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02/02/2016 | CEDH | N°001-160311

CEDH | CEDH, AFFAIRE MEGGI CALA c. PORTUGAL, 2016, 001-160311


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MEGGI CALA c. PORTUGAL

(Requête no 24086/11)

ARRÊT

STRASBOURG

2 février 2016

DÉFINITIF

02/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Meggi Cala c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,


Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir dél...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MEGGI CALA c. PORTUGAL

(Requête no 24086/11)

ARRÊT

STRASBOURG

2 février 2016

DÉFINITIF

02/05/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Meggi Cala c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 janvier 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24086/11) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Ramesh Manuel Meggi Cala (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 juin 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me V. Carreto Ribeiro, avocat à Torres Vedras. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

3. Le requérant allègue que l’interprétation par la Cour suprême des dispositions portant sur le délai de présentation du pourvoi en cassation a méconnu son droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

4. Le 20 février 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1970. Il est détenu à la prison de Carregueira à Belas.

6. À une date non précisée, il fut condamné par le tribunal de Lisbonne à quinze ans d’emprisonnement.

7. Il fut représenté au cours de la procédure par Me R., un avocat qu’il avait choisi pour le défendre dans le cadre de la procédure pénale.

8. À une date non précisée, ce dernier fit, au nom du requérant, appel du jugement devant la cour d’appel de Lisbonne.

9. Par un arrêt du 21 septembre 2010, la cour d’appel fit partiellement droit au recours, ramenant la peine à quatorze ans d’emprisonnement. Cet arrêt fut notifié à Me R. le 24 septembre 2010. Celui-ci ne versa au dossier aucun document prouvant qu’il avait transmis au requérant l’arrêt du 21 septembre 2010.

10. Le 2 novembre 2010, le requérant reçut notification des modalités d’exécution (liquidação) de la peine par une ordonnance du tribunal de Lisbonne du 10 octobre 2010.

11. Suite à une demande du requérant devant la cour d’appel de Lisbonne, le 9 novembre 2010 l’arrêt du 21 septembre 2010 lui fut personnellement notifié.

12. Le 14 novembre 2010, le requérant révoqua le mandat qu’il avait donné à Me R.

13. Le 25 novembre 2010, le requérant mandata Me V. Carreto Ribeiro, le représentant dans la présente espèce, dans le cadre de la procédure pénale.

14. Le 29 novembre 2010, celui-ci présenta, au nom du requérant, un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Dans son mémoire, le requérant se plaignait de n’avoir eu connaissance de l’arrêt de la cour d’appel que le 9 novembre 2010 et soutenait n’avoir eu aucun contact avec son ancien avocat depuis le 21 septembre 2010. Il alléguait que, aux termes de l’article 113 § 9 du code de procédure pénale (CPP), l’accusé devait recevoir personnellement notification de tout arrêt rendu à son encontre et que le délai d’appel courait à partir de la date de la dernière notification, soit, selon lui, le 9 novembre 2010. Il estimait en outre que les articles 113 § 9 et 411 § 1 a) du CPP étaient contraires à l’article 32 § 1 de la Constitution si leur interprétation amenait à considérer que le délai d’appel courait à compter de la date de notification de l’arrêt au défenseur et non à l’accusé lui-même, sachant que la notification personnelle à ce dernier était facultative.

15. Le 10 janvier 2011, le ministère public présenta un avis en faveur du rejet du pourvoi pour tardiveté. Il soutenait que l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne était devenu définitif le 18 octobre 2010, faute pour le requérant d’avoir fait appel dans le délai qui lui était imparti.

16. À une date non précisée, le requérant présenta un mémoire en réponse à l’avis du ministère public, dans lequel il répétait n’avoir pas été informé de l’arrêt de la cour d’appel par son avocat et n’en avoir eu connaissance que le 9 novembre 2010, date à laquelle il en aurait personnellement reçu notification.

17. Par un arrêt du 17 février 2011, la Cour suprême déclara le pourvoi du requérant irrecevable pour tardiveté.

Tout d’abord, quant aux faits, elle jugea établi que le requérant avait reçu personnellement notification de l’arrêt en cause le 9 novembre 2010. Puis elle nota que, faisant suite à la demande de la Cour suprême, Me R. avait déclaré avoir effectivement porté l’arrêt de la cour d’appel à la connaissance du requérant et des membres de sa famille et leur avoir en outre indiqué qu’un pourvoi en cassation aurait peu de chance d’aboutir. La Cour suprême considéra enfin :

– que la notification personnelle à l’accusé n’était pas exigée par l’article 425 § 6 du CPP ni par une quelconque autre disposition du code, la jurisprudence de la Cour suprême étant unanime à ce sujet, et que, dès lors, le délai pour introduire un pourvoi en cassation courait à compter de la date à laquelle l’avocat mandaté avait pris connaissance de l’arrêt ;

– qu’une telle interprétation était conforme à la Constitution et à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, notamment ses arrêts no 59/99 du 2 février 1999 et no 275/06 du 2 mai 2006 ;

– que, en l’absence de recours dans le délai imparti, l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 21 septembre 2010 était devenu définitif le 27 novembre 2010.

18. Le requérant présenta une réclamation contre cet arrêt devant le président de la Cour suprême, mais il fut débouté de sa demande par un arrêt du 31 mars 2011.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La Constitution

19. L’article 32 de la Constitution se lit ainsi :

« 1. La procédure pénale garantit tous les droits de la défense et comporte des voies de recours.

(...) »

B. Le code de procédure pénale

20. Les dispositions du CPP présentant un intérêt pour la présente affaire, telles qu’elles étaient rédigées au moment des faits, se lisent ainsi :

Article 113 § 9

« Les notifications à l’accusé (...) peuvent être adressées [seulement] à son conseil ou son avocat. En revanche, les notifications concernant l’accusation (...) et le jugement (...) doivent, quant à elles, être adressées tant à l’avocat ou au défenseur commis d’office qