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10/02/2009 | CEDH | N°31720/05

CEDH | AFFAIRE KINDLER DE BARAHONA c. PORTUGAL


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KINDLER DE BARAHONA c. PORTUGAL
(Requête no 31720/05)
ARRÊT
STRASBOURG
10 février 2009
DÉFINITIF
10/05/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kindler de Barahona c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Antonella Mularoni,   Ireneu Cabral Barreto,   Vladimiro Zagrebelsky,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Nona Tsotsoria, juges,  et d

e Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 j...

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KINDLER DE BARAHONA c. PORTUGAL
(Requête no 31720/05)
ARRÊT
STRASBOURG
10 février 2009
DÉFINITIF
10/05/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kindler de Barahona c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Antonella Mularoni,   Ireneu Cabral Barreto,   Vladimiro Zagrebelsky,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Nona Tsotsoria, juges,  et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 janvier 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31720/05) dirigée contre la République portugaise et dont des ressortissantes de cet Etat, Mmes Margarida Kindler de Barahona et Maria Inês Kindler de Barahona (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 22 août 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérantes interviennent en leur propre nom ainsi que dans leur qualité d’héritières de M. Francisco Manuel Fragoso de Barahona, décédé le 12 mai 1975.
3.  Les requérantes sont représentées par Me B. Bagulho Albino, avocat à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Miguel, procureur général adjoint.
4.  Les requérantes alléguaient que la détermination et le paiement tardifs d’une indemnisation consécutive à l’expropriation de ses terrains avait porté atteinte au droit au respect de ses biens.
5.  Le 19 mai 2008, la Cour (deuxième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6.  Les requérantes, Mmes Margarida Kindler de Barahona et Maria Inês Kindler de Barahona, sont des ressortissantes portugaises, nées respectivement en 1942 et 1940 et résidant à Évora (Portugal).
7.  Les requérantes étaient copropriétaires, en leur nom personnel ou en tant que héritières de M. Francisco Manuel Fragoso de Barahona, décédé le 12 mai 1975, de plusieurs terrains d’une superficie totale de 4 484,92 hectares, qui firent l’objet d’une expropriation en 1975 dans le cadre de la politique relative à la réforme agraire.
8.  La législation pertinente en la matière prévoyait que les propriétaires pouvaient, sous certaines conditions, exercer leur droit de « réserve » (direito de reserva) sur une partie des terrains afin d’y poursuivre leurs activités agricoles. Elle prévoyait par ailleurs l’indemnisation des intéressés. Le montant, le délai et les conditions de paiement d’une telle indemnisation restaient à définir.
9.  Suite à l’exercice de leur droit de réserve, pendant les années 1980, 1986, 1988, 1991 et 1992, les requérantes se trouvèrent en possession d’une partie des terrains correspondant à 4 259,36 hectares, le restant n’ayant pas été rendu.
10.  Par ailleurs, une subvention correspondant à 2 494 euros (EUR) fut attribuée à chaque requérante.
11.  Par des arrêtés ministériels conjoints du ministre de l’Agriculture et du secrétaire d’Etat au Trésor en date du 16 mars 2002, portés à la connaissance des requérantes le 2 juillet 2002, l’indemnisation définitive fut fixée à 54 763 EUR pour M. Francisco Manuel Fragoso de Barahona et à 593 421 EUR pour chaque requérante, soit un total de 1 241 605 EUR. De cette somme devait être déduit le montant de 4 988 EUR à titre des subventions déjà octroyées. Ce montant, majoré de celui à titre d’intérêts de 39 623 EUR pour M. Francisco Manuel Fragoso de Barahona, de 437 047 EUR pour la requérante Mme Margarida Kindler de Barahona et de 438 970 EUR pour la requérante Mme Maria Inês Kindler de Barahona, fut versé aux requérantes le 9 juillet 2002.
12.  Le 3 septembre 2002, les requérantes attaquèrent ces actes devant la Cour suprême administrative. Par un arrêt du 11 février 2004, la Cour suprême administrative accueillit partiellement le recours et annula les décisions attaquées, en ce qui concerne le montant attribué aux requérantes au titre du liège extrait de leurs terrains en 1975. Le 1er mars 2004, les requérantes firent appel devant l’assemblée plénière de la Cour suprême administrative qui, par un arrêt du 16 février 2005, porté à la connaissance des requérantes le 24 février 2005, confirma la décision attaquée.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13.  L’arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (nos 29813/96 et 30229/96, CEDH 2000-I) décrit, en ses paragraphes 31 à 37, le droit et la pratique internes pertinents en matière de réforme agraire. Il convient d’ajouter que le Tribunal constitutionnel a confirmé sa jurisprudence en la matière (arrêt Almeida Garrett précité, § 37) par son arrêt no 85/03/T du 12 février 2003.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
14.  Les requérantes allèguent que le montant des indemnisations ne saurait correspondre à une « juste indemnisation » et se plaignent du retard dans la fixation et le paiement de l’indemnisation définitive. Elles invoquent la violation du droit au respect de ses biens, prévu par l’article 1 du Protocole nº 1 à la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
15.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A.  Sur la recevabilité
