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12/09/2011 | CEDH | N°28955/06;28957/06;28959/06;...

CEDH | AFFAIRE PALOMO SANCHEZ ET AUTRES c. ESPAGNE


GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE PALOMO SÁNCHEZ ET AUTRES c. ESPAGNE
(Requêtes nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06)
ARRÊT
STRASBOURG
12 septembre 2011
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Palomo Sánchez et autres c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Peer Lorenzen,   Françoise Tulkens,   Elisabeth Steiner,   David Thór Björgvinsson,   Danutė Jočienė,   Ján Šikuta, 

 Dragoljub Popović,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre,   Päivi Hirvelä,   Luis López Guerra,   Mi...

GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE PALOMO SÁNCHEZ ET AUTRES c. ESPAGNE
(Requêtes nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06)
ARRÊT
STRASBOURG
12 septembre 2011
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Palomo Sánchez et autres c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,   Peer Lorenzen,   Françoise Tulkens,   Elisabeth Steiner,   David Thór Björgvinsson,   Danutė Jočienė,   Ján Šikuta,   Dragoljub Popović,   Ineta Ziemele,   Isabelle Berro-Lefèvre,   Päivi Hirvelä,   Luis López Guerra,   Mirjana Lazarova Trajkovska,   Ledi Bianku,   Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Kristina Pardalos, juges,
et de Vincent Berger, jurisconsulte,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 8 décembre 2010 et 29 juin 2011,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine des affaires se trouvent six requêtes (nos 28955/06, 28957/06, 28959/06, 28964/06, 28389/06 et 28961/06) dirigées contre le Royaume d’Espagne et dont six ressortissants de cet État, MM. Juan Manuel Palomo Sánchez, Francisco Antonio Fernández Olmo, Agustín Alvarez Lecegui, Francisco José María Blanco Balbas, José Antonio Aguilera Jiménez et Francisco Beltrán Lafulla (« les requérants »), ont saisi la Cour le 13 juillet 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Devant la Cour, les requérants ont été représentés par Me L. García Quinteiro, avocat à Barcelone. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Irurzun Montoro, avocat de l’État.
3.  Dans leurs requêtes, les intéressés alléguaient notamment qu’ils avaient été licenciés en représailles de leur appartenance à un syndicat et en raison des revendications de ce dernier, sous prétexte du contenu prétendument injurieux du bulletin d’information dudit syndicat. Ils invoquent les articles 10 et 11 de la Convention.
4.  Les requêtes ont été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 11 décembre 2008, le président de la section a décidé de les communiquer au Gouvernement. Comme le permettaient l’ancien article 29 § 3 de la Convention (article 29 § 1 actuel) et l’article 54A du règlement, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond des affaires.
5.  Le 17 novembre 2009, la chambre, composée de Josep Casadevall, président, Elisabet Fura, Corneliu Bîrsan, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, Luis López Guerra et Ann Power, juges et Santiago Quesada, greffier de section, a décidé, en application de l’article 42 § 1 du règlement, de joindre les requêtes enregistrées sous les nos 28389/06, 28955/06, 28957/06, 28959/06, 28961/06, et 28964/06. Elle a déclaré recevables les requêtes (nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06) présentées par MM. Juan Manuel Palomo Sánchez, Francisco Antonio Fernández Olmo, Agustín Alvarez Lecegui et Francisco José María Blanco Balbas (ci-après, « les requérants ») et irrecevables celles (nos 28389/06 et 28961/06) de MM. Aguilera Jiménez et Beltrán Lafulla. Le 8 décembre 2009, elle a rendu l’arrêt Aguilera Jiménez et autres c. Espagne dans lequel elle concluait, par six voix contre une, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 10 de la Convention et qu’aucune question distincte ne se posait à l’égard de l’article 11 de la Convention.
6.  Le 7 mars 2010, les requérants ont demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention et de l’article 73 du règlement, soutenant qu’il y avait eu violation des articles 10 et 11. Le 10 mai 2010, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.
7.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et de l’article 24 du règlement.
8.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des mémoires devant la Grande Chambre.
9.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 8 décembre 2010 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. F. Irurzun Montoro, avocat de l’État,  agent ;
–  pour les requérants  Me L. Garcia Quinteiro, avocat,  conseil. 
La Cour les a entendus en leurs déclarations.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
10.  Les requérants résident à Barcelone.
11.  Ils travaillaient comme livreurs pour la société P. à l’encontre de laquelle ils avaient entamé plusieurs procédures à titre individuel auprès des juridictions du travail. Les requérants réclamaient que leur condition de travailleurs salariés à caractère spécial, confirmée par des arrêts des 2 mai et 30 décembre 1995 du Tribunal supérieur de justice de Catalogne, fût acceptée par l’employeur afin d’être intégrée au régime pertinent de la Sécurité Sociale. Dans le cadre de ces procédures, des représentants d’un comité de livreurs non-salariés au sein de la société P. avaient témoigné à l’encontre des requérants.
12.  Le 21 mai 2001, les requérants constituèrent le syndicat « Nueva alternativa asamblearia » (N.A.A.), pour défendre leurs intérêts et ceux des autres livreurs salariés face aux initiatives prises par la société P. afin qu’ils renoncent à leur condition de salariés. Les requérants intégrèrent la commission exécutive du syndicat. Le 3 août 2001, les requérants informèrent la société P. de la constitution de la section syndicale au sein de l’entreprise, de sa composition et de leur nomination en tant que membres de la commission exécutive de ladite section syndicale. Juan Manuel Palomo Sánchez était le délégué syndical, Francisco Antonio Fernández Olmo le secrétaire de trésorerie, Agustín Alvarez Lecegui le secrétaire de presse et de propagande et Francisco José María Blanco Balbas le secrétaire d’organisation. Aucune modification concernant la désignation des membres du syndicat et de leurs fonctions n’a eu lieu depuis sa constitution.
13.  Le syndicat N.A.A. publiait un bulletin d’information mensuel. Le bulletin du mois de mars 2002 (sic) informait du jugement du 2 avril 2002 rendu par le juge du travail no 13 de Barcelone qui avait accueilli partiellement les prétentions des requérants condamnant la société P. à leur verser certains montants relatifs aux salaires dont elle était débitrice.
Sur la couverture du bulletin, un dessin avec bulles de dialogue montrait une caricature du directeur des ressources humaines, G., assis derrière un bureau sous lequel se trouvait une personne à quatre pattes, dos tourné et, à coté, deux autres personnes, A. et B., également employés de la société P. et représentants d’un comité de livreurs non-salariés au sein de cette dernière, qui contemplaient la scène et attendaient pour occuper la place sous le bureau et satisfaire à leur tour le directeur. A l’intérieur du bulletin, deux articles dénonçaient vigoureusement le fait que ces deux personnes avaient témoigné en faveur de la société P. lors d’une procédure entamée par les requérants à l’encontre de cette dernière. Le bulletin fut distribué parmi les travailleurs et affiché sur le tableau d’affichage du syndicat N.A.A. situé au sein de la société.
14.  Le 3 juin 2002 la société communiqua aux requérants leur licenciement pour faute grave, en l’occurrence atteinte à l’honneur de G., A. et B., sur le fondement de l’article 54 §§ 1 et 2 c) du Statut des travailleurs, qui permet de mettre un terme au contrat de travail en cas de non-respect grave des obligations contractuelles et de culpabilité du travailleur.
15.  Les requérants attaquèrent cette décision auprès du juge du travail no 17 de Barcelone qui, par un jugement du 8 novembre 2002, rejeta leurs prétentions et considéra que les licenciements étaient justifiés, conformément à l’article 54 §§ 1 et 2 c) du Statut des travailleurs. Le juge estima que la décision de la société de licencier les requérants était fondée sur une cause réelle et sérieuse, à savoir la publication et l’affichage sur un tableau situé au sein de la société d’un bulletin contenant un dessin avec des bulles de dialogue et deux articles offensants qui portaient atteinte à la dignité des personnes concernées. Dans l’article intitulé « Témoins ... de qui ? D’eux-mêmes », apparaissaient des caricatures d’A. et B., la bouche couverte par un mouchoir noué derrière la tête et au dessous, un texte à la teneur suivante :
« Nous savions qui ils étaient et comment ils agissaient, mais nous ne savions pas jusqu’où ils étaient capables d’aller pour continuer à conserver leurs fauteuils et leur poste de préférence sans rien faire.
[Nous], les employés de P. gagnons notre vie en vendant des produits dans la rue. A. et B. gagnent leur vie en vendant les employés dans les tribunaux. Il ne leur suffit pas de le faire par le biais des accords passés en tournant le dos au collectif. Maintenant ils vont plus loin, ils volent avec une totale impunité, à tête découverte et avec la confiance de celui qui se sent totalement intouchable. Ils jouent à être des dieux.
(...) mais eux, le président et le secrétaire des représentants des travailleurs, acceptèrent, de la même façon qu’un chien de garde, de se rouler par terre et de faire des galipettes en échange d’une petite tape de leur maître. (...) »
Le juge releva que le texte répondait aux faits ayant eu lieu dans le cadre d’une procédure entamée par les requérants devant le juge du travail no 13 de Barcelone, dans laquelle A. et B. avaient agi en tant que témoins contre les intérêts des requérants et en faveur de leur employeur.
L’article intitulé « qui loue son cul ne chie pas quand il veut » avait la teneur suivante :
« Si vous faites partie d’un comité d’entreprise et que vous devez signer avec l’employeur des accords « taise-bouche » qui n’auront pas d’effet : accords de restructuration au bénéfice de ses potes, diminutions salariales et différents tableaux de travail, [cela veut dire que] vous avez remplacé votre dignité par un fauteuil, [que] vous possédez le mérite douteux d’arriver au même niveau d’infamie que des politiciens et des policiers ; vous voyez, vous vous taisez et vous consentez astucieusement à ce type de canailleries. Puisque vous avez loué votre cul, vous ne chiez pas quand vous voulez. Si vous êtes un infâme syndicaliste professionnel et si partant, vous avez vendu votre âme au syndicat, vous n’aurez jamais un élan de sincérité, puisque votre statut serait menacé. Ce que vous dites, le syndicat le dit, et comme ils sont les capotes de la liberté, votre bouche est scellée comme votre muscle anal, parce que vous avez loué votre cul et que vous ne chiez pas quand vous voulez.
Si vous êtes capable de voir les injustices commises contre vos collègues, la façon totalement irrationnelle de mesurer leurs problèmes et la persécution constante à laquelle ils sont soumis, vous le gardez quand même pour vous de peur que l’attention ne soit portée sur votre personne. Auparavant, en des temps reculés, vous étiez un rebelle qui critiquait le système, vous déblatériez contre le conventionnalisme et vous vous en preniez aux règles imposées. Décapant, dynamique, acerbe, impulsif et jovial. Mais deux faveurs « reçues » ont peu à peu modelé votre tempérament ardent, en peaufinant votre capacité d’auto-estime et en limitant vos sentiments. De temps en temps vous êtes pris par la nostalgie et vous souhaiteriez vous perdre, mais vos sphincters sont fermés parce que vous louez votre cul et que vous ne chiez pas quand vous voulez.
