (quant à la condition de l'épuisement des voies de recours) qu'il s'agissait en l'espèce d'une situation de violation continue et que l'enjeu du recours dépassait largement leurs intérêts propres.
Dans leur recours, les requérants soulignaient que leur placement dans des écoles spéciales avait été effectué conformément à une pratique établie quant à l'application des dispositions légales pertinentes, qui avait selon eux pour conséquence une ségrégation et une discrimination raciales de facto se traduisant par l'existence de deux systèmes scolaires autonomes pour les membres de différents groupes raciaux, à savoir les écoles spéciales pour les Roms et les écoles primaires « ordinaires » pour la population majoritaire. Les intéressés soutenaient que cette différence de traitement ne reposait sur aucune justification objective et raisonnable, constituait un traitement dégradant, et les privait du droit à l'instruction (du fait du plus faible niveau du programme suivi dans les écoles spéciales, et de l'impossibilité de retourner dans une école primaire et de poursuivre des études secondaires autrement que dans un centre d'apprentissage). Se considérant victimes d'un déficit d'éducation et d'une atteinte à la dignité, les requérants demandaient à la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) de constater la violation des droits invoqués par eux, d'annuler les décisions relatives à leur placement dans des écoles spéciales, d'interdire aux défendeurs (écoles spéciales concernées, office des écoles d'Ostrava et ministère de l'Education) de continuer à violer leurs droits, et de leur ordonner de rétablir le statu quo ante en offrant aux enfants concernés une formation compensatoire.
26.  Dans les mémoires qu'elles déposèrent à la Cour constitutionnelle, les écoles spéciales concernées soulignaient que tous les requérants avaient été inscrits sur la base de la recommandation d'un centre de conseil psychopédagogique et avec le consentement de leurs représentants, et que ces derniers s'étaient vu dûment notifier les décisions correspondantes, dont aucun n'avait fait appel. Selon ces écoles, les représentants des requérants avaient été informés des différences entre le programme des écoles spéciales et celui des écoles primaires, et l'appréciation des élèves (en vue d'un éventuel passage dans une école primaire) faisait l'objet de réunions pédagogiques régulières. Il était noté par ailleurs que certains requérants (à savoir ceux mentionnés en annexe sous les numéros 5 à 11) avaient été avertis de la possibilité d'un placement dans une école primaire.
L'office des écoles observait dans son mémoire que les écoles spéciales avaient une personnalité juridique propre, que les décisions attaquées contenaient une instruction quant à la possibilité d'interjeter appel et que les requérants n'avaient jamais contacté les autorités de l'inspection scolaire.
Le ministère de l'Education contesta toute discrimination et rappela l'attitude plutôt négative des parents des enfants roms à l'égard du travail scolaire. Il affirma que le placement de chaque élève dans une école spéciale était précédé d'un bilan des capacités intellectuelles de l'intéressé et que le consentement des parents revêtait une importance décisive ; il nota par ailleurs qu'il y avait dans les écoles d'Ostrava dix-huit assistants pédagogiques d'origine rom.
27.  Dans leur mémoire final, les requérants observaient que rien dans leurs dossiers scolaires ne témoignait d'un suivi régulier en vue de leur passage éventuel dans une école primaire, que les rapports des centres de conseil psychopédagogique ne contenaient aucune information sur les tests utilisés et que leurs recommandations quant au placement dans une école spéciale se fondaient sur plusieurs critères tels qu'une maîtrise insuffisante de la langue tchèque, l'attitude trop tolérante des parents, un milieu social inadapté, etc. Ils soutenaient également que leur déficit d'éducation rendait tout passage dans une école primaire pratiquement impossible et que les dissemblances sociales ou culturelles ne pouvaient pas justifier la différence de traitement alléguée.
28.  Le 20 octobre 1999, la Cour constitutionnelle rejeta le recours des requérants, en partie pour défaut manifeste de fondement et en partie en raison de son incompétence. Elle invita néanmoins les autorités administratives compétentes à étudier les propositions des requérants de manière approfondie et effective.
a)  Quant au grief concernant la violation des droits des intéressés à raison de leur placement dans des écoles spéciales, la Cour constitutionnelle observa que seules cinq décisions étaient concrètement visées par le recours, et estima donc qu'elle n'était pas compétente pour statuer sur le cas des requérants qui n'avaient pas attaqué les décisions en question.
Pour ce qui est des cinq requérants (mentionnés en annexe sous les numéros 1, 2, 3, 5 et 9) ayant attaqué les décisions relatives à leur placement dans des écoles spéciales, la Cour constitutionnelle décida de passer outre au fait qu'ils n'avaient pas interjeté appel de ces décisions, considérant que le recours dépassait effectivement leurs intérêts propres. Selon la Cour, il ne ressortait cependant pas du dossier que les dispositions légales pertinentes eussent été interprétées ou appliquées de façon anticonstitutionnelle, étant donné que les décisions concernées avaient été rendues par les directeurs compétents, sur la base des recommandations des centres de conseil psychopédagogique et avec le consentement des représentants des requérants.
b)  En ce qui concerne les griefs relatifs à un suivi scolaire insuffisant et à la discrimination raciale, la juridiction constitutionnelle nota qu'elle n'avait pas à apprécier le contexte social global et que les requérants n'avaient pas étayé leurs allégations par des preuves concrètes. Elle releva également que les décisions de placer les requérants dans des écoles spéciales étaient susceptibles d'appel, et que les intéressés ne s'étaient pas prévalus de cette possibilité. Quant à l'objection concernant le manque d'information sur les conséquences du placement dans des écoles spéciales, elle estima que les représentants des requérants auraient pu obtenir ces renseignements en coopérant avec les écoles et qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils avaient manifesté un intérêt pour un passage éventuel dans des écoles primaires. Cette partie de la requête fut donc jugée manifestement mal fondée.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  La loi no 29/1984 (dite « loi sur les écoles »), abrogée par la loi no 561/2004 entrée en vigueur le 1er janvier 2005
29.  Avant le 18 février 2000, l'article 19 § 1 énonçait que pouvaient être admis à étudier dans les établissements d'enseignement secondaire les élèves ayant accompli avec succès leur scolarité dans une école primaire.
A la suite de l'amendement no 19/2000, entré en vigueur le 18 février 2000, l'article 19 § 1 modifié disposait que pouvaient être admis à étudier dans les écoles secondaires les élèves ayant accompli leur scolarité obligatoire et ayant prouvé lors de la procédure d'admission qu'ils satisfaisaient aux conditions prévues pour la formation choisie.
30.  Aux termes de l'article 31 § 1, les écoles spéciales étaient destinées aux enfants présentant des déficiences mentales (rozumové nedostatky) telles qu'elles les empêchaient de suivre l'enseignement dispensé par une école primaire ordinaire ou par une école primaire spécialisée (speciální základní škola) destinée aux enfants malades, handicapés ou ayant des déficiences sensorielles.
B.  La loi no 561/2004 (dite « loi sur les écoles »)
31.  Cette nouvelle loi sur les écoles ne prévoit plus les écoles spéciales telles qu'elles existaient avant son entrée en vigueur. Désormais, l'enseignement élémentaire est dispensé par les écoles primaires et par les écoles primaires spécialisées, ces dernières étant destinées aux élèves souffrant d'un handicap mental grave ou de plusieurs handicaps et aux élèves autistes.
32.  L'article 16 contient les dispositions relatives à l'éducation des enfants ayant en la matière des besoins spécifiques. D'après le paragraphe 1, il s'agit d'enfants qui présentent un handicap, ou qui sont défavorisés du point de vue de la santé ou sur le plan social. En vertu de l'article 16 § 4, est considéré comme défavorisé sur le plan social aux fins de cette loi notamment un enfant issu d'un milieu familial de faible niveau socioculturel et exposé à des phénomènes sociaux pathologiques. Selon le paragraphe 5 de cet article, l'existence de besoins éducatifs spécifiques est déterminée par un centre d'orientation scolaire.
33.  D'autres dispositions de cette loi prévoient des mesures telles que les assistants pédagogiques, un programme éducatif individuel, des classes préparatoires destinées aux enfants défavorisés sur le plan social avant le début de leur scolarité obligatoire, et des cours complémentaires pour ceux qui n'ont pas terminé l'enseignement élémentaire.
C.  Le décret no 127/1997 sur les écoles spécialisées, abrogé par le décret no 73/2005 entré en vigueur le 17 février 2005
34.  Selon l'article 2 § 4, étaient destinés aux élèves ayant un handicap mental les écoles maternelles spécialisées (speciální mateřské školy), les écoles spéciales, les écoles auxiliaires (pomocné školy), les centres d'apprentissage (odborná učiliště) et les écoles pratiques (praktické školy).
35.  Aux termes de l'article 6 § 2, s'il survenait au cours de la scolarité de l'élève un changement dans la nature de son handicap ou si l'école spécialisée ne correspondait plus au degré de ce handicap, le directeur de l'école fréquentée par l'intéressé était tenu, après un entretien avec le représentant de l'élève, de proposer l'orientation de cet élève vers une autre école spécialisée ou un établissement ordinaire.
36.  L'article 7 § 1 disposait que la décision relative à l'orientation ou la réorientation d'un élève vers, notamment, une école spéciale était prise par le directeur de l'école, sous réserve du consentement du représentant légal de l'enfant. Selon le paragraphe 2, la proposition de placement d'un élève dans, notamment, une école spéciale pouvait être présentée au directeur par le représentant légal de l'enfant, l'école que l'élève fréquentait, le centre de conseil psychopédagogique, un établissement de santé, les autorités pour la famille et les enfants, un centre de soins sociaux, etc. En vertu de l'article 7 § 3, dans le cas où l'élève n'était pas placé dans une école spéciale, le directeur notifiait cette décision au représentant légal de l'intéressé, ainsi qu'à l'autorité scolaire compétente ou à la commune de résidence de l'élève. Après avoir consulté les autorités de la commune, l'autorité scolaire faisait une proposition quant à l'école dans laquelle l'enfant devrait accomplir sa scolarité obligatoire. Le paragraphe 4 de l'article 7 disposait que le centre de conseil psychopédagogique rassemblait tous les documents nécessaires à la décision et soumettait une proposition au directeur quant au placement de l'élève dans le type d'école approprié.
D.  Le décret no 73/2005 sur l'éducation des enfants, élèves et étudiants ayant des besoins éducatifs spécifiques et des enfants, élèves et étudiants surdoués
37.  Aux termes de l'article 1, l'éducation des élèves et étudiants ayant en la matière des besoins spécifiques est assurée à l'aide de mesures de soutien, lesquelles vont au-delà des mesures pédagogiques et organisationnelles individuelles mises en œuvre dans les écoles ordinaires ou s'en distinguent.
38.  L'article 2 énonce que l'éducation spéciale est dispensée aux enfants dont les besoins éducatifs spécifiques ont été établis au moyen d'un examen pédagogique ou psychologique effectué dans un centre d'orientation scolaire, si l'ampleur et la gravité de ces besoins justifient de soumettre ces élèves au régime d'éducation spéciale.
E.  La pratique interne à l'époque des faits
1.  L'examen psychologique
39.  L'examen des capacités intellectuelles effectué dans un centre de conseil psychopédagogique, sous réserve du consentement du représentant légal de l'enfant, n'était ni obligatoire ni automatique. La recommandation de faire subir un tel examen à un enfant venait en général des enseignants présents au moment de la première inscription de l'intéressé à l'école, ou des enseignants constatant des échecs chez l'enfant fréquentant une école primaire ordinaire, ou encore des médecins pédiatres.
40.  Selon les requérants, qui citent des experts en la matière, les tests les plus courants semblent être des variantes de l'« Echelle d'intelligence de Wechsler pour enfants – Troisième édition » (Wechsler Intelligence Scale for Children (PDW et WISC III) et le « Test d'intelligence Stanford-Binet » (Stanford-Binet Intelligence test). S'appuyant sur diverses opinions, dont celles de plusieurs enseignants et psychologues ainsi que du directeur du département des écoles spéciales au ministère de l'Education tchèque (en fonction en février 1999), les intéressés affirment que les tests utilisés n'étaient ni objectifs ni fiables car ils avaient été conçus uniquement pour les enfants tchèques, sans avoir été récemment standardisés ou validés aux fins de l'examen des enfants roms. De plus, aucune mesure n'avait été mise en place en vue de permettre aux enfants roms de surmonter, lors de l'examen, leurs obstacles culturels et linguistiques et il n'y avait pas eu de directives limitant les éléments discrétionnaires dans les modalités de ces tests et dans l'interprétation de leurs résultats. Les requérants attirent l'attention également sur le rapport de 2002 de l'Inspection scolaire tchèque, qui relevait que des enfants sans déficiences mentales significatives continuaient d'être placés dans des écoles spéciales.
41.  Dans le rapport soumis par la République tchèque, le 1er avril 1999, conformément à l'article 25 § 1 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, il est noté que les tests psychologiques « sont conçus pour la population majoritaire et ne tiennent pas compte des particularités des Roms ».
Le comité consultatif de ladite Convention a indiqué dans son premier avis sur la République tchèque, rendu public le 25 janvier 2002, que, bien que les écoles spéciales fussent destinées aux enfants présentant un handicap mental, il semblait que beaucoup d'enfants roms ne souffrant pas d'un tel handicap fussent placés dans ces établissements, en raison d'une différence linguistique ou culturelle réelle ou supposée par rapport à la majorité. Le comité a souligné que « la scolarisation d'enfants dans de tels établissements devrait intervenir uniquement en cas d'absolue nécessité, et après réalisation de tests méthodiques, objectifs et approfondis ».
Dans son deuxième avis sur la République tchèque, rendu public le 26 octobre 2005, le comité consultatif a observé : « les autorités ont déjà procédé à la révision des tests utilisés pour évaluer le niveau des aptitudes intellectuelles des enfants au début de leur scolarité, ainsi que la méthodologie afférente, de manière à éviter leur utilisation abusive, au détriment des enfants roms ». Il a cependant noté avec inquiétude que « les correctifs apportés aux tests psychologiques utilisés dans ce contexte n'ont pas eu de conséquences notables. Selon des estimations non officielles, les Roms représentent jusqu'à 70 % des élèves inscrits dans les écoles spéciales, ce qui, si l'on prend en considération le pourcentage que les Roms représentent au sein de la population, soulève des interrogations quant au bien-fondé des tests en question ou à la méthodologie afférente. »
42.  Dans son rapport sur la République tchèque, rendu public le 21 mars 2000, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) relève que l'orientation des enfants roms vers la filière des écoles spéciales est apparemment souvent quasi automatique. Selon l'ECRI, les mauvais résultats obtenus par ces enfants lors des tests d'aptitude préscolaires pourraient s'expliquer par le fait que, en République tchèque, la plupart des enfants roms ne sont pas scolarisés en école maternelle. L'ECRI considère par conséquent qu'il faut étudier avec attention l'orientation des enfants roms vers des établissements spéciaux destinés aux enfants souffrant de retards mentaux, afin de vérifier que les tests utilisés sont équitables et que les véritables capacités de chaque enfant sont évaluées correctement.
Le rapport suivant concernant la République tchèque, rendu public par l'ECRI en juin 2004, note que le test visant à évaluer le niveau mental des enfants, élaboré par le ministère tchèque de l'Education, n'est pas obligatoire et ne représente qu'une partie de l'ensemble des moyens et des méthodes recommandés aux centres de conseil psychopédagogique.
43.  Dans son rapport final sur la situation en matière de droits de l'homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en Europe, daté du 15 février 2006, le Commissaire aux Droits de l'Homme constate qu' « il est fréquent que les enfants roms soient placés dans des classes pour enfants ayant des besoins spéciaux, sans évaluation psychologique ou pédagogique adéquate, les critères réels étant leur origine ethnique ».
44.  Selon les observations présentées par International STEP by STEP Association, Roma Education Fund et European Early Childhood Research Association, les pays de l'Europe du Centre-Est et du Sud-Est n'ont en règle générale pas de définition nationale uniforme de la « déficience » (en rapport avec le placement des enfants dans des écoles spéciales) et appliquent des définitions établissant un lien entre les déficiences et l'origine socioculturelle de l'enfant, ouvrant ainsi la voie aux pratiques discriminatoires. Les données sur les enfants présentant des déficiences sont pour l'essentiel tirées de sources administratives au lieu de résulter d'une évaluation approfondie des caractéristiques propres à l'enfant. Ainsi, le recours à un test unique de même que des pratiques de ségrégation étaient chose courante dans les années 1990.
Il est allégué dans lesdites observations que la méthode appliquée dans la région d'Ostrava pour placer les enfants roms dans des écoles spéciales allait à l'encontre des indicateurs de méthodes d'évaluation efficaces, connus au milieu des années 1990. On peut citer, à titre d'exemple, la liste des indicateurs publiée en 1987 par la National Association for the education of Young Children (Association nationale pour l'éducation des jeunes enfants – Etats-Unis). Cette liste fut ensuite rattachée à Global Alliance for the Education of Young Children (Alliance globale pour l'éducation des jeunes enfants), laquelle englobe des organisations en Europe et, plus particulièrement en République tchèque. Elle comprend : les principes éthiques destinés à orienter les méthodes d'évaluation ; l'utilisation des outils d'évaluation pour les fins prévues et de manière à répondre aux critères de qualité professionnels ; l'adaptation de l'évaluation à l'âge et aux autres caractéristiques des enfants qui sont l'objet de l'évaluation ; la reconnaissance que ce qui est évalué est important du point de vue éducatif ainsi que pour le développement de l'enfant ; le recours aux données de l'évaluation pour comprendre et améliorer l'apprentissage ; la collecte de ces données dans un environnement et des situations correspondant aux performances réelles de l'enfant ; l'utilisation de multiples sources de données recueillies au fil du temps aux fins de l'évaluation ; l'établissement d'un lien entre la sélection et le suivi ; l'usage limité de tests conçus en considération de ce qui constitue la « norme » ; l'information adéquate du personnel et des familles impliqués dans l'évaluation.
Ainsi, l'évaluation des enfants roms dans la région d'Ostrava n'a pas tenu compte de la langue et de la culture des intéressés ou de leurs expériences d'apprentissage antérieures ou encore de leur ignorance des exigences de la situation d'évaluation. Il a été fait usage d'une seule source de données, et non de plusieurs. L'évaluation s'est déroulée en une seule fois et non dans la durée. Les éléments d'information n'ont pas été recueillis dans un environnement réaliste ou authentique dans le cadre duquel les enfants auraient pu faire la preuve de leurs aptitudes. Une importance démesurée a été accordée à des tests standardisés, conçus pour d'autres populations, et utilisés individuellement.
Selon des études citées dans ces observations (UNICEF, Innocenti Insight, 2005 ; Save the Children, Denied a future: The right to education of Roma/gypsy and Traveller children, 2000 ; D.J. Losen et G. Orfield (2002), Introduction: Racial inequity in special education, Cambridge, MA: Harvard Education Press), le placement exagérément élevé de certaines catégories d'élèves dans les écoles spéciales résulte d'un ensemble de facteurs, parmi lesquels « les préjugés raciaux inconscients des autorités scolaires, les importantes inégalités de ressources, le recours injustifié au QI et à d'autres outils d'évaluation, les réponses inadaptées des éducateurs à la pression des tests à enjeu élevé et la différence de pouvoir entre les parents appartenant à une minorité et les autorités scolaires ». Ainsi, le placement scolaire fondé sur les résultats obtenus aux tests psychologiques reflète souvent les préjugés raciaux de la société concernée.
45.  D'après le Gouvernement, l'unification des normes européennes concernant les activités des psychologues est en cours et les autorités ont pris toutes les mesures pour veiller à ce que les tests psychologiques soient pratiqués par des spécialistes correctement formés possédant un diplôme universitaire conforme aux normes professionnelles et morales les plus récentes dans leur domaine. Par ailleurs, les recherches menées en 1997 par des experts tchèques, à la demande du ministère de l'Education, ont révélé que les enfants roms soumis à un test classique d'intelligence (WISC III) avaient obtenu des résultats à peine inférieurs à ceux d'enfants tchèques non roms comparables (un point sur l'échelle du QI).
2.  Le consentement au placement dans une école spéciale
46.  Aux termes de l'article 7 du décret no 127/1997 sur les écoles spécialisées, applicable à l'époque des faits, le consentement du représentant légal de l'enfant était une conditio sine qua non au placement de ce dernier dans une école spéciale. Les requérants notent que la législation tchèque n'exigeait pas que le consentement fût écrit ni qu'il fût précédé par des informations sur l'éducation dispensée dans les écoles spéciales ou sur les conséquences de la scolarisation de l'enfant dans un tel établissement.
47.  L'ECRI observe dans son rapport sur la République tchèque, rendu public en mars 2000, que les parents roms encouragent souvent l'orientation de leurs enfants vers la filière des écoles spéciales, en partie afin d'éviter les mauvais traitements infligés à leurs enfants par les autres enfants n'appartenant pas à la communauté rom dans les écoles ordinaires ainsi que l'isolement des enfants par rapport aux autres enfants roms du quartier, mais aussi en partie en raison d'un intérêt relativement moindre pour les questions d'éducation.
Dans son rapport sur la République tchèque, rendu public en juin 2004, l'ECRI relève que les parents d'enfants roms, lorsqu'ils décident de donner ou non leur consentement, « n'ont pas toujours des informations sur les conséquences négatives à long terme que peut avoir l'envoi de leurs enfants dans ces écoles, qui leur sont souvent présentées comme une possibilité pour leurs enfants de faire l'objet d'une attention particulière et de côtoyer d'autres enfants roms ».
48.  Selon les informations recueillies par la Fédération internationale des ligues des Droits de l'Homme auprès de son organisation tchèque affiliée, beaucoup d'écoles en République tchèque sont réticentes à accueillir des enfants roms. Cette attitude s'explique par la réaction des parents d'enfants non roms, ceux-ci ayant dans de nombreux cas retiré leurs enfants d'écoles intégrées en raison de leur crainte de voir le niveau de l'école baisser à la suite de l'arrivée d'enfants roms ou, plus simplement, en raison de préjugés à l'égard des Roms. C'est dans ce contexte que les enfants roms subissent des épreuves tendant à vérifier leur capacité à s'inscrire dans les filières générales d'enseignement et à l'issue desquelles les parents sont encouragés à inscrire leurs enfants dans des établissements spéciaux. Le choix des parents, là où un tel choix est fait, d'orienter leurs enfants vers des écoles spéciales rejoint en effet la volonté des directions des établissements scolaires de ne pas accueillir un nombre d'enfants roms tel que leur arrivée pourrait conduire les parents d'enfants non roms à retirer leurs enfants de l'école.
3.  Les conséquences
49.  Dans les écoles spéciales, les élèves suivaient un programme spécifique, qui était censé être adapté à leurs capacités intellectuelles. Après avoir accompli leur scolarité obligatoire dans ce type d'établissement, les élèves pouvaient continuer leurs études dans des centres d'apprentissage ou, depuis le 18 février 2000, dans d'autres écoles secondaires (sous réserve d'avoir prouvé lors de la procédure d'admission qu'ils satisfaisaient aux conditions prévues pour la formation choisie).
Par ailleurs, l'article 6 § 2 du décret no 127/1997 prévoyait que, s'il survenait au cours de la scolarité de l'élève un changement dans la nature de son handicap ou si l'école spécialisée ne correspondait plus au degré de ce handicap, le directeur de l'école fréquentée par l'intéressé était tenu, après un entretien avec le représentant de l'élève, de proposer l'orientation de cet élève vers une autre école spécialisée ou une école ordinaire.
50.  Dans son rapport final sur la situation en matière de droits de l'homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en Europe, daté du 15 février 2006, le Commissaire aux Droits de l'Homme note que « le fait d'être placé dans des écoles spéciales fait que ces enfants suivent souvent un programme scolaire moins ambitieux que celui des classes normales, ce qui réduit leurs perspectives en matière d'éducation, et, partant, la possibilité de trouver un emploi ultérieurement. Le placement automatique des enfants roms dans des classes pour enfants ayant des besoins spéciaux est propre à conforter la réprobation sociale en étiquetant les enfants roms comme moins intelligents et moins capables. Dans le même temps, l'éducation ségréguée prive les enfants roms et les enfants non roms de la possibilité de se connaître et d'apprendre à vivre comme des citoyens égaux. Elle exclut les enfants roms de la société normale dès leur toute petite enfance en augmentant le risque pour eux d'être pris dans le cercle vicieux de la marginalisation ».
51.  Le comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a relevé dans son deuxième avis sur la République tchèque, rendu public le 26 octobre 2005, que le placement dans les écoles spéciales « rend plus difficile l'accès des enfants roms aux autres niveaux d'éducation et, de ce fait, diminue leurs perspectives d'intégration sociale. Bien que la législation en vigueur ne crée plus d'obstacle au passage des élèves issus de ces écoles vers l'enseignement secondaire régulier, le niveau d'éducation acquis dans les écoles « spéciales » ne leur permet en général pas de faire face aux exigences du niveau secondaire, ce qui entraîne dans la plupart des cas un abandon scolaire ».
52.  Selon les observations présentées par International STEP by STEP Association, Roma Education Fund et European Early Childhood Research Association, le placement des enfants dans des écoles spéciales où sévit la ségrégation est une illustration du groupement des élèves selon leurs aptitudes (« tracking »), auquel il est procédé à un stade très précoce. En l'espèce, ce groupement aurait consisté à placer, dès leur plus jeune âge, des enfants passant pour avoir une « faible aptitude » ou un « faible potentiel » dans des écoles spéciales. Une telle pratique accroîtrait l'injustice scolaire car elle produit des effets particulièrement négatifs sur le niveau d'instruction des enfants défavorisés (voir, entre autres, la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen portant sur l'efficacité et l'équité des systèmes européens d'éducation et de formation, COM/2006/0481, 8 septembre 2006). Parmi les conséquences à long terme de ce tracking figurent notamment l'orientation des élèves vers des formes d'éducation et de formation moins prestigieuses ainsi que l'exclusion précoce du système scolaire, ce qui peut contribuer à créer une construction sociale de l'échec.
53.  Dans leurs observations soumises à la Cour, les organisations Minority Rights Group International, European Network Against Racism et European Roma Information Office notent que dans les écoles spéciales les enfants suivent un programme scolaire simplifié qui passe pour être adapté à leur faible niveau de développement intellectuel. Ainsi par exemple, en République tchèque, les enfants fréquentant les écoles spéciales ne sont pas censés connaître l'alphabet ou les chiffres de 0 à 10 avant leur troisième ou quatrième année scolaire, alors que les enfants scolarisés dans les établissements ordinaires acquièrent ces connaissances au cours préparatoire.
