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07/02/2008 | CEDH | N°26879/02

CEDH | AFFAIRE EPISCOPIA ROMANA UNITA CU ROMA ORADEA c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE EPISCOPIA ROMÂNĂ UNITĂ CU ROMA ORADEA
c. ROUMANIE
(Requête no 26879/02)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Episcopia Română Unită cu Roma Oradea c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu B

rsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Isabelle Ber...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE EPISCOPIA ROMÂNĂ UNITĂ CU ROMA ORADEA
c. ROUMANIE
(Requête no 26879/02)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Episcopia Română Unită cu Roma Oradea c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Elisabet Fura-Sandström,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 26879/02) dirigée contre la Roumanie et dont une éparchie gréco-catholique ayant son siège dans cet État, l'éparchie gréco-catholique d'Oradea (« la requérante »), a saisi la Cour le 13 novembre 2000, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.   La requérante est représentée par Me Teodor Cadar, avocat à Beiuş. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le 17 mai 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  La requérante, l'éparchie gréco-catholique d'Oradea, siège au no 2, rue Romană, à Beiuş (département de Bihor).
5.  Le 18 août 1967, l'État s'empara de plusieurs biens immeubles appartenant à la Fondation gréco-catholique d'aide Demetriu Radu à laquelle la requérante a succédé. Parmi ces biens se trouvait un appartement no 1 (comprenant une chambre et ses dépendances) de 53,04 m², situé au no 30, rue Horea, à Beiuş.
6.  Le 18 novembre 1997, suite à une action en revendication immobilière, la requérante obtint une décision définitive constatant l'illégalité du transfert de propriété au bénéfice de l'État et ordonnant inter alia la rectification du livre foncier dans le sens de l'inscription de son droit de propriété sur l'appartement susmentionné, en qualité de successeur.
7.  Malgré la reconnaissance judiciaire définitive de son droit de propriété, la requérante se vit dans l'impossibilité de récupérer son bien car, en vertu de la loi no 112/1995, l'État avait vendu le 30 septembre 1996 ce bien aux locataires qui l'occupaient.
8.  Le 23 juin 1998, la requérante demanda aux tribunaux de constater la nullité de la vente du bien. Elle faisait valoir que l'État s'était emparé de l'appartement de manière abusive et illégale, et qu'il ne pouvait pas être le propriétaire légitime du bien et, par conséquent, ne pouvait légalement le vendre.
9.  A l'issue de la procédure, par un arrêt du 30 juin 2000, la cour d'appel d'Oradea, tout en reconnaissant le droit de propriété de la requérante, rejeta son action au motif que les locataires étaient des acquéreurs de bonne foi. La cour d'appel n'octroya aucune indemnisation à la requérante.
10.  En 2000, à une date non précisée, le parquet près la Cour suprême de justice rejeta la demande de la requérante en vue de voir former un recours en annulation.
11.  Le 3 mars 2003, sur le fondement de l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 94/2000, la requérante déposa auprès de la commission spéciale de restitution instituée par cette loi, une demande de restitution de l'appartement litigieux. Aucune décision n'a été rendue à ce jour.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
12. Les dispositions pertinentes de l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 94/2000 du 29 juillet 2000 sur la restitution des biens immeubles ayant appartenu aux cultes religieux de Roumanie, telle que modifiée par la loi no 501/2002 et la loi no 247/2005 et republiée dans le Journal Officiel no 797 du 1er septembre 2005, se lisent ainsi :
Article 1
« 1.  Les biens immeubles ayant appartenu aux cultes religieux de Roumanie que l'État s'est approprié abusivement (...) entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, autres que les édifices de culte, [...] sont restitués aux anciens propriétaires, dans les conditions de la présente ordonnance d'urgence.
9.  Dans tous les cas, la demande de restitution des biens immeubles prévus au premier alinéa se dépose auprès du secrétariat de la commission spéciale de restitution, dans les 6 mois après l'entrée en vigueur la loi d'approbation de la présente ordonnance d'urgence. »
Article 2
1.  Les biens immeubles - terrains et constructions – pris abusivement (...) font l'objet d'une restitution en nature, en vertu d'une décision des organes administratifs de l'entité qui détient les biens.
2.  L'entité qui détient les biens doit solutionner la demande, remise par la Commission spéciale de restitution, dans les 60 jours après la réception de tous les documents nécessaires (...)