Vous en avez marre de votre travail, vous êtes en colère, angoissé, stressé et désespéré, à cause de l’augmentation des heures de travail et des responsabilités, des produits, des promotions et des pressions. Vous pourriez faire n’importe quoi n’importe où sans devoir vous lever à l’heure à laquelle d’autres se couchent. Vous briseriez, étriperiez, écraseriez, détruiriez ... mais vous êtes enchaîné à des crédits, des billets à ordres et des dettes. Vous êtes écrasé par votre nouvelle fourgonnette, les activités extrascolaires de vos enfants, et par l’emprunt à vingt-cinq ans de votre maison accolée. Et vous vous humiliez, vous avalez, vous vous taisez et vous acceptez parce que celui qui loue son cul ne chie pas quand il veut. »
Ce bulletin fut distribué aux travailleurs et affiché sur le tableau d’affichage que le syndicat avait au sein de la société.
Le juge du travail observa d’emblée que la cause du licenciement était le contenu du bulletin et non l’affiliation syndicale des requérants. Il se référa dans son jugement à l’exercice du droit à la liberté d’expression dans le cadre des relations de travail et à son caractère non illimité. Il estima que les limites de ce droit devaient être interprétées conformément au principe de la bonne foi, ce qui, dans le cadre des relations de travail devait tenir compte du respect des intérêts de l’employeur et des exigences minimales de vie en commun dans le milieu professionnel. Le jugement reprenait la jurisprudence du Tribunal constitutionnel selon laquelle l’exercice du droit au respect de la liberté d’expression est soumis à des limites dérivées de la relation de travail, dans la mesure où le contrat de travail crée un ensemble de droits et d’obligations réciproques qui conditionne l’exercice du droit au respect de la liberté d’expression. Pour cette raison, certaines manifestations dudit droit qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes, ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail, bien que l’exigence d’agir de bonne foi n’implique toutefois pas un devoir de loyauté allant jusqu’à la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur.
Quant au contenu du bulletin, le juge du travail considéra que le dessin et les bulles de dialogue de la couverture, ainsi que les articles de l’intérieur étaient offensants et dépassaient les limites de la liberté d’expression et d’information, portant atteinte à l’honneur et à la dignité du directeur des ressources humaines, des livreurs A. et B. et à l’image de la société P. Il nota enfin que le licenciement ne pouvait pas être considéré comme étant nul, dans la mesure où il était fondé sur une faute grave prévue par la loi, et que les droits fondamentaux des requérants n’avaient pas été violés.
16.   Les requérants firent appel de ce jugement. Par un arrêt rendu le 7 mai 2003, le Tribunal supérieur de justice de Catalogne confirma le jugement attaqué dans la mesure où il concernait les requérants.
Il se référa notamment aux limites imposées par le principe de la bonne foi entre les parties à un contrat de travail et à l’équilibre nécessaire que les décisions judiciaires devaient garder entre les obligations du contrat de travail pour le travailleur et sa liberté d’expression. L’exercice de pondération effectué devait permettre de déterminer si la réaction de la société procédant au licenciement du travailleur était ou non légitime. Pour le tribunal, la divulgation du dessin et des articles litigieux était clairement attentatoire à la dignité des personnes visées et outrepassait les limites de la critique admissible, l’exercice de la liberté d’expression ne justifiant pas l’utilisation d’expressions insultantes, injurieuses ou vexatoires qui excédaient l’exercice légitime du droit à la critique et portaient clairement atteinte à l’honorabilité des personnes critiquées. La société P. avait par ailleurs dûment démontré que le licenciement des requérants ne répondait pas à des représailles ou châtiments, mais à une cause réelle, sérieuse et suffisante pour l’adoption de la décision d’extinction de leurs contrats de travail.
17.  Les requérants se pourvurent en cassation en vue d’une harmonisation de la jurisprudence. Par une décision du 11 mars 2004, le Tribunal suprême rejeta ce pourvoi, au motif que la décision apportée comme élément de comparaison, à savoir, l’arrêt du Tribunal supérieur de justice de Madrid du 31 juillet 1992, n’était pas pertinente.
18.  Invoquant l’article 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution, ainsi que les articles 20 et 28 combinés (liberté d’expression et liberté syndicale), les requérants formèrent un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision du 11 janvier 2006, notifiée le 13 janvier 2006, la haute juridiction déclara le recours irrecevable comme étant dépourvu de contenu constitutionnel. La décision était rédigée comme suit :
« (...) En premier lieu (...) il n’y a pas d’indices permettant de conclure que le licenciement [des requérants] était un acte de représailles de la part de la société défenderesse motivé par les procédures judiciaires entamées par les requérants en défense de leurs droits (...). En deuxième lieu l’atteinte [alléguée] à la liberté syndicale garantie par l’article 28 de la Constitution (grief dans lequel est intégré celui tiré de l’article 14 de la Constitution en ce qu’ils dénonçaient une discrimination pour des motifs syndicaux) n’est pas admissible, dans la mesure où [les requérants] n’ont pas fourni d’indices tendant à démontrer que l’action de la société avait pour but d’amoindrir, de rendre difficile ou d’empêcher l’exercice de la liberté syndicale des requérants, du fait de leur affiliation syndicale ou de leur activité syndicale. Suivant ce que ce tribunal a dit de façon réitérée, l’indice ne consiste pas en une simple allégation d’une violation constitutionnelle mais doit permettre de déduire la possibilité de ce qu’elle ait pu se produire (...) ce qui n’est pas le cas en l’espèce dans la mesure où les circonstances alléguées ne donnent lieu à aucune suspicion sur la violation alléguée. En effet, dans leurs allégations, les requérants se bornent à montrer leur désaccord avec les décisions judiciaires attaquées, qui avaient considérée de façon motivée et manifestement non déraisonnable qu’ils avaient commis les actes que la société leur avait imputés dans les lettres de licenciement.
En troisième lieu, l’article 28 § 1 de la Constitution combiné avec l’article 20 § 1 a) n’a pas non plus été violé pour ce qui est de la violation alléguée du droit à la liberté d’expression des requérants dans un contexte syndical, dans la mesure où ce droit fondamental ne garantit pas le droit à l’insulte. Comme il a été dit récemment dans l’arrêt du Tribunal constitutionnel 39/2005, du 28 février, fondement juridique 4, reprenant la jurisprudence précédente, si la Constitution n’interdit pas l’emploi d’expressions blessantes, gênantes où hargneuses en toute circonstance, la protection constitutionnelle octroyée par l’article 20 § 1 a) de la Constitution n’inclut toutefois pas les expressions absolument vexatoires qui, tenant compte des circonstances concrètes de la cause et indépendamment de leur véracité ou de leur absence de véracité, sont offensantes, ignominieuses et non pertinentes pour exprimer les opinions ou les informations en cause. L’application de cette jurisprudence au cas d’espèce conduit à l’absence de violation du droit à la liberté d’expression des requérants, qui ont utilisé ce droit de façon démesurée, au moyen de jugements de valeur exprimés à travers des dessins et des expressions offensants et humiliants pour les personnes concernées et qui portaient atteinte à leur honneur et à leur réputation. [Ces dessins et expressions] n’étaient pas nécessaires pour contribuer à la formation d’une opinion sur les faits que les requérants voulaient dénoncer, et étaient donc gratuits et non nécessaires pour exercer le droit à la liberté d’expression dans le contexte syndical. »
II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT
19.  Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées :
Article 20
« 1.  Sont reconnus et protégés les droits suivants
a) droit d’exprimer et de diffuser librement les pensées, les idées et les opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction ;
d) droit de communiquer et recevoir librement des informations vraies par tous les moyens de diffusion. (...)
2.  L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune censure préalable.
4.  Ces libertés ont leur limite dans le respect des droits reconnus dans ce Titre, dans les dispositions des lois d’application et particulièrement dans le droit à l’honneur, à la vie privée, à son image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance. »
Article 28
« 1.  Tous ont le droit de se syndiquer librement. (...) La liberté syndicale comprend le droit de créer des syndicats ou de s’affilier à celui de son choix, ainsi que le droit pour les syndicats d’établir des confédérations et d’instituer des organisations syndicales internationales ou de s’y affilier. Nul ne pourra être obligé de s’affilier à un syndicat.
20.  Les dispositions pertinentes du Statut des travailleurs (approuvé par décret royal législatif 1/1995, du 24 mars 1995) se lisent ainsi :
Article 54, licenciement pour motif disciplinaire
« 1. L’employeur peut décider de mettre fin au contrat de travail, par un licenciement du travailleur pour non-respect grave et coupable de ses obligations.
2. Seront considérées comme inexécutions contractuelles :
c) Les offenses verbales ou physiques envers l’employeur ou les personnes travaillant dans l’entreprise ou les membres de leurs familles vivant avec eux. »
Article 55 § 7
« Le licenciement justifié entraînera l’extinction du contrat sans droit à indemnisation (...) »
III.  LES DOCUMENTS ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. L’Organisation internationale du travail
21.  Le 23 juin 1971, la Conférence générale de l’Organisation internationale du travail (« l’OIT ») adopta la Recommandation no 143 concernant les représentants des travailleurs, dont le point 15 se lit comme suit :
« (1) Les représentants des travailleurs agissant au nom d’un syndicat devraient être autorisés à afficher des avis syndicaux dans l’entreprise à un ou à plusieurs emplacements qui seront déterminés en accord avec la direction et auxquels les travailleurs auront facilement accès.
(2) La direction devrait autoriser les représentants des travailleurs agissant au nom d’un syndicat à distribuer aux travailleurs de l’entreprise des bulletins d’information, des brochures, des publications et d’autres documents du syndicat.
(3) Les avis et documents syndicaux visés au présent paragraphe devraient porter sur les activités syndicales normales; leur affichage et leur distribution ne devraient pas porter préjudice au fonctionnement régulier ni à la propreté de l’entreprise. »
22.  Lors de sa 54e session, en juin 1970, la Conférence internationale du travail adopta la Résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles. Elle énuméra explicitement les droits fondamentaux nécessaires à l’exercice de la liberté syndicale, notamment : a) le droit à la liberté et à la sûreté de la personne ainsi qu’à la protection contre les arrestations et les détentions arbitraires ; b) la liberté d’opinion et d’expression et en particulier le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ; c) la liberté de réunion ; d) le droit à un jugement équitable par un tribunal indépendant et impartial ; e) le droit à la protection des biens des syndicats.
23.  En 1994, l’OIT publia un rapport intitulé « Liberté syndicale et négociation collective: Droits syndicaux et libertés civiles et politiques ». Les passages pertinents de ce rapport se lisent ainsi :
« Partie I. Liberté syndicale et protection du droit syndical
Chapitre II. Droits syndicaux et libertés civiles et politiques
Introduction
24. La Déclaration de Philadelphie (...) a officiellement reconnu la relation entre les libertés publiques et les droits syndicaux. Elle proclame à l’article I b) que la liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès soutenu et fait référence en son article II a) aux droits fondamentaux inhérents à la dignité humaine. Depuis, cette relation a été constamment affirmée et explicitée, aussi bien par les organes de contrôle de l’OIT, que dans les conventions, recommandations et résolutions adoptées par la Conférence internationale du Travail.
