La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/02/2010 | CEDH | N°5855/05

CEDH | AFFAIRE BISTRITEANU ET POPOVICI c. ROUMANIE


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BISTRIŢEANU ET POPOVICI c. ROUMANIE
(Requête no 5855/05)
ARRÊT
STRASBOURG
9 février 2010
DÉFINITIF
09/05/2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Bistriţeanu et Popovici c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura,   Corneliu Bîrsan,   Boštjan M. Zupa

nčič,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Luis López Guerra, juges,  et de Santiago Quesada, greffier ...

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BISTRIŢEANU ET POPOVICI c. ROUMANIE
(Requête no 5855/05)
ARRÊT
STRASBOURG
9 février 2010
DÉFINITIF
09/05/2010
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Bistriţeanu et Popovici c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,   Elisabet Fura,   Corneliu Bîrsan,   Boštjan M. Zupančič,   Alvina Gyulumyan,   Egbert Myjer,   Luis López Guerra, juges,  et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 janvier 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 5855/05) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Victor Bistriţeanu et Ecaterina Soia Popovici (« les requérants »), ont saisi la Cour le 3 février 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Les requérants sont représentés par Me Igreţ, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu Radu, du ministère des Affaires Étrangères.
3.  Le 17 janvier 2006, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4.  Les requérants sont nés respectivement en 1945 et 1934 et résident à Bucarest.
5.  En 1940, la seconde requérante reçut un quart d'un immeuble composé de dix-sept appartements, sis au no 9 rue Alexandru Ioan Cuza, à Bucarest, par voie de donation. Six ans plus tard, le premier requérant reçut, par voie d'héritage, le restant du bien susmentionné. En 1950, invoquant le décret de nationalisation no 92/1950, l'État prit possession du bien susmentionné. Il ressort du dossier qu'en 1997, l'État vendit, en vertu de la loi no 112/95, le bien immeuble susmentionné à des tierces personnes qui l'occupaient en tant que locataires.
i)  Action en revendication de l'appartement no 6
6.  Le 20 septembre 2000, la cour d'appel de Bucarest accueillit une action en revendication formulée par les requérants contre l'État et ordonna aux autorités administratives de leur restituer l'appartement no 6 situé au troisième étage de l'immeuble sis au no 9 de la rue Alexandru Ioan Cuza, à Bucarest. La cour d'appel jugea que la nationalisation du bien avait été illégale et que l'État ne pouvait pas se prévaloir d'un titre valable de propriété. Cet arrêt fut confirmé le 23 novembre 2001 par la Cour suprême de justice.
ii)  Action en revendication et annulation du contrat de vente de l'appartement no 3
7.  En 1999, les requérants introduisirent devant le tribunal départemental de Bucarest une action en revendication immobilière dirigée contre la mairie de Bucarest et les tiers acquéreurs, en demandant la nullité de la décision de confiscation du bien ainsi que celle des contrats de vente portant sur les appartements nos 3 (situé au deuxième étage), 4 (situé au rez-de-jardin), 5 (situé au deuxième étage) et 7 (situé au troisième étage).
8.  Le 25 mai 2000, le tribunal départemental de Bucarest jugea que l'État détenait un véritable titre de propriété sur ledit bien et rejeta l'action des requérants comme mal fondée. Sur appel des requérants, le 28 novembre 2000, la cour d'appel de Bucarest confirma ce jugement. Les requérants formèrent un recours contre cette décision.
9.  Par un arrêt du 23 octobre 2001 la Cour suprême de justice, après avoir constaté que la nationalisation du bien avait été illégale et que les tribunaux avaient omis de se prononcer sur la validité des contrats de vente, fit droit au recours des requérants, cassa l'arrêt rendu par le tribunal départemental et renvoya l'affaire devant cette dernière juridiction pour un nouveau jugement.
10.  Devant le tribunal départemental, les requérants renoncèrent à leur action, à l'exception de l'action en annulation du contrat de vente portant sur l'appartement no 3 situé au deuxième étage.
11.  Par un jugement du 11 décembre 2002, le tribunal, après avoir comparé les titres de propriété des parties, décida d'accueillir l'action des requérants et d'ordonner aux tiers acquéreurs et à la mairie de Bucarest de leur restituer l'appartement no 3.
12.  Sur appel des parties défenderesses, le 16 septembre 2003, la cour d'appel de Bucarest annula l'arrêt du tribunal départemental et rejeta l'action des requérants comme mal fondée. Elle estima qu'une comparaison entre les titres de propriété des parties ne pouvait s'effectuer en vertu du droit commun mais en vertu de la loi no 10/2001. Elle jugea qu'en vertu de la loi no 10/2001 la restitution du bien n'était pas possible et que les requérants pouvaient se voir octroyer une réparation pour la perte de propriété. Quant à la demande en annulation du contrat de vente, la cour d'appel estima que le tiers acquéreur était de bonne foi car, ni au moment de la conclusion du contrat de vente ni avant cette date, les requérants n'avaient sollicité la restitution du bien.
