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12/02/2008 | CEDH | N°21906/04

CEDH | AFFAIRE KAFKARIS c. CHYPRE


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE KAFKARIS c. CHYPRE
(Requête no 21906/04)
ARRÊT
STRASBOURG
12 février 2008
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Kafkaris c. Chypre,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Jean-Paul Costa, président,   Nicolas Bratza,   Boštjan M. Zupančič,   Peer Lorenzen,   Françoise Tulkens,   Loukis Loucaides,   Ireneu Cabral Barreto,   Nina Vajić,   Snejana Botoucharova,   Anatoli Kovler,   Stanisla

v Pavlovschi,   Javier Borrego Borrego,   Elisabet Fura-Sandström,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE KAFKARIS c. CHYPRE
(Requête no 21906/04)
ARRÊT
STRASBOURG
12 février 2008
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Kafkaris c. Chypre,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Jean-Paul Costa, président,   Nicolas Bratza,   Boštjan M. Zupančič,   Peer Lorenzen,   Françoise Tulkens,   Loukis Loucaides,   Ireneu Cabral Barreto,   Nina Vajić,   Snejana Botoucharova,   Anatoli Kovler,   Stanislav Pavlovschi,   Javier Borrego Borrego,   Elisabet Fura-Sandström,   Dean Spielmann,   Sverre Erik Jebens,   Danutė Jočienė,   Ján Šikuta, juges,  et de Michael O'Boyle, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 janvier, le 27 juin et le 5 décembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 21906/04) dirigée contre la République de Chypre et dont un ressortissant de cet Etat, M. Panayiotis Agapiou Panayi, alias Kafkaris (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 juin 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me A. Demetriades, avocat à Nicosie. Le gouvernement chypriote (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. P. Clerides, Attorney-General de la République de Chypre.
3.  Le requérant alléguait que la peine perpétuelle qui lui avait été infligée et son maintien en détention méconnaissaient les articles 3, 5, 7 et 14 de la Convention.
4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 2 novembre 2004, le président de la section a décidé d'accorder la priorité à la requête (article 41 du règlement) et le 7 janvier 2005 de communiquer celle-ci au Gouvernement (article 54 § 2 b) du règlement). Le 11 avril 2006, la requête a été déclarée recevable par une chambre de ladite section composée des juges dont le nom suit : Christos Rozakis, Loukis Loucaides, Nina Vajić, Anatoly Kovler, Khanlar Hajiyev, Dean Spielmann et Sverre Erik Jebens, ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section. Le 31 août 2006, la chambre s'est dessaisie au profit de la Grande Chambre, ni l'une ni l'autre des parties ne s'y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).
5.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement. Le 19 janvier 2007, M. Wildhaber est parvenu au terme de son mandat de président de la Cour. M. Costa lui a succédé en cette qualité et a assumé la présidence de la Grande Chambre dans la présente affaire (article 9 § 2 du règlement).
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire. Le requérant a aussi présenté ses prétentions au titre de la satisfaction équitable. Le Gouvernement a formulé des observations sur la question.
7.  Le 3 janvier 2007, le requérant a communiqué des documents supplémentaires concernant l'affaire. Le 23 janvier 2007, le Gouvernement a déposé des commentaires sur ces documents.
8.  Une audience consacrée au fond de l'affaire s'est déroulée en public le 24 janvier 2007 au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  MM. P. Clerides, Attorney-General    de la République de Chypre, agent,   B. Emmerson, Q.C.,   S. Grodzinski, Barrister-at-Law,  Mme M. Clerides-Tsiappas, conseil principal     de la République de Chypre,  conseils ;
–  pour le requérant  Me A. Demetriades, Barrister-at-Law, conseil,  Mmes J. Loizidou, Barrister-at-Law,   S. Bartolini,  conseillères.
La Cour a entendu en leurs déclarations Me Demetriades et M. Emmerson, ainsi que les réponses des représentants des parties aux questions de juges. Le Gouvernement a sollicité, et obtenu, l'autorisation de compléter sa réponse par écrit. De son côté, le requérant a sollicité, et obtenu, l'autorisation de répondre aux observations du Gouvernement du 23 janvier 2007.
9.  Les réponses des parties sont parvenues au greffe le 6 février 2007. Dans sa réponse, le requérant a formulé des prétentions supplémentaires au titre de la satisfaction équitable. Le Gouvernement a présenté des commentaires à ce sujet le 21 février 2007.
10.  Le 30 avril 2007, le Gouvernement a signalé des éléments nouveaux concernant le droit interne. Le 15 mai 2007, le requérant a formulé des observations en réponse.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
11.  Le requérant est né en 1946. Il purge actuellement une peine de réclusion criminelle à perpétuité à la prison centrale de Nicosie.
A.  Genèse de l'affaire
12.  Le 9 mars 1989, en vertu notamment de l'article 203 §§ 1 et 2 du code pénal (loi no 154). la cour d'assises de Limassol déclara le requérant coupable de trois assassinats commis le 10 juillet 1987. Le 10 mars 1989, elle le condamna à la peine obligatoire de réclusion criminelle à perpétuité pour chacun de ces crimes. Le requérant avait placé un explosif sous une voiture et l'avait mis à feu, causant la mort de M. P. Michael et de ses deux enfants, âgés de onze et treize ans. Une personne dont il n'a pas révélé l'identité lui avait promis la somme de 10 000 livres chypriotes (CYP) pour l'assassinat de M. Michael.
13.  Dans l'arrêt par lequel elle prononça la peine à l'encontre du requérant, la cour d'assises de Limassol observa que l'accusation l'avait invitée à examiner la signification de l'expression de « réclusion criminelle à perpétuité » figurant dans le code pénal, et en particulier à préciser si cette expression impliquait que le condamné serait emprisonné pour le reste de son existence ou seulement pour une durée de vingt ans comme le prévoyaient le règlement pénitentiaire général de 1981 et le règlement de 1987 portant modification de celui-ci (« le règlement »), adoptés en application de l'article 4 de la loi sur la discipline pénitentiaire (loi no 286). Si la cour estimait que ce règlement trouvait à s'appliquer, il fallait alors se demander si les peines devaient se cumuler ou être confondues et l'accusation proposerait le cumul des peines.
14.  La cour d'assises de Limassol s'appuya principalement sur les constats auxquels la cour d'assises de Nicosie était parvenue en 1988 dans l'affaire The Republic of Cyprus v. Andreas Costa Aristodemou, alias Yiouroukkis (arrêt du 5 février 1988, affaire no 31175/87), et se déclara en conséquence incompétente pour examiner la validité du règlement ou pour envisager les répercussions qu'il pourrait avoir sur la peine. Elle estima que l'expression de « réclusion criminelle à perpétuité » figurant dans le code pénal s'entendait d'un emprisonnement pour le reste de l'existence du condamné. Dès lors, elle ne jugea pas nécessaire de dire si les peines seraient cumulées ou confondues.
15.  Dans son arrêt, la cour d'assises déclara notamment ceci :
« La loi sur le fondement de laquelle l'accusé a été reconnu coupable de trois chefs d'assassinat, dispose :
« Quiconque est reconnu coupable d'assassinat est passible de la réclusion à perpétuité ».
Il s'ensuit que pour l'infraction dont il est question, la cour prononce la réclusion à perpétuité, peine obligatoire.
M. Kyprianou, pour l'accusation, invite la cour à examiner le sens de « réclusion à perpétuité » et à dire s'il faut entendre par là l'emprisonnement du condamné pour le restant de sa vie ou, comme le prévoient l'article 2 du règlement pénitentiaire général de 1981 et le règlement de 1987 portant modification du règlement pénitentiaire général (ci-après « le règlement »), adoptés en vertu de l'article 4 de la loi sur la discipline pénitentiaire (loi no 286), un emprisonnement pour une durée de vingt ans. M. Kyprianou a émis l'idée que, dans l'hypothèse où la cour conclurait que la réclusion à perpétuité s'entend d'un emprisonnement pour vingt ans, interprétation qui, si nous le comprenons bien, est la bonne selon lui, alors se posera la question de savoir si les peines doivent être cumulées ou confondues. Il a enfin suggéré, et c'est pourquoi en fait il est revenu à la question, que si telle était la position à laquelle parvenait la cour, il conviendrait en l'occurrence, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles les infractions ont été commises, de prononcer le cumul des peines.
La cour d'assises de Nicosie a été saisie de la même question, en substance, dans l'affaire no 31175/87, Republic of Cyprus v Andrea Costa Aristodemou, alias Yiouroukkis. Dans cette affaire-là, la cour d'assises, rendant un arrêt détaillé dans lequel elle fait référence aux principes généraux qui régissent la question ainsi qu'à la jurisprudence, a conclu que la réclusion à perpétuité s'entendait dans le sens que recouvrent clairement ces termes, et qu'elle n'avait pas compétence pour examiner la validité des règlements ou pour prendre en compte les incidences qu'ils pouvaient avoir sur la peine. Nous souscrivons pleinement à cet arrêt auquel nous nous référons. Pour ce qui est de la validité du règlement, l'Attorney-General de la République aurait probablement pu envisager d'autres dispositifs pour trancher la question à l'époque où les autorités compétentes tenteraient de mettre en œuvre cette disposition réglementaire spécifique. Nous ne mentionnons pas ici le droit de grâce que la Constitution confère au Président. Quant à la remarque que la cour d'assises a faite selon laquelle les incidences de ce règlement, à supposer bien entendu qu'il soit valide, ne sont pas à prendre en compte, nous renvoyons en outre à la décision rendue dans l'affaire Anthony Maguire Frederick George Charles Enos 40 Cr. App. R. p. 92, Martin Derek Turner 51 Cr. App. R. p. 72 et R. v. Black (1971) Crim. L.R. 109.
Nous considérons que par réclusion à perpétuité il faut entendre l'emprisonnement pour le reste de la vie du condamné. Il est donc inutile de déterminer s'il y aura confusion ou cumul des peines ».
16.  Le jour de son incarcération, le requérant reçut des autorités pénitentiaires une notification écrite indiquant que la date fixée pour sa libération était le 16 juillet 2002. Il se vit en particulier remettre un formulaire F5 intitulé « Dossier personnel du condamné », « I.D. no 7176. » Sur le formulaire, à la rubrique « Peine », il était indiqué « Perpétuité », puis « Vingt ans » ; sous le titre « Période », il était inscrit « du 17 juillet 1987 au 16 juillet 2007 », et à la rubrique « Expiration » on avait noté « Remise ordinaire » 16 juillet 2002. La libération du requérant était subordonnée à sa bonne conduite et à son assiduité au travail durant la détention. Le requérant ayant, le 6 novembre 1989, commis une infraction disciplinaire, sa libération fut reportée au 2 novembre 2002.
17.  L'intéressé attaqua le verdict de culpabilité.
18.  Le 21 mai 1990, la Cour suprême le débouta et confirma donc le verdict.
19.  Le 9 octobre 1992, dans l'affaire Hadjisavvas v. the Republic of Cyprus (arrêt du 8 octobre 1992, (1992) 1 A.A.D 1134), la Cour suprême, à l'occasion d'une demande d'habeas corpus présentée par un détenu à vie qui n'avait pas été libéré à la date indiquée par les autorités pénitentiaires, déclara que le règlement était inconstitutionnel et constituait un excès de pouvoir (paragraphes 50 et 51 ci-dessous).
20.  Le 3 mai 1996 fut promulguée la loi de 1996 sur les prisons (loi 62(I)/96), qui vint abroger et remplacer la loi sur la disciplinaire pénitentiaire.
21.  Par une lettre du 16 mars 1998, le requérant sollicita du Président de la République de l'époque, par l'intermédiaire du directeur des prisons, une mesure de grâce ou la suspension du restant de sa peine afin de pouvoir porter assistance à son épouse, atteinte de leucémie.
22.  Par une lettre du 30 avril 1998, l'Attorney-General de l'époque repoussa la demande. Il informa le requérant en particulier que, après avoir examiné sa demande, il estimait qu'il ne se justifiait pas de recommander au Président de suspendre ou de commuer la peine en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution.
23.  Le requérant ne fut pas libéré le 2 novembre 2002.
B.  La procédure d'habeas corpus devant la Cour suprême
1.  La procédure de première instance
24.  Le 8 janvier 2004, le requérant saisit la Cour suprême (statuant en première instance) d'une demande d'habeas corpus par laquelle il contestait la légalité de sa détention. Il invoquait à ce propos les articles 3, 5 § 4 et 7 de la Convention. Le 17 février 2004, après avoir examiné ces dispositions, la Cour suprême repoussa la demande.
Dans son arrêt, le juge Kallis déclara notamment ceci :
« (...) Ce qui importe en l'espèce, c'est le principe énoncé dans l'affaire Hogben et non les différences de détail entre les faits. Dans l'affaire Hogben, donc, le principe qui a été établi est que l'article 7 s'applique uniquement à la peine infligée et non à la manière dont elle est purgée. En conséquence, l'article 7 ne fait pas obstacle à un changement rétroactif de la loi ou de la pratique en ce qui concerne la libération ou la libération conditionnelle.
J'estime dès lors que le principe dégagé dans l'affaire Hogben peut s'appliquer en l'espèce. Tous les arguments que l'éminent défenseur du demandeur a invoqués dans sa plaidoirie se rapportent à la pratique de la libération. En l'espèce, la cour d'assises a prononcé la peine de réclusion criminelle à perpétuité à l'encontre du demandeur, auquel elle a expliqué à cette même occasion que la réclusion criminelle à perpétuité signifiait l'emprisonnement pour le reste de son existence Ce que les autorités pénitentiaires ont fait avec le formulaire F5 représente un acte qui se rapporte à l'exécution de la peine. Après l'affaire Hadjisavvas, le règlement sur lequel les autorités pénitentiaires se sont appuyées pour remettre au demandeur le formulaire F5 a cessé de s'appliquer, avec cette conséquence que la peine de réclusion criminelle à perpétuité infligée au demandeur par la cour d'assises s'applique. Il y a eu un changement de la situation légale en ce qui concerne le moment de la libération du demandeur. De même que dans l'affaire Hogben, l'article 7 § 1 de la Convention ne trouve pas à s'appliquer.
Je souscris au principe énoncé dans Hogben. Je considère que le demandeur ne peut tirer de l'article 5 § 4 de la Convention un droit au contrôle juridictionnel à cause d'un prétendu changement de la date de son élargissement qui ne vient pas modifier la base légale de sa détention. Il y a lieu de souligner que la détention repose sur la peine de réclusion criminelle à perpétuité que la cour d'assises a infligée à l'intéressé, auquel la cour a expliqué qu'il fallait entendre par là une « détention pour le reste de son existence». Il s'ensuit que la suggestion de Me Demetriades à ce propos ne tient pas et est écartée.
Je saisis cette occasion pour ajouter que la décision de la Commission sur la question de l'interprétation de l'article 5 § 4 de la Convention est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme (voir l'arrêt De Wilde, Ooms et Versyp (« affaires de vagabondage ») du 18 juin 1971, série A no 12) (...)
Le fait que la décision Hogben émane de la Commission ne la rend pas moins convaincante. Il s'agit de la décision d'un organe spécialisé doté d'une grande expérience de l'interprétation de la Convention. Elle représente donc un précédent jurisprudentiel d'une grande force de persuasion. Je suis convaincu du bien-fondé de la décision de la Commission dans Hogben, à laquelle je souscris.
Me Demetriades émet aussi l'idée que « ce type de peine qui a été imposé au demandeur sans aucune possibilité d'un examen par une commission de la libération conditionnelle est contraire à l'article 3 de la Convention ».
Je souscris à la démarche ci-dessus [adoptée dans l'affaire Hogben]. En substance, un changement de la politique en matière de libération n'emporte pas violation de l'article 3 de la Convention. L'existence ou l'absence d'une commission de la libération conditionnelle n'est pas ce qui motive la décision. Voilà qui répond à la thèse de Me Demetriades concernant l'absence d'une commission de la libération conditionnelle à Chypre. En conséquence, l'argument fondé sur l'article 3 de la Convention ne résiste pas à l'examen et est écarté.
Enfin, je me dois de noter que le demandeur a sollicité sa libération par le biais d'une demande d'habeas corpus. Or, comme il a été dit dans l'affaire Doros Georgiades (appel civil no 11355, 3 octobre 2002), dans le même sens que la jurisprudence anglaise (voir Halsbury's Laws of England, 4e édition, volume 11, §§ 1472 et 1473) :
« De manière générale, le mandat d'habeas corpus n'est pas accordé aux personnes condamnées ou purgeant leur peine selon les voies légales, parmi lesquelles les personnes en train de purger une peine régulièrement imposée après qu'elles ont été reconnues coupables d'un crime. Le mandat d'habeas corpus ne peut être accordé lorsqu'il reviendrait à revoir la décision d'une des juridictions supérieures qui aurait pu faire l'objet d'un appel ou à remettre en cause la décision d'une juridiction ou d'un organe inférieur sur une question relevant de sa compétence ; ou lorsqu'il falsifierait le procès-verbal d'un tribunal ayant compétence. »
En conséquence, décerner un mandat d'habeas corpus en l'espèce serait revenu à revoir la peine que la cour d'assises avait prononcée, alors que cela aurait pu se faire dans le cadre d'un appel. »
2.  L'instance d'appel
25.  Le 26 février 2004, le requérant saisit la Cour suprême (en tant que juridiction d'appel).
26.  Dans ses moyens d'appel, il contestait l'interprétation que la cour d'assises avait donnée de l'expression « réclusion criminelle à perpétuité » lorsqu'elle l'avait condamné en 1989, eu égard au règlement pénitentiaire applicable à l'époque et à la notification que les autorités pénitentiaires lui avaient remise lors de son incarcération. Il soutenait que le fait qu'il n'eût pas contesté sa peine après le verdict de culpabilité ne signifiait pas qu'il eût accepté l'interprétation que la cour d'assises avait livrée de l'expression « réclusion criminelle à perpétuité ». Il invoquait entre autres les articles 3, 5 § 4, 7 et 14 de la Convention relativement à la légalité de son maintien en détention.
27.  En ce qui concerne l'article 3 de la Convention, le requérant estimait que par leur comportement les autorités avaient enfreint cette disposition. Dans le septième moyen de son appel, en particulier, il s'exprimait en ces termes :
« Le fait qu'il existait, au moment où la peine a été infligée au condamné, le règlement définissant la peine de réclusion criminelle à perpétuité comme étant de vingt ans, que le formulaire F5 a été remis à l'intéressé, que l'on a reconnu que le [requérant] aurait été libéré le 2 novembre 2002 si le règlement susmentionné avait été applicable, puis l'annulation soudaine de tous ces éléments ont constitué un traitement inhumain et dégradant.
La République ne peut se comporter ainsi vis-à-vis de la vie du requérant avec des conséquences pour nul autre que lui seul, qui doit vivre dans cette incertitude.
Le changement susmentionné d'une détention de vingt ans à la détention à vie à la suite d'une erreur de la chambre des Représentants et/ou de l'Attorney-General de la République et/ou du Président de la République s'analyse, en l'absence de toute faute de la part du requérant, en un traitement inhumain et dégradant qui, en raison de l'incertitude qu'il fait régner, enfreint l'article 3 de la Convention.
Le changement susmentionné de la peine de vingt ans d'emprisonnement qui avait été infligée en une peine de mort, qui prendra effet à une date inconnue puisqu'il n'existe aucune possibilité de réexaminer la question, s'analyse en un traitement inhumain contraire à l'article 3 de la Convention. Ce constat devient encore plus patent si l'on considère que la peine de mort est d'ores et déjà abolie à Chypre. »
28.  Pour ce qui est de l'article 5 § 4 de la Convention, le requérant notait dans son sixième moyen d'appel qu'il ne sollicitait pas le contrôle juridictionnel de sa peine à cause d'un changement de politique relativement au jour de sa libération, mais l'examen de la légalité de sa détention du fait que même les autorités pénitentiaires avaient admis qu'il aurait dû être élargi le 2 novembre 2002. Il dénonçait à ce propos l'absence d'un dispositif qui permît de faire examiner la légalité de sa détention.
29.  Lorsqu'il en vint à contester l'interprétation que la Cour suprême (statuant en première instance) avait donnée de l'article 7 de la Convention, le requérant distingua sa cause de l'affaire Hogben c. Royaume-Uni (no 11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports (DR) 46, p. 231), en ce que l'affaire Hogben concernait la manière dont la peine avait été appliquée à la suite d'un changement de politique de la commission de la libération conditionnelle, alors que dans son cas la question qui se posait concernait un changement rétroactif de la loi pour cause d'inconstitutionnalité et le fait que la peine avait été portée de vingt ans à la perpétuité. L'intéressé soulignait à ce propos que contrairement à l'Angleterre, Chypre n'avait pas de commission de la libération conditionnelle.
30.  Le 20 juillet 2004, la Cour suprême repoussa le recours, entre autres par les motifs suivants :
« L'appelant soulève essentiellement une question. Et son éminent conseil reconnaît que la décision sur cette [question] déterminera la conclusion (...) Nous résumons les positions de l'appelant telles qu'elles sont exprimées dans les moyens d'appel et telles qu'elles ont été expliquées.
L'intéressé ne voit pas dans le règlement un motif autonome de le libérer puisque, notamment, (...) ce texte ne s'applique plus. Par ailleurs, il ne suggère pas ou ne tente pas d'obtenir un réexamen de l'arrêt de la cour d'assises comme on l'avait cru à tort en première instance. Nous ne nous élevons pas, a-t-il expliqué, contre l'arrêt de la cour d'assises mais contre la République dans son ensemble. Le règlement était applicable à l'époque et la cour d'assises ne l'ayant pas annulé pour inconstitutionnalité, force nous est de conclure qu'elle l'a considéré comme valide. Et la loi ne définissant pas l'expression « réclusion criminelle à perpétuité », c'est là un élément qui régit la peine infligée. Comme Me Demetriades l'a dit, à l'époque où la peine fut infligée, on pouvait déduire de l'état de la législation dans son ensemble que par réclusion criminelle à perpétuité il fallait entendre en substance un emprisonnement de vingt ans. En outre, même s'il y avait des doutes à ce propos, ils devaient profiter à l'accusé. Dès lors, il n'y avait aucune raison d'attaquer l'arrêt de la cour d'assises, d'autant que le requérant s'était vu remettre le formulaire F5.
L'idée émise par l'appelant présume qu'une décision judiciaire constatant l'inconstitutionnalité ou, plus précisément, constatant que le règlement constitue un excès de pouvoir par rapport à la loi en vertu de laquelle il a été pris, implique une modification de la loi quelle qu'en soit la forme. Or, comme cela a été dit (voir les affaires Georgios Mavrogenis v. the House of Representatives and Others ((1996) 1 A.A.D. 315, p. 341), et Alekos N. Clerides v .the Republic of Cyprus, 20 octobre 2000), une décision de justice statue nécessairement de manière rétroactive sur la loi ou le règlement querellé et, comme le veut le principe de la séparation des pouvoirs, elle n'implique pas un changement législatif. Il reste que ce problème, en première instance comme devant la cour de céans, n'a pas été abordé de ce point de vue de façon à soulever la question de la loi 62(1)/96.
Quoi qu'il en soit, la cour d'assises a prononcé une peine de réclusion criminelle à perpétuité à l'encontre de l'appelant, en précisant bien qu'il fallait entendre par là que l'intéressé demeurerait en prison le reste de son existence. C'est pourquoi elle ne s'est pas penchée sur la question du cumul éventuel des peines et l'appelant se trompe lorsqu'il pense qu'il fallait en déduire que la cour d'assises reconnaissait la validité du règlement. La cour d'assises a pour l'essentiel considéré que le règlement ne se rapportait pas à la question de la peine envisagée, car elle n'estimait pas que le règlement alors en vigueur venait changer le fait que, conformément à la loi, l'emprisonnement était décidé pour le restant de la vie de l'appelant.
La cour d'assises a-t-elle versé dans l'erreur ? La loi, perçue dans son ensemble, même à la lumière de l'interprétation qu'en préconise l'appelant, en comparant l'article 7 § 1 de la Convention à l'article 12 § 1 de la Constitution, envisageait-elle en réalité un emprisonnement pour vingt ans seulement ? Nous dirions qu'il n'y a pas eu d'erreur dans l'arrêt de première instance où il est constaté que cette situation correspondait à celle en cause dans l'affaire Hogben. Le principe appliqué, à savoir que l'article 7 § 1 de la Convention n'a pas trait à l'exécution de la peine, qui demeure une peine de réclusion criminelle à perpétuité, ne se trouve pas en cause. Le règlement a été adopté sur la base et aux fins de la loi sur la discipline pénitentiaire, alors que c'est le code pénal qui détermine la peine, en l'espèce la peine d'emprisonnement perpétuel obligatoire et aucune autre.
Cela dit, et comme Me Demetriades en a lui aussi convenu, nous ne sommes pas en train de réexaminer la justesse de l'arrêt de la cour d'assises. Pareil réexamen n'entre pas dans la compétence [de la cour de céans] lorsqu'elle est saisie d'une demande d'habeas corpus.
L'appelant est détenu en vertu d'un arrêt de la cour d'assises qui l'a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, ce qui s'entend d'une détention pour le reste de son existence. Il est donc détenu sur une base légale et sa demande de libération a été à bon droit écartée sur cette remarque finale que « décerner un mandat d'habeas corpus en l'espèce serait revenu à revoir la peine que la cour d'assises avait prononcée, alors que cela aurait pu se faire dans le cadre d'un appel. »
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A.  Les peines perpétuelles
31.  En droit chypriote, le crime d'assassinat est punissable d'une peine obligatoire de réclusion criminelle à perpétuité.
32.  L'article 203 § 1 du code pénal (loi no 154) (tel que modifié par la loi no 3/62 de 1962) est ainsi libellé :
« Toute personne qui provoque avec préméditation la mort d'une autre personne par un acte ou une omission illicite se rend coupable d'assassinat. »
33.  L'article 203 § 2 du code pénal (loi no 154) (tel que modifié par la loi no 86/83 de 1983) énonce :
« Quiconque est reconnu coupable d'assassinat est passible de la réclusion criminelle à perpétuité. »
Avant d'être modifié par la loi no 86/83, l'article ci-dessus prévoyait la peine capitale obligatoire pour le crime d'assassinat.