III.  LES SOURCES DU CONSEIL DE L'EUROPE
A.  Le Comité des Ministres
La Recommandation no R (2000) 4 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l'éducation des enfants roms/tsiganes en Europe (adoptée par le Comité des Ministres le 3 février 2000, lors de la 696e réunion des Délégués des Ministres)
54.  Les termes de cette recommandation sont les suivants :
« Le Comité des Ministres, conformément à l'article 15.b du Statut du Conseil de l'Europe,
Considérant que le but du Conseil de l'Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres et que ce but peut être poursuivi notamment par l'adoption d'une action commune dans le domaine de l'éducation ;
Reconnaissant qu'il est urgent de poser de nouvelles fondations pour de futures stratégies éducatives en faveur des Rom/Tsiganes en Europe, notamment en raison du taux élevé d'analphabétisme ou de semi-analphabétisme qui sévit dans cette communauté, de l'ampleur de l'échec scolaire, de la faible proportion de jeunes achevant leurs études primaires et de la persistance de facteurs tels que l'absentéisme scolaire ;
Notant que les problèmes auxquels sont confrontés les Rom/Tsiganes dans le domaine scolaire sont largement dus aux politiques éducatives menées depuis longtemps, qui ont conduit soit à l'assimilation, soit à la ségrégation des enfants roms/tsiganes à l'école au motif qu'ils souffraient d'un « handicap socioculturel » ;
Considérant qu'il ne pourra être remédié à la position défavorisée des Rom/Tsiganes dans les sociétés européennes que si l'égalité des chances dans le domaine de l'éducation est garantie aux enfants roms/tsiganes ;
Considérant que l'éducation des enfants roms/tsiganes doit être une priorité des politiques nationales menées en faveur des Rom/Tsiganes ;
Gardant à l'esprit que les politiques visant à régler les problèmes auxquels sont confrontés les Rom/Tsiganes dans le domaine de l'éducation doivent être globales et fondées sur le constat que la question de la scolarisation des enfants roms/tsiganes est liée à tout un ensemble de facteurs et de conditions préalables, notamment les aspects économiques, sociaux, culturels et la lutte contre le racisme et la discrimination ;
Gardant à l'esprit que les politiques éducatives en faveur des enfants roms/tsiganes devraient s'accompagner d'une politique active en ce qui concerne l'éducation des adultes et l'enseignement professionnel ; (...)
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
de respecter, dans la mise en œuvre de leur politique d'éducation, les principes énoncés en annexe de la présente Recommandation ;
de porter la présente Recommandation à l'attention des instances publiques compétentes dans leurs pays respectifs, par les voies nationales appropriées. »
55.  Les passages pertinents de l'annexe à la Recommandation no R (2000) 4 se lisent ainsi :
« Principes directeurs d'une politique d'éducation à l'égard des enfants roms/tsiganes en Europe
I.  Structures
1.  Les politiques éducatives en faveur des enfants roms/tsiganes devraient s'accompagner des moyens adéquats et de structures souples indispensables pour refléter la diversité de la population rom/tsigane en Europe et pour tenir compte de l'existence de groupes roms/tsiganes ayant un mode de vie itinérant ou semi-itinérant. A cet égard, le recours à un système d'éducation à distance, s'appuyant sur les nouvelles technologies de la communication pourrait être envisagé.
2.  L'accent devrait être mis sur une meilleure coordination des niveaux internationaux, nationaux, régionaux et locaux afin d'éviter la dispersion des efforts et de favoriser les synergies.
3.  Les Etats membres devraient dans cette optique sensibiliser les ministères de l'Education à la question de l'éducation des enfants roms/tsiganes.
4.  L'enseignement préscolaire devrait être largement développé et rendu accessible aux enfants roms/tsiganes, afin de garantir leur accès à l'enseignement scolaire.
5.  Il conviendrait aussi de veiller tout particulièrement à une meilleure communication avec et entre les parents par le recours, le cas échéant, à des médiateurs issus de la communauté rom/tsigane qui auraient la possibilité d'accès à une carrière professionnelle spécifique. Des informations spéciales et des conseils devraient être prodigués aux parents quant à l'obligation d'éducation et aux mécanismes de soutien que les municipalités peuvent offrir aux familles. L'exclusion et le manque de connaissances et d'éducation (voire l'illettrisme) des parents empêchent également les enfants de bénéficier du système éducatif.
6.  Des structures de soutien adéquates devraient être mises en place afin de permettre aux enfants roms/tsiganes de bénéficier, notamment par le biais d'actions positives, de l'égalité des chances à l'école.
7.  Les Etats membres sont invités à fournir les moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques et des mesures susmentionnées afin de combler le fossé entre les écoliers roms/tsiganes et ceux appartenant à la population majoritaire.
II.  Programmes scolaires et matériel pédagogique
8.  Les mesures éducatives en faveur des enfants roms/tsiganes devraient s'inscrire dans le cadre de politiques interculturelles plus larges, et tenir compte des caractéristiques de la culture romani et de la position défavorisée de nombreux Rom/Tsiganes dans les Etats membres.
9.  Les programmes scolaires, dans leur ensemble, et le matériel didactique devraient être conçus de manière à respecter l'identité culturelle des enfants roms/tsiganes. Il faudrait donc introduire l'histoire et la culture des Rom dans les matériels pédagogiques afin de refléter l'identité culturelle des enfants roms/tsiganes. La participation des représentants des communautés roms/tsiganes à l'élaboration de matériels portant sur l'histoire, la culture ou la langue roms/tsiganes devrait être encouragée.
10.  Les Etats membres devraient toutefois s'assurer que ces mesures ne débouchent pas sur des programmes scolaires distincts pouvant mener à la création de classes distinctes.
11.  Les Etats membres devraient également encourager l'élaboration de matériels pédagogiques fondés sur des exemples d'actions réussies afin d'aider les enseignants dans leur travail quotidien avec les écoliers roms/tsiganes.
12.  Dans les pays où la langue romani est parlée, il faudrait offrir aux enfants roms/tsiganes la possibilité de suivre un enseignement dans leur langue maternelle.
III.  Recrutement et formation des enseignants
13.  Il conviendrait de prévoir l'introduction d'un enseignement spécifique dans les programmes préparant les futurs enseignants afin que ceux-ci acquièrent les connaissances et une formation leur permettant de mieux comprendre les écoliers roms/tsiganes. Toutefois, l'éducation des écoliers roms/tsiganes devrait rester partie intégrante du système éducatif global.
14.  La communauté rom/tsigane devrait être associée à l'élaboration de ces programmes et pouvoir communiquer directement des informations aux futurs enseignants.
15.  Il faudrait aussi favoriser le recrutement et la formation d'enseignants issus de la communauté rom/tsigane. (...) »
B.  L'Assemblée parlementaire
1.  La Recommandation no 1203 (1993) relative aux Tsiganes en Europe
56.  Les observations générales de cette recommandation énoncent notamment :
« L'un des objectifs du Conseil de l'Europe est de promouvoir la formation d'une véritable identité culturelle européenne. L'Europe abrite de nombreuses cultures différentes qui toutes, y compris les multiples cultures minoritaires, concourent à sa diversité culturelle.
Les Tsiganes occupent une place particulière parmi les minorités. Vivant dispersés à travers toute l'Europe, ne pouvant se réclamer d'un pays qui leur soit propre, ils constituent une véritable minorité européenne qui ne correspond toutefois pas aux définitions applicables aux minorités nationales ou linguistiques.
En tant que minorité dépourvue de territoire, les Tsiganes contribuent dans une large mesure à la diversité culturelle de l'Europe, et cela à plusieurs égards, que ce soit par la langue et la musique ou par leurs activités artisanales.
A la suite de l'admission de nouveaux Etats membres d'Europe centrale et orientale, le nombre de Tsiganes vivant dans la zone du Conseil de l'Europe s'est considérablement accru.
L'intolérance à l'égard des Tsiganes a toujours existé. Des flambées de haine raciale ou sociale se produisent cependant de plus en plus régulièrement et les relations tendues entre les communautés ont contribué à créer la situation déplorable dans laquelle vivent aujourd'hui la majorité des Tsiganes.
Le respect des droits des Tsiganes, qu'il s'agisse des droits fondamentaux de la personne, ou de leurs droits en tant que minorité, est une condition essentielle de l'amélioration de leur situation.
En garantissant l'égalité des droits, des chances et de traitement, et en prenant des mesures pour améliorer le sort des Tsiganes, il sera possible de redonner vie à leur langue et à leur culture, et, partant, d'enrichir la diversité culturelle européenne.
Il importe de garantir aux Tsiganes la jouissance des droits et des libertés définis dans l'article 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, car cela leur permet de faire valoir leurs droits. (...) »
57.  Concernant le domaine de l'éducation, la recommandation dispose :
« les programmes européens existants de formation des maîtres enseignant à des Tsiganes devraient être élargis ;
une attention particulière devrait être accordée à l'éducation des femmes, en général, et des mères accompagnées de leurs enfants en bas âge ;
les jeunes Tsiganes doués devraient être encouragés à étudier et à jouer le rôle d'intermédiaires pour les Tsiganes ; (...). »
2.  La Recommandation no 1557 (2002) relative à la situation juridique des Roms en Europe
58.  Cette recommandation énonce notamment :
3.  Aujourd'hui, les Roms font encore l'objet de discrimination, de marginalisation et de ségrégation. La discrimination est répandue dans tous les domaines de la vie publique et privée, y compris dans l'accès à la fonction publique, à l'enseignement, à l'emploi, aux services de santé et au logement, ainsi que lors du passage des frontières et dans l'accès aux procédures d'asile. La marginalisation et la ségrégation économique et sociale des Roms se transforment en discrimination ethnique, qui touche en général les groupes sociaux les plus faibles.
4.  Les Roms constituent un groupe particulier, minoritaire à double titre : ethniquement minoritaires, ils appartiennent aussi très souvent aux couches socialement défavorisées de la société. (...)
15.  Le Conseil de l'Europe peut et doit jouer un rôle important dans l'amélioration du statut juridique des Roms, du niveau d'égalité dont ils bénéficient et de leurs conditions d'existence. L'Assemblée appelle les Etats membres à satisfaire les six conditions générales ci-après, qui sont nécessaires pour une amélioration de la situation des Roms en Europe : (...)
c)  garantir l'égalité de traitement à la minorité rom en tant que groupe minoritaire ethnique ou national dans les domaines de l'éducation, de l'emploi, du logement, de la santé et des services publics. Les Etats membres devraient porter une attention spéciale :
i.  à promouvoir l'égalité des chances pour les Roms sur le marché de l'emploi ;
ii.  à donner la possibilité aux Roms d'intégrer toutes les structures éducatives, du jardin d'enfants à l'université ;
iii.  à développer des mesures positives pour recruter des Roms dans les services publics intéressant directement les communautés roms, comme les établissements d'enseignement primaire et secondaire, les centres de protection sociale, les centres locaux de soins de santé primaire et les administrations locales ;
iv.  à faire disparaître toute pratique tendant à la ségrégation scolaire des enfants roms, en particulier la pratique consistant à les orienter vers des écoles ou des classes réservées aux élèves handicapés mentaux ;
d)  développer, et mettre en œuvre des actions positives et un traitement préférentiel pour les classes socialement défavorisées, y compris les Roms, en tant que communauté socialement défavorisée, dans les domaines de l'enseignement, de l'emploi et du logement (...) ;
e)  prendre des mesures spécifiques et créer des institutions spéciales pour la protection de la langue, de la culture, des traditions et de l'identité roms ; (...)
ii.  encourager les parents roms à envoyer leurs enfants à l'école primaire et secondaire, et dans les établissements d'enseignement supérieur et à les informer correctement de l'importance de l'éducation ; (...)
v.  recruter des enseignants roms, notamment dans les zones où la population rom est importante ;
f)  combattre le racisme, la xénophobie et l'intolérance, et garantir le traitement non discriminatoire des Roms aux niveaux local, régional, national et international : (...)
vi.  porter une attention particulière aux phénomènes de discrimination à l'encontre des Roms, notamment dans le domaine de l'éducation et de l'emploi ; (...). »
C.  La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI)
1.  La recommandation de politique générale no 3 de l'ECRI : La lutte contre le racisme et l'intolérance envers les Roms/Tsiganes (adoptée par l'ECRI le 6 mars 1998)
59.  Les passages pertinents de cette recommandation sont ainsi libellés :
« La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance :
Rappelant que la lutte contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance fait partie intégrante de la protection et promotion des droits de l'homme, que ces derniers sont universels et indivisibles, et sont les droits de tout être humain, sans distinction aucune ;
Soulignant que la lutte contre le racisme, la xénophobie, l'antisémitisme et l'intolérance vise avant tout à protéger les droits des membres vulnérables de la société ;
Convaincue que toute action contre le racisme et la discrimination devrait partir du point de vue de la victime et tendre à améliorer sa situation ;
Constatant que les Roms/Tsiganes souffrent aujourd'hui partout en Europe de préjugés persistants à leur égard, sont victimes d'un racisme profondément enraciné dans la société, sont la cible de manifestations, parfois violentes, de racisme et d'intolérance, et que leurs droits fondamentaux sont régulièrement violés ou menacés ;
Constatant également que les préjugés persistants envers les Roms/Tsiganes conduisent à des discriminations à leur égard dans de nombreux domaines de la vie sociale et économique, et que ces discriminations alimentent considérablement le processus d'exclusion sociale dont souffrent les Roms/Tsiganes ;
Convaincue que la promotion du principe de tolérance est une garantie du maintien de sociétés ouvertes et pluralistes rendant possible une coexistence pacifique ;
recommande aux gouvernements des Etats membres ce qui suit :
–  S'assurer que la discrimination en tant que telle ainsi que les pratiques discriminatoires sont combattues au moyen de législations adéquates et veiller à introduire dans le droit civil des dispositions spécifiques à cet effet, notamment dans les secteurs de l'emploi, du logement et de l'éducation ;
–  Combattre de manière vigoureuse toute forme de ségrégation scolaire à l'égard des enfants roms/tsiganes et assurer de manière effective l'égalité d'accès à l'éducation ; (...). »
2.  La recommandation de politique générale no 7 de l'ECRI sur la législation nationale pour lutter contre le racisme et la discrimination raciale (adoptée par l'ECRI le 13 décembre 2002)
60.  Aux fins de cette recommandation, on entend par :
« a)  « racisme » la croyance qu'un motif tel que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l'origine nationale ou ethnique justifie le mépris envers une personne ou un groupe de personnes ou l'idée de supériorité d'une personne ou d'un groupe de personnes.
b)  « discrimination raciale directe » toute différence de traitement fondée sur un motif tel que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l'origine nationale ou ethnique, qui manque de justification objective et raisonnable. Une différence de traitement manque de justification objective et raisonnable si elle ne poursuit pas un but légitime ou si fait défaut un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
c)  « discrimination raciale indirecte » le cas où un facteur apparemment neutre tel qu'une disposition, un critère ou une pratique ne peut être respecté aussi facilement par des personnes appartenant à un groupe distingué par un motif tel que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l'origine nationale ou ethnique, ou désavantage ces personnes, sauf si ce facteur a une justification objective et raisonnable. Il en est ainsi s'il poursuit un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. »
61.  Dans l'exposé des motifs relatif à cette recommandation, il est noté (point 8) que les définitions de discriminations raciales directe et indirecte contenues dans le paragraphe 1 b) et c) de la recommandation s'inspirent de celles contenues dans la Directive 2000/43/CE du Conseil relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, et dans la Directive 2000/78/CE du Conseil portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme.
3.  Le rapport sur la République tchèque rendu public en septembre 1997
62.  Dans sa partie portant sur les aspects politiques de l'éducation et de la formation, le rapport observe que l'opinion publique semble parfois avoir une attitude assez négative envers certains groupes, en particulier la communauté rom/tsigane, et suggère d'adopter des mesures supplémentaires pour mieux faire prendre conscience à l'opinion publique des questions de racisme et d'intolérance, et pour développer un esprit de tolérance envers tous les groupes au sein de la société. Le rapport ajoute que des mesures spéciales s'imposent en matière d'éducation et de formation des membres de groupes minoritaires, en particulier des membres de la communauté rom/tsigane.
4.  Le rapport sur la République tchèque rendu public en mars 2000
63.  Dans ce rapport, l'ECRI se déclare préoccupée par les handicaps et la discrimination effective auxquels sont confrontés les membres de la communauté rom/tsigane dans le domaine de l'éducation. Il est noté que les enfants roms/tsiganes sont très largement surreprésentés dans les écoles spéciales et que leur orientation vers ce type d'écoles spéciales est apparemment souvent quasi automatique. Les parents roms/tsiganes encouragent souvent cette solution, en partie afin d'éviter les mauvais traitements infligés à leurs enfants par les autres enfants n'appartenant pas à la communauté rom/tsigane dans les écoles ordinaires ainsi que l'isolement des enfants par rapport aux autres enfants roms/tsiganes du quartier, mais aussi en partie en raison d'un intérêt relativement moindre pour les questions d'éducation. La plupart des enfants roms/tsiganes sont donc relégués dans des établissements destinés à d'autres buts, offrant peu d'opportunités pour l'acquisition d'un savoir-faire, ou une préparation éducative, ce qui réduit d'autant leurs chances de poursuivre leurs études ou d'accéder au marché du travail. Il est noté par ailleurs que la présence de membres de la communauté rom/tsigane dans le système éducatif au-delà du niveau de l'école primaire est extrêmement rare.
64.  Selon l'ECRI, il faut étudier avec attention l'orientation des enfants roms/tsiganes vers des établissements spéciaux destinés aux enfants souffrant de retards mentaux, afin de vérifier que les tests utilisés sont équitables et que les vraies capacités de chaque enfant sont évaluées correctement. L'ECRI estime également qu'il est fondamental de sensibiliser les parents roms/tsiganes à la nécessité, pour leurs enfants, de suivre un cursus scolaire normal. De manière générale, l'ECRI considère qu'il existe un besoin d'implication accrue des membres de la communauté rom/tsigane dans les questions relatives à l'éducation. Les autorités doivent commencer par s'assurer que les parents roms/tsiganes sont pleinement informés des mesures prises et encouragés à participer aux décisions concernant l'éducation de leurs enfants.
5.  Le rapport sur la République tchèque rendu public en juin 2004
65.  Au sujet de l'accès des enfants roms à l'éducation, l'ECRI dit dans ce rapport craindre que les enfants roms continuent d'être placés dans des écoles spéciales qui non seulement perpétuent leur séparation de la société normale, mais aussi les placent dans une situation extrêmement défavorisée pour le reste de leur vie. Elle note que le test type visant à évaluer le niveau mental des enfants, élaboré par le ministère tchèque de l'Education, n'est pas obligatoire et ne représente qu'une partie de l'ensemble des moyens et des méthodes recommandés aux centres de prise en charge psychologique. En ce qui concerne l'autre élément nécessaire au placement d'un enfant dans une école spéciale, à savoir le consentement du représentant légal, l'ECRI observe que les parents prenant de telles décisions n'ont toujours pas d'informations sur les conséquences négatives à long terme que peut avoir l'envoi de leurs enfants dans ces écoles, qui leur sont souvent présentées comme une possibilité pour leurs enfants de faire l'objet d'une attention particulière et de côtoyer d'autres enfants roms. L'ECRI dit aussi avoir appris que des écoles ordinaires auraient refusé d'entrer en contact avec des parents roms.
L'ECRI note également l'entrée en vigueur, en janvier 2000, de la loi sur les écoles qui donne la possibilité aux diplômés des écoles spéciales de demander à être admis dans le secondaire. Selon diverses sources, cela reste cependant une possibilité surtout théorique, car les écoles spéciales ne fournissent pas aux enfants les connaissances nécessaires pour suivre les cours du secondaire. Il n'existe aucune mesure permettant à ces élèves de suivre une formation complémentaire qui les aide à atteindre un niveau suffisant de préparation pour intégrer un établissement d'enseignement secondaire ordinaire.
L'ECRI a eu des informations en retour très positives concernant les classes de « niveau zéro » (cours préparatoires) au stade préscolaire qui ont permis d'augmenter le nombre d'enfants roms fréquentant les écoles ordinaires. Elle exprime en revanche son inquiétude devant une nouvelle tendance qui maintient le système d'enseignement séparé sous une nouvelle forme, à savoir des classes spéciales dans les écoles ordinaires. Selon les informations de l'ECRI, un certain nombre de parties concernées craignent que le nouveau projet de loi sur les écoles ne permette une ségrégation encore plus marquée des Roms par la mise en place d'une nouvelle catégorie de programmes spéciaux pour les « défavorisés sociaux ».
Enfin, l'ECRI note que malgré les initiatives prises par le ministère de l'Education (assistants pédagogiques dans les écoles, programmes de formation destinés aux enseignants, révision du programme de l'école primaire), le problème de la faible représentation des Roms dans l'enseignement secondaire et supérieur persiste.
D.  La Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
1.  Le rapport soumis par la République tchèque, le 1er avril 1999, conformément à l'article 25 § 1 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales
66.  Il est relevé dans ce document que, dans le domaine de l'éducation, le gouvernement a adopté des mesures visant à offrir des conditions favorables aux enfants de milieux défavorisés aux plans social et culturel, en particulier à la communauté rom, en ouvrant des classes préparatoires dans les écoles élémentaires et spécialisées. Il est noté que « les enfants roms doués d'une intelligence moyenne ou supérieure à la moyenne sont souvent placés dans des écoles [spéciales], destinées aux enfants ayant des difficultés intellectuelles, à la suite de tests psychologiques (qui se font toujours avec le consentement des parents). Ces tests sont conçus pour la population majoritaire et ne tiennent pas compte des particularités des Roms. On s'emploie actuellement à restructurer ces tests ». Certaines écoles spéciales compteraient ainsi de 80 % à 90 % d'enfants roms.
2.  Le rapport soumis par la République tchèque le 2 juillet 2004
67.  Le rapport indique que la République tchèque, qui admet que les Roms sont particulièrement exposés à la discrimination et à l'exclusion sociale, s'apprête à introduire des instruments antidiscriminatoires dans le cadre de l'incorporation de la directive européenne portant sur l'égalité de traitement – ainsi, une nouvelle loi devrait être adoptée en 2004 (cette loi, no 561/2004, adoptée le 24 septembre 2004, est entrée en vigueur le 1er janvier 2005).
Dans le domaine de l'éducation des Roms, le rapport fait état de nombreuses actions positives de l'Etat destinées à changer la situation actuelle des enfants roms et note que le gouvernement considère comme intenable la pratique consistant à placer un grand nombre de ces enfants dans des écoles spéciales. Ces actions positives seraient nécessaires non seulement du fait du handicap socioculturel des enfants roms mais aussi en raison de la nature de tout le système d'éducation, qui ne reflète pas suffisamment les différences culturelles. Dans ce contexte, le projet de loi sur les écoles devrait apporter des changements dans le système de l'éducation spéciale (transformant les « écoles spéciales » en « écoles primaires spéciales »), afin de fournir aux enfants une assistance ciblée les aidant à surmonter les désavantages liés à leur milieu socioculturel. Il s'agit notamment de classes préparatoires, de programmes individuels pour les élèves des écoles spéciales, de mesures concernant l'éducation préscolaire, du développement des fonctions d'assistants d'origine rom et de programmes spécialisés destinés aux enseignants. Etant donné que l'un des problèmes principaux rencontrés par les élèves roms est une faible connaissance de la langue tchèque, le ministère de l'Education considère que la meilleure solution (et la seule réaliste) consiste à mettre en place au stade préscolaire des classes préparatoires destinées aux enfants venant d'un milieu socioculturel défavorisé.
Le rapport cite également plusieurs projets et programmes suivis dans ce domaine au niveau national (Soutien à l'intégration des Roms, Programme pour l'intégration des Roms/Réforme d'éducation multiculturelle, et Réintégration des élèves roms diplômés des écoles spéciales dans les écoles primaires).
3.  L'avis sur la République tchèque du comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, rendu public le 25 janvier 2002
68.  Le comité consultatif observe que, bien que les écoles spéciales soient destinées aux enfants présentant un handicap mental, il semble que beaucoup d'enfants roms ne souffrant pas d'un tel handicap soient placés dans ces établissements, en raison d'une différence linguistique ou culturelle réelle ou supposée par rapport à la majorité. Le comité estime qu'une telle pratique n'est pas compatible avec la Convention-cadre. Il souligne que la scolarisation d'enfants dans de tels établissements devrait intervenir uniquement en cas d'absolue nécessité, et après réalisation de tests méthodiques, objectifs et approfondis.
69.  Selon le comité, les écoles spéciales ont conduit à une séparation importante des enfants roms et à un faible niveau d'instruction dans la communauté rom, ce que les autorités tchèques reconnaissent. Les agents du gouvernement aussi bien que les acteurs de la société civile s'accordent sur la nécessité d'une réforme de grande envergure. La nature précise de cette réforme fait l'objet d'un désaccord, tout comme le montant des ressources à mobiliser et le rythme de mise en œuvre des réformes. Le comité consultatif est d'avis que les autorités tchèques devraient développer ces réformes, en concertation avec les personnes concernées, de manière à assurer l'égalité des chances dans l'accès des enfants roms aux établissements scolaires et l'égalité des droits pour suivre un enseignement ordinaire, en conformité avec les principes contenus dans la Recommandation no (2000) 4 du Comité des Ministres sur l'éducation des enfants roms/tsiganes en Europe.
70.  Le comité consultatif salue les initiatives prises pour créer des classes dites zéro qui permettent de préparer les enfants roms à un enseignement scolaire de base, notamment en améliorant leur maîtrise de la langue tchèque, et il encourage leur multiplication. Il estime en outre que la création de postes de conseillers pédagogiques roms dans les établissements scolaires, une initiative de la société civile, est une mesure particulièrement positive. Le comité consultatif encourage les pouvoirs publics dans leurs efforts visant à accroître le nombre de ces postes et à les développer. Un autre objectif essentiel consiste à faire en sorte qu'un nombre beaucoup plus important d'enfants roms aient accès aux études secondaires et les terminent avec succès.
4.  L'avis sur la République tchèque du comité consultatif, rendu public le 26 octobre 2005
71.  Dans cet avis, le comité consultatif observe que les autorités font montre d'un engagement particulier dans leurs efforts visant à changer radicalement la condition des enfants roms dans le domaine de l'éducation et qu'elles cherchent, par différents moyens, à traduire cet objectif dans la pratique. Il relève à cet égard qu'il est encore trop tôt pour évaluer si la nouvelle loi sur l'éducation (no 561/2004) changera fondamentalement la situation actuelle de surreprésentation des enfants roms dans les écoles spéciales ou classes spéciales.
