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07/02/2008 | CEDH | N°35803/03

CEDH | AFFAIRE REUNIUNEA DE AJUTOR PENTRU INMORMANTARE FRATELIA c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE REUNIUNEA DE AJUTOR PENTRU INMORMANTARE FRATELIA c. ROUMANIE
(Requête no 35803/03)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Reuniunea de Ajutor Pentru Înmormântare Fratelia c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président, 

 Corneliu Bîrsan,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele, ...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE REUNIUNEA DE AJUTOR PENTRU INMORMANTARE FRATELIA c. ROUMANIE
(Requête no 35803/03)
ARRÊT
STRASBOURG
7 février 2008
DÉFINITIF
07/05/2008
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Reuniunea de Ajutor Pentru Înmormântare Fratelia c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Boštjan M. Zupančič, président,   Corneliu Bîrsan,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   David Thór Björgvinsson,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 35803/03) dirigée contre la Roumanie et dont une association ayant son siège dans cet État, Reuniunea de Ajutor pentru Înmormântare Fratelia, (« la requérante »), a saisi la Cour le 25 septembre 2003, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  La requérante est représentée par son président, M. David Dumitru, son vice-président, M. Horia Musta, et son comptable en chef, Mme Ileana Popescu. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.
3.  Le 2 mars 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  La requérante est une association sans but lucratif, créée en 1875 et siégeant au no 2, rue Intrarea Castanilor, à Timişoara.
5.  En 1950, en vertu du décret no 92/1950, l'immeuble de la requérante sis à Timişoara, au no 46, rue Iuliu Maniu, composé d'une maison de 24 appartements et du terrain afférent, fit l'objet d'une nationalisation.
A.  Première action en revendication
6.  Le 7 avril 1994, suite à une action en revendication immobilière, la requérante obtint une décision définitive constatant l'illégalité de la nationalisation et ordonnant aux autorités de lui restituer l'immeuble.
7.  Le 6 février 1995, en application de la décision susmentionnée, la requérante fit inscrire son droit de propriété dans le livre foncier.
8.  Néanmoins, le 10 janvier 1997, la Cour suprême de justice accueillit le recours en annulation du procureur général introduit contre la décision du 7 avril 1994, et la cassa, jugeant que les tribunaux avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l'application du décret no92/1950.
B.  Deuxième action en revendication et en annulation de certains contrats de vente
9.  Le 31 juillet 1997, la requérante saisit les tribunaux d'une action tendant au constat du caractère illégal de la nationalisation de l'immeuble litigieux et à l'annulation des contrats par lesquels l'État avait vendu douze appartements de l'immeuble aux locataires les habitant.
10.  Par un jugement du 30 octobre 2001, le tribunal de première instance de Timişoara constata l'illégalité de la nationalisation de l'immeuble. Il ordonna aussi la rectification du livre foncier dans le sens de l'inscription du droit de propriété de la requérante sur douze appartements qui n'avaient pas été vendus par l'État. En revanche, le tribunal refusa l'annulation des contrats par lesquels l'État avait vendu aux locataires les douze autres appartements de l'immeuble (les appartements nos 1, 2, 3, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 16 et 20) au motif que les locataires étaient des acquéreurs de bonne foi. Le tribunal n'octroya aucune indemnisation à la requérante.
11.  Le jugement précité fut confirmé en dernière instance par la cour d'appel de Timişoara, le 28 mars 2003.
12.  Le 18 mars 2004, sur demande de la requérante, le procureur général de la Roumanie introduisit un recours en annulation contre le jugement du tribunal de première instance de Timişoara du 30 octobre 2001. Par un arrêt du 8 mars 2007, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta le recours en annulation, confirmant ainsi le jugement rendu en première instance.
C.  Demande de restitution en vertu de la loi no 10/2001
13.  En 2001, sur le fondement de la loi no 10/2001, la requérante déposa auprès de la mairie de Timişoara une demande de restitution des douze appartements de la maison sise au no 46, rue Iuliu Maniu, à Timişoara, dont l'État était encore le propriétaire.
