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17/02/2015 | CEDH | N°001-152350

CEDH | CEDH, AFFAIRE DEVRIENDT c. BELGIQUE, 2015, 001-152350


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DEVRIENDT c. BELGIQUE

(Requête no 32001/07)

ARRÊT

STRASBOURG

17 février 2015

DÉFINITIF

17/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Devriendt c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens, >Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 janvier 2015,

Rend...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE DEVRIENDT c. BELGIQUE

(Requête no 32001/07)

ARRÊT

STRASBOURG

17 février 2015

DÉFINITIF

17/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Devriendt c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 janvier 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32001/07) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Johan Devriendt (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 juillet 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes A. de Becker, I. Gabriels et M. Vaessen, avocats à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier que son droit à un procès équitable a été violé du fait de l’absence de motivation du verdict du jury et de l’arrêt de la cour d’assises l’ayant condamné à la réclusion à perpétuité.

4. Le 29 mai 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1970. Il est actuellement détenu à la prison de Louvain. À l’époque des faits, il était inspecteur de police.

6. Le 25 août 2003, la compagne du requérant fut trouvée morte dans le lit conjugal.

7. Par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles du 24 novembre 2005, le requérant fut mis en accusation d’avoir :

[traduction]

« à Linkebeek, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, dans la nuit du 24 au 25 août 2003,

volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, commis un homicide sur la personne de [C.V.]. »

8. Selon les termes de l’acte d’accusation du 7 juillet 2006, le requérant alléguait que sa compagne, C.V., le réveilla le 25 août 2003 pendant la nuit en tenant l’arme de service du requérant contre son front. D’après le requérant, il demanda alors quelle était son intention et elle répondit qu’il devait s’occuper des parents à elle. Il essaya ensuite avec sa main gauche de prendre son coude et voulut avec sa main droite prendre l’arme pour la lui enlever. À ce moment, sa compagne appuya sur la détente et se tua. Le commissaire de police, ayant vu la position de la dépouille - couchée sur le ventre avec le bras gauche sous l’oreiller et le bras droit sur le duvet -, ne crut pas à la théorie du suicide. Il fut constaté que le duvet n’était pas froissé et que sur la main droite de la défunte - avec laquelle elle aurait tiré - on ne retrouvait aucune tâche de sang alors que, selon le récit du requérant, elle aurait dû se trouver au milieu de la zone recouverte de sang. L’acte d’accusation poursuivit que le requérant avait par la suite essayé de décrire sa compagne comme une personne dépressive. Toutefois, le médecin généraliste de C.V. déclara qu’il n’y avait jamais eu d’indication de dépression. De plus, dans l’appartement commun du requérant et de la défunte, aucun antidépresseur ou anxiolytique ne fut trouvé. Selon le requérant, C.V. portait un « masque » et arrivait à cacher son état suicidaire. L’acte d’accusation rapporta également qu’en plus de sa relation avec la victime, le requérant avait eu une relation sentimentale avec L.M. de 2000 à 2001 et que depuis juin 2003, le requérant entretenait une relation sentimentale avec L.C. Le requérant avoua cette liaison lors des interrogatoires du 22 octobre 2003 ainsi que l’existence de problèmes relationnels entre lui et C.V. Après le décès de C.V. la relation entre le requérant et L.C. s’intensifia : sept semaines après le décès, ils prirent rendez-vous auprès d’un gynécologue pour faire un test de fertilité. Un autre rapport médico-légal du 14 février 2004 nota également que l’autopsie faisait état d’un tir « à bout touchant » alors que le requérant dit avoir essayé d’enlever l’arme à C.V. Le rapport conclut que le récit du requérant ne correspondait pas avec toutes les constatations médico-légales. Le 5 novembre 2003, un rapport psychologique concernant le requérant conclut que celui-ci montrait une agression cachée ainsi qu’une tendance narcissique et dominante. Un rapport d’anamnèse psychiatrique du 10 novembre 2003 nota que le requérant était sur ses gardes et semblait passer sous silence des informations importantes. Il constata également que pendant l’été 2003 le couple du requérant avec C.V. souffrait clairement d’une crise relationnelle et que l’origine de cette crise semblait être la relation avec L.C. De plus, aucun élément n’indiquait que C.V. souffrait d’une dépression sérieuse. Concernant la nuit du décès de C.V., le rapport ne trouva aucun élément confirmant la théorie du suicide ni un motif pour un meurtre.

