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26/05/2009 | CEDH | N°24824/03

CEDH | AFFAIRE COLOMBI c. ITALIE


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE COLOMBI c. ITALIE
(Requête no 24824/03)
ARRÊT
STRASBOURG
26 mai 2009
DÉFINITIF
26/08/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Colombi c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Vladimiro Zagrebelsky,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Nona Tsotsoria, juges,  et de Sally Dollé, greffière de section

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Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 mai 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE COLOMBI c. ITALIE
(Requête no 24824/03)
ARRÊT
STRASBOURG
26 mai 2009
DÉFINITIF
26/08/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Colombi c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,   Ireneu Cabral Barreto,   Vladimiro Zagrebelsky,   Danutė Jočienė,   Dragoljub Popović,   András Sajó,   Nona Tsotsoria, juges,  et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 mai 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24824/03) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Rosario Colombi (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 décembre 2000 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Mes R. Vico et C. Gardini, avocats à Bergame. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agents, M. I.M. Braguglia, M. R. Adam et Mme E. Spatafora, et ses coagents, MM. V. Esposito et F. Crisafulli, ainsi que par son coagent adjoint, M. N. Lettieri.
3.  Le 15 novembre 2005, le président de la troisième section a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 6 § 1, 8 et 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4 à la Convention au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1956 et réside à Stezzano (Bergame).
1. La procédure de faillite
5.  Par un jugement déposé le 6 novembre 1981, le tribunal de Bergame déclara la faillite personnelle du requérant.
6.  L’activité de la procédure porta essentiellement sur l’expertise de certains biens et la vente de ceux-ci.
7.  Par une décision du 11 juillet 2000, le juge clôtura la procédure pour répartition finale de l’actif.
2. La procédure introduite conformément à la loi Pinto
8.  Le 19 septembre 2001, le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Venise conformément à la loi Pinto. Il se plaignit de la longueur de la procédure ainsi que des incapacités patrimoniales et personnelles dérivant de la mise en faillite (limitation du droit au respect de ses biens, de sa correspondance, de sa liberté de circulation, de ses droits électoraux et de la possibilité d’exercer une profession libérale).
9.  Par une décision notifiée au barreau de l’Etat le 13 avril 2002, la cour d’appel accorda au requérant 36 000 000 lires italiennes (ITL). La cour tint en compte la durée de la procédure ainsi que des limitations dérivant du statut de failli, telles que celles relatives à la liberté de circulation, les droits électoraux, la capacité d’exercer des professions libérales. Cette décision acquit force de chose jugée le 12 juin 2002, c’est-à-dire soixante jours après sa notification.
10.  Au courant du mois d’août 2003, le ministère de la Justice alloua cette somme au requérant.
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
11.  Le droit interne pertinent est décrit dans les arrêts Campagnano c. Italie (no 77955/01, §§ 19-22, 23 mars 2006), Albanese c. Italie (no 77924/01, §§ 23-26, 23 mars 2006) et Vitiello c. Italie (no 77962/01, §§ 17-20, 23 mars 2006).
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
12.  Le requérant se plaint de la durée de la procédure de faillite dont il a fait l’objet. Le Gouvernement conteste cette thèse, estimant que la durée de la procédure a été imputable à la complexité de l’affaire et au comportement du requérant et soulevant une question de l’épuisement de voies de recours en cassation pour la procédure « Pinto ».
13.  La Cour rappelle sa jurisprudence au sujet de l’épuisement de voies de recours (Di Sante c. Italie, no 56079/00, décision du 24 juin 2004) et considère que les requérants n’auraient pas pu efficacement se pourvoir en cassation contre la décision la cour d’appel de Pérouse à l’époque des faits. Il convient donc de déclarer ce grief recevable.
14.  Quant au fond, la Cour constate qu’en l’espèce, la procédure de faillite, qui revêtait une certaine complexité, a débuté le 6 novembre 1981 et qu’elle s’est terminée le 11 juillet 2000. Elle a donc duré plus de dix-huit ans et huit mois pour une instance. En ce qui concerne le comportement du requérant, la Cour note qu’il n’est pas établi que celui-ci ait contribué à l’allongement de la procédure.
15.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas présent et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). Elle considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument convaincant pouvant la mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable » (voir De Blasi c. Italie, précité, §§ 19-35 ; Gallucci c. Italie, no 10756/02, §§ 22-30, 12 juin 2007 ; Bertolini c. Italie, no 14448/03, §§ 23-33, 18 décembre 2007).
16. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
17.  Par un courrier du 20 octobre 2004, le requérant allègue aussi, pour la première fois, la violation des articles 17 et 34 de la Convention en raison de ce que, selon la loi Pinto, le dédommagement moral ne pourrait être obtenu qu’à l’appui de preuves attestant le dommage subi.