14.  Par une lettre du 21 décembre 2006, la requérante informa la Cour qu'elle avait retiré sa demande au vu de l'arrêt de la cour d'appel de Timişoara du 28 mars 2003, ordonnant la restitution des appartements en question.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
15.  Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-33), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, CEDH 2005-VII, §§ 19-26) et Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 38-53, 1er décembre 2005).
16.  La loi no 10/2001 du 14 février 2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'État entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989 a été modifiée par la loi no 247 publiée au Journal officiel du 22 juillet 2005. La nouvelle loi élargit les formes d'indemnisation en permettant aux bénéficiaires de choisir entre une compensation sous forme de biens et services et une compensation sous forme de dédommagement pécuniaire équivalant à la valeur marchande du bien qui ne peut pas être restitué en nature au moment de l'octroi de la somme.
17.  Les dispositions pertinentes de la loi no 10/2001 (republiée) telles que modifiées par la loi no 247/2005 se lisent ainsi :
Article 1
« 1.  Les immeubles que l'État (...) s'est approprié abusivement entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, de même que ceux pris par l'État en vertu de la loi no 139/1940 sur les réquisitions, et non encore restitués, feront l'objet d'une restitution en nature.
2.  Si la restitution en nature n'est pas possible, il y a lieu d'adopter des mesures de réparation par équivalence. Il peut s'agir de la compensation par d'autres biens ou services (...), avec l'accord du demandeur, ou d'un dédommagement pécuniaire octroyé selon les dispositions spéciales concernant la détermination et le paiement de dédommagements pour les biens immeubles acquis abusivement.
Article 10
« 1)  Lorsque les bâtiments tombés dans le patrimoine de l'État d'une manière abusive ont été démolis totalement ou partiellement, la restitution en nature est ordonnée pour le terrain libre et pour les constructions qui n'ont pas été démolies, tandis que des mesures réparatrices par équivalence seront fixées pour les terrains occupés et pour les constructions démolies.
8)  La valeur des constructions que l'État s'est abusivement appropriées et qui ont été démolies est déterminée en fonction de leur valeur vénale au jour où l'administration statue sur la demande, établie selon les normes internationales d'évaluation à partir des informations à la disposition des évaluateurs.
9)  La valeur des constructions qui n'ont pas été démolies et des terrains y afférents que l'État s'est abusivement appropriés et qui ne peuvent pas être restitués en nature est déterminée en fonction de leur valeur vénale au jour où l'administration statue sur la demande, conformément aux normes internationales d'évaluation. »
Article 20
« 1)  Les personnes qui se sont vu octroyer des dédommagements en vertu de la loi no 112/1995 peuvent, sauf dans le cas où l'immeuble a été vendu [à des tiers] avant l'entrée en vigueur de la présente loi, en solliciter la restitution en nature, à charge pour elles de rembourser le montant reçu au titre des dédommagements, corrigé en fonction du taux de l'inflation.
2)  Dans le cas où l'immeuble a été vendu [à des tiers] dans les conditions prévues par la loi no 112/1995 (...), le demandeur a droit à des mesures de réparation par équivalence, à hauteur de la valeur vénale de l'immeuble, incluant le terrain et les constructions, déterminée conformément aux normes internationales d'évaluation. Lorsque le demandeur a reçu des dédommagements en vertu de la loi no 112/1995, il a droit à la différence entre la valeur vénale du bien et le montant reçu au titre desdits dédommagements, corrigé en fonction du taux d'inflation.
18.  Les articles 13 et 16 du titre VII de la loi no 247/2005, également pertinents dans la présente affaire, se lisent ainsi :
Article 13
« 1)  En vue d'arrêter le montant final des dédommagements à octroyer selon la présente loi, sera créée une Commission centrale des dédommagements, ci-après la Commission centrale, placée sous l'autorité du Premier ministre (...)
Article 16
« 1)  Les décisions délivrées par les autorités compétentes pour restituer le bien mentionnant des sommes à titre de dédommagement (...) seront envoyées au secrétariat de la Commission centrale au plus tard 60 jours après l'entrée en vigueur de la présente loi.