34.  L'article 29 du code pénal (tel que modifié par les lois nos 86/83 et 15(1)/99) dispose que, à l'exception de l'assassinat et de la trahison (articles 36 et 37 du code pénal), dans les cas où une personne est reconnue coupable d'autres infractions graves punissables de la réclusion criminelle à perpétuité, tel l'homicide (article 250 § 3 du code pénal), ou à temps, le tribunal compétent a toute latitude pour prononcer une peine d'emprisonnement plus courte ou lui substituer une sanction pécuniaire qui ne soit pas d'un montant supérieur à celui qu'il est habilité à imposer.
35.  Dans l'affaire Politis v. the Republic of Cyprus ((1987), 2 C.L.R. 11), la Cour suprême a examiné la constitutionnalité des articles 29 et 203 du code pénal (à l'époque, la peine capitale était toujours en vigueur), et a statué en ces termes :
« La première finalité de l'article 7 § 2 [de la Constitution] est de sanctionner par la peine capitale la catégorie limitée des crimes graves qui y sont énoncés. La seconde, d'habiliter le législateur à décider, dans l'exercice de son pouvoir législatif, que cette mesure punitive revêtira un caractère obligatoire (...) L'expression « une loi peut disposer », qui figure à la seconde partie de l'article 7 § 2, suppose que le législateur a la latitude d'ordonner, à titre de mesure de politique législative, la peine capitale en cas d'assassinat. Il n'est pas tenu de le faire mais en a la faculté s'il le juge bon. Il en découle nécessairement qu'il peut ordonner toute autre mesure déterminée de sanction y compris, sans aucun doute, la peine de réclusion criminelle à perpétuité. (...) De toute évidence, la législation constitutionnelle a distingué les crimes dont la liste est dressée à l'article 7 § 2 pour leur réserver un traitement exceptionnel compte tenu de leur gravité et de leurs répercussions sur le bien-être de la société. Dans le cas de l'assassinat, ce qui fait la gravité de l'infraction, c'est l'élément de préméditation qui rend nécessairement le crime particulièrement odieux. Partageant l'avis de la cour d'assises, nous déclarons que les articles 29 et 203 § 2 du code pénal ne sont pas inconstitutionnels et qu'ils rendent obligatoire le prononcé d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité en cas de verdict de culpabilité d'assassinat. »
B.  Dispositions relatives à la libération des détenus
1.  La Constitution
36.  L'article 53 de la Constitution est ainsi libellé :
« 1.  Le Président et le vice-président de la République disposent d'un droit de grâce envers les personnes appartenant à leurs communautés respectives qui seraient condamnées à la peine capitale.
2.  Lorsque la personne lésée et le délinquant appartiennent à des communautés différentes, la prérogative de la grâce est exercée par accord entre le Président et le vice-président de la République ; en cas de désaccord entre eux, la voix pour la clémence l'emporte.
3.  Dans le cas où la prérogative de la grâce est exercée en vertu du paragraphe 1 ou du paragraphe 2 du présent article, la peine capitale est commuée en réclusion à perpétuité.
4.  Le Président et le vice-président de la République, sur recommandation concordante de l'Attorney-General et de l'Attorney-General adjoint de la République, peuvent remettre, suspendre ou commuer une peine infligée par un tribunal de la République dans tous les autres cas. »
37.  Depuis les événements de 1963, en particulier le retrait des Chypriotes turcs du gouvernement et l'occupation du nord de Chypre par les troupes turques qui a suivi, la décision de remettre, suspendre ou commuer une peine en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution doit être prise par le Président de la République avec l'assentiment de l'Attorney-General de la République.
38.  L'Attorney-General peut formuler des recommandations ou émettre des avis au Président de la République à propos de la libération anticipée des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité. Ces recommandations et avis ne lient toutefois pas le Président.
2.  La loi sur la discipline pénitentiaire (loi no 286)
39.  Les articles pertinents de la loi de 1879 sur la discipline pénitentiaire, telle qu'applicable lorsque le règlement pénitentiaire général de 1981 entra en vigueur (paragraphe 40 ci-dessous) énonçaient :
Article 4 – Règlement sur la discipline pénitentiaire
« Le Gouverneur [de l'île] peut édicter un règlement prévoyant les modalités de la garde et du soutien des détenus, la nature et la quantité du travail à accomplir par eux, la classification des détenus en fonction des peines auxquelles ils ont été condamnés, la sanction des infractions commises par eux, et le maintien de l'ordre et de la discipline dans les prisons. Pour pouvoir entrer en vigueur, pareil règlement doit être publié au Journal officiel. »
Article 9 § 1 – Remise de peine pour bonne conduite
« Tout règlement adopté en vertu de l'article 4 peut édicter une disposition qui permette, dans les circonstances définies par lui, de remettre une partie de la peine d'un détenu pour assiduité au travail et bonne conduite ; la peine sera réputée purgée lorsque la personne bénéficiant de pareille remise de peine sera libérée. »
Article 11 § 1 – Libération conditionnelle des condamnés   à la réclusion criminelle à perpétuité
« Le Gouverneur peut à tout moment, s'il le juge approprié, libérer sous condition un détenu purgeant une peine de réclusion criminelle à perpétuité, sous réserve du respect des conditions qu'il serait le cas échéant périodiquement amené à fixer. »
3.  Le règlement pénitentiaire général de 1981 (règlement no 18/81)
40.  Le règlement pénitentiaire général de 1981, pris en vertu de l'article 4 de la loi sur la discipline pénitentiaire (loi no 286) disposait en ses parties pertinentes :
Article 7 – Libération d'un détenu
« Aucun condamné ne peut être libéré avant l'expiration de sa peine sauf dans les cas prévus à l'article 53 § 4 de la Constitution de la République de Chypre. »
Article 94 – Remise de peine pour bonne conduite
« Tout détenu purgeant une peine égale ou supérieure à neuf ans peut bénéficier d'une remise de la moitié de sa peine pour bonne conduite et assiduité au travail. »
Article 96 c) – Calcul de la remise de peine pour les détenus  purgeant une peine perpétuelle
« En cas de réclusion criminelle à perpétuité ou lorsque la peine capitale est commuée en réclusion criminelle à perpétuité, la remise de peine est calculée comme si l'emprisonnement était de vingt ans. »
Article 97 – Date d'expiration de la peine
« La date d'expiration de la peine et la première date de libération possible sont mentionnées dans le dossier personnel de chaque détenu et dans le registre des libérations qui doit être tenu à la prison, et le directeur doit consulter ces dossiers et le registre des libérations à intervalles fréquents afin de veiller au strict respect du présent règlement. »
Article 99 – Détenus purgeant une peine perpétuelle
« Le directeur doit soumettre au ministre afin qu'il le transmette à l'Attorney-General de la République le nom de tout détenu purgeant une peine perpétuelle qui a purgé dix ans de sa peine, ou de tout détenu purgeant une peine supérieure à quinze ans qui a purgé huit ans de sa peine, et qui a atteint, ou, en l'absence de preuve en ce sens, dont on croit qu'il a atteint l'âge de soixante ans, afin que son cas soit examiné. Le directeur doit communiquer le présent article à chaque détenu se trouvant dans ce cas. Il doit être bien précisé aux détenus que la communication de leur nom au ministre n'implique nullement qu'ils bénéficieront à coup sûr d'une remise de peine. »
4.  Le règlement pénitentiaire général de 1987 (acte réglementaire no 76/87)
41.  Le règlement de 1987 portant modification du règlement pénitentiaire général de 1981 entra en vigueur le 13 mars 1987.
42.  L'article 2 du règlement de 1987 introduisit la définition suivante de « la réclusion criminelle à perpétuité » :
« Dans le présent règlement
« réclusion criminelle à perpétuité » s'entend d'un emprisonnement de vingt ans.
43.  L'article 93, qui régissait la remise de peine des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité, introduit alors, était ainsi libellé :
« i.  Tout détenu purgeant une peine de réclusion criminelle à perpétuité peut bénéficier, pour bonne conduite et assiduité au travail, d'une remise de peine ne pouvant dépasser au total le quart de sa peine.
ii.  La décision sur la réduction de la peine ainsi que sur l'ampleur de cette remise pour chaque détenu dans ce cas ne peut être prise qu'une fois que le détenu concerné a purgé quinze ans de sa peine. »
44.  L'article 96 c) fut supprimé.
5.  Le droit et la pratique internes
45.  Dans l'affaire Malachtou v. the Attorney-General of Cyprus ((1981), 1 C.L.R. 543), la Cour suprême a déclaré, à propos de la législation déléguée, notamment ce qui suit :
« (...) Le pouvoir d'édicter une législation déléguée doit, par la nature des choses, émaner uniquement des dispositions de la loi d'habilitation. Toute autre manière de procéder empièterait sur le pouvoir législatif de la chambre des Représentants, seul organe que notre Constitution dote de pouvoirs législatifs. Toute législation déléguée édictée sans juste cause sera considérée comme un excès de pouvoir (...) Un organe auquel est délégué le pouvoir de légiférer doit tenir son pouvoir des dispositions de l'instrument d'habilitation ; toute tentative d'outrepasser ou de transgresser les limites ainsi fixées sera sanctionnée comme constituant un excès de pouvoir. Pareil organe ne peut supposer détenir d'autre pouvoir de légiférer que celui que la loi lui confère expressément et doit donc se borner aux strictes limites de l'instrument d'habilitation. Tout assouplissement de cette manière de procéder nuirait sans aucun doute au mécanisme de la séparation des pouvoirs qui est sous-jacent à notre système légal et trouve son expression dans la Constitution. »
46.  Dans l'affaire Triftarides v. the Republic of Cyprus ((1985), arrêt du 16 octobre 1985), la Cour suprême, lorsqu'elle a examiné la manière dont le Président avait accordé en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution une remise de peine à un détenu purgeant une peine de dix ans d'emprisonnement, s'est exprimée en ces termes :
« (...) En vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution, le Président de la République a remis la peine prononcée par le tribunal et non la peine qui aurait été purgée en vertu de l'article 94 du règlement pénitentiaire. Cela ressort clairement du libellé de l'article 53 § 4 qui, dans ses parties pertinentes sur ce point, énonce que « {l]e Président (...) remet (...) toute peine prononcée par une juridiction de la République (...) ». »
47.  Dans son arrêt du 5 février 1988 dans l'affaire The Republic of Cyprus v. Andreas Costa Aristodemou, alias Yiouroukkis (affaire no 31175/87), la cour d'assises de Nicosie a notamment déclaré ceci lorsqu'en vertu du code pénal elle a prononcé la peine contre la personne accusée d'assassinat :
« L'accusé, reconnu coupable d'assassinat, a été condamné à la réclusion à perpétuité. Cette peine doit être obligatoirement prononcée par la cour car c'est la seule prévue par le code pénal, loi no 154, modifié par la loi no 86/83, qui porte aussi amendement à l'article 29 du code pénal ; la cour ne peut pas prononcer une autre peine en cas de crime d'assassinat. Une fois que cette loi a aboli la peine capitale, le législateur a prévu la peine susmentionnée pour se conformer à l'article 53 § 3 de la Constitution. Cet article prévoit la commutation de la peine capitale en réclusion à perpétuité dans le cas où le Président de la République exerce son droit de grâce en vertu du paragraphe 1 de cet article.
L'avocat de l'accusé invite la cour à dire que la peine de réclusion à perpétuité qui a été prononcée contre l'accusé sera confondue avec celle qu'il purge d'ores et déjà.
(...) [A] l'appui de sa proposition, il invoque l'affaire R v. Foy (1962) 2 All E.R. 246].
(...) A l'inverse, M. Kyprianou estime que la cour doit ordonner que la peine prononcée soit purgée après celle que l'accusé est d'ores et déjà en train de purger parce que, selon le règlement de 1987 (Journal officiel de la République, annexe 3, partie I, du 13/3/1987), pris par le Conseil des Ministres et publié au Journal officiel de la République après avoir été soumis au Parlement, par « réclusion à perpétuité » il faut entendre « emprisonnement pour une durée de vingt ans ». L'article 93 du règlement prévoit qu'une personne condamnée à la réclusion à perpétuité peut, pour bonne conduite et assiduité au travail, bénéficier d'une remise de peine ne dépassant pas au total le quart de la peine. Dès lors, poursuit M. Kyprianou, la peine d'emprisonnement à perpétuité a été définie comme une période de vingt ans, ou de quinze ans en cas de bonne conduite du condamné. En conséquence, ce que Lord Parker a dit dans l'affaire R. v. Foy et qu'invoque l'avocat de la défense est sans objet ici. M. Kyprianou a aussi manifesté sa préoccupation, en sa qualité de conseil supérieur de la République, à l'idée que dans certains cas, comme celui dont il est question ici, une personne aurait commis plusieurs meurtres mais ne se verrait infliger qu'une peine d'emprisonnement de quinze ou vingt ans.
A notre sens, ni M. Kyprianou ni M. Clerides ne traitent la question juridique comme il se doit.
Sur la foi de tout ce que Lord Parker a dit [dans l'affaire R v. Foy (1962) 2 All E.R. 246], par réclusion criminelle à perpétuité il faut entendre l'emprisonnement pour le temps qu'il reste à vivre au requérant. En conséquence, et une peine de réclusion criminelle à perpétuité ayant été prononcée contre l'accusé, aucune autre peine ne peut encore être prononcée. M. Clerides pense toutefois que la cour doit prendre cette décision car il se fonde aussi sur le règlement de 1987 et il craint que, depuis que ce règlement est en vigueur, l'accusé puisse éventuellement être libéré dans les quinze ans et risque alors d'avoir à purger une autre peine de prison de quinze ou vingt ans, si la seconde peine suit la première.
Aux termes de l'article 12 § 1 de la Constitution, un tribunal ne peut prononcer une peine plus longue que celle prévue par la loi au moment où l'infraction a été commise. Le code pénal dispose en fait que la peine de réclusion criminelle à perpétuité est obligatoire et la seule qui puisse être prononcée une fois l'intéressé convaincu d'assassinat. Selon nous, l'expression « réclusion criminelle à perpétuité » signifie exactement ce que disent dans leur simplicité les mots grecs, à savoir l'emprisonnement pour le reste de l'existence du condamné. C'est l'interprétation qu'a aussi donnée la Court of Appeal d'Angleterre en l'affaire R v. Foy (...). Comme nous l'avons déjà dit, l'article 203 § 2 du code pénal est la seule disposition qui prescrive la peine obligatoire de la réclusion criminelle à perpétuité, et ce à la lumière des dispositions de l'article 53 § 3 de la Constitution. Le règlement de 1987 a été élaboré à partir de la loi sur la discipline pénitentiaire (loi no 286), qui s'applique toujours en vertu des dispositions de la Constitution même si elle a été promulguée juste au moment où Chypre est devenue une colonie anglaise. Les dispositions de cette loi doivent toutefois s'appliquer de manière à se concilier avec les dispositions expresses de la Constitution. Nous nous demandons si ce règlement n'est pas inconstitutionnel et si l'interprétation de l'expression « réclusion criminelle à perpétuité », que l'on rencontre dans la Constitution et le code pénal, comme signifiant « vingt ans » est arbitraire. Nous disons « nous nous demandons » car cette question n'a pas été soulevée devant nous et nous n'avons donc aucun droit, dans le cadre de cette procédure, à livrer une opinion à ce sujet. On peut toutefois faire une autre observation. Il semble que les auteurs du règlement, même si celui-ci est valide, n'ont pas prêté attention à la disposition spéciale de l'article 11 de la loi susmentionnée (loi no 286) qui concerne les détenus à vie et prévoit qu'ils peuvent être libérés sous condition sur décision du « Gouverneur », décision qui peut être révoquée. La loi en question entend expressément que la peine perpétuelle dure jusqu'à la fin de la vie, comme c'est le cas dans le système légal anglais. C'est pourquoi Lord Parker s'est exprimé comme nous l'avons rappelé ci-dessus. Une autre question qui se pose, ne serait-ce qu'aux fins d'un débat théorique, est de savoir dans quelle mesure une loi ou un règlement peut prévoir la réduction, la suspension ou la commutation de la peine d'une personne condamnée compte tenu de la disposition expresse de l'article 53 § 4 de la Constitution qui confère ce privilège au Président de la République avec l'assentiment de l'Attorney-General.
La jurisprudence antérieure établit que lorsqu'un tribunal prononce une peine il ne tient pas compte du règlement, même s'il s'applique, qui permet une remise de peine en cas de bonne conduite du condamné. Le règlement de 1987 a été édicté à des fins que le tribunal n'a pas à l'esprit lorsqu'il prononce la peine, celle-ci étant déterminée en fonction de la législation applicable et de la Constitution. C'est donc aux autorités compétentes qu'il appartient, si et quand la question se pose le moment venu, de prendre en compte ce dont nous faisons état ci-dessus sous forme d'observations juridiques. Nous avons déjà prononcé à l'encontre de l'accusé la peine qu'envisage la loi, c'est-à-dire la réclusion criminelle à perpétuité, et nous n'avons rien à ajouter. »
48.  Le 16 octobre 1991, l'Attorney-General de l'époque adressa la lettre suivante au directeur des prisons, par l'intermédiaire du directeur général du ministère de la Justice, à propos de M. Yiouroukkis, le détenu en question :
« En réponse à votre lettre du 26 septembre 1991 relative au dossier no F162/2/a, j'ai l'honneur de vous informer que le condamné Andreas Aristodimou Yiouroukkis, que votre lettre concerne, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d'assises de Nicosie le 5 février 1988 dans l'affaire pénale no 31175/87 ; la cour d'assises entendait par là l'emprisonnement pour le reste de l'existence de l'intéressé.
Cette position juridique pour ce qui est de la nature de la réclusion criminelle à perpétuité est aussi celle qui a été retenue dans une affaire ultérieure, no 23069/87, par la cour d'assises de Limassol le 10 mars 1989.
Compte tenu de ce qui précède, la durée de la peine en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité n'est pas fixée et n'est pas réduite en application de l'article 2 et de l'article 93 § 1 des règlements pénitentiaires généraux de 1981 et de 1987 respectivement, mais c'est le Président de la République qui peut, en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution, remettre ou suspendre la condamnation en question et dans l'exercice de ses pouvoirs prendre en compte, entre autres choses, l'esprit de l'article 2 et de l'article 93 § 1 susmentionnés. »
49.  Le 2 janvier 1992, l'Attorney-General écrivit ceci au directeur général du ministère de la Justice à propos du détenu Yiouroukkis :
« En réponse à votre lettre du 3 décembre 1991 concernant le dossier no Y.D. 12.7.01, qui a trait à la durée de la réclusion perpétuelle du condamné Andreas Aristodimou Yiouroukkis, je note ce qui suit :
En l'espèce, lorsqu'elle a prononcé la peine de la réclusion criminelle à perpétuité à l'encontre du condamné susmentionné, la cour d'assises de Nicosie a interprété l'article 203 § 2 du code pénal, loi no 154 (tel que modifié à cette fin par la loi no 86/83) et a estimé qu'il fallait entendre par là un emprisonnement pour le reste de l'existence du condamné. En conséquence, l'arrêt s'applique pour la durée de la peine infligée à ce condamné précis, condamnation qui n'a pas été infirmée en appel et s'impose à toutes les autorités de la République, pour lesquelles elle a force obligatoire.
La cour d'assises de Limassol a suivi dans une affaire ultérieure l'interprétation que la cour d'assises de Nicosie a ainsi donnée de la disposition pertinente du code pénal (...) et cette interprétation n'ayant pas été remise en cause par une autre cour d'assises ni infirmée par la Cour suprême, il y a lieu de la tenir pour l'interprétation judiciaire correcte de la disposition du code pénal en question et elle devra s'appliquer à l'avenir dans tous les cas où un accusé sera condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, même si l'arrêt ne mentionne aucunement que par réclusion criminelle à perpétuité il faut entendre l'emprisonnement pour le reste de l'existence de l'intéressé.
Il ne peut nullement être question d'une inégalité de traitement entre les détenus purgeant une peine de réclusion criminelle à perpétuité par rapport aux détenus qui purgent des peines à temps parce que la peine de réclusion criminelle à perpétuité, de par sa nature, se distingue radicalement de toute autre peine d'emprisonnement, et des questions d'inégalité de traitement ne peuvent se poser qu'en présence de situations comparables et non dissemblables.
D'ailleurs, il n'est pas possible d'appliquer une législation déléguée, telle que le règlement pénitentiaire général de 1981 et de 1987, lorsqu'elle est en contradiction avec une législation primaire telle que la disposition pertinente du code pénal. C'est pourquoi le règlement en question ne trouve pas à s'appliquer, dans la mesure où il est en contradiction avec la disposition pertinente du code pénal telle qu'elle a été interprétée par les tribunaux.
(...) lorsque, en coopération avec l'Attorney-General, le Président de la République examine s'il est possible d'accorder une remise de peine en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution dans l'hypothèse où le condamné purge une peine de réclusion criminelle à perpétuité, il aura à l'esprit que la peine, à moins d'une remise de peine, s'entend de la détention pour le reste de l'existence du condamné et il agira en conséquence au vu des circonstances de la cause. »
50.  Le 9 octobre 1992, la Cour suprême (statuant en première instance) dans l'affaire Hadjisavvas v. the Republic of Cyprus (paragraphe 19 ci-dessus) déclara le règlement pénitentiaire général inconstitutionnel et le tint pour un excès de pouvoir. Dans cette affaire-là, le détenu avait été lui aussi reconnu coupable d'assassinat et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il avait saisi la Cour suprême d'une demande d'habeas corpus faute d'avoir été libéré à la date que les autorités pénitentiaires lui avaient indiquée comme la date de son élargissement. La Cour suprême repoussa sa demande et réaffirma que l'expression de « réclusion criminelle à perpétuité » figurant dans le code pénal s'entendait de l'emprisonnement pour le reste de la vie du condamné. Elle dit en particulier ceci :
« Le code pénal prévoit une peine obligatoire pour le crime d'assassinat : « (...) une peine de réclusion criminelle à perpétuité » (article 203 § 2 du code pénal tel que modifié par la loi no 86/83). La constitutionnalité de cette disposition législative a été examinée dans l'affaire Politis v. Republic (1987) 2 C.L.R 116 et elle a été tenue pour valide au regard des dispositions des articles 7 § 2 et 12 § 3 de la Constitution. Le législateur ne met pas la peine de la réclusion criminelle à perpétuité sur un pied d'égalité avec une peine d'emprisonnement à temps, qu'elle soit imposée à titre de mesure répressive obligatoire en application de l'article 203 § 2 ou comme une mesure discrétionnaire en application de l'article 29 du code pénal, loi no 154. Cela serait de toute façon contraire aux dispositions de ces deux articles du code pénal puisque la réclusion perpétuelle est obligatoire en cas d'assassinat alors que, d'après l'article 29, lorsque la réclusion perpétuelle est une mesure discrétionnaire, il est loisible aux tribunaux d'imposer une peine de plus courte durée. Une peine d'emprisonnement pour une période plus brève que la réclusion perpétuelle peut être plus longue qu'un emprisonnement de vingt ans, que l'article 2 du règlement pénitentiaire assimile à la réclusion perpétuelle. Dans l'affaire Georghios Aristidou v. Republic (1967) 2 C.L.R. 43, la cour d'appel a infligé une peine de vingt-cinq ans d'emprisonnement, la condamnation de l'appelant ayant été requalifiée d'assassinat en homicide volontaire.
Me Pourgourides [l'avocat du demandeur] émet l'idée que la promulgation du règlement de 1987 portant modification du règlement pénitentiaire général (loi de réglementation administrative no 76/87) par le Conseil des Ministres avec l'approbation du Parlement, comme le prévoit la loi d'habilitation pour la soumission à la chambre des Représentants des règlements pris en application de la loi de 1985 (N. 51/85) et la loi de 1983 portant amendement à la loi sur la discipline pénitentiaire (N. 85/83) a entraîné la modification des dispositions pertinentes du code pénal, de sorte qu'une peine de réclusion criminelle à perpétuité se traduirait par vingt ans d'emprisonnement seulement. A l'appui de sa thèse, il renvoie à Bennion, Statutory Intrepretation, 2e édition, pp. 154-155, où il est dit qu'au Royaume-Uni, lorsque le Parlement modifie une législation déléguée, celle-ci devient une législation principale.
Cette thèse ne tient pas compte :
a)  du fait que le règlement pénitentiaire a été édicté dans le cadre du pouvoir conféré par la loi sur la discipline pénitentiaire et non sur la base du code pénal ;
b)  du lien immédiat entre le règlement de 1987 et le pouvoir que confère l'article 4 de la loi no 286 et du fait que ce pouvoir de l'édicter émane exclusivement des dispositions de cette loi ;
c)  de la stricte séparation des pouvoirs qui s'applique à Chypre et de la limitation du pouvoir des autorités exécutives à la promulgation d'une législation déléguée en vertu d'un pouvoir exprès conféré par la législation principale (voir Police v. Hondrou & Another, 3 R.S.C.C., 82 ; Malachtou v. Attorney-General (1981) 1 C.L.R., 543, et Payiatas v. Republic (1984) 3 C.L.R., 1239).
Si l'on suivait la thèse de Me Pourgourides, la conséquence serait notamment la participation des autorités exécutives à la promulgation de la législation principale, au mépris de l'article 61 de la Constitution et du principe de la séparation des pouvoirs. Dans les affaires President of Republic v. House of Representatives (1985) 3 C.L.R., 2165 et President of Republic v. House of Representatives (1986) 3 C.L.R., 1159, il est précisé que le fait que le Parlement participe à l'élaboration d'une législation déléguée ne fait pas de celle-ci une législation principale.
Dans l'affaire Republic v. Sampson (appel civil 8532, arrêt rendu le 26 septembre 1991), la Cour suprême statuant en assemblée plénière a eu l'occasion de se pencher sur la condition juridique du règlement pénitentiaire par rapport à la loi d'habilitation, c'est-à-dire la loi sur la discipline pénitentiaire, no 286. Nous avons noté d'emblée que cette loi avait été promulguée en 1879 et que, comme celles de toute autre loi coloniale en vigueur lors de la proclamation de la République, les dispositions de la loi no 286 s'appliquent moyennant un aménagement, « si nécessaire, à la Constitution » (article 188 § 1 de la Constitution). Cet aménagement, avons-nous souligné, est du ressort du pouvoir judiciaire (voir, entre autres, Diagoras Development v. National Bank (1985) 1 C.L.R., 581, et United Pibles Societies (Gulf) v. Hadjikakou (appel civil 7413, arrêt rendu le 28 mai 1990).