27. Les données disponibles, notamment sur la nature des plaintes soumises au Comité de la liberté syndicale, indiquent que les principales difficultés rencontrées par les organisations syndicales et leurs dirigeants à cet égard concernent les droits fondamentaux, et notamment le droit à la sécurité de la personne, la liberté de réunion, la liberté d’opinion et d’expression, ainsi que le droit à la protection des locaux et des biens syndicaux. (...)
Liberté d’opinion et d’expression
38. Un autre élément essentiel des droits syndicaux est le droit d’exprimer des opinions par voie de presse ou autrement. Le plein exercice des droits syndicaux exige la libre circulation des informations, des opinions et des idées: les travailleurs, les employeurs et leurs organisations doivent jouir de la liberté d’opinion et d’expression dans leurs réunions, publications et autres activités. Au cas où la publication du journal d’une organisation requiert une autorisation, l’octroi de cette dernière ne doit pas dépendre d’un pouvoir discrétionnaire des autorités, ni être utilisé comme moyen d’exercer un contrôle préalable sur les sujets traités dans le journal ; de plus, toute demande d’autorisation devrait être traitée rapidement. (...) Les diverses mesures de contrôle administratif – par exemple le retrait d’une licence accordée à un journal syndical, le contrôle des imprimeries ou celui de l’approvisionnement en papier – devraient être subordonnées à un contrôle judiciaire indépendant qui devrait intervenir le plus rapidement possible.
39. Un aspect important de la liberté d’expression concerne la liberté de parole des délégués des organisations d’employeurs et de travailleurs aux congrès, conférences et réunions, et notamment à la Conférence internationale du Travail. (...)
43. La commission est d’avis que les garanties énoncées dans les conventions internationales du travail, et notamment celles qui concernent la liberté syndicale, ne peuvent être effectives que dans la mesure où sont aussi véritablement reconnues et protégées les libertés civiles et politiques consacrées par la Déclaration universelle des droits de l’homme et les autres instruments internationaux en la matière, en particulier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ces principes intangibles à vocation universelle, dont la commission tient à souligner particulièrement l’importance à l’occasion du 75e anniversaire de la création de l’OIT et du 50e anniversaire de la Déclaration de Philadelphie, devraient constituer l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations. »
24.  La cinquième édition (révisée) du Recueil de décisions et principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du Bureau international du travail (BIT), publiée en 2006, contient un résumé suivant des principes formulés par ce Comité dans le cadre de l’examen des plaintes individuelles ou collectives visant des violations alléguées des droits syndicaux. Parmi les principes généraux relatifs à la liberté d’opinion et d’expression figurent les suivants :
« 154. Le plein exercice des droits syndicaux exige la libre circulation des informations, des opinions et des idées, de sorte que les travailleurs et les employeurs, tout comme leurs organisations, devraient jouir de la liberté d’opinion et d’expression dans leurs réunions, publications et autres activités syndicales. Néanmoins, dans l’expression de leurs opinions, les organisations syndicales ne devraient pas dépasser les limites convenables de la polémique et devraient s’abstenir d’excès de langage.
(Voir Recueil 1996, § 152; 304e rapport, cas no 1850, § 210; 306e rapport, cas no 1885, § 140; 309e rapport, cas no 1945, § 67; 324e rapport, cas no 2014, § 925 et 336e rapport, cas no 2340, § 652.)
155. Le droit d’exprimer des opinions par voie de presse ou autrement est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux. (Recueil 1996, § 153; 299e rapport, cas no 1640/1646, § 150; 302e rapport, cas no 1817, § 324; 324e rapport, cas no 2065, § 131; 327e rapport, cas no 2147, §865; 328e rapport, cas no 1961, § 42; 332e rapport, cas no 2090, § 354 et 333e rapport, cas no 2272, § 539.)
156. Le droit d’exprimer des opinions sans autorisation préalable par voie de presse syndicale est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux. (Voir Recueil 1996, § 154.)
157. La liberté d’expression dont devraient jouir les organisations syndicales et leurs dirigeants devrait également être garantie lorsque ceux-ci veulent formuler des critiques à l’égard de la politique économique et sociale du gouvernement. (Voir Recueil 1996, § 155.)
163. L’interdiction de poser des affiches exprimant les points de vue d’une centrale syndicale constitue une restriction inacceptable aux activités des syndicats. (Voir Recueil 1996, § 467.)
166. La publication et la distribution de nouvelles et d’informations intéressant spécialement les syndicats et leurs membres constituent une activité syndicale licite, et l’application des mesures de contrôle des publications et des moyens d’information peut impliquer une ingérence sérieuse des autorités administratives dans ces activités. Dans de tels cas, l’exercice des pouvoirs administratifs devrait être subordonné à un contrôle judiciaire qui devrait intervenir le plus rapidement possible. (Voir Recueil 1996, § 161; 320e rapport, cas no 2031, § 172 et 327e rapport, cas no 1787, § 341.)
168. Si l’institution d’une censure générale est avant tout une question ressortissant aux libertés civiles et non pas aux droits syndicaux, l’application de la censure de la presse pendant un différend du travail peut avoir des effets directs sur l’évolution de ce conflit et porter ainsi préjudice aux parties en empêchant la diffusion des faits exacts. (Voir Recueil 1996, § 163.)
169. Les organisations syndicales, lorsqu’elles font paraître leurs publications, doivent tenir compte, dans l’intérêt du développement du mouvement syndical, des principes énoncés par la Conférence internationale du Travail à sa 35e session (1952), pour la protection de la liberté et de l’indépendance du mouvement syndical et la sauvegarde de sa mission fondamentale, qui est d’assurer le développement du bien-être économique et social de tous les travailleurs. (Voir Recueil 1996, § 165.)
170. Dans un cas où un journal syndical qui semblait, par ses allusions et ses accusations à l’encontre du gouvernement, avoir dépassé les limites admissibles de la polémique, le comité a signalé que les rédacteurs de publications syndicales devraient s’abstenir des outrances dans le langage. Le rôle premier de telles publications devrait être de traiter dans leurs colonnes de questions intéressant essentiellement la défense et la promotion des intérêts des syndiqués et, plus généralement, du monde du travail. Le comité a reconnu, cependant, que la frontière entre ce qui est politique et ce qui est proprement syndical est difficile à tracer avec netteté. Il a signalé que les deux notions s’interpénètrent en effet et qu’il est inévitable, et parfois normal, que les publications syndicales comportent des prises de position sur des questions ayant des aspects politiques comme sur des questions strictement économiques et sociales. (Voir Recueil 1996, § 166.) »
B. La Cour interaméricaine des droits de l’homme
25.  La Convention américaine possède un protocole additionnel spécial traitant des droits économiques, sociaux et culturels, dit « Protocole de San Salvador ». Adopté et ouvert à la signature le 17 novembre 1988, il est entré en vigueur le 16 novembre 1999. L’article 8 de ce protocole, intitulé « Droits syndicaux », se lit ainsi :
« Les États parties garantissent :
a) Le droit des travailleurs d’organiser des syndicats et de s’affilier à ceux de leur choix pour protéger et favoriser leurs intérêts. En vertu de ce droit, les États parties permettront aux syndicats de former des fédérations et des confédérations nationales, de s’associer à celles qui existent déjà, de constituer des organisations syndicales internationales et de s’affilier à celle de son choix. Les États parties permettront également que les syndicats, fédérations et confédérations fonctionnent librement ;
b) Le droit de grève.
2. L’exercice des droits énoncés plus haut ne peut faire l’objet que des restrictions prévues par la loi et qui constituent les mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour sauvegarder l’ordre public et protéger la santé ou la moralité publiques ainsi que les droits et libertés d’autrui. Les membres des forces armées et de la police ainsi que ceux des autres services publics essentiels exercent ces droits compte tenu des restrictions établies par la loi.
3. Nul ne peut être contraint à appartenir à un syndicat. »
26.  Dans son Avis consultatif OC-5/85193, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a souligné la nature fondamentale de la liberté d’expression pour l’existence d’une société démocratique, mettant l’accent, entre autres, sur le fait que la liberté d’expression est une condition sine qua non au développement des syndicats. Elle s’exprimait dans les termes suivants (ibidem, § 70) :
« La liberté d’expression est la pierre angulaire qui sert de fondement à l’existence même de toute société démocratique. Elle est indispensable pour la formation de l’opinion publique. Elle est également une condition sine qua non pour le développement des partis politiques, des syndicats, des associations scientifiques et culturelles et, d’une manière générale, de ceux qui désirent exercer une influence sur le public. En résumé, elle est le moyen qui permet à la communauté, lorsqu’elle exerce sa faculté de choisir, de disposer d’informations suffisantes. En conséquence, on peut dire qu’une société qui n’est pas bien informée est une société qui n’est pas vraiment libre. »
IV.  ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ
27.  Il ressort d’une recherche de droit comparé que les pouvoirs disciplinaires des employeurs dans les États membres du Conseil de l’Europe sont très divers. Il existe une convergence des systèmes juridiques parmi les trente-cinq pays examinés : ils prévoient et organisent la liberté d’expression et la liberté syndicale des salariés, le plus souvent au moyen de normes à valeur constitutionnelle ou, lorsque tel n’est pas le cas, par des règles législatives. Les salariés ayant des responsabilités représentatives bénéficient d’une protection renforcée facilitant l’exercice de leur mandat. Dans tous les pays, la réglementation, afin de concilier l’exercice de ce droit avec les droits et libertés essentiels d’autrui, fixe des règles permettant de sanctionner un abus dans l’exercice de ce droit. Les prérogatives dont dispose l’employeur lui permettent, si besoin est, d’exercer une action disciplinaire à l’encontre du salarié ou de l’agent ayant eu un comportement caractérisant un abus de sa liberté d’expression. La jurisprudence en la matière est concordante et se caractérise par une démarche d’examen systématique de la proportionnalité entre la mesure de licenciement et les faits qui l’ont provoqué.
28.  Les textes de droit interne sanctionnent le comportement du salarié de nature à nuire aux droits ou aux libertés d’autrui.
Ces règles peuvent tout d’abord être fixées par le code pénal ou par des dispositions permettant d’engager une action en responsabilité. Le plus souvent, les notions pénales de diffamation, d’atteinte à l’honneur, à la réputation, d’injure, de calomnie, etc., autoriseront la personne s’estimant victime d’un abus à rechercher la responsabilité de l’auteur des propos en cause.
Les règles issues du code du travail ou des normes applicables dans la fonction publique ont également vocation à encadrer l’exercice de la liberté d’expression des salariés ou agents et, le cas échéant, à sanctionner tout abus qui serait commis. Des limitations de même nature sont opposables aux agents publics, qu’ils aient ou non la qualité de fonctionnaire.