2)  Les demandes de restitution déposées en vertu de la loi no 10/2001 (...) qui n'ont pas reçu de réponse au moment de l'entrée en vigueur de la loi seront envoyées (...) au secrétariat de la Commission centrale (...) dans un délai de 10 jours à compter de la date de la délivrance des décisions des autorités compétentes pour restituer le bien.
5)  Le secrétariat de la Commission centrale dressera la liste des dossiers mentionnés aux alinéas 1 et 2 dans lesquels la demande de restitution en nature a été rejetée. Ces dossiers seront ensuite transmis à l'autorité chargée de l'évaluation, qui rédigera le rapport d'évaluation.
6)  (...) L'autorité chargée de l'évaluation rédigera le rapport d'évaluation selon la procédure prévue à cet effet et le transmettra à la Commission centrale. Le rapport contiendra le montant du dédommagement à octroyer.
7)  Sur la base du rapport d'évaluation, la Commission centrale prononcera la décision d'octroi de dédommagement ou renverra le dossier pour une nouvelle évaluation. »
19.  Le fonctionnement de la société par actions « Proprietatea » est décrit dans l'affaire Radu c. Roumanie (no 13309/03, §§ 18-20, 20 juillet 2006).
20.  La loi no 247/2005 a été modifiée en dernier lieu par l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 81 du 28 juin 2007, publiée au Journal Officiel du 29 juin 2007 et portant sur l'accélération de la procédure d'indemnisation pour les immeubles pris abusivement par l'État.
Selon l'article 181 du titre I de l'ordonnance, lorsque la Commission centrale a décidé l'octroi des dédommagements dont le montant ne dépasse pas 500 000 nouveaux lei roumains (« RON »), les bénéficiaires peuvent opter entre des actions à « Proprietatea » et l'octroi des dédommagements pécuniaires. Pour les montants supérieurs à 500 000 RON, les intéressés peuvent réclamer des dédommagements pécuniaires à hauteur de 500 000 RON, et se verront octroyer des actions à « Proprietatea » pour la différence.
Selon l'article 7 du titre II de l'ordonnance, dans les six mois à compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, le Gouvernement devra établir les règles de désignation de la société gérante de « Proprietatea ».
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
21.  Invoquant l'article 1 du Protocole no 1, la requérante se plaint d'avoir subi une atteinte à son droit au respect de ses biens, en raison des décisions des tribunaux internes qui, tout en constatant l'illégalité de la nationalisation et l'absence de titre valable de l'État sur l'immeuble en question, ont validé la vente par l'État des douze appartements de cet immeuble. L'article 1 du Protocole no 1 dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
22.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle observe par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun motif d'irrecevabilité et le déclare donc recevable.
B.  Sur le fond
23.  Le Gouvernement ne conteste pas l'existence d'une ingérence dans le droit de la requérante au respect de ses biens.
24.  En deuxième lieu, le Gouvernement estime qu'il aurait été loisible à la requérante d'obtenir une indemnité en vertu de la loi no 10/2001 modifiée par la loi no 247/2005, ce qui répond aux exigences de l'article 1 du Protocole no 1. Il considère que dans des situations complexes telles qu'en l'espèce, où les dispositions législatives ont un impact économique sur l'ensemble du pays, les autorités nationales doivent bénéficier d'un pouvoir discrétionnaire non seulement pour choisir les mesures visant à garantir le respect des droits patrimoniaux mais également pour leur mise en œuvre. Il expose que la dernière réforme en la matière, à savoir la loi no 247/2005, pose le principe de l'octroi de dédommagements équitables et non plafonnés, fixés par une décision de la commission administrative centrale sur la base d'une expertise, et accélère la procédure de restitution ou d'indemnisation. Cette loi prévoit que, dans le cas où la restitution de l'immeuble n'est pas possible, l'indemnisation se fait par l'émission de titres de participation à un organisme collectif de valeurs mobilières (Proprietatea), à hauteur de la valeur du bien établie par expertise. Selon le Gouvernement, le nouveau mécanisme institué par la loi no 247/2005 assure une indemnisation effective, conforme aux exigences de la Convention.