L'aménagement des dispositions de la loi no 286 suppose que les dispositions de celle-ci se concilient avec le principe de la séparation des pouvoirs qui fait du pouvoir judiciaire le seul juge de la sanction à infliger aux délinquants (voir, entre autres, Politis (précité) et The District Officer of Nicosia v. Hadjiyiannis, R.S.C.C., 79 ; The District Officer of Famagusta v. Demetra Panayiotou Antoni, 1 R.S.C.C., 84 ; The Superintendent Gendarmerie of Lefka v. Christodoulos Antoni Hadjiyianni, 2 R.S.C.C., 21 ; Morphou Gendarmerie v. Andreas Demetri Englezos, 3 R.S.C.C., 7 ; The District Officer of Nicosia v. Michael Ktori Palis, 3 R.S.C.C., 27 ; The District Officer of Famagusta v. Michael Themistocli and Another, 3 R.S.C.C., 47 ; Nicosia Police v. Djemal Ahmet, 3 R.S.C.C., 50 ; The District Officer of Kyrenia v. Adem Salih, 3 R.S.C.C., 69 ; Miliotis v. The Police (1975) 7 J.S.C., 933).
En conséquence, si et dans la mesure où l'article 4, combiné avec l'article 9, de la loi no 286 habilite une autorité autre qu'une autorité judiciaire à fixer la durée d'une peine d'emprisonnement, il est contraire à la Constitution et a cessé de s'appliquer après la proclamation de la république. D'ailleurs, il est contraire au principe de la séparation des pouvoirs, qui empêche un organe administratif ou exécutif d'intervenir dans la fixation de la peine infligée, d'accorder au directeur des prisons le pouvoir de remettre une peine pour bonne conduite et assiduité au travail en vertu des dispositions de l'article 93 du règlement. La seule autorité que la Constitution habilite à remettre, suspendre ou commuer une peine d'emprisonnement est le Président de la République, agissant avec l'assentiment de l'Attorney-General. En l'espèce, la cour n'est pas véritablement appelée à examiner le pouvoir d'édicter une législation déléguée prévu aux articles 4 et 9 de la loi no 286, puisque ni l'une ni l'autre de ces deux dispositions ne concernent l'exécution d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité. L'exécution d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité est spécifiquement régie par les dispositions de l'article 11 de la loi no 286, d'où il ressort que par réclusion criminelle à perpétuité il faut entendre la détention pour le reste de l'existence du condamné, sous réserve du droit dont le Président de la République se trouve investi de suspendre la peine pour une durée qui sera déterminée au moment de la libération conditionnelle du condamné. L'article 11 de la loi no 286 concorde avec la Constitution et est demeuré en vigueur après la proclamation de la république pour autant qu'il se concilie avec les pouvoirs que l'article 53 § 4 de la Constitution confère au Président de la République. »
51.  Pour la Cour suprême, il n'avait donc pas été démontré que M. Hadjisavvas aurait dû être élargi à la date indiquée ou à toute autre date ultérieure ; la demande de libération (habeas corpus) fut en conséquence rejetée.
52.  En 1993, neuf détenus à vie (huit purgeant une peine perpétuelle obligatoire et un une peine perpétuelle discrétionnaire) furent libérés en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution. Leurs peines furent commuées en vingt ans d'emprisonnement, puis ils bénéficièrent d'une remise de peine, de sorte qu'ils purent être libérés immédiatement. Ce fut la même procédure qui fut suivie pour leur élargissement. L'exemple donné ci-après se rapporte à l'un deux.
53.  Le 28 septembre 1993, l'Attorney-General de la République adressa au Président de la République la lettre que voici à propos d'un détenu à vie :
« Monsieur le Président de la République,
Anastasis Savva Politis (condamné no 7035 à la maison centrale) a été condamné par la cour d'assises de Nicosie à la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat.
En vertu des règlements pénitentiaires généraux de 1981 et de 1987 applicables, on a estimé que par réclusion criminelle à perpétuité il fallait entendre un emprisonnement de vingt ans et on a annoncé à l'intéressé, le lendemain de sa condamnation, qu'il purgerait une peine de vingt ans d'emprisonnement à compter du 26 décembre 1986.
Dans l'intervalle, sa peine fut ramenée à huit ans d'emprisonnement, une grâce présidentielle ayant été accordée pour le cinquième de la peine (quatre ans) à l'occasion de l'élection du nouveau Président de la République en 1988, et compte tenu d'une remise de peine de huit ans pour bonne conduite et assiduité au travail, en application du règlement pénitentiaire général, et la date de la libération fut fixée au 25 décembre 1994.
Le 5 février 1988, la cour d'assises de Nicosie a jugé dans une autre affaire que la réclusion criminelle à perpétuité s'entendait de l'emprisonnement pour le reste de l'existence du condamné et de ce fait, le 29 janvier 1992, j'ai émis l'avis qu'en pareil cas l'article pertinent du règlement ne trouvait pas à s'appliquer de manière que la réclusion criminelle à perpétuité soit automatiquement ramenée à vingt ans d'emprisonnement.
Compte tenu de ce qui précède, je suggère de commuer la peine du condamné dont il est question ici en vingt ans d'emprisonnement et de la réduire de quatre ans en vertu de la grâce présidentielle de 1988 et d'une période supplémentaire de façon que l'intéressé puisse être libéré immédiatement.
Les détenus à vie Andreas Soteriou Lemonas, Demetris Hadjisavvas et Demetris Miliotis ont bénéficié du même traitement, les deux premiers en avril 1993 et le dernier récemment.
Je saisis cette occasion pour suggérer, pour raisons humanitaires, de commuer la peine de tous les détenus à vie dont on a, en vertu des règlements pénitentiaires généraux de 1981 et de 1987, prévu la date de libération en 1993 et en 1994, en vingt ans d'emprisonnement et de la réduire de façon que les intéressés puissent être libérés immédiatement et ne demeurent pas dans les affres en se demandant s'ils vont ou non bénéficier du même traitement.
La prochaine date qui a été prévue, en application des règlements susmentionnés, pour l'élargissement d'un détenu à vie, est l'an 2000.
Je joins pour votre signature le décret pertinent pour le cas où vous marqueriez votre accord avec ma suggestion. »
54.  Le 28 septembre 1993, le Président de la République fit l'annonce suivante à propos du détenu à vie dont il est question ci-dessus :
« Attendu que le condamné Anastasis Savvas Politis (no 7036) a été condamné, le 27 janvier 1987, dans l'affaire pénale no 537/87, par la cour d'assises de Nicosie à la réclusion criminelle à perpétuité pour assassinat ; et
Attendu que l'Attorney-General de la République, prenant en compte les circonstances particulières de la cause, a recommandé, en se fondant sur l'article 53 § 4 de la Constitution, de commuer la peine en vingt ans d'emprisonnement et d'accorder une remise de peine de façon que l'intéressé puisse être libéré immédiatement ;
Par ces motifs, sur la recommandation de l'Attorney-General de la République, par le présent décret, et en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution, la peine du condamné est commuée en vingt ans d'emprisonnement et lui est remise de sorte qu'il doit être immédiatement libéré. »
55.  Le 29 septembre 1993 fut annoncée la libération de six détenus à vie. Il était dit notamment ceci :
« Le Président de la République, sur la base des recommandations de l'Attorney-General de la République en ce sens, et à l'occasion de l'anniversaire de l'indépendance de la République de Chypre, le premier de son mandat présidentiel, décide de remettre les peines, de façon qu'ils soient libérés immédiatement, des détenus à vie suivants qui, si l'on avait calculé leurs peines sur la base d'un emprisonnement de vingt ans, auraient été élargis en 1993 ou 1994 :
Ian Michael Davison
Abdel Hakim Saado El Khalifa
Khalet Abdel Kader El Khatib
Saadeldin Mohammad Idress
Achilleas Georgiou Avraam
Anastasis Savva Politis. »
6.  La loi de 1996 sur les prisons (loi no 62(I)/96) telle que modifiée
56.  Le 3 mai 1996 fut promulguée la loi de 1996 sur les prisons (loi no 62(I)/96) qui vint abroger et remplacer la loi sur la discipline pénitentiaire (loi no 286).
57.  Les passages pertinents en l'espèce de son article 9, qui régit la libération des détenus, sont ainsi libellés :
« 1.  Aucun détenu purgeant une peine d'emprisonnement ne peut être libéré s'il n'a purgé sa peine conformément aux dispositions de la présente loi, si ce n'est dans le cas prévu par l'article 53 § 4 de la Constitution de la République ou toute autre loi en vigueur. »
58.  L'article 12 de la loi de 1996 sur les prisons énonce que, à l'exception des détenus purgeant une peine de réclusion criminelle à perpétuité, un détenu peut bénéficier d'une remise de peine pour bonne conduite et assiduité au travail. Ses passages pertinents en l'espèce disposent :
« 1.  Conformément aux dispositions de la présente loi, un détenu purgeant une peine d'emprisonnement bénéficie d'une remise de peine en cas de bonne conduite et d'assiduité au travail, sauf s'il est sous le coup d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité. »
59.  L'article 14 de la loi (telle que modifiée par la loi no 12(I)/97), qui régit la libération conditionnelle des détenus, énonce :
« 1.  Sous réserve des dispositions de la Constitution, le Président de la République, en accord avec l'Attorney-General de la République, peut à tout moment ordonner par décret la libération conditionnelle d'un détenu.
2.  Un détenu qui bénéficie d'une libération sous condition en vertu du présent article peut, jusqu'à l'expiration de sa peine, être placé sous la surveillance et le contrôle d'une personne indiquée dans le décret de libération conditionnelle et doit se conformer à toutes les autres conditions et restrictions fixées dans celui-ci.
3.  Le Président de la République, en accord avec l'Attorney-General de la République, peut à tout moment par un nouveau décret modifier ou annuler les conditions et restrictions fixées dans le décret pris en vertu du paragraphe 1 ci-dessus.
4.  Si, avant l'expiration de la peine du détenu qui est libéré comme il est indiqué ci-dessus, le Président de la République, en accord avec l'Attorney-General de la République, a la conviction que l'intéressé n'a pas respecté l'une ou l'autre condition ou restriction valide fixée dans le décret, il peut par un nouveau décret révoquer la libération conditionnelle du condamné et ordonner que celui-ci soit réintégré en prison pour y purger le reste de sa peine.
5.  Une fois le condamné réintégré en prison, il ne peut prétendre aux avantages prévus à l'article 12 de la présente loi qu'au bout d'un an à compter de la date de sa réintégration en prison et sous réserve que son travail et son comportement aient été satisfaisants au cours de cette année.
6.  Le laps de temps s'écoulant entre la date du décret de libération du détenu pris en vertu du présent article et la date de sa révocation est inclus dans la période que le détenu a purgée.
7.  Un détenu qui ne se conforme pas au décret révoquant sa libération est réputé s'être évadé alors qu'il était légalement détenu. »
C.  Autres dispositions pertinentes de la Constitution chypriote
60.  Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées :
1.  Partie II : Droits et libertés fondamentaux
Article 7 § 2
« Nul ne peut être privé de la vie si ce n'est en exécution d'une peine prononcée par un tribunal compétent après un verdict de culpabilité de l'infraction pour laquelle cette peine est prévue par la loi. Une loi ne peut prévoir cette peine qu'en cas d'assassinat, de haute trahison, de piraterie du droit des gens et d'infraction majeure au regard du droit militaire. »
Article 8
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumais ou dégradants. »
Article 12 § 1
« Nul ne peut être condamné pour une action ou omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction d'après le droit applicable. De même, il ne peut être infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. »
Article 12 § 3
« Aucune loi ne peut prévoir de peine disproportionnée à la gravité de l'infraction. »
2.  Partie IX : La Cour constitutionnelle suprême
Article 144
« 1.  Toute partie à une procédure judiciaire, y compris devant une juridiction d'appel, peut, à tout stade de ladite procédure, soulever la question de l'inconstitutionnalité de toute loi, décision ou disposition y contenue affectant le règlement de l'affaire en cause dans ladite procédure ; dans ce cas, le tribunal devant lequel une telle question est soulevée réserve celle-ci pour décision de la Cour constitutionnelle suprême et suspend toute procédure jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle suprême statue à ce sujet.
2.  La Cour constitutionnelle suprême, saisie d'une question ainsi réservée, après audition des parties, examine et tranche la question ainsi réservée et communique sa décision au tribunal qui avait réservé la question.
3.  Toute décision rendue par la Cour constitutionnelle suprême en application du paragraphe 2 du présent article est obligatoire pour le tribunal qui a réservé la question et pour les parties au procès et, dans le cas où la décision conclut à l'inconstitutionnalité de la loi, décision ou disposition y contenue, elle a pour effet de rendre ladite loi ou décision inapplicable uniquement à cette procédure.
3.  Partie VI : Les magistrats indépendants de la République
61.  En vertu de la Constitution, l'Attorney-General est un magistrat indépendant de la République. L'article 112 de la Constitution énonce notamment :
1.  Le Président et le vice-président de la République désignent conjointement aux fonctions d'Attorney-General de la République et d'Attorney-General adjoint de la République deux personnes habilitées à exercer les fonctions de juge de la High Court.
2.  L'Attorney-General de la République est le directeur, et l'Attorney-General adjoint de la République le directeur adjoint, du Bureau juridique de la République, qui est un service indépendant ne relevant d'aucun ministère.
4.  L'Attorney-General et l'Attorney-General adjoint de la République sont membres de la magistrature permanente de la République et exercent leurs fonctions dans les mêmes conditions qu'un juge de la High Court autre que son président et ne peuvent être démis de leurs fonctions que pour les mêmes motifs et selon les mêmes modalités qu'un juge de la High Court.
62.  Selon l'article 113 de la Constitution, l'Attorney-General est le jurisconsulte de la République et du Président :
« L'Attorney-General de la République, assisté de l'Attorney-General adjoint de la République, est le jurisconsulte de la République et du Président ainsi que du vice-Président de la République et du Conseil des Ministres et des Ministres, et il exerce tous les autres pouvoirs et accomplit toutes les autres fonctions et devoirs qui lui sont conférés ou imposés par la présente Constitution ou par la loi.
2.  L'Attorney-General de la République a le pouvoir, qu'il exerce selon son appréciation dans l'intérêt public, d'engager, de mener, de reprendre et de continuer ou suspendre des poursuites à raison d'une infraction dirigée contre une personne sur le territoire de la République. Ce pouvoir peut être exercé par lui en personne ou par des subordonnés agissant en vertu et dans le respect de ses instructions. »
D.  Extraits du rapport du 26 mai 2004 établi d'office par la commissaire à l'Administration (médiatrice) de la République de Chypre sur le système pénitentiaire chypriote et les conditions de détention dans les maisons centrales
63.  Dans son rapport, la commissaire à l'Administration a notamment examiné les questions se rapportant à la réclusion à perpétuité. Elle a comparé la situation de Chypre avec celle d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe, en particulier le Royaume-Uni, la Grèce et la France. Elle a formulé entre autres les observations suivantes :
L'emprisonnement à vie
79.  Dans les maisons centrales on compte actuellement douze détenus condamnés à la réclusion perpétuelle. La question de l'emprisonnement à vie, à la lumière du régime en vigueur, est actuellement débattue à la chambre des Représentants et par.la commission compétente sous l'égide du ministère de la Justice et de l'Ordre public, qui est aussi l'instigateur de cette discussion. Le processus actuellement en cours vise essentiellement à réglementer par la voie législative l'emprisonnement perpétuel de façon à offrir aux détenus purgeant une peine d'emprisonnement à vie la possibilité d'être libérés une fois qu'ils auront purgé une partie importante de leur peine et auront bénéficié d'un traitement et d'une préparation préalables. Certains émettent des réserves quant à la constitutionnalité de pareille réglementation.
80.  D'après moi, la Constitution permet de réglementer la question par voie législative. Il ne s'agit pas de la procédure de grâce, mais de la réglementation de l'exécution d'une peine, ce qui n'empiète nullement sur la prérogative que l'article 53 § 4 confère au Président de la République de remettre, commuer ou suspendre une peine. Pour que la séparation des pouvoirs soit respectée, la réglementation de la question par la voie législative pourrait impliquer que dans le cas où un tribunal infligerait la peine de réclusion à perpétuité, le même tribunal pourrait fixer une période minimale à purger obligatoirement avant que la possibilité d'une libération conditionnelle du détenu ne soit envisagée. J'estime que cette période minimale ne devrait pas dépasser vingt ou vingt-cinq ans. Dans le cadre de la réglementation proposée pourrait être mise en place une commission ayant un rôle consultatif, qui, en se fondant sur les critères qui auraient été édictés et en fonction des progrès réalisés en vue de la réinsertion du détenu condamné à la réclusion à vie et des particularités de chaque affaire, pourrait recommander la libération conditionnelle.
Conclusions – Recommandations – Suggestions
–  Pour ce qui est de la question des détenus condamnés à la réclusion à vie, il me paraît essentiel d'en accélérer le processus de réglementation par la voie législative de manière à fixer une période minimale de détention à purger, qui ne dépassera pas vingt ou vingt-cinq ans, à l'expiration de laquelle la possibilité d'une libération conditionnelle sera examinée en fonction des particularités de chaque cas.
E.  L'application des règlements de 1981 et de 1987 par les autorités gouvernementales et administratives et la validité juridique de l'article 93 du règlement
64.  Les paragraphes suivants renferment un résumé des informations fournies par le Gouvernement dans le cadre de la présente procédure sur la situation en droit interne en ce qui concerne l'application et la validité des règlements de 1981 et 1987.
65.  Avant l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Hadjisavvas v. Republic of Cyprus (paragraphes 19, 50 et 51 ci-dessus), le règlement de 1981/1987, en particulier les articles 2 et 23, était interprété par les autorités gouvernementales et administratives chypriotes, y compris par les services pénitentiaires, comme prévoyant pour toute personne condamnée à perpétuité une peine de réclusion criminelle d'une durée maximale de vingt ans. En pratique, tout condamné à perpétuité après l'entrée en vigueur du règlement obtenait automatiquement une remise de peine de cinq ans en vertu de l'article 93. Cette période de cinq ans pouvait être réduite en cas de mauvaise conduite du détenu. Il était entendu par les autorités exécutives et administratives de la République, dont les services pénitentiaires, qu'un détenu condamné à perpétuité ne pouvait pas être maintenu en prison au-delà de vingt ans pour mauvaise conduite. En réalité, en raison du nombre très limité de détenus condamnés à perpétuité à Chypre et des dates de leurs condamnations respectives, aucun n'est jamais parvenu à un stade de sa peine où ces dispositions lui auraient été directement appliquées de sorte qu'il aurait été élargi. Les neuf détenus à vie qui ont été libérés en 1993 l'ont été en application de l'article 53 § 4 de la Constitution à la lumière de la manière dont le règlement aurait fonctionné dans leur cas.
66.  Dans son arrêt dans l'affaire Hadjisavvas, la Cour suprême a estimé que l'article 93 du règlement était inconstitutionnel et outrepassait la législation en vertu de laquelle il avait été adopté, en l'occurrence la loi sur la discipline pénitentiaire. En droit chypriote, au cours d'une instance où la constitutionnalité d'une législation déléguée était soulevée à titre subsidiaire par une partie, l'arrêt de la Cour suprême ne prenait effet qu'à l'égard de l'objet particulier du litige. Dès lors, l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Hadjisavvas, dans laquelle la question de la constitutionnalité de l'article 93 avait été soulevée à titre subsidiaire dans le cadre du recours d'habeas corpus formé par M. Hadjisavvas, ne produisait d'effets que pour ce qui était de statuer sur la légalité du maintien en détention de M. Hadjisavvas. Il découlait ainsi de l'article 144 § 3 de la Constitution que l'arrêt susmentionné ne frappait pas d'inconstitutionnalité et d'invalidité l'article 93 du règlement à l'égard d'autres personnes que les parties à l'affaire. En d'autres termes, l'article 93 demeurait valide pour d'autres personnes.
67.  Puisque l'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Hadjisavvas s'imposait aux parties à l'instance, y compris aux autorités exécutives et administratives chypriotes, l'article 93 ne pouvait à bon droit être appliqué ultérieurement par celles-ci. Cet arrêt ne pouvait pas pour autant être interprété comme produisant des effets rétroactifs permettant de contester la validité de l'article 93 tel qu'appliqué aux autres personnes visées par cette disposition. Par conséquent, le fait que l'article 93 du règlement ait été considéré par la Cour suprême en 1992 comme inconstitutionnel et outrepassant la législation en vertu de laquelle il avait été adopté n'a pas eu pour effet rétroactif d'annuler ab initio le règlement à toutes fins utiles. Ainsi, par exemple, n'aurait pas été invalidée une mesure prise en application de l'article 93 entre la date de son adoption et celle de l'arrêt Hadjisavvas. Dès lors, au moment où l'infraction a été commise (juillet 1987) ou au moment où le requérant a été condamné (mars 1989), l'article 93 du règlement ne pouvait être considéré comme nul ou dépourvu d'effets juridiques à son égard. Toutefois, après l'arrêt Hadjisavvas, les autorités administratives et exécutives chypriotes ne pouvaient plus à bon droit prendre des mesures fondées sur l'article 93 en vue de réduire à vingt ans la durée maximale d'une peine de réclusion à perpétuité infligée par une juridiction car cela n'aurait pas été conforme à la Constitution telle qu'interprétée dans l'arrêt Hadjisavvas par la Cour suprême, dont les décisions font autorité.
III.  TEXTES INTERNATIONAUX
A.  Extraits de textes pertinents du Conseil de l'Europe
1.  Instruments adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe
68.  L'article 21 de la Convention du Conseil de l'Europe du 16 mai 2005 (entrée en vigueur le 1er juin 2007) sur la prévention du terrorisme énonce :
Article 21 – Clause de discrimination
3.  Aucune disposition de la présente Convention ne doit être interprétée comme impliquant une obligation d'extrader si la personne faisant l'objet de la demande d'extradition risque d'être exposée à la peine de mort ou, lorsque la loi de la Partie requise ne permet pas la peine privative de liberté à perpétuité, à la peine privative de liberté à perpétuité sans possibilité de remise de peine, à moins que la Partie requise ait l'obligation d'extrader conformément aux traités d'extradition applicables, si la Partie requérante donne des assurances jugées suffisantes par la Partie requise que la peine capitale ne sera pas prononcée ou, si elle est prononcée, qu'elle ne sera pas exécutée, ou que la personne concernée ne sera pas soumise à une peine privative de liberté à perpétuité sans possibilité de remise de peine. »
69.  Le Comité des Ministres a traité dès 1976 des questions relatives aux détenus de longue durée et à la libération conditionnelle, lorsqu'il a adopté, le 17 février 1976, lors de la 254e réunion des Délégués des Ministres, la Résolution (76) 2 sur le traitement des détenus en détention de longue durée :
« Le Comité des Ministres,
I.  Recommande aux gouvernements des Etats membres :
9.  de s'assurer que les cas de tous les détenus seront examinés aussitôt que possible pour voir si une libération conditionnelle peut leur être accordée ;
10.  d'accorder au détenu la libération conditionnelle, sous réserve des exigences légales concernant les délais, dès le moment où un pronostic favorable peut être formulé, la seule considération de prévention générale ne pouvant justifier le refus de la libération conditionnelle ;
11.  d'adapter aux peines de détention à vie les mêmes principes que ceux régissant les longues peines ;
12.  de s'assurer que pour les peines de détention à vie l'examen prévu sous 9 ait lieu si un tel examen n'a pas déjà été effectué au plus tard après huit à quatorze ans de détention et soit répété périodiquement ;
70.  Dans son rapport général, le sous-comité chargé d'élaborer la résolution a déclaré ceci :
« (...) qu'il est inhumain d'emprisonner une personne pour la vie sans lui laisser aucun espoir de libération. Une politique de prévention de la criminalité qui accepterait de maintenir en prison un condamné à perpétuité, alors qu'il n'est plus un danger pour la société, ne serait compatible ni avec les principes actuels de traitement des prisonniers pendant l'exécution de leur peine, ni avec l'idée de réintégration des délinquants dans la société. Personne ne devrait être privé de la possibilité d'une libération éventuelle ; la mesure dans laquelle cette possibilité se réalise doit dépendre du pronostic individuel ».
71.  Le 30 septembre 1999, le Comité des Ministres a adopté, lors de la 681e réunion des Délégués des Ministres, la Recommandation no R (99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l'inflation carcérale  :
23.  Il conviendrait de favoriser le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, en préférant les mesures individualisées, telles la libération conditionnelle, aux mesures collectives de gestion du surpeuplement carcéral (grâces collectives, amnisties).
24.  La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de la détention mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté.
25.  Il faudrait, pour promouvoir et étendre le recours à la libération conditionnelle, créer dans la communauté les meilleures conditions de soutien et d'aide au délinquant ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue d'amener les instances judiciaires ou administratives compétentes à considérer cette mesure comme une option valable et responsable.
26.  Des programmes de traitement efficaces en cours de détention ainsi que de contrôle et de traitement au-delà de la libération devraient être conçus et mis en œuvre de façon à faciliter la réinsertion des délinquants, à réduire la récidive, à assurer la sécurité et la protection du public et à inciter les juges et procureurs à considérer les mesures visant à réduire la durée effective de la peine à purger ainsi que les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, comme des options constructives et responsables.
72.  Le 24 septembre 2003, le Comité des Ministres a adopté, à la 853e réunion des Délégués des Ministres, la Recommandation (2003) 22 concernant la libération conditionnelle, dont les passages pertinents sont ainsi libellés :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l'article 15.b du Statut du Conseil de l'Europe,
Considérant qu'il est de l'intérêt des Etats membres du Conseil de l'Europe d'établir des principes communs en matière d'exécution des peines privatives de liberté, afin de renforcer la coopération internationale dans ce domaine ;
Reconnaissant que la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé ;
Considérant que son usage devrait être adapté aux situations individuelles et conforme aux principes de justice et d'équité ;
Considérant qu'il est donc souhaitable de réduire autant que possible la durée de la détention et que la libération conditionnelle, qui intervient avant que la totalité de la peine n'ait été purgée, peut contribuer, dans une large mesure, à atteindre cet objectif ;
Reconnaissant que les mesures de libération conditionnelle requièrent l'appui des responsables politiques et administratifs, des juges, des procureurs, des avocats et de l'ensemble des citoyens, qui ont par conséquent besoin d'explications précises quant aux raisons de l'aménagement des peines de prison ;
Considérant que la législation et la pratique de la libération conditionnelle devraient être conformes aux principes fondamentaux des Etats démocratiques régis par le principe de la prééminence du droit, dont l'objectif primordial est la garantie des droits de l'homme, conformément à la Convention européenne des Droits de l'Homme et à la jurisprudence des organes chargés de veiller à son application ;
Recommande aux gouvernements des Etats membres :
1.  d'introduire la mesure de libération conditionnelle dans leur législation si celle-ci ne la prévoit pas encore ;
2.  d'orienter leur législation, leur politique et leur pratique concernant la mesure de libération conditionnelle selon les principes énoncés à l'annexe de la présente recommandation ; et
3.  d'assurer la diffusion la plus large possible de la présente recommandation concernant la libération conditionnelle, et de son exposé des motifs.