16.  La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité (voir, à cet égard, Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal précité, §§ 41-43). Il convient donc de les déclarer recevables.
B.  Sur le fond
17.  La Cour rappelle qu’elle a déjà été appelée à examiner des affaires similaires, s’agissant de la politique d’indemnisation des nationalisations et expropriations ayant eu lieu au Portugal en 1975 (voir l’arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres précité et, en dernier lieu, Companhia Agrícola Cortes e Valbom, S.A. c. Portugal, nº 24668/05, 30 septembre 2008). Dans toutes ces affaires, elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1, considérant que les intéressés avaient eu à supporter une charge spéciale et exorbitante ayant rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens.
18.  La Cour n’aperçoit pas de motifs justifiant de s’écarter de cette jurisprudence dans la présente affaire.
19.  Il y a donc eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION
20.  Invoquant les mêmes faits, les requérantes allèguent également la violation des articles 6 et 13 de la Convention.
21.  Eu égard à la conclusion formulée au paragraphe 19 ci-dessus, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la question séparément sous l’angle de ces dispositions.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
22.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
23.  Les requérantes réclament plusieurs sommes au titre du préjudice matériel et moral qu’elles auraient subi.
24.  Le Gouvernement conteste ces demandes.
25.  La Cour relève, conformément à sa jurisprudence constante en la matière, que les requérantes ont pu subir un préjudice matériel, correspondant à la différence entre les intérêts à recevoir aux termes de la législation pertinente et la dépréciation monétaire au Portugal pendant la période concernée, qui a débuté le 9 novembre 1978, date de l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard du Portugal, et s’est terminée à la date de mise à disposition des requérantes de l’indemnisation en cause. En effet, les sommes que les requérantes devaient recevoir n’ont pas été mises à leur disposition dans les délais prévus par la législation interne pertinente et le taux d’intérêt moratoire a été trop bas par rapport à la dépréciation de la monnaie pendant la période en cause (voir Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (satisfaction équitable), nos 29813/96 et 30229/96, §§ 22 et 23, 10 avril 2001).
26.  Le calcul précis d’un tel préjudice se heurte toutefois à des difficultés, l’indemnisation fixée aux requérantes tenant en effet déjà compte, dans une certaine mesure, de l’écoulement du temps, même si le montant indiqué à titre d’intérêts, certes important, se révèle de toute évidence insuffisant pour compenser le long laps de temps en cause dans la présente affaire. Ces difficultés augmentent si l’on tient compte des différents éléments composant l’indemnisation en cause, dont le calcul a par ailleurs certainement retardé la détermination du montant de ladite indemnisation. Le fait que les requérantes ont reçu des subventions doit aussi entrer en jeu, s’agissant de déterminer leur préjudice réel. Enfin, la Cour note que les trois indemnités octroyées en l’espèce concernaient toutes des terrains dont les requérantes étaient les copropriétaires, raison pour laquelle les procédures respectives se sont déroulées parallèlement.
27.  La Cour décide ainsi de calculer le préjudice des requérantes en équité, comme le permet l’article 41 de la Convention. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, ainsi que de sa jurisprudence en la matière, elle juge raisonnable d’allouer à chaque requérante la somme de 350 000 EUR pour le dommage matériel.
28.  Concernant le dommage moral, la Cour décide d’accorder la somme de 5 000 EUR à chaque requérante.
B.  Frais et dépens
29.  Les requérantes demandent également 20 000 EUR pour les frais et dépens.
30.  Le Gouvernement conteste ce montant qu’il trouve excessif.
31.  La Cour décide, conformément à sa pratique dans ce type d’affaires, d’octroyer à titre de frais et dépens la somme forfaitaire de 2 000 EUR, conjointement aux requérantes.
C.  Intérêts moratoires
32.  La Cour juge approprié de calculer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole nº 1 ;
3.      Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention ;
4. Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser aux requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention les sommes suivantes :
(i) 350 000 EUR (trois cent cinquante mille euros) à chaque requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
(ii) 5 000 EUR (cinq mille euros) à chaque requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
(iii) 2 000 EUR (deux mille euros) conjointement aux requérantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par elles, pour frais et dépens ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 février 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Françoise Elens-Passos Françoise Tulkens    Greffière adjointe Présidente
ARRÊT KINDLER DE BARAHONA c. PORTUGAL
ARRÊT KINDLER DE BARAHONA c. PORTUGAL


Synthèse
Formation : Cour (première section)
Numéro d'arrêt : 31720/05
Date de la décision : 10/02/2009
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Violation de P1-1 ; Dommage matériel - réparation

Analyses

(P1-1-1) BIENS, (P1-1-1) INGERENCE


Parties
Demandeurs : KINDLER DE BARAHONA
Défendeurs : PORTUGAL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-02-10;31720.05 ?

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