25.  Le Gouvernement estime qu'en tout état de cause un éventuel retard dans l'octroi d'une indemnité, dans le contexte d'un dédommagement non plafonné, ne rompt pas le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété des individus et les exigences de l'intérêt général et n'oblige pas la requérante à supporter une charge excessive.
26.  La requérante fait valoir que les autorités ont vendu ses biens dont l'État s'était abusivement emparé, en dépit de ses démarches en vue de leur restitution.
27.  La Cour observe que la requérante détient une décision définitive et irrévocable ordonnant aux autorités de lui restituer le bien litigieux. Comme la Cour l'a déjà constaté (voir affaire Strain précité § 38) l'existence de son droit de propriété en vertu de ladite décision définitive n'était pas conditionnée à d'autres formalités.
28.  La Cour rappelle avoir d'ores et déjà jugé que la vente par l'État d'un bien d'autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu'elle est antérieure à la confirmation en justice de façon définitive du droit de propriété d'autrui, s'analyse en une privation de propriété. Une telle privation, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, est contraire à l'article 1 du Protocole no 1 (Străin et autres précité, §§ 39, 43 et 59).
29.  De surcroît, dans l'affaire Păduraru précitée, la Cour a constaté que l'État avait manqué à son obligation positive de réagir en temps utile et avec cohérence face à la question d'intérêt général que constitue la restitution ou la vente des immeubles entrés en sa possession en vertu des décrets de nationalisation. Elle a également considéré que l'incertitude générale ainsi créée s'était répercutée sur le requérant, qui s'était vu dans l'impossibilité de recouvrer l'ensemble de son bien alors qu'il disposait d'un arrêt définitif condamnant l'Etat à le lui restituer (Păduraru, précité, § 112).
30.  En l'espèce, la Cour n'aperçoit pas de motif de s'écarter des affaires précitées, la situation de fait étant sensiblement la même. Elle note que la vente par l'Etat des biens de la requérante en vertu de la loi no 112/1995, laquelle ne permettait pas, pourtant, de vendre les biens nationalisés illégalement, empêche – aujourd'hui encore – l'intéressée de jouir de son droit de propriété reconnu par une décision définitive et irrévocable.
31.  En l'espèce, à supposer qu'une éventuelle demande de la requérante en vertu de la loi no 10/2001 soit recevable et puisse donner lieu à une indemnisation, la Cour observe que Proprietatea ne fonctionne actuellement pas d'une manière susceptible d'aboutir à l'octroi effectif d'une indemnité à la requérante (voir, parmi d'autres, les affaires Radu, précitée, Gabriel c. Roumanie, no 35951/02, § 31, 8 mars 2007 ; Săvulescu c. Roumanie, no 1696/03, § 30, 12 juillet 2007). De surcroît, ni la loi no 10/2001, ni la loi no 247/2005 la modifiant ne prennent en compte le préjudice subi du fait d'une absence prolongée d'indemnisation par les personnes qui, comme la requérante, se sont vues priver de leurs biens (Porteanu c. Roumanie, no 4596/03, § 34, 16 février 2006).
32.  Dès lors, la Cour considère que le fait que la requérante a été privée de son droit de propriété sur ses appartements, combiné avec l'absence totale d'indemnisation depuis environ quatre ans, lui a fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de ses biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1.
33.  Dès lors, il y a eu en l'espèce violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
34.  Dans ses observations du 22 mai 2007, la requérante allègue une violation de l'article 6 de la Convention sans étayer aucunement ce grief. Dès lors, la Cour considère que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
35.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
36.  La requérante réclame, au titre de dommage matériel, la somme de 1 089 400 euros (EUR), représentant la valeur actuelle des douze appartements et du terrain afférent (522 239 EUR pour les appartements et 567 174 EUR pour le terrain afférent), telle qu'établie par une expertise technique immobilière. La requérante demande également la valeur des loyers non perçus pour les appartements non restitués, qu'elle chiffre à 200 EUR par mois à partir du 1er mai 1950, soit un total de 136 000 EUR à ce jour.
37.  Enfin, la requérante réclame 109 000 EUR au titre de dommage moral pour les préjudices causés, d'une part, par la diminution du nombre des adhésions en raison du changement des mentalités et de la crise économique actuelle et, d'autre part, par sa diffamation dans le cadre de la deuxième action en revendication et en annulation de certains contrats de vente lorsque les parties défenderesses et l'État avaient invoqué l'absence de qualité pour ester en justice de la requérante.