Annexe à la Recommandation Rec(2003)22
II.  Principes généraux
3.  La libération conditionnelle devrait viser à aider les détenus à réussir la transition de la vie carcérale à la vie dans la communauté dans le respect des lois, moyennant des conditions et des mesures de prise en charge après la libération visant cet objectif et contribuant à la sécurité publique et à la diminution de la délinquance au sein de la société.
4.a.  Afin de réduire les effets délétères de la détention et de favoriser la réinsertion des détenus dans des conditions visant à garantir la sécurité de la collectivité, la législation devrait prévoir la possibilité pour tous les détenus condamnés, y compris les condamnés à perpétuité, de bénéficier de la libération conditionnelle.
4.b.  Si les peines sont trop courtes pour permettre la libération conditionnelle, il conviendrait de trouver d'autres moyens pour atteindre ces objectifs.
5.  Au commencement de l'exécution de leur peine, les détenus devraient connaître le moment où la libération conditionnelle pourra leur être accordée du fait d'avoir purgé une période minimale (définie en termes absolus et/ou par référence à une proportion de la peine) et les critères utilisés pour déterminer s'ils peuvent bénéficier d'une libération conditionnelle (« système de libération discrétionnaire ») ou bien, le moment où celle-ci leur sera accordée de droit du fait d'avoir purgé une période fixe définie en termes absolus et/ou par référence à une proportion de la peine (« système de libération d'office »).
6.  La période minimale ou fixe ne devrait pas être si longue que l'objectif de la libération conditionnelle ne pourrait être atteint.
IV.  Octroi de la libération conditionnelle
Système de libération discrétionnaire
16.  La période minimale que les détenus doivent purger avant de pouvoir prétendre à la libération conditionnelle devrait être définie en conformité avec la loi.
17.  Les autorités compétentes devraient engager la procédure nécessaire pour que la décision concernant la libération conditionnelle puisse être rendue dès que le détenu a purgé la période minimale requise.
18.  Les critères que les détenus doivent remplir pour pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle devraient être clairs et explicites. Ils devraient également être réalistes en ce sens qu'ils devraient tenir compte de la personnalité des détenus, de leur situation socio-économique et de l'existence de programmes de réinsertion.
19.  L'absence de possibilité d'emploi au moment de la libération ne devrait pas constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Des efforts devraient être déployés pour trouver d'autres formes d'activité. Le fait de ne pas disposer d'un logement permanent ne devrait pas non plus constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Il conviendrait plutôt de trouver une solution provisoire d'hébergement.
20.  Les critères d'octroi de la libération conditionnelle devraient être appliqués de telle sorte que celle-ci puisse être accordée à tous les détenus dont on considère qu'ils remplissent le niveau minimal de garanties pour devenir des citoyens respectueux des lois. Il devrait incomber aux autorités de démontrer qu'un détenu n'a pas rempli les critères.
21.  Si l'instance de décision rend une décision négative, elle devrait fixer une date en vue du réexamen de la question. En toute hypothèse, les détenus devraient pouvoir saisir une nouvelle fois l'instance de décision dès l'apparition d'une amélioration notable de leur situation.
Système de libération d'office
22.  La période de la peine que les détenus doivent purger avant que la libération conditionnelle leur soit accordée de droit devrait être fixée par la loi.
VIII.  Garanties procédurales
32.  Les décisions relatives à l'octroi, au report ou à la révocation de la libération conditionnelle, ainsi qu'à l'imposition ou la modification des conditions et des mesures qui lui sont associées, devraient être prises par des autorités établies par disposition légale et selon des procédures entourées des garanties suivantes :
a)  les condamnés devraient avoir le droit d'être entendus en personne et de se faire assister comme le prévoit la loi ;
b)  l'instance de décision devrait accorder une attention soutenue à tout élément, y compris à toute déclaration, présenté par les condamnés à l'appui de leur demande ;
c)  les condamnés devraient avoir un accès adéquat à leur dossier ;
d)  les décisions devraient indiquer les motifs qui les sous-tendent et être notifiées par écrit.
33.  Les condamnés devraient pouvoir introduire un recours auprès d'une instance de décision supérieure indépendante et impartiale, établie par disposition légale contre le fond de la décision ou le non-respect des garanties procédurales.
34.  Des procédures de recours devraient également être disponibles s'agissant de l'exécution de la libération conditionnelle.
35.  Toutes les procédures de recours devraient respecter les garanties énoncées aux Règles 13 à 19 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté.
36.  Rien de ce qui est contenu aux paragraphes 32 à 35 ne devrait être interprété comme une restriction ou une dérogation aux droits garantis dans ce contexte par la Convention européenne des Droits de l'Homme.
73.  Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres a adopté, lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres, la Recommandation Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes. Les passages pertinents sont ainsi libellés :
« Partie VIII
Détenus condamnés
Objectif du régime des détenus condamnés
102.1  Au-delà des règles applicables à l'ensemble des détenus, le régime des détenus condamnés doit être conçu pour leur permettre de mener une vie responsable et exempte de crime.
102.2  La privation de liberté constituant une punition en soi, le régime des détenus condamnés ne doit pas aggraver les souffrances inhérentes à l'emprisonnement. »
2.  Extraits de rapports du Commissaire aux Droits de l'Homme
a)  Rapport de M. Alvaro Gil-Robles suite à sa visite à Chypre le 12 février 2004 – Doc. CommDH(2004)2
« 10.  Parallèlement, le Parlement a adopté des amendements au Code pénal permettant de substituer aux peines d'emprisonnement des peines de travaux d'intérêt général. Le ministre de la Justice a enfin fait part de réflexions en cours au sein du Gouvernement concernant la peine de l'emprisonnement à perpétuité, dans la perspective de permettre, dans certaines conditions, de mettre fin à l'incarcération. »
b)  Rapport de suivi du Commissaire aux Droits de l'Homme sur Chypre (2003-2005) « Evaluation des progrès accomplis dans la mise en œuvre des recommandations du Commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe » – Doc. CommDH(2006)12
« 11.  Dans son rapport sur les conditions de détention à la prison centrale en 2004, la médiatrice a critiqué l'interprétation très littérale donnée par les autorités chypriotes de la peine d'emprisonnement à perpétuité. Dans la plupart des autres pays membres du Conseil de l'Europe, l'emprisonnement à perpétuité ne signifie pas le maintien en détention de la personne condamnée jusqu'à la fin de son existence. Lors de la première visite du Commissaire, le gouvernement discutait de la possibilité de mettre fin à l'emprisonnement à perpétuité dans certaines conditions. Aucune solution n'a cependant été trouvée à ce jour. Le directeur adjoint de la prison centrale a mentionné les difficultés rencontrées dans les relations avec les personnes condamnées à la perpétuité, soit 14 hommes à l'époque de la visite du Bureau, tant parce qu'elles n'ont pas le moral que pour des raisons de sécurité. Les incitations habituelles à un bon comportement sont évidemment inapplicables aux détenus condamnés à la perpétuité et cela pose des problèmes de sécurité, aussi bien pour les gardiens que pour les autres détenus. »
B.  Extraits de textes pertinents de l'Union européenne
74.  La décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 13 juin 2002 (JO L 190 du 18 juillet 2002, p. 1) prévoit l'exécution dans tout Etat membre d'une décision judiciaire émise par un autre Etat membre quant à l'arrestation et à la remise d'une personne aux fins d'une procédure pénale ou de l'exécution d'une peine privative de liberté. L'article 5 en est ainsi libellé :
Article 5
Garanties à fournir par l'Etat membre d'émission dans des cas particuliers
« L'exécution du mandat d'arrêt européen par l'autorité judiciaire d'exécution peut être subordonnée par le droit de l'État membre d'exécution à l'une des conditions suivantes:
2.  lorsque l'infraction qui est à la base du mandat d'arrêt européen est punie par une peine ou une mesure de sûreté privatives de liberté à caractère perpétuel, l'exécution dudit mandat peut être subordonnée à la condition que le système juridique de l'Etat membre d'émission prévoie des dispositions permettant une révision de la peine infligée - sur demande ou au plus tard après vingt ans - ou l'application de mesures de clémence auxquelles la personne peut prétendre en vertu du droit ou de la pratique de l'État membre d'émission en vue de la non-exécution de cette peine ou mesure; (...) »
C.  Extraits de textes de droit international pertinents
75.  L'article 77 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui traite des peines applicables, énonce dans ses parties pertinentes :
« 1.  Sous réserve de l'article 110, la Cour peut prononcer contre une personne déclarée coupable d'un crime visé à l'article 5 du présent Statut l'une des peines suivantes :
a)  Une peine d'emprisonnement à temps de 30 ans au plus ; ou
b)  Une peine d'emprisonnement à perpétuité, si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient. (...)
76.  L'article 110 sur l'examen par la Cour pénale internationale de la question d'une réduction de peine dispose :
« 1.  L'Etat chargé de l'exécution ne peut libérer la personne détenue avant la fin de la peine prononcée par la Cour.
2.  La Cour a seule le droit de décider d'une réduction de peine. Elle se prononce après avoir entendu le condamné.
3.  Lorsque la personne a purgé les deux tiers de sa peine ou accompli 25 années d'emprisonnement dans le cas d'une condamnation à perpétuité, la Cour réexamine la peine pour déterminer s'il y a lieu de la réduire. Elle ne procède pas à ce réexamen avant ce terme.
4.  Lors du réexamen prévu au paragraphe 3, la Cour peut réduire la peine si elle constate qu'une ou plusieurs des conditions suivantes sont réalisées :
a)  La personne a, dès le début et de façon continue, manifesté sa volonté de coopérer avec la Cour dans les enquêtes et poursuites de celle-ci ;
b)  La personne a facilité spontanément l'exécution des décisions et ordonnances de la Cour dans d'autres cas, en particulier en l'aidant à localiser des avoirs faisant l'objet de décisions ordonnant leur confiscation, le versement d'une amende ou une réparation et pouvant être employés au profit des victimes ; ou
c)  D'autres facteurs prévus dans le Règlement de procédure et de preuve attestent un changement de circonstances manifeste aux conséquences appréciables de nature à justifier la réduction de la peine.
5.  Si, lors du réexamen prévu au paragraphe 3, la Cour détermine qu'il n'y a pas lieu de réduire la peine, elle réexamine par la suite la question de la réduction de peine aux intervalles prévus dans le Règlement de procédure et de preuve et en appliquant les critères qui y sont énoncés. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
77.  Le requérant considère que son maintien en réclusion perpétuelle contrevient à l'article 3 de la Convention, qui énonce :
« Nul ne peut être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
78.  L'intéressé formule un double grief sur le terrain de cette disposition. Premièrement, la totalité ou une partie importante de sa détention à vie représenterait une période de détention punitive qui irait au-delà des normes raisonnables et acceptables exigées par la Convention en matière de durée d'une détention punitive ; deuxièmement, l'anéantissement imprévu de ses espoirs légitimes de libération et son maintien en détention après la date que les autorités pénitentiaires lui avaient indiquée le laisseraient depuis longtemps dans un état de désarroi et d'incertitude quant à son avenir, ce qui constitue selon lui un traitement inhumain et dégradant.
A.  Les thèses défendues par les parties
1.  Le requérant 79.  Le requérant admet pour commencer que le fait d'infliger une peine perpétuelle obligatoire – qui, d'après le règlement, se définissait le 10 mars 1989, date de sa condamnation, comme étant en substance de vingt ans – n'a pas emporté violation de l'article 3 de la Convention. Il fait une distinction entre le moment où la peine a été infligée en 1989 et la période postérieure à 1996 où a été abolie la définition de la réclusion à perpétuité comme étant de vingt ans. Sur le formulaire F5, qui lui avait été remis lors de son incarcération, il était clairement indiqué « vingt ans » sous le titre « peine ». L'intéressé avait alors été informé qu'il serait libéré le 16 juillet 2002 sous réserve de bonne conduite. A la suite d'une infraction disciplinaire, sa libération fut reportée au 2 novembre 2002. Toutefois, eu égard à l'arrêt Hadjisavvas v. The Republic of Cyprus (paragraphes 19, 50   et 51 ci-dessus), dans lequel la Cour suprême a déclaré le règlement inconstitutionnel, et à l'abrogation de ce règlement en 1996, ce qui excluait toute possibilité de remise de peine pour les condamnés à la réclusion perpétuelle, la peine d'emprisonnement obligatoire serait devenue l'emprisonnement pour le reste de son existence.
80.  Le requérant souligne qu'il n'existe dans le régime législatif actuellement en vigueur à Chypre aucun dispositif de libération conditionnelle des détenus et rien n'est prévu à cet égard ou pour la protection de leurs droits pendant l'exécution de leur peine ou leur réintégration dans la société. La peine d'emprisonnement prononcée par les tribunaux chypriotes et dont les autorités compétentes assurent ensuite l'exécution aurait donc pour principale finalité de punir les détenus. Ce qui, combiné avec le caractère obligatoire de la peine, serait constitutif d'une violation de l'article 3 de la Convention (le requérant invoque entre autres l'arrêt Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, § 72, CEDH 2002-VIII). La procédure en vigueur conférerait un pouvoir discrétionnaire illimité au Président et revêtirait un caractère arbitraire. Le requérant renvoie à ce propos au rapport remis d'office le 26 mai 2004 par la médiatrice chypriote sur le régime pénitentiaire chypriote et les conditions de détention dans les maisons centrales (paragraphe 63 ci-dessus).
81.  Même si les détenus se rangent dans une catégorie particulière d'ayants droit, ils n'en auraient pas moins des droits que les autorités devraient protéger (le requérant invoque ici l'arrêt Silver et autres c. Royaume-Uni du 25 mars 1983, série A no 61). Le droit chypriote prévoirait la peine de réclusion perpétuelle obligatoire dans tous les cas d'homicide volontaire, ce qui priverait les tribunaux du pouvoir d'appréciation essentiel dont doivent jouir les magistrats, eu égard aux droits du condamné, quand il s'agit de fixer une peine qui soit proportionnée à la gravité de l'infraction. Le requérant se réfère à ce propos à la Recommandation R (92) 17 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres relative à la cohérence dans le prononcé des peines, adoptée par les Délégués des Ministres le 19 octobre 1991, et d'après laquelle, « quels que soient les principes de base énoncés, il conviendrait d'éviter une disproportion entre la gravité de l'infraction et la peine ». Il note aussi que même en vertu du Statut de Rome de 1998, le génocide n'est pas automatiquement puni de la réclusion criminelle à perpétuité (article 77 § 1 du Statut de Rome – paragraphe 75 ci-dessus).
82.  Selon le requérant, le cadre de protection des droits des détenus purgeant des peines perpétuelles à Chypre va à l'encontre des pratiques de la plupart des autres Etats membres du Conseil de l'Europe et il faudrait de toute évidence définir une politique commune. A ce propos, le requérant déclare qu'en France comme en Italie, il est expressément reconnu qu'un délinquant condamné à la réclusion criminelle à perpétuité a un droit fondamental à ce que la question de son élargissement soit envisagée. En outre, la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne admettrait qu'une peine perpétuelle purgée jusqu'à son terme implique inévitablement la perte de la dignité humaine et le déni du droit controversé à la réinsertion. Un dispositif de libération aurait été instauré en Allemagne de façon que les peines perpétuelles ne soient pas exécutées d'une manière qui ôte tout espoir de libération et porte par là même atteinte à la dignité humaine. De surcroît, le droit international des droits de l'homme exigerait de manière générale de ne pas priver un condamné d'une seconde chance de rentrer dans la société une fois qu'il aurait purgé sans problème sa peine et qu'une procédure de réinsertion aurait été menée à bien.
83.  Enfin, tout en se félicitant des progrès faits en vue de la mise en place d'une commission de la libération conditionnelle à Chypre, le requérant constate qu'il y a des retards en ce qui concerne son cas et que, au demeurant, ce n'est là qu'un projet de loi qui pourrait ne jamais être adopté ou ne pas l'être sous la forme proposée.
84.  Pour ce qui est de la seconde partie de son grief sur le terrain de l'article 3, le requérant allègue que son maintien en détention au-delà du 2 novembre 2002 lui cause de vives souffrances physiques et morales et qu'il se trouve privé de tout espoir d'obtenir une remise de sa peine, qui est devenue incompressible. Ces éléments apparaissent dès qu'on voit le requérant et se traduisent aussi dans les efforts qu'il déploie pour recouvrer sa liberté.
85.  Au cours de sa détention, le requérant avait l'espoir légitime d'être élargi en 2002 puisque c'était la date indiquée dans le formulaire que les autorités pénitentiaires lui avaient remis. Bien qu'il se soit conformé au règlement et n'ait commis aucune faute, sa libération a en réalité été annulée. Cet état de choses cause au requérant angoisse et incertitude depuis 2002. L'intéressé estime que le désarroi dans lequel on le laisse quant à son avenir peut s'assimiler à celui qu'éprouvent des condamnés dans le « couloir de la mort » puisque son avenir, c'est la mort en prison.
2.  Le Gouvernement
86.  En ce qui concerne le premier grief du requérant, le Gouvernement souligne que celui-ci n'a pas été condamné à une peine perpétuelle incompressible sans aucune possibilité de libération anticipée. Malgré la gravité de son crime, le droit interne lui offrirait, comme à tous les condamnés à la réclusion à perpétuité, suffisamment d'espoirs de libération aux fins de l'article 3 de la Convention. D'abord, en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution, le Président de la République peut, sur recommandation de l'Attorney-General, remettre, suspendre ou commuer toute peine prononcée par une juridiction de la République. En second lieu, en vertu de l'article 14 de la loi de 1996 sur les prisons, le Président peut à tout moment, avec l'assentiment de l'Attorney-General, ordonner la libération conditionnelle d'un détenu, même si celui-ci est en réclusion perpétuelle. Les détenus ont la possibilité de solliciter auprès du Président et de l'Attorney-General leur libération en vertu de ces dispositions quand ils le veulent. Même si la libération relève de la seule prérogative du Président, la décision de celui-ci implique l'avis et exige l'assentiment de l'Attorney-General, qui est un magistrat indépendant et ne fait pas partie des autorités exécutives de la République. L'implication de l'Attorney-General ajouterait donc un élément d'indépendance dans le processus.
87.  Pour décider s'il doit ou non exercer les pouvoirs que lui confère la disposition susmentionnée, le Président prendrait en compte la nature de l'infraction, le temps que le détenu a déjà passé en prison et tous les motifs exceptionnels ou d'ordre humanitaire militant pour une libération anticipée. A ce propos, le Gouvernement relève que des remords sincères exprimés par un détenu condamné à la réclusion à perpétuité sont une considération importante quoique non déterminante. Le Président examinerait en outre si le maintien en détention de l'intéressé s'impose à des fins de rétribution et de dissuasion ou pour mettre le public à l'abri d'un risque de grave préjudice.
88.  Le requérant aurait en réalité sollicité sa libération en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution à plusieurs reprises pendant sa détention mais on n'aurait jamais jugé approprié de l'élargir. Il n'aurait toutefois à aucun moment réclamé sa libération conditionnelle au titre de l'article 14 § 1 de la loi de 1996 sur les prisons.
89.  Le Gouvernement observe qu'il ressort de la jurisprudence de la Commission et de la Cour sur l'article 3 que le critère à appliquer consiste à se demander si un requérant a été privé de « tout espoir d'obtenir un aménagement de sa peine », critère qui suppose de rechercher si la peine est susceptible d'être réduite de jure et de facto. Si une peine de réclusion perpétuelle est compressible de jure, le simple fait que les perspectives d'une libération anticipée soient limitées ou que la décision d'accorder ou non une libération anticipée dépende du pouvoir d'appréciation des autorités exécutives, même si ce pouvoir d'appréciation est insusceptible de contrôle juridictionnel, n'enfreindrait pas l'article 3, à condition que de facto il y ait une possibilité réaliste que ce pouvoir soit exercé à l'avenir. Un condamné à perpétuité devrait démontrer soit qu'une libération anticipée est juridiquement impossible soit qu'il n'en existe pas de perspectives réalistes en pratique. Le Gouvernement invoque à ce propos la décision de la Cour dans l'affaire Einhorn c. France ((déc.), no 71555/01, CEDH 2001-XI) et soutient qu'il y a clairement un parallèle entre la situation à Chypre et celle de la Pennsylvanie.
90.  Dans la présence affaire, il existerait de jure pour le requérant une possibilité continue de libération anticipée, en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution et de l'article 14 § 1 de la loi de 1996 sur les prisons. Il n'y aurait aucune raison de penser que ces dispositions ne seront jamais appliquées de facto. En pratique, des détenus condamnés à perpétuité ont été libérés. Outre les neuf qui ont été élargis en 1993, deux autres détenus condamnés à la réclusion à perpétuité ont été libérés en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution respectivement en 1997 et en 2005. Rien en l'espèce ne permettrait de dire que, si les circonstances actuelles changeaient, c'est-à-dire si le requérant exprimait suffisamment de remords pour ses crimes – ce qu'il n'aurait pas fait jusqu'ici – et s'il n'était plus considéré comme présentant un danger notable pour la société, il ne pourrait pas être libéré en vertu de ces dispositions.
91.  Indépendamment des observations qui précèdent, le Gouvernement reconnaît que le système en vigueur peut faire l'objet d'améliorations en ce qui concerne les condamnés à perpétuité. En particulier, premièrement, il n'existe à l'heure qu'il est ni procédures ni critères formels régissant l'application de l'article 53 § 4 de la Constitution et de l'article 14 § 1 de la loi de 1996 sur les prisons. Deuxièmement, il n'y a aucune obligation de communiquer au détenu l'avis de l'Attorney-General concernant sa demande de libération. Troisièmement, le Président n'est pas tenu de motiver son refus d'accorder une libération anticipée, et il n'a pas pour pratique de le faire. Enfin, le refus d'ordonner une libération anticipée n'est pas susceptible de recours devant le juge.
92.  En outre, bien qu'il n'y ait pas clairement de consensus entre les Etats membres en ce qui concerne la libération anticipée des condamnés à perpétuité et les critères à appliquer à cet égard, l'accent serait mis de plus en plus dans la pratique de certains de ces Etats, dans les déclarations des institutions du Conseil de l'Europe et dans la jurisprudence de la Cour, sur la nécessité de procédures équitables, cohérentes et transparentes dans l'application des dispositions qui régissent la libération anticipée des détenus purgeant des peines perpétuelles. Compte tenu de cela et avant l'introduction de la présente requête, le ministère de la Justice et de l'Ordre public avait engagé une révision des procédures appliquées à Chypre afin d'améliorer les droits des condamnés à perpétuité. Le Gouvernement précise que les propositions de réforme législative seront déposées courant 2007. Un projet de loi prévoyant l'amendement de l'article 14 de la loi sur les prisons aurait été préparé. Parmi les propositions d'amendements figurent entre autres la fixation d'une période de sûreté qu'un détenu devra purger pour répondre aux impératifs de rétribution et de dissuasion avant de pouvoir prétendre à la libération conditionnelle en vertu de l'article 14 de la loi sur les prisons, ainsi que la création d'une commission de la libération conditionnelle indépendante, qui serait chargée d'évaluer le risque pour le public une fois purgée la partie pertinente de la peine et qui serait habilitée à ordonner la libération conditionnelle d'un détenu lorsque les éléments donneraient à penser que le niveau de risque est acceptable. Les dispositions du projet de loi indiqueraient en détail la procédure que la commission devra suivre et les droits dont les détenus jouiront en la matière. Le Gouvernement souligne néanmoins que s'il envisage une réforme du régime actuel, cela n'implique pas qu'il admette que les droits du requérant au titre de la Convention ont été méconnus.
93.  Quant au second grief du requérant, le Gouvernement estime que si l'arrêt Hadjisavvas et l'abrogation ultérieure du règlement ont eu pour effet de mettre fin à l'espoir nourri par le requérant qu'il serait libéré le 2 novembre 2002, la fin de cet espoir n'atteint pas le degré de gravité requis pour qu'il puisse y avoir un constat de violation de l'article 3, d'autant que, lorsqu'elle a condamné le requérant, la cour d'assises de Limassol a expressément retenu l'opinion exprimée par la cour d'assises de Nicosie dans l'arrêt The Republic of Cyprus v. Yiouroukkis, où cette juridiction s'était interrogée sur la conformité du règlement à la Constitution chypriote et à l'article 11 de la loi sur la discipline pénitentiaire. La cour d'assises de Limassol a écarté la possibilité d'un cumul des peines et conclu que la réclusion à perpétuité signifiait l'emprisonnement pour le reste de l'existence de l'accusé. D'ailleurs, le requérant était lui aussi présent à l'audience où la peine fut prononcée. Ses espoirs de libération ont donc dû être sensiblement tempérés par cet arrêt, malgré le formulaire administratif qui allait lui être remis peu après, lors de son incarcération.
94.  De surcroît, si le requérant avait consulté son avocat immédiatement après le prononcé de la peine, son défenseur lui aurait sans aucun doute dit qu'il ne pouvait escompter être automatiquement libéré au bout de quinze ans de détention, ni même au bout de vingt ans. Du reste, trois ans et demi après la condamnation du requérant, la Cour suprême a prononcé son arrêt dans l'affaire Hadjisavvas par lequel elle a tranché définitivement la question. La position en droit interne serait donc tout à fait claire depuis les quatorze dernières années. On ne pourrait en conséquence conclure que le requérant se trouve constamment dans l'incertitude depuis sa condamnation.
B.  L'appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
95.  L'article 3 de la Convention consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances ou les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV. Pour tomber sous le coup de cet article, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé de la victime, etc. (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 162).