29.  La détention du pouvoir disciplinaire constitue l’une des prérogatives essentielles de tout dirigeant, qu’il relève du secteur privé ou du secteur public. Il dispose, en la matière, d’une large marge d’appréciation lui permettant de prononcer la sanction qu’il estimera la plus adéquate aux faits reprochés au salarié ; l’échelle des sanctions envisageables englobe le pouvoir de se séparer de la personne ayant gravement compromis les intérêts de l’entreprise ou du service public. Parallèlement, ce pouvoir de licencier s’accompagne de l’interdiction faite au dirigeant de se séparer du salarié pour des raisons tenant à un motif syndical. La faute ou le motif légitime peuvent fonder une mesure de licenciement. La première se réfère à un comportement particulier, identifié. Le second, à un comportement considéré globalement.
30.  La proportionnalité de la mesure de licenciement au regard du comportement du salarié est sous-jacente à toutes les législations observées.
31.  Le droit applicable dans les États examinés permet de constater qu’un abus dans la liberté d’expression dont disposent les salariés ou les agents de la fonction publique est toujours considéré comme un fait répréhensible de nature à permettre d’engager des poursuites disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement. Pour cela, sont pris en compte des éléments factuels, de caractère objectif tels que : (i) le degré de gravité de la faute ; (ii) la qualification des propos, l’étendue de leur diffusion, ainsi que des éléments de caractère subjectif. Parmi ces derniers figurent la situation personnelle de l’auteur des propos, les éventuels abus de liberté d’expression, la question de savoir si le fait sort du cadre d’une activité syndicale « normale ».
32.  Dans tous les pays observés les règles générales permettent de concilier le droit à la liberté d’expression du salarié avec les droits et prérogatives de l’employeur. Leur mise en œuvre est plus délicate dans la mesure où une restriction à un droit fondamental ne peut être admise que si, eu égard à l’atteinte commise, elle est proportionnée au but recherché. Seule une démarche casuistique permet d’apprécier la teneur de la solution jurisprudentielle retenue dans chacune des espèces en cause.
EN DROIT
I.   SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION, LU À LA LUMIÈRE DE L’ARTICLE 11
33.  Les requérants, qui sont membres de la commission exécutive du syndicat N.A.A., se plaignent d’avoir été licenciés en raison du contenu du bulletin d’information dudit syndicat de mars 2002. Ils font valoir que la société P. n’a aucunement vérifié quelle était la participation et la responsabilité subjective de chacun d’entre eux. Ils allèguent avoir été licenciés en représailles pour des revendications du syndicat, le contenu prétendument injurieux du bulletin d’information de ce dernier servant de prétexte. Ils estiment que les caricatures et les deux articles litigieux n’ont pas dépassé les limites de la critique permise par l’article 10 de la Convention, car les expressions critiquées auraient été proférées sur le ton de la plaisanterie plutôt que sur celui de l’insulte.
Les requérants invoquent les articles 10 et 11 de la Convention, qui disposent comme suit :
Article 10
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (...).
2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...) à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...) »
Article 11
« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (...) »
A.  L’arrêt de la chambre
34.   Dans son arrêt du 8 décembre 2009, après avoir rappelé que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, la chambre a indiqué que cette liberté est soumise à des exceptions qui doivent s’interpréter strictement ; la nécessité de ces exceptions doit être justifiée par un besoin social impérieux. En l’espèce, l’ingérence en cause était prévue par la loi et poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la réputation ou des droits d’autrui. Pour apprécier si cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique, il fallait se référer au contexte particulier dans lequel s’inscrivait le présent litige, où une procédure avait été engagée par les requérants contre leur employeur devant les juridictions du travail. Tout en soulignant qu’un syndicat qui ne pourrait exprimer librement ses idées serait vidé de son contenu et de ses objectifs, la chambre a estimé qu’en l’espèce les juridictions espagnoles avaient mis en balance, au regard du droit national, les intérêts en conflit pour conclure que les requérants avaient dépassé les bornes acceptables du droit de critique de sorte que les décisions rendues par les juridictions internes ne pouvaient être considérées comme déraisonnables ou arbitraires. En conséquence, la chambre a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 10 de la Convention. En outre, elle a considéré qu’aucune question distincte ne se posait à l’égard de l’article 11 de la Convention.
B.  Arguments des parties
1.  Les requérants
35.  Les requérants soulignent que leur employeur, la société P., refusait d’accepter leur condition de travailleurs salariés et le calcul des cotisations à la sécurité sociale y afférant, bien qu’ils aient été reconnus judiciairement comme travailleurs salariés. Ils estiment que la chambre n’a pas suffisamment pris en considération le litige long et complexe qui a opposé le syndicat auquel ils étaient affiliés à leur employeur et à une association de livreurs non salariés créée et soutenue par ce dernier, à laquelle appartenaient les deux témoins cités dans le bulletin syndical.
36.  Les requérants font valoir qu’à partir d’avril 2001 à la suite du refus, par les travailleurs adhérents au syndicat N.A.A., de renoncer aux droits reconnus par voie judiciaire, l’entreprise P. décida de les punir par une réduction salariale sévère. Ils estiment par conséquent qu’il faut situer le bulletin syndical à l’origine de la présente affaire dans son contexte, à savoir le harcèlement et la pression systématique effectués par l’employeur et par l’association de travailleurs non salariés créée par ce dernier pour empêcher la prolifération de demandes des travailleurs et pour qu’ils renoncent aux droits acquis judiciairement. Ils soutiennent que le directeur des ressources humaines de la société P. a essayé d’acheter les services de certains travailleurs pour convaincre d’autres livreurs salariés de renoncer à réclamer leurs droits. Le directeur des ressources humaines aurait offert de l’argent comptant pour ces services et l’association de livreurs non salariés à laquelle appartiennent les témoins A. et B. serait ainsi devenue complice de l’employeur. Le résultat final n’est pas seulement le licenciement sans indemnisation des requérants, les seuls livreurs salariés n’ayant pas renoncé à leurs droits, mais aussi la suppression du syndicat. Ils estiment par conséquent que les libertés consacrées dans les articles 10 et 11 de la Convention ont été violées.
37.  Les requérants soutiennent que tant la caricature de la couverture du bulletin syndical que les deux articles litigieux ont eu une intention critique et informative portant sur la réclamation des salaires devant la juridiction du travail et sur la conduite des membres de l’association de livreurs non-salariés. L’utilisation d’un dessin satirique et d’expressions pouvant être considérées comme grossières ou choquantes ne font pas référence au domaine personnel ou intime des personnes concernées mais à leur rôle dans le conflit objet du litige. II n’y a pas d’attaque personnelle dans leur ton burlesque et manifestement ironique, inspiré par un animus iocandi et non iniurandi.
38.  Les requérants font valoir que les articles et les dessins ne sont pas signés et portent sur une controverse exclusivement sociale et syndicale au travers d’un organe d’expression du syndicat. Il est donc arbitraire de considérer que tous ses affiliés sont personnellement responsables de cette publication, évoquant soit une responsabilité disciplinaire de caractère collectif, soit une « voie de fait » imposant la dissolution d’un syndicat dans l’entreprise en optant pour le licenciement de ses membres-fondateurs en violation de l’article 11 de la Convention.
39.  Les requérants notent enfin que même si on devait conclure que les critiques contenues dans le bulletin portent atteinte au droit fondamental à l’honneur et à la réputation d’autrui, l’imposition d’une sanction telle que le licenciement va au-delà de la protection légitime de ce droit et est sans commune mesure avec le but poursuivi.
2.      Le Gouvernement
a) Les faits
40.  Le Gouvernement tient à préciser, face aux affirmations des requérants dans leur demande de renvoi devant la Grande Chambre, que les « libérés syndicaux » critiqués dans le bulletin ne sont pas des travailleurs que le chef d’entreprise «libère de 1’obligation de travailler » en échange « d’un comportement favorable à l’entreprise », et souligne qu’ils ne sont pas financés par le patronat et que la concession d’un certain nombre d’heures, sans perte de salaire, pour que ces représentants effectuent leur fonction syndicale est une obligation légale (prévue par l’article 68 du Statut des travailleurs).
b) Sur le grief tiré de l’article 10 de la Convention
41.  Le Gouvernement admet qu’une ingérence dans la liberté d’expression peut aussi avoir lieu dans le cadre d’une relation de droit privé ; cependant, dans ce cas il n’y a pas d’ingérence directe de l’État dans la liberté d’expression des requérants mais, le cas échéant, non-respect de ses obligations positives de protection de cette liberté.
42.  Le Gouvernement rappelle que la résiliation du contrat de travail en raison d’offenses à l’employeur ou aux travailleurs est prévue par la loi et a un but légitime : la protection de la réputation d’autrui. Les juridictions espagnoles ont considéré que les requérants avaient dépassé les limites inhérentes à l’exercice de la liberté d’expression pour nuire à la réputation de l’employeur et d’autres travailleurs. Il ne s’agit pas en l’espèce d’expressions formulées dans les médias, mais dans le cadre restreint d’une société et à propos de personnes qui y travaillent, à savoir le directeur des ressources humaines et des collègues de travail, c’est-à-dire des personnes qui n’exercent aucune fonction publique. Or l’ampleur de la critique admissible est moins large quand il s’agit de la critique adressée à un simple particulier que quand elle concerne des autorités ou des institutions publiques (voir, a contrario, Dink c. Turquie, nos 2668/07, 6102/08, 30079/08, 7072/09 et 7124/09, § 133, CEDH 2010-...). Ce contexte aggrave les préjudices à la réputation causés par le bulletin dans la mesure où les destinataires potentiels de la communication connaissent les personnes critiquées ou caricaturées.
43.  Les requérants se sont exprimés par écrit (et non dans le cadre d’un échange oral et spontané d’opinions) et avec une diffusion générale dans l’entreprise, au moyen du bulletin syndical et du tableau d’affichage. Il s’agit, par conséquent, d’une activité réfléchie des requérants, qui étaient pleinement conscients des conséquences de leurs actes et de la manière dont ils pouvaient nuire à la réputation d’autres personnes.
44.  Concernant le contenu des expressions émises par les requérants, le Gouvernement fait valoir qu’il ne s’agit pas d’une opinion ou d’une évaluation sur des questions d’intérêt général (voir, a contrario, Fuentes Bobo c. Espagne, no 39293/98, 29 février 2000), mais tout comme dans l’affaire De Diego Nafría c. Espagne (no 46833/99, 14 mars 2002), de propos utilisées au sein d’un conflit strictement professionnel avec la société où les requérants travaillaient. De plus, il ne s’agit pas non plus d’un débat de politique syndicale ou d’un débat qui affectait l’ensemble des travailleurs de la société, mais d’une réaction contre ceux qui avaient témoigné à leur encontre dans des procédures judiciaires dans lesquelles les requérants faisaient légitimement valoir leurs droits individuels.