4.  Si la restitution en nature n'est plus possible, il y a lieu d'adopter des mesures de réparation par équivalence selon la loi spéciale. Il peut s'agir également de la compensation par d'autres biens ou services, avec l'accord de l'intéressé, par l'entité prévue au premier alinéa (...)
6.  La décision prévue au premier alinéa peut être contestée devant le tribunal départemental dans la circonscription duquel se trouve l'entité qui détient les biens, dans un délai de 30 jours après sa notification à l'intéressé.
Article 3 § 7
« La décision adoptée par la commission spéciale de restitution, peut être contestée dans un délai de 30 jours après sa notification à l'intéressé, devant le tribunal administratif dans la circonscription duquel se trouve le bien immeuble. La décision du tribunal administratif est sujette aux voies de recours prévues par la loi du contentieux administratif no 554/2004. »
Article 4 § 1
« La demande de restitution est déposée auprès de la commission spéciale de restitution par le centre épiscopal ou, le cas échéant, par le centre du culte. »
Article 5
« 1.  Le droit de propriété sur le bien immeuble réclamé est acquiert en vertu de la décision de la commission spéciale de restitution (...)
5.  Les mesures de réparation par équivalence sont accordées selon la loi spéciale qui régit le type et la procédure d'octroi des dédommagements. »
Article 6
« 1.  Si les biens immeubles qui font l'objet de la présente ordonnance d'urgence, ont été légalement transmis à des tierces personnes depuis le 22 décembre 1989, le titulaire de la demande de restitution peut opter pour des mesures de réparation par équivalence, conformément à l'article 5 § 5.
2.  L'acte juridique de transfert de propriété des biens immeubles faisant l'objet de la présente ordonnance d'urgence est frappé de nullité absolue s'il méconnaît les dispositions impératives en vigueur au moment de sa conclusion. »
13.  La loi no 247/2005 précise en outre, dans son titre VII, la manière dont sont fixés et payés les dédommagements pour les biens tombés abusivement dans le patrimoine de l'État. Les dispositions pertinentes de ce titre de la loi se lisent ainsi :
Article 2
«  Afin de garantir les ressources financières pour les dédommagements accordés en vertu de la présente loi, il y a lieu de créer l'organisme de placement collectif de valeurs mobilières, le fonds Proprietatea, conformément aux dispositions du chapitre II. »
Article 13
« 1. En vue d'arrêter le montant final des dédommagements à octroyer selon la présente loi, sera créée une Commission centrale des dédommagements, ci-après la Commission centrale, placée sous l'autorité du Premier ministre (...) »
Article 16
« 1.  Les décisions rendues par les autorités compétentes pour restituer le bien mentionnant des sommes à titre de dédommagement (...) seront adressées au secrétariat de la Commission centrale au plus tard 60 jours après l'entrée en vigueur de la présente loi.
2.  Les demandes de restitution déposées en vertu de la loi no 10/2001 (...) qui n'ont pas reçu de réponse au moment de l'entrée en vigueur de la loi seront adressées (...) au secrétariat de la Commission centrale (...) dans un délai de 10 jours à compter de la date de la délivrance des décisions des autorités compétentes pour restituer le bien (...)
5.  Le secrétariat de la Commission centrale dressera la liste des dossiers mentionnés aux alinéas 1 et 2 dans lesquels la demande de restitution en nature a été rejetée. Ces dossiers seront ensuite transmis à l'autorité chargée de l'évaluation, qui rédigera le rapport d'évaluation.
6.  (...) L'autorité chargée de l'évaluation rédigera le rapport d'évaluation selon la procédure prévue à cet effet et le transmettra à la Commission centrale. Le rapport contiendra le montant du dédommagement à octroyer.
7.  Sur la base du rapport d'évaluation, la Commission centrale prononcera la décision d'octroi de dédommagement ou renverra le dossier pour une nouvelle évaluation. »
14.  Le fonctionnement de la société par actions « Proprietatea » est décrit dans l'affaire Radu c. Roumanie (no 13309/03, §§ 18-20, 20 juillet 2006).
15.  La loi no 247/2005 a été modifiée en dernier lieu par l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 81 du 28 juin 2007, publiée au Journal Officiel du 29 juin 2007 et portant sur l'accélération de la procédure d'indemnisation pour les immeubles pris abusivement par l'État.