72.  Le comité note que les autorités ont prêté une attention particulière au placement injustifié des enfants roms dans les écoles spéciales. Ainsi, elles ont procédé à la révision des tests utilisés pour évaluer le niveau des aptitudes intellectuelles des enfants au début de leur scolarité, ainsi que la méthodologie afférente, de manière à éviter leur utilisation abusive au détriment des enfants roms. Parallèlement, des programmes éducationnels spécifiques ont été lancés pour permettre aux enfants roms de surmonter les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Il s'agit notamment de la gratuité de la dernière année d'éducation préscolaire, de la possibilité de faire exception au nombre minimum d'élèves par classe, et d'un enseignement plus individualisé, de l'introduction d'assistants pédagogiques (roms pour la plupart), ou encore de la préparation de manuels et guides méthodologiques pour les enseignants travaillant avec des élèves roms. Le comité relève également l'introduction de classes préparatoires pour les enfants roms d'âge préscolaire, mesure qui s'est avérée efficace, bien qu'à une échelle assez limitée. Pour permettre à tous les enfants concernés d'en bénéficier, de telles mesures devraient être appliquées de manière plus systématique. Le comité consultatif salue également le programme spécial de soutien de l'accès des Roms à l'éducation secondaire et à l'université et les efforts visant à développer un réseau d'enseignants et d'assistants pédagogiques roms qualifiés.
73.  Le comité consultatif relève cependant que, bien que le suivi constant et l'évaluation de la situation scolaire des enfants roms figure parmi les priorités du gouvernement, peu d'informations sont fournies sur le niveau d'intégration de ces enfants dans le système scolaire et sur l'efficacité et l'impact des nombreuses mesures prises à leur égard. Il est noté avec préoccupation que peu d'améliorations ont été enregistrées suite à ces mesures, que les autorités locales ne suivent pas systématiquement les initiatives d'accompagnement scolaire lancées par le gouvernement en faveur des Roms et que, de manière générale, elles ne montrent pas toujours la volonté nécessaire pour prendre des mesures efficaces dans ce domaine.
74.  Le comité consultatif note avec inquiétude que, selon des sources non gouvernementales, un nombre considérable d'enfants roms continuent à être orientés, dès le plus jeune âge, vers des écoles spéciales et que les correctifs apportés aux tests psychologiques utilisés dans ce contexte n'ont pas eu de conséquences notables. Selon des estimations non officielles, les Roms représentent jusqu'à 70 % des élèves inscrits dans ces écoles, ce qui, si l'on prend en considération le pourcentage que les Roms représentent au sein de la population, soulève des interrogations quant au bien-fondé des tests en question ou à la méthodologie afférente. Cette situation est d'autant plus préoccupante qu'elle rend plus difficile l'accès des enfants roms aux autres niveaux d'éducation et, de ce fait, diminue leurs perspectives d'intégration sociale. Bien que la législation en vigueur ne crée plus d'obstacle au passage des élèves issus de ces écoles vers l'enseignement secondaire régulier, le niveau d'éducation acquis dans les écoles spéciales ne leur permet en général pas de faire face aux exigences du niveau secondaire, ce qui entraîne dans la plupart des cas un abandon scolaire. Si les estimations ne concordent pas toujours sur le nombre d'enfants roms qui demeurent en dehors du système scolaire, ceux qui suivent une scolarité vont rarement au-delà de l'école primaire.
75.  En outre, le comité consultatif note que, en dépit des mesures de sensibilisation prises par le ministère de l'Education, beaucoup d'enfants roms qui fréquentent des établissements scolaires ordinaires se trouvent isolés par leurs camarades de classe et par le personnel enseignant, voire regroupés dans des classes à part. En même temps, il convient de reconnaître que, dans certaines écoles, les enfants roms représentent la majorité des élèves, en raison de la localisation des écoles en question dans la proximité de lieux où les Roms vivent en nombre substantiel. Selon différentes sources, les conditions matérielles dont disposent certaines des écoles fréquentées par ces élèves sont précaires et l'enseignement qu'ils reçoivent, dans la plupart des cas, continue à être insuffisamment adapté à leur situation. Il est important de veiller à ce que ces écoles assurent aux élèves concernés une éducation de qualité.
76.  Selon le comité, une attention prioritaire devrait être accordée à l'inscription des enfants roms dans les écoles ordinaires, au soutien et à la promotion des classes préparatoires et de la fonction d'assistant pédagogique. Le recrutement du personnel enseignant parmi les Roms, ainsi que la sensibilisation des acteurs éducatifs à la situation particulière des enfants roms devraient recevoir davantage d'attention. L'implication active des parents, en particulier s'agissant de la mise en œuvre de la nouvelle loi sur l'éducation, devrait être également soutenue comme une condition sine qua non pour l'amélioration de la situation éducationnelle des Roms. Enfin, une action plus résolue est requise, selon le comité consultatif, pour combattre l'isolement des enfants roms dans le système éducatif, que ce soit dans les écoles régulières ou les écoles spéciales. Une conception plus claire s'impose, assortie d'instructions et de mesures immédiates à tous les niveaux, pour éliminer les pratiques de placement injustifié de ces enfants dans les écoles spéciales pour les enfants présentant des déficiences mentales. Des mesures efficaces de suivi, spécifiquement conçues pour éliminer de telles pratiques, devraient représenter une priorité constante pour les autorités.
E.  Le Commissaire aux Droits de l'Homme
Le Rapport final de M. Alvaro Gil-Robles sur la situation en matière des droits de l'homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en Europe (daté du 15 février 2006)
77.  Dans la troisième partie de ce rapport, consacrée à la discrimination dans le domaine de l'éducation, le Commissaire observe que si un nombre important d'enfants roms n'a pas accès à une éducation de qualité égale à celle offerte aux autres enfants, c'est aussi en raison des pratiques discriminatoires et des préjugés. Il relève à cet égard que la ségrégation au sein du système éducatif est une caractéristique commune à de nombreux Etats membres du Conseil de l'Europe. Dans certains pays, il existe des écoles isolées dans des campements isolés, dans d'autres des classes spéciales pour enfants roms dans des écoles ordinaires, ou une surreprésentation nette des enfants roms dans des classes pour enfants ayant des besoins spéciaux. Il est fréquent que les enfants roms soient placés dans des classes pour enfants ayant des besoins spéciaux, sans évaluation psychologique ou pédagogique adéquate, les critères réels étant leur origine ethnique. Le placement dans des écoles ou des classes spéciales fait que ces enfants suivent souvent un programme scolaire moins ambitieux que celui des classes normales, ce qui réduit leurs perspectives en matière d'éducation et, partant, la possibilité de trouver un emploi ultérieurement. Le placement automatique des enfants roms dans des classes pour enfants ayant des besoins spéciaux est propre à conforter la réprobation sociale en étiquetant les enfants roms comme moins intelligents et moins capables. Dans le même temps, l'éducation ségréguée prive les enfants roms et les enfants non roms de la possibilité de se connaître et d'apprendre à vivre comme des citoyens égaux. Elle exclut les enfants roms de la société normale dès leur toute petite enfance en augmentant le risque pour eux d'être pris dans le cercle vicieux de la marginalisation.
78.  Au sujet de la République tchèque, le Commissaire déclare qu'on lui a rapporté que les jeunes membres de la communauté rom/tsigane étaient considérablement surreprésentés dans les écoles et classes spéciales destinées aux enfants ayant une légère incapacité mentale. Il observe en même temps que les autorités avaient introduit des assistants scolaires roms dans les classes ordinaires et prévu des classes préparatoires, et que ces initiatives ont eu des résultats prometteurs bien qu'elles aient été menées seulement à une petite échelle, faute de ressources suffisantes. En particulier, les classes préparatoires pour enfants socialement défavorisés ont joué un rôle capital dans les initiatives prises pour surmonter le problème du nombre excessif d'enfants roms dans des établissements scolaires spéciaux. Les autorités tchèques estiment que les écoles préparatoires rattachées aux jardins d'enfants ont été particulièrement utiles pour favoriser l'intégration des enfants roms dans des établissements ordinaires. En 2004, la République tchèque comptait aussi 332 assistants pédagogiques chargés de répondre aux besoins particuliers des élèves roms.
79.  Il est également noté que les classes qui possèdent des programmes spéciaux pour les Roms ont été introduites avec de bonnes intentions, prétendument afin de surmonter les barrières linguistiques ou de remédier à l'absence de préscolarisation des enfants roms. Selon le Commissaire, il faut bien évidemment remédier à ces difficultés, mais la ségrégation et le placement systématique des enfants roms dans des classes qui suivent un programme simplifié ou qui proposent un cursus spécial en langue romani et qui isolent les enfants roms, sont manifestement de mauvaises réponses. Au lieu de la ségrégation, il faudrait mettre davantage l'accent sur des mesures comme l'aide pédagogique et linguistique préscolaires et scolaires et la mise à disposition d'assistants scolaires travaillant avec les enseignants. Par ailleurs, dans certaines communautés, il est essentiel de sensibiliser les parents roms, qui peuvent eux-mêmes ne pas avoir eu l'occasion d'aller à l'école, à la nécessité et aux avantages d'une éducation de qualité pour leurs enfants.
80.  En conclusion, le Commissaire formule un certain nombre de recommandations dans le domaine de l'éducation. Selon lui, lorsque la ségrégation en matière d'éducation existe encore sous une forme ou sous une autre, il faut y substituer un enseignement intégré ordinaire et, s'il y a lieu, l'interdire par la législation. Des ressources suffisantes doivent être affectées à l'enseignement préscolaire, la formation linguistique et la formation d'assistants scolaires afin de garantir le succès des efforts déployés en matière de déségrégation. Puis, une évaluation adéquate doit être faite avant de placer les enfants dans des classes spéciales afin que les seuls critères de placement soient les besoins objectifs de l'enfant et non son origine ethnique.
IV.  LE DROIT ET LA PRATIQUE COMMUNAUTAIRES PERTINENTS
81.  Le principe de l'interdiction de la discrimination, ou celui de l'égalité de traitement, est bien établi dans un ensemble important de textes de droit communautaire fondé sur l'article 13 du Traité instituant la Communauté européenne. Cette disposition permet au Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, de prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.
82.  Ainsi, la directive 97/80/CE du Conseil du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe énonce dans son article 2 § 2 qu'« une discrimination indirecte existe lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte une proportion nettement plus élevée de personnes d'un sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit approprié(e) et nécessaire et ne puisse être justifié(e) par des facteurs objectifs indépendants du sexe des intéressés ». Aux termes de l'article 4 § 1, qui porte sur la charge de la preuve, « les Etats membres, conformément à leur système judiciaire, prennent les mesures nécessaires afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ».
83.  De même, la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique et la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail visent à l'interdiction, dans les domaines régis par elles, de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race, l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. Elles énoncent dans leurs clauses introductives que « l'appréciation des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte appartient à l'instance judiciaire nationale ou à une autre instance compétente, conformément au droit national ou aux pratiques nationales, qui peuvent prévoir, en particulier, que la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens, y compris sur la base de données statistiques », et que « l'aménagement des règles concernant la charge de la preuve s'impose dès qu'il existe une présomption de discrimination et, dans les cas où cette situation se vérifie, la mise en œuvre effective du principe de l'égalité de traitement requiert que la charge de la preuve revienne à la partie défenderesse ».
84.  En particulier, la directive 2000/43/CE dispose ce qui suit dans ses articles 2 (concept de discrimination) et 8 (charge de la preuve) :
Article 2
« 1.  Aux fins de la présente directive, on entend par « principe de l'égalité de traitement », l'absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l'origine ethnique.
2.  Aux fins du paragraphe 1 :
a)  une discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d'origine ethnique, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable ;
b)  une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une race ou d'une origine ethnique donnée par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires. (...) »
Article 8
« 1.  Les Etats membres prennent les mesures nécessaires conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.
2.  Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l'adoption par les Etats membres de règles de la preuve plus favorables aux plaignants.
3.  Le paragraphe 1 ne s'applique pas aux procédures pénales.
5.  Les Etats membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l'instruction des faits incombe à la juridiction ou à l'instance compétente. »
85.  Selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, la discrimination, qui consiste dans l'application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l'application de la même règle à des situations différentes, peut être ostensible ou dissimulée, directe ou indirecte.
86.  Dans son arrêt du 12 février 1974, Giovanni Maria Sotgiu contre Deutsche Bundespost, affaire 152-73, point 11, la CJCE a dit :
« (...) les règles d'égalité de traitement (...) prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (...) »
87.  Dans son arrêt du 13 mai 1986, Bilka-Kaufhaus GmbH contre Karin Weber von Hartz, affaire 170/84, point 31, la CJCE s'est exprimée en ces termes :
« (...) L'article 119 du Traité CEE est violé par une société de grands magasins qui exclut les employés à temps partiel du régime de pensions d'entreprise lorsque cette mesure frappe un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes, à moins que l'entreprise n'établisse que ladite mesure s'explique par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. »
88.  La CJCE, dans son arrêt du 9 février 1999, Regina contre Secretary of State for Employment, ex parte Nicole Seymour-Smith et Laura Perez, affaire C-167/97, points 51, 57, 62, 65, 77, a fait observer :
« (...) la juridiction nationale cherche à déterminer le critère juridique permettant d'établir si une mesure adoptée par un Etat membre affecte différemment les hommes et les femmes dans une mesure telle qu'elle équivaut à une discrimination indirecte. (...).
La Commission (...) propose un test de « pertinence statistique » selon lequel les statistiques doivent constituer des paramètres de comparaison adéquats et la juridiction nationale doit veiller à ce que les statistiques ne soient pas dénaturées par des aspects spécifiques au cas d'espèce. L'existence de statistiques significatives suffirait à établir une incidence disproportionnée et à imposer la charge de la preuve d'une justification à l'auteur de la mesure présumée discriminatoire. (...)
Il y a lieu également de rappeler qu'il appartient au juge national d'apprécier si les données statistiques caractérisant la situation (...) sont valables et si elles peuvent être prises en compte, c'est-à-dire si elles portent sur un nombre suffisant d'individus, si elles ne sont pas l'expression de phénomènes purement fortuits ou conjoncturels et si, d'une manière générale, elles apparaissent significatives (voir arrêt du 27 octobre 1993, Enderby, C-127/92, Rec. p. I-5535, point 17). (...)
Dès lors, (...) pour établir si une mesure adoptée par un Etat membre affecte différemment les hommes et les femmes dans une mesure telle qu'elle équivaut à une discrimination indirecte au sens de l'article 119 du traité, le juge national doit vérifier si les données statistiques disponibles indiquent qu'un pourcentage considérablement plus faible de travailleurs féminins que de travailleurs masculins est en mesure de remplir la condition imposée par ladite mesure. Si tel est le cas, il y a discrimination indirecte fondée sur le sexe, à moins que ladite mesure ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. (..)
(...) dans l''hypothèse où un pourcentage considérablement plus faible de travailleurs féminins que de travailleurs masculins serait en mesure de remplir la condition (...) imposée par la règle litigieuse, il incombe à l'Etat membre, en sa qualité d'auteur de la règle présumée discriminatoire, de faire apparaître que ladite règle répond à un objectif légitime de sa politique sociale, que ledit objectif est étranger à toute discrimination fondée sur le sexe et qu'il pouvait raisonnablement estimer que les moyens choisis étaient aptes à la réalisation de cet objectif. »
89.  Dans l'arrêt du 23 octobre 2003, Hilde Schönheit contre Stadt Frankfurt am Main, aff. C-4/02, et Silvia Becker contre Land Hessen, affaire C-5/02, points 67-69, 71, la CJCE a noté :
« (...) il y a lieu de rappeler que l'article 119 du traité et l'article 141, paragraphes 1 et 2 CE, énoncent le principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail. Ce principe s'oppose non seulement à l'application de dispositions qui établissent des discriminations directement fondées sur le sexe, mais également à l'application de dispositions qui maintiennent des différences de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins en application de critères non fondés sur le sexe dès lors que ces différences de traitement ne peuvent s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (...).
S'agissant des dispositions litigieuses du BeamtVG, il est constant qu'elles n'établissent pas de discriminations directement fondées sur le sexe. Il convient donc de vérifier si elles peuvent constituer une discrimination indirecte (...).
En vue d'établir l'existence d'une telle discrimination, il y a lieu de vérifier si les dispositions litigieuses produisent à l'égard des travailleurs féminins des effets plus défavorables que ceux qu'elles comportent pour les travailleurs masculins (...).
Il y a donc lieu de déterminer si les données statistiques disponibles indiquent qu'un pourcentage considérablement plus important de travailleurs féminins que de travailleurs masculins est affecté par les dispositions du BeamtVG qui entraînent une réduction du montant de la pension des fonctionnaires ayant exercé leurs fonctions à temps partiel pendant au moins une partie de leur carrière. Une telle situation révélerait une apparence de discrimination fondée sur le sexe, à moins que les dispositions litigieuses ne soient justifiées par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. »
90.  Dans l'arrêt du 13 janvier 2004, Debra Allonby contre Accrington & Rossendale College, Education Lecturing Services (...) et Secretary of State for Education and Employment, affaire C-256/01, point 81, la CJCE a dit :
« (...) il y a lieu de constater qu'une femme peut se fonder sur des statistiques pour démontrer qu'une clause contenue dans une réglementation étatique est contraire à l'article 141, paragraphe 1, CE du fait de son caractère discriminatoire à l'encontre des travailleurs féminins. (...) »
91.  Enfin, dans l'arrêt du 7 juillet 2005, Commission des Communautés européennes contre République d'Autriche, affaire C-147/03, points 41 et 46-48, la CJCE s'est exprimée ainsi :
« Selon une jurisprudence constante, le principe d'égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu, 152/73, Rec. p. 153, point 11 ; du 1er juillet 2004, Commission/Belgique, précité, point 28, et du 15 mars 2005, Bidar, C-209/03, non encore publié au Recueil, point 51). (...)
Il y a (...) lieu de constater que la législation en cause désavantage les titulaires de diplômes d'enseignement secondaire obtenus dans un Etat membre autre que la République d'Autriche, dès lors qu'ils ne peuvent accéder à l'enseignement supérieur autrichien dans les mêmes conditions que les titulaires du diplôme autrichien équivalent.
Ainsi, l'article (...), bien qu'applicable indistinctement à tous les étudiants, est susceptible d'affecter davantage les ressortissants d'autres Etats membres que les ressortissants autrichiens, de sorte que la différence de traitement instituée par cette disposition entraîne une discrimination indirecte.
Par conséquent, la différence de traitement en cause ne pourrait être justifiée que si elle se fondait sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi par le droit national (arrêts du 24 novembre 1998, Bickel et Franz, C-274/96, Rec. p. I-7637, point 27, et D'Hoop, précité, point 36). »
V.  LES TEXTES PERTINENTS DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES
A.  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
92.  L'article 26 dudit Pacte est libellé comme suit :
« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »
B.  Le Comité des droits de l'homme des Nations unies
93.  Aux points 7 et 12 de ses observations générales no 18 du 10 novembre 1989 relatives à la non-discrimination, le comité s'exprime ainsi :
« (...) le Comité considère que le terme « discrimination », tel qu'il est utilisé dans le Pacte, doit être compris comme s'entendant de toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice par tous, dans des conditions d'égalité, de l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
(...) lorsqu'un Etat partie adopte un texte législatif, il doit, conformément à l'article 26, faire en sorte que son contenu ne soit pas discriminatoire. »
94.  Au point 11.7 de ses constatations du 31 juillet 1995 relatives à la communication no 516/1992, concernant la République tchèque, le comité exprime l'avis que :
« (...) l'intention du législateur n'est pas le seul facteur déterminant pour établir une violation de l'article 26 du Pacte. Une différence de traitement motivée par des raisons politiques ne saurait guère être considérée comme compatible avec l'article 26. Sans être inspirée par des motivations politiques, une loi peut néanmoins être en infraction avec l'article 26 si elle a des effets discriminatoires. »
C.  La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
95.  Selon l'article premier de cette Convention :
« (...) l'expression «discrimination raciale» vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. »
D.  Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale
96.  Dans sa recommandation générale no 14 du 22 mars 1993 relative à la définition de discrimination, le comité note, entre autres :
« Toute distinction est contraire à la Convention si elle a pour objet ou pour effet de porter atteinte à certains droits ou à certaines libertés. Cela est confirmé par l'obligation faite aux Etats parties à l'alinéa c) du paragraphe 1 de l'article 2 d'annuler toute loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer. (...)
Pour savoir si une mesure a un effet contraire à la Convention, [le comité] se demandera si elle a une conséquence distincte abusive sur un groupe différent par la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique. »
97.  Dans sa recommandation générale no 19 du 18 août 1995 relative à la ségrégation raciale et à l'apartheid, le comité observe :
« (..) si une situation de ségrégation raciale complète ou partielle peut, dans certains pays, avoir été créée par les politiques gouvernementales, une situation de ségrégation partielle peut également être le résultat non intentionnel d'actions de personnes privées. Dans de nombreuses villes, les différences de revenu entre les groupes sociaux influent sur la répartition des habitants par quartiers et ces différences se conjuguent parfois aux différences de race, de couleur, d'ascendance et d'origine nationale ou ethnique, de sorte que les habitants peuvent être victimes d'un certain ostracisme et que les personnes subissent une forme de discrimination dans laquelle les motifs raciaux se combinent à d'autres motifs.
(...) En conséquence, le Comité affirme qu'une situation de ségrégation raciale peut également survenir sans que les autorités en aient pris l'initiative ou y contribuent directement. (...) »
98.  Dans sa recommandation générale no 27 du 16 août 2000 relative à la discrimination à l'égard des Roms, le comité recommande dans le domaine de l'éducation, entre autres, de :
« 17.  Soutenir l'intégration dans le système éducatif de tous les enfants d'origine rom et œuvrer à réduire le taux d'abandon scolaire, en particulier des filles roms et coopérer activement avec les parents, associations et communautés locales roms à cette fin.
18.  Prévenir et éviter autant que possible la ségrégation des élèves roms, tout en laissant ouverte la possibilité d'un enseignement bilingue ou en langue maternelle ; à cette fin, s'attacher à améliorer la qualité de l'enseignement dispensé dans toutes les écoles ainsi qu'à relever le niveau des résultats scolaires des élèves de la minorité rom, à recruter du personnel scolaire appartenant aux communautés roms et à promouvoir une éducation interculturelle.
19.  Envisager l'adoption de mesures en faveur des enfants roms dans le domaine de l'éducation, en coopération avec leurs parents. »
99.  Dans ses conclusions présentées le 30 mars 1998 à l'issue de l'examen du rapport présenté par la République tchèque, le comité note entre autres :
« 13.  La marginalisation de la communauté rom dans le domaine de l'enseignement est préoccupante. Le fait qu'un nombre disproportionné d'enfants roms sont placés dans des écoles spéciales, ce qui induit une ségrégation raciale de facto, et aussi qu'ils sont infiniment moins nombreux dans l'enseignement secondaire et supérieur, conduit à douter de la pleine application de l'article 5 de la Convention. »
E.  La Convention relative aux droits de l'enfant
100.  Les articles 28 et 30 de ladite Convention sont ainsi libellés :
Article 28
« 1.  Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de l'égalité des chances :
a)  Ils rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ;
b)  Ils encouragent l'organisation de différentes formes d'enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l'instauration de la gratuité de l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin ;
c)  Ils assurent à tous l'accès à l'enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés ;
d)  Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l'information et l'orientation scolaires et professionnelles ;
e)  Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d'abandon scolaire.
2.  Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de l'enfant en tant qu'être humain et conformément à la présente Convention.
3.  Les Etats parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l'éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l'ignorance et l'analphabétisme dans le monde et de faciliter l'accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d'enseignement modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. »
Article 30
« Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes d'origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d'employer sa propre langue en commun avec les autres membres de son groupe. »
F.  L'UNESCO
101.  La Convention du 14 décembre 1960 concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement énonce dans ses articles 1 à 3 ce qui suit :
Article 1
« 1.  Aux fins de la présente Convention, le terme « discrimination » comprend toute distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la condition économique ou la naissance, a pour objet ou pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de traitement en matière d'enseignement et, notamment :
a)  D'écarter une personne ou un groupe de l'accès aux divers types ou degrés d'enseignement ;
b)  De limiter à un niveau inférieur l'éducation d'une personne ou d'un groupe ;
c)  Sous réserve de ce qui est dit à l'article 2 de la présente Convention, d'instituer ou de maintenir des systèmes ou des établissements d'enseignement séparés pour des personnes ou des groupes ; ou
d)  De placer une personne ou un groupe dans une situation incompatible avec la dignité de l'homme.
Article 2
« Lorsqu'elles sont admises par l'Etat, les situations suivantes ne sont pas considérées comme constituant des discriminations au sens de l'article premier de la présente Convention :
a)  La création ou le maintien de systèmes ou d'établissements d'enseignement séparé pour les élèves des deux sexes, lorsque ces systèmes ou établissements présentent des facilités d'accès à l'enseignement équivalentes, disposent d'un personnel enseignant possédant des qualifications de même ordre, ainsi que de locaux scolaires et d'un équipement de même qualité, et permettent de suivre les mêmes programmes d'études ou des programmes d'études équivalents ;
b)  La création ou le maintien, pour des motifs d'ordre religieux ou linguistique, de systèmes ou d'établissements séparés dispensant un enseignement qui correspond au choix des parents ou tuteurs légaux des élèves, si l'adhésion à ces systèmes ou la fréquentation de ces établissements demeure facultative et si l'enseignement dispensé est conforme aux normes qui peuvent avoir été prescrites ou approuvées par les autorités compétentes, en particulier pour l'enseignement du même degré ;
c)  La création où le maintien d'établissements d'enseignement privés, si ces établissements ont pour objet non d'assurer l'exclusion d'un groupe quelconque, mais d'ajouter aux possibilités d'enseignement qu'offrent les pouvoirs, publics, si leur fonctionnement répond à cet objet et si l'enseignement dispensé est conforme aux normes qui peuvent avoir été prescrites ou approuvées par les autorités compétentes, en particulier pour l'enseignement du même degré. »
Article 3
« Aux fins d'éliminer et de prévenir toute discrimination au sens de la présente Convention, les Etats qui y sont parties s'engagent à :
a)  Abroger toutes dispositions législatives et administratives et à faire cesser toutes pratiques administratives qui comporteraient une discrimination dans le domaine de l'enseignement ;
b)  Prendre les mesures nécessaires, au besoin par la voie législative, pour qu'il ne soit fait aucune discrimination dans l'admission des élèves dans les établissements d'enseignement ;
102.  La Déclaration sur la race et les préjugés raciaux, adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO le 27 novembre 1978, dispose :
Article 1
« 1.  Tous les êtres humains appartiennent à la même espèce et proviennent de la même souche. Ils naissent égaux en dignité et en droits et font tous partie intégrante de l'humanité.
2.  Tous les individus et tous les groupes ont le droit d'être différents, de se concevoir et d'être perçus comme tels. Toutefois, la diversité des formes de vie et le droit à la différence ne peuvent en aucun cas servir de prétexte aux préjugés raciaux; ils ne peuvent légitimer ni en droit ni en fait quelque pratique discriminatoire que ce soit, ni fonder la politique de l'apartheid qui constitue la forme extrême du racisme.