45.  Les juridictions espagnoles ont considéré que la critique légitime pouvant être contenue dans le bulletin avait été exprimée à travers l’insulte grossière, en attribuant aux individus critiquées d’une manière péjorative une « faveur sexuelle » en échange d’un autre type de faveur, et en les qualifiant de voleurs. Dans son arrêt Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France ([GC], nos 21279/02 et 36448/02, 22 octobre 2007, CEDH 2007-XI) la Cour a considéré non protégés par la liberté d’expression des propos similaires relatifs à un personnage public de la politique ; cela vaut à fortiori lorsque ce type d’expressions concernent de simples particuliers.
46.  Pour ce qui est des caricatures, le cas de l’espèce présente des différences substantielles par rapport à l’affaire Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche (no 68354/01, 25 janvier 2007). En effet, en l’espèce, il ne s’agit pas de la formation d’une opinion publique démocratique à travers le monde de l’art, mais d’expressions émises dans le contexte des relations entre employeur et travailleur.
47.  Le Gouvernement estime, s’appuyant sur l’arrêt Constantinescu c. Roumanie (no 28871/95, §§ 72-75, CEDH 2000-VIII), que l’existence d’atteintes à la réputation d’autrui, dans l’exercice par les requérants de leur liberté d’expression, ne peut pas être considérée comme justifiée par la condition syndicale de ces derniers. Les limites à la liberté d’expression énoncées à l’article 10 § 2 sont aussi applicables aux représentants syndicaux.
48.  Le Gouvernement rappelle que la nature et la lourdeur de la peine infligée sont aussi des éléments qui entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité de l’ingérence au regard de l’article 10 de la Convention. Or, dans l’arrêt Diego Nafria précité, la Cour a considéré que, bien que le licenciement soit une conséquence grave pour la relation de travail du travailleur ayant dépassé les limites acceptables du droit de critique, l’ensemble des circonstances du cas concret devait être pris en considération. En l’espèce, les juridictions espagnoles ont apprécié une atteinte directe à la réputation des personnes citées dans le bulletin syndical, effectuée à travers des expressions et des images grossières et insultantes. Même si elles pouvaient être légitimes, les opinions des requérants ont été exprimées d’une manière gratuitement offensante car faites par écrit et de manière réfléchie.
49.  Le Gouvernement conclut par conséquent que l’ingérence en cause est justifiée par la poursuite d’un but légitime et proportionné à celui-ci.
c) Sur le grief tiré de l’article 11 de la Convention
50.  Pour le Gouvernement, ce grief manque de contenu propre et doit être examiné conjointement avec celui tiré de l’article 10. En réalité, les requérants semblent soutenir que les expressions qui sont la cause de la résiliation de leurs contrats de travail doivent être jugées dans le cadre de l’exercice de leurs tâches de représentation syndicale. Le droit de constituer un syndicat ou le droit d’affiliation à ce dernier n’ont toutefois pas été affectés par la décision de l’employeur confirmée judiciairement ; ce qu’il faut examiner en l’espèce est la portée ou les limites de la liberté d’expression des délégués syndicaux.
51.  La liberté reconnue dans l’article 11 de la Convention implique des devoirs positifs de protection par l’État, y compris ceux relatifs à la possibilité d’exprimer des opinions individuelles. Toutefois, il n’existerait une violation de ces obligations positives que si le droit d’association était affecté (voir, notamment, Gustafsson c. Suède, 25 avril 1996, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1996-II). Or, les requérants n’ont pas établi que le but de la décision de licenciement ait été d’exercer des représailles contre un certain syndicat face à d’autres. Le bulletin litigieux se borne à critiquer les témoignages faits, dans des litiges qui affectent les requérants individuellement, par certains représentants syndicaux, en les comparant à la réalisation de faveurs sexuelles ou à des actes de vol. Il n’y a donc pas de violation du droit à la liberté d’association, mais une question relative à la portée et aux limites de la liberté d’expression des représentants syndicaux, qui doit être examinée uniquement sous l’angle de l’article 10 de la Convention.
C.  Appréciation de la Cour
1.  Sur la disposition applicable en l’espèce
52.  La Cour note d’emblée que les faits de la cause sont tels que la question de la liberté d’expression se trouve étroitement associée à celle de la liberté d’association dans le contexte syndical. Elle rappelle à cet égard que la protection des opinions personnelles, garantie par l’article 10, compte parmi les objectifs de la liberté de réunion et d’association telle que la consacre l’article 11 (Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 37, série A no 202, et Barraco c. France, no 31684/05, § 27, CEDH 2009-...). Les parties ont d’ailleurs soumis des arguments sous l’angle de ces deux dispositions.
Il y a lieu de relever, toutefois, que le grief des requérants porte principalement sur le licenciement dont ils ont fait l’objet pour avoir, comme membres de la commission exécutive d’un syndicat, fait publier les articles et afficher les caricatures litigieux. Par ailleurs, les juridictions internes n’ont pas considéré comme démontré que les licenciements en question auraient eu pour cause l’appartenance des requérants audit syndicat. Elles se sont référées à l’exercice du droit à la liberté d’expression dans le cadre des relations de travail et ont noté que ce droit n’était pas illimité, en raison des caractéristiques spécifiques des relations de travail qui devaient être prises en compte. D’ailleurs, le Tribunal supérieur de justice de Catalogne estima non conforme aux articles 54 §§ 1 et 2 c) du Statut des travailleurs le licenciement de deux autres livreurs salariés, du fait qu’ils se trouvaient en arrêt maladie au moment de la publication et de la diffusion du bulletin litigieux, ce qui empêchait de les considérer comme ayant participé à la publication et à la diffusion dudit bulletin et, par conséquent, comme coresponsables d’une atteinte à la dignité des personnes visées par les publications en cause. En outre, le juge du travail prit note du fait qu’ils étaient toujours membres du syndicat en cause (paragraphe 15 ci-dessus). Cela confirme que l’appartenance des requérants au syndicat n’a pas joué un rôle décisif dans le licenciement des requérants.
La Cour estime dès lors plus approprié d’examiner les faits sous l’angle de l’article 10, lequel toutefois sera interprété à la lumière de l’article 11 (Women On Waves et autres c. Portugal, no 31276/05, § 28, CEDH 2009-... (extraits)).
2.  Sur l’observation de l’article 10 de la Convention, lu à la lumière de l’article 11
a)  Principes généraux en matière de liberté d’expression
53.  La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (voir, parmi d’autres, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July, précité). De plus, outre la substance des idées et informations exprimées, l’article 10 protège aussi leur mode d’expression (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 48, Recueil 1997-I).
54.  Il n’en demeure pas moins qu’il convient de tenir compte de l’équilibre à ménager entre les divers intérêts en jeu. Grâce à leurs contacts directs et constants avec les réalités du pays, les cours et tribunaux d’un État se trouvent souvent mieux placés que le juge international pour préciser où se situe, à un moment donné, le juste équilibre à ménager. C’est pourquoi sur le terrain de l’article 10 de la Convention, les États contractants disposent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de la nécessité et de l’ampleur d’une ingérence dans la liberté d’expression protégée par cette disposition (Tammer c. Estonie, no 41205/98, § 60, CEDH 2001-I, et Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 68, CEDH 2004-XI), en particulier lorsqu’il s’agit de mettre en balance des intérêts privés en conflit.
55.  Toutefois, cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante (voir, mutatis mutandis, Peck c. Royaume-Uni, no 44647/98, § 77, CEDH 2003-I, et Karhuvaara et Iltalehti c. Finlande, no 53678/00, § 38, 16 novembre 2004). Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation se concilient avec les dispositions invoquées de la Convention (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 60, CEDH 1999-IIII, Petrenco c. Moldova, no 20928/05, § 54, 30 mars 2010, Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, no 34147/06, § 41, 21 septembre 2010, et Petrov c. Bulgarie (déc.), no 27103/04, 2 novembre 2010).
56.  La Cour estime que les membres d’un syndicat doivent pouvoir exprimer devant l’employeur leurs revendications tendant à améliorer la situation des travailleurs au sein de leur entreprise. À cet égard, la Cour note que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a souligné dans son avis consultatif OC-5/85193 que la liberté d’expression était « une condition sine qua non pour le développement (...) des syndicats » (paragraphe 26 ci-dessus ; voir aussi paragraphe 24 et, en particulier, point 155). Un syndicat n’ayant pas la possibilité d’exprimer librement ses idées dans ce cadre se verrait en effet privé d’un moyen d’action essentiel. Dès lors, en vue d’assurer le caractère réel et effectif des droits syndicaux, les autorités nationales doivent veiller à ce que des sanctions disproportionnées ne dissuadent pas les représentants syndicaux de chercher à exprimer et défendre les intérêts de leurs membres. L’expression syndicale peut prendre la forme de bulletins d’information, de brochures, de publications et d’autres documents du syndicat, dont la distribution par les représentants des travailleurs agissant au nom d’un syndicat doit dès lors être autorisée par la direction, comme l’énonce la Conférence générale de l’OIT dans sa Recommandation no 143 du 23 juin 1971 (paragraphe 21 ci-dessus).
57.  En l’espèce, les juges espagnols ont été appelés à mettre en balance le droit à la liberté d’expression des requérants, garanti par l’article 10 de la Convention, et le droit à l’honneur et à la dignité de MM. G., A. et B. (paragraphes 15-18 ci-dessus) dans le contexte d’une relation de travail. En effet, l’article 10 de la Convention ne garantit pas une liberté d’expression illimitée et la protection de la réputation ou des droits d’autrui, en l’espèce celle des personnes visées dans les dessin et textes en cause, constitue un but légitime permettant de restreindre cette liberté d’expression. Si la motivation des décisions des juridictions internes concernant les limites de la liberté d’expression lorsque la réputation d’autrui est en jeu est suffisante et respectueuse des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011).
b)  Sur les obligations positives qui incombent à l’État défendeur en vertu de l’article 10 de la Convention lu à la lumière de l’article 11
58.  La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 1 de la Convention, les Etats contractants « reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis (...) [dans] la (...) Convention. ». Ainsi que la Cour l’a dit dans l’affaire Marckx c. Belgique (13 juin 1979, § 31, série A no 31 ; voir également Young, James et Webster c. Royaume-Uni, 13 août 1981, § 49, série A no 44), à l’engagement plutôt négatif d’un État de s’abstenir de toute ingérence dans les droits garantis par la Convention « peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes » à ces droits.
59.  C’est le cas aussi de la liberté d’expression, dont l’exercice réel et effectif ne dépend pas simplement du devoir de l’État de s’abstenir de toute ingérence, mais peut exiger des mesures positives de protection jusque dans les relations des individus entre eux. En effet, dans certains cas, l’État a l’obligation positive de protéger le droit à la liberté d’expression, même contre des atteintes provenant de personnes privées (Fuentes Bobo c. Espagne, no 39293/98, § 38, 29 février 2000, Özgür Gündem c. Turquie, no 23144/93, §§ 42-46, CEDH 2000-III, et Dink et autres c. Turquie, nos 2668/07, 6102/08, 30079/08, 7072/09 et 7124/09, § 106, 14 septembre 2010).
