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26/01/2016 | CEDH | N°001-160222

CEDH | CEDH, AFFAIRE CÎRNICI c. ROUMANIE, 2016, 001-160222


QUATRIEME SECTION

AFFAIRE CÎRNICI c. ROUMANIE

(Requête no 35030/14)

ARRÊT

STRASBOURG

26 janvier 2016

DÉFINITIF

26/04/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Cîrnici c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Boštjan M. Zupančič,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzy

sztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre ...

QUATRIEME SECTION

AFFAIRE CÎRNICI c. ROUMANIE

(Requête no 35030/14)

ARRÊT

STRASBOURG

26 janvier 2016

DÉFINITIF

26/04/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Cîrnici c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Boštjan M. Zupančič,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 janvier 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35030/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant roumain, M. Vasile Cîrnici (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 avril 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint de très mauvaises conditions de détention en prison, liées en particulier à un état de surpopulation carcérale, à de mauvaises conditions d’hygiène et à une impossibilité de bénéficier de repas végétariens. Il se plaint aussi de son placement dans des cellules occupées par des détenus fumeurs alors qu’il ne serait pas fumeur.

4. Le 16 septembre 2014, le grief tiré de l’article 3 de la Convention concernant les conditions matérielles de détention, l’impossibilité de bénéficier de repas végétariens, ainsi que son placement dans des cellules occupées par des détenus fumeurs a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du Règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1980. Il est actuellement détenu à la prison de Brăila.

6. Le 21 mai 2013, le requérant fut placé en détention à la suite de sa condamnation pénale à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour vol.

A. Les conditions de détention dans les locaux de l’inspection générale de la police de Galaţi

7. Du 21 mai au 17 juin 2013, le requérant fut détenu dans les locaux de l’inspection générale de la police de Galaţi.

1. La version du requérant

8. Le requérant indique avoir été placé dans une cellule de 18 m² qu’il aurait partagée avec cinq autres détenus. Il ajoute qu’il y avait dans cette cellule une toilette qui n’aurait pas été cloisonnée et un lavabo. Il affirme que l’éclairage naturel n’était pas suffisant puisque la cellule aurait été pourvue d’une seule fenêtre et que celle-ci aurait mesuré un mètre de large et vingt-cinq centimètres de haut.

9. Il indique aussi avoir bénéficié d’un droit de promenade d’une heure et demie par jour et précise que la promenade avait lieu dans une cour d’une superficie d’environ 30 m².

2. La version du Gouvernement

10. Le Gouvernement indique que le requérant a été détenu dans une cellule de 12,60 m² prévue pour cinq détenus et que cette cellule était dotée d’une toilette et d’un lavabo. Il ne donne aucune précision sur le cloisonnement de la toilette.

B. Les conditions de détention à la prison de Galaţi

11. Du 17 juin au 5 novembre 2013, le requérant fut détenu à la prison de Galaţi.

1. La version du requérant

12. Le requérant indique avoir été détenu dans une cellule d’environ 30 m² qu’il aurait partagée avec quatorze autres détenus. Il ajoute que les lits étaient superposés sur trois niveaux, que la cellule était dotée d’une toilette, qu’un lavabo et une douche séparés de la cellule étaient à la disposition des détenus et que l’eau chaude était fournie deux fois par semaine pendant trente minutes.

2. La version du Gouvernement

13. Le Gouvernement indique que le requérant a successivement occupé plusieurs cellules, que chacune de ces cellules avait une superficie de 24 m² et pouvait accueillir dix à douze personnes et que chaque détenu bénéficiait de son propre lit.

14. Le Gouvernement précise que les détenus avaient accès à un groupe sanitaire séparé des cellules et à des espaces aménagés pour garder les aliments. Il ajoute que les cellules étaient pourvues d’éclairage naturel et artificiel et dotées de mobilier et que les détenus avaient accès à l’eau chaude deux fois par semaine.