Article 2
2.  Le racisme englobe les idéologies racistes, les attitudes fondées sur les préjugés raciaux, les comportements discriminatoires, les dispositions structurelles et les pratiques institutionnalisées qui provoquent l'inégalité raciale, ainsi que l'idée fallacieuse que les relations discriminatoires entre groupes sont moralement et scientifiquement justifiables; il se manifeste par des dispositions législatives ou réglementaires et par des pratiques discriminatoires, ainsi que par des croyances et des actes antisociaux; il entrave le développement de ses victimes, pervertit ceux qui le mettent en pratique, divise les nations au sein d'elles mêmes, constitue un obstacle à la coopération internationale, et crée des tensions politiques entre les peuples; il est contraire aux principes fondamentaux du droit international et, par conséquent, il trouble gravement la paix et la sécurité internationales.
3.  Le préjugé racial, historiquement lié aux inégalités de pouvoir, se renforçant en raison des différences économiques et sociales entre les individus et les groupes humains, et visant encore aujourd'hui à justifier de telles inégalités, est totalement injustifié. »
Article 3
« Est incompatible avec les exigences d'un ordre international juste et garantissant le respect des droits de l'homme toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'origine ethnique ou nationale ou sur l'intolérance religieuse motivée par des considérations racistes, qui détruit ou compromet l'égalité souveraine des Etats et le droit des peuples à l'autodétermination ou qui limite d'une manière arbitraire ou discriminatoire le droit au développement intégral de tout être et groupe humains; ce droit implique un accès en pleine égalité aux moyens de progrès et d'épanouissement collectif et individuel dans un climat qui respecte les valeurs de civilisation et les cultures nationales et universelles.
Article 5
« 1.  La culture, oeuvre de tous les humains et patrimoine commun de l'humanité, et l'éducation, au sens le plus large, offrent aux hommes et aux femmes des moyens sans cesse plus efficaces d'adaptation, leur permettant non seulement d'affirmer qu'ils naissent égaux en dignité et en droits, mais aussi de reconnaître qu'ils doivent respecter le droit de tous les groupes humains à l'identité culturelle et au développement de leur vie culturelle propre dans le cadre national et international, étant entendu qu'il appartient à chaque groupe de décider en toute liberté du maintien et, le cas échéant, de l'adaptation ou de l'enrichissement des valeurs qu'il considère comme essentielles à son identité.
2.  L'Etat, conformément à ses principes et procédures constitutionnels, ainsi que toutes les autorités compétentes et tout le corps enseignant ont la responsabilité de veiller à ce que les ressources en matière d'éducation de tous les pays soient mises en oeuvre pour combattre le racisme, notamment en faisant en sorte que les programmes et les manuels fassent place à des notions scientifiques et éthiques sur l'unité et la diversité humaines, et soient exempts de distinctions désobligeantes à l'égard d'un peuple; en assurant la formation du personnel enseignant à ces fins; en mettant les ressources du système scolaire à la disposition de tous les groupes de la population sans restriction ni discrimination raciales et en prenant les mesures propres à remédier aux limitations dont souffrent certains groupes raciaux ou ethniques quant au niveau d'éducation et au niveau de vie et à éviter en particulier qu'elles ne soient transmises aux enfants.
Article 6
« 1.  L'Etat assume des responsabilités primordiales dans la mise en oeuvre des droits de l'homme et des libertés fondamentales en pleine égalité, en dignité et en droits, par tous les individus et par tous les groupes humains.
2.  Dans le cadre de ses compétences et conformément à ses dispositions constitutionnelles, l'Etat devrait prendre toutes les mesures appropriées, y compris par voie législative, notamment dans les domaines de l'éducation, de la culture et de l'information, afin de prévenir, d'interdire et d'éliminer le racisme, la propagande raciste, la ségrégation raciale et l'apartheid, et d'encourager la diffusion des connaissances et des résultats des recherches appropriées en sciences naturelles et sociales sur les causes et la prévention des préjugés raciaux et des attitudes racistes, tenant dûment compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
3.  Étant donné que la législation proscrivant la discrimination raciale ne saurait suffire, il appartient également à l'Etat de la compléter par un appareil administratif chargé d'enquêter de façon systématique sur les cas de discrimination raciale, par un ensemble complet de recours juridiques contre les actes de discrimination raciale, par des programmes d'éducation et de recherche de grande portée destinés à lutter contre les préjugés raciaux et la discrimination raciale, ainsi que par des programmes de mesures positives d'ordre politique, social, éducatif et culturel propres à promouvoir un véritable respect mutuel entre les groupes humains. Lorsque les circonstances le justifient, des programmes spéciaux, doivent être mis en oeuvre pour promouvoir l'amélioration de la situation des groupes défavorisés et, lorsqu'il s'agit de nationaux, leur participation effective au processus de prise des décisions de la communauté.
Article 9
« 1.  Le principe de l'égalité en dignité et en droits de tous les êtres humains et de tous les peuples, quelles que soient leur race, leur couleur et leur origine, est un principe généralement accepté et reconnu en droit international. En conséquence, toute forme de discrimination raciale pratiquée par l'Etat constitue une violation du droit international qui entraîne sa responsabilité internationale.
2. Des mesures spéciales doivent être prises en vue d'assurer l'égalité en dignité et en droits des individus et des groupes humains partout où cela est nécessaire en évitant de leur donner un caractère qui pourrait paraître discriminatoire sur le plan racial. A cet égard, une attention particulière doit être accordée aux groupes raciaux ou ethniques socialement ou économiquement défavorisés afin de leur assurer, en pleine égalité et sans discrimination ni restriction, la protection des lois et règlements, ainsi que le bénéfice des mesures sociales en vigueur, notamment en matière de logement, d'emploi et de santé, de respecter l'authenticité de leur culture et de leurs valeurs, et de faciliter, en particulier par l'éducation, leur promotion sociale et professionnelle.
VI.  AUTRES SOURCES
A.  L'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (désormais l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne)
103.  Les informations relatives à l'éducation en République tchèque, disponibles sur le site internet de l'Observatoire, sont notamment les suivantes :
« En République tchèque, il n'existe aucune donnée, officielle ou non officielle, sur le racisme et la discrimination dans l'éducation.
Le problème le plus grave du système éducatif tchèque demeure la ségrégation dans l'orientation scolaire des enfants issus de milieux socialement défavorisés (très souvent des Roms), ces enfants étant placés dans les écoles spéciales. Plus de la moitié des enfants roms sont scolarisés dans ces établissements. Cette tendance du système éducatif tchèque, en particulier au niveau de l'enseignement primaire, est confirmée par les recherches approfondies menées par l'institut de sociologie de l'Académie des sciences de la République tchèque. Seulement un pourcentage très faible d'enfants roms accèdent à l'enseignement secondaire. »
104.  Le rapport de l'Observatoire, intitulé « Roma et travellers dans l'enseignement public », publié en mai 2006 et concernant à l'époque les 25 Etats membres de l'Union européenne, indique entre autres que, même si la ségrégation systématique des élèves roms n'existe plus au niveau des politiques éducatives, la ségrégation est pratiquée par les écoles et les autorités éducatives de diverses manières, le plus souvent indirectes, résultant tantôt des politiques et pratiques menées ou utilisées, tantôt de la ségrégation résidentielle. Les écoles et les autorités éducatives peuvent par exemple avoir recours à la ségrégation de certains élèves parce qu'elles perçoivent des « besoins différents » et/ou en réponse à des problèmes de comportement ou à des difficultés d'apprentissage. Ce dernier facteur conduit régulièrement à placer les élèves roms dans des écoles spéciales pour les handicapés mentaux, un phénomène qui reste inquiétant dans des Etats membres de l'Union européenne comme la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque. Il est néanmoins constaté que des mesures sont prises actuellement pour réexaminer les procédures de test et de placement en prenant en compte les normes et les schémas comportementaux du contexte social et culturel des enfants roms.
B.  La Chambre des lords
105.  Dans la décision Regina v. Immigration Officer at Prague Airport and another ex parte European Roma Rights Centre and others, datée du 9 décembre 2004, la Chambre des lords a déclaré, à l'unanimité, que les agents britanniques des services de l'immigration travaillant à l'aéroport de Prague avaient opéré une discrimination envers les Roms qui voulaient partir de cet aéroport pour la Grande-Bretagne, car ils leur avaient réservé, pour des motifs de race, un traitement moins favorable qu'aux autres voyageurs à destination de ce pays.
106.  La baronne Hale of Richmond a considéré notamment :
« 73.  (...) Est sous-jacente aux lois interdisant tant la discrimination fondée sur la race que celle fondée sur le sexe la notion que les individus des deux sexes et de toutes les races ont droit à l'égalité de traitement. Ainsi, il est tout aussi discriminatoire de traiter des hommes moins favorablement que des femmes que de traiter des femmes moins favorablement que des hommes ; et il est tout aussi discriminatoire de traiter des Blancs moins favorablement que des Noirs que de traiter des Noirs moins favorablement que des Blancs. Il y a discrimination illégale lorsque : i) il existe une différence de traitement entre une personne et une autre (réelle ou hypothétique) appartenant à l'autre sexe ou à un autre groupe racial ; ii)  l'une des personnes fait l'objet d'un traitement moins favorable ; iii) les circonstances à prendre en compte sont les mêmes ou ne sont pas sensiblement différentes ; et iv)  la différence de traitement est fondée sur le sexe ou sur la race. Toutefois, étant donné que les individus affichent rarement leurs préjugés dont ils ne sont d'ailleurs peut-être pas même conscients, la discrimination sera normalement établie à partir d'indices plutôt que sur la foi de preuves directes. Une fois démontré qu'une personne s'est vu réserver un traitement moins favorable qu'une personne placée dans une situation comparable (éléments i), ii) et iii)), le tribunal sollicite une explication de l'auteur présumé de la discrimination. L'explication doit, bien entendu, être dénuée de lien avec la race ou le sexe du demandeur. En l'absence d'explication, ou d'explication satisfaisante, il est légitime de présumer que l'intéressé a fait l'objet d'un traitement moins favorable pour des motifs liés à sa race (...).
74.  Si une discrimination directe de ce type est démontrée, la question est réglée. A quelques très rares exceptions près, aucune justification objective ne peut être avancée. La loi entend précisément que les prestataires traitent chaque personne comme un individu, et non comme le membre d'un groupe. Le prestataire ne doit pas partir du principe que l'individu présente les caractéristiques qu'il associe au groupe, que la plupart des membres du groupe possèdent effectivement ou non ces caractéristiques, autrement dit il ne doit pas tomber dans le stéréotype (...).
75.  En l'espèce, on est en présence d'une plainte de discrimination directe envers les Roms. Il y a discrimination indirecte lorsqu'un employeur ou un prestataire traite chaque individu de la même façon, mais applique à tous une exigence ou une condition que les personnes appartenant à un sexe ou à un groupe racial sont très probablement moins à même de remplir que les personnes appartenant à l'autre sexe ou à un autre groupe ; on peut citer à titre d'exemple une épreuve d'haltérophilie que les hommes ont bien plus de chances que les femmes de réussir. Cette exigence est illégale seulement si elle ne peut se justifier indépendamment du sexe ou de la race des intéressés (...). Mais c'est l'exigence ou la condition qui peut se justifier, et non la discrimination. Il ne faut pas confondre ce type de justification avec la possibilité d'une justification objective à un traitement discriminatoire qui serait sinon contraire à l'article 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. (...)
90.  Il y a lieu de rappeler que les bonnes pratiques en matière d'égalité des chances ne vont peut-être pas de soi. Pour beaucoup, il est contraire au bon sens d'aborder tous les demandeurs sur un pied d'égalité, sans aucun préjugé, indépendamment des raisons très valables qu'il peut y avoir d'en soupçonner certains plus que d'autres. Mais c'est ce que veut une loi qui tente de garantir que des individus ne soient pas défavorisés par les caractéristiques générales du groupe auquel ils appartiennent. En 2001, lorsque l'opération qui nous intéresse a commencé, la législation sur les relations interraciales venait tout juste d'être étendue aux activités des services de l'immigration. Il ne serait guère surprenant que des fonctionnaires confrontés à des impératifs de délais aient du mal à se conformer en tous points aux procédures et attentes que les employeurs peinent à observer depuis plus d'un quart de siècle.
91.  C'est dans ce contexte que les éléments de preuve pouvant exister en ce qui concerne les événements survenus à l'aéroport de Prague doivent être appréciés. Les fonctionnaires n'ont pas consigné l'origine ethnique des personnes qu'ils ont interrogées. Les défendeurs ne peuvent donc nous fournir aucune donnée indiquant le nombre d'individus de chaque groupe qui ont été interrogés, la durée de cet interrogatoire et son résultat. D'après les défendeurs, cela montre clairement que les fonctionnaires ne se sont pas fondés sur l'Autorisation : s'ils l'avaient fait, ils auraient simplement eu à consigner leur opinion quant à l'origine ethnique du passager. Si cette opinion s'était révélée juste, cela aurait suffi pour justifier un refus. Mais ce qui apparaît également, c'est qu'aucune mesure formelle n'a été prise pour que soient rassemblées les informations qui auraient permis d'éviter toute discrimination dans la conduite de cette opération à haut risque. Cela signifie aussi que les seules informations disponibles sont celles fournies par les demandeurs, en particulier par le Centre européen pour les droits des Roms, qui tentait de surveiller l'opération. Les défendeurs peuvent mettre en doute la fiabilité de ces informations, mais ils ne peuvent pas en prouver la fausseté ou fournir des renseignements plus fiables. (...) »
C.  La Cour suprême des Etats-Unis d'Amérique
107.  La décision Griggs v. Duke Power Co., 401 U.S. 424 (1971), dans laquelle la Cour suprême a établi la théorie de l'impact disproportionné, a été rendue à l'issue d'une procédure intentée par les employés noirs d'une centrale électrique, qui considéraient comme discriminatoire la pratique de leur employeur exigeant un diplôme de high school ou la réussite aux tests d'intelligence, même pour les postes les moins bien payés (les Noirs ayant été moins nombreux à posséder un tel diplôme ou à réussir les tests standardisés). La Cour suprême a déclaré à cette occasion :
« La loi [de 1964 sur les droits civils] exige l'élimination des obstacles artificiels, arbitraires et inutiles à l'emploi qui ont l'effet désobligeant d'opérer une discrimination fondée sur la race. Si, comme c'est le cas en l'espèce, on ne peut pas démontrer qu'une pratique en matière d'emploi ayant pour effet d'exclure les Noirs est liée à la performance professionnelle, cette pratique est interdite, nonobstant l'absence d'intention discriminatoire de la part de l'employeur.
La loi n'exclut pas le recours à des tests ou à des évaluations, mais elle interdit de leur conférer un poids décisif, à moins qu'il ne soit démontré qu'il s'agit d'une appréciation raisonnable de la performance professionnelle (...).
La loi interdit non seulement toute discrimination directe mais aussi les pratiques qui sont justes dans la forme, mais discriminatoires dans les faits. La pierre de touche, ce sont les besoins de l'entreprise. Lorsqu'on ne peut pas démontrer qu'une pratique dans le domaine de l'emploi qui a pour effet d'exclure les Noirs est liée à la performance professionnelle, elle est interdite. (...)
(...) Le Congrès fait peser sur l'employeur la charge de prouver que toute exigence a un lien manifeste avec l'emploi en question. »
EN DROIT
I.  SUR L'ÉTENDUE DE LA COMPÉTENCE DE LA GRANDE CHAMBRE
108.  Dans leurs observations définitives présentées à la Grande Chambre le 26 septembre 2006, les requérants continuent de soutenir que les droits dont ils jouissent en vertu des articles 3 et 6 § 1 de la Convention ont été violés.
109.  Selon la jurisprudence de la Cour, l'« affaire » renvoyée devant la Grande Chambre est la requête telle qu'elle a été déclarée recevable (voir, par exemple, Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 128, CEDH 2005-XI ; Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 41, CEDH 2006-...). La Grande Chambre note que, dans sa décision partielle du 1er mars 2005, la chambre a déclaré irrecevables tous les griefs des requérants qui ne se rapportaient pas à l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1, dont ceux tirés des articles 3 et 6 § 1 de la Convention. Dès lors, les griefs fondés sur ces dernières dispositions – pour autant que les requérants eussent l'intention de les invoquer une nouvelle fois devant la Grande Chambre – ne font pas partie de l'objet du litige devant celle-ci.
II.  SUR L'EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
110.  La Cour note que, dans la décision sur la recevabilité de la présente requête, l'exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes, soulevée par le Gouvernement dans ses observations du 15 mars 2004, a été jointe au fond du grief tiré de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1. Dans son arrêt du 7 février 2005 (§ 31), la chambre a considéré que les arguments des parties relatifs à la condition de l'épuisement des voies de recours internes faisaient apparaître des questions qui étaient étroitement liées au fond de l'affaire. Elle a ensuite estimé, à l'instar de la Cour constitutionnelle tchèque, que la présente requête revêtait une importance considérable et abordait des enjeux sérieux. Pour ces raisons, et eu égard au fait que la requête donnait lieu à un constat de non-violation pour d'autres motifs tenant au bien-fondé, la chambre a jugé inutile d'examiner en l'espèce la question de savoir si les requérants avaient satisfait à ladite condition.
111.  Il convient de rappeler que la Grande Chambre, en cas de renvoi d'une affaire devant elle, peut examiner aussi des questions relatives à la recevabilité de la requête, entre autres lorsque ces questions ont été jointes au fond ou lorsqu'elles présentent un intérêt au stade de l'examen au fond (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 141, CEDH 2001-VII).
112.  Dans ces conditions, la Grande Chambre juge nécessaire de se prononcer en l'espèce sur la question de savoir si les requérants ont satisfait à la condition de l'épuisement des voies de recours internes.
113.  Le Gouvernement soutient que les intéressés n'ont pas exercé tous les recours susceptibles de remédier à leur situation. Il note, d'une part, que les requérants ne se sont pas prévalus de la possibilité de faire appel des décisions ordonnant leur placement dans des écoles spéciales et, d'autre part, que six d'entre eux n'ont pas formé de recours constitutionnel. De plus, seuls cinq requérants parmi ceux qui ont saisi la Cour constitutionnelle ont attaqué concrètement les décisions de les placer dans des écoles spéciales. En outre, les requérants n'ont pas cherché à protéger leur dignité par le biais d'une action en protection des droits de la personnalité fondée sur le code civil, et leurs parents n'ont saisi ni les organes d'inspection scolaire ni le ministère de l'Education.
114.  Les requérants soutiennent d'abord qu'il n'existe en République tchèque aucun recours disponible, effectif et suffisant pour faire valoir un grief relatif à une discrimination raciale dans l'éducation. Pour ce qui est plus particulièrement du recours constitutionnel, son inefficacité résulterait du raisonnement adopté en l'espèce par la Cour constitutionnelle et du refus de celle-ci d'accorder une importance à la pratique générale invoquée par les requérants ; on ne saurait donc reprocher à ceux qui ne l'ont pas introduit de ne pas l'avoir fait. En ce qui concerne l'omission d'interjeter un appel administratif, les requérants affirment qu'au moment où le délai pour le former était ouvert leurs parents n'avaient pas eu accès aux informations nécessaires ; par ailleurs, même la Cour constitutionnelle n'a pas tenu compte de ce manquement. L'action en protection des droits de la personnalité ne saurait quant à elle être considérée comme un moyen de contester les décisions administratives passées en force de chose jugée, et le Gouvernement n'aurait apporté aucune preuve de son efficacité.
Ensuite, à supposer même qu'il existe un recours effectif, les requérants estiment qu'il n'est pas nécessaire de l'exercer là où se trouve en place une pratique administrative qui rend le racisme possible ou l'encourage, tel le système des écoles spéciales en République tchèque. Ils attirent également l'attention de la Cour sur la haine raciale et sur le nombre d'actes de violence perpétrés en République tchèque à l'encontre des Roms, ainsi que sur le caractère insatisfaisant des sanctions infligées en cas d'infractions pénales motivées par le racisme et la xénophobie.
115.  La Cour rappelle que la condition de l'épuisement des voies de recours internes énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention se fonde sur l'hypothèse que l'ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour qu'un recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible et susceptible d'offrir au requérant la réparation de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 57, CEDH 1999-IX).
116.  La Cour souligne également qu'elle doit appliquer la règle de l'épuisement des voies de recours internes en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l'homme que les Etats contractants sont convenus d'instaurer. Elle a ainsi reconnu que l'article 35 § 1 doit être appliqué avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que cette règle ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de l'Etat contractant concerné, mais également du contexte dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant. Il lui faut dès lors examiner si, compte tenu de l'ensemble des circonstances de la cause, le requérant a fait tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 59, CEDH 2000-VII).
117.  Dans la présente affaire, le Gouvernement reproche, en premier lieu, aux requérants qu'aucun d'eux n'a tiré parti de la possibilité de faire appel de la décision ordonnant son placement dans une école spéciale, ni n'a introduit une action en protection des droits de la personnalité.
118.  A cet égard, la Cour relève, comme le font d'ailleurs les requérants, que la Cour constitutionnelle tchèque a décidé de ne pas tenir compte de ce manquement (paragraphe 28 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour est d'avis qu'il serait trop formaliste d'exiger des intéressés qu'ils usent d'un recours que même la juridiction suprême du pays ne les obligeait pas à exercer.
119.  En second lieu, le Gouvernement fait observer que, sur les douze requérants qui ont introduit un recours constitutionnel, cinq seulement ont attaqué concrètement les décisions de les placer dans des écoles spéciales, ce qui a permis à la Cour constitutionnelle de statuer sur leurs cas.
120.  La Cour observe que, grâce à ces cinq requérants ayant satisfait aux exigences formelles du recours constitutionnel, la Cour constitutionnelle a eu l'occasion de se prononcer sur l'ensemble des griefs que les intéressés soulèvent aujourd'hui devant la Cour. La juridiction constitutionnelle a en outre considéré que le recours dépassait les intérêts propres des requérants ; dans ce sens, sa décision avait donc un caractère plus général.
121.  En outre, il ressort de la décision du 20 octobre 1999 que la Cour constitutionnelle s'est bornée à vérifier l'interprétation et l'application par les autorités compétentes des dispositions légales pertinentes, sans se pencher sur la question de leur impact, considéré comme discriminatoire par les requérants. Quant au grief concernant la discrimination raciale, cette juridiction a constaté en outre qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier le contexte social global.
122.  Dans ces conditions, rien ne donne à penser que si la Cour constitutionnelle avait été amenée à se prononcer sur les cas des treize autres requérants, qui n'ont pas introduit le recours constitutionnel ou attaqué la décision du directeur de l'école spéciale, sa conclusion aurait été différente. Au vu de ces éléments, la Cour n'est pas convaincue que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, cette voie était susceptible d'offrir aux requérants une réparation de leurs griefs et qu'elle présentait des perspectives raisonnables de succès.
123.  Partant, il convient de rejeter en l'espèce l'exception préliminaire du Gouvernement.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 1
124.  Les requérants soutiennent avoir subi une discrimination fondée sur leur race ou leur origine ethnique au motif qu'ils ont fait l'objet d'un traitement moins favorable que celui réservé aux autres enfants se trouvant dans une situation comparable, sans qu'il y ait eu la moindre justification objective et raisonnable. Ils invoquent à cet égard l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1, libellés comme suit :
Article 14 de la Convention
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 2 du Protocole no 1
« Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »
A.  L'arrêt de la chambre
125.  La chambre a conclu à l'absence de violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1. Selon elle, le Gouvernement avait réussi à prouver que le système des écoles spéciales en République tchèque n'était pas conçu pour accueillir uniquement des enfants roms et qu'au sein de ces établissements de multiples efforts étaient déployés pour aider certaines catégories d'élèves à acquérir des connaissances de base. Sur ce point, la chambre a observé que la réglementation relative aux modalités de placement des enfants dans des écoles spéciales n'avait pas trait à l'origine ethnique des élèves, mais poursuivait le but légitime de l'adaptation du système d'éducation aux besoins, aptitudes ou déficiences des enfants.
126.  La chambre a notamment relevé que les requérants n'avaient pas réussi à réfuter les conclusions des experts selon lesquelles leurs lacunes intellectuelles étaient telles qu'elles les empêchaient de suivre le cursus proposé dans des écoles primaires ordinaires. Elle a en outre noté que les parents des intéressés étaient restés passifs ou avaient eux-mêmes exprimé le souhait que leurs enfants soient inscrits ou restent dans les écoles spéciales.
127.  Dans son arrêt, la chambre a reconnu qu'il n'était pas facile de choisir un système éducatif conciliant les divers intérêts concurrents et qu'il ne semblait pas y avoir de solution idéale. Tout en admettant que les statistiques révélaient des chiffres inquiétants et que la situation générale en République tchèque concernant l'éducation des enfants roms restait à parfaire, la chambre a néanmoins considéré que les éléments concrets dont elle disposait dans la présente affaire ne lui permettaient pas de conclure que le placement des requérants et le maintien de certains d'entre eux dans des écoles spéciales avaient été motivés par des préjugés raciaux.
B.  Les observations des parties devant la Grande Chambre
1.  Les requérants
128.  Les requérants soutiennent que l'interprétation restrictive de la notion de discrimination à laquelle s'est livrée la chambre est incompatible non seulement avec le but de la Convention mais aussi avec la jurisprudence de la Cour et celle d'autres juridictions d'Europe et d'ailleurs.
129.  Tout d'abord, les requérants demandent à la Grande Chambre de corriger le critère, obscur et contradictoire, appliqué par la chambre pour juger de l'existence d'une discrimination. Ils notent que, d'un côté, la chambre a réaffirmé le principe établi qui veut que si une politique ou une mesure générale ont des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes, on ne saurait exclure qu'elles soient considérées comme discriminatoires, nonobstant le fait qu'elles ne visent pas ce groupe en particulier. D'un autre côté, cependant, elle s'est écartée de la jurisprudence antérieure de la Cour (Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000-IV ; Hoogendijk c. Pays-Bas (déc.), no 58461/00, 6 janvier 2005 ; Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 157, CEDH 2005-...) pour exiger à tort des requérants qu'ils apportent la preuve de l'intention discriminatoire qui animait les autorités tchèques. De l'avis des requérants, une telle exigence est irréaliste et illogique : en effet, peu importe que les écoles spéciales aient ou non été conçues pour opérer une ségrégation raciale car tel a indubitablement été leur effet dans les faits. La réalité est que des acteurs bien intentionnés se livrent souvent à des pratiques discriminatoires par ignorance, négligence ou inertie.