60.  En l’espèce, la mesure contestée par les requérants, à savoir leur licenciement, n’a pas été prise par une autorité étatique, mais par une société privée. Suite à la publication du bulletin syndical de mars 2002 et des expressions qu’il contenait, les requérants se sont vu imposer, par leur employeur, la sanction disciplinaire du licenciement pour faute grave (paragraphe 14 ci-dessus), que les juridictions nationales ont confirmée. Les licenciements des requérants ne résultent pas d’une intervention directe des autorités nationales. La responsabilité de ces dernières serait néanmoins engagée si les faits incriminés résultaient d’un manquement de leur part à garantir aux requérants la jouissance du droit consacré par l’article 10 de la Convention (cf., mutatis mutandis, Gustafsson précité, § 45).
61.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’il y a lieu d’examiner les présentes requêtes sous l’angle des obligations positives incombant à l’État défendeur sur le terrain de l’article 10 à la lumière de l’article11. Elle va donc rechercher si, en l’espèce, les autorités judiciaires espagnoles étaient tenues d’accueillir les demandes d’annulation des licenciements litigieux en vue de préserver la liberté d’expression des requérants dans le contexte des relations de travail.
62.  Si la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au regard de la Convention ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation (Karhuvaara et Iltalehti précité, § 42).
c)  Application de ces principes au cas d’espèce
63.  Comme la Cour l’a noté plus haut (paragraphe 61 ci-dessus), la question principale qui se pose en l’espèce est de savoir si l’État défendeur était tenu de garantir le respect de la liberté d’expression des requérants en annulant leur licenciement. La Cour a donc pour tâche de déterminer si, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, la sanction imposée aux requérants était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier étaient « pertinents et suffisants » (Fuentes Bobo précité, § 44).
i.  Sur la question de savoir si les propos des requérants pouvaient passer pour attentatoires à la réputation d’autrui
64.  La Cour observe que les juridictions internes ont examiné si les droits fondamentaux invoqués par les requérants avaient été violés, ce qui aurait impliqué, en cas de réponse affirmative, la nullité des licenciements dont ils avaient fait l’objet. Elles ont relevé qu’il n’y avait eu aucune atteinte au droit à la liberté syndicale, dans la mesure où les licenciements avaient pour cause le contenu même du bulletin litigieux et non l’affiliation des requérants au syndicat N.A.A.
65. Par ailleurs, les juridictions internes se sont référées à l’exercice du droit à la liberté d’expression dans le cadre des relations de travail et ont noté que ce droit n’étant pas illimité, les caractéristiques spécifiques des relations de travail devaient être prises en compte. Le juge du travail no 17 de Barcelone a estimé en effet que la caricature et les bulles de dialogue de la couverture du bulletin syndical et les articles à l’intérieur étaient offensants et portaient atteinte à l’honorabilité des personnes concernées, car ils avaient dépassé les limites de la liberté d’expression et d’information et avaient mis à mal l’honneur et la dignité du directeur des ressources humaines, de deux travailleurs ainsi que l’image de la société P. (paragraphe 15 ci-dessus).
66.  Pour arriver à cette conclusion, le juge du travail no 17 de Barcelone a procédé à une analyse minutieuse des faits litigieux et, notamment, du contexte dans lequel les requérants avaient publié le bulletin d’information, objet de la controverse. La Cour n’aperçoit aucune raison de remettre en cause les constatations ainsi faites par les juridictions internes, d’après lesquelles le dessin et les deux articles litigieux étaient offensants et de nature à nuire à la réputation d’autrui.
67.  A cet égard, il y a lieu de relever que les requérants se sont exprimés au moyen d’une caricature montrant le directeur des ressources humaines, G., assis derrière une table sous laquelle se trouvait une personne le dos tourné et à quatre pattes, et A. et B., des représentants des travailleurs, qui contemplaient la scène et attendaient leur tour pour satisfaire le directeur, le tout assorti de bulles de dialogue suffisamment explicites. Quant aux deux articles (paragraphe 15 ci-dessus), ils contenaient des reproches explicites d’« infamie » dirigés contre A. et B., accusés d’avoir « vendu » les autres employés et d’avoir abandonné leur dignité pour conserver leur poste. Ces reproches étaient exprimés en des termes à la fois vexatoires et blessants pour les personnes visées. Or, la Cour rappelle qu’une distinction claire doit être faite entre critique et insulte, cette dernière pouvant, en principe, justifier des sanctions (voir, mutatis mutandis, Skalka c. Pologne, no 43425/98, § 34, 27 mai 2003). Elle renvoie également aux principes généraux relatifs à la liberté d’opinion et d’expression de la cinquième édition (révisée) du Recueil de décisions et principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d’administration du Bureau international du travail (BIT) et, en particulier, au point 154 selon lequel « dans l’expression de leurs opinions, les organisations syndicales ne devraient pas dépasser les limites convenables de la polémique et devraient s’abstenir d’excès de langage » (paragraphe 24 ci-dessus).
68.  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les motifs retenus par les juridictions nationales se conciliaient avec le but légitime consistant à protéger la réputation des personnes physiques visées dans la caricature et les textes en cause, et que la conclusion selon laquelle les requérants avaient dépassé les bornes de la critique admissible dans le cadre des relations de travail ne saurait être considérée comme infondée ou dépourvue d’une base factuelle raisonnable.
ii.  Sur la question de savoir si la sanction du licenciement était proportionnée par rapport à la gravité des propos litigieux
69.  Il reste à rechercher si la sanction infligée aux requérants, à savoir leur licenciement par leur employeur, était proportionnée, eu égard aux circonstances de la cause.
70.  Pour se prononcer sur cette question, la Cour tiendra compte en particulier des termes utilisés dans la caricature et les articles en question et du contexte professionnel dans lequel ceux-ci ont vu le jour.
71.  Elle note tout d’abord que les propos litigieux s’inscrivaient dans un contexte particulier : une procédure avait été entamée devant les juridictions du travail par les requérants, membres d’un syndicat, contre leur employeur ; dans le cadre de cette procédure, les livreurs non salariés A. et B. avaient témoigné en faveur de la société P. et donc contre les requérants (paragraphe 11 ci-dessus). La caricature et les articles litigieux publiés dans le bulletin de la section syndicale à laquelle appartenaient les requérants s’inscrivaient donc dans le cadre d’un conflit opposant les requérants et la société P. Il n’en demeure pas moins qu’ils contenaient des critiques et des accusations adressées non pas directement à cette dernière mais aux deux livreurs non salariés et au directeur des ressources humaines. La Cour rappelle à cet égard que les limites de la critique admissible sont certainement moins larges à l’égard des particuliers qu’à l’égard des hommes politiques et des fonctionnaires agissant dans l’exercice de leurs pouvoirs (voir, a contrario, Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, série A no 103, et Nikula c. Finlande, no 31611/96, § 48, CEDH 2002-II).
72.  La Cour ne partage pas la thèse du Gouvernement selon laquelle le contenu des articles litigieux ne soulevait pas de question d’intérêt général (paragraphe 44 ci-dessus). La publication incriminée intervenait dans le cadre d’un conflit du travail au sein de la société envers laquelle les requérants revendiquaient certains droits. Le rôle premier d’une telle publication « devrait être de traiter des questions intéressant essentiellement la défense et la promotion des intérêts des syndiqués et, plus généralement, du monde du travail » (voir paragraphe 24 ci-dessus, en particulier Recueil BIT, § 170 ). Le débat n’était donc pas purement privé ; il s’agissait au moins d’une question d’intérêt général pour les travailleurs de la société P. (voir, mutatis mutandis, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 50, CEDH 1999-I, et Boldea c. Roumanie, no 19997/02, § 57, CEDH 2007-II (extraits)).
73.  Pour autant, l’existence d’une telle question ne saurait justifier l’utilisation de caricatures et d’expressions offensantes, même dans le cadre de la relation de travail (paragraphe 24 ci-dessus, point 154). De plus, ces dernières ne constituaient pas une réaction instantanée et irréfléchie dans le cadre d’un échange oral rapide et spontané, ce qui est le propre des excès verbaux. Il s’agissait au contraire d’assertions écrites, publiées en toute lucidité et affichées publiquement au sein de la société P. (comparer avec De Diego Nafría précité, § 41).
74.  Les juridictions nationales ont tenu compte de tous ces éléments lorsqu’elles se sont penchées sur le recours des requérants. Elles se sont en effet livrées à un examen approfondi des circonstances de l’affaire et ont effectué une mise en balance circonstanciée des intérêts divergents en jeu, en tenant compte des limites du droit à la liberté d’expression et des droits et obligations réciproques propres au contrat de travail et au milieu professionnel. Elles ont entériné les sanctions infligées par l’employeur, estimant qu’elles n’étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi, à savoir la protection de la réputation de MM. G., A. et B. dans un tel contexte. Elles ont également jugé que la conduite en cause ne relevait pas directement de l’activité syndicale des requérants, qu’elle avait au contraire entraîné une rupture de la bonne foi dans le cadre des relations professionnelles et qu’elle n’avait pas respecté les exigences minimales de la vie en commun dans le milieu professionnel (paragraphe 15 ci-dessus). Enfin, elles se sont amplement référées en l’espèce à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel relative au droit à la liberté d’expression dans les relations de travail et à son caractère non illimité. Aux yeux de la Cour, les conclusions auxquelles elles sont parvenues ne sauraient passer pour déraisonnables. A cet égard, elle relève en effet, outre le caractère injurieux de la caricature et des textes en cause, le fait que ceux-ci étaient destinés plus à attaquer des collègues pour avoir témoigné en justice qu’à promouvoir une action syndicale à l’égard de l’employeur.
75.  Par ailleurs, un examen des éléments de droit comparé dont la Cour dispose révèle que l’employeur jouit généralement d’une large marge d’appréciation dans la détermination de la sanction la plus adéquate aux faits reprochés à un salarié, l’échelle des sanctions envisageables englobant entre autres le pouvoir de se séparer d’une personne qui a gravement compromis les intérêts de l’entreprise. Dans les pays examinés, la législation vise à concilier le droit à la liberté d’expression du salarié avec les droits et prérogatives de l’employeur, en exigeant notamment qu’une mesure de licenciement soit proportionnée par rapport au comportement du salarié qui en fait l’objet (paragraphes 27, 30 et 31 ci-dessus). L’homogénéité des systèmes juridiques européens sur ce terrain est un élément pertinent quand il s’agit de mettre en balance les divers droits et intérêts en jeu en l’espèce.
76.  La Cour rappelle que pour pouvoir prospérer, les relations de travail doivent se fonder sur la confiance entre les personnes. Comme le juge du travail l’a souligné à juste titre, même si la bonne foi devant être respectée dans le cadre d’un contrat de travail n’implique pas un devoir de loyauté absolue envers l’employeur ni une obligation de réserve entraînant la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur, certaines manifestations du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail (voir, mutatis mutandis, Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, §§ 51 et 59, série A no 323). De plus, une atteinte à l’honorabilité des personnes faite par voie d’expressions grossièrement insultantes ou injurieuses au sein du milieu professionnel revêt, en raison de ses effets perturbateurs, une gravité particulière, susceptible de justifier des sanctions sévères.