Selon l'article 181 du titre I de l'ordonnance, lorsque la Commission centrale a décidé l'octroi des dédommagements dont le montant ne dépasse pas 500 000 nouveaux lei roumains (« RON »), les bénéficiaires peuvent opter entre des actions à « Proprietatea » et l'octroi des dédommagements pécuniaires. Pour les montants supérieurs à 500 000 RON, les intéressés peuvent réclamer des dédommagements pécuniaires à hauteur de 500 000 RON, et se verront octroyer des actions à « Proprietatea » pour la différence.
Selon l'article 7 du titre II de l'ordonnance, dans les six mois à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, le Gouvernement devra établir les règles de désignation de la société gérante de « Proprietatea ».
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
16.  La requérante allègue que l'impossibilité de recouvrer la propriété de son bien a méconnu son droit au respect de son bien, tel que reconnu par l'article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
17.  Le Gouvernement fait valoir que le grief doit être rejeté pour non-respect du délai de six mois dans la mesure où la requête a été introduite le 23 mars 2001, date de la réception par la Cour du formulaire de requête, alors que la dernière décision interne définitive au sens de l'article 35 § 1 de la Convention a été prononcée le 30 juin 2000 par la cour d'appel d'Oradea.
18.  La requérante conteste cette thèse et souligne que, le 13 novembre 2000, elle a envoyé une première lettre à la Cour, exposant ses griefs. Or, compté à partir de cette date, le délai de six mois n'a pas été méconnu.
19.  La Cour rappelle qu'aux termes de l'article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. Lorsque la violation alléguée consiste en une situation continue, le délai de six mois ne commence à courir qu'à partir du moment où cette situation continue prend fin (voir, mutatis mutandis, Hornsby c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 508, § 35 et Marinakos c. Grèce, (déc.) no 49282/99, 29 mars 2000).
20.  La Cour estime que l'impossibilité alléguée par la requérante de jouir, depuis plusieurs années, de son droit de propriété reconnu par une décision définitive et irrévocable s'analyse en une situation continue. Le simple fait qu'elle a tenté – sans succès – d'y mettre un terme en demandant, par la voie d'une action en justice, l'annulation du contrat de vente conclu par l'État avec les locataires ne saurait changer ce constat factuel. A ce jour, la requérante ne s'est pas vu restituer le bien litigieux et n'a pas davantage reçu d'indemnité à hauteur de sa valeur marchande. Le délai de six mois prévu à l'article 35 § 1 de la Convention n'a donc pas commencé à courir en l'espèce (voir Todicescu c. Roumanie, no 18419/02, § 16, 24 mai 2007, et Horia Jean Ionescu c. Roumanie, no 11116/02, § 24, 31 mai 2007).
21.  De surcroît, à supposer même qu'il ne s'agisse pas d'une situation continue et que l'arrêt interne définitif en l'espèce soit celui du 30 juin 2000 de la cour d'appel d'Oradea, la Cour note que la première communication de la requérante, dans laquelle elle a exposé ses griefs, date du 13 novembre 2000, de sorte que, même dans cette hypothèse, le délai de six mois n'a pas été méconnu (voir Baumann c. Autriche (déc.), no 39917/98, 4 septembre 2001) .
22.  Partant, l'exception du Gouvernement ne saurait être accueillie favorablement. La Cour constate également que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
23.  Le Gouvernement ne conteste pas l'existence d'une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens.
24.  Il fait valoir que la requérante s'est adressée aux autorités compétentes pour demander une indemnité en vertu de l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 94/2000. Il considère que dans des situations complexes telles qu'en l'espèce, où les dispositions législatives ont un impact économique sur l'ensemble du pays, les autorités nationales doivent bénéficier d'un pouvoir discrétionnaire non seulement pour choisir les mesures visant à garantir le respect des droits patrimoniaux mais également pour leur mise en œuvre. Il expose que la dernière réforme en la matière, à savoir la loi no 247/2005, pose le principe de l'octroi de dédommagements équitables et non plafonnés, fixés par une décision de la commission administrative centrale sur la base d'une expertise, et accélère la procédure de restitution ou d'indemnisation. Cette loi prévoit que, dans le cas où la restitution de l'immeuble n'est pas possible, l'indemnisation se fait par l'émission de titres de participation à un organisme collectif de valeurs mobilières (Proprietatea), à hauteur de la valeur du bien établie par expertise. Selon le Gouvernement, le nouveau mécanisme institué par la loi no 247/2005 assure une indemnisation effective, conforme aux exigences de la Convention.