130.  Les requérants observent notamment que, en se refusant à renverser la charge de la preuve dans l'arrêt Natchova et autres précité (§ 157), la Cour a pris soin de distinguer entre les crimes violents et les actes non violents de discrimination raciale, par exemple dans les domaines de l'emploi ou de la prestation de services. Selon les intéressés, la discrimination raciale en matière d'accès à l'éducation relève précisément de cette dernière catégorie d'actes de discrimination qui peuvent être prouvés en l'absence d'élément intentionnel. Plus récemment, la Cour a jugé dans l'arrêt Zarb Adami c. Malte (no 17209/02, §§ 75 et 76, CEDH 2006-...) qu'une différence de traitement n'avait pas à être inscrite dans un texte législatif pour violer l'article 14 et qu'une « pratique bien établie » ou une « situation de fait » pouvaient aussi donner lieu à des actes de discrimination. En l'espèce, les requérants estiment que, vu qu'ils ont incontestablement réussi à établir l'existence d'un impact disproportionné, il faut déplacer la charge de la preuve pour la faire peser sur le Gouvernement, auquel il incombe de démontrer que leur origine ethnique n'a pas influé sur les décisions litigieuses et qu'il existait des garanties suffisantes contre la discrimination.
131.  A cet égard, les intéressés notent que, dans sa recommandation de politique générale no 7, l'ECRI invite les Etats à interdire aussi bien la discrimination directe que la discrimination indirecte, dont aucune n'exige la preuve d'une intention de discriminer. En effet, une nette majorité d'Etats membres du Conseil de l'Europe ont déjà expressément interdit la discrimination dans certains textes de leur législation nationale sans exiger la preuve d'une telle intention, ce qui se reflète dans leur pratique judiciaire. Dans ce contexte, les requérants se réfèrent entre autres à la décision de la Chambre des lords dans l'affaire Regina v. Immigration Officer at Prague Airport and another ex parte European Roma Rights Centre and others (paragraphe 105 ci-dessus), ainsi qu'à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Enfin, la discrimination indirecte est également interdite en droit international, notamment par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
132.  Etant donné la portée essentielle de la protection de l'article 14 et la nécessité de la rendre effective, les règles pertinentes applicables par la Cour gagneraient donc à être précisées, entre autres pour que le principe de non-discrimination soit uniformément interprété et appliqué par les deux cours européennes. C'est pourquoi les intéressés invitent la Grande Chambre à dire clairement que l'élément intentionnel n'est pas nécessaire pour établir l'existence d'une discrimination au regard de l'article 14, sauf dans les cas où l'intention est déjà un élément de l'infraction initiale, comme par exemple lorsqu'il s'agit d'actes de violence à motivation raciale.
133.  En l'espèce, les requérants ne soutiennent pas que les autorités compétentes avaient à l'époque adopté un comportement injustement raciste envers les Roms, ni qu'elles avaient l'intention de leur faire subir une discrimination, ni même qu'elles avaient manqué à prendre des mesures positives. Tout ce qui doit être établi, et qui l'a bien été selon eux, c'est que ces autorités les ont soumis à un traitement défavorable par rapport aux non-Roms se trouvant dans une situation comparable, sans justification objective et raisonnable. La question d'une norme européenne commune, soulevée par le Gouvernement, est selon les requérants plutôt de nature politique et son existence ou absence n'a pas d'importance car le principe de l'égalité de traitement est une norme impérative de droit international.
134.  Dans cet ordre d'idées, les requérants invitent la Grande Chambre à fournir des indications sur les types de preuves pertinents dans le cadre d'une allégation de violation de l'article 14, en particulier sur les preuves statistiques, sans pour autant se limiter à celles-ci. Ils observent que la chambre a écarté les preuves statistiques abondantes et accablantes présentées par eux, sans se pencher sur leur exactitude ou inexactitude, et ce bien qu'elles fussent corroborées par les constatations d'organes indépendants et intergouvernementaux spécialisés (ECRI, comité pour l'élimination de la discrimination raciale, comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales) et par l'aveu même du Gouvernement (paragraphes 41 et 66 ci-dessus). Selon ces données, alors que les enfants roms ne représentaient à la date de l'introduction de la requête que 5 % des enfants en âge d'être scolarisés, ils constituaient plus de la moitié des élèves des écoles spéciales. Tandis que moins de 2 % des élèves non roms d'Ostrava étaient placés dans ces établissements, plus de la moitié des enfants roms y étaient envoyés. Globalement, un enfant rom aurait eu vingt-sept fois plus de chances d'être orienté vers une école spéciale qu'un enfant non rom dans une situation comparable.
135.  De l'avis des requérants, ces éléments indiquent sans ambiguïté que, par une volonté délibérée ou une négligence coupable, la race ou l'origine ethnique sont des facteurs qui ont perverti de manière notable, voire déterminante, le processus de placement scolaire. La présomption selon laquelle les intéressés, à l'instar des autres enfants roms de la ville d'Ostrava, ont été victimes d'actes de discrimination fondés sur leur origine ethnique n'a jamais été réfutée. En outre, nul ne conteste que, du fait de leur placement dans des écoles spéciales, les intéressés ont reçu une formation nettement moins bonne que celle dispensée aux enfants non roms, ce qui les a effectivement privés de la possibilité de poursuivre des études secondaires ailleurs que dans un centre d'apprentissage.
136.  Dans ce contexte, les requérants soutiennent que, en Europe et ailleurs, les statistiques sont souvent utilisées dans les affaires où il est question d'un effet discriminatoire, comme c'est le cas en l'espèce, car elles sont parfois le seul moyen de prouver la discrimination indirecte. Les statistiques sont notamment admises comme preuve d'une discrimination par les organes de contrôle des traités des Nations unies et par la Cour de justice des Communautés européennes. La directive 2000/43/CE du Conseil prévoit expressément que « la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens, y compris sur la base des données statistiques ».
137.  S'agissant des organes de la Convention, les requérants observent que, pour conclure à la discrimination raciale dans l'affaire Asiatiques d'Afrique orientale c. Royaume-Uni (nos 4403/70-4530/70, rapport de la Commission du 14 décembre 1973, Décisions et rapports (DR) 78-B, p. 5), la Commission s'est basée sur des circonstances environnantes, incluant des donnés statistiques concernant l'impact disproportionné de la législation sur les citoyens britanniques d'origine asiatique. Récemment, la Cour a indiqué dans sa décision Hoogendijk précitée que, si elles ne sont pas suffisantes à elles seules, les statistiques peuvent, en particulier lorsqu'elles sont incontestées, constituer un commencement de preuve de l'existence d'une discrimination qui oblige le Gouvernement à fournir une explication objective de la différence de traitement constatée. Par ailleurs, pour parvenir à ses conclusions dans l'affaire Zarb Adami (arrêt précité), la Cour s'est appuyée notamment sur des statistiques faisant ressortir des conséquences disproportionnées.
138.  Les intéressés estiment ensuite qu'il serait utile que la Grande Chambre clarifie la jurisprudence de la Cour afin de déterminer si la différence de traitement en cause dans cette affaire est « objectivement et raisonnablement justifiée » au regard de l'article 14, et qu'elle précise les conclusions qu'il convient de tirer de l'absence d'explication satisfaisante. Se référant entre autres aux arrêts Timichev c. Russie (nos 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005-...) et Moldovan c. Roumanie (no 2) (nos 41138/98 et 64320/01, § 140, CEDH 2005-... (extraits)), ils soutiennent que, dès lors que le requérant a démontré une différence de traitement, il appartient au gouvernement défendeur d'en établir la justification ; en l'absence d'explication dénuée de toute connotation raciale, il est légitime de conclure que la différence de traitement est fondée sur des motifs raciaux. Les requérants estiment en l'occurrence qu'une maîtrise insuffisante de la langue tchèque, la pauvreté ou un statut socioéconomique différent ne sauraient constituer une justification raisonnable et objective. Ils contestent également que le nombre démesurément élevé d'enfants roms placés dans des écoles spéciales puisse s'expliquer par les résultats des tests sur les capacités intellectuelles ou être justifié par le consentement parental (voir aussi les paragraphes 141-142 ci-dessous).
139.  Les requérants considèrent aussi que, compte tenu de l'importance de la lutte contre la discrimination raciale et ethnique constamment réaffirmée par les organes de Strasbourg, la Grande Chambre devrait indiquer clairement que la « marge d'appréciation » laissée aux Etats ne saurait justifier la ségrégation scolaire. Selon eux, l'approche de la chambre, qui a laissé une marge d'appréciation illimitée à l'Etat tchèque, est injustifiée, étant donné les graves allégations de discrimination raciale et ethnique en cause dans cette affaire, et en porte-à-faux par rapport à la jurisprudence de la Cour. La présente affaire appelle d'autant plus d'attention de la part de la Cour que le droit matériel en cause est le droit à l'instruction, qui compte parmi les plus importants.
140.  Selon les requérants, la chambre a en outre mal interprété certains éléments essentiels et tiré des conclusions inappropriées sur deux questions déterminantes, à savoir la fiabilité des tests psychologiques et le consentement parental.
141.  Les intéressés réaffirment ainsi que, à l'époque des faits, les modalités et l'interprétation des tests utilisés par les centres de conseil psychopédagogique ne faisaient l'objet d'aucune réglementation uniforme, ce qui laissait une large place à l'appréciation des psychologues et aux préjugés raciaux, et ne tenait pas compte des différences culturelles. De plus, les tests auxquels ils ont été soumis, de même que d'autres enfants roms, étaient erronés d'un point de vue scientifique et n'étaient pas fiables sur le plan éducatif. En effet, les pièces du dossier indiqueraient que plusieurs requérants ont été placés dans des écoles spéciales pour des motifs autres que leur déficit intellectuel (absentéisme, mauvaise conduite, voire conduite des parents). Par ailleurs, le gouvernement tchèque a lui-même reconnu l'effet discriminatoire de ces tests (paragraphe 66 ci-dessus) ; il a également admis dans ses observations relatives à la présente requête qu'un requérant avait été placé dans une école spéciale alors qu'il possédait de bonnes capacités d'expression verbale.
142.  De plus, selon les intéressés, on ne saurait accepter que le traitement discriminatoire infligé puisse se justifier par le consentement des parents au placement dans des écoles spéciales. En effet, les gouvernements sont juridiquement tenus de garantir l'intérêt supérieur de l'enfant, en particulier l'égalité de tous les enfants quant au droit à l'éducation, dont ceux-ci ne sauraient être privés en raison de la conduite ou du choix des parents.
En l'espèce, les incohérences dans les dossiers scolaires font douter de l'authenticité et de la réalité du « consentement » qu'auraient donné les parents de plusieurs requérants et le rendent moins crédible. Ensuite, à supposer même qu'un tel consentement ait été donné par tous les parents, il n'a, selon les requérants, aucune valeur juridique car les parents concernés n'ont jamais été véritablement informés de leur droit de ne pas consentir, des solutions autres que le placement en école spéciale ou des risques et conséquences entraînés par ce placement. La procédure a en effet été très formelle : les parents se sont vu soumettre un formulaire prérempli et les résultats des tests psychologiques qu'ils ont considérés comme indiscutables. Quant à une réorientation ultérieure vers une école ordinaire que leurs parents auraient prétendument pu demander, les intéressés font observer que, dès la première année de leur scolarité, ils ont reçu une éducation d'un niveau nettement plus bas que la moyenne ; le déficit ainsi créé ne leur a pas permis de satisfaire par la suite aux exigences des écoles ordinaires.
De surcroît, il est irréaliste, selon les requérants, de se prononcer sur la question du consentement sans tenir compte du passé de ségrégation des Roms dans le domaine de l'éducation et en l'absence d'informations adéquates sur les choix qui s'offrent aux parents roms. Rappelant l'avis de la Cour selon lequel la renonciation est licite pour certains droits et non pour d'autres et ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède, arrêt du 21 février 1990, série A no 171-A, § 66), les requérants soutiennent qu'on ne peut renoncer au droit de l'enfant de ne pas faire l'objet d'une discrimination raciale dans le domaine de l'éducation.
143.  La présente affaire soulève une « question grave de caractère général », celle de savoir si les gouvernements européens sont capables de faire face à la diversité raciale et ethnique croissante de la population européenne et de protéger des minorités vulnérables. A cet égard, la principale question est, selon les intéressés, celle de l'égalité des chances en matière d'éducation, car la discrimination des Roms dans ce domaine perdure dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe. S'il était mis fin à la discrimination dans les écoles, les Roms bénéficieraient de manière générale d'une égalité de traitement.
144.  La ségrégation raciale visant les enfants roms au sein des écoles tchèques n'a pas connu de réel changement depuis l'introduction de la requête. Leur propre devenir et l'absence d'opportunités illustrent le préjudice résultant du placement discriminatoire dans des écoles spéciales. Ainsi, en mai 2006, huit requérants poursuivaient leur scolarité dans une école spéciale et six autres, qui avaient terminé leur cursus dans ce type d'établissement, étaient sans emploi. Sur les quatre requérants qui, après avoir réussi des tests d'aptitude, avaient été autorisés à fréquenter une école primaire, deux étaient encore dans cette école, un était au chômage et le quatrième était inscrit dans un établissement d'enseignement secondaire professionnel. Selon les requérants, il est d'ores et déjà certain qu'aucun d'entre eux ne fréquentera un établissement d'enseignement secondaire général, et à plus forte raison l'université.
145.  En dernier lieu, les requérants observent qu'une nouvelle loi sur les écoles a été adoptée à la fin de l'année 2004 en vue de mettre fin au système des écoles spéciales. Ainsi, selon eux, la nouvelle législation reconnaît que l'existence même de ces écoles considérées comme « spéciales » frappe du sceau d'infériorité ceux qui y sont placés. Concrètement, la nouvelle loi n'aurait cependant pas abouti à une nouvelle pratique car elle a seulement changé les critères d'élaboration des programmes éducatifs. Les recherches approfondies menées par le Centre européen pour les droits des Roms en 2005 et 2006 montreraient que, dans bien des cas, ces écoles spéciales ont simplement été rebaptisées « écoles de redressement » ou « écoles pratiques », sans que la composition du corps enseignant ou le contenu du cursus aient connu de réel changement.
2.  Le Gouvernement
146.  Selon le Gouvernement, la présente affaire soulève des questions complexes relevant du problème social de la position des Roms dans la société contemporaine. Si ceux-ci jouissent formellement des mêmes droits que les autres citoyens, leurs opportunités réelles sont en fait limitées par des circonstances à la fois objectives et subjectives. Sans initiative et intérêt de chaque membre de la communauté rom, il ne peut pas y avoir d'amélioration. Pour éliminer ces inégalités, les Etats membres sont confrontés à de nombreux problèmes d'ordre politique, social, économique et technique, lesquels ne sauraient être réduits à la question du respect des droits fondamentaux. C'est pourquoi les tribunaux, y compris la Cour européenne des Droits de l'Homme, devraient faire preuve d'une certaine retenue en examinant les mesures adoptées dans ce domaine et se prononcer seulement sur la question de savoir si les autorités compétentes n'ont pas outrepassé leur marge d'appréciation.
147.  Se référant à ses observations écrites et orales antérieures, le Gouvernement continue d'affirmer que la race, la couleur ou l'appartenance à une minorité nationale n'ont pas joué un rôle déterminant quant à l'éducation des requérants. Aucune preuve spécifique n'atteste selon lui que ces derniers ont fait l'objet d'un traitement différent fondé sur lesdits critères discriminatoires. En effet, les dossiers scolaires des intéressés permettent de conclure de manière indubitable que leur placement dans des écoles spéciales était motivé non par leur origine ethnique mais par les résultats des tests psychologiques effectués dans les centres de conseil psychopédagogique. Dès lors que les requérants ont été placés dans des écoles spéciales en raison de leurs besoins éducatifs spécifiques, tenant essentiellement à leurs capacités intellectuelles, et que les critères de placement comme leur mode d'application et le système des écoles spéciales étaient dépourvus de connotation raciale, ce que la chambre a confirmé dans son arrêt, l'on ne saurait en l'espèce parler d'une discrimination ouverte ou directe.
148.  Le Gouvernement s'exprime ensuite sur la thèse des requérants selon laquelle il s'agit en l'espèce d'une discrimination indirecte qui, dans certains cas, ne pourrait être établie qu'à l'aide des statistiques. Il souhaite observer à cet égard que l'affaire Zarb Adami (arrêt précité), dans laquelle la Cour s'est largement appuyée sur des statistiques présentées par les parties, n'est nullement comparable au cas d'espèce. En premier lieu, l'affaire Zarb Adami serait sensiblement moins complexe. En second lieu, les disparités statistiques entre le nombre d'hommes et de femmes appelés à un service de jury constatées dans cette affaire résultaient d'une décision de l'Etat, tandis que les statistiques invoquées en l'espèce par les requérants illustrent avant tout la volonté des parents de voir leurs enfants fréquenter une école spéciale, et non une omission ou une action de l'Etat. En effet, en l'absence de cette volonté (exprimée par le consentement), les enfants ne seraient pas placés dans ce type d'école.
De plus, les synthèses statistiques présentées dans la présente affaire par les intéressés ne seraient pas suffisamment concluantes, car les données ont été fournies par les directeurs des écoles et ne reflètent donc que leurs opinions subjectives, tandis qu'il n'existe aucune information officielle sur l'origine ethnique des élèves. Par ailleurs, selon le Gouvernement, ces statistiques n'ont aucune valeur informative en l'absence d'une évaluation du milieu socioculturel des Roms, de leur contexte familial et de leur attitude vis-à-vis de l'éducation. Le Gouvernement rappelle à cet égard que la région d'Ostrava est une des régions qui comptent le plus grand nombre de citoyens roms.
Quant aux études comparatives concernant les pays d'Europe centrale et orientale et des Etats ailleurs dans le monde, citées dans les observations des parties intervenantes, le Gouvernement ne perçoit aucune relation pertinente entre ces statistiques et le fond de l'affaire en cause. Selon lui, lesdites études confirment plutôt que la création d'un régime éducatif optimal pour les enfants roms est une question extrêmement complexe.
149.  Néanmoins, même si les données soumises par les intéressés étaient fiables et que l'Etat pouvait être tenu pour responsable de la situation, cela ne constituerait pas, selon le Gouvernement, une discrimination indirecte incompatible avec la Convention. De l'avis du Gouvernement, la mesure litigieuse était conforme au principe de non-discrimination car elle poursuivait un but légitime, à savoir l'adaptation du processus d'éducation aux capacités des enfants ayant des besoins éducatifs spécifiques, et elle était objectivement et raisonnablement justifiée.
150.  Sur ce dernier point, le Gouvernement conteste l'objection des requérants selon laquelle il n'a fourni aucune explication satisfaisante concernant le grand nombre d'enfants roms scolarisés dans des écoles spéciales. Tout en admettant que la situation des Roms en matière d'éducation n'est pas idéale, il estime avoir prouvé que les écoles spéciales n'avaient pas été créées pour la communauté rom et que l'origine ethnique n'était pas un critère de placement dans ces écoles. Il rappelle qu'un tel placement est toujours précédé d'un bilan psychopédagogique individuel, outil technique qui fait l'objet de recherches scientifiques continues, et ne peut donc être effectué que par des professionnels. Les tribunaux qui ne possèdent pas la qualification nécessaire devraient par conséquent faire preuve d'une certaine retenue dans ce domaine. Pour ce qui est des normes professionnelles auxquelles il est fait référence dans les observations de International STEP by STEP Association et autres, le Gouvernement souligne qu'il ne s'agit pas de normes juridiques ayant force de loi, mais tout au plus de recommandations ou d'indications de spécialistes sans caractère contraignant et dont la non-application ne peut, par définition, entraîner une responsabilité juridique internationale.
151.  En l'espèce, le dossier de chacun des requérants contient toutes les informations relatives aux méthodes et résultats de ce bilan, lesquels n'ont été contestés par aucun d'entre eux à l'époque. L'allégation des intéressés selon laquelle les psychologues avaient adopté une approche subjective semble partisane et ne repose sur aucune preuve.
152.  Le Gouvernement concède une nouvelle fois qu'il est possible que dans quelques rares cas la raison du placement dans une école spéciale ait été à la limite entre les difficultés d'apprentissage et l'appartenance à un milieu socioculturel défavorisé. Sur les dix-huit requérants, cela s'est semble-t-il produit dans un cas seulement, celui du neuvième requérant. Pour tous les autres, les bilans et les tests psychopédagogiques des centres de conseil ont révélé des difficultés d'apprentissage.
153.  Le Gouvernement note ensuite que les centres de conseil ayant fait passer lesdits tests n'ont émis que des recommandations quant au type d'école dans lequel l'enfant devait être placé. L'élément décisif et essentiel a été la volonté des parents. En l'espèce, les parents des requérants ont été dûment informés que le placement de leur enfant dans une école spéciale dépendait de leur consentement, et les conséquences de cette décision leur ont été expliquées. Si les circonstances du consentement n'étaient pas tout à fait claires, ils auraient pu interjeter appel, puis ils auraient à tout moment pu exiger la réorientation de leur enfant vers un autre type d'école. Dans l'hypothèse où leur consentement n'aurait pas été éclairé, comme ils le prétendent aujourd'hui, ils auraient dû chercher des informations auprès des autorités compétentes. Sur ce point, le Gouvernement note que la Convention souligne dans son article 2 du Protocole no 1 le rôle et la responsabilité premiers des parents dans l'éducation de leurs enfants. En effet, l'Etat ne peut pas intervenir si rien dans le comportement des parents n'indique l'absence de volonté ou de capacité de prendre une décision concernant l'éducation qui convient pour leurs enfants ; une telle ingérence serait en contradiction avec le principe selon lequel l'Etat doit respecter les convictions des parents quant à l'éducation et l'enseignement.
Pour ce qui est de la présente affaire, le Gouvernement rappelle que, à part la saisine de la Cour constitutionnelle et l'introduction d'une requête devant la Cour européenne des Droits de l'Homme, les parents des intéressés n'ont dans l'ensemble rien entrepris pour épargner à leurs enfants le traitement prétendument discriminatoire et qu'ils ont eu une attitude relativement passive concernant l'éducation.
154.  Ensuite, le Gouvernement juge faux l'argument des requérants selon lequel leur placement dans des écoles spéciales les empêche de poursuivre des études secondaires ou supérieures. Que les requérants aient terminé leur scolarité obligatoire avant ou après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi no 561/2004 sur les écoles, ils avaient la possibilité de poursuivre des études secondaires, de se mettre à niveau en suivant des cours supplémentaires ou de recourir à une aide à l'orientation. Or, aucun d'entre eux n'a démontré qu'il avait tenté cette possibilité (même sans succès) et que son échec (supposé) s'expliquait par un déficit éducatif dû à son placement antérieur dans une école spéciale. En revanche, plusieurs requérants ont renoncé à poursuivre leurs études ou les ont abandonnées. Le Gouvernement se dit fermement convaincu que les intéressés se sont eux-mêmes privés de la possibilité de continuer leurs études du fait de leur manque d'intérêt ; leur situation, souvent défavorable, découle davantage de leur passivité, et l'Etat ne saurait en être tenu pour responsable.
155.  Le Gouvernement concède par ailleurs que les autorités nationales doivent entreprendre toutes les démarches que l'on peut raisonnablement attendre d'elles pour empêcher qu'une mesure produise un effet disproportionné ou, si cela n'est pas faisable, pour atténuer et compenser un tel effet. Cependant, ni la Convention ni les instruments internationaux ne contiennent une définition générale des obligations positives des Etats concernant l'éducation des élèves roms ou, plus généralement, des enfants appartenant à des minorités nationales ou ethniques. Le Gouvernement note à cet égard que la Cour, en déterminant les obligations positives incombant à l'Etat, s'inspire parfois des développements législatifs au sein des Parties contractantes. Or, il n'existe pas de nos jours de standard ou de consensus européen quant aux critères de placement des enfants dans des écoles spéciales ou quant à l'éducation des enfants ayant des besoins éducatifs spécifiques, et l'institution des écoles spéciales représente l'une des solutions possibles et acceptables du problème.
156.  De plus, les obligations positives sur le terrain de l'article 14 de la Convention ne peuvent pas être interprétées comme une obligation de prendre une mesure positive, qui doit rester une option. L'on ne saurait en effet déduire de cette disposition l'obligation générale pour l'Etat de compenser activement tous les handicaps dont souffrent les différents groupes de la population.
157.  En tout état de cause, dès lors que les écoles spéciales ne doivent pas être regardées comme une forme inférieure, mais comme une autre forme d'éducation, le Gouvernement estime avoir adopté en l'espèce des mesures raisonnables visant à compenser le handicap des requérants, qui devaient recevoir une éducation particulière du fait de leurs spécificités, et ne pas être allé au-delà de la marge d'appréciation prévue par la Convention en matière d'éducation. Il observe à cet égard que l'Etat a consacré deux fois plus de ressources au fonctionnement des écoles spéciales qu'à celui des écoles ordinaires, et que les autorités nationales ont déployé des efforts considérables s'agissant de la question complexe de l'éducation des enfants roms.
158.  Le Gouvernement fournit ensuite les informations sur la situation actuelle des requérants, recueillies dans les dossiers scolaires et dans ceux du Bureau de l'emploi d'Ostrava, auprès duquel les requérants sans emploi se sont inscrits. A titre préliminaire, il observe que la région d'Ostrava souffre d'un taux de chômage élevé et que, de manière générale et indépendamment de leur origine ethnique, les jeunes n'ayant qu'une éducation élémentaire trouvent difficilement un emploi. Il existe une possibilité d'obtenir une qualification et une aide de l'Etat à l'orientation, mais la participation active du demandeur d'emploi est une condition sine qua non.
Concrètement, deux requérants sont actuellement en dernière année d'école primaire et sept ont entrepris en septembre 2006 une formation professionnelle dans une école secondaire. Quatre requérants ont abandonné les études secondaires qu'ils avaient entamées, dans la plupart des cas par manque d'intérêt, et se sont inscrits auprès du Bureau de l'emploi. Enfin, cinq requérants n'ont pas déposé de dossier pour poursuivre leurs études au niveau secondaire et se sont inscrits auprès du Bureau de l'emploi. Le Gouvernement note cependant que les requérants enregistrés auprès du Bureau de l'emploi ne coopèrent pas avec celui-ci et ne manifestent aucun intérêt pour les offres de formation ou d'emploi, c'est pourquoi certains d'entre eux ont déjà été radiés (parfois à plusieurs reprises) du registre des demandeurs d'emploi.