38.  En ce qui concerne le préjudice matériel, le Gouvernement soumet un rapport d'expertise (avis) qui estime la valeur vénale totale des douze appartements en cause à 316 363 EUR. Par ailleurs, s'agissant de la demande tirée du défaut de jouissance, il demande son rejet, renvoyant à la jurisprudence de la Cour sur ce point. S'agissant du dommage moral, le Gouvernement estime en premier lieu qu'il n'y a pas de lien de causalité entre le dommage moral allégué et la prétendue violation de la Convention. Il argue également qu'un éventuel dommage moral serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions de la requérante sont excessives.
39.  La Cour rappelle qu'elle a conclu à la violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de la vente par l'État des appartements de la requérante, combinée avec l'absence d'indemnisation suffisante.
40.  En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour décide que le Gouvernement devra verser à la requérante une somme correspondant à la valeur actuelle des douze appartements, y compris le terrain afférent.
A ce sujet, compte tenu des expertises techniques produites par les parties et des informations dont elle dispose sur les prix du marché immobilier local, la Cour estime que la valeur vénale actuelle des douze appartements est de 600 000 euros (EUR).
41.  Concernant les sommes demandées au titre du défaut de jouissance des appartements, calculées par rapport au prix de location des biens, la Cour ne saurait allouer de somme à ce titre, compte tenu, d'une part, du fait qu'elle a ordonné le paiement d'une somme représentant la valeur vénale des appartements et le terrain afférent au titre de l'article 41 de la Convention et, d'autre part, de ce que l'octroi d'une somme à ce titre revêtirait en l'espèce un caractère spéculatif, la possibilité et le rendement d'une location étant fonction de plusieurs variables. Néanmoins, elle tiendra compte de la privation de propriété subie par la requérante à l'occasion de la réparation du préjudice moral (voir, mutatis mutandis, Androne c. Roumanie, no 54062/00, § 70, 22 décembre 2004).
42.  Quant au dommage moral, la Cour estime que la situation litigieuse a pu provoquer chez la requérante un état d'incertitude qui ne peut pas être compensé par le constat de violation. Elle estime que la somme de 2 000 EUR représente une réparation équitable du préjudice moral subi par la requérante.
B.  Frais et dépens
43.  La requérante demande également 14 200 EUR pour les frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour. La somme avancée par la requérante représente la rémunération annuelle de 4 684 RON allouée à M. Horia Musta, le juriste de l'association, pour une période de dix ans. La requérante soumet une attestation établissant le montant de la rémunération précitée pour l'année 2006.
44.  Le Gouvernement fait observer que la requérante n'a produit aucun document prouvant que la rémunération accordée à M. Horia Musta, qui par ailleurs est le vice-président de l'association, et donc un membre de celle-ci, a été versée pour les procédures internes faisant l'objet de la présente requête ou pour la procédure devant la Cour.
45.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour est de l'avis que la requérante a nécessairement dû engager certains frais pendant la procédure interne et celle devant elle. Compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR tous frais confondus et l'accorde à la requérante.
C.  Intérêts moratoires
46.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 ;
3.  Dit
a)  que l'État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention les sommes suivantes :
i.  600 000 EUR (six cent mille euros) pour dommage matériel ;
ii.  2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage moral ;
iii.  1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;
iv.  tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur lesdites sommes ;
b)  que les sommes en question seront à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
c)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 février 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Boštjan M. Zupančič    Greffier Président
ARRÊT REUNIUNEA DE AJUTOR PENTRU ÎNMORMÂNTARE FRATELIA c. ROUMANIE
ARRÊT REUNIUNEA DE AJUTOR PENTRU ÎNMORMÂNTARE FRATELIA c. ROUMANIE  


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 35803/03
Date de la décision : 07/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété

Parties
Demandeurs : REUNIUNEA DE AJUTOR PENTRU INMORMANTARE FRATELIA
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-07;35803.03 ?

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