13.  Sur recours des requérants, le 13 janvier 2005, la Haute cour de cassation et justice confirma cet arrêt avec la motivation suivante :
« (...) la bonne foi se présume et la preuve du contraire incombait, en l'espèce, aux requérants, qui n'avaient pas prouvé la mauvaise foi des parties au contrat.
Compte tenu de l'application dudit principe en l'espèce, le contrat de vente conclu de bonne foi par C.B. et C.S., n'est susceptible d'être frappé par aucune cause de nullité, même si l'immeuble a été confisqué illégalement par l'État. »
14.  Sur le fondement de la loi no 10/2001, les requérants déposèrent auprès de la mairie de Bucarest une demande de restitution de l'appartement litigieux. Aucune décision n'a pas été prise jusqu'à présent.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
15.  Les dispositions légales (y compris celles de la loi no 10/2001 sur le régime juridique des biens immeubles pris abusivement par l'État entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, et de ses modifications subséquentes) et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans les arrêts Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-33), Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, CEDH 2005-VII, §§ 19-26), Păduraru c. Roumanie (no 63252/00, §§ 38-53, 1er décembre 2005) ; et Tudor c. Roumanie (no 29035/05, §§ 15–20, 11 décembre 2007).
16.  Des mesures visant l'accélération de la procédure d'octroi des dédommagements à travers le fonds d'investissement « Proprietatea » ont été prises récemment par les autorités nationales en vertu notamment de l'ordonnance d'urgence du Gouvernement no 81/2007.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
17.  Les requérants allèguent que l'impossibilité de recouvrer la propriété de l'appartement no 3 de l'immeuble sis au no 9, rue Alexandru Ioan Cuza, à Bucarest, et du terrain afférent, qui ont été vendus par l'État, ou de se voir verser une indemnisation correspondant à leur valeur réelle a porté atteinte à  leur droit au respect de leurs biens, tel que reconnu par l'article 1 du Protocole no 1 :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
A.  Sur la recevabilité
18.  Le Gouvernement réitère pour l'essentiel ses arguments présentés dans les affaires similaires antérieures et soulève en substance une exception d'incompatibilité ratione materiae, estimant qu'en l'absence de reconnaissance de leur droit de propriété ou de constat, dans le dispositif d'une décision définitive, de l'illégalité de la nationalisation, les requérants ne disposaient pas d'un « bien » au sens de l'article 1 du Protocole no 1 s'agissant de l'appartement litigieux. Le Gouvernement soutient que la Haute cour de cassation et justice ne s'est pas prononcée de manière définitive sur la légalité de la nationalisation, puisque les mentions à cet égard ne figurent que dans les considérants de son arrêt du 13 janvier 2005, ne jouissant pas du pouvoir de la chose jugée. De plus, selon le Gouvernement, la mention faite lors des considérants n'avait qu'une valeur conditionnelle dans le sens que « même si l'État se s'était approprié le bien d'une manière illégale, les contrats conclus de bonne foi étaient valables ».
19.  La Cour estime que l'exception d'incompatibilité ratione materiae est étroitement liée à la substance du grief que les requérants fondent sur l'article 1 du Protocole no 1, de sorte qu'il y a lieu de la joindre au fond. Par ailleurs, elle constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
20.  Le Gouvernement fait valoir que les requérants ont fait usage de la procédure prévue par la loi no 10/2001 et qu'ils ont la possibilité d'obtenir, en dédommagement de leur bien, des titres de participation dans le fonds Proprietatea, organisme collectif de valeurs mobilières.
21.  Les requérants contestent cette thèse.
22.  La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 1er du Protocole no 1 (voir les affaires citées ci-dessus, notamment Străin précité, §§ 39, 43 et 59, et Porteanu c. Roumanie, no 4596/03, §§ 32-35, 16 février 2006). S'agissant d'abord de la question de l'applicabilité de l'article 1 du Protocole no 1, elle a jugé que le constat des tribunaux internes quant à l'illégalité de la nationalisation a pour effet de reconnaître, indirectement et avec effet rétroactif, l'existence d'un droit de propriété des requérants en cause sur le bien litigieux. Par ailleurs, pour ce qui est de l'exception d'incompatibilité ratione materiae soulevée, la Cour rappelle avoir déjà rejeté les arguments du Gouvernement à ce titre, considérant que le fait que le constat susmentionné des tribunaux n'apparaissait pas dans les dispositifs des décisions judiciaires, mais dans leurs motifs, ne saurait déterminer une approche différente sur la question de l'existence d'un « bien » (Reichardt c. Roumanie, no 6111/04, §§ 17 à 20, 13 novembre 2008, et Popescu et Dimeca c. Roumanie, no 17799/03, §§ 22 à 24, 9 décembre 2008).