159.  Enfin, le Gouvernement combat l'allégation des requérants selon laquelle rien n'a changé après l'adoption de la loi no 561/2004 sur les écoles. Il note que, en vertu de cette loi, les différents types d'écoles primaires qui existaient auparavant ont été unifiés et les programmes éducatifs standardisés. La nouvelle législation ne prévoit pas de système indépendant et distinct pour les écoles spécialisées, à l'exception des établissements destinés aux enfants souffrant de troubles mentaux lourds, d'autisme ou de déficiences mentales et physiques combinées. Les élèves handicapés sont intégrés individuellement, chaque fois que cela est possible et souhaitable, dans les écoles ordinaires. Toutefois, pour accueillir ces élèves, les écoles peuvent créer des classes distinctes appliquant des techniques et des méthodes pédagogiques adaptées. Les anciennes « écoles spéciales » peuvent demeurer des établissements distincts, mais elles sont désormais des « écoles primaires » assurant une éducation dans le cadre d'un programme modifié de l'enseignement primaire. Les écoles qui accueillent des enfants socialement défavorisés ont souvent recours à un poste d'assistant du maître et à la création de classes préparatoires destinées à améliorer les techniques de communication des enfants et leur maîtrise de la langue tchèque. Les assistants roms servent de lien entre l'école, la famille et, dans certains cas, les autres experts, et contribuent à l'intégration des élèves dans le processus éducatif. La région d'où sont originaires les requérants est favorable à l'intégration des élèves roms dans les classes de la population majoritaire.
160.  En conclusion, le Gouvernement demande à la Cour de considérer attentivement les cas individuels des requérants et leur accès à l'éducation, bien qu'il soit conscient que cet examen doive être mené dans un contexte global, et l'invite à conclure à l'absence de violation de la Convention.
3.  Les parties intervenantes
a)  Interights et Human Rights Watch
161.  Ces organisations soulignent qu'il est essentiel que l'article 14 de la Convention offre une protection effective contre la discrimination indirecte, sur laquelle la Cour n'a pas encore eu beaucoup d'occasions de se prononcer. Selon elles, il existe un décalage entre certains aspects du raisonnement de la chambre dans la présente affaire et l'évolution récente dans des affaires telles que Timichev (arrêt précité), Zarb Adami (arrêt précité) et Hoogendijk (décision précitée). La Grande Chambre devrait, d'après elles, renforcer l'interprétation téléologique de l'article 14 et aligner la jurisprudence de la Cour en matière de discrimination indirecte sur les normes internationales en vigueur.
162.  Interights et Human Rights Watch rappellent que la Cour elle-même a reconnu dans l'arrêt Zarb Adami précité que la discrimination n'est pas toujours directe ou explicite et qu'une politique ou une mesure de portée générale peut aboutir à une discrimination indirecte. Elle a également admis que la question de l'intention pouvait être écartée dans les affaires de discrimination indirecte (Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, 4 mai 2001, § 154). Pour les organisations intervenantes, en cas de discrimination indirecte, il suffit que la pratique et les mesures prises aient des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe particulier.
163.  En ce qui concerne la preuve de la discrimination indirecte, il est largement admis au niveau européen et international, ainsi que par la Cour (Timichev, arrêt précité, § 57 ; Hoogendijk, décision précitée), que la charge de la preuve doit être renversée dès lors qu'un commencement de preuve de la discrimination est apporté. En cas de discrimination indirecte, si le requérant démontre qu'une mesure ou une pratique donnée désavantage nettement une catégorie de personnes par rapport à une autre, il y a présomption de discrimination. La charge de la preuve revient alors à l'Etat, qui doit démontrer que le commencement de preuve n'est pas fondé ou avancer une justification.
164.  Il est donc essentiel que la Cour précise quel type de preuves elle accepte pour renverser la charge. Interights et Human Rights Watch estiment sur ce point que la position de la Cour relativement aux statistiques, exprimée dans l'arrêt Hugh Jordan précité (§ 154), est en contradiction avec les pratiques internationale et comparée. En effet, dans les directives des Communautés européennes ainsi qu'au niveau international, la statistique est la principale méthode utilisée pour prouver l'existence d'une discrimination indirecte. Les statistiques sont parfois le seul moyen efficace, en ce qu'elles mettent en évidence les effets distincts qu'une mesure apparemment neutre produit sur les différents segments de la société. Evidemment, les tribunaux doivent en apprécier la crédibilité, la force et la pertinence dans le cadre de l'affaire dont ils sont saisis, étant entendu que ces statistiques doivent avoir un rapport concret avec les allégations du requérant.
Si toutefois la Cour continue de soutenir que les statistiques seules ne suffisent pas à révéler une pratique discriminatoire, Interights et Human Rights Watch proposent de prendre en compte le contexte social général, qui est un élément de preuve important pour mesurer la disproportion des conséquences subies par des requérants.
b)  Minority Rights Group International, The European Network Against Racism et European Roma Information Office
165.  Selon ces organisations intervenantes, la persistance du placement injustifié des enfants roms dans des écoles spéciales destinées aux enfants présentant des déficiences mentales est la forme la plus manifeste et la plus odieuse de discrimination envers les Roms. Dans ces écoles, les enfants suivent un programme scolaire simplifié qui passe pour être adapté à leur faible niveau de développement intellectuel. Par exemple, en République tchèque, les enfants fréquentant les écoles spéciales ne sont pas censés connaître l'alphabet ou les chiffres de 0 à 10 avant leur troisième ou quatrième année scolaire, alors que les enfants scolarisés dans des établissements ordinaires acquièrent ces connaissances au cours préparatoire.
166.  Cette pratique a retenu toute l'attention tant au niveau européen qu'au sein des organes des traités des Nations unies qui ont dans de nombreux rapports exprimé leur inquiétude quant à la surreprésentation des enfants roms dans les écoles spéciales, à la pertinence des tests utilisés et à la valeur du prétendu consentement parental. Ces organes ont à l'unisson constaté qu'il n'existait pas de justification objective et raisonnable à un tel traitement défavorable des enfants roms dans le domaine de l'éducation. Le degré de concordance de vues entre les institutions et les organes quasijudiciaires atteste de manière convaincante que les enfants roms sont victimes d'une discrimination et que celle-ci est largement répandue.
167.  Les intervenants notent ensuite que, quels que soient les mérites qu'il y a à prévoir des structures d'enseignement spéciales pour les enfants présentant réellement des déficiences mentales, la décision de placer des enfants roms dans des écoles spéciales repose, dans la plupart des cas, sur leur différence de langue ou de culture, dont il n'est pas tenu compte dans la procédure d'évaluation, et non sur de véritables déficiences mentales. Pour s'acquitter de leur obligation d'assurer aux Roms l'égalité de traitement dans l'exercice du droit à l'éducation, les Etats doivent donc apporter des modifications à cette procédure d'évaluation de sorte qu'elle ne soit pas empreinte de préjugés racistes envers les Roms, et prendre des mesures positives dans le domaine de la formation aux langues et aux aptitudes relationnelles.
c)  International STEP by STEP Association, Roma Education Fund et European Early Childhood Education Research Association
168.  Dans leurs observations, ces organisations intervenantes s'attachent à démontrer que la méthode utilisée dans la région d'Ostrava pour orienter les enfants roms vers des écoles spéciales était contraire aux innombrables indicateurs de méthodes d'évaluation appropriées et efficaces, qui étaient parfaitement connus au milieu des années 1990 (paragraphe 44 ci-dessus). Selon elles, cette évaluation n'a pas tenu compte de la langue et de la culture des enfants ou de leurs expériences d'apprentissage antérieures ou encore de leur ignorance des exigences de la situation d'évaluation. Il a été fait usage d'une seule source de données, et non de plusieurs. L'évaluation s'est déroulée en une seule fois et non dans la durée. Les éléments d'information n'ont pas été recueillis dans un environnement réaliste ou authentique dans le cadre duquel les enfants auraient pu faire la preuve de leurs aptitudes. Une importance démesurée a été accordée à des tests standardisés, qui ont été conçus pour d'autres populations et ont été appliqués isolément.
169.  Etudes à l'appui (paragraphe 44 ci-dessus), ces parties intervenantes relèvent ensuite que les enfants appartenant à une minorité et ceux issus de familles vulnérables sont surreprésentés dans l'enseignement spécial en Europe centrale et orientale. Cette situation résulterait d'un ensemble de facteurs, parmi lesquels les préjugés raciaux inconscients des autorités scolaires, les importantes inégalités de ressources, le recours injustifié au QI et à d'autres outils d'évaluation, les réponses inadaptées des éducateurs à la pression des tests à « enjeu élevé » et la différence de pouvoir entre les parents appartenant à une minorité et les autorités scolaires. Ainsi, le placement scolaire qui intervient au vu des résultats obtenus aux tests psychologiques reflète souvent les préjugés raciaux de la société concernée.
170.  La République tchèque serait par ailleurs connue pour placer les enfants, en raison de leur « désavantage social », dans un environnement où sévit la ségrégation. Selon une comparaison de données recueillies par l'OCDE en 1999 au sujet de quinze pays (paragraphe 18 in fine ci-dessus), elle s'est ainsi classée au troisième rang pour le placement, dans des établissements spéciaux, des enfants ayant des difficultés d'apprentissage. Par ailleurs, sur les huit pays ayant fourni des informations sur la scolarisation des enfants dont les difficultés trouvent leur source dans des facteurs sociaux, la République tchèque serait la seule à avoir recours à des écoles spéciales ; dans les autres pays, l'enseignement à ces enfants serait dispensé presque exclusivement dans des écoles ordinaires.
171.  En outre, le fait de placer des enfants catalogués comme ayant de « faibles aptitudes » dans des écoles spéciales à un âge précoce (le « tracking » scolaire) mène souvent, que ce soit intentionnellement ou non, à la ségrégation raciale et produit des effets particulièrement négatifs sur le niveau d'instruction des enfants défavorisés. Il en résulte des conséquences préjudiciables à long terme pour les enfants et la société, dont notamment l'exclusion précoce du système scolaire qui a pour effet de limiter les perspectives d'emploi des individus concernés.
d)  La Fédération internationale des ligues des Droits de l'Homme (FIDH)
172.  La FIDH estime injustifié que la chambre, dans son arrêt, ait accordé un poids important au consentement prétendument donné par les parents des requérants à la situation dont ceux-ci se plaignent devant la Cour. Elle rappelle que, dans la jurisprudence de la Cour, la renonciation à un droit est parfois considérée comme ne pouvant exonérer l'Etat de l'obligation qui lui incombe de garantir à toute personne les droits et libertés consacrés par la Convention. Il en va ainsi notamment lorsque la renonciation se heurterait à un intérêt public important ou lorsqu'elle n'est pas explicite et non équivoque. En outre, pour pouvoir justifier une restriction apportée au droit ou à la liberté de l'individu, la renonciation de celui-ci à cette garantie doit avoir lieu dans des circonstances qui permettent de considérer qu'il avait pleine connaissance des conséquences, notamment juridiques, découlant de son choix. La FIDH relève que la Cour suprême du Canada a développé, sur ce point précis, une jurisprudence utile (R. c. Borden, [1994], 3 RCS 145, p. 162) selon laquelle, « pour que la renonciation au droit (...) soit réelle, la personne qui est censée donner son consentement doit disposer de tous les renseignements requis pour pouvoir renoncer réellement à ce droit. Le droit de choisir exige non seulement que la personne puisse exercer sa volonté de préférer une solution à une autre, mais aussi qu'elle possède suffisamment de renseignements pour faire un choix utile ».
173.  Compte tenu de la nature du principe de l'égalité de traitement et du rattachement de l'interdiction de la discrimination raciale au concept plus large de dignité humaine, il est permis de se demander, selon la FIDH, si la renonciation au droit à une protection contre la discrimination raciale ne devrait pas être purement et simplement exclue. La FIDH relève en outre que, en l'espèce, le consentement recueilli auprès des parents des requérants engage non pas ces seuls requérants, mais l'ensemble des enfants de la communauté rom. En effet, il est parfaitement possible – et du reste, selon la FIDH, probable – que tous les parents d'enfants roms préfèrent un enseignement intégré pour leurs enfants mais que, dans l'incertitude où ils se trouvent quant au choix qui sera celui des autres parents dans cette situation, ils préfèrent la « sécurité » qu'offre l'enseignement spécial, très majoritairement suivi par les enfants roms. Dans un contexte caractérisé par une histoire de discrimination envers les Roms, le choix qui s'offre aux parents d'enfants roms est plutôt a)  de placer leurs enfants dans des écoles dont les directions sont réticentes à les accueillir et où ils peuvent craindre de faire l'objet de formes diverses de harcèlement et de manifestations d'hostilité de la part des condisciples comme des enseignants, ou b)  de les placer dans des écoles spéciales où les enfants roms sont largement majoritaires et où ils n'auront par conséquent pas à redouter de devoir subir les manifestations de pareils préjugés. En réalité, les parents ont donc choisi, entre deux maux, celui qui présentait à leurs yeux les conséquences les moins dommageables, en l'absence de toute possibilité effective de bénéficier d'un enseignement intégré et accueillant à l'égard des enfants roms. En effet, la disproportion entre les deux options était telle que les parents des requérants se sont trouvés contraints de faire le choix dont, à présent, on voudrait les rendre responsables.
174.  Pour ces motifs, la FIDH estime que, dans la présente affaire, la prétendue renonciation des parents à ce que leurs enfants bénéficient d'un enseignement dans la filière générale ne saurait justifier que la République tchèque soit exonérée des obligations découlant de la Convention.
C.  Appréciation de la Cour
1.  Rappel des principes pertinents
175.  Selon la jurisprudence établie de la Cour, la discrimination consiste à traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables (Willis c. Royaume-Uni, no 36042/97, § 48, CEDH 2002-IV ; Okpisz c. Allemagne, no 59140/00, § 33, 25 octobre 2005). Toutefois, l'article 14 n'interdit pas à un Etat membre de traiter des groupes de manière différenciée pour corriger des « inégalités factuelles » entre eux ; de fait, dans certaines circonstances, c'est l'absence d'un traitement différencié pour corriger une inégalité qui peut, sans justification objective et raisonnable, emporter violation de la disposition en cause (Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l'enseignement en Belgique » c. Belgique (fond), arrêt du 23 juillet 1968, série A no 6, § 10 ; Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000-IV ; Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], no 65731/01, § 51, CEDH 2006-...). La Cour a également admis que pouvait être considérée comme discriminatoire une politique ou une mesure générale qui avait des effets préjudiciables disproportionnés sur un groupe de personnes, même si elle ne visait pas spécifiquement ce groupe (Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, § 154, 4 mai 2001 ; Hoogendijk c. Pays-Bas (déc.), no 58461/00, 6 janvier 2005), et qu'une discrimination potentiellement contraire à la Convention pouvait résulter d'une situation de fait (Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, § 76, CEDH 2006-....)
176.  La discrimination fondée, notamment, sur l'origine ethnique d'une personne constitue une forme de discrimination raciale. Il s'agit d'une discrimination particulièrement condamnable qui, compte tenu de ses conséquences dangereuses, exige une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités. C'est pourquoi celles-ci ont l'obligation de recourir à tous les moyens dont elles disposent pour combattre le racisme, en renforçant ainsi la conception que la démocratie a de la société, y percevant la diversité non pas comme une menace mais comme une richesse (Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005-... ; Timichev c. Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005-...). La Cour a par ailleurs considéré que, dans la société démocratique actuelle basée sur les principes de pluralisme et de respect pour les différentes cultures, aucune différence de traitement fondée exclusivement ou dans une mesure déterminante sur l'origine ethnique d'une personne ne saurait être objectivement justifiée (Timichev, arrêt précité, § 58).
177.  En ce qui concerne la charge de la preuve en la matière, la Cour a déjà statué que, quand un requérant a établi l'existence d'une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (voir, par exemple, Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, §§ 91-92, CEDH 1999-III ; Timichev, arrêt précité, § 57).
178.  Quant aux moyens de preuve susceptibles de constituer un tel commencement de preuve et, partant, de transférer la charge de la preuve à l'Etat défendeur, la Cour a relevé (Natchova et autres [GC], arrêt précité, § 147) que, dans le cadre de la procédure devant elle, il n'existait aucun obstacle procédural à la recevabilité d'éléments de preuve ni de formules prédéfinies applicables à leur appréciation. En effet, la Cour adopte les conclusions qui, à son avis, se trouvent étayées par une évaluation indépendante de l'ensemble des éléments de preuve, y compris les déductions qu'elle peut tirer des faits et des observations des parties. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la preuve peut ainsi résulter d'un faisceau d'indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. En outre, le degré de conviction nécessaire pour parvenir à une conclusion particulière et, à cet égard, la répartition de la charge de la preuve sont intrinsèquement liés à la spécificité des faits, à la nature de l'allégation formulée et au droit conventionnel en jeu.
179.  La Cour a en outre admis que la procédure prévue par la Convention ne se prêtait pas toujours à une application rigoureuse du principe affirmanti incumbit probatio – la preuve incombe à celui qui affirme (Aktaş c. Turquie (extraits), no 24351/94, § 272, CEDH 2003-V). En effet, dans certaines circonstances, lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, la charge de la preuve pèse selon la Cour sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII ; Anguelova c. Bulgarie, no 38361/97, § 111, CEDH 2002-IV). Dans l'affaire Natchova et autres ([GC], arrêt précité, § 157), tout en jugeant la démarche difficile à appliquer dans l'affaire en question où il était allégué qu'un acte de violence avait été motivé par des préjugés raciaux, la Cour n'a pas exclu la possibilité d'inviter, dans d'autres cas de discrimination alléguée, le gouvernement défendeur à réfuter un grief défendable de discrimination. Elle a observé à cet égard que, dans les ordres juridiques de nombreux pays, la preuve de l'effet discriminatoire d'une politique, d'une décision ou d'une pratique dispensait de prouver l'intention s'agissant d'une discrimination alléguée dans les domaines de l'emploi ou de la prestation de services.
180.  Quant à la question de savoir si les données statistiques peuvent être considérées comme un moyen de preuve, la Cour a déclaré par le passé que les statistiques n'étaient pas en soi suffisantes pour révéler une pratique pouvant être qualifiée de discriminatoire (Hugh Jordan, arrêt précité, § 154). Néanmoins, dans les affaires de discrimination plus récentes, où les requérants alléguaient que la discrimination litigieuse résultait d'une différence dans l'effet d'une mesure générale ou d'une situation de fait (Hoogendijk, décision précitée ; Zarb Adami, arrêt précité, §§ 77-78), la Cour s'est largement appuyée sur les statistiques produites par les parties pour établir l'existence d'une différence de traitement entre deux groupes (en l'occurrence les hommes et les femmes) qui se trouvaient dans une situation similaire.
Ainsi, la Cour a affirmé dans la décision Hoogendijk c. Pays-Bas précitée que « là où le requérant peut établir, sur la base des statistiques officielles qui ne prêtent pas à controverse, l'existence d'un commencement de preuve indiquant qu'une mesure – bien que formulée de manière neutre – touche en fait un pourcentage nettement plus élevé des femmes que des hommes, il incombe au gouvernement défendeur de démontrer que ceci est le résultat des facteurs objectifs qui ne sont pas liés à une discrimination fondée sur le sexe. Si la charge de prouver qu'une différence dans l'effet d'une mesure sur les femmes et les hommes n'est pas discriminatoire n'est pas transférée au gouvernement défendeur, il sera en pratique extrêmement difficile pour les requérants de prouver la discrimination indirecte ».
181.  Il ressort enfin de la jurisprudence de la Cour que la vulnérabilité des Roms/Tsiganes implique d'accorder une attention spéciale à leurs besoins et à leur mode de vie propre tant dans le cadre réglementaire considéré que lors de la prise de décision dans des cas particuliers (Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 96, CEDH 2001-I ; Connors c. Royaume-Uni, no 66746/01, § 84, 27 mai 2004).
Dans l'affaire Chapman c. Royaume-Uni précitée (§§ 93-94), la Cour a également observé qu'un consensus international se faisait jour au sein des Etats contractants du Conseil de l'Europe pour reconnaître les besoins particuliers des minorités et l'obligation de protéger leur sécurité, leur identité et leur mode de vie, et ce non seulement dans le but de protéger les intérêts des minorités elles-mêmes mais aussi pour préserver la diversité culturelle qui est bénéfique à la société dans son ensemble.
2.  Application des principes précités à la présente affaire
182.  La Cour note que, du fait de leurs vicissitudes et de leur perpétuel déracinement, les Roms constituent une minorité défavorisée et vulnérable, qui a un caractère particulier (voir aussi les observations générales de la recommandation no 1203 (1993) de l'Assemblée parlementaire relative aux Tsiganes en Europe, paragraphe 56 ci-dessus, et le point 4 de sa recommandation no 1557 (2002) relative à la situation juridique des Roms en Europe, paragraphe 58 ci-dessus). Ils ont dès lors besoin d'une protection spéciale, ainsi que la Cour l'a constaté dans sa jurisprudence antérieure (paragraphe 181 ci-dessus). Comme en témoignent les activités de nombreux organismes européens et internationaux, dont les recommandations des organes du Conseil de l'Europe (paragraphes 54-61 ci-dessus), cette protection s'étend également au domaine de l'éducation. La présente affaire mérite donc une attention particulière, d'autant qu'au moment de la saisine de la Cour les requérants étaient des enfants mineurs pour qui le droit à l'instruction revêtait un intérêt primordial.
183.  En l'espèce, les requérants n'allèguent pas qu'ils se trouvaient dans une situation différente de celle des enfants non roms, appelant un traitement différent, ni ne reprochent à l'Etat défendeur de ne pas avoir adopté des mesures positives visant à corriger des inégalités ou différences factuelles (Thlimmenos [GC], arrêt précité, § 44 ; Stec et autres [GC], arrêt précité, § 51). Ils soutiennent que tout ce qui doit être établi c'est qu'ils ont subi, sans justification objective et raisonnable, un traitement moins favorable que celui réservé aux non-Roms dans une situation comparable, et que cette situation relevait en l'occurrence d'une discrimination indirecte.
184.  Par le passé, la Cour a déjà admis qu'une différence de traitement pouvait aussi consister en l'effet préjudiciable disproportionné d'une politique ou d'une mesure qui, bien que formulée de manière neutre, a un effet discriminatoire sur un groupe (Hugh Jordan, arrêt précité, § 154 ; Hoogendijk, décision précitée). Conformément, par exemple, aux directives 97/80/CE et 2000/43/CE du Conseil (paragraphes 82 et 84 ci-dessus) ainsi qu'à la définition donnée par l'ECRI (paragraphe 60 ci-dessus), une telle situation s'analyse en une « discrimination indirecte » qui n'exige pas nécessairement qu'il y ait une intention discriminatoire.
a)  Sur l'existence en l'espèce d'une présomption de discrimination indirecte
185.  Les parties s'accordent pour dire que la différence de traitement litigieuse ne découlait pas du libellé des dispositions légales relatives au placement dans des écoles spéciales, telles qu'elles étaient en vigueur à l'époque des faits. Dès lors, la question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si l'application de cette législation en pratique a abouti à un nombre disproportionné d'orientations injustifiées d'enfants roms – dont les requérants – vers des écoles spéciales, et si ces enfants ont ainsi été placés en situation de net désavantage.
186.  Comme mentionné ci-dessus, la Cour a déjà reconnu les difficultés que peuvent éprouver les requérants lorsqu'il s'agit de prouver l'existence d'un traitement discriminatoire (Natchova et autres [GC], arrêt précité, §§ 147 et 157). Pour garantir aux personnes concernées une protection effective de leurs droits, des règles de preuve moins strictes s'imposent en cas d'allégation de discrimination indirecte.
187.  Sur ce point, la Cour rappelle que les directives 97/80/CE et 2000/43/CE du Conseil prévoient que les personnes qui s'estiment victimes du non-respect du principe de l'égalité de traitement peuvent établir devant les instances nationales, à l'aide de tous moyens, y compris des données statistiques, une présomption simple de discrimination (paragraphes 82 et 83 ci-dessus). La jurisprudence récente de la CJCE (paragraphes 88-89 ci-dessus) montre que cette juridiction permet aux demandeurs de se fonder sur des statistiques et aux tribunaux de les prendre en compte lorsqu'elles sont valables et significatives.
La Grande Chambre prend également en compte les informations fournies par les parties intervenantes selon lesquelles les tribunaux de nombreux pays ainsi que les organes de contrôle des traités des Nations unies acceptent couramment les statistiques comme moyen de preuve d'une discrimination indirecte afin de faciliter la tâche aux victimes tenues d'établir un commencement de preuve.
Par ailleurs, la Cour a reconnu l'importance des statistiques officielles dans les affaires Hoogendijk et Zarb Adami précitées, et s'est montrée disposée à recevoir et apprécier des éléments de preuve de diverse nature (Natchova et autres [GC], arrêt précité, § 147).
188.  Dans ces conditions, la Cour estime que, lorsqu'il s'agit d'évaluer l'incidence de mesures ou de pratiques sur un individu ou sur un groupe, les statistiques qui, après avoir été soumises à un examen critique de la Cour, paraissent fiables et significatives suffisent pour constituer le commencement de preuve à apporter par le requérant. Cela ne veut toutefois pas dire que la production des statistiques soit indispensable pour prouver la discrimination indirecte.
189.  Si une présomption réfragable de discrimination relativement à l'effet d'une mesure ou d'une pratique est ainsi établie par le requérant alléguant une discrimination indirecte, il incombe ensuite à l'Etat défendeur de réfuter cette présomption en démontrant que la différence en question n'est pas discriminatoire (voir, mutatis mutandis, Natchova et autres [GC], arrêt précité, § 157). En effet, vu notamment la spécificité des faits et la nature des allégations formulées dans ce type d'affaires (ibidem, § 147), il serait en pratique extrêmement difficile pour les intéressés de prouver la discrimination indirecte sans un tel renversement de la charge de la preuve.
190.  En l'espèce, les données statistiques présentées par les requérants ont été obtenues à partir des questionnaires adressés en 1999 aux directeurs des écoles spéciales et primaires de la ville d'Ostrava. Elles indiquent que, à l'époque, 56 % de tous les élèves placés dans les écoles spéciales à Ostrava étaient roms ; en revanche, les Roms ne représentaient que 2,26 % du nombre total des élèves fréquentant les écoles primaires d'Ostrava. De plus, alors que seulement 1,8 % des élèves non roms étaient scolarisés dans les écoles spéciales, le pourcentage de tous les Roms d'Ostrava orientés vers ces écoles s'élevait à 50,3 %. Selon le Gouvernement, ces chiffres ne sont pas suffisamment concluants car ils reflètent seulement les opinions subjectives des directeurs des écoles. Le Gouvernement relève également qu'il n'existe aucune information officielle sur l'origine ethnique des élèves et que la région d'Ostrava est une des régions comptant le plus grand nombre de citoyens roms.
191.  La Grande Chambre observe que lesdites données ne sont pas contestées par le Gouvernement, lequel n'a d'ailleurs pas soumis d'autres statistiques. Prenant en compte l'argument du Gouvernement selon lequel il n'existe pas d'information officielle sur l'origine ethnique des élèves, la Cour admet que les statistiques présentées par les requérants peuvent ne pas être entièrement fiables. A ses yeux, ces chiffres révèlent néanmoins la tendance prédominante, confirmée tant par l'Etat défendeur que par des organes de contrôle indépendants qui se sont penchés sur la question.