9. Le procès du requérant se tint devant la cour d’assises de la province du Brabant flamand du 18 au 26 septembre 2006.

10. Le jury fut appelé à répondre à deux questions soumises par le président de la cour d’assises. Les questions furent libellées comme suit :

[traduction]

« Première question : Fait principal

DEVRIENDT Johan David, accusé ici présent, est-il coupable d’avoir, à Linkebeek, dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles, le 25 août 2003, volontairement, avec intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [C.V.] ?

Deuxième question : Circonstance aggravante

L’homicide volontaire avec intention de donner la mort repris à la question précédente a-t-il été commis avec préméditation ? »

11. Le jury répondit par l’affirmative à ces deux questions.

12. Par un arrêt du 26 septembre 2006, la cour d’assises, composée des trois magistrats professionnels et du jury, condamna le requérant à la réclusion à perpétuité. Pour la fixation du montant de la peine, la cour tint compte du fait que les actes étaient particulièrement sérieux, qu’ils témoignaient d’une personnalité dangereuse et d’un intolérable manque de respect pour l’intégrité physique et psychique des autres.

13. Le requérant se pourvut en cassation, développant les mêmes griefs que ceux invoqués devant la Cour.

14. Par un arrêt du 30 janvier 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle jugea notamment que l’article 6 § 1 de la Convention n’imposait au jury aucune obligation de motiver son verdict. Le droit à un procès équitable était garanti si, comme dans le cas d’espèce, l’accusé avait eu la possibilité de faire valoir ses moyens de défense. Le fait que les jurés, à l’inverse d’un tribunal correctionnel ou de police, ne devaient pas répondre aux conclusions de l’accusé concernant la question de sa culpabilité, n’affectait pas le procès, la constitution du jury ainsi que la procédure devant la cour d’assises garantissant la protection contre l’arbitraire. La Cour de cassation considéra également que la loi n’imposait pas aux jurés des règles spéciales pour former leur intime conviction. Elle leur demandait d’examiner l’effet que les preuves présentées à charge et à décharge de l’accusé faisaient sur eux. De ce fait, l’intime conviction des jurés était bel et bien formée à partir des éléments présentés lors du procès.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

15. Le droit et la pratique internes pertinents sont décrits dans l’arrêt Taxquet c. Belgique ([GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION (ABSENCE DE MOTIVATION)

16. Le requérant allègue que du fait de l’absence de motivation du verdict du jury sur la culpabilité, son procès n’a pas été équitable et a méconnu l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

17. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

18. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le bien-fondé

1. Thèses des parties

19. Le requérant considère que la motivation d’une décision judiciaire constitue une obligation incombant aux juges qui doivent détailler les motifs de leur décision afin de permettre à l’accusé de vérifier que les garanties procédurales ont été respectées et d’introduire utilement un recours si tel n’a pas été le cas. Aussi, selon le requérant, les particularités de la procédure belge bafouent la présomption d’innocence étant donné que la loi se limite à demander aux jurés de statuer sur la base de leur intime conviction, ce qui implique que les jurés ne sont pas dans l’obligation d’avoir égard aux preuves et éléments qui leur sont soumis. En l’espèce, l’arrêt de la cour d’assises ne contient aucun développement permettant au requérant de déterminer les éléments sur lesquels les jurés se sont fondés pour déclarer établie l’accusation mise à sa charge, ni de vérifier si tous les éléments à charge et à décharge soumis au jury ont été pris en considération. Le requérant estime que le fait qu’il ait pu faire valoir ses moyens de défense et les particularités de la procédure d’assises belge ne sont pas en mesure de compenser le déficit laissé par l’absence de motivation de l’arrêt de la cour d’assises, lui-même basé sur un verdict du jury non motivé. La réforme législative effectuée par les autorités belges entretemps constituerait une reconnaissance explicite de l’insuffisance des garanties prévues par la procédure d’assises belge en vigueur au moment des faits.