77.  Ceci amène la Cour à estimer que, dans les circonstances particulières de la présente espèce, le licenciement dont les requérants ont fait l’objet n’était pas une sanction manifestement disproportionnée ou excessive, de nature à exiger que l’État y portât remède en l’annulant ou en y substituant une sanction moins sévère.
iii.  Conclusion
78.  Dans ces conditions, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas manqué à ses obligations à l’égard des requérants au titre de l’article 10 de la Convention, lu à la lumière de l’article 11.
79.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 10 lu à la lumière de l’article 11.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
Dit, par douze voix contre cinq, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention, lu à la lumière de l’article 11.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 12 septembre 2011.
Vincent Berger Nicolas Bratza   Jurisconsulte Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Tulkens, David Thór Björgvinsson, Jočienė, Popović et Vučinić.
N.B.   V.B.
OPINION DISSIDENTE COMMUNE DES JUGES TULKENS, DAVÍD THÓR BJÖRGVINSSON, JOČIENĖ, POPOVIĆ ET VUČINIĆ
1.  Nous ne partageons pas la décision de la majorité selon laquelle il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 10 de la Convention, lu à la lumière de l’article 11. Au travers des circonstances concrètes de cette affaire, des questions de principe importantes se posent en termes de contenu et d’étendue de la liberté d’expression dans le cadre de la relation de travail et de la liberté d’expression syndicale.
2.  Rappelons brièvement les faits car ils sont importants pour saisir la portée et l’enjeu du débat.
Les requérants travaillaient comme livreurs pour une société de boulangerie industrielle. Ils avaient engagé contre celle-ci des procédures auprès des juridictions du travail tendant à voir reconnaître leur statut de travailleurs salariés (et non de livreurs commerciaux ou non salariés), afin d’être intégrés au régime correspondant de la Sécurité sociale. Dans le cadre de ces procès, des représentants d’un comité de livreurs non salariés de la société avaient témoigné contre les requérants. En 2001, les requérants créèrent le syndicat Nueva Alternativa Asamblearia (N.A.A.) pour défendre leurs intérêts et ceux des autres livreurs face aux pressions de la société pour qu’ils renoncent à leur statut de salariés qui leur avait été reconnu par les juridictions du travail. Les requérants n’étaient pas des représentants syndicaux, compte tenu du fait qu’au moment des licenciements il n’y avait pas eu d’élections syndicales au sein de la société depuis 1991, mais ils avaient intégré la commission exécutive du syndicat N.A.A. et le premier requérant était délégué syndical.
Le bulletin mensuel d’information du syndicat de mai 2002 annonçait le jugement rendu en avril 2002 par le juge du travail no 13 de Barcelone qui avait accueilli les prétentions des requérants condamnant la société à leur verser certains montants relatifs aux salaires dont elle était débitrice. Sur la couverture du bulletin, une caricature satirique visait le directeur des ressources humaines de la société acceptant des faveurs sexuelles en échange d’avantages octroyés à certains travailleurs. A l’intérieur du bulletin, deux articles critiquaient violemment deux personnes, appartenant à la même société mais représentant un comité de livreurs non salariés, accusées d’avoir « vendu les autres travailleurs et abandonné leur dignité pour conserver leur poste ».
Le 3 juin 2002, les requérants furent licenciés sur-le-champ pour faute grave, en l’occurrence l’atteinte à l’honneur des personnes visées, sur le fondement de l’article 54 § 1 du Statut des travailleurs, qui permet de mettre un terme au contrat de travail en cas de non-respect grave et coupable par le travailleur de ses obligations. Selon l’article 54 § 2 c), constituent une faute grave « les offenses verbales ou physiques à l’employeur ou aux personnes qui travaillent au sein de l’entreprise ou aux membres de leurs familles ou qui cohabitent avec eux ». Leur syndicat N.A.A. fut également supprimé.
3.  A juste titre, la Cour note d’emblée que « les faits de la cause sont tels que la question de la liberté d’expression se trouve étroitement associée à celle de la liberté d’association dans le contexte syndical » (paragraphe 52 de l’arrêt, al. 1). Toutefois, par après, elle s’oriente dans une autre direction et évacue, de manière artificielle, la dimension syndicale de l’affaire. Elle prend à son compte la position des juridictions internes qui « n’ont pas considéré comme démontré que les licenciements auraient eu pour cause l’appartenance des requérants audit syndicat » et, tout en la nuançant légèrement, confirme « que l’appartenance des requérants au syndicat n’a pas joué un rôle décisif dans le licenciement des requérants » (ibid., al. 2).
4.  La Cour choisit dès lors comme angle d’examen principal l’article 10 de la Convention, même si elle précise que cette disposition sera interprétée à la lumière de l’article 111. Toutefois, cet éclairage annoncé se révèle concrètement illusoire, voire théorique. En effet, autant dans son appréciation des faits que dans la mise en balance des intérêts, la majorité ne tient quasiment pas compte du fait que les requérants étaient membres d’un syndicat ni qu’ils exprimaient des revendications en matière professionnelle et sociale ; en outre, le litige en cause se situait au cœur même d’un débat relatif à la liberté syndicale puisqu’il opposait non seulement un syndicat à l’employeur mais aussi deux syndicats entre eux.
5.  Le droit à la liberté syndicale ne peut être dissocié du droit à la liberté d’expression et d’information. Et, à son tour, la liberté d’expression syndicale est unanimement considérée comme un aspect essentiel et indispensable du droit syndical, une condition nécessaire à la réalisation des objectifs des associations et des syndicats, comme il ressort très clairement des documents de l’Organisation internationale du travail et de la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme cités par l’arrêt de la Grande Chambre comme textes pertinents (paragraphes 21 et suivants de l’arrêt). Pour reprendre les termes de M. O’Boyle, « on peut considérer que la liberté d’expression est l’oxygène d’où les droits liés à la liberté d’association tirent leur vitalité »2. Nous pensons avec d’autres que « dans la mesure où les syndicats jouent un rôle important en ce qu’ils expriment et défendent des idées d’intérêt public en matière professionnelle et sociale, leur liberté d’émettre des opinions mérite un degré de protection élevé »3.
6.  Sans prétendre que les licenciements trouvaient leur cause dans l’appartenance syndicale des requérants, il est certain que la caricature et les articles litigieux dans le bulletin syndical avaient une coloration syndicale et ils devaient dès lors être appréciés au regard du conflit social existant au sein de l’entreprise ainsi que du contexte dans lequel ils ont été publiés.
7.  Certes, il n’y a pas, à ce jour, de jurisprudence spécifique de la Convention mettant en rapport le droit à la liberté syndicale, dans son aspect « droit à ce qu’il [le syndicat] soit entendu en vue de la défense de leurs intérêts »4, avec la liberté d’expression. Nous pensons cependant que la jurisprudence applicable à la liberté d’expression dans le contexte de la presse peut être d’application, mutatis mutandis et avec toutes les précautions nécessaires, aux cas comme celui de l’espèce. En effet, une fonction similaire à celle de « chien de garde » de la presse est exercée par un syndicat qui agit au nom des travailleurs de l’entreprise pour assurer la défense de leurs intérêts professionnels et sociaux. Dans l’arrêt Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie du 27 mai 2004, la Cour a étendu aux groupements de protection de l’environnement le statut privilégié réservé à la presse. Il en va de même en ce qui concerne des associations dans l’arrêt Mamère c. France du 7 novembre 2006.
8.  Cela étant, il va de soi que la liberté d’expression tout comme la liberté d’expression syndicale ne sont pas illimitées et que leur exercice est soumis aux mêmes limitations et restrictions nécessaires dans une société démocratique.
9.  Au regard de l’article 10 de la Convention, l’affaire doit être examinée sous l’angle des obligations positives susceptibles d’incomber à l’État défendeur afin de garantir aux requérants la jouissance du droit à la liberté d’expression, la mesure contestée par les requérants, à savoir leur licenciement, n’ayant pas été prise par une autorité étatique mais par une société privée. La question qui se pose est celle de savoir si la sanction disciplinaire de licenciement des requérants pour faute grave, entraînant la perte immédiate et définitive de leur emploi, répondait à un « besoin social impérieux » et était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier étaient « pertinents et suffisants ». Nous ne le pensons pas, même si nous pouvons admettre comme but légitime la protection de la réputation ou des droits d’autrui.
10.  Dans la mise en balance de la liberté d’expression et du droit à l’honneur et à la réputation des personnes visées, la Cour reprend entièrement et quasi-textuellement les constatations des juridictions internes qui ont estimé, sans prendre en compte l’article 10 de la Convention, que la caricature et les articles litigieux étaient offensants et portaient atteinte à l’honorabilité des individus en cause et de la société (paragraphe 65 de l’arrêt). A aucun moment, la Cour n’examine concrètement si ceux-ci dépassent la limite des propos qui « choquent, heurtent et inquiètent » et qui sont protégés par l’article 10 de la Convention comme expression du pluralisme, de la tolérance et de l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique. C’est justement lorsqu’on présente des idées qui heurtent et choquent que la liberté d’expression est la plus précieuse5.
11.  En ce qui concerne le dessin de couverture, il s’agit d’une caricature, certes vulgaire et d’un goût douteux, mais qui doit être considérée pour ce qu’elle est, à savoir une figure satirique. Dans d’autres affaires, notre Cour a reconnu le caractère satirique d’une expression, d’une publication ou d’une caricature6. En refusant de prendre ce caractère en compte en l’espèce, l’arrêt donne l’étrange impression de placer la liberté d’expression syndicale à un rang inférieur à celui de la liberté artistique et de la traiter de manière plus rigoureuse7.
12.  Par ailleurs, quant au contenu des textes litigieux, qui sont sans nul doute rudes et grossiers, ils doivent être appréciés au regard du conflit social existant au sein de l’entreprise. Les vives critiques n’étaient pas relatives à l’intimité des personnes ou à d’autres droits liés à leur vie privée. Elles portaient exclusivement sur le rôle de certains collègues dans le conflit social et sur leur attitude professionnelle dans la controverse juridique liée au respect des droits légalement reconnus aux travailleurs. C’était d’ailleurs la promotion et la protection de ces droits qui avait été la raison essentielle de la création du syndicat. A cet égard, ces critiques ne nous semblent pas de nature à causer un préjudice « à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée » (A. c. Norvège, arrêt du 9 avril 2009, § 64). Il est d’ailleurs significatif de constater qu’il ne ressort pas du dossier que les personnes visées par les propos offensants des requérants aient engagé des actions judiciaires pour diffamation ou injures à l’encontre des requérants, comme c’était le cas dans l’affaire Fuentes Bobo c. Espagne8.
Ainsi, la couverture du bulletin faisait référence au fait que certains représentants de l’association avaient témoigné en faveur de l’entreprise et que, en échange, ils avaient reçu des avantages. Dans l’article incriminé « Témoins ... de qui ? D’eux-mêmes », la même question était abordée, certes dans des termes ironiques et excessifs, faisant valoir que les témoins ne jouent pas leur rôle de défense de l’intérêt des personnes comme les membres de l’association professionnelle dont ils sont eux-mêmes les représentants.