25.  Le Gouvernement estime qu'en tout état de cause un éventuel retard dans l'octroi d'une indemnité, dans le contexte d'un dédommagement non plafonné, ne rompt pas le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété des individus et les exigences de l'intérêt général et n'oblige pas la requérante à supporter une charge excessive.
26.  La requérante conteste les arguments du Gouvernement. Elle fait valoir que les autorités ont vendu son bien dont l'État s'était abusivement emparé en dépit de ses démarches en vue de sa restitution. Elle considère que l'indemnisation que le Gouvernement laisse entrevoir ne constitue pas une réparation effective, vu notamment l'absence de toute indication quant au délai dans lequel elle pourrait intervenir. Par ailleurs, la requérante argue que l'ordonnance d'urgence no 94/2000 ne lui est pas applicable puisqu'elle est postérieure à la procédure par laquelle elle s'est vue reconnaître le droit de propriété sur l'appartement litigieux.
27.  La Cour observe que la requérante détient une décision définitive et irrévocable ordonnant aux autorités de lui restituer le bien litigieux. Comme la Cour l'a déjà constaté (voir affaire Strain précité § 38) l'existence de son droit de propriété en vertu de ladite décision définitive n'était pas conditionnée à d'autres formalités.
28.  La Cour rappelle avoir d'ores et déjà jugé que la vente par l'État d'un bien d'autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu'elle est antérieure à la confirmation en justice de façon définitive du droit de propriété d'autrui, s'analyse en une privation de propriété. Une telle privation, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, est contraire à l'article 1 du Protocole no 1 (Străin et autres précité, §§ 39, 43 et 59).
29.  De surcroît, dans l'affaire Păduraru précitée, la Cour a constaté que l'État avait manqué à son obligation positive de réagir en temps utile et avec cohérence face à la question d'intérêt général que constitue la restitution ou la vente des immeubles entrés en sa possession de manière abusive. Elle a également considéré que l'incertitude générale ainsi créée s'était répercutée sur la requérante, qui s'était vue dans l'impossibilité de recouvrer l'ensemble de son bien alors qu'elle disposait d'un arrêt définitif condamnant l'État à le lui restituer (Păduraru, précité, § 112).
30.  En l'espèce, la Cour n'aperçoit pas de motif de s'écarter des affaires précitées, la situation de fait étant sensiblement la même. Elle note que la vente par l'État du bien de la requérante en vertu de la loi no 112/1995, laquelle ne permettait pas, pourtant, de vendre les biens pris illégalement, empêche – aujourd'hui encore – l'intéressée de jouir de son droit de propriété reconnu par une décision définitive et irrévocable.
31.  Pour autant que le Gouvernement fait valoir qu'il lui est loisible d'obtenir des titres de participation à un organisme collectif de valeurs mobilières (Proprietatea) sur la base de l'ordonnance d'urgence no 94/2000, à hauteur de la valeur du bien établie par expertise, la Cour note que les autorités compétentes n'ont pas encore tranché la demande de la requérante déposée en vertu de cette ordonnance. De surcroît, ni l'ordonnance d'urgence no 94/2000, ni la loi no 247/2005 la modifiant ne prennent en compte le préjudice subi du fait d'une absence prolongée d'indemnisation par les personnes qui, comme la requérante, se sont vues dans l'impossibilité de jouir de leurs biens restitués en vertu d'un jugement définitif (voir, mutatis mutandis, Porteanu précité, § 34).
32.  Dès lors, la Cour considère que la mise en échec du droit de propriété de la requérante sur son appartement vendu par l'État aux tiers qui l'occupaient en tant que locataires, combinée avec l'absence totale d'indemnisation depuis environ dix ans, lui a fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de ses biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1.
33.  Partant, il y a eu violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
34.  La requérante dénonce le caractère inéquitable de la procédure ayant pris fin par l'arrêt de la cour d'appel d'Oradea du 30 juin 2000 et l'absence d'accès à un tribunal en raison du refus du procureur général d'introduire un recours en annulation contre l'arrêt précité. Elle invoque l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
35.  Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
36.  Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
37.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
38.  Dans son formulaire de requête, la requérante réclame, au titre de dommage matériel, la restitution de l'appartement dont elle a été reconnue propriétaire par la décision du 18 novembre 1997. Dans sa lettre du 7 novembre 2006 elle estime la valeur vénale de l'appartement à 18 000 EUR. La requérante demande également la valeur des loyers non perçus qu'elle chiffre à 400 EUR par mois à partir du 30 septembre 1996, soit un total de 48 000 EUR.