C. Les conditions de détention à la prison de Satu Mare

15. Du 15 novembre 2013 au 14 juillet 2014, le requérant fut détenu à la prison de Satu Mare.

1. La version du requérant

16. Le requérant indique avoir partagé une cellule d’environ 42 m² avec seize autres détenus. Il soutient que, en raison d’un manque d’espace, les détenus pouvaient à peine rester debout entre les lits puisque ceux‑ci auraient été distants de 20 à 25 centimètres. Il indique que la salle de bain était dotée d’une toilette, d’un lavabo et de deux douches, qu’il devait toujours faire la queue pour avoir accès au WC, qu’il y avait des moisissures sur les murs et que l’eau chaude était fournie deux fois par semaine pendant une heure. Il expose que la cellule ne disposait pas de mobilier adapté et qu’il était par conséquent obligé de prendre ses repas sur le lit et de conserver la nourriture dans une boîte en carton placée sous le lit.

17. Le requérant ajoute que la salle de bain et surtout les lavabos étaient sales et que les lits étaient toujours équipés de matelas usés, très sales, malodorants et infestés de punaises.

18. Il indique enfin que la cour de promenade était d’une superficie d’environ 48 m² et que quatre-vingts à cent détenus sortaient en même temps pour la promenade.

2. La version du Gouvernement

19. Le Gouvernement indique que le requérant a été successivement détenu dans des cellules mesurant 24,79 m², 30,94 m² et 8,38 m² et qu’il a dû partager celles-ci avec seize, vingt et cinq détenus, respectivement. Il affirme que le requérant a bénéficié d’un lit individuel dans chaque cellule.

20. Le Gouvernement précise ce qui suit : les cellules étaient éclairées de manière artificielle et naturelle ; elles étaient dotées d’un système de chauffage ; les détenus avaient accès à l’eau froide courante, à l’eau chaude et à la télévision ; chaque cellule disposait de son propre groupe sanitaire avec toilettes, lavabos et de une ou deux cabines de douche ; le temps alloué pour l’accès à la douche était de trente minutes pour une cellule accueillant quatre à six détenus et de deux heures pour une cellule occupée par dix-sept à vingt-deux détenus.

21. Le Gouvernement indique également que les cellules étaient dotées de mobilier, que les détenus avaient à leur disposition des espaces pour la promenade et une salle pour faire du sport et qu’ils pouvaient se servir de cette dernière pour une durée de deux heures par jour.

22. Il ajoute que le nettoyage des cellules relevait de la responsabilité des détenus et que des actions de désinsectisation et de dératisation étaient menées régulièrement.

23. Par ailleurs, le Gouvernement soutient que, lors de son placement dans la prison de Satu Mare, le requérant avait déclaré être non‑fumeur et avait été logé dans une cellule avec des non-fumeurs, puis que, par la suite, le 19 juin 1014, l’intéressé avait déclaré être fumeur et demandé à être transféré dans une cellule avec des fumeurs, ce que l’administration de la prison aurait accepté.

24. En outre, le Gouvernement indique que, le 7 avril 2014, le requérant avait fait une demande auprès de l’administration de la prison pour recevoir des repas végétariens. Il affirme que la règle applicable en la matière, à savoir l’ordre du ministre de la Justice no 2713/C/2001, ne prévoyait pas de manière expresse ce type de nourriture et que, par conséquent, l’administration de la prison avait inscrit le requérant sur la liste des détenus recevant des repas de carême prévus par la « norme 17 », à savoir de la nourriture préparée sans produit d’origine animale (« norma 17 – mâncare de post fără produse de origine animală »).

D. Les conditions de détention à la prison de Brăila

25. Depuis le 18 juillet 2014, le requérant est détenu à la prison de Brăila, où il avait déjà été détenu du 5 au 15 novembre 2013.

1. La version du requérant

26. Le requérant indique avoir partagé une première cellule avec vingt autres personnes. Selon lui, les lits étaient superposés sur quatre niveaux et, en raison d’un nombre réduit de lits, les détenus étaient obligés parfois de dormir à deux dans le même lit.