13.  Au paragraphe 74 de l’arrêt, pour asseoir son évaluation, la Cour relève « outre le caractère injurieux de la caricature et des textes en cause, le fait que ceux-ci étaient destinés plus à attaquer des collègues pour avoir témoigné en justice qu’à promouvoir une action syndicale à l’égard de l’employeur ». A nouveau, la Cour dissocie les textes litigieux de leur contexte, l’action syndicale ayant précisément été suscitée par les témoignages en justice des membres de l’autre comité (cf. supra, 2.). Par ailleurs, pareille affirmation – dont on peut se demander si elle rentre bien dans la compétence de la Cour – relève de la spéculation et laisse transparaître une relative méconnaissance de l’action syndicale, voire une certaine méfiance à l’endroit de celle-ci.
14.  Tout comme la chambre, la Grande Chambre insiste sur le fait que les caricatures et les articles offensants « ne constituaient pas une réaction instantanée et irréfléchie dans le cadre d’un échange oral rapide et spontané, ce qui est le propre des excès verbaux. Il s’agissait au contraire d’assertions écrites, publiées en toute lucidité et affichées publiquement au sein de la société P. » (paragraphe 73 de l’arrêt). Cette appréciation permet en fait à la Cour de distinguer la présente affaire de l’arrêt Fuentes Bobo c. Espagne du 29 février 2000 où il s’agissait d’assertions orales prononcées lors d’émissions de radio et en direct, ce qui avait ôté la possibilité aux requérants de les reformuler, de les corriger voire de les retirer avant qu’elles ne soient rendues publiques9. Le caractère relativement artificiel de cette distinction, précisément dans le contexte de la relation de travail, peut faire craindre que le présent arrêt ne constitue une régression par rapport à l’arrêt Fuentes Bobo concernant le licenciement d’un journaliste en raison de vives critiques lors d’une émission de radio et où la Cour a conclu à la violation de l’article 10 de la Convention dans le cadre d’un conflit de travail.
15.  Pour ce qui est de la gravité de la sanction, les requérants se sont vus infliger la sanction maximale prévue par le Statut des travailleurs, à savoir la résiliation définitive du contrat de travail, sans préavis, sans avertissement et sans indemnisation. Il est incontestable que cette sanction est la plus sévère des sanctions qui puisse atteindre des travailleurs, alors que d’autres sanctions disciplinaires, moins lourdes et plus appropriées, auraient pu / dû être envisagées, comme la Cour le reconnaît dans l’arrêt Fuentes Bobo10.
16.  Il faut relever aussi que les requérants ont été licenciés pour non-respect grave et coupable de leurs obligations, bien que les « offenses » commises par écrit ne soient pas expressément énoncées à l’article 54 § 2 du Statut des Travailleurs, qui ne se réfère qu’aux « offenses orales ou physiques envers l’employeur ou les personnes travaillant dans l’entreprise (...) » parmi les cas susceptibles d’être considérés comme inexécution contractuelle. En tout état de cause, la sanction à infliger dépendait de la qualification comme « grave » par l’employeur de la conduite en cause en l’espèce et, dès lors, de la volonté de ce dernier de mettre fin aux contrats de travail des requérants, dans la mesure où l’article 54 § 1 du Statut de travailleurs n’impose pas impérativement le licenciement pour ce cas de figure mais en prévoit seulement la possibilité.
17.  Le choix d’une sanction aussi lourde infligée aux membres d’un syndicat qui agissent pour leur propre compte mais aussi pour la défense des intérêts d’autres travailleurs est susceptible d’avoir, de façon générale, un « effet dissuasif » (chilling effect) sur la conduite des syndicalistes face à l’employeur et de constituer une atteinte directe à la raison d’être d’un syndicat11. A cet égard, il faut relever que la simple menace de renvoi impliquant la perte des moyens d’existence a été qualifiée dans la jurisprudence de la Cour comme une forme très grave de contrainte touchant à la substance même de la liberté d’association telle que la consacre l’article 11 (Young, James et Webster c. Royaume-Uni, arrêt du 13 août 1981, § 55).
18.  Enfin, la majorité n’hésite pas à affirmer que certaines manifestations du droit à la liberté d’expression qui pourraient être légitimes dans d’autres contextes ne le sont pas dans le cadre de la relation de travail. Et elle ajoute : « De plus, une atteinte à l’honorabilité des personnes faite par voie d’expressions grossièrement insultantes ou injurieuses au sein du milieu professionnel revêt, en raison de ses effets perturbateurs, une gravité particulière, susceptible de justifier des sanctions sévères. Ceci amène la Cour à estimer que, dans les circonstances particulières de la présente espèce, le licenciement dont les requérants ont fait l’objet n’était pas une sanction manifestement disproportionnée ou excessive, de nature à exiger que l’État y portât remède en l’annulant ou en y substituant une sanction moins sévère » (paragraphes 76 et 77 de l’arrêt). Nous sommes perplexes devant une telle affirmation.
Tout d’abord, l’argument des troubles éventuels sur les lieux de travail est un argument qui a été invoqué traditionnellement pour justifier davantage de protection de la liberté d’expression et non pas moins de protection. « Many people, (...) economically dependent as they are upon their employer, hesitate to speak out not because they are afraid of getting arrested, but because they are afraid of being fired. And they are right. »12.
Ensuite, cette singulière prise de position de la Cour néglige à nouveau la dimension sociale de la situation en cause et nous paraît détachée de la réalité actuelle. Le licenciement pour faute grave immédiat et définitif a tout simplement privé les requérants de leurs moyens d’existence. En termes de proportionnalité, peut-on raisonnablement aujourd’hui, dans la situation généralisée de crise de l’emploi qui affecte de nombreux pays et en termes de paix sociale, comparer les éventuels effets perturbateurs des textes litigieux au sein de la société à la mise définitive à l’écart et dès lors à la précarisation des travailleurs ? Nous ne le pensons pas.
19.  En conclusion, au vu de ce qui précède, de l’interdépendance des libertés d’expression et d’association, du contexte social et professionnel dans lequel les faits se sont produits, de la gravité de la sanction, de son effet dissuasif et de son caractère disproportionné, nous estimons que l’ingérence en question ne répondait pas à un « besoin social impérieux », qu’elle ne saurait passer pour « nécessaire dans une société démocratique » et se révèle manifestement disproportionnée aux objectifs poursuivis. Il y a donc une violation de l’article 10 de la Convention, lu à la lumière de l’article 11.
1. Il est certain que les deux libertés garanties respectivement par l’article 10 et l’article 11 de la Convention entretiennent des liens étroits. Il semble cependant que notre Cour manque encore de cohérence dans la manière dont elle traite les affaires où sont invoquées ensemble ces deux dispositions. En examinant la jurisprudence, on constate que la Cour a examiné la plupart de ces affaires sous l’angle de l’article 11, disposition qualifiée de lex specialis par rapport à l’article 10, lex generalis ; elle a cependant aussi examiné des affaires similaires au cas présent sous le seul angle de l’article 10.
2. M. O’Boyle, « Right to Speak and Associate under Strasbourg Case-Law with Reference to Eastern and Central Europe », Conn. J. Int’l L., vol. 8, 1993, p. 282.
3. J.-P. Marguénaud et J. Mouly, « La liberté d'expression syndicale, parent pauvre de la démocratie », Rec. Dalloz, 2010, p. 1456. Voy. aussi D. Voorhoof et J. Englebert, « La liberté d’expression syndicale mise à mal par la Cour européenne des droits de l’homme », Rev. trim. dr. h., n° 83, 2010, p. 743.
4. Cour eur. D.H., arrêt Syndicat national de la police belge c. Belgique du 27 octobre 1975, § 39.
5. Cour eur. D.H., arrêt Women On Waves et autres c. Portugal du 3 février 2009, § 42.
6. Cour eur. D.H., arrêt Sokolowski c. Pologne du 29 mars 2005 ; Cour eur. D.H., arrêt Ukrainian Media Group c. Ukraine du 29 mars 2005 ; Cour eur. D.H., arrêt Wirtschafts-Trend Zeitschriften-Verlags GmbH (nº 3) c. Autriche du 13 décembre 2005 ; Cour eur. D.H., arrêt Alinak c. Turquie du 4 mai 2006 ; Cour eur. D.H., arrêt Klein c. Slovaquie du 31 octobre 2006 ; Cour eur. D.H., arrêt Nikowitz et Verlagsgruppe News GmbH c. Autriche du 22 février 2007 ; Cour eur. D.H., arrêt A.S. Diena et Ozolins c. Lettonie du 12 juillet 2007 ; Cour eur. D.H., arrêt Cihan Öztürk c. Turquie du 9 juin 2009 ; Cour eur. D.H., arrêt Bodrozic et Vuijn c. Serbie du 23 juin 2009 ; Cour eur. D.H, arrêt Kulis et Rozycki c. Pologne du 6 octobre 2009 ; Cour eur. D.H., arrêt Alves Da Silva c. Portugal du 20 octobre 2009. Voy. aussi, Cour eur. D.H., arrêt Vereinigung Demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c. Autriche du 19 décembre 1994.
7. J.-P. Marguénaud et J. Mouly, « La liberté d'expression syndicale, parent pauvre de la démocratie », op. cit.
8. Cour eur. D.H., arrêt Fuentes Bobo c. Espagne du 29 février 2000, § 48.
9. Ibid., § 46.
10. Ibid., §§ 49-50.
11. Sur l’effet dissuasif manifeste que la crainte de sanctions emporte pour l’exercice par les journalistes de leur liberté d’expression, voir, mutatis mutandis, Cour eur. D.H. (GC), arrêt Wille c. Liechtenstein du 28 octobre 1999, § 50 ; Cour eur. D.H., arrêt Nikula c. Finlande du 21 mars 2002, § 54 ; Cour eur. D.H., arrêt Goodwin c. Royaume-Uni du 27 mars 1996, § 39 ; Cour eur. D.H., arrêt Elci et autres c. Turquie du 13 novembre 2003, § 714.
12. I. Glasser, « You Can Be Fired for Your Politics », Civil Liberties, n° 327, avril 1979, p. 8.
ARRÊT PALOMO SÁNCHEZ ET AUTRES c. ESPAGNE
ARRÊT PALOMO SÁNCHEZ ET AUTRES c. ESPAGNE 
ARRÊT PALOMO SANCHEZ ET AUTRES c. ESPAGNE – OPINION SÉPARÉE
ARRÊT PALOMO SANCHEZ ET AUTRES c. ESPAGNE – OPINION SÉPARÉE 


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 28955/06;28957/06;28959/06;...
Date de la décision : 12/09/2011
Type d'affaire : Arrêt (au principal)
Type de recours : Non-violation de l'art. 10

Analyses

(Art. 10-1) LIBERTE D'EXPRESSION, (Art. 10-2) NECESSAIRE DANS UNE SOCIETE DEMOCRATIQUE, (Art. 10-2) PROTECTION DE LA REPUTATION D'AUTRUI


Parties
Demandeurs : PALOMO SANCHEZ ET AUTRES
Défendeurs : ESPAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2011-09-12;28955.06 ?

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