18.  La Cour estime que ce grief doit être considéré comme absorbé par celui tiré de la durée de la procédure.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, 1 DU PROTOCOLE No 1 ET 2 DU PROTOCOLE No 4 À LA CONVENTION
19.  Invoquant les articles 8 de la Convention, 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4 à la Convention, le requérant se plaint respectivement de la violation de son droit au respect de sa correspondance, au respect de ses biens et de sa liberté de circulation, notamment en raison de la durée de la procédure. Le Gouvernement s’oppose à ces thèses.
20.  Toutefois, la Cour constate que ces griefs sont recevables.
21.  Quant au fond, la Cour observe avoir déjà traité d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation des dispositions précitées (voir Luordo c. Italie, no 32190/96, §§ 62-97, CEDH 2003-IX ; De Blasi c. Italie, précité, §§ 36-51 ; Gallucci c. Italie, précité, §§ 31-40). La Cour a examiné la présente affaire et considère que le Gouvernement n’a fourni aucun fait ni argument convaincant pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle estime donc qu’il y a eu violation des articles 8 de la Convention, 1 du Protocole no 1 à la Convention et 2 du Protocole no 4 à la Convention.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
22.  Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint enfin de ne pas disposer d’un recours effectif pour se plaindre des incapacités patrimoniales et personnelles le touchant suite à sa mise en faillite. Le Gouvernement conteste cette thèse.
23.  La Cour estime qu’il convient de le déclarer ce grief recevable.
24.  Pour ce qui est du fond, à la lumière de sa jurisprudence (voir, parmi beaucoup d’autres, Bottaro c. Italie, précité, §§ 41-46 ; Campagnano c. Italie, précité, §§ 67-77), et l’absence d’argument convaincant du gouvernement pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
IV.  SUR LA VIOLATION DE L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
25.  Le requérant se plaint de la limitation de ses droits électoraux suite à sa mise en faillite.
26.  Le Gouvernement conteste ces allégations.
27.  La Cour estime que ce grief doit être analysé sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention et note que la perte des droits électoraux suite à la mise en faillite ne peut pas excéder cinq ans à partir de la date du jugement déclarant la faillite. Or, ce jugement ayant été déposé le 6 novembre 1981, le requérant aurait dû introduire son grief au plus tard le 6 mai 1987, compte tenu aussi du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention. La requête ayant été introduite le 7 décembre 2000, la Cour considère que ce grief est tardif et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
V.  SUR « L’INCAPACITÉ D’EXERCER DES PROFESSIONS LIBERALES »
28.  Sans invoquer aucun article de la Convention, le requérant se plaint de son incapacité d’exercer des professions libérales.
29.  La Cour estime que le requérant a omis d’étayer ce grief et propose de le rejeter pour défaut manifeste de fondement selon l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
VI.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
30.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
31.  Le requérant réclame 38 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi. Il s’en remet à la Cour pour établir les frais et dépens engagés devant la Cour et devant les autorités internes dont il estime avoir droit. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.
32.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère que, statuant en équité, il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 EUR au titre du préjudice moral.
33.  Pour ce qui est des frais et dépens, selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale, estime raisonnable la somme de 2 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
34.  La Cour juge approprié d’assortir les sommes susmentionnées d’intérêts moratoires d’un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 6 § 1, 8 et 13 de la Convention, 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4 à la Convention ;
2.  Déclare le restant de la requête irrecevable ;
3.  Dit qu’il y a eu violation des articles 6 § 1, 8 et 13 de la Convention ;
4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention ;
6.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivante :
(i) 3 000 EUR (trois mille euros) au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
(ii) 2 000 EUR (deux mille euros), pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 mai 2009, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally Dollé Françoise Tulkens   Greffière Présidente
ARRÊT COLOMBI c. ITALIE
ARRÊT COLOMBI c. ITALIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 24824/03
Date de la décision : 26/05/2009
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 3 (volet matériel) ; Violation de l'art. 3 (volet procédural) ; Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 8 ; Préjudice moral - réparation ; Dommage matériel - demande rejetée

Analyses

(Art. 3) ENQUETE EFFICACE, (Art. 3) TRAITEMENT INHUMAIN, (Art. 35-1) EPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES, (Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DE LA VIE PRIVEE, (Art. 8-1) RESPECT DU DOMICILE, (Art. 8-2) GARANTIES CONTRE LES ABUS, (Art. 8-2) INGERENCE


Parties
Demandeurs : COLOMBI
Défendeurs : ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2009-05-26;24824.03 ?

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