23.  Quant à la mention relative à l'illégalité de la nationalisation du bien, la Cour observe que celle-ci ne prête pas à controverse, la Haute Cour de cassation et justice faisant référence, sans équivoque, au caractère illégal de la nationalisation (cf. §§ 12-13 ci-dessus). De plus, la Cour constate que les tribunaux internes avaient déjà constaté l'illégalité de la nationalisation de l'appartement no 6, appartenant au même bien immobilier que l'appartement litigieux, bien nationalisé en intégralité en 1950 (cf. § 6 ci-dessus).
24.  Partant, eu égard au constat de la Haute Cour de cassation et justice du 13 janvier 2005 quant au fait que le bien litigieux avait été nationalisé par l'État sans titre valable, la Cour estime que les requérants bénéficiaient d'une « valeur patrimoniale » relevant de l'article 1 du Protocole no 1, au sens de la jurisprudence précitée (voir, entre autres, Păduraru, précité, §§ 81 et suivants).
25.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener dans le cas présent à une conclusion différente de celle à laquelle elle a abouti dans les affaires précitées. La Cour réaffirme notamment que, dans le contexte législatif roumain régissant les actions en revendication immobilière et la restitution des biens nationalisés par le régime communiste, la vente par l'État du bien d'autrui à des tiers de bonne foi, même lorsqu'elle est antérieure à la confirmation définitive en justice de l'existence du « bien » de l'autre, s'analyse en une privation de bien. La Cour réitère qu'une telle privation, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, est contraire à l'article 1 du Protocole no 1 (Străin, précité, §§ 39, 43 et 59, et Reichardt, précité, § 24).
26.  Par ailleurs, la Cour observe qu'à ce jour, le Gouvernement n'a pas démontré que le système d'indemnisation mis en place par la loi no 247/2005 permettrait aux bénéficiaires de cette loi de toucher, selon une procédure et un calendrier prévisibles, une indemnité en rapport avec la valeur vénale des biens dont ils ont été privés.
27.  Cette conclusion ne préjuge pas toute évolution positive que pourraient connaître à l'avenir les mécanismes de financement prévus par cette loi spéciale en vue d'indemniser les personnes qui, comme les requérants, se sont vues privées d'un « bien », au sens de l'article 1 du Protocole no 1. A cet égard, la Cour prend note avec satisfaction de l'évolution qui semble s'amorcer en pratique et qui va dans le bon sens en la matière (paragraphe 17 ci-dessus).
28.  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce, la mise en échec du droit de propriété des requérants sur l'appartement litigieux et le terrain afférent, combinée avec l'absence totale d'indemnisation, leur a fait subir une charge disproportionnée et excessive, incompatible avec le droit au respect de leurs biens garanti par l'article 1 du Protocole no 1.
29.  Partant, la Cour rejette l'exception du Gouvernement et conclut qu'il y a eu violation de l'article susmentionné.
II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
30.  Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de l'iniquité de la procédure, en raison des décisions rendues par les juridictions nationales dans la procédure en annulation du contrat de vente. La partie pertinente de l'article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellée :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
31.  Compte tenu de ses conclusions figurant aux paragraphes 24-28 ci-dessus, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la recevabilité et le bien-fondé de ce grief (voir, mutatis mutandis et entre autres, Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 25, CEDH 1999-I, Zanghì c. Italie, 19 février 1991, § 23, série A no 194-C, Eglise catholique de la Canée c. Grèce, 16 décembre 1997, § 50, Recueil 1997-VIII et Denes et autres c. Roumanie, no 25862/03, § 59, 3 mars 2009).
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
32.  L'article 46 de la Convention dispose :
« 1.  Les Hautes Parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2.  L'arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l'exécution. »
33.  La conclusion de violation de l'article 1 du Protocole no 1 révèle un problème à grande échelle résultant de la défectuosité de la législation sur la restitution des immeubles nationalisés qui ont été vendus par l'État à des tiers. Dès lors, la Cour estime que l'État doit aménager dans les plus brefs délais la procédure mise en place par les lois de réparation (actuellement les lois nos 10/2001 et 247/2005) de sorte qu'elle devienne réellement cohérente, accessible, rapide et prévisible (voir les arrêts Viaşu c. Roumanie, no 75951/01, § 83, 9 décembre 2008, Katz c. Roumanie, no 29739/03, §§ 30-37, 20 janvier 2009, et Faimblat c. Roumanie, no 23066/02, §§ 48-54, 13 janvier 2009).