96.  La Cour a toujours souligné que la souffrance et l'humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes. Les mesures privatives de liberté s'accompagnent ordinairement de pareilles souffrance et humiliation. L'article 3 de la Convention impose à l'Etat de veiller à ce que tout prisonnier soit détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI).
97.  Le prononcé d'une peine d'emprisonnement perpétuel à l'encontre d'un délinquant adulte n'est pas en soi prohibé par l'article 3 ou toute autre disposition de la Convention et ne se heurte pas à celle-ci (voir, notamment, parmi maints précédents, Kotälla c. Pays-Bas, no 7994/77, décision de la Commission du 6 mai 1978, Décisions et rapports (DR) 14, p. 238 ; Bamber c. Royaume-Uni, no 13183/87, décision de la Commission du 14 décembre 1988, et Sawoniuk c. Royaume-Uni (déc.), no 63716/00, CEDH 2001-VI). Parallèlement, la Cour a néanmoins estimé qu'infliger à un adulte une peine perpétuelle incompressible pouvait soulever une question sous l'angle de l'article 3 (voir, entre autres, Nivette c. France (déc.), no 44190/98, CEDH 2001-VII ; Einhorn, précitée ; Stanford c. Royaume-Uni (déc.), no 73299/01, 12 décembre 2002, et Wynne c. Royaume-Uni (déc.), no 67385/01, 22 mai 2003).
98.  Pour déterminer si dans un cas donné une peine perpétuelle peut passer pour incompressible, la Cour recherche si l'on peut dire qu'un détenu condamné à perpétuité a des chances d'être libéré. L'analyse de la jurisprudence de la Cour sur ce point révèle que là où le droit national offre la possibilité de revoir la peine perpétuelle dans le but de la commuer, de la suspendre ou d'y mettre fin ou encore de libérer le détenu sous condition, il est satisfait aux exigences de l'article 3. C'est ainsi que dans un certain nombre d'affaires, la Cour a estimé que s'il est possible d'examiner la question de la détention afin d'envisager la libération conditionnelle une fois purgée la période de sûreté de la peine, on ne peut dire que les détenus condamnés à perpétuité ont été privés de tout espoir d'élargissement (voir, par exemple, Stanford précitée ; Hill c. Royaume-Uni (déc.), no 19365/02, 18 mars 2003, et Wynne, précitée). La Cour a conclu qu'il en était ainsi même en l'absence d'une période minimale de détention sans condition et même lorsque la possibilité d'une libération conditionnelle des détenus purgeant une peine perpétuelle est limitée (voir, par exemple, Einhorn, précitée, §§ 27 et 28). Il s'ensuit qu'une peine perpétuelle ne devient pas « incompressible » par le seul fait qu'elle risque en pratique d'être purgée dans son intégralité. Il suffit aux fins de l'article 3 qu'elle soit de jure et de facto compressible.
99.  Dès lors, bien que la Convention ne confère pas de manière générale un droit à être libéré sous condition ni celui de voir réexaminer sa peine par les autorités internes, judiciaires ou administratives en vue d'une remise ou d'une interruption définitive de celle-ci (voir, entre autres, Kotälla et Bamber, toutes deux précitées, et Treholt c. Norvège, no 14610/89, décision de la Commission du 9 juillet 1991, DR 71, p. 168), il ressort clairement de la jurisprudence pertinente que l'existence d'un dispositif permettant d'envisager la question de la libération conditionnelle est un facteur à prendre en compte pour apprécier la compatibilité d'une peine perpétuelle avec l'article 3. A ce propos, la Cour relève toutefois que le choix que fait l'Etat d'un régime de justice pénale, y compris le réexamen de la peine et les modalités de libération, échappe en principe au contrôle européen exercé par elle, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention (voir, mutatis mutandis, Achour c. France [GC], no 67335/01, § 51, CEDH 2006-IV).
2.  Application de ces principes en l'espèce
100.  En l'espèce, la Cour recherchera si, dans les circonstances de la cause, la peine de réclusion à perpétuité à laquelle il a été condamné a ôté au requérant toute perspective de libération.
101.  Pour se prononcer, la Cour prendra en considération les normes communément admises dans les Etats membres du Conseil de l'Europe en matière de politique pénale, en particulier en ce qui concerne le réexamen de la peine et les modalités d'élargissement (Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 49, § 102, et V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 72, CEDH 1999-IX). Elle tiendra aussi compte de la préoccupation croissante, exprimée dans plusieurs textes du Conseil de l'Europe, relativement au traitement des condamnés purgeant de longues peines d'emprisonnement, en particulier des peines perpétuelles (paragraphes 68-73 ci-dessus).
102.  La Cour relève d'emblée qu'à Chypre le crime d'assassinat est réprimé par la peine obligatoire de la réclusion à perpétuité (paragraphes 31-33 ci-dessus) qui, selon le code pénal et ainsi que l'ont confirmé les juridictions internes, s'entend de l'emprisonnement pour le reste de la vie du condamné. Elle observe en outre que le droit chypriote ne prévoit pas de période de sûreté pour un condamné à perpétuité ni la possibilité d'une remise de peine pour bonne conduite et assiduité au travail. Toutefois, un aménagement de cette peine peut intervenir à tout moment quelle que soit la période déjà passée en prison. En particulier, en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution tel qu'il s'applique depuis 1963, le Président de la République peut, sur recommandation de l'Attorney-General, suspendre, remettre ou commuer toute peine infligée par un tribunal (paragraphes 36 et 37 ci-dessus). Donc à tout moment il peut commuer une peine perpétuelle en une autre peine, de durée plus brève, puis remettre celle-ci, offrant ainsi la possibilité d'une libération immédiate. En outre, l'article 14 de la loi de 1996 sur les prisons prévoit la libération conditionnelle des détenus, y compris des détenus à perpétuité (paragraphe 59 ci-dessus). Conformément à cette disposition et sous réserve de celles de la Constitution, le Président peut à tout moment, avec l'assentiment de l'Attorney-General, ordonner par décret la libération conditionnelle d'un détenu.
103.  Certes, il ressort des dispositions évoquées ci-dessus que les détenus purgeant une peine perpétuelle à Chypre ont des perspectives limitées d'élargissement, tout aménagement de la peine relevant exclusivement du pouvoir discrétionnaire du Président sous réserve de l'assentiment de l'Attorney-General. Par ailleurs, comme le reconnaît le Gouvernement, à l'heure actuelle la procédure présente certaines lacunes (paragraphe 91 ci-dessus). La Cour n'en estime pas pour autant qu'à Chypre les peines perpétuelles soient incompressibles, sans aucune possibilité de libération ; au contraire, il apparaît clairement qu'elles sont de jure et de facto compressibles. A ce propos, il ressort des observations des parties que des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité ont été élargis en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution. En particulier, neuf ont été libérés en 1993 et deux autres en 1997 et en 2005 respectivement (paragraphes 52 et 90 ci-dessus et paragraphe 158 ci-dessous). A l'exception de l'un d'eux, tous ces détenus purgeaient des peines perpétuelles obligatoires. De plus, un condamné à la réclusion à perpétuité peut obtenir le bénéfice des dispositions pertinentes à tout moment sans avoir à purger une période de sûreté. On ne peut donc dire que le requérant n'avait aucune possibilité de libération et il n'a pas produit d'élément qui puisse justifier pareille conclusion.
104.  Dans son argumentation, le requérant accorde beaucoup de poids à l'absence d'un dispositif de libération conditionnelle à Chypre. La Cour rappelle toutefois que les questions se rapportant aux politiques de libération conditionnelle, y compris les modalités de leur mise en œuvre, relèvent des prérogatives des Etats membres dans le domaine de la justice et de la politique pénales (voir, mutatis mutandis, Achour c. France, précité, § 44). Il faut noter à ce propos qu'à l'heure actuelle aucune norme claire et communément admise ne se dégage au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe pour ce qui est des peines perpétuelles et, notamment, leur réexamen et leur aménagement. On ne peut pas davantage discerner de tendance nette en ce qui concerne un dispositif de libération anticipée et les procédures mises en œuvre en la matière.
105.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le requérant ne peut prétendre qu'il est privé de toute perspective de libération ni que son maintien en détention, fût-ce pour une longue durée, est en soi constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant. Elle a néanmoins conscience des lacunes de la procédure existante (voir le paragraphe 91 ci-dessus) et prend acte des mesures que l'Etat a adoptées récemment en vue d'introduire des réformes.
106.  Par ailleurs, pour ce qui est du second grief du requérant, la Cour considère que, même si le changement de la législation applicable et l'anéantissement des espérances de libération nourries par l'intéressé n'ont pas manqué de causer à celui-ci une certaine angoisse, les sentiments ainsi provoqués n'ont pas dans les circonstances atteint le degré de gravité voulu pour tomber sous le coup de l'article 3. Si l'on songe à la chronologie des événements et en particulier au laps de temps qui s'est écoulé entre eux, on ne peut dire que le requérant pouvait légitimement concevoir l'espoir sincère d'être libéré en novembre 2002. La Cour note à ce propos que, outre la décision sans ambiguïté prononcée par la cour d'assises en 1989, les modifications qui ont été apportées au droit interne sont intervenues sur une période de quelque quatre ans, de 1992 à 1996, soit environ six ans avant la date de libération que les autorités pénitentiaires avaient indiquée au requérant. En conséquence, si espoir il y a eu de la part de celui-ci de bénéficier d'une libération anticipée, il a sans aucun doute diminué puisque les changements du droit interne ont fait apparaître clairement que l'intéressé purgerait la peine perpétuelle que lui avait infligée la cour d'assises.
107.  Certes, une peine perpétuelle comme celle prononcée à l'encontre du requérant et purgée par lui sans indication d'une période de sûreté engendre par la force des choses une angoisse et une incertitude tenant à la vie carcérale, mais ce sont là des sentiments inhérents à la nature de la peine infligée et, compte tenu des perspectives d'élargissement que ménage le système en vigueur, ils ne permettent pas de conclure à un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3.
108.  La Cour conclut dès lors qu'il n'y a pas violation de cette disposition.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
109.  Le requérant considère que son maintien en détention depuis le 2 novembre 2002 méconnaît l'article 5 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a)  s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
A.  Les thèses défendues par les parties
1.  Le requérant
110.  Le requérant soutient que lorsque la cour d'assises de Limassol l'a condamné à la peine obligatoire de « réclusion criminelle à perpétuité », par « réclusion criminelle à perpétuité » il fallait entendre, conformément au règlement pénitentiaire applicable à l'époque, une détention pour une durée de vingt ans. La cour d'assises connaissait cette définition ; elle n'a pourtant pas réexaminé la question et n'a pas déclaré le règlement inconstitutionnel, ou du moins inapplicable au cas du requérant. Elle a simplement prononcé la peine. Le requérant purgea ensuite sa peine, mais ne fut pas libéré à l'expiration de celle-ci, le 2 novembre 2002. Il soutient qu'à cette date, il avait purgé l'élément punitif de la peine qui lui avait été infligée pour assassinat et que, dès lors, sa détention est devenue arbitraire ou disproportionnée au regard des objectifs que cette peine poursuivait.
111.  Le requérant trouve difficile de comprendre la logique ou la justification du prolongement de sa détention, d'autant qu'aucun élément n'indique qu'il serait mentalement instable et dangereux pour le public (l'intéressé invoque, entre autres, Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, §§ 28-49 et 62-83, CEDH 2002-IV).
2.  Le Gouvernement
112.  Le Gouvernement considère que le maintien du requérant en détention au-delà du 2 novembre 2002 se concilie avec l'article 5 § 1 a) de la Convention. L'intéressé purge une peine de réclusion perpétuelle obligatoire, qui lui a été infligée par une décision judiciaire du 10 mars 1989, en application de l'article 203 du code pénal, une fois rendu le verdict de culpabilité. Depuis la condamnation du requérant, sa détention aurait toujours été autorisée par la peine de réclusion à perpétuité prescrite par le code pénal et prononcée par la cour d'assises de Limassol. Le lien de causalité avec la peine initiale ne se trouverait donc pas rompu. Le Gouvernement souligne à ce propos que cette peine – perpétuelle obligatoire – n'a pas été imposée en fonction de facteurs tenant à la dangerosité du criminel propres à évoluer à la longue ; la peine de réclusion à perpétuité n'est pas non plus scindée en une période de détention à caractère punitif (« tariff ») et une période de détention supplémentaire, aux fins de la protection du public, fondée sur le risque que présente le détenu.
113.  L'arrêt rendu par la Cour suprême dans l'affaire Politis v. the Republic of Cyprus (paragraphe 35 ci-dessus) montrerait bien que la Constitution prévoit un régime spécial pour certaines catégories de crimes, notamment l'assassinat, compte tenu de leur gravité et de leurs répercussions sur le bien-être de la société. Ce qui serait indépendant du fait qu'un condamné à perpétuité peut, en pratique, être libéré en vertu de la Constitution ou de la loi de 1996 sur les prisons. De la même manière, dans l'arrêt Hadjisavvas, la Cour suprême a dit que le législateur n'assimilait pas la peine de réclusion à perpétuité à une peine d'une durée indéterminée, ni lorsqu'elle est infligée comme mesure de sanction obligatoire en application de l'article 203 § 2 du code pénal ni lorsqu'il s'agit d'une mesure discrétionnaire prise au titre de l'article 23 du même code.
114.  Pour cette raison, le Gouvernement estime que la situation à Chypre est comparable à celle examinée par la Cour dans l'affaire Wynne c. Royaume-Uni (arrêt du 18 juillet 1994, série A no 294-A), où la Cour a constaté qu'une peine perpétuelle obligatoire était infligée automatiquement pour sanctionner le crime d'assassinat, indépendamment de toute considération tenant à la dangerosité du délinquant. Les changements intervenus dans le droit interne anglais à la suite de cette affaire n'ont pas de parallèle à Chypre où il n'existe pas d'équivalent de l'exercice de fixation d'une période de sûreté (« tariff »).
115.  Le Gouvernement considère enfin que le règlement n'a aucune pertinence quant à la régularité du maintien du requérant en détention ; en effet, avant qu'il ne puisse produire ses effets pour permettre la libération anticipée du requérant en novembre 2002, il a été abrogé par la loi de 1996 sur les prisons.
B.  L'appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
116.  La Cour rappelle qu'en matière de « régularité » d'une détention, la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure. Ce terme impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi ; il la veut compatible avec la prééminence du droit, notion inhérente à l'ensemble des articles de la Convention (voir, entre autres, Stafford c. Royaume-Uni [GC], précité, et Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 850-851, § 50). A cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu'il peut falloir, par delà les apparences et le vocabulaire employé, s'attacher à cerner la réalité (arrêt Van Droogenbroeck c. Belgique du 24 juin 1982, série A no 50, pp. 20-21, § 38). De surcroît, toute privation de liberté doit être conforme au but de l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire (voir, parmi beaucoup d'autres, Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33, pp. 17-18,19-20, §§ 39 et 45, et Amuur c. France, précité, pp. 850-851, § 50).
117.  La « régularité » voulue par la Convention présuppose le respect non seulement du droit interne, mais aussi – l'article 18 le confirme – du but de la privation de liberté autorisée par l'alinéa a) de l'article 5 § 1 (Bozano c. France, arrêt du 18 décembre 1986, série A no 111, p. 23, § 54, et Weeks c. Royaume-Uni, arrêt du 2 mars 1987, série A no 114, p. 23, § 42). Toutefois, la préposition « après » n'implique pas, dans ce contexte, « un simple ordre chronologique de succession entre « condamnation » et « détention » : la seconde doit en outre résulter de la première, se produire « à la suite et par suite » – ou « en vertu » – « de celle-ci ». En bref, il doit exister entre elles un lien de causalité suffisant (Van Droogenbroeck, précité, pp. 19 et 21, §§ 35 et 39, et Weeks, précité, p. 23, § 42).
2.  Application de ces principes en l'espèce
118.  La Cour ne doute nullement, et les parties en sont d'accord, que le requérant a été condamné, au terme d'une procédure prévue par la loi, par un tribunal compétent au sens de l'article 5 § 1 a) de la Convention. D'ailleurs, l'intéressé ne conteste pas la légalité de sa détention jusqu'au 2 novembre 2002. La question à trancher est plutôt de savoir si la détention postérieure à cette date est conforme à la peine perpétuelle obligatoire initialement imposée.
119.  La Cour relève que le requérant a été reconnu coupable d'assassinat par la cour d'assises de Limassol le 9 mars 1989 et s'est vu infliger le lendemain par cette même cour la peine obligatoire de réclusion à perpétuité en application de l'article 203 § 2 du code pénal. Pareille peine est systématiquement infligée en vertu de ce code pour réprimer l'infraction d'assassinat, indépendamment de toute considération se rapportant à la dangerosité du délinquant. Lorsqu'elle a prononcé cette peine perpétuelle, la cour d'assises de Limassol a dit clairement que le requérant avait été condamné à la réclusion à perpétuité pour le reste de sa vie, comme le prévoit le code pénal, et non pour une durée de vingt ans (paragraphes 14 et 15 ci-dessus).
120.  Dès lors, le fait que, se fondant sur le règlement pénitentiaire en vigueur à l'époque, les autorités pénitentiaires aient par la suite indiqué au requérant une date de libération conditionnelle ne saurait avoir et n'a aucune incidence sur la peine de réclusion à perpétuité prononcée par la cour d'assises de Limassol ni entacher d'illégalité la détention de l'intéressé postérieurement à la date ainsi indiquée. Selon la Cour, il existe un lien de causalité clair et suffisant entre la condamnation et le maintien du requérant en détention conformément au verdict de culpabilité et à la peine perpétuelle obligatoire qu'un tribunal compétent a prononcés contre lui, dans le respect des exigences de la Convention et d'une manière dénuée d'arbitraire.
121.  Au vu des faits de la cause, la Cour a la conviction que le maintien du requérant en détention au-delà du 2 novembre 2002 se justifie au regard de l'article 5 § 1 a) de la Convention. Il n'y a donc pas violation de l'article 5 § 1.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
122.  Dans ses observations devant la Grande Chambre, le requérant a soulevé un grief complémentaire, à savoir que le caractère obligatoire de la peine perpétuelle combiné à l'absence d'un dispositif de libération conditionnelle à Chypre emportait violation de l'article 5 § 4 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
123.  Le Gouvernement considère que la peine régulièrement prononcée contre le requérant étant la détention perpétuelle, cette détention ne pose aucune question nouvelle de légalité qui commande un examen par un tribunal indépendant. Selon lui, la détention est légale et les conditions de l'article 5 § 4 de la Convention se trouvent englobées dans la peine initiale prononcée par la cour d'assises de Limassol.
124.  La Cour note que ce grief a été soulevé pour la première fois dans le mémoire du requérant devant la Grande Chambre. En conséquence, il n'est pas visé par la décision de recevabilité du 11 avril 2006 qui délimite le cadre à l'intérieur duquel doit se placer la Cour (voir, entre autres, Brogan et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 29 novembre 1988, série A no 145-B, p. 27, §§ 46-47, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 162, CEDH 2004-II, et Draon c. France [GC], no 1513/03, § 117, 6 octobre 2005). Il s'ensuit que ce grief sort du champ d'examen de l'affaire telle qu'elle a été déférée à la Grande Chambre.
IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
125.  Selon le requérant, la prolongation imprévisible de la durée de sa détention par suite de l'abrogation du règlement et, de plus, l'application rétroactive des nouvelles dispositions législatives, enfreignent l'article 7 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :
« 1.  Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2.  Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
A.  Les thèses défendues par les parties
1.  Le requérant
126.  Lorsque la cour d'assises l'a condamné, le 10 mars 1989, à la peine perpétuelle obligatoire, d'après le règlement pénitentiaire applicable à l'époque une « peine perpétuelle » revenait, selon le requérant, à une détention pour une période de vingt ans. En raison de l'abrogation du règlement, de la modification des dispositions législatives pertinentes et de l'application rétroactive des dispositions ainsi modifiées, d'une part, l'intéressé doit subir une prolongation imprévisible de la durée de sa détention, qui est passée d'une peine définie de vingt ans à une durée indéterminée pour le reste de son existence, sans aucune perspective de remise de peine, et, d'autre part, les conditions de sa détention ont été modifiées. Dès lors, une peine plus forte que celle applicable à l'époque où il avait commis l'infraction pour laquelle il a été condamné lui aurait été infligée. Il y aurait donc violation de l'article 7.
127.  Le requérant soutient que le Gouvernement ne peut prétendre que la peine prononcée était supérieure à vingt ans. Si l'on avait appliqué le règlement, l'intéressé aurait fini de purger sa peine en 2002. Il ressort clairement des faits que l'intéressé croyait que sa peine expirerait cette année-là. Se fondant sur le formulaire que les autorités pénitentiaires lui avaient remis et sur la date de libération indiquée par elles, il n'avait pas interjeté appel contre la peine. D'ailleurs, les autorités pénitentiaires comme les services de l'Attorney-General le savaient. La prolongation de sa peine après l'abrogation du règlement n'était prévisible ni au moment où l'infraction avait été commise ni au moment du prononcé de la peine. Celle-ci aurait été prolongée rétroactivement pour passer d'une période définie de vingt ans à une période indéterminée sans perspective de libération.
128.  Enfin, pour le requérant, l'exemption prévue au second paragraphe de l'article 7 de la Convention ne s'applique pas en l'espèce.
2.  Le Gouvernement
129.  Le Gouvernement relève que l'article 7 ne concerne pas les changements intervenus dans les modalités d'exécution d'une peine prononcée par une juridiction, par opposition aux changements visant la peine proprement dite prévue pour l'infraction elle-même. Il invoque à ce propos la décision Hogben c. Royaume-Uni, précitée, l'arrêt Grava c. Italie (no 43522/98, § 51, 10 juillet 2003) et la décision Uttley c. Royaume-Uni (no 36946/03, 29 novembre 2005).
130.  L'article 203 § 2 du code pénal, imposant la peine obligatoire de réclusion à perpétuité pour assassinat, était la seule disposition de fond en droit interne prescrivant la peine applicable que les tribunaux devaient prononcer pour ce type d'infraction. Le règlement ne contenait quant à lui aucune disposition de fond définissant la peine dont l'assassinat était punissable. Il s'agissait d'une législation secondaire, adoptée en application et aux fins de la loi sur la discipline pénitentiaire, et ce texte concernait uniquement les modalités d'exécution de la peine. Ce règlement avait été adopté en application non pas du code pénal, mais des articles 4 et 9 de la loi sur la discipline pénitentiaire qui, comme son intitulé l'indique, concernait la discipline en prison. Ni l'article 4 ni l'article 9 n'autorisaient à indiquer par la voie réglementaire les peines susceptibles d'être prononcées par les tribunaux.
131.  La définition donnée à l'article 2, telle qu'insérée dans le règlement de 1987, selon laquelle « la réclusion à perpétuité s'entend[ait] d'une peine de réclusion de vingt ans », et les dispositions de l'article 93 (tel que modifié par le règlement de 1987) prévoyant qu'un condamné à perpétuité pouvait obtenir une remise de peine pour bonne conduite et assiduité au travail, étaient des règles régissant l'exécution de la peine de réclusion à perpétuité prononcée par la cour d'assises.
132.  Le Gouvernement fait remarquer que les juridictions chypriotes ont reconnu le bien-fondé de cette analyse. Tout d'abord, la cour d'assises de Limassol, lorsqu'elle a condamné le requérant en mars 1989, s'est interrogée sur la constitutionnalité du règlement, mais a jugé que, même dans l'hypothèse où il aurait été valide, ce texte ne pouvait être pris en compte pour le prononcé de la peine et la cour d'assises ne pouvait infliger trois peines cumulatives de réclusion à perpétuité. La cour d'assises a estimé que « par réclusion à perpétuité il fa[llait] entendre l'emprisonnement pour le reste de la vie du condamné ». D'après la Constitution, une législation secondaire n'y pouvait rien changer. Aucun appel n'a été interjeté contre cette décision en 1989. De plus, lorsque le requérant a fait appel devant la Cour suprême en 2004, à la suite du rejet de son recours d'habeas corpus formé auprès de celle-ci, elle a estimé que le règlement alors en vigueur n'altérait nullement le fait que, d'après la loi, l'intéressé s'était vu infliger une peine d'emprisonnement pour le reste de son existence.
133.  Le Gouvernement soutient que la Cour suprême a correctement interprété les effets juridiques du règlement. La peine dont l'infraction, au sens de l'article 7 de la Convention, est punissable, a toujours été la peine obligatoire de la réclusion à perpétuité, conformément à l'article 203 § 2 du code pénal. Un changement législatif qui conduit un détenu à purger une partie de sa peine initiale plus lourde que celle qu'il aurait eu à purger à l'époque où il avait commis l'infraction n'emporte pas violation de l'article 7. Considérée du point de vue du détenu, la position est indubitablement plus sévère, mais cela ne modifie en rien le fait que la « peine applicable » aux fins de l'article 7 est demeurée tout le long la peine prévue par le droit interne pertinent.
134.  Si l'argument du requérant était juste, cela impliquerait qu'un changement rétroactif de la législation secondaire ou, d'ailleurs, tout changement de la pratique administrative d'un Etat membre du Conseil de l'Europe qui différerait la date à laquelle un détenu peut prétendre à une libération anticipée par rapport à la peine d'emprisonnement, à durée déterminée ou indéterminée, qu'un tribunal aurait régulièrement prononcée, méconnaîtrait l'article 7. Il s'agirait là d'un important revirement de la jurisprudence relative à la Convention.
135.  Pour toutes ces raisons, le Gouvernement considère qu'on ne peut dire que l'abrogation du règlement ait abouti à allonger rétroactivement la peine de réclusion à perpétuité applicable au moment où le requérant a commis les assassinats en question et prononcée contre l'intéressé par la cour d'assises de Limassol pour sanctionner ces infractions.