27. Le requérant indique également avoir partagé une autre cellule avec seize autres personnes et avoir eu à sa disposition un lit superposé situé au troisième et dernier niveau. Il précise qu’il devait rester allongé dans ce lit parce que celui-ci aurait été trop proche du plafond. Il affirme que cette cellule disposait d’une seule fenêtre et d’une salle de bain d’environ 1 m² équipée d’un WC et que, en été, l’eau des toilettes était coupée entre 21 heures et 5 heures.

28. Le requérant précise que l’eau chaude était fournie deux fois par semaine pendant une heure. Il indique aussi que l’espace de rangement était insuffisant et qu’il devait mettre la nourriture et ses affaires personnelles sous le lit.

29. Par ailleurs, le requérant indique avoir fait une demande auprès des gardiens de la prison pour bénéficier d’une alimentation végétarienne et s’être entendu dire par ceux-ci que la période du carême n’avait pas commencé.

30. En outre, il affirme avoir été placé dans une cellule pour fumeurs alors qu’il serait non-fumeur. Il soutient que, même lors de son placement dans des cellules pour non-fumeurs, les détenus outrepassaient l’interdiction de fumer.

2. La version du Gouvernement

31. Le Gouvernement indique que le requérant a été détenu successivement dans des cellules mesurant 27,52 m², 24,45 m² et 33,49 m² et prévues pour accueillir entre dix-huit à vingt et un, treize à quinze et dix‑huit à vingt et un détenus, respectivement. Il indique aussi que le requérant avait refusé de s’alimenter à certains moments et qu’il avait alors été placé seul dans une cellule de 12,18 m².

32. Il expose aussi que, à son arrivée dans cette prison, le requérant avait déclaré être non-fumeur et avait été placé dans des cellules pour non‑fumeurs. Il ajoute que, plus tard, le 1er septembre 2014, le requérant avait déclaré être fumeur et demandé à être transféré dans une cellule avec des fumeurs et que sa demande avait été acceptée par l’administration de la prison.

33. Le Gouvernement indique également que le requérant avait été transféré à l’hôpital-prison de Dej le 30 octobre 2014 et qu’il y était resté jusqu’au 10 novembre 2014.

34. Enfin, il soutient que le requérant n’a pas fait de demande auprès de l’administration de la prison de Brăila pour recevoir des repas végétariens.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

35. Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons roumaines, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

36. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires roumains, le CPT a indiqué :

« § 70 : (...) le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit.

En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »

37. Dans son rapport publié le 24 novembre 2011 à la suite de sa visite du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs établissements pénitentiaires, le CPT a conclu que le taux de surpopulation carcérale restait un problème majeur en Roumanie. Dans son dernier rapport publié le 24 septembre 2015 à la suite de sa visite du 5 au 17 juin 2014 dans trois prisons de Roumanie, le CPT a relevé que le surpeuplement demeurait un problème important dans les établissements pénitentiaires du pays. Il nota qu’au moment de la visite, la population carcérale s’élevait à 32 428 détenus pour 19 427 places et fit appel aux autorités roumaines afin de prendre les mesures qui s’imposaient en vue de respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu en cellules collectives dans deux des trois prisons visitées.

38. Les dispositions pertinentes en l’espèce du règlement d’application de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues régissant la possibilité pour celles-ci de recevoir de la nourriture en prison sont résumées dans l’affaire Vartic c. Roumanie (no 2) (no 14150/08, §§ 26-27, 17 décembre 2013).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

39. Le requérant se plaint d’avoir subi de mauvaises conditions de détention dans les différents établissements où il a été placé et de continuer à subir pareilles conditions à la prison de Brăila. En plus de critiquer un problème de surpopulation carcérale et de très mauvaises conditions d’hygiène, il dénonce son placement dans des cellules occupées par des détenus fumeurs et une impossibilité de bénéficier d’un régime alimentaire végétarien en prison. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Les arguments des parties

40. Le Gouvernement soutient que le grief du requérant est manifestement mal fondé. Pour ce qui est des allégations de l’intéressé liées à une surpopulation carcérale et à de mauvaises conditions d’hygiène, il renvoie aux données présentées par l’Administration nationale des prisons, qui aurait fait des efforts continus pour améliorer les conditions de détention des prisonniers.