20. Le Gouvernement fait valoir que l’acte d’accusation contient une chronologie détaillée des investigations policières et judiciaires et les nombreuses déclarations des témoins mettant en évidence les contradictions du requérant. Pour le Gouvernement, tous les éléments à charge ressortent avec beaucoup de précision de l’acte d’accusation. Ainsi, combiné aux deux questions soumises au jury, le Gouvernement estime que l’acte d’accusation permettait au requérant de comprendre quelles preuves et quels moyens de défense le jury avait ou n’avait pas estimés convaincants et pourquoi la qualification d’assassinat avait été retenue plutôt que celle de meurtre. En outre, le Gouvernement fait remarquer que le requérant a présenté sa défense orale mais que ses avocats n’ont pas déposé de mémoire en défense, ni de conclusions pour invoquer des causes de nullité, d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique. Ils n’ont pas non plus proposé que soient posées des questions complémentaires au jury. Enfin, dans son ensemble, la procédure suivie revêtait suffisamment de garanties contre l’arbitraire.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes applicables

21. La Cour relève d’emblée que la présente affaire s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Taxquet (précité) et renvoie à cet arrêt (§§ 83-92) s’agissant des principes applicables. Dans l’arrêt Agnelet c. France (no 61198/08, §§ 56-62, 10 janvier 2013), la Cour a rappelé ces principes comme suit :

« 56. La Cour rappelle que la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et que l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. L’absence de motivation d’un arrêt qui résulte de ce que la culpabilité d’un requérant avait été déterminée par un jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention (Saric c. Danemark (déc.), no 31913/96, 2 février 1999, et Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 89, CEDH 2010).

57. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public et, au premier chef, l’accusé doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu. C’est là une garantie essentielle contre l’arbitraire. Or, comme la Cour l’a déjà souvent souligné, la prééminence du droit et la lutte contre l’arbitraire sont des principes qui sous-tendent la Convention (Taxquet, précité, § 90). Dans le domaine de la justice, ces principes servent à asseoir la confiance de l’opinion publique dans une justice objective et transparente, l’un des fondements de toute société démocratique (Suominen c. Finlande, no 37801/97, § 37, 1er juillet 2003, Tatichvili c. Russie, no 1509/02, § 58, CEDH 2007-III, et Taxquet, précité).

58. La Cour rappelle également que devant les cours d’assises avec participation d’un jury populaire, il faut s’accommoder des particularités de la procédure où, le plus souvent, les jurés ne sont pas tenus de – ou ne peuvent pas – motiver leur conviction (Taxquet, précité, § 92). Dans ce cas, l’article 6 exige de rechercher si l’accusé a pu bénéficier des garanties suffisantes de nature à écarter tout risque d’arbitraire et à lui permettre de comprendre les raisons de sa condamnation. Ces garanties procédurales peuvent consister par exemple en des instructions ou éclaircissements donnés par le président de la cour d’assises aux jurés quant aux problèmes juridiques posés ou aux éléments de preuve produits, et en des questions précises, non équivoques soumises au jury par ce magistrat, de nature à former une trame apte à servir de fondement au verdict ou à compenser adéquatement l’absence de motivation des réponses du jury (ibidem, et Papon c. France (déc.), no 54210/00, ECHR 2001-XII). Enfin, doit être prise en compte, lorsqu’elle existe, la possibilité pour l’accusé d’exercer des voies de recours.

59. Eu égard au fait que le respect des exigences du procès équitable s’apprécie sur la base de la procédure dans son ensemble et dans le contexte spécifique du système juridique concerné, la tâche de la Cour, face à un verdict non motivé, consiste donc à examiner si, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, la procédure suivie a offert suffisamment de garanties contre l’arbitraire et a permis à l’accusé de comprendre sa condamnation (Taxquet, précité, § 93). Ce faisant, elle doit garder à l’esprit que c’est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques (Salduz c. Turquie, [GC] no 36391/02, § 54, CEDH 2008, et ibidem).

60. Dans l’arrêt Taxquet (précité), la Cour a examiné l’apport combiné de l’acte d’accusation et des questions posées au jury. S’agissant de l’acte d’accusation, qui est lu au début du procès, elle a relevé que s’il indique la nature du délit et les circonstances qui déterminent la peine, ainsi que l’énumération chronologique des investigations et les déclarations des personnes entendues, il ne démontre pas « les éléments à charge qui, pour l’accusation, pouvaient être retenus contre l’intéressé ». Surtout, elle en a relevé la « portée limitée » en pratique, dès lors qu’il intervient « avant les débats qui doivent servir de base à l’intime conviction du jury » (§ 95).