136.  Enfin, le Gouvernement note que si la Cour devait conclure que, au moment où le requérant a commis les infractions, le règlement avait pour effet en droit interne de limiter à vingt ans la durée maximale de la peine dont l'infraction était punissable (et ne régissait pas les modalités d'exécution d'une peine de réclusion à perpétuité), alors l'abrogation de ce règlement équivaudrait à allonger rétroactivement cette durée maximale. Il faudrait dans cette hypothèse aussi rechercher si la peine maximale prévue par le règlement était de quinze ou de vingt ans. Si elle était de vingt ans, le requérant n'aurait pu prétendre à sa libération conformément aux exigences de l'article 7 qu'en juillet 2007. Le règlement précise que la période maximale qu'un détenu condamné à perpétuité peut être tenu de purger est de vingt ans, et la première date possible de libération se situe au moment où l'intéressé a déjà purgé quinze ans de sa peine. Même si la pratique administrative consiste à déduire ces cinq ans dès le début de la peine, de façon que la première date possible de libération soit définie, cette pratique n'est exigée ni par le règlement ni par un texte d'habilitation. Une pratique administrative comme celle-là ne peut, selon le Gouvernement, constituer une restriction matérielle à la durée maximale de la peine infligée par la cour d'assises. Le Gouvernement souligne toutefois que ce n'est pas ainsi qu'il faut interpréter le droit interne et considère que la Cour doit suivre et faire sienne l'interprétation qu'en a donnée la Cour suprême.
B.  L'appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
137.  La garantie que consacre l'article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l'atteste le fait que l'article 15 n'y autorise aucune dérogation en temps de guerre ou autre danger public. Ainsi qu'il découle de son objet et de son but, on doit l'interpréter et l'appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (S.W. et C.R. c. Royaume-Uni, arrêts du 22 novembre 1995, série A nos 335-B et C, pp. 41-42, § 35, et pp. 68 et 69, § 33, respectivement).
138.  Il consacre donc, de manière générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) (Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 22, § 52). S'il interdit en particulier d'étendre le champ d'application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, par exemple par analogie (Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII, et Achour c. France, précité, § 41).
139.  Lorsqu'il parle de « loi », l'article 7 vise exactement la même notion que celle à laquelle renvoient d'autres dispositions de la Convention employant ce terme, notion qui comprend le droit écrit aussi bien que la jurisprudence (voir, mutatis mutandis, Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), arrêt du 26 avril 1979, série A no 30, p. 30, § 47, Kruslin c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A no 176-A, p. 21, § 29, et Casado Coca c. Espagne, arrêt du 24 février 1994, série A no 285-A, p. 18, § 43). La Cour a toujours entendu le terme « loi » dans son acception « matérielle » et non « formelle » ; elle y a inclus aussi bien des textes de rang infralégislatif que des textes réglementaires et le droit non écrit (voir, en particulier, mutatis mutandis, l'arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique du 18 juin 1971, série A no 12, p. 45, § 93). En résumé, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l'ont interprété (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 88, CEDH 2005-XI).
140.  En outre, la notion de « droit » (« law ») implique des conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de prévisibilité (voir, notamment, Cantoni c. France, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1627, § 29, Coëme et autres, précité, § 145, et E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 février 2002). Ces conditions qualitatives doivent être remplies tant pour la définition d'une infraction que pour la peine que celle-ci implique (Achour c. France, précité, § 41). Le justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l'aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine sera prononcée pour l'acte commis et/ou l'omission (voir, parmi d'autres, Cantoni c. France, précité, p. 1627, § 29). De surcroît, la prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (voir, entre autres, Cantoni, précité, p. 1629, § 35, et Achour, précité, § 54).
141.  La Cour reconnaît dans sa jurisprudence que, aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s'accompagne parfois d'une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s'adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l'interprétation et l'application dépendent de la pratique (voir, mutatis mutandis, les arrêts précités Sunday Times (no 1) p. 31, § 49, et Kokkinakis, p. 19, § 40). La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l'interprétation des normes (voir, mutatis mutandis, Cantoni, précité). On ne saurait interpréter l'article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire à l'autre, « à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible » (S.W. c. Royaume-Uni, précité, § 36, et Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, § 50, CEDH 2001-II).
142.  La notion de « peine » à l'article 7 possède, comme celles de « droits et obligations de caractère civil » et d'« accusation en matière pénale » à l'article 6 § 1 de la Convention, une portée autonome. Pour rendre effective la protection offerte par l'article 7, la Cour doit demeurer libre d'aller au-delà des apparences et d'apprécier elle-même si une mesure particulière s'analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (Welch c. Royaume-Uni, arrêt du 9 février 1995, série A no 307-A, p. 13, § 27, et Jamil c. France, arrêt du 8 juin 1995, série A no 317-B, p. 27, § 30). Le libellé de l'article 7 § 1, seconde phrase, indique que le point de départ d'où elle peut déterminer si une « peine » a été prononcée, consiste à savoir si la mesure en question a été imposée à la suite d'une condamnation pour une « infraction pénale ». D'autres éléments peuvent être jugés pertinents à cet égard : la nature et le but de la mesure en cause, sa qualification en droit interne, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Welch, précité, p. 13, § 28, et Jamil, précité, pp. 27-28, § 31). A cette fin, dans leur jurisprudence la Commission comme la Cour ont établi une distinction entre une mesure constituant en substance une « peine » et une mesure relative à l'« exécution » ou à l'« application » de la « peine ». En conséquence, lorsque la nature et le but d'une mesure concernent la remise d'une peine ou un changement dans le système de libération conditionnelle, cette mesure ne fait pas partie intégrante de la « peine » au sens de l'article 7 (voir, entre autres, Hogben, précitée, Hosein c. Royaume-Uni, no 26293/95, décision de la Commission du 28 février 1996, Grava, précité, § 51, et Uttley, précitée). Cependant, la distinction entre les deux n'est peut-être pas toujours nette en pratique.
2.  Application de ces principes en l'espèce
143.  La Cour relève d'emblée que les parties sont d'accord pour dire qu'à l'époque où le requérant fut poursuivi puis condamné, l'infraction d'assassinat était réprimée en vertu de l'article 203 § 2 du code pénal par la peine obligatoire de réclusion à perpétuité et que l'intéressé a été condamné en application de cette disposition. La reconnaissance de culpabilité et la peine du requérant avaient donc pour base légale le droit pénal applicable à l'époque des faits et la peine correspondait à celle que prévoyaient les dispositions pertinentes du code pénal.
144.  L'argumentation des parties porte pour l'essentiel sur le sens à donner à l'expression de « réclusion à perpétuité ». Pour sa part, le requérant soutient qu'à l'époque où il a commis les infractions dont il a été reconnu coupable, la réclusion à perpétuité équivalait à un emprisonnement pour une durée de vingt ans. L'abrogation ultérieure du règlement pénitentiaire et l'application rétroactive de la nouvelle loi de 1996 sur les prisons auraient à la fois allongé de manière imprévisible la durée de son emprisonnement pour la porter à une durée indéterminée pour le restant de sa vie et modifié les conditions de sa détention. Le Gouvernement soutient quant à lui que l'article 203 § 2 du code pénal était et est toujours la seule disposition matérielle du droit interne prévoyant que la peine devant être imposée par les tribunaux pour assassinat sera la réclusion à perpétuité. C'est la peine que la cour d'assises de Limassol a infligée au requérant. Le règlement pénitentiaire concernerait l'exécution de la peine perpétuelle prononcée, c'est-à-dire l'examen de la possibilité d'une remise de peine pour bonne conduite et assiduité au travail.
145.  La Cour est donc appelée à rechercher en l'espèce ce que la « peine » de réclusion à perpétuité impliquait réellement en droit interne à l'époque considérée. Elle doit en particulier se demander si le texte de la loi, combiné à la jurisprudence interprétative dont il s'accompagnait, remplissait les conditions d'accessibilité et de prévisibilité. Ce faisant, elle doit avoir égard au droit interne dans son ensemble et à la manière dont il était appliqué à cette époque.
146.  Certes, lorsque le requérant commit l'infraction, le code pénal prévoyait clairement la peine de réclusion à perpétuité en cas d'assassinat, mais il est également clair qu'à ce moment-là tant les autorités exécutives que les autorités administratives partaient du principe que cette peine équivalait à vingt ans d'emprisonnement (paragraphe 65 ci-dessus). Les autorités pénitentiaires appliquaient le règlement pénitentiaire, édicté en vertu de la loi sur la discipline pénitentiaire (loi no 286), d'après lequel tous les détenus, y compris les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité, pouvaient prétendre à une remise de peine pour bonne conduite et assiduité au travail. A cette fin, l'article 2 du règlement précisait que « réclusion à perpétuité » signifiait vingt ans d'emprisonnement (paragraphe 42 ci-dessus). Comme l'admet le Gouvernement, les autorités exécutives comme administratives, dont les services pénitentiaires, estimaient alors qu'il fallait entendre par là qu'une personne condamnée à la réclusion à perpétuité purgerait au maximum vingt ans d'emprisonnement (paragraphe 65 ci-dessus). Les autorités pénitentiaires envisageaient donc la remise de la peine perpétuelle des détenus sur cette base de vingt ans d'emprisonnement. Cette manière de voir ressort aussi de la lettre que l'Attorney-General de la République de l'époque adressa alors au Président (paragraphe 53 ci-dessus).
147.  Le 5 février 1988, dans son arrêt de condamnation dans l'affaire The Republic of Cyprus v. Andreas Costa Aristodemou, alias Yiouroukkis, la cour d'assises de Nicosie a clairement dit que la peine de « réclusion à perpétuité » prévue par le code pénal équivalait à un emprisonnement pour le restant de l'existence du condamné et non pour vingt ans. Par la suite, lorsqu'elle a prononcé la peine du requérant le 10 mars 1989, la cour d'assises de Limassol s'est appuyée sur les conclusions de la cour d'assises de Nicosie dans l'affaire précitée. Elle a donc condamné le requérant à la « réclusion à perpétuité » pour le reste de sa vie. Malgré cela, lorsque l'intéressé fut incarcéré pour purger sa peine, les autorités pénitentiaires lui remirent une note écrite indiquant une date de libération conditionnelle, la remise de la peine perpétuelle ayant été envisagée à partir de l'hypothèse que cette peine s'entendait de l'emprisonnement pour une durée de vingt ans. C'est seulement le 9 octobre 1992, avec l'affaire Hadjisavvas v. the Republic of Cyprus (paragraphes 19 et 50 ci-dessus), que la Cour suprême déclara que le règlement était inconstitutionnel et constituait un excès de pouvoir (paragraphes 50-51 ci-dessus). Ce texte fut finalement abrogé le 3 mai 1996.
148.  Eu égard à ce qui précède, même si la Cour admet l'argument du Gouvernement selon lequel le but du règlement se rapportait à l'exécution de la peine, il est clair que, concrètement, la manière dont ce texte a été compris et appliqué à l'époque des faits allait au-delà. La distinction entre la portée d'une peine perpétuelle et les modalités de son exécution n'apparaissait donc pas d'emblée. Les premiers éclaircissements d'une juridiction interne à ce sujet ont été donnés dans l'affaire Yiouroukkis, après que le requérant eut commis l'infraction qui a débouché sur les poursuites à son encontre puis sur sa condamnation. La Cour relève en outre que dans l'affaire Yiouroukkis comme dans celle du requérant, l'accusation était encline à dire qu'une peine de réclusion à perpétuité se limitait à une durée de vingt ans (paragraphes 15 et 47 ci-dessus).
149.  D'un autre côté, la Cour ne peut suivre le requérant lorsqu'il soutient qu'une peine plus forte lui a été imposée rétroactivement puisque, compte tenu des dispositions matérielles du code pénal, on ne saurait dire qu'à l'époque des faits, la peine de réclusion à perpétuité pouvait assurément s'entendre comme une peine de vingt ans d'emprisonnement.
150.  La Cour estime dès lors que ne se trouve nullement en cause en l'espèce l'imposition rétroactive d'une peine plus forte, mais qu'on doit s'interroger sur la « qualité de la loi ». En particulier, elle considère qu'à l'époque où le requérant a commis l'infraction, le droit chypriote pertinent pris dans son ensemble n'était pas formulé avec suffisamment de précision pour permettre au requérant de discerner, à un degré raisonnable dans les circonstances, fût-ce en s'entourant au besoin de conseils éclairés, la portée de la peine de réclusion à perpétuité et les modalités de son exécution. Il y a donc eu violation de l'article 7 de la Convention à cet égard.
151.  Toutefois, pour ce qui est du fait que, le droit pénitentiaire ayant été modifié (paragraphe 58 ci-dessus), le requérant, condamné à la réclusion à perpétuité, ne peut plus prétendre à une remise de peine, la Cour relève que cette question se rapporte à l'exécution de la peine et non à la « peine » imposée à l'intéressé, laquelle demeure celle de l'emprisonnement à vie. Même si le changement apporté à la législation pénitentiaire et aux conditions de libération ont pu rendre l'emprisonnement du requérant en effet plus rigoureux, on ne peut y voir une mesure imposant une « peine » plus forte que celle infligée par la juridiction de jugement (Hogben et Hosein, toutes deux précitées). La Cour rappelle à ce propos que les questions relatives à l'existence, aux modalités d'exécution ainsi qu'aux justifications d'un régime de libération relèvent du pouvoir qu'ont les Etats membres de décider de leur politique criminelle (Achour, précité, § 44). Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 7 de la Convention à cet égard.
152.  En conclusion, la Cour estime qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Convention en ce qui concerne la qualité de la loi applicable à l'époque des faits. Elle dit, par ailleurs, qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition pour ce qui est des griefs du requérant se rapportant à l'imposition rétroactive d'une peine plus forte que celle infligée initialement et aux changements des textes pénitentiaires excluant pour tous les condamnés à la réclusion à perpétuité la possibilité d'une remise de peine.
V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
153.  Le requérant allègue enfin faire l'objet d'un traitement discriminatoire tant par rapport aux détenus condamnés à perpétuité que par rapport aux autres détenus. Il dénonce une violation de l'article 14 de la Convention combiné avec les articles 3, 5 et 7. L'article 14 est ainsi libellé :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
A.  Les thèses défendues par les parties
1.  Le requérant
154.  Le requérant soutient que la plupart des autres détenus condamnés à une peine perpétuelle ont été libérés au bout de vingt ans d'emprisonnement. Il relève à ce propos que, alors que ces détenus ont été libérés une fois leurs peines commuées par le Président de la République en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution, il fait l'objet, pour des raisons qui lui sont inconnues, d'un traitement discriminatoire et est maintenu en prison. D'ailleurs, outre les neuf détenus libérés en 1993, quatre autres détenus purgeant une peine de réclusion à perpétuité ont été libérés entre 1997 et 2005 au titre de l'article 53 § 4. Du fait de cette discrimination, le requérant est devenu le plus ancien détenu des maisons centrales.
155.  Enfin, l'intéressé considère que, par suite des amendements à la législation pertinente, en tant que détenu condamné à perpétuité, il ne peut, d'après l'article 12 § 1 de la loi de 1996 sur les prisons, bénéficier d'aucune remise de peine.
2. Le Gouvernement
156.  Le Gouvernement reconnaît que le requérant est traité différemment des neuf détenus condamnés à perpétuité qui ont été libérés en 1993 après que le Président de la République eut commué leurs peines en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution. Il considère toutefois que cette différence de traitement n'est pas contraire à l'article 14 de la Convention. En particulier, le requérant aurait été traité différemment de ces neuf détenus en raison non pas d'une caractéristique personnelle quelconque, mais de la nature de l'arrêt de la cour d'assises l'ayant condamné. La cour d'assises a traité expressément de l'interprétation à donner aux termes de « réclusion criminelle à perpétuité » et de la constitutionnalité du règlement. Les neuf autres détenus avaient tous été condamnés avant l'arrêt dans l'affaire Yiouroukkis, la première où aient été soulevées ces questions d'interprétation de la réclusion à perpétuité et de la validité du règlement. Il ressortirait clairement des lettres adressées au Président par l'Attorney-General au sujet de ces neuf détenus qu'ils ont été libérés au motif qu'on leur avait précisé que leurs peines seraient de vingt ans de réclusion. Contrairement à ce que soutient le requérant, les juridictions de jugement n'avaient pas fait d'observations venant tempérer cette information.
157.  En outre, ces neuf autres détenus avaient tous quasiment atteint la fin de la période qu'ils auraient été tenus de purger en application du règlement lorsque la Cour suprême a rendu son arrêt dans l'affaire Hadjisavvas. Ils pouvaient tous prétendre à leur libération en vertu du règlement soit en 1993 soit en 1994 et, à la différence du requérant, ils avaient purgé presque l'intégralité de leur peine, étant bien entendu qu'ils seraient automatiquement élargis conformément au règlement. Dans ces conditions, le Président, agissant sur recommandation de l'Attorney-General, a décidé qu'il y avait lieu, pour motifs humanitaires, de leur accorder une libération anticipée en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution. Les mêmes considérations ne s'appliquaient pas au requérant. Le Gouvernement soutient en conséquence qu'en exigeant de celui-ci qu'il purge jusqu'à son terme sa peine de réclusion à perpétuité (sans que le règlement vienne produire le moindre effet), et donc en le traitant différemment des neuf détenus susmentionnés, l'Etat poursuit manifestement l'objectif légitime d'ordre pénal consistant à exiger que l'intéressé purge la totalité de la peine prévue par le code pénal et prononcée par les juridictions internes. Le Gouvernement fait remarquer à ce propos que M. Yiouroukkis, condamné à perpétuité, est traité exactement de la même manière et strictement pour les mêmes motifs que le requérant ; il est donc lui aussi toujours en train de purger sa peine perpétuelle.
158.  Le Gouvernement précise enfin que depuis 1993, seuls deux condamnés à perpétuité, et non quatre comme le dit le requérant, ont été libérés en vertu de l'article 53 § 4 de la Constitution. Les deux autres cas mentionnés par l'intéressé ne concernent pas des détenus condamnés à la réclusion à perpétuité.
B.  L'appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
159.  La Cour rappelle que l'article 14 de la Convention n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour la jouissance des droits et libertés garantis par les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Cependant, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome (voir, par exemple, Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 40, CEDH 2000-IV). Une mesure conforme en elle-même aux exigences de l'article consacrant le droit ou la liberté en question peut toutefois enfreindre cet article, combiné avec l'article 14, pour le motif qu'elle revêt un caractère discriminatoire (voir, par exemple, Affaire linguistique belge (fond), arrêt du 23 juillet 1968, série A no 6, pp. 33-34, § 9). Pour que l'article 14 trouve à s'appliquer, il suffit donc que les faits du litige tombent sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (voir, par exemple, Thlimmenos, précité, § 40, et Karlheinz Schmidt c. Allemagne, arrêt du 18 juillet 1994, série A no 291-B, p. 32, § 22).
160.  En outre, l'article 14 de la Convention n'interdit pas toute distinction de traitement dans l'exercice des droits et libertés reconnus par la Convention. Il protège les individus placés dans des situations analogues ou comparables en la matière considérée contre des différences discriminatoires ayant pour base ou pour motif une caractéristique personnelle par laquelle une personne ou un groupe de personnes se distinguent les uns des autres (Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, arrêt du 7 décembre 1976, série A no 23, § 56, et Thlimmenos, précité, §§ 40-49).
161.  D'après la jurisprudence de la Cour, une différence de traitement est discriminatoire, au sens de l'article 14 de la Convention, si elle ne trouve « aucune justification objective et raisonnable ». En d'autres termes, la notion de discrimination englobe d'ordinaire les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu'un autre, même si la Convention ne requiert pas le traitement plus favorable (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, arrêt du 28 mai 1985, série A no 94, p. 39, § 82). En effet, l'article 14 n'empêche pas une distinction de traitement si elle repose sur une appréciation objective de circonstances de fait essentiellement différentes et si, s'inspirant de l'intérêt public, elle ménage un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis par la Convention (voir, parmi d'autres, G.M.B. et K.M. c. Suisse (déc.), no 36797/97, 27 septembre 2001). Les Etats contractants jouissent d'une certaine marge d'appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d'autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Gaygusuz c. Autriche, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1966-IV, p. 1142, § 42). L'étendue de la marge d'appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (Rasmussen c. Danemark, arrêt du 28 novembre 1984, série A no 87, p. 15, § 40, et Inze c. Autriche, arrêt du 28 octobre 1987, série A no 126, p. 18, § 41), mais c'est à la Cour qu'il incombe en dernier ressort de se prononcer sur le respect de la Convention (Willis c. Royaume-Uni, no 36042/97, § 39, CEDH 2002-IV).
2.  Application de ces principes en l'espèce
162.  La Cour note ici que le requérant allègue un traitement discriminatoire en raison de la distinction opérée, premièrement, entre lui et les autres condamnés à une peine perpétuelle qui ont été libérés depuis 1993 et, deuxièmement, entre lui, condamné à une peine perpétuelle, et d'autres détenus au regard de l'article 12 § 1 de la loi de 1996 sur les prisons.
163.  En ce qui concerne le premier grief du requérant, la Cour relève que les condamnés à une peine perpétuelle dont il est question ont tous été libérés parce que le Président de la République avait commué leur peine puis la leur avait remise dans l'exercice de l'ample prérogative que lui confère l'article 53 § 4 de la Constitution, pouvoir discrétionnaire qu'il exerce au cas par cas. En particulier, les neuf condamnés à la réclusion à perpétuité qui, comme le requérant, s'étaient vu infliger leur peine alors que le règlement pénitentiaire était applicable et auxquels les autorités pénitentiaires avaient indiqué une date de libération, n'ont pas été libérés sur la base du règlement ou de leur peine, mais par le Président dans l'exercice des pouvoirs discrétionnaires dont la Constitution l'investit. De plus, comme le souligne le Gouvernement, dans le cas du requérant la cour d'assises de Limassol a expressément indiqué comment il fallait entendre la peine de réclusion à perpétuité et elle a condamné l'intéressé à l'emprisonnement pour le reste de son existence.
164.  Vu ce qui précède, et compte tenu en particulier du grand nombre d'éléments – telles la nature de l'infraction et la confiance du public dans le système de justice pénale – que le Président prend en considération dans l'exercice de ses pouvoirs discrétionnaires (paragraphe 87 ci-dessus), la Cour ne saurait conclure que l'exercice de cette prérogative soulève une question sur le terrain de l'article 14.
165.  Pour ce qui est du second grief du requérant, la Cour estime que, eu égard à la nature de la peine de réclusion à perpétuité, l'intéressé ne peut prétendre se trouver dans une situation analogue ou comparable en la matière à celle d'autres détenus qui ne purgent pas des peines perpétuelles.
166.  La Cour conclut dès lors qu'il n'y a pas violation de l'article 14 de la Convention combiné avec les articles 3, 5 et 7.
VI.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
167.  L'article 41 de la Convention énonce :
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
168.  Le requérant ne sollicite aucune réparation pour dommage matériel. Il estime qu'un constat de violation en ce qui concerne ses griefs puis sa libération constitueraient une satisfaction suffisante. Par ailleurs, il sollicite une réparation pour dommage moral, mais ne précise aucune somme et s'en remet à la sagesse de la Cour. Il soutient à ce propos connaître une vive souffrance morale et éprouver des sentiments d'incertitude, de crainte et d'angoisse à cause de son maintien abusif en détention et de la perspective de mourir en prison. Il invite la Cour, lorsqu'elle évaluera le montant à lui allouer à ce titre, à tenir compte, entre autres, des raisons qu'il avait d'espérer sa libération vu le formulaire que lui avaient remis les autorités pénitentiaires, ainsi que de l'allongement de sa peine sans qu'il ait commis aucune faute et du fait que tout son vécu pourrait être assimilé au sentiment qu'éprouve une personne détenue dans le « couloir de la mort ».
169.  Le Gouvernement considère que dans le cas où la Cour conclurait à une violation en ce qui concerne le premier grief du requérant sur le terrain de l'article 3, ce constat constituerait une satisfaction équitable suffisante. Il souligne à ce propos que même si le droit interne avait été différent, par exemple si c'était une commission de la libération conditionnelle indépendante qui examinait la possibilité de libérer le requérant, pareille procédure n'aurait pas nécessairement débouché sur la libération du requérant à un moment ou un autre. Si la Cour devait conclure à la violation de la Convention relativement à l'un quelconque des autres griefs du requérant, le Gouvernement admet qu'il pourrait y avoir lieu, selon la nature précise des constats de la Cour, d'accorder à l'intéressé pour dommage moral une somme que la Cour devrait fixer en équité une fois qu'elle aurait examiné tous les aspects de la cause.
170.  Eu égard à l'ensemble des circonstances, la Cour estime qu'un constat de violation de l'article 7 de la Convention représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement subi par le requérant.
B.  Frais et dépens
171.  Le requérant sollicite 7 645,25 livres chypriotes (CYP), taxe de 15 % sur la valeur ajoutée comprise, pour les frais et dépens exposés dans la procédure interne concernant son recours d'habeas corpus. Il demande en outre 20 933,35 CYP, taxe de 15 % sur la valeur ajoutée comprise, pour les frais engagés dans la procédure devant la Cour. Ce montant tient compte des 715 euros (EUR) versés par le Conseil de l'Europe par la voie de l'assistance judiciaire pour la procédure devant la chambre. Le requérant a produit des états de frais ventilés par rubrique.
172.  La demande afférente à la procédure interne concerne cinquante et une heures de travail effectuées par son avocat, au taux de 125 CYP l'heure, et des débours qui comprennent essentiellement les frais de communication.
173.  La demande pour les frais et dépens afférents à la procédure devant la Cour se décompose ainsi :
a)  8 075 CYP, plus la taxe sur la valeur ajoutée, pour les honoraires et frais d'avocat se rapportant à la préparation des observations devant la chambre et la Grande Chambre, pour les réunions et la correspondance. Cette somme représente cinquante-six heures, treize facturées au taux horaire de 125 CYP et les autres au taux horaire de 150 CYP ;
b)  468 CYP, plus la taxe sur la valeur ajoutée, pour les débours comprenant essentiellement les frais de communication (fax, téléphone, courrier), les photocopies et l'achat d'ouvrages qui traitent des questions soulevées par l'affaire ;
c)  9 150 CYP, plus la taxe sur la valeur ajoutée, pour les frais et honoraires afférents au travail accompli par l'avocat du requérant pour la préparation de la procédure devant la Grande Chambre et la comparution des représentants de l'intéressé à l'audience devant celle-ci ; et
d)  863 CYP, plus la taxe sur la valeur ajoutée, pour les frais et honoraires exposés pour la préparation, par l'avocat du requérant, après l'audience devant la Grande Chambre, de la réponse aux observations du Gouvernement du 23 janvier 2007.
174.  Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.