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
34.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
35.  Les requérants demandent, au titre du dommage matériel qu'ils auraient subi, la restitution du bien immobilier. A défaut d'une telle restitution, ils réclament 120 000 euros (EUR) représentant sa valeur marchande actuelle. Ils soumettent à la Cour une expertise technique immobilière, ainsi que plusieurs annonces immobilières. Par une lettre ultérieure les requérants estiment la valeur de leur bien à 130 941 EUR. A titre de manque à gagner, les requérants demandent 50 000 EUR. Ils sollicitent aussi 10 000 EUR à titre de préjudice moral.
36.  Le Gouvernement considère que la valeur du bien litigieux est de 81 105 EUR et fournit l'avis d'un expert, établit en juillet 2006. Le Gouvernement s'oppose à l'octroi d'une éventuelle somme au titre du défaut de jouissance du bien. Quant à la demande au titre du préjudice moral, il estime que le préjudice allégué serait suffisamment compensé dans le cas d'un constat de violation et qu'en tout état de cause, la somme réclamée est excessive, comparée aux sommes accordées à ce titre dans des affaires similaires contre la Roumanie.
37.  La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
38.  La Cour estime, dans les circonstances de l'espèce, que la restitution du bien litigieux placerait les requérants autant que possible dans une situation équivalant à celle où elle se trouverait si les exigences de l'article 1 du Protocole no 1 n'avaient pas été méconnues.
39.  A défaut pour l'État défendeur de procéder à pareille restitution, la Cour décide qu'il devra verser aux deux requérants, conjointement, pour dommage matériel, une somme correspondant à la valeur du bien dont ils ont été privés.
40.  S'agissant du calcul du montant correspondant à la valeur du bien, compte tenu des informations fournies par les parties et statuant en équité, la Cour estime qu'il convient d'allouer conjointement aux requérants 85 000 EUR.
41.  Concernant les sommes demandées au titre des loyers non perçus la Cour ne saurait spéculer sur la possibilité et le rendement d'une location de l'immeuble en question (Buzatu c. Roumanie (satisfaction équitable), no 34642/97, § 18, 27 janvier 2005).
42.  Par ailleurs, la Cour considère que les événements en cause ont pu provoquer aux requérants un état d'incertitude et des souffrances qui ne peuvent pas être compensés par le constat de violation. Elle estime que la somme de 3 000 EUR, accordée conjointement aux deux requérants, représente une réparation équitable du préjudice moral qu'ils ont subi.
B.  Frais et dépens
43.  Sans préciser le montant et sans accompagner leur demande de justificatifs, les requérants demandent également le remboursement des frais et dépens encourues par la procédure déroulée devant la Cour.
44.  Le Gouvernement observe que les requérants n'ont fourni aucun justificatif pour faire la preuve des frais et dépens encourus. Il ne s'oppose pas au remboursement de ceux-ci, sous condition qu'ils soient prouvés, nécessaires et qu'ils aient un lien avec l'affaire.
45.  La Cour rappelle qu'au regard de l'article 41 de la Convention seuls peuvent être remboursés les frais dont il est établi qu'ils ont été réellement exposés, qu'ils correspondaient à une nécessité et qu'ils sont d'un montant raisonnable (voir, entre autres, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II).
46.  Compte tenu du fait que les requérants n'ont pas justifié les frais et dépens exposés, la Cour décide de ne leur allouer aucune somme à ce titre.
C.  Intérêts moratoires
47.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
3.  Dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;
4.  Dit
a)  que l'État défendeur doit restituer conjointement aux requérants l'appartement no 3 sis au no 9 de la rue Alexandru Ioan Cuza, à Bucarest, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention ;
b)  qu'à défaut d'une telle restitution, l'État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans le même délai de trois mois, 85 000 EUR (quatre-vingt cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
c)  qu'en tout état de cause, l'État défendeur doit verser conjointement aux requérants, dans le même délai, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
d)  que les sommes mentionnées aux points b) et c) seront à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
e)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 février 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall    Greffier Président
ARRÊT BISTRIŢEANU ET POPOVICI c. ROUMANIE
ARRÊT BISTRIŢEANU ET POPOVICI c. ROUMANIE 


Synthèse
Formation : Cour (troisième section)
Numéro d'arrêt : 5855/05
Date de la décision : 09/02/2010
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE CIVILE


Parties
Demandeurs : BISTRITEANU ET POPOVICI
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2010-02-09;5855.05 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award