61. Quant aux questions, au nombre de trente-deux pour huit accusés, dont quatre seulement pour le requérant, elles étaient rédigées de façon identique et laconique, sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au requérant de comprendre le verdict de condamnation », à la différence de l’affaire Papon, où la cour d’assises s’était référée aux réponses du jury à chacune des 768 questions posées par le président de cette cour (§ 96).

62. Il ressort de l’arrêt Taxquet (précité) que l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées au jury doit permettre de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés durant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à répondre par l’affirmative aux quatre questions le concernant, et ce afin de pouvoir notamment : différencier les coaccusés entre eux ; comprendre le choix d’une qualification plutôt qu’une autre ; connaître les motifs pour lesquels des coaccusés sont moins responsables aux yeux du jury et donc moins sévèrement punis ; justifier le recours aux circonstances aggravantes (§ 97). Autrement dit, il faut des questions à la fois précises et individualisées (§ 98). »

b) Application au cas d’espèce

22. Dans la présente affaire, le requérant fut condamné à la réclusion à perpétuité pour avoir assassiné sa compagne. L’enjeu pour le requérant était donc considérable, en particulier compte tenu du fait qu’il avait toujours contesté avoir eu l’intention de tuer et, a fortiori, d’avoir prémédité son acte. De plus, la Cour constate qu’un certain nombre d’incertitudes entouraient les circonstances du crime reproché au requérant.

23. S’agissant de l’acte d’accusation, la Cour rappelle qu’il avait une portée limitée, puisqu’il intervenait avant les débats qui constituent le cœur du procès (Taxquet, précité, § 95 ; Legillon c. France, no 53406/10, § 61, 10 janvier 2013). Ceci est d’autant plus vrai que l’article 6 de la Convention consacre la nécessité de comprendre les raisons qui ont conduit, non pas les organes compétents à renvoyer l’affaire devant la cour d’assises, mais les membres du jury, après les débats menés devant eux, à décider durant le délibéré de la culpabilité de l’accusé. En l’espèce, la Cour relève que l’acte d’accusation désignait le crime dont le requérant était accusé et contenait une chronologie détaillée des investigations policières et judiciaires, de nombreuses déclarations des témoins ainsi que les dépositions du requérant. Néanmoins, s’agissant des constatations de fait reprises par cet acte et leur utilité pour comprendre le verdict prononcé contre le requérant, la Cour ne saurait se livrer à des spéculations sur le point de savoir si elles ont ou non influencé le délibéré et l’arrêt finalement adopté par la cour d’assises (Legillon, précité, § 61 ; Voica c. France, no 60995/09, § 49, 10 janvier 2013).

24. Quant aux deux questions soumises au jury, la Cour relève que la première concernait l’infraction principale qualifiée d’homicide volontaire et que la deuxième se rapportait à la circonstance aggravante de préméditation. De la sorte, la Cour estime que les questions posées ne permettaient pas au requérant de savoir quels éléments de preuve et circonstances de fait, parmi tous ceux ayant été discutés pendant le procès, avaient en définitive conduit les jurés à condamner le requérant du chef d’assassinat (dans le même sens, Taxquet, précité, § 97 ; Castellino c. Belgique, no 504/08, § 38, 25 juillet 2013). En particulier, le requérant n’était pas en mesure de comprendre pour quelles raisons la qualification d’assassinat avait été retenue à son encontre alors que le requérant contestait fermement tant sa volonté de tuer que le fait d’avoir prémédité son acte.

25. Enfin, il y a lieu de constater l’absence de toute possibilité d’appel contre les arrêts de la cour d’assises dans le système belge, le pourvoi en cassation ne portant que sur des points de droit et n’éclairant dès lors pas, en général, adéquatement l’accusé sur les raisons de sa condamnation (Taxquet, précité, § 99). Il n’en est pas allé différemment en l’espèce.

26. En conclusion, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas disposé de garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation qui a été prononcé à son encontre.

27. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLEGUEES

A. L’administration des preuves

28. Invoquant une violation de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 d) de la Convention, le requérant soutient que l’administration des preuves a été déloyale, ce qui aurait rendu la procédure, dans son ensemble, non conforme à la Convention. D’une part, le requérant a été mis dans l’impossibilité de faire interroger certains témoins, notamment deux experts en balistique, qui n’ont pas comparu à l’audience. De plus, des manipulations seraient intervenues sur la scène du crime, en particulier concernant la position du bras de la victime, alors qu’il s’agissait d’un élément essentiel pour la possibilité de la théorie du suicide. Aussi, le requérant dut comparaître détenu pendant le procès alors qu’il avait été en liberté pendant la grande partie de l’instruction, ce qui donnait aux jurés une image de lui qui était négative, en le présentant comme une personne dangereuse. Enfin, le refus du requérant de se soumettre au test du polygraphe a été utilisé par le ministère public comme preuve déterminante de la culpabilité du requérant.

29. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

30. La Cour note que ces griefs sont étroitement liés aux faits qui l’ont amenée à conclure à une violation de l’article 6 § 1. En effet, comme elle vient de considérer (paragraphe 24, ci-dessus), en l’absence de motivation du verdict, il s’avère impossible de savoir sur quels éléments la condamnation du requérant s’est fondée (dans le même sens, Taxquet, précité, § 102). Dans ces conditions, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur ces griefs tirés de la violation de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention.

B. Le recours effectif

31. Enfin, invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif contre la déclaration du jury sur la culpabilité, étant donné que le droit belge ne prévoit que la possibilité d’un pourvoi en cassation contre les arrêts des cours d’assises et que la Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires.

32. La Cour rappelle que les dispositions invoquées ne garantissent pas un droit à un double degré de juridiction et que la Belgique n’était pas, à l’époque des faits, partie au Protocole no 7 (Castellino c. Belgique (déc.), no 504/08, § 22, 22 mai 2012). Quant à la possibilité d’un pourvoi en cassation contre les arrêts des cours d’assises, la Cour a, d’ailleurs, à plusieurs reprises affirmé que le fait que le réexamen auquel procède une juridiction suprême soit limité aux questions de droit, n’est pas contraire à l’article 6 § 1 de la Convention (voir, notamment, l’arrêt de Chambre Taxquet c. Belgique, no 926/05, §§ 82-84, 13 janvier 2009, et références citées). Cette partie de la requête doit donc être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

33. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

34. Le requérant fait valoir que son objectif premier est de solliciter, devant les juridictions internes, la réouverture de la procédure. En plus, il réclame 275 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi. Cette somme couvrirait le dommage subi du fait de la privation des avantages liés à son activité professionnelle, aux développements qu’elle aurait pu connaître ainsi qu’aux montants qui ont été déboursés pour indemniser les parties civiles. S’agissant du dommage moral, le requérant demande 450 000 EUR.

35. Le Gouvernement renvoie à la jurisprudence et à la pratique de la Cour concernant le procès équitable fixant à moins de 20 000 EUR la somme correspondant à la juste réparation des dommages matériel et moral confondus, en ce compris les frais et dépens.

36. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, la Cour estime que le requérant a dû éprouver un préjudice moral certain, auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt (paragraphe 25, ci-dessus) ne suffit pas à remédier. La Cour rappelle que, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, parmi d’autres, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 ; Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 89, CEDH 2009, et références citées). À cet égard, la Cour relève que le code d’instruction criminelle permet à un requérant de solliciter la réouverture de son procès à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention (Taxquet, précité, §§ 38-42). Elle considère donc que l’intéressé dispose effectivement de la possibilité de demander à ce que sa cause soit réexaminée (Taxquet, précité, § 107). Eu égard à cette possibilité et statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant un montant de 2 000 EUR au titre du préjudice moral (voir, dans le même sens, Fraumens c. France, no 30010/10, § 56, 10 janvier 2013; Castellino, précité, § 52).

B. Frais et dépens

37. Le requérant demande également 15 000 EUR pour les frais et dépens engagés pour la procédure devant la Cour.

38. Le Gouvernement considère que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour, une somme moindre doit être allouée au requérant. Il s’en remet pour cela à la sagesse de la Cour.

39. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999‑II). En l’espèce, la Cour relève que le requérant n’a fourni aucun élément de nature à démontrer qu’il avait réellement encouru ces frais (notes de frais et honoraires ou autres justificatifs). Partant, la Cour rejette la demande de remboursement des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

40. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 relatifs à l’absence de motivation et à l’administration des preuves et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention (absence de motivation) ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur les griefs tirés de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 d) de la Convention (administration des preuves) ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-152350
Date de la décision : 17/02/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : DEVRIENDT
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DE BECKER A. ; GABRIELS I. ; VAESSEN M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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