175.  En ce qui concerne la procédure devant les juridictions internes, la Cour rappelle que, en cas de constat de violation de la Convention, elle peut allouer au requérant les frais et dépens engagés devant les juridictions internes « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci la violation » (voir, par exemple, Hertel c. Suisse, arrêt du 25 août 1998, Recueil 1998-VI, p. 2334, § 63, et Carabasse c. France, no 59765/00, § 68, 18 janvier 2005). En l'espèce, l'affaire devant la Cour suprême ayant essentiellement eu pour but de faire remédier aux violations de la Convention que le requérant allègue devant elle, la Cour peut prendre en compte ces frais pour apprécier la demande.
176.  Pour ce qui est des frais et dépens engagés pour la procédure de Strasbourg, la Cour rappelle que, d'après sa jurisprudence constante, leur allocation au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002, et Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
177.  La Cour a constaté une violation de l'article 7 de la Convention. Elle note en outre que les questions dont la Grande Chambre a eu à connaître étaient nombreuses et complexes et que la préparation de l'affaire a représenté beaucoup de travail.
178.  Elle n'en estime pas moins excessif le montant total sollicité pour honoraires.
179.  Eu égard aux circonstances de la cause, la Cour alloue au requérant, pour tous les frais exposés dans le cadre de la procédure interne et de l'instance sur le terrain de la Convention, un total de 16 000,16 EUR, moins les sommes (2 535,16 EUR) déjà perçues par la voie de l'assistance judiciaire, soit 13 465 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt.
C.  Intérêts moratoires
180.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1.  Dit, par dix voix contre sept, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention ;
2.  Dit, par seize voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 5 § 1 de la Convention ;
3.  Dit, à l'unanimité, que le grief tiré de l'article 5 § 4 de la Convention sort du champ d'examen de l'affaire ;
4.  Dit,
a)  par quinze voix contre deux, qu'il y a eu violation de l'article 7 de la Convention pour ce qui est de la qualité de la loi applicable au moment des faits ;
b)  par seize voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de cette disposition en ce qui concerne les griefs du requérant relatifs à l'imposition rétroactive d'une peine plus forte que la peine initiale et aux changements apportés au droit pénitentiaire excluant les condamnés à une peine perpétuelle du bénéfice d'une remise de peine ;
5.  Dit, par seize voix contre une, qu'il n'y a pas eu violation de l'article 14 de la Convention ;
6.  Dit, à l'unanimité, que le constat d'une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement subi par le requérant ;
7.  Dit, à l'unanimité,
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 13 465 EUR (treize mille quatre cent soixante-cinq euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 12 février 2008.
Michael O'Boyle Jean-Paul Costa   Greffier adjoint Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions suivantes :
a)  opinion concordante du juge Bratza ;
b)  opinion partiellement dissidente des juges Tulkens, Cabral Barreto, Fura-Sandström, Spielmann et Jebens ;
c)  opinion partiellement dissidente du juge Loucaides à laquelle se rallie la juge Jočienė ;
d)  opinion partiellement dissidente du juge Borrego Borrego.
J.-P. C.  M.O'B.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE BRATZA
(Traduction)
Je partage les conclusions de la Grande Chambre sur tous les aspects de la cause et me bornerai à ajouter quelques remarques personnelles quant au grief tiré de l'article 3 de la Convention en raison de l'importance de la question soulevée.
Je crois le moment venu pour la Cour de dire clairement que le prononcé d'une peine perpétuelle incompressible, même si c'est à l'encontre d'un délinquant adulte, est en principe incompatible avec l'article 3 de la Convention. La Cour a expliqué de diverses manières ce qu'est une peine « incompressible » ; il s'agit d'une peine pour la durée de l'existence du délinquant sans « possibilité » ou « espoir » ou « perspective » de libération. Comme la Cour le relève dans le présent arrêt, une peine perpétuelle n'est pas « incompressible » par le seul fait que la possibilité d'une libération anticipée est limitée ni parce que, en pratique, la peine sera peut-être purgée dans son intégralité.
En l'espèce, comme la majorité de la Cour, je ne puis conclure que le requérant n'avait aucune « perspective » ou aucun « espoir » de libération, compte tenu des pouvoirs de suspendre, remettre ou commuer une peine perpétuelle et d'octroyer une libération conditionnelle que la loi chypriote prévoit actuellement à Chypre et dont l'arrêt fait état.
Certes, l'exercice de ces pouvoirs, dont celui de libérer sous condition un détenu condamné à la réclusion perpétuelle en vertu de la loi de 1996 sur les prisons telle que modifiée, relève de l'appréciation du président de la République, après recommandation ou avec l'assentiment de l'Attorney General, et l'exercice de ce pouvoir d'appréciation est à l'heure qu'il est insusceptible de recours devant un organe indépendant, judiciaire ou autre. Il est vrai également qu'aucune garantie procédurale ne régit l'exercice de ce pouvoir d'appréciation : en particulier, aucun critère publié ne préside à cet exercice et l'Attorney General n'a aucune obligation de publier son avis ou de motiver le rejet par lui d'une demande de libération anticipée.
Pourtant, selon moi, on ne peut dire que l'absence de pareil contrôle indépendant ou de garanties procédurales prive le requérant, détenu condamné à la réclusion à perpétuité, de tout « espoir » ou de toute « perspective » de libération, dans le sens où la Cour a précédemment interprété et appliqué ces termes. Eu égard à la manière dont les pouvoirs sont exercés en pratique à Chypre (voir le paragraphe 52 de l'arrêt), je ne puis non plus admettre l'idée de la minorité que, faute d'un contrôle indépendant ou de garanties procédurales, toute possibilité de libération qui existerait en République de Chypre ne serait ni « réelle ni  
concrète » et qu'en conséquence la peine perpétuelle à laquelle le requérant a été condamné lui fait subir un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3.
Par contre, l'absence de tout contrôle et de toute garantie accompagnant le pouvoir d'appréciation dont l'exécutif dispose pour libérer sous condition un détenu condamné à l'emprisonnement à vie n'est pas nécessairement sans incidence au regard de la Convention. Toutefois, cette incidence éventuelle se rapporte à mes yeux non pas à l'article 3 de la Convention, mais à l'article 5 § 4, qui énonce que toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit « d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».
Dans l'affaire Stafford (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46215/99, CEDH 2002-IV), la Cour avait à connaître du maintien en détention d'un détenu condamné à la peine perpétuelle obligatoire au Royaume-Uni après expiration du « tariff » représentant l'élément punitif de la peine perpétuelle. La Cour releva qu'après expiration de la période punitive, le maintien en détention était fonction d'éléments de dangerosité et de risque liés aux objectifs de la sentence infligée à l'origine pour meurtre. Selon la Cour, ces éléments pouvant évoluer au cours du temps, de nouvelles questions de légalité pouvaient se poser qui appelaient une décision d'un organe satisfaisant aux exigences de l'article 5 § 4, autrement dit d'un organe indépendant doté du pouvoir d'ordonner la libération au terme d'une procédure offrant les garanties judiciaires voulues, dont, par exemple, la possibilité de tenir une audience (voir les paragraphes 87 à 90 de cet arrêt).
Le système que la Cour a examiné alors ne trouve à ce jour aucun équivalent à Chypre puisque, lorsqu'il inflige une peine perpétuelle obligatoire, le juge du fond ne précise pas de période de sûreté représentant l'élément punitif ; la durée de la détention d'un condamné à la peine perpétuelle ne se répartit pas non plus théoriquement en une phase antérieure et en une phase postérieure à la période de sûreté. Néanmoins, même en l'absence d'un régime de période de sûreté, il me semble que le raisonnement tenu par la Cour dans l'affaire Stafford ne peut être dénué de pertinence pour un système comme celui de Chypre qui prévoit expressément le pouvoir de libérer un détenu sous condition, pouvoir dont on peut user même dans le cas d'un détenu condamné à la peine perpétuelle. Pour savoir s'il y a lieu d'autoriser la libération conditionnelle dans un cas donné, il faut à mon avis essentiellement rechercher si la période de détention déjà purgée satisfait à l'élément punitif nécessaire pour l'infraction en cause et, dans l'affirmative, si le détenu condamné à la peine perpétuelle présente toujours un danger pour la société. Comme la Cour le dit clairement dans l'arrêt Stafford, la réponse à ces deux questions doit en principe émaner d'un organe indépendant, selon des procédures offrant les garanties judiciaires nécessaires, et non d'un organe exécutif.
Au bout du compte, il n'est toutefois ni nécessaire ni opportun de trancher définitivement la question de savoir si l'absence d'un contrôle indépendant du maintien du requérant en détention ou de garanties procédurales suffisantes en cas de demande de libération conditionnelle soulèverait une question sous l'angle de l'article 5 § 4 de la Convention puisque, comme la Cour l'a constaté, le requérant a présenté son grief sur le terrain de cette disposition après la décision sur la recevabilité et que cette question n'a pas été pleinement argumentée devant la Cour.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TULKENS, CABRAL BARRETO,  FURA-SANDSTRÖM, SPIELMANN ET JEBENS
Nous ne partageons pas l'opinion de la majorité en ce qui concerne l'article 3 de la Convention et nous souhaitons en donner les raisons. La question qui est au cœur de cette affaire est celle de la compatibilité de la réclusion perpétuelle ou de la peine incompressible avec l'article 3 de la Convention. Dans le contexte actuel, il s'agit d'une question essentielle eu égard à la tendance observée, dans de nombreux pays européens, à l'allongement des peines privatives de liberté.
1.  D'emblée, il faut rappeler le message clair que la Cour a donné, dans l'arrêt Selmouni c. France du 28 juillet 1999, quant à l'interprétation de l'article 3 de la Convention, une disposition fondamentale dans l'économie de la Convention : « (...) le niveau d'exigence croissant en matière de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l'appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » (paragraphe 101).
2.  Comme l'observe à juste titre la majorité, il importe de rechercher d'abord si la peine de réclusion à perpétuité à laquelle le requérant a été condamné lui a ôté toute perspective de libération (paragraphe 100 de l'arrêt), ce qui équivaut dans les faits à un emprisonnement pour le reste de la vie du condamné (paragraphe 102 de l'arrêt).
Dans le système en vigueur à Chypre, la seule perspective de libération pour un condamné à une peine perpétuelle est entre les mains du Président de la République qui dispose du pouvoir discrétionnaire, sous réserve de l'assentiment de l'Attorney-General, de remettre, de commuer ou de suspendre les peines (article 53 § 4 de la Constitution). En outre, l'article 14 de la loi du 3 mai 1996 sur les prisons (tel que modifié par la loi du 12 janvier 1997) a étendu à la libération conditionnelle les prérogatives constitutionnelles du Président. S'il existe donc théoriquement une perspective de libération pour les détenus purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité, celle-ci est en fait extrêmement limitée. Certes, le fait que les possibilités d'élargissement soient restreintes ne suffit pas à lui seul pour qu'il y ait un constat de violation de l'article 3 de la Convention (Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, §§ 27 et 28, CEDH 2001-XI). Toutefois, la possibilité d'une libération, même limitée, doit de facto exister concrètement afin, notamment, de ne pas aggraver l'incertitude et le désarroi inhérents à une peine perpétuelle. Par « de facto », nous entendons une possibilité réelle de libération. Or, tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce.
3.  Même si l'on peut admettre que des actes de grâce ou de clémence relèvent en général de la prérogative du pouvoir exécutif, à partir du moment où ceux-ci englobent tous les types de réexamen de la peine et les modalités de la libération, une question se pose également sur le terrain de l'article 3 s'il n'existe pas de garanties adéquates contre l'arbitraire. Bien que le choix par un Etat d'un système de justice pénale, dont font partie le réexamen de la peine et les modalités de libération, échappe en principe au contrôle européen exercé par la Cour, encore faut-il que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention (voir, mutatis mutandis, Achour c. France [GC], no 67335/01, § 51, CEDH 2006-IV). L'Etat ne jouit pas d'un pouvoir illimité dans le domaine de la justice pénale.
Or, le Gouvernement le reconnaît expressément : la procédure suivie à l'heure actuelle à Chypre présente plusieurs lacunes (paragraphe 91 de l'arrêt) et des propositions de réformes législatives étaient attendues dans le courant de l'année 2007 (paragraphe 92). En particulier, il n'existe aucune obligation de communiquer au détenu l'avis de l'Attorney-General concernant sa demande de libération anticipée ni, pour le Président de la République, en cas de refus de pareille demande, de motiver sa décision. Le Président n'a d'ailleurs pas pour pratique de le faire. En outre, il n'existe ni procédures ni critères formels régissant l'application des dispositions dont il s'agit. En conséquence, un détenu condamné à la réclusion à perpétuité ignore les critères appliqués et les raisons du rejet de sa demande. Enfin, le refus d'ordonner la libération anticipée n'est pas susceptible d'un contrôle juridictionnel. Cette absence de procédure équitable, cohérente et transparente accentue l'angoisse et le désarroi inhérents à une peine perpétuelle qui, dans le cas du requérant, se sont trouvés encore aggravés par l'incertitude qui caractérisait à l'époque la pratique en matière de réclusion à perpétuité.
A cet égard, nous accordons de l'importance aux garanties dont le Conseil de l'Europe, dans les différents instruments mentionnés dans l'arrêt, recommande d'entourer la libération conditionnelle (voir, en particulier, les paragraphes 69-72 de l'arrêt). C'est ce qui distingue d'ailleurs la présente affaire de celles dans lesquelles la Cour a estimé que les peines perpétuelles en cause se conciliaient avec l'article 3 car les systèmes de justice pénale dont elle avait à connaître offraient un certain nombre de garanties en matière de libération conditionnelle (voir, parmi d'autres, Stanford c. Royaume-Uni (déc.), no 73299/01, 12 décembre 2002 ; Sawoniuk c. Royaume-Uni, (déc.), no 63716/00, CEDH 2001-VI ; Einhorn c. France, précitée, §§ 20-21, 27 et 28 ; Hill c. Royaume-Uni (déc.), no 19365/02, 18 mars 2003 ; et Wynne c. Royaume-Uni (déc.), no 67385/01, 22 mai 2003).
4.  L'arrêt estime « qu'à l'heure actuelle, aucune norme claire et communément admise ne se dégage au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe pour ce qui est des peines perpétuelles et, notamment, leur réexamen et leur aménagement. On ne peut davantage discerner de tendance nette en ce qui concerne un dispositif de libération anticipée et les procédures mises en œuvre en la matière » (paragraphe 104 de l'arrêt).
Une telle appréciation ne nous paraît tout simplement pas compatible avec les textes pertinents du Conseil de l'Europe que l'arrêt ne manque pas de citer. Depuis plus de trente ans, le Comité des Ministres et l'Assemblée parlementaire se préoccupent inlassablement des questions relatives aux peines de longue durée et invitent expressément les Etats membres à « introduire la mesure de libération conditionnelle dans leur législation si celle-ci ne la prévoit pas encore » (Recommandation (2003) 22 du 23 septembre 2003 du Comité des Ministres concernant la libération conditionnelle). La Recommandation reconnaît d'ailleurs que la libération conditionnelle – qui n'est pas une forme d'indulgence ou d'allégement de la répression mais un mode d'exécution de la peine – « est une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus ». Les Règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres le 11 janvier 2006 (Recommandation (2006)2), qui traduisent le consensus européen actuel en ce domaine, évoquent également la question de la libération des détenus condamnés : « Concernant plus spécialement les détenus condamnés à des peines de plus longue durée, des mesures doivent être prises pour leur assurer un retour progressif à la vie en milieu libre » (107.2). Tout récemment encore, dans une intervention du 12 novembre 2007, le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe estime, de manière ferme, que « l'usage des peines de réclusion à perpétuité doit être soumis à un réexamen critique ». Il précise que, si un détenu se voit refuser la libération jusqu'à la fin de sa vie, cela équivaudra pour lui – de facto – à une réclusion à perpétuité.
La même tendance s'observe au niveau de l'Union européenne. Ainsi, la décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 13 juin 2002 prévoit l'exécution dans tout Etat membre d'une décision judiciaire émise par un autre Etat membre quant à l'arrestation et à la remise d'une personne aux fins d'une procédure pénale ou de l'exécution d'une peine privative de liberté mais, élément essentiel, elle subordonne cette obligation à des garanties à fournir par l'Etat et notamment celles-ci : « lorsque l'infraction qui est à la base du mandat d'arrêt européen est punie par une peine ou une mesure de sûreté privatives de liberté à caractère perpétuel, l'exécution dudit mandat peut être subordonnée à la condition que le système juridique de l'Etat membre d'émission prévoie des dispositions permettant une révision de la peine infligée – sur demande ou au plus tard après vingt ans – ou l'application de mesures de clémence auxquelles la personne peut prétendre en vertu du droit ou de la pratique de l'Etat membre d'émission en vue de la non-exécution de cette peine ou mesure (...) » (article 5 § 2).
Enfin, les développements les plus récents de la justice pénale internationale vont également dans le même sens. Une peine d'emprisonnement à perpétuité ne peut être prononcée contre une personne déclarée coupable de crime de génocide, de crime contre l'humanité, de crime de guerre ou de crime d'agression que « si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient » (article 77 § 1 b) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale). Le Statut précise aussi les conditions d'obtention de réductions de peine : « Lorsque la personne a purgé les deux tiers de sa peine ou accompli vingt-cinq années d'emprisonnement dans le cas d'une condamnation à perpétuité, la Cour réexamine la peine pour déterminer s'il y a lieu de la réduire » (article 110).
L'arrêt prend soin d'évoquer et de citer in extenso la majeure partie de ces textes qui, sur la scène européenne et universelle, ont contribué et contribuent encore à façonner un véritable droit des peines et des détenus dans les sociétés démocratiques avancées. Il n'en tire cependant aucune conséquence concrète, assumant ainsi le risque de provoquer une régression dans la protection des droits fondamentaux.
5.  Or, il est aujourd'hui communément admis non seulement au niveau international mais aussi au niveau interne, notamment dans de nombreux textes constitutionnels, que les peines, outre leur caractère punitif, doivent aussi favoriser la réintégration sociale des condamnés. Si la condamnation à perpétuité est prévue par le droit de la majorité des pays, celle-ci n'implique pas nécessairement une incarcération du condamné jusqu'à la fin de ses jours. La plupart des législations envisagent le réexamen des peines de prison à vie et prévoient la possibilité d'accorder une libération après un certain nombre d'années d'incarcération. A cet égard, on peut regretter que l'arrêt ne contienne pas de référence au droit comparé. Ainsi, par exemple, comme les débats parlementaires au Royaume-Uni relatifs au projet de loi sur l'abolition de la peine de mort en 1964 l'ont clairement montré, en règle générale « l'expérience prouve qu'une période d'une dizaine d'années correspond plus ou moins à la durée maximale qu'un être humain peut supporter derrière les barreaux sans que ne diminue progressivement sa capacité à réintégrer la société et à devenir un citoyen utile ». La Cour répète souvent, en ce qui concerne les détenus, que les souffrances ne doivent pas aller au-delà de celles que comportent inévitablement les exigences légitimes de la peine (Mouisel c. France, no 67263/01, arrêt du 14 novembre 2002, § 48, CEDH 2002-IX). Or, à partir du moment où il est admis que les « exigences légitimes de la peine » sont la réinsertion, on pourrait se demander si un emprisonnement qui met en péril cet objectif ne serait pas susceptible de constituer en lui-même un traitement inhumain et dégradant.
6.  Dans ces conditions, nous ne pouvons soutenir que la procédure actuellement en vigueur à Chypre donne au requérant une perspective réelle et concrète d'être libéré et nous concluons, dès lors, qu'il y a violation de l'article 3 de la Convention à cet égard. Sauf à ne pas vouloir regarder la réalité en face, une peine d'emprisonnement à perpétuité, sans espoir de libération, atteint le seuil de gravité requis par l'article 3 de la Convention et constitue un traitement inhumain et dégradant. Comme le juge Bratza l'exprime dans son opinion partiellement concordante, nous pensons aussi que « le moment est venu pour la Cour de dire clairement que le prononcé d'une peine perpétuelle incompressible, même si c'est à l'encontre de délinquants adultes, est en principe incompatible avec l'article 3 de la Convention ».
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE  DU JUGE LOUCAIDES À LAQUELLE SE RALLIE   LA JUGE JOČIENĖ
(Traduction)
Je marque mon accord avec l'arrêt de la Cour à l'exception du constat selon lequel il y a eu violation de l'article 7 de la Convention « en ce qui concerne la qualité de la loi applicable à l'époque des faits ». C'est la première fois que la notion de « qualité de la loi » est employée dans le cadre de l'article 7 de la Convention, référence étant faite plus particulièrement à la seconde phrase du premier paragraphe, ainsi libellé : « De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. »
Bien que je voie mal comment la « qualité de la loi » puisse s'inscrire come une exigence de la disposition précitée, je poursuivrai ma réflexion en me fondant sur l'approche de la majorité.
Lorsqu'elle constate la violation en question, la Cour dit dans le dispositif de l'arrêt qu'« il n'y a pas eu violation de cette disposition en ce qui concerne les griefs du requérant relatifs à l'imposition rétroactive d'une peine plus lourde que la peine initiale et aux changements apportés au droit pénitentiaire excluant les condamnés à une peine perpétuelle du bénéfice d'une remise de peine ».
En réalité, dans sa lettre comme dans son esprit, l'article 7 de la Convention tend à prévenir les abus de la part de l'Etat (par exemple, en réprimant une personne ex post facto pour des motifs postérieurs par le biais d'une infraction inventée à cette fin). Ainsi, l'article 7 est censé assurer « une protection effective contre les poursuites, les condamnations et sanctions arbitraires »1. Il a pour finalité et objectif fondamentaux d'interdire l'effet rétroactif de la législation pénale.
La Cour estime que, dans les circonstances de la cause, une peine plus forte n'a pas été infligée rétroactivement au requérant. On se serait attendu en principe à ce que les choses s'arrêtent là. Or la Cour poursuit en ces termes : « Ne se trouve nullement en cause en l'espèce l'imposition rétroactive d'une peine plus lourde, mais (...) on doit s'interroger sur la « qualité de la loi » ». En particulier, la Cour considère que « (...) à l'époque où le requérant a commis l'infraction, le droit chypriote pertinent pris dans son ensemble n'était pas formulé avec suffisamment de précision pour permettre au requérant de discerner, à un degré raisonnable dans les circonstances, fût-ce en s'entourant au besoin de conseils éclairés, la portée  
de la peine de réclusion à perpétuité et les modalités de son exécution. Il y a donc eu violation de l'article 7 de la Convention à cet égard » (paragraphe 150 de l'arrêt).
Ce constat se fonde sur le fait que, bien que la peine infligée au requérant par la cour d'assises fût celle clairement prévue par le code pénal pour l'infraction dont il s'agit (assassinat), à savoir la réclusion à perpétuité, « lorsque le requérant fut incarcéré pour purger sa peine, il reçut des autorités pénitentiaires une notification écrite indiquant que la date fixée pour sa libération était le 16 juillet 2002 » (paragraphe 16), ce qui signifiait qu'il purgerait seulement vingt ans d'emprisonnement. Cette peine de vingt ans reposait sur le règlement pénitentiaire concernant l'exécution d'une peine de réclusion à perpétuité prononcée par un tribunal. D'après la jurisprudence des organes de la Convention, il faut nettement distinguer entre la peine et son exécution, et cette distinction vaut pour l'article 7 de la Convention (Hogben c. Royaume-Uni, no 11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports 46, p. 231).
Dans l'affaire Grava c. Italie (no 43522/98, § 51, 10 juillet 2003), la Cour a dit :
« En outre, selon la Cour, il faut considérer que la « peine » au sens de l'article 7 § 1 est celle de quatre ans d'emprisonnement. La question de la remise de peine envisagée dans le décret présidentiel no 394/1990 concerne l'exécution de la peine et non la peine elle-même. En conséquence, on ne saurait dire que la « peine »infligée ait été plus forte que celle prévue par la loi (voir, mutatis mutandis, Hogben C. Royaume-Uni, no 11653/85, décision de la Commission du 3 mars 1986, Décisions et rapports 46, pp. 231 et 242, à propos de la libération conditionnelle). »
Dans la présente affaire, la Cour a admis la distinction entre la peine et son exécution. Elle a dit à ce propos :
« Toutefois, pour ce qui est du fait que, le droit pénitentiaire ayant été modifié (paragraphe 58 ci-dessus), le requérant, condamné à la réclusion à perpétuité, ne peut plus prétendre à une remise de peine, la Cour relève que cette question se rapporte à l'exécution de la peine et non à la « peine » imposée à l'intéressé, laquelle demeure celle de l'emprisonnement à vie. Même si le changement apporté à la législation pénitentiaire et aux conditions de libération ont pu rendre l'emprisonnement du requérant en effet plus rigoureux, on ne peut y voir une mesure imposant une « peine » plus lourde que celle infligée par la juridiction de jugement (Hogben et Hosein, toutes deux précitées). La Cour rappelle à cet égard que les questions relatives à l'existence, aux modalités d'exécution ainsi qu'aux justifications d'un régime de libération relèvent du pouvoir qu'ont les Etats membres de décider de leur politique criminelle (Achour c. France, [GC], no 67335/01, § 44, CEDH 2006-...). Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 7 de la Convention à cet égard. » (paragraphe 151 de l'arrêt)
La Cour a toutefois estimé aussi que « [l]a distinction entre la portée d'une peine perpétuelle et les modalités de son exécution n'apparaissait (...) pas d'emblée ». Le passage pertinent de l'arrêt est ainsi libellé :
« Eu égard à ce qui précède, même si la Cour admet l'argument du Gouvernement selon lequel le but du règlement se rapportait à l'exécution de la peine, il est clair que, concrètement, la manière dont ce texte a été compris et appliqué à l'époque des faits allait au-delà. La distinction entre la portée d'une peine perpétuelle et les modalités de son exécution n'apparaissait donc pas d'emblée. » (paragraphe 148)
J'ai le sentiment que la véritable raison qui a conduit la majorité à conclure à une violation de l'article 7 était en fait la confusion voire l'impression qui avaient pu naître dans l'esprit du requérant une fois que les autorités pénitentiaires eurent remis à celui-ci la notification que je viens de mentionner au moment de son incarcération après sa condamnation, notification selon laquelle, en vertu du règlement pénitentiaire, il allait purger vingt ans d'emprisonnement, même si cette confusion allait à l'encontre du code pénal et de l'arrêt de la cour qui avait condamné le requérant et avait prononcé à son encontre sans équivoque la peine de la réclusion à perpétuité. Ce que la Cour admet aussi dans le constat essentiel suivant :
« Cela dit, la Cour ne peut suivre le requérant lorsqu'il soutient qu'une peine plus lourde lui a été imposée rétroactivement puisque, compte tenu des dispositions matérielles du code pénal, on ne peut dire qu'à l'époque des faits, la peine de la réclusion à perpétuité pouvait assurément s'entendre comme une peine de vingt ans d'emprisonnement. » (paragraphe 149 ; italique ajouté)
Vient ensuite le constat d'une violation, libellé en ces termes :
« La Cour estime dès lors que ne se trouve nullement en cause en l'espèce l'imposition rétroactive d'une peine plus lourde, mais qu'on doit s'interroger sur la « qualité de la loi ». En particulier, elle considère qu'à l'époque où le requérant a commis l'infraction, le droit chypriote pertinent pris dans son ensemble n'était pas formulé avec suffisamment de précision pour permettre au requérant de discerner, à un degré raisonnable dans les circonstances, fût-ce en s'entourant au besoin de conseils éclairés, la portée de la peine de réclusion à perpétuité et les modalités de son exécution. Il y a donc eu violation de l'article 7 de la Convention à cet égard. » (paragraphe 150)
I.  La confusion ou une impression inexacte en ce qui concerne la peine nonobstant les dispositions claires du code pénal, même si pareil problème est dû aux autorités administratives, ne peut passer pour emporter violation de l'article 7 parce que cette disposition ne traite que de l'effet rétroactif d'une législation pénale (élément que la Cour a exclu en l'espèce) et ne traite nullement d'une confusion ou d'impressions erronées éventuelles des requérants en ce qui concerne leur peine. Ce n'est pas un problème qui relève de la Convention.