192.  En effet, dans les rapports qu'elles ont soumis conformément à l'article 25 § 1 de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, les autorités tchèques ont admis, en 1999, que certaines écoles spéciales comptaient de 80 % à 90 % d'enfants roms (paragraphe 66 ci-dessus) et, en 2004, qu'un « grand nombre » d'enfants roms continuaient à être orientés vers les écoles spéciales (paragraphe 67 ci-dessus). Le comité consultatif de ladite Convention-cadre a ensuite observé dans son rapport du 26 octobre 2005 que, selon des estimations non officielles, les Roms représentaient jusqu'à 70 % des élèves inscrits dans les écoles spéciales. D'après le rapport de l'ECRI publié en 2000, les enfants roms étaient « très largement surreprésentés » dans les écoles spéciales. Le comité pour l'élimination de la discrimination raciale a, pour sa part, observé dans ses conclusions du 30 mars 1998 qu'un nombre « disproportionné » d'enfants roms étaient placés dans des écoles spéciales (paragraphe 99 ci-dessus). Enfin, selon les données recueillies par l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, plus de la moitié des enfants roms en République tchèque fréquenteraient des écoles spéciales.
193.  Selon la Cour, il ressort de ces dernières données, qui ne concernent pas uniquement la région d'Ostrava et fournissent dès lors une image plus générale, que, même si le pourcentage exact des enfants roms placés à l'époque des faits dans des écoles spéciales reste difficile à établir, leur nombre était démesurément élevé. De plus, les écoles spéciales comptaient majoritairement des enfants roms. En dépit de leur neutralité, les dispositions légales pertinentes ont donc, de facto, eu des répercussions beaucoup plus importantes sur les enfants roms que sur les enfants non roms, menant à une scolarisation statistiquement disproportionnée des premiers dans les établissements spéciaux.
194.  La Grande Chambre estime que, lorsque pareil effet discriminatoire d'une législation a été démontré, il n'est pas nécessaire, dans le domaine de l'éducation comme dans les domaines de la prestation d'autres services ou de l'emploi (voir, mutatis mutandis, Natchova et autres [GC], arrêt précité, § 157), de prouver que les autorités concernées étaient animées d'une intention de discriminer (paragraphe 184 ci-dessus).
195.  Dans ces conditions, les éléments de preuve présentés par les requérants peuvent être considérés comme suffisamment fiables et révélateurs pour faire naître une forte présomption de discrimination indirecte. Il y a donc lieu de renverser la charge de la preuve et de la faire peser sur le Gouvernement, lequel doit démontrer que cette différence d'effet de la législation était le résultat de facteurs objectifs qui n'étaient pas liés à l'origine ethnique.
b)  Sur l'existence d'une justification objective et raisonnable
196.  La Cour rappelle qu'une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s'il n'existe pas de « rapport raisonnable de proportionnalité » entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d'autres, Larkos c. Chypre [GC], no 29515/95, § 29, CEDH 1999-I ; Stec et autres [GC], arrêt précité, § 51). En cas de différence de traitement fondée sur la race, la couleur ou l'origine ethnique, la notion de justification objective et raisonnable doit être interprétée de manière aussi stricte que possible.
197.  En l'espèce, le Gouvernement s'efforce d'expliquer la différence de traitement entre les enfants roms et les enfants non roms en invoquant la nécessité d'adapter le processus d'éducation aux capacités des enfants ayant des besoins particuliers. Selon lui, les requérants ont été placés dans des écoles spéciales en raison de leurs besoins éducatifs spécifiques, tenant essentiellement à leurs capacités intellectuelles, dont le niveau avait été établi à l'aide des tests psychologiques effectués dans les centres de conseil psychopédagogique. Après que ces centres eurent formulé leurs recommandations quant au type d'école vers lequel les requérants devaient être orientés, la décision finale incombait aux parents de ces derniers, qui ont en l'occurrence donné leur consentement à l'inscription dans une école spéciale. On ne saurait donc soutenir que la scolarisation des intéressés dans ces établissements était motivée par leur origine ethnique.
Les requérants, en revanche, contestent fermement que le nombre démesurément élevé d'enfants roms placés dans des écoles spéciales puisse s'expliquer par les résultats des tests portant sur les capacités intellectuelles ou se justifier par le consentement parental.
198.  La Cour reconnaît que, en maintenant le système des écoles spéciales, l'Etat défendeur a été mû par la volonté de trouver une solution pour les enfants ayant des besoins éducatifs spécifiques. Elle partage cependant les préoccupations des autres organes du Conseil de l'Europe qui ont exprimé leurs inquiétudes quant au programme de niveau inférieur suivi par ces écoles et, en particulier, quant à la ségrégation engendrée par ce système.
199.  La Grande Chambre observe ensuite que la question des tests utilisés pour évaluer les aptitudes ou les difficultés d'apprentissage des enfants a soulevé des controverses et continue de faire l'objet de débats et de recherches scientifiques. En l'occurrence, tout en admettant qu'il ne lui appartient pas de se prononcer sur cette question, elle constate toutefois l'existence de plusieurs éléments qui lui permettent de conclure que les résultats des tests tels qu'ils ont été effectués à l'époque des faits ne sont pas susceptibles de constituer une justification objective et raisonnable au regard de l'article 14 de la Convention.
200.  Tout d'abord, les parties ne contestent pas que tous les enfants examinés, indépendamment de leur origine ethnique, ont été soumis aux mêmes tests. Les autorités tchèques ont elles-mêmes reconnu, en 1999, que « les enfants roms doués d'une intelligence moyenne ou supérieure à la moyenne » étaient souvent placés dans des écoles à la suite de tests psychologiques et que ces tests étaient conçus pour la population majoritaire et ne tenaient pas compte des particularités des Roms (paragraphe 66 ci-dessus). Cela les a par la suite amenées à réviser ces tests et la méthodologie y afférente pour éviter leur « utilisation abusive au détriment des enfants roms » (paragraphe 72 ci-dessus).
En outre, plusieurs organismes indépendants ont exprimé des doutes sur le caractère adéquat desdits tests. Ainsi, le comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a observé que les enfants qui ne souffraient pas d'un handicap mental étaient parfois placés dans des écoles spéciales « en raison d'une différence linguistique ou culturelle réelle ou supposée par rapport à la majorité ». Dans ce contexte, il a également souligné la nécessité d'assurer que les tests réalisés soient « méthodiques, objectifs et approfondis » (paragraphe 68 ci-dessus). L'ECRI a, pour sa part, relevé que l'orientation des enfants roms vers des établissements spéciaux destinés aux enfants souffrant de retards mentaux apparaissait souvent « quasi automatique », ce qui exigeait de vérifier que les tests utilisés étaient « équitables » et que les capacités de chaque enfant étaient « évaluées correctement » (paragraphes 63-64 ci-dessus). Selon le Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, les enfants roms étaient souvent placés dans des classes pour élèves ayant des besoins spéciaux, « sans évaluation psychologique ou pédagogique adéquate, les critères réels étant leur origine ethnique » (paragraphe 77 ci-dessus).
Enfin, de l'avis de certaines parties intervenantes, l'orientation scolaire qui intervenait au vu des résultats obtenus aux tests psychologiques reflétait les préjugés raciaux de la société concernée.
201.  Il existe, pour la Cour, à tout le moins un risque que les tests en question soient entachés de préjugés et que leurs résultats ne soient pas lus à la lumière des particularités et des caractéristiques spécifiques des enfants roms qui les subissent. Dans ces conditions, ces tests ne sauraient servir de justification à la différence de traitement litigieuse.
202.  Pour ce qui est du consentement parental, la Cour note que celui-ci constituait, selon le Gouvernement, l'élément décisif sans lequel le placement des requérants dans des écoles spéciales n'aurait pas eu lieu. Une différence de traitement ayant été établie en l'espèce, un tel consentement signifierait donc l'acceptation de cette différence, fût-elle discriminatoire, c'est-à-dire la renonciation au droit de ne pas subir de discrimination. La jurisprudence de la Cour exige néanmoins que la renonciation à un droit garanti par la Convention – pour autant qu'elle soit licite – se trouve établie de manière non équivoque, qu'elle ait lieu en connaissance de cause, c'est-à-dire sur la base d'un consentement éclairé (Pfeifer et Plankl c. Autriche, arrêt du 25 février 1992, série A no 227, §§ 37-38) et qu'elle soit effectuée sans contrainte (Deweer c. Belgique, arrêt du 27 février 1980, série A no 35, § 51).
203.  Dans les circonstances de l'espèce, la Cour n'est pas convaincue que les parents des enfants roms, en tant que membres d'une communauté défavorisée et souvent sans instruction, fussent capables d'évaluer tous les aspects de la situation et les conséquences de leur consentement. Le Gouvernement a lui-même admis que le consentement revêtait en l'espèce la forme d'une signature apposée sur un formulaire prérempli, lequel ne contenait pas d'information sur les autres choix possibles ou sur les différences entre le programme des écoles spéciales et celui des autres écoles. Il ne semble pas non plus que les autorités nationales aient pris des mesures supplémentaires en vue de s'assurer que ces parents avaient reçu tous les renseignements nécessaires pour faire un choix éclairé et qu'ils étaient conscients des conséquences de leur consentement pour l'avenir de leurs enfants. Il paraît en outre incontestable que les parents roms se trouvaient à cette occasion confrontés à un dilemme : ils devaient choisir entre des structures d'enseignement général qui ne disposaient pas de moyens pour prendre en compte les différences sociales et culturelles de leurs enfants et où ces derniers risquaient de se trouver isolés et frappés d'ostracisme, et des structures d'enseignement spécial dans lesquelles la majorité des élèves étaient roms.
204.  Rappelant l'importance fondamentale de la prohibition de la discrimination raciale (Natchova et autres [GC], arrêt précité, § 145 ; Timichev, arrêt précité, § 56), la Grande Chambre considère que, à supposer même que les conditions énoncées dans le paragraphe 202 ci-dessus étaient réunies, l'on ne saurait admettre la possibilité de renoncer au droit de ne pas faire l'objet d'une telle discrimination. En effet, cette renonciation se heurterait à un intérêt public important (voir, mutatis mutandis, Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 73, CEDH 2006-...).
c)  Conclusion
205.  Comme il ressort des travaux de l'ECRI ainsi que du rapport du Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, il existe des difficultés liées à la scolarisation des enfants roms non seulement en République tchèque mais aussi dans d'autres Etats européens. La Cour note avec satisfaction que, à la différence de certains pays, la République tchèque a choisi de s'attaquer à ce problème. Elle reconnaît que l'Etat défendeur, dans ses efforts pour l'intégration sociale et pédagogique du groupe défavorisé que représentent les Roms, se heurte à de nombreuses difficultés tenant notamment aux spécificités culturelles de cette minorité et à une certaine hostilité des parents des enfants non roms. Comme la chambre l'a constaté dans sa décision sur la recevabilité de la présente requête, le choix entre des écoles uniques pour tous, des structures spécialisées ou des structures intégrées avec des sections spécialisées représente un exercice difficile de mise en balance des divers intérêts en jeu. Pour ce qui est de la définition et de l'aménagement du programme des études, il s'agit, dans une large mesure, d'un problème d'opportunité sur lequel la Cour n'a pas à se prononcer (Valsamis c. Grèce, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, § 28).
206.  Il n'en demeure pas moins que, chaque fois que les autorités nationales se voient reconnaître une marge d'appréciation susceptible de porter atteinte au respect d'un droit protégé par la Convention, il convient d'examiner les garanties procédurales dont dispose l'individu pour faire déterminer si l'Etat défendeur n'a pas fixé le cadre réglementaire en outrepassant les limites de son pouvoir discrétionnaire (Buckley c. Royaume-Uni, arrêt du 25 septembre 1996, Recueil 1996-IV, § 76 ; Connors, arrêt précité, § 83).
207.  Or, il ressort des faits de l'espèce que le processus de scolarisation des enfants roms n'a pas été entouré de garanties (paragraphe 28 ci-dessus) permettant de s'assurer que, dans l'exercice de sa marge d'appréciation en matière d'éducation, l'Etat a tenu compte des besoins spécifiques de ces enfants découlant de leur position défavorisée (voir, mutatis mutandis, Buckley, arrêt précité, § 76 ; Connors, arrêt précité, § 84). De plus, à l'issue de ce processus, les intéressés ont été placés dans des écoles destinées à des enfants souffrant d'un handicap mental, dont le programme était d'un niveau inférieur à celui des écoles ordinaires, et dans lesquelles ils se trouvaient isolés de la population majoritaire. Ils ont par conséquent reçu une éducation qui a accentué leurs difficultés et compromis leur développement personnel ultérieur, au lieu de s'attaquer à leurs vrais problèmes, de les aider à intégrer plus tard les écoles ordinaires et à développer les capacités facilitant leur vie au sein de la population majoritaire. Le Gouvernement lui-même a implicitement admis que les chances des élèves ayant fréquenté des écoles spéciales de trouver un emploi étaient plus limitées.
208.  Dans ces conditions, la Cour, tout en reconnaissant les efforts fournis par les autorités tchèques en vue de scolariser les enfants roms, n'est pas convaincue que la différence de traitement ayant existé entre les enfants roms et les enfants non roms reposât sur une justification objective et raisonnable et qu'il existât un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but à atteindre. A cet égard, elle note avec intérêt que la nouvelle législation a supprimé les écoles spéciales et qu'elle contient des dispositions relatives à l'éducation au sein des écoles ordinaires des enfants ayant des besoins éducatifs spécifiques, dont les enfants socialement défavorisés.
209.  La Cour considère enfin que, dès lors qu'il a été établi que l'application de la législation pertinente avait à l'époque des faits des effets préjudiciables disproportionnés sur la communauté rom, les requérants en tant que membres de cette communauté ont nécessairement subi le même traitement discriminatoire. Cette conclusion dispense la Cour de se pencher sur leurs cas individuellement.
210.  En conséquence, il y a eu en l'espèce violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1 dans le chef de chacun des requérants.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
211.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
212.  Les requérants n'allèguent aucun dommage matériel.
213.  Ils demandent chacun 22 000 euros (EUR) (soit un total de 396 000 EUR) pour le dommage moral dont ils ont souffert, notamment le préjudice sur les plans éducatif, psychologique et affectif ainsi que celui découlant des sentiments d'anxiété, de frustration et d'humiliation éprouvés du fait de leur placement discriminatoire dans les écoles spéciales. Ils soulignent qu'ils continuent à subir les conséquences sérieuses de cette violation dans tous les aspects de leur vie.
214.  En outre, se référant aux arrêts Broniowski c. Pologne ([GC], no 31443/96, § 189, CEDH 2004-V) et Hutten-Czapska c. Pologne ([GC], no 35014/97, § 235-237, CEDH 2006-...), les requérants estiment que la violation de leurs droits « n'a pas été causée par un incident isolé ni n'est imputable au tour particulier qu'ont pris les événements dans leur cas, mais résulte plutôt d'un comportement administratif et réglementaire de la part des autorités à l'égard d'une catégorie précise de citoyens ». Dès lors, il y a lieu, selon eux, d'adopter des mesures générales au niveau national pour éliminer tous les obstacles à l'exercice de leurs droits par de nombreuses personnes touchées par la situation en question, ou pour leur offrir un redressement approprié.
215.  Le Gouvernement note que, pour ce qui est notamment du préjudice sur les plans psychologique et éducatif, celui-ci est lié aux griefs tirés de l'article 3 de la Convention et de l'article 2 du Protocole no 1 pris isolément, lesquels ont été déclarés irrecevables par la décision de la Cour du 1er mars 2005. Selon lui, il n'y a donc aucun lien de causalité entre la violation éventuelle de la Convention et le préjudice moral allégué. Le Gouvernement estime en outre que la somme demandée par les requérants est excessive et que le constat d'une violation constituerait, le cas échéant, une satisfaction équitable suffisante.
216.  La Cour rappelle d'abord qu'aux termes de l'article 46 de la Convention les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l'exécution de ces arrêts. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l'Etat défendeur a l'obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l'article 41, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à intégrer dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d'en effacer autant que possible les conséquences. Toutefois, l'Etat défendeur reste libre de choisir les moyens de s'acquitter de son obligation juridique au regard de l'article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l'arrêt de la Cour (Broniowski [GC], arrêt précité, § 192 ; Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 89, CEDH 2002-I). La Cour note à cet égard que la législation incriminée en l'espèce a été abrogée et que le Comité des Ministres a récemment adressé aux Etats membres des recommandations sur l'éducation des enfants roms/tsiganes en Europe (paragraphes 54-55 ci-dessus). En conséquence, elle n'estime pas approprié de réserver la question.
217.  La Cour relève ensuite qu'elle ne saurait spéculer sur l'issue qu'aurait trouvée la situation dénoncée si les requérants n'avaient pas été placés dans des écoles spéciales. Il n'en demeure pas moins qu'ils ont souffert un préjudice moral – du fait notamment de l'humiliation et de la frustration causées par la discrimination indirecte dont ils ont été victimes – qui ne se trouve pas suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention. Toutefois, elle juge excessifs les montants sollicités par les requérants. Statuant en équité, elle évalue le dommage moral subi par chacun des intéressés à 4 000 EUR.
B.  Frais et dépens
218.  Les requérants n'ont pas modifié leur demande initiale présentée à la chambre. Les frais et dépens réclamés n'englobent donc pas ceux encourus dans la procédure devant la Grande Chambre.
La Cour note que le montant sollicité dans la demande signée par tous les représentants des requérants s'élève à 10 737 EUR au total, dont 2 550 EUR (soit 1 750 GBP) pour les honoraires facturés par Lord Lester of Herne Hill, Q.C., et 8 187 EUR pour les frais exposés par Me D. Strupek dans les procédures nationales et devant la chambre. Cependant, dans la facture qu'il a établie et qui est jointe à ladite demande, Lord Lester chiffre ses honoraires à 11 750 GBP (soit environ 17 000 EUR), dont 1 750 GBP de TVA, pour 45 heures de travail juridique. Par ailleurs, les autres représentants des requérants, M. J. Goldston et le Centre européen pour les droits des Roms, ne demandent pas le remboursement de leurs frais.
219.  Le Gouvernement relève que, hormis une liste détaillée des services juridiques assurés par lui, Me Strupek n'a présenté aucune facture prouvant que les frais et débours allégués lui ont été réellement payés par les requérants. Il ne fait aucun commentaire sur la discordance entre la demande de satisfaction équitable telle que formulée par les requérants et la facture présentée par Lord Lester. Le Gouvernement rappelle également qu'une partie seulement de la requête a été déclarée recevable et a continué à faire l'objet de l'examen de la Cour. Dès lors, le Gouvernement estime que les requérants ne devraient se voir attribuer qu'une partie raisonnable des frais et dépens réclamés, c'est-à-dire un montant maximum de 3 000 EUR.
220.  La Cour rappelle que les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002), en l'occurrence uniquement celle de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1. Elle observe que Lord Lester a présenté un état de ses frais professionnels, facturés au Centre européen pour les droits des Roms, et que Me Strupek a soumis un récapitulatif des 172 heures de travail juridique, au taux horaire de 40 EUR, auxquels s'ajoutent 19 % de TVA.
Eu égard à l'ensemble des facteurs pertinents et à l'article 60 § 2 du règlement, la Cour alloue conjointement à l'ensemble des requérants 10 000 EUR pour frais et dépens.
C.  Intérêts moratoires
221.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Rejette, à l'unanimité, l'exception préliminaire du Gouvernement ;
2.  Dit, par treize voix contre quatre, qu'il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1 ;
3.  Dit, par treize voix contre quatre,
a)  que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt :
i.  à chacun des dix-huit requérants, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
ii.  conjointement à l'ensemble des requérants, 10 000 EUR (dix mille euros) pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 13 novembre 2007.
Michael O'Boyle Nicolas Bratza   Greffier adjoint Président    
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions dissidentes de MM. Zupančič, Jungwiert, Borrego Borrego et Šikuta.
N.B.  M.O'B.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ZUPANČIČ
(Traduction)
Je me rallie totalement à l'opinion dissidente exhaustive du juge Karel Jungwiert. J'ajouterai simplement ceci.
Comme la majorité l'admet explicitement aux paragraphes 198 et 205 de l'arrêt, et implicitement dans d'autres paragraphes, la République tchèque est en réalité le seul Etat contractant à s'être attaqué aux problèmes particuliers que rencontrent les enfants roms dans le domaine de l'éducation. Elle confine dès lors à l'absurde lorsqu'elle conclut que la République tchèque enfreint les principes antidiscriminatoires. En d'autres termes, il n'y aurait jamais eu violation si, face à cette question, l'Etat avait laissé faire.
Aucune argumentation à connotation politique ne peut dissimuler que, en l'espèce, on a mis la Cour à contribution à des fins ultérieures, qui n'ont guère de rapport avec l'éducation spéciale des enfants roms en République tchèque.
L'avenir dira quelle fin ce précédent servira.
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE JUNGWIERT
1.  En l'espèce, je suis en profond désaccord avec le constat de la majorité selon lequel il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1.
Si je peux en partie souscrire à la façon dont les principes pertinents concernant l'article 14 sont énoncés dans l'arrêt, je ne puis accepter la démarche adoptée par la majorité quant à leur application à la présente affaire.
2.  Avant d'expliciter tous les points de désaccord, je souhaiterais situer cet arrêt sous une perspective plus générale.
Cet arrêt représente une grande première dans la jurisprudence de la Cour. Il évalue et critique le système éducatif tout entier d'un pays.
Quelle que soit la force des précédents cités (paragraphes 175 à 181), ils ont en fait très peu en commun avec le cas d'espèce, si ce n'est peut-être que les requérants sont dans la plupart des cas d'origine rom (voir, entre autres, les affaires Natchova et Buckley).
3.  A mon avis, toute application correcte exige d'abord une bonne connaissance des faits et des circonstances de l'espèce, parmi lesquels le contexte historique et l'évaluation de la situation dans d'autres pays de l'Europe jouent un rôle primordial.
Quant au contexte historique, les données présentées dans l'arrêt (paragraphes 14 à 16) offrent une information très générale, imprécise et insuffisante.
Les faits tels que présentés dans l'arrêt ne permettent pas la moindre comparaison entre les communautés roms en Europe en ce qui concerne l'évolution démographique, le degré de scolarisation ou d'autres facteurs.
4.  Je vais essayer de combler ce manque d'information au moyen de quelques faits et quelques chiffres :
On peut commencer par le terrible constat que, sur le territoire actuel de la République tchèque, il ne s'agissait pas seulement d'une « tentative » d'extermination perpétrée par les nazis (paragraphe 13), mais d'une extermination quasi totale. Sur les quelque 7 000 Roms qui se trouvaient dans le pays au début de la guerre, à peine six cents ont survécu2.
Apparaît ici une grande différence par rapport aux autres pays : les Roms tchèques, presque tous exterminés, ont été remplacés, à partir de 1945, par des vagues successives de nouveaux arrivés venant par dizaines de milliers principalement de Slovaquie, Hongrie et Roumanie. Cette nouvelle population, dans son énorme majorité, non seulement était analphabète et complètement déracinée, mais aussi ne parlait pas la langue tchèque. Or il n'en allait pas de même pour d'autres pays où les Roms vivent – en principe – depuis des décennies ou même des siècles à l'intérieur des frontières du pays concerné et sont familiarisés d'une certaine manière avec l'environnement et la langue.
Pour compléter et terminer cette incursion dans le contexte historique et démographique, il me semble qu'une autre comparaison, qui permet d'évaluer la dimension et la complexité du problème, n'est pas inutile.
L'évaluation du nombre des personnes de la communauté rom, bien sûr en chiffres toujours approximatifs (minimale – maximale) pour quelques pays européens donne ceci :
Allemagne 110 000 – 140 000 pour 80 millions d'habitants
France 300 000 – 400 000 pour 60 millions d'habitants
Italie 90 000 – 120 000 pour 60 millions d'habitants
Royaume-Uni 100 000 – 150 000 pour 60 millions d'habitants
Pologne 35 000 – 45 000 pour 38 millions d'habitants
Portugal 40 000 – 50 000 pour 10 millions d'habitants
Belgique 25 000 – 35 000 pour 10 millions d'habitants
République tchèque 200 000 – 250 000 pour 10 millions d'habitants3, 4
Ces chiffres laissent bien imaginer l'ampleur de l'enjeu pour la République tchèque dans le domaine de la scolarisation.
5.  Question importante à soulever : où en est-on en Europe, quels sont les standards ou les minima à respecter ?
Le domaine de l'école et de la scolarisation des enfants roms est l'objet, depuis presque trente ans, d'un travail d'analyse et de proposition, à l'initiative du Conseil de l'Europe, de la Commission européenne et d'autres institutions.
L'arrêt cite sur vingt-cinq pages (paragraphes 54 à 107) les sources du Conseil de l'Europe, le droit et la pratique communautaires, les textes de l'ONU et d'autres sources.
Toutefois, ces recommandations, les rapports et autres textes cités dans l'arrêt sont dans leur majorité assez vagues, peu concrets, mais aussi et surtout postérieurs à l'époque des faits (1996-1999, paragraphe 19).
C'est pourquoi je me permets de citer ici l'auteur déjà mentionné, dont je partage l'avis. Dans son œuvre Roms en Europe, J.-P. Liégeois insiste :
« Il convient d'éviter les terminologies vagues, seules utilisées quelquefois (émancipation, autonomie, intégration, inclusion, etc.), qui n'ont qu'une fonction de masquage et d'abstraction et pas de valeur opérationnelle (...)
(...) Il est fréquent que des ministères ou des responsables divers posent des questions complexes et demandent une réponse immédiate, pour n'aboutir, en fin de compte, qu'à la production d'un discours prometteur, ou à une réalisation hâtive et inadaptée qui satisfait provisoirement l'esprit humain ou l'électeur. »5
A cet égard, la seule résolution concrète et précise en la matière, un texte fondateur et important d'une valeur peut-être historique, est la Résolution du 22 mai 1989 du Conseil et des ministres de l'éducation réunis au sein du Conseil, concernant la scolarisation des enfants de Tsiganes et de voyageurs.6
6.  A ma grande surprise et à mon regret, ce texte fondamental ne figure pas parmi les sources citées dans l'arrêt de Grande Chambre.
C'est pourquoi je me permets de présenter quelques clauses de cette résolution :
« Le Conseil et les ministres de l'éducation, réunis au sein du Conseil,
(...) considérant que la situation actuelle, de façon générale et en particulier dans le domaine scolaire, est préoccupante ; que seulement 30 à 40 % des enfants tsiganes et voyageurs fréquentent l'école avec quelque régularité ; que la moitié ne sont jamais scolarisés (gras ajouté) ; qu'un très faible pourcentage atteint et dépasse le seuil de l'enseignement secondaire ; que les résultats, notamment l'usage courant de la lecture et de l'écriture, ne sont pas en rapport avec la durée présumée de la scolarisation ; que le taux d'analphabétisme chez les adultes dépasse souvent 50 % et atteint dans certains endroits 80 % et plus ;
Considérant que plus de 500 000 enfants sont concernés et que ce nombre est à réviser constamment à la hausse en raison de la jeunesse des communautés de tsiganes et de voyageurs, dont la moitié ont moins de seize ans ;
Considérant que la scolarisation, notamment par les outils qu'elle peut fournir d'adaptation à un environnement changeant et d'autonomie personnelle et professionnelle, est un enjeu fondamental dans l'avenir culturel, social et économique des communautés tsiganes ; que les parents en sont conscients et que la volonté de scolarisation s'accentue (...) »
7.  Quel incroyable constat ! Pour les douze pays de l'Union européenne en 1989 on a reconnu que de 250 000 à 300 000 enfants n'étaient jamais scolarisés.