41. Le Gouvernement indique ensuite que, d’après les articles 63 t) et 149 2) de l’arrêté du gouvernement no 1897/2006, le fait de fumer dans des endroits non autorisés constitue une faute disciplinaire. Il expose que, par deux déclarations des 19 juin et 1er septembre 2014, le requérant avait indiqué être fumeur et avait accepté d’être logé avec des détenus fumeurs. Il ajoute que, pendant les périodes où il avait déclaré être non-fumeur, l’intéressé avait été détenu dans des cellules destinées aux non-fumeurs et qu’il n’avait jamais informé les différentes administrations pénitentiaires concernées d’un incident lié à une éventuelle exposition à la fumée de tabac.

42. Pour ce qui est de la possibilité de bénéficier de repas végétariens en prison, le Gouvernement considère que le grief soulevé par le requérant concerne uniquement le souhait de ce dernier de suivre un certain régime alimentaire et que ce souhait est sans lien avec les convictions religieuses ou la liberté de conscience de l’intéressé. Il indique que celui-ci avait fait une seule demande pour bénéficier de repas végétariens, à savoir le 7 avril 2014, alors qu’il était détenu à la prison de Satu Mare, et qu’il avait bénéficié par la suite, dans cet établissement, des repas de carême prévus par la « norme 17 » consistant en des plats préparés sans produits d’origine animale. S’agissant de la détention du requérant à la prison de Brăila et à l’hôpital‑prison de Dej, le Gouvernement précise que l’intéressé avait bénéficié et bénéficie encore de l’alimentation prévue par la « norme 18 » pour les détenus malades (« norma 18 pentru persoane bolnave »), qui lui aurait été recommandée par les médecins. Il considère que les autorités ont fait des efforts soutenus pour satisfaire aux besoins de l’intéressé. Il ajoute que celui-ci pouvait et peut toujours recevoir des colis de la part de sa famille ou acheter de la nourriture au magasin de la prison.

43. Le requérant réplique que le taux d’occupation des prisons roumaines est très élevé. Il explique qu’il avait déclaré être fumeur sous l’influence des gardiens de prison qui lui auraient offert des sucreries.

44. Il soutient avoir fait des demandes dans les prisons de Galaţi et de Brăila pour recevoir des repas végétariens et avoir subi en réponse des railleries de la part des gardiens. Il ajoute que la nourriture n’était pas diversifiée et qu’il recevait uniquement du chou bouilli, du riz, des pâtes, des pommes de terre et des haricots.

2. L’appréciation de la Cour

45. Concernant d’abord la partie du grief portant sur l’exposition à la fumée de tabac, la Cour note qu’il ressort des pièces du dossier que les autorités avaient placé le requérant alternativement dans des cellules pour fumeurs et pour non‑fumeurs afin de se conformer aux déclarations de ce dernier. Prenant note de l’assertion du requérant selon laquelle celui-ci avait déclaré être fumeur sous l’influence des gardiens de prison, la Cour observe que l’intéressé ne présente aucun commencement de preuve à l’appui de son allégation et qu’il ne s’est plaint à aucun moment de la situation dénoncée par lui aux autorités pénitentiaires (Budaca c. Roumanie, no 57260/10, § 32, 17 juillet 2012, et Mihăilescu c. Roumanie, no 46546/12, § 48, 1 juillet 2014). Il s’ensuit que cette partie du grief est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

46. Pour ce qui est ensuite des allégations du requérant portant sur une impossibilité de bénéficier d’une alimentation végétarienne en prison, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 91-99, CEDH 2000‑XI). En tout état de cause, la détresse ou l’épreuve subies par l’intéressé doivent excéder le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002‑VI).