39.  Enfin, la requérante réclame 75 000 EUR au titre de dommage moral pour les souffrances causées par la méconnaissance par l'État de son droit de propriété.
40.  Le Gouvernement n'a pas soumis de commentaires quant à la valeur vénale du bien litigieux. S'agissant de la demande tirée du défaut de jouissance, il demande son rejet, renvoyant à la jurisprudence la Cour où elle a jugé qu'elle ne saurait spéculer sur la question d'estimer la valeur des loyers non perçus (Buzatu c. Roumanie (satisfaction équitable), no 34642/97, 27 janvier 2005). S'agissant du dommage moral, le Gouvernement estime qu'il serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions de la requérante soient excessives.
41.  La Cour rappelle qu'elle a conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l'impossibilité de la requérante de jouir de son bien, à cause de sa vente par l'État, combinée avec l'absence d'indemnisation.
42.  La Cour estime, dans les circonstances de l'espèce, que la restitution du bien litigieux, telle qu'ordonnée par la décision définitive du 18 novembre 1997, placerait la requérante autant que possible dans une situation équivalant à celle où elle se trouverait si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues.
43.  A défaut pour l'État défendeur de procéder à pareille restitution, la Cour décide qu'il devra verser à la requérante, dans le même délai, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur actuelle du bien. A ce sujet, la Cour constate que le Gouvernement ne conteste pas la valeur vénale de l'appartement indiquée par la requérante. Compte tenu de ce qui précède et des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local, la Cour estime la valeur vénale actuelle du bien à 18 000 EUR.
44.  Concernant les sommes demandées au titre du défaut de jouissance du bien, calculées par rapport au prix de location de ce bien, la Cour ne saurait allouer de somme à ce titre, compte tenu, d'une part, du fait qu'elle a ordonné la restitution du bien comme réparation au titre de l'article 41 de la Convention et, d'autre part, de ce que l'octroi d'une somme à ce titre revêtirait en l'espèce un caractère spéculatif, la possibilité et le rendement d'une location étant fonction de plusieurs variables. Néanmoins, elle tiendra compte de la privation de propriété subie par la requérante depuis 1997 à l'occasion de la réparation du préjudice moral (voir, mutatis mutandis, Androne c. Roumanie, no 54062/00, § 70, 22 décembre 2004, et Buzatu précité, § 18)).
45.  La Cour considère que les événements en cause ont pu provoquer à la requérante un état d'incertitude qui ne peut pas être compensé par le constat de violation. Elle estime que la somme de 2 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi par la requérante.
B.  Frais et dépens
46.  La requérante demande également le remboursement des frais et dépens encourus devant les juridictions internes et devant la Cour. Elle produit une seule facture pour un montant de 1 100 000 ROL.
47.  Le Gouvernement ne s'oppose pas au remboursement des frais encourus, sous condition qu'ils soient prouvés, nécessaires et raisonnables.
48.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 50 EUR au titre des frais et dépens de la procédure nationale et l'accorde à la requérante.
C.  Intérêts moratoires
49.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l'État défendeur doit restituer à la requérante l'appartement no 1 (comprenant une chambre et ses dépendances) de 53,04 m², situé au no 30, rue Horea, à Beiuş, dans les trois mois à compter du jour où le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;
b)  qu'à défaut d'une telle restitution, l'État défendeur doit verser à la requérante, dans le même délai de trois mois, 18 000 EUR (dix-huit mille euros) pour dommage matériel ;
c)  qu'en tout état de cause, l'État défendeur doit verser à la requérante 2 000 EUR (deux mille euros) pour préjudice moral et 50 EUR (cinquante euros) pour frais et dépens ;
d)  qu'il convient d'ajouter aux sommes susmentionnées tout montant pouvant être dû à titre d'impôt et que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
e)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič   Greffier Président
ARRÊT EPISCOPIA ROMÂNĂ UNITĂ CU ROMA ORADEA c. ROUMANIE
ARRÊT EPISCOPIA ROMÂNĂ UNITĂ CU ROMA ORADEA c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 26879/02
Date de la décision : 07/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété

Parties
Demandeurs : EPISCOPIA ROMANA UNITA CU ROMA ORADEA
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-07;26879.02 ?

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