Force est de constater que l'évolution tend à confirmer ce diagnostic. Dans ce domaine rien ne permet de croire que la situation s'est améliorée au cours des années qui ont suivi et encore moins après l'élargissement de l'Union européenne. On évalue (toujours selon la même source) la population de la communauté rom à 400 000 en Slovaquie, 600 000 en Hongrie, 750 000 en Bulgarie et 2 100 000 en Roumanie. Au total, il y aurait plus de quatre millions d'enfants roms en Europe, dont très probablement deux millions ne fréquentent jamais l'école de toute leur vie.
8.  Cette terrible vérité qui reste pratiquement dissimulée, je veux la mettre avec détermination en pleine lumière, car il s'agit, à mon avis, de la honte de l'Europe du XXIe siècle. D'où vient cet effrayant silence ?
9.  Les données statistiques pour l'ancienne Tchécoslovaquie indiquent qu'en 1960 quelque 30 % de Roms n'avaient jamais été scolarisés. Ce chiffre a régressé et n'était plus que de 10% en 1970.
La comparaison numérique des données pour la République tchèque concernant le nombre des enfants nés et des enfants scolarisés démontre une scolarisation pratiquement à 100 % vingt ans plus tard7.
10.  Néanmoins, dans ce contexte pitoyable, d'aucuns jugent utile de concentrer leurs critiques sur la République tchèque, un des rares pays d'Europe où pratiquement tous les enfants, y compris les Roms, sont scolarisés.
De plus, pour l'année scolaire 1989-1990 on comptait 7 957 enseignants pour 58 889 élèves et pour l'année scolaire 1992-1993 8 325 enseignants pour 48 394 élèves8, soit un enseignant pour sept élèves.
11.  Depuis des années, les Etats européens présentent un mélange souvent ambigu de réalisations et de projets qui comportent à la fois des éléments de réussite et des éléments d'échec. Le problème concerne les systèmes d'éducation de nombreux pays et pas seulement les écoles spéciales9.
La République tchèque a choisi de développer un système introduit dès les années 1920 (paragraphe 15), de l'améliorer et de munir des garanties suivantes la procédure de placement des enfants dans les écoles spéciales (paragraphes 20 à 21) :
– le consentement parental,
– une recommandation émanant des centres de conseil psychopédagogique,
– la possibilité de faire appel,
– la possibilité de retourner d'une école spéciale à une école primaire.
D'une certaine façon, la République tchèque a ainsi mis sur pied un système éducatif inégalitaire, mais inégalitaire dans un but louable : scolariser des enfants pour leur donner des chances de réussir, ce qui implique une discrimination positive en faveur d'une population défavorisée.
Malgré cela, la majorité trouve juste de dire que la Cour n'est pas convaincue que la différence de traitement ayant existé entre les enfants roms et les enfants non roms poursuivait un but légitime d'adaptation du système d'éducation aux besoins des premiers et qu'il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but à atteindre (paragraphe 208).
On ne peut mieux le dire qu'Arthur Schopenhauer, qui fut le premier à formuler cette opinion :
« C'est cette disposition étrange à se contenter des mots qui contribue plus que toute autre chose à perpétuer les erreurs. Fort des mots et des phrases légués par les générations précédentes, chacun passe de gaîté de cœur à côté d'obscurités et de problèmes multiples. »10
12.  Je reconnais que, même si de multiples efforts sont déployés pour aider certaines catégories d'élèves à acquérir des connaissances de base, la situation en République tchèque concernant l'éducation des enfants roms est loin d'être idéale et reste à parfaire.
Pourtant, à y regarder de plus près, je soulève une seule question : quel pays d'Europe fait mieux, ou encore quel pays fait du moins autant dans ce domaine ? Demander plus, demander une solution immédiate et infaillible, me semble du domaine de l'exagéré ou même de l'impossible au moins pour la période des faits. De plus, cette période a commencé son cours quelques années seulement après la chute du régime communiste.
13.  J'estime qu'il est important, dans les analyses et dans toutes les évaluations et conclusions, de faire une distinction entre les souhaits et ce que l'on peut appeler le réalisme, le possible ou tout simplement le faisable.
Cette règle doit s'appliquer aussi dans le domaine du droit en général et en l'espèce in concreto. Selon les requérants, aucune mesure n'a été mise en place en vue de permettre aux enfants roms de surmonter lors de l'examen leurs obstacles culturels et linguistiques (paragraphe 40).
Or, ici encore, il s'agit d'une excellente démonstration de manque de réalisme. Il est à mon avis illusoire de prétendre modifier par quelques dispositions et en une brève période une situation qui dure depuis des décennies, voire des siècles. Sauf si on prétend supprimer l'évaluation tout court ou la priver de tout son sens.
14.  En outre, on ne peut pas oublier que chaque système scolaire comporte non seulement l'éducation mais aussi l'évaluation, la différentiation, la compétition et la sélection. Cette réalité est largement discutée lors du débat actuel sur la réforme du système éducatif en France. Le président de la République française dans sa Lettre aux éducateurs du 4 septembre 2007 introduit l'idée d'une sélection à l'entrée du collège et du lycée :
« Nul ne doit entrer en sixième s'il n'a pas fait la preuve qu'il était capable de suivre l'enseignement du collège. Nul ne doit entrer en seconde s'il n'a pas fait la preuve qu'il était capable de suivre l'enseignement du lycée. »11
15.  La majorité arrive à des conclusions (paragraphes 205 à 210) qui sont, à mon avis, plutôt contradictoires. Elle constate qu'il existe des difficultés liées à la scolarisation des enfants roms non seulement en République tchèque mais aussi dans d'autres Etats européens.
Qualifier de « difficultés » l'absence totale de scolarisation de la moitié des enfants roms (points 6 et 7) dans de nombreux Etats est un euphémisme inouï. Pour développer cette démarche illogique, la majorité note avec satisfaction que, à la différence de certains pays, la République tchèque a choisi de s'attaquer à ce problème (paragraphe 205).
On peut en déduire qu'il est probablement préférable et moins risqué de ne rien faire et de laisser les choses telles qu'elles sont ailleurs, c'est-à-dire de ne déployer aucun effort pour combattre les problèmes dont souffre une grande partie de la communauté rom.
16.  Cette argumentation abstraite et théorique rend les conclusions de la majorité à mes yeux tout à fait inacceptables.
OPINION DISSIDENTE  DE M. LE JUGE BORREGO BORREGO
1.  J'éprouve une certaine tristesse. C'est cet arrêt qui provoque en moi ce sentiment.
2.  En 2002, le juge Bonello trouvait « particulièrement perturbant que la Cour, en cinquante ans et plus de travail judiciaire opiniâtre, n'ait pas encore trouvé à ce jour un seul exemple de violation (du droit garanti par l'article 2 ou par l'article 3) fondée sur la race (...) » (Anguelova c. Bulgarie, arrêt du 13 juin 2002, no 38361/97, opinion dissidente). Si l'absence d'un seul cas de discrimination raciste concernant les droits qui constituent le noyau dur de la Convention était perturbante il y a cinq ans, critique du juge Bonello que je partage, aujourd'hui, lors du présent arrêt, la Cour fait un démarrage en trombe. La Grande Chambre, dans cet arrêt, a agi comme un bolide de formule 1 et, à toute vitesse, elle est entrée dans des rivages nouveaux et difficiles, le domaine de l'éducation, et la conséquence est, logiquement, un dérapage important sur la bonne voie suivie par la Cour.
3.  A mon avis, l'arrêt de la deuxième section du 7 février 2006 dans cette affaire constitue un bon et sage arrêt, un exemple de la jurisprudence de la Cour. Cependant, je regrette de ne pas pouvoir en dire autant pour ce qui est de l'arrêt de la Grande Chambre. (L'arrêt de la chambre comprend dix-sept pages, tandis que celui de la Grande Chambre en compte soixante-dix-huit, ce qui montre combien la longueur d'un arrêt est souvent indépendante de sa sagesse).
Je me concentrerai seulement sur deux points :
4.  L'approche :
La chambre, après avoir noté les préoccupations de plusieurs organisations sur la réalité rom, affirme : « La Cour souligne toutefois que son rôle est différent de celui desdits organes, et que tout comme la Cour constitutionnelle tchèque, elle n'a pas à apprécier le contexte social global. En l'espèce, sa seule tâche est d'examiner les requêtes individuelles (...) » (paragraphe 45).
5.  La Grande Chambre fait exactement le contraire. Allant à l'encontre du rôle qui incombe à tout organe judiciaire, de la première page (« le contexte historique »), en passant par « les sources du Conseil de l'Europe » (quatorze pages ), le droit et la pratique communautaires (cinq pages ), les textes des Nations unies (sept pages ) et « autres sources » (trois pages, curieusement consacrées en exclusivité, sauf la référence à l'Observatoire européen, au monde anglo-saxon, c'est-à-dire, la Chambre des lords et la Cour Suprême des Etats-Unis), jusqu'au dernier paragraphe, tout l'arrêt constitue une appréciation du contexte social global. Ainsi, pour prendre un exemple parmi d'autres, au début du paragraphe 182 la Cour affirme : « La Cour note que, du fait de leurs vicissitudes et de leur perpétuel déracinement, les Roms constituent une minorité défavorisée et vulnérable ». Est-ce là le rôle de la Cour ?
6.  Dans la même ligne, qui à mon avis ne sied pas à une Cour, après avoir constaté une différence discriminatoire de traitement entre les enfants roms et les non roms, la Grande Chambre considère au paragraphe 209 : « (...)  qu'il a été établi que l'application de la législation pertinente avait (...) des effets préjudiciables disproportionnés sur la communauté rom, les requérants en tant que membres de cette communauté ont nécessairement subi le même traitement discriminatoire. Cette conclusion dispense la Cour de se pencher sur leurs cas individuellement ».
7.  Voilà le nouveau rôle de la Cour : devenir une ECRI (Commission européenne contre le racisme et l'intolérance) b.is, et se dispenser d'examiner les requêtes individuelles, par exemple la situation des requérants nos 9, 10, 11, 16 et 17, contrairement à ce que la chambre a fait aux paragraphes 49 et 50 de son arrêt.
8. Lors de l'audience du 17 janvier 2007, les représentants (de Londres et New York) des enfants requérants (d'Ostrava) se sont bornés dans leurs exposés à décrire la discrimination dont, selon eux, les Roms sont l'objet en Europe.
9.  Dans la salle, aucun enfant requérant, aucun des parents des mineurs requérants (...). Oubliées, les circonstances particulières des requérants et de leurs parents ! Puisque l'article 36 § 4 du règlement énonce que les représentants agissent pour le compte des requérants, j'ai posé aux deux représentants anglo-saxons une question très simple : est-ce que ces deux représentants avaient eu des entretiens avec les mineurs requérants et/ou avec leurs parents ? Est-ce qu'ils s'étaient rendus à Ostrava ? Je n'ai pas obtenu de réponse.
10.  Je conserve encore le même sentiment : la salle de la Grande Chambre était devenue une tour d'ivoire, à l'écart de la vie et des problèmes des mineurs requérants et de leurs parents, où s'exhibait la supériorité des présents sur les absents.
11.  Les parents roms et l'éducation de leurs enfants :
Concernant l'éducation des mineurs, l'arrêt de la chambre dit ceci : « La Cour note qu'il incombait notamment aux parents, qui ont le devoir naturel d'assurer l'éducation de leurs enfants (...) » (paragraphe 51). Et après avoir analysé les faits de l'espèce, la chambre conclut à la non-violation de l'article 14 combiné avec l'article 2 du Protocole no 1.
12.  J'estime que la position adoptée par la Grande Chambre par rapport aux parents des mineurs requérants est extrêmement préoccupante et, étant donné qu'il s'agit d'une position qui fait référence à tous les parents roms, qu'elle est, et je l'affirme sans ambiguïté, inadmissible. Le dérapage ici est brutal, et il traduit un sentiment de supériorité inconcevable au sein d'une Cour des Droits de l'Homme et contraire à la dignité humaine des parents roms.
13.  Premièrement, la Grande Chambre doute de la capacité des parents roms d'exercer leur devoir en tant que parents. Ainsi l'affirme l'arrêt : « La Cour n'est pas convaincue que les parents des enfants roms, en tant que membres d'une communauté défavorisée et souvent sans instruction, fussent capables d'évaluer tous les aspects de la situation et les conséquences de leur consentement » (paragraphe 203). Ce sont des affirmations trop dures, superflues et, surtout, injustifiées.
14.  Deuxièmement, la Grande Chambre va encore plus loin dans son appréciation des parents roms : « La Grande Chambre considère que, à supposer même que les conditions (pour un consentement éclairé) étaient réunies, l'on ne saurait admettre la possibilité de renoncer au droit de ne pas faire l'objet d'une telle discrimination. En effet, cette renonciation se heurterait à un intérêt public important (...) » (paragraphe 204).
Je ressens ici une vive frayeur. La Grande Chambre affirme que tous les parents d'enfants roms, « à supposer même » qu'ils soient capables de donner un consentement éclairé, ne peuvent pas choisir l'école pour leurs enfants. Cette ligne de pensée peut conduire aux horribles expériences que nous connaissons bien d'enlèvement d'enfants à leurs parents appartenant à un certain groupe social, parce que d'aucuns, les soi-disant bonnes personnes, imposent à tous les citoyens leur même conception de la vie. Il s'agit, finalement, de la triste tradition humaine, de la lutte contre le racisme par le racisme.
16.  Quel cynisme : les parents des requérants mineurs ne sont pas qualifiés pour élever leurs enfants, mais ils sont par contre qualifiés pour signer une procuration en faveur de représentants britannique et nord-américain qu'ils ne connaissent pas !
17.  Evidemment, je me rallie aux opinions dissidentes exprimées par mes collègues, que je partage totalement.
18.  Si la Cour européenne s'écarte de son rôle judiciaire, elle entre dans la confusion, ce qui ne peut qu'avoir des effets négatifs pour l'Europe. Le dérapage que cet arrêt implique est de taille, et le fait qu'il estime tous les parents roms inaptes à éduquer leurs enfants est, à mon avis, une insulte. Je me place donc du côté des insultés et dis : « Jsem český Rom » (je suis un Rom tchèque).
OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE ŠIKUTA
(Traduction)
A mon grand regret, je ne puis suivre la majorité lorsqu'elle conclut en l'espèce à la violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 2 du Protocole no 1. J'indiquerai brièvement les raisons essentielles de mon dissentiment.
Je suis d'accord pour dire que, de manière générale, la situation des Roms en Europe centrale et orientale est très complexe, qu'elle n'est pas facile et simple, et qu'elle appelle des efforts de la part de tous les acteurs clés, en particulier les gouvernements. C'est toutefois au fil des siècles qu'on en est arrivé à cette situation, qui tient à divers facteurs historiques, politiques, économiques, culturels et autres. Les Etats ont un rôle proactif à jouer dans ce processus et sont donc amenés à élaborer des mesures et des projets appropriés pour aboutir à des résultats satisfaisants. La question rom doit être envisagée sous cette perspective, comme une question vivante et en évolution constante.
La jurisprudence de la Cour12 dit clairement que des distinctions de traitement de « personnes placées dans des situations par ailleurs analogues » ne constituent pas une discrimination contraire à l'article 14 lorsqu'elles trouvent une justification objective et raisonnable, c'est-à-dire s'il peut être démontré qu'elles poursuivent « un but légitime » ou qu'il existe « un rapport raisonnable de proportionnalité » entre les moyens employés et le but visé. Pour vérifier si la justification est valable, il faut l'apprécier par rapport au but et aux effets des mesures à considérer, en tenant compte des principes qui s'appliquent dans des sociétés démocratiques.
Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement13. Le choix que l'Etat a fait d'établir des écoles spéciales pour s'acquitter de la mission qui lui incombe d'assurer à tous les enfants une éducation obligatoire relevait pleinement de sa marge d'appréciation.
Les écoles spéciales furent introduites à l'intention des enfants rencontrant des difficultés d'apprentissage et ayant des besoins particuliers en la matière, moyen pour l'Etat de remplir son devoir d'assurer à tous les enfants une éducation élémentaire qui fût totalement obligatoire. La mise en place d'écoles spéciales doit être perçue comme une nouvelle étape dans le processus évoqué ci-dessus, avec pour but ultime de parvenir à une situation satisfaisante, ou du moins meilleure, dans le domaine de l'éducation. L'introduction d'établissements spéciaux, même si ce n'est pas une panacée, doit être tenue pour une action positive de la part de l'Etat qui cherche à aider les enfants présentant des besoins éducatifs particuliers à surmonter leur différence quant au degré d'aptitude à fréquenter un établissement ordinaire et à suivre le programme ordinaire.
On peut donc voir que, de manière générale, il existait une justification objective et raisonnable à l'idée de traiter les enfants placés dans des écoles spéciales différemment de ceux fréquentant les écoles ordinaires, à partir des résultats objectifs obtenus au test psychologique, pratiqué par des professionnels qualifiés à même de choisir les méthodes appropriées. J'admets que le traitement réservé aux enfants fréquentant des écoles ordinaires était différent de celui réservé aux enfants fréquentant des écoles spéciales. Mais, dans le même temps, ces types d'écoles, ordinaires et spéciales, étaient tous deux accessibles aux deux catégories d'enfants – roms et non roms – et de fait tous deux fréquentés par les uns et les autres à l'époque considérée.
Le seul critère déterminant pour dire quel enfant recommander pour quel type d'école consistait donc dans les résultats du test psychologique, conçu par des experts, des professionnels qualifiés, dont aucune des parties ne conteste le professionnalisme. La différence de traitement selon que les enfants fréquentaient l'un ou l'autre type d'école (ordinaire ou spéciale) était simplement fonction du niveau différent de capacité intellectuelle des enfants concernés et de leur degré différent d'aptitude et de volonté à se soumettre avec succès à toutes les exigences imposées par le système éducatif existant, à savoir les écoles ordinaires.
Dès lors, des données statistiques isolées, surtout si elles se rapportent à une région particulière du pays, ne permettent pas en soi de conclure que le placement des requérants dans des écoles spéciales résultait d'un préjugé racial parce que, par exemple, les écoles spéciales étaient fréquentées à la fois par des enfants roms et des enfants non roms. Les statistiques ne sont pas en soi révélatrices d'une pratique pouvant être qualifiée de discriminatoire (Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, § 154). Le fait que les écoles ordinaires étaient fréquentées aussi par des enfants roms prouve bien qu'il existait d'autres critères de sélection que la race ou l'origine ethnique. De même, le fait que certains des requérants ont été transférés dans des écoles ordinaires prouve que la situation n'était pas irréversible.
Il convient aussi de relever que les parents des enfants placés dans des écoles spéciales avaient donné leur accord à ce placement et que certains d'entre eux avaient en fait adressé une demande en ce sens aux autorités compétentes. Cette démarche positive de la part des parents des requérants montre bien qu'ils étaient suffisamment et correctement informés de l'existence de ces écoles et du rôle qu'elles jouaient dans le système éducatif. Je suis convaincu qu'en règle générale un professionnel sera plus compétent pour prendre une décision sur l'éducation d'un enfant mineur que les parents de celui-ci. Quoi qu'il en soit, s'il estimait que la décision des parents de placer leurs enfants dans une école spéciale ne servait pas « l'intérêt supérieur de l'enfant », le service de l'enfance du centre de protection sociale d'Ostrava, qui avait le pouvoir et le devoir de porter les affaires de ce genre devant le tribunal pour enfants qui apprécierait où se trouvait l'intérêt supérieur de l'enfant, aurait pu intervenir. Or ce ne fut pas le cas, puisque ni le centre de protection sociale ni les parents des requérants ne se sont adressés au tribunal pour enfants, compétent en la matière.
Cela étant, j'en suis arrivé à la conclusion que la différence de traitement se situait entre les enfants qui fréquentaient les écoles ordinaires, d'une part, et les enfants qui fréquentaient les écoles spéciales, de l'autre, indépendamment de leur origine rom ou non rom. Pareille différence de traitement trouvait une justification objective et raisonnable et poursuivait un but légitime – assurer à tous les enfants une éducation obligatoire.
Je suis aussi parvenu à la conclusion que, par contre, il n'existait pas de distinction de traitement entre les enfants fréquentant la même école spéciale, enfants (roms et non roms) qu'il y a lieu de considérer comme « personnes placées dans des situations à d'autres égards analogues ». Je n'ai décelé en l'espèce aucun élément de droit ou de fait permettant de conclure que les enfants roms fréquentant une école spéciale étaient traités moins favorablement que les enfants non roms fréquentant la même école spéciale. Il n'est pas acceptable de conclure que seuls les enfants roms fréquentant des écoles spéciales faisaient l'objet d'une discrimination par rapport aux enfants non roms (ou à tous les enfants) fréquentant les écoles ordinaires puisque ces deux groupes d'enfants ne sont pas constitués de « personnes dans [une] situation à d'autres égards analogue (...) ». Une autre raison rendant cette conclusion inacceptable, c'est que les deux « groupes » étaient soumis aux mêmes conditions d'accès et fréquentaient les deux types d'écoles : des enfants non roms fréquentaient les écoles spéciales et, parallèlement, des enfants roms fréquentaient les écoles ordinaires sur la seule base des résultats qu'ils avaient obtenus au test psychologique, le même pour tous les enfants indépendamment de leur race.
Eu égard à ce qui précède, je ne souscris pas à l'opinion selon laquelle les requérants, en raison de leur appartenance à la communauté rom, ont subi un traitement discriminatoire du fait de leur placement dans des écoles spéciales.
A N N E X E
LISTE DES REQUÉRANTS
1. Mlle D.H. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1989 et résidant à Ostrava-Přívoz ;
2. Mlle S.H. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1991 et résidant à Ostrava-Přívoz ;
3. M. L.B. est un ressortissant tchèque d'origine rom, né en 1985 et résidant à Ostrava-Fifejdy ;
4. M. M.P. est un ressortissant tchèque d'origine rom, né en 1991 et résidant à Ostrava-Přívoz ;
5. M. J.M. est un ressortissant tchèque d'origine rom, né en 1988 et résidant à Ostrava-Radvanice ;
6. Mlle N.P. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1989 et résidant à Ostrava ;
7. Mlle D.B. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1988 et résidant à Ostrava-Heřmanice ;
8. Mlle A.B. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1989 et résidant à Ostrava-Heřmanice ;
9. M. R.S. est un ressortissant tchèque d'origine rom, né en 1985 et résidant à Ostrava-Kunčičky ;
10. Mlle K.R. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1989 et résidant à Ostrava-Mariánské Hory ;
11. Mlle Z.V. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1990 et résidant à Ostrava-Hrušov ;
12. Mlle H.K. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1990 et résidant à Ostrava-Vítkovice ;
13. M. P.D. est un ressortissant tchèque d'origine rom, né en 1991 et résidant à Ostrava ;
14. Mlle M.P. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1990 et résidant à Ostrava-Hrušov ;
15. Mlle D.M. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1991 et résidant à Ostrava-Hrušov ;
16. Mlle M.B. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1991 et résidant à Ostrava 1 ;
17. Mlle K.D. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1991 et résidant à Ostrava-Hrušov ;
18. Mlle V.Š. est une ressortissante tchèque d'origine rom, née en 1990 et résidant à Ostrava-Vítkovice.
1.  P. Evans (2006), Educating students with special needs : A comparison of inclusion practices in OECD countries, Education Canada 44 (1):32-35.
2.  A. Frazer (M. Miklušáková), The Gypsies (Cikáni), Prague 2002, p. 275.
3.  J.-P. Liégeois ; Roms en Europe ; Éditions du Conseil de l’Europe 2007, p. 31.
4.  Néanmoins lors du recensement de la population le 3 mars 1991 en République tchèque, seulement 32 903 personnes se sont déclarées appartenir à la nationalité rom (Statistical Yearbook of the Czech Republic 1993,,Prague 1993, p. 142).
5.  Op. cit., pp. 274 et 275.
6.  Journal Officiel des Communautés européennes no C153 du 21/06/1989, pp. 3 et 4.
7 Statistical Yearbook of the Czech Republic 1993, Prague 1993, pp. 88 et 302
8 Statistical Yearbook of the Czech Republic 1993, Prague 1993, p. 307.
9 En France, dans le débat public actuel, on constate que « A l’entrée en sixième, 40 % des élèves ignorent les connaissances de base. A la fin de la troisième, 150 000 jeunes quittent le système sans maîtriser le moindre savoir (Editorial du Figaro, 4 septembre 2007) ou encore, dans le même journal, le 7 septembre 2007, « selon le Haut Conseil de l’éducation, 40 % des élèves du primaire – soit 300 000 personnes – sortent chaque année en échec lourd ou en grande difficulté ».
10.  A. Schopenhauer ; Le monde comme volonté et comme représentation, Quadrige, Paris 2004, p. 833.
11.  Le Figaro, 5 septembre 2007, p. 8.
12.  Par exemple Willis c. Royaume-Uni, no 36042/97, § 48, CEDH 2002-IV.
13.  Gaygusuz c. Autriche, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, paragraphe 42.
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION DISSIDENTE     
                                                 DE M. LE JUGE BORREGO BORREGO
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION DISSIDENTE     
                                                 DE M. LE JUGE JUNGWIERT
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION DISSIDENTE     
                                                 DE M. LE JUGE JUNGWIERT
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION DISSIDENTE     
                                                 DE M. LE JUGE BORREGO BORREGO
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION DISSIDENTE     
                                                 DE M. LE JUGE BORREGO BORREGO
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION DISSIDENTE     
                                                         DE M. LE JUGE ŠIKUTA
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION DISSIDENTE     
                                                        DE M. LE JUGE ŠIKUTA
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
ARRÊT D.H. ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 57325/00
Date de la décision : 13/11/2007
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de l'art. 14+P1-2 ; Mesures générales rejetées ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) JUSTIFICATION OBJECTIVE ET RAISONNABLE, (Art. 14) RACE, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 35-1) RECOURS INTERNE EFFICACE, (Art. 46-2) MESURES GENERALES, (P1-2) DROIT A L'INSTRUCTION-{GENERAL}, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : D.H. ET AUTRES
Défendeurs : REPUBLIQUE TCHEQUE

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2007-11-13;57325.00 ?
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