47. La Cour rappelle ensuite que, dans son arrêt Krowiak c. Pologne (no 12786/02, § 33-34, 16 octobre 2007), elle a jugé que l’impossibilité pour un requérant de bénéficier pendant quelques mois de repas végétariens n’atteignait pas le niveau de gravité requis par l’article 3 de la Convention, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement. Dans la présente espèce, la Cour observe que le requérant avait fait une seule demande formelle pour bénéficier de repas végétariens, et ce uniquement auprès des autorités de la prison de Satu Mare, et que, même s’il affirme avoir sollicité ce type de repas dans les autres lieux de détention, il n’a versé au dossier aucune preuve en ce sens. La Cour note ensuite que, malgré l’absence dans la réglementation interne de dispositions expresses prévoyant des repas végétariens, lorsqu’il l’a demandé, les autorités pénitentiaires avaient offert à l’intéressé des repas conformes à la « norme 17 », dits « de carême » et ne contenant pas de produits d’origine animale. Elle observe que le requérant n’a pas contesté les affirmations du Gouvernement selon lesquelles il avait reçu ce type de repas, qu’il n’a pas soutenu que ces repas ne correspondaient pas à une alimentation végétarienne et qu’il a uniquement dénoncé une absence de diversité de la nourriture. Dans ces conditions, la Cour considère que la situation dénoncée par l’intéressé n’atteint pas le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

48. Il s’ensuit que cette partie du grief est également manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

49. S’agissant enfin de la plainte concernant l’état de surpopulation carcérale allégué et les conditions d’hygiène, constatant sur la base des documents du dossier que cette partie du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

50. En se référant à sa version des faits, le requérant se plaint plus particulièrement d’une surpopulation carcérale qu’il aurait subie dans les différents établissements où il a été placé et qu’il continuerait à subir à la prison de Brăila. Il dénonce les conditions d’hygiène, qu’il qualifie de précaires, existant dans les différentes prisons et conteste les allégations du Gouvernement selon lesquelles, en plus des lits, les cellules étaient équipées de mobilier.

51. Renvoyant à sa version des faits, le Gouvernement estime que l’article 3 de la Convention n’a pas été méconnu en l’espèce par les autorités nationales.

2. L’appréciation de la Cour

52. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure en cause ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI et Enășoaie c. Roumanie, no 36513/12, § 46, 4 novembre 2014).

53. S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Bahnă c. Roumanie, no 75985/12, § 44, 13 novembre 2014 et Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, § 46, CEDH 2001–II). Lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, la Cour considère que le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005).

54. Faisant application du principe susmentionné à la présenta affaire, la Cour se penchera sur le facteur qui est primordial en l’espèce, à savoir l’espace personnel mis à la disposition du requérant dans les différentes cellules occupées par lui. Elle note que, même selon des données communiquées par le Gouvernement, dans les prisons de Satu Mare et de Brăila, le requérant a disposé d’un espace personnel allant de 1,52 m² à 1,88 m². Elle constate donc que le requérant a disposé la plupart du temps et dispose encore d’un espace personnel inférieur à celui exigé par la jurisprudence de la Cour. Cet élément suffit à la Cour pour considérer que les conditions de détention du requérant s’analysent en un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. En outre, l’existence du mobilier est un élément qui a contribué à réduire davantage l’espace personnel du requérant.

55. Eu égard à l’état de surpopulation carcérale constaté et à la durée de la privation de liberté du requérant, les conditions de détention subies par ce dernier ont dépassé et continuent à dépasser le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Partant, la Cour estime qu’il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

56. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

57. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison de ses conditions de détention, qu’il qualifie de très mauvaises.

58. Le Gouvernement considère que la somme sollicitée est excessive par rapport à la jurisprudence pertinente en l’espèce de la Cour.

59. Eu égard à sa jurisprudence en la matière, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 4 800 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

60. Le requérant n’a pas présenté de demande de remboursement des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

61. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention dans sa partie concernant les conditions matérielles de détention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison de la surpopulation carcérale ;

3. Dit :

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 4 800 EUR (quatre mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 janvier 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Françoise Elens-PassosAndrás Sajó
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatrieme section)
Numéro d'arrêt : 001-160222
Date de la décision : 26/01/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : CÎRNICI
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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