II.  Le critère de la « qualité de la loi » a été employé hors de son contexte habituel (il est en général associé à l'expression « prévu par la loi ») tel qu'établi par la jurisprudence de la Cour et il n'a en réalité pas de pertinence pour ce qui concerne les exigences de l'article 7 de la Convention, à propos desquelles la Cour a déjà conclu que « ne se trouve nullement en cause en l'espèce l'imposition rétroactive d'une peine plus lourde » puisque « compte tenu des dispositions matérielles du code pénal, on ne peut dire qu'à l'époque des faits, la peine de la réclusion à perpétuité pouvait assurément s'entendre comme une peine de vingt ans d'emprisonnement » (paragraphes 149 et 150 de l'arrêt ; italique ajouté). Dès lors, vu le code pénal, la peine était, dans sa portée et sa nature, suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application pour que tout risque d'arbitraire soit évité. Si la peine n'avait pas satisfait à ces conditions, alors il y aurait eu violation des dispositions matérielles de l'article 7. Mais, à juste titre, la Cour n'en a pas constaté en l'espèce.
Enfin, je tiens à exprimer ce que m'inspire le constat suivant de la Cour : « En particulier, [la Cour] considère qu'à l'époque où le requérant a commis l'infraction, le droit chypriote pertinent pris dans son ensemble n'était pas formulé avec suffisamment de précision pour permettre au requérant de discerner, à un degré raisonnable dans les circonstances, fût-ce en s'entourant au besoin de conseils éclairés, la portée de la peine de réclusion à perpétuité et les modalités de son exécution » (paragraphe 150 de l'arrêt ; italique ajouté).
Chaque système de droit présente une hiérarchie d'instruments ou de règles juridiques (en général : Constitution, conventions, lois, règlements, actes administratifs). On ne peut donc parler du « droit chypriote pris dans son ensemble » comme si les sources ou dispositions du droit chypriote avaient toutes le même effet juridique. Les normes de rang inférieur ne peuvent être incompatibles avec celles qui leur sont supérieures.
Il n'est donc pas approprié de parler de « droit chypriote » ni, du reste, du droit de n'importe quel pays, « pris dans son ensemble » en partant de la prémisse que tous les instruments juridiques sont de même rang et ont le même effet, qu'ils forment un « droit » uniforme, homogène et indivisible, et de continuer ensuite à l'apprécier « pris dans son ensemble » pour déterminer s'il était ou non formulé avec suffisamment de précision. Selon la matière – par exemple, droit constitutionnel ou droit pénal – la question de savoir si le « droit » était suffisamment précis doit être tranchée par rapport aux dispositions des lois spécifiques pertinentes se situant au même rang de la hiérarchie du droit. On ne peut combiner une loi avec des règlements ou actes administratifs et se prononcer à leur sujet sans vérifier si le règlement ou l'acte administratif se concilient ou non avec la loi. A mon sens, la majorité a donc versé dans l'erreur lorsqu'elle est parvenue à sa conclusion en s'appuyant sur « le droit chypriote (...) pris dans son ensemble ».
En outre, dans cette affaire particulière, l'élément pertinent et déterminant pour permettre à une personne de discerner la portée de la peine de réclusion à perpétuité, c'était le code pénal, en s'aidant des clauses d'interprétation de celui-ci et de la jurisprudence éventuelle s'y rapportant, et non un règlement subordonné de rang inférieur, des actes ou une pratique administratifs, a fortiori si l'intéressé disposait de conseils juridiques adéquats. De tels conseils auraient pu aisément lui faire comprendre que s'il y avait une incohérence entre le code pénal et tel ou tel règlement, c'était le code pénal qui prévalait. Des conseils juridiques appropriés auraient pu aussi mettre en évidence la différence entre la peine et son exécution et le fait que l'exécution, régie par les règlements, les actes ou la pratique administratifs, pouvait évoluer avec le temps si la politique de justice pénale des autorités compétentes de l'Etat venait à changer.
En conséquence, à supposer qu'avant de se lancer dans l'assassinat d'un homme et de ses deux enfants, le requérant avait demandé à un avocat quelle était la peine applicable au moment de la commission de l'infraction, il se serait entendu dire que le code pénal réprimait ce crime par la peine de réclusion à perpétuité, et s'il avait souhaité avoir davantage de précisions sur les modalités d'exécution de cette peine du point de vue du règlement ou de la pratique pénitentiaires, l'avocat aurait très bien pu lui indiquer que le règlement prévoyait une peine de vingt ans d'emprisonnement en cas de condamnation à la peine de réclusion à perpétuité mais que a) ce règlement pouvait changer à tout moment et laisser la peine de réclusion à perpétuité dans son intégralité comme la seule peine possible et que b) si ce règlement prêtait à confusion lorsqu'on le comparait avec le code pénal ou s'il « allait au-delà » de la simple exécution de la peine, il ne se conciliait pas avec le code et était donc privé d'effet juridique et pouvait être abrogé à tout moment.
J'ai été amené à m'étendre sur des questions que, en toute honnêteté, je ne trouvais pas très compliquées. Mais j'ai cru devoir le faire en raison de l'importance de l'affaire et de ses incidences possibles, en particulier sur des affaires à venir. Pour moi, l'approche de la majorité revient à étendre l'article 7 de la Convention d'une manière qui ne se justifie ni par la lettre ni par l'esprit de l'article.
Enfin, je tiens à préciser que, d'après moi, le constat de violation de l'article 7 de la Convention tel qu'il est formulé dans l'arrêt n'affecte en rien la légalité du maintien du requérant en détention. Je renvoie à ce propos au constat que fait la Cour au paragraphe 121 de l'arrêt en ce qui concerne l'article 5 § 1 de la Convention :
« Au vu des faits de la cause, la Cour a la conviction que le maintien du requérant en détention au-delà du 2 novembre 2002 se justifie au regard de l'article 5 § 1 a) de la Convention. Il n'y a donc pas violation de cette disposition. »
Pour les raisons qui précèdent, j'estime qu'il n'y a eu violation de l'article 7 sur aucun point.
OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE  DU JUGE BORREGO BORREGO
1.  Perplexité. Tour d'ivoire. Et regret. Je regrette beaucoup d'écrire cette opinion, car le récit des faits me laisse perplexe et le raisonnement de l'arrêt est très éloigné de la réalité, comme s'il avait été prononcé depuis une tour d'ivoire.
Récit des faits et perplexité
2.  L'origine de cette affaire est l'horrible assassinat, commis par un tueur à gages, d'un membre de la haute société chypriote ainsi que de ses deux enfants. Quelques jours après le meurtre, le tueur à gages fut arrêté par la police. Il est toujours en prison. Les faits eurent lieu il y a plus de vingt ans. La police n'a pas encore réussi à trouver la personne qui commandita cet assassinat et qui vraisemblablement est également membre de la haute société. Pour sa part, le détenu n'a jamais révélé le nom de cette personne.
3.  Les faits sont les faits et, en plus d'être têtus, ils sont sacrés. Parmi les faits décrits il y en a un qui apparaît par intermittence, un autre s'est égaré et un autre a disparu.
4.  Le fait intermittent. Il s'agit du caractère de meurtre commandité du crime pour lequel le requérant a été condamné.
La décision de la première section du 11 avril 2006, qui déclare la requête recevable, ne fait pas mention du caractère de meurtre commandité qui, par contre, apparaît dans le présent arrêt (paragraphe 12, une ligne et demie). Aucune autre mention dans le restant de l'arrêt. C'est-à-dire, le fait du meurtre commandité n'existe pas d'abord, ensuite il est mentionné très brièvement pour disparaître tout de suite. Je reste perplexe devant cette intermittence sur un fait absolument essentiel.
5.  Le fait égaré. Lorsqu'on décrit un procès criminel, on commence par le crime et seulement après ont lieu l'investigation, la détention, le procès, l'arrêt et les recours. Pas dans ce cas. Le meurtre et sa date, à l'origine de tous les faits postérieurs, sont ici égarés, au point qu'ils ne sont pas mentionnés.
Malgré le titre du chapitre, « Genèse de l'affaire », ce n'est pas le meurtre qui est cité au début du paragraphe 12 mais la date du verdict de culpabilité, le 9 mars 1989. Quelle est la cause de cet égarement d'un fait fondamental ? Je l'ignore, mais il me semble intéressant de lire (paragraphe 14) que l'arrêt condamnatoire du 10 mars 1989 « s'appuya principalement » sur un arrêt du 5 février 1988. Le requérant a été condamné en 1989 à la réclusion à perpétuité, et l'arrêt interprète « la réclusion à perpétuité »  
comme une réclusion « pour le reste de l'existence du condamné », sur la base de l'arrêt précité de 1988. On a oublié que le meurtre eut lieu en 1987 et le droit applicable à un acte criminel est, dans un Etat de droit, celui en vigueur au moment des faits.
Il n'existait en 1987, à Chypre, aucun précédent judiciaire où la réclusion à perpétuité fût interprétée comme imposant une privation de liberté jusqu'à la fin de la vie du condamné.
6.  Le fait disparu : en 1991 (la date exacte n'a pas été indiquée), la veuve et mère des victimes s'est rendue en prison afin de demander au requérant le nom de la personne qui avait commandité l'assassinat. Faute d'une réponse de la part du requérant, elle s'est adressée au Président de la République de Chypre et lui a demandé de s'entretenir avec le requérant. Le Président de la République de Chypre s'est rendu en prison en compagnie de l'Attorney-General. Le contenu de l'entretien diffère selon les parties : d'après le requérant, le Président, en échange du nom du commanditaire, lui aurait proposé sa libération ainsi qu'une somme d'argent et un poste de travail à l'étranger. Pour sa part, le Gouvernement (dans sa lettre du 23 janvier 2007 envoyée à la Cour et versée au dossier) affirme qu'aucune proposition n'a été faite et que le requérant fut informé que, en cas de coopération, celle-ci serait prise en considération dans le cas d'une éventuelle libération anticipée.
La disparition de ce fait me laisse aussi perplexe. Le Président de la République, en compagnie de l'Attorney-General, rend visite en prison à un criminel afin de lui demander d'identifier son commanditaire, en échange d'une libération anticipée. Cette demande personnelle du Président a été repoussée par le prisonnier, même s'il était conscient que, en conformité avec la loi chypriote, « tout aménagement de la peine releva[i}t exclusivement du pouvoir discrétionnaire du Président sous réserve de l'assentiment de l'Attorney-General » (paragraphe 103).
Comment expliquer l'absence de ce fait fondamental dans l'arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l'Homme ? Je préfère ne pas entrer dans l'analyse comparée du traitement réservé aux condamnés à perpétuité au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe mais, à titre personnel, la disparition de ce fait me laisse vraiment perplexe, et je suis obligé de le dire.
Raisonnement tenu depuis une tour d'ivoire
7.  Quelquefois la loi peut devenir compliquée. Dans ces cas-là les tribunaux doivent l'appliquer de façon à la rendre plus facile. Cependant, lorsque la loi est absolument simple (« pas de peine sans loi »), et lorsque les faits sont également simples, un tribunal ne peut pas compliquer la loi ni se livrer à de la prestidigitation avec les faits.
Dans cet arrêt la Cour a raisonné, à mon avis, depuis une tour d'ivoire. En effet, elle a été très éloignée de la réalité d'un horrible assassinat commandité ; elle a fait abstraction du choc éprouvé par la haute société chypriote lors de l'assassinat d'un de ses membres, assassinat vraisemblablement commandité par un autre membre, ainsi que du silence (par loyauté criminelle ou par peur) du requérant qui a refusé de coopérer avec le Président de la République de Chypre ; elle a été coupée aussi de la réalité légale, administrative, exécutive et judiciaire, pour qui la réclusion à perpétuité était de vingt ans au maximum au moment des faits, et d'une décision judiciaire postérieure au délit qui a été appliquée au requérant en le retenant en prison jusqu'à sa mort, à moins qu'il n'exprime des « remords » et accepte d'identifier l'individu qui l'avait rétribué pour le crime commis.
A mon avis, il y a eu dans le cas d'espèce une violation de l'article 7 de la Convention, puisque le requérant a été condamné à une peine qui n'existait pas au moment des faits. Et par conséquent, il y a eu également violation des articles 3, 5 § 1a) et 14 de la Convention.
Quant à la violation de l'article 7
8.  Afin d'éviter des confusions, je vais poser cinq questions et je vais y répondre, tout simplement.
Première question : Quand le crime a-t-il été commis ? Réponse : Le 10 juillet 1987. (J'invite le lecteur à perdre son temps en cherchant la date du crime dans l'arrêt. C'est la première fois que je vois un arrêt dont la date du crime jugé n'est pas mentionnée).
Deuxième question : Quelle était la peine pour assassinat au moment des faits ? Réponse : La réclusion criminelle à perpétuité (loi de 1983, voir le paragraphe 33 de l'arrêt). Avant cette loi, la peine pour assassinat était la peine capitale.
Troisième question : Quelle était la définition de la réclusion à perpétuité au moment du crime ? Réponse : En conformité avec la loi sur la discipline pénitentiaire (loi no 286), le règlement de 1981 énonçait que « En cas de réclusion criminelle à perpétuité ou lorsque la peine capitale est commuée en réclusion criminelle à perpétuité, la remise de peine est calculée comme si l'emprisonnement était de vingt ans » (voir le paragraphe 40 de l'arrêt). Après cette disposition, le règlement pénitentiaire, moins sévère encore, qui entra en vigueur le 13 mars 1987, c'est-à-dire presque quatre mois avant l'assassinat, énonce : « réclusion criminelle à perpétuité s'entend d'un emprisonnement de vingt ans » et la peine peut être réduite d'un quart (donc de cinq ans) « pour bonne conduite et assiduité au travail » (paragraphes 41, 42 et 43).
Quatrième question : Concernant l'article 7, que doit-on comprendre lorsqu'on parle de loi ? Réponse : « La loi est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l'ont interprété » (paragraphe 139).
Cinquième question : Le 10 juillet 1987, existait-il à Chypre une loi ou une interprétation de la loi qui s'opposait à ce que la réclusion à perpétuité fût interprétée comme l'emprisonnement pendant quinze ou vingt ans ? Réponse : Non.
Par conséquent, si tout est en apparence si simple, pourquoi l'arrêt est-il si compliqué ?
Même à six reprises (au long de cinq paragraphes, du 146 au 150) l'arrêt parle de « clarté », dans différentes versions (substantif, adjectif, adverbe) : « le code pénal prévoyait clairement (...) », « mais il est également clair (...) », « la cour d'assises de Nicosie a clairement dit (...) », « il est clair (...) », « (...) les premiers éclaircissements (...) », « (...) conseils éclairés (...) ». Je ne comprends pas pourquoi on doit répéter ad nauseam quelque chose qui est si simple, ni pourquoi on devrait éclaircir ce qui est clair d'emblée.
Le fait que la Cour a raisonné depuis une tour d'ivoire devient plus évident au paragraphe 147, où la majorité essaie de préciser que « le 5 février 1988 », dans l'affaire Yiouroukkis, la cour d'assises de Nicosie a interprété la réclusion à perpétuité (pour la première fois à Chypre, et il faut que je le dise puisque l'arrêt ne le dit pas) comme étant la « réclusion à vie ». Et l'arrêt affirme également : « Par la suite, lorsqu'elle a prononcé la peine du requérant le 10 mars 1989, la cour d'assises de Limassol s'est appuyée sur l'arrêt de Nicosie précité ». « Par la suite » ? Certes ; 1989 est postérieur à 1988. Il y a cependant un problème : l'assassinat a été commis en 1987 et on ne peut pas appliquer une peine plus forte que celle prévue « au moment où elle [(l'action ou l'omission)] a été commise » (article 7 de la Convention).
Cet excès de clarté devient éblouissant et cause toute une série de raisonnements contradictoires.
Ainsi, au paragraphe 150, la majorité constate l'existence d'une violation de l'article 7, mais constate également que « ne se trouve nullement en cause en l'espèce l'imposition rétroactive d'une peine plus lourde ». C'est-à-dire, il y a une violation du principe « pas de peine sans loi » mais par contre on n'applique pas une peine rétroactive plus lourde. Superbe contradiction !
De même aux paragraphes 151 et 152 : la peine a été imposée au requérant au mépris de l'article 7 mais l'exécution de cette peine ne va pas à l'encontre de la Convention. Cette distinction entre peine contraire à la Convention et exécution en conformité avec la Convention d'une peine contraire à la Convention est plus que superbe. (Suivant ce même raisonnement, une peine capitale pourrait être contraire à la Convention, mais puisque la chaise électrique est confortable et l'ambiance de la pièce agréable, l'exécution de cette peine n'irait pas à l'encontre de la Convention).
Encore un autre exemple de cette contradiction. Afin de justifier la distinction dont j'ai parlé dans les paragraphes ci-dessus, la majorité invoque trois exemples précédents de la jurisprudence. Ainsi, Hogben et Hosein, deux affaires contre le Royaume-Uni, dans lesquelles se pose un problème additionnel à celui déjà exposé : l'exécution de la réclusion à perpétuité au Royaume-Uni est complètement différente de la réalité chypriote, comme le reconnaissent d'ailleurs le Gouvernement (paragraphe 92) et également la Cour (paragraphes 102 et 105). Il est évident qu'une même jurisprudence ne peut pas être appliquée à deux réalités complètement différentes.
Pour ce qui est de l'affaire Achour c. France, même si je suis évidemment d'accord avec l'arrêt lorsqu'il parle du « pouvoir qu'ont les Etats membres de décider de leur politique criminelle », je pense que la majorité oublie que Chypre avait modifié sa politique criminelle en ce qui concerne la réclusion à perpétuité neuf ans après les faits, lors de la promulgation en 1996 de la loi no 62 (I)/96, laquelle le 3 mai 1996 abrogea la loi no 286 (paragraphes 56 et 57).
« La garantie que consacre l'article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de la Convention » (paragraphe 137). Garantie essentielle, faits simples, loi simple, la conclusion est aussi simple : violation de l'article 7.
Concernant l'article 3
9.  « Son avenir (du requérant) est la mort en prison » (paragraphe 85). Pourquoi ?
Parce que « tout aménagement de la peine (de réclusion à vie) relève exclusivement du pouvoir discrétionnaire du Président » (paragraphe 103), précisément la plus haute institution de l'Etat, qui a rendu visite au requérant afin de lui demander (sans succès) de collaborer.
Si le requérant n'identifie pas le commanditaire, il ne quittera pas la prison vivant. Le requérant en est conscient, de même que son avocat et tout le pays. Chose étonnante, il paraît que la majorité de la Cour l'ignore, d'où les raisonnements concernant l'article 3 qui, à mon avis, ont été rédigés depuis une tour d'ivoire. Quelques paragraphes, comme le paragraphe 106, font preuve d'un manque de sensibilité impropre à une Cour des droits de l'homme.
Depuis le 2 novembre 2002, l'emprisonnement du requérant est devenu une torture. Car constitue un acte de torture, et est internationalement accepté ainsi depuis le 9 décembre 1975 (Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture), « tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont délibérément infligées à une personne par des agents de la fonction publique ou à leur instigation, aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'un tiers des renseignements ou des aveux (...) ». Depuis cette date du 2 novembre 2002, le requérant est en prison parce qu'il n'a pas « collaboré » à l'identification de la personne qui l'avait payé pour commettre un assassinat et qui n'a pas encore été identifiée par la police ou les autorités. Le crime commis est horrible, mais le fait que le commanditaire est toujours en liberté ne peut en aucun cas être neutralisé, caché par l'emprisonnement à vie du requérant.
Je trouve hypocrite de justifier le maintien en prison du requérant par le fait que l'intéressé n'a pas exprimé « suffisamment de remords pour ses crimes » (paragraphe 90). Il faut bien noter l'utilisation du mot « remords » au lieu de « aveux », de la référence à l'existence d'un « danger notable pour la société » au lieu d'un danger de critique pour les autorités dû à leur incapacité à identifier le commanditaire, car la mise en liberté du requérant ravivera le souvenir du crime commis ainsi que la situation de liberté du puissant citoyen non identifié qui avait commandité l'assassinat.
Ma conclusion : violation de l'article 3 de la Convention depuis le 2 novembre 2002.
Concernant l'article 5 § 1 a)
10.  Une fois encore, je note une contradiction dérivée du raisonnement fait depuis une tour d'ivoire. Ainsi, même si la majorité constate une violation de la garantie essentielle de l'adage « pas de peine sans loi » elle affirme également que le requérant est privé de liberté « régulièrement ».
D'après la Convention, nul ne peut être privé de liberté en vertu d'une condamnation contraire à la Convention. Les choses sont simples. Violation de l'article 5 § 1 a) depuis le 2 novembre 2002.
(Un détail surprenant : le Gouvernement est prêt à reconnaître que, depuis le mois de juillet 2007 (paragraphe 136), la détention du requérant est irrégulière, mais la majorité de la Cour va encore plus loin que cette hypothèse du Gouvernement et maintient « régulièrement » celui-ci en prison sine die).
Concernant l'article 14 combiné avec les articles 3, 5 et 7 de la Convention.
11.  Après tout ce qui a été exposé, le fait que la majorité affirme qu'il n'y a pas eu de discrimination ne constitue pas seulement un raisonnement tenu depuis une tour d'ivoire mais beaucoup plus. A mon avis, cette affirmation est presque une insulte à l'intelligence.
Le requérant, M. Kafkaris, un criminel, est victime d'un traitement discriminatoire par rapport à tous les autres criminels emprisonnés à Chypre. Et cela parce qu'il ne peut pas ou ne veut pas identifier le puissant citoyen qui commandita cet horrible assassinat. Nier cette réalité, ou essayer de la déguiser de façon hypocrite en parlant de « remords » au lieu d'« aveux » équivaut à fermer les yeux devant la réalité.
Par conséquent, violation de l'article 14 combiné avec les articles 3, 5 et 7 de la Convention.
Conclusion personnelle
12.  Il y a eu, et il y a toujours, dans le cas d'espèce, quelque chose de bien plus grave qu'une violation de quatre droits essentiels de la Convention. Je considère qu'il s'agit de la violation de l'Etat de droit, car on ne respecte pas la prééminence du droit.
13. Je terminerai mon opinion par une dernière constatation : d'un bout à l'autre de cet arrêt, tous ceux qui y sont mentionnés reçoivent le traitement correspondant à leur sexe, à l'exception des juges et du greffier de la Grande Chambre. Je suis en désaccord avec la présentation des juges comme des individus sexuellement neutres dans une société composée d'hommes et de femmes. Cette distinction entre les deux sexes en ce qui concerne les juges est reconnue expressément dans le règlement de la Cour, dont l'article 25 § 2 impose l'équilibre du point de vue des sexes au sein de la Cour. D'ailleurs, cette distinction préoccupe aussi l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe, qui souhaite la présence de femmes sur les listes de candidats aux fonctions de juge à la Cour. C'est pourquoi le Comité de Ministres a demandé un avis consultatif à ce sujet. Cet avis sur le sexe des candidats aux fonctions de juge sera donné par des juges présentés au public comme étant sexuellement neutres. Tout commentaire est, à mon avis, oiseux. Afin d'éviter des confusions, je me permets de signaler que j'appartiens au sexe masculin.
1.  Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, série A no 260-A, p. 22, § 52.
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE 
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE – OPINION CONCORDANTE   DU JUGE BRATZA
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE – OPINION CONCORDANTE    DU JUGE BRATZA
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE 
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE – OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE   AUX JUGES TULKENS, CABRAL BARRETO, FURA-SANDSTRÖM ET SPIELMANN
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE – OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE    AUX JUGES TULKENS, CABRAL BARRETO, FURA-SANDSTRÖM ET SPIELMANN
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE – OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE    DU JUGE LOUCAIDES À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE JOČIENĖ
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE – OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE   DU JUGE LOUCAIDES À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE JOČIENĖ
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE 
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE – OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE   DU JUGE BORREGO BORREGO
ARRÊT KAFKARIS c. CHYPRE – OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE    DU JUGE BORREGO BORREGO


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 21906/04
Date de la décision : 12/02/2008
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'art. 3 ; Non-violation de l'art. 5-1 ; Violation de l'art. 7 ; Non-violation de l'art. 7 ; Non-violation de l'art. 14 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant

Analyses

(Art. 14) AUTRE SITUATION, (Art. 14) DISCRIMINATION, (Art. 14) SITUATION COMPARABLE, (Art. 3) TRAITEMENT DEGRADANT, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 5-1) VOIES LEGALES, (Art. 5-1-a) APRES CONDAMNATION, (Art. 7-1) NULLA POENA SINE LEGE, (Art. 7-1) PEINE PLUS FORTE


Parties
Demandeurs : KAFKARIS
Défendeurs : CHYPRE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2008-02-12;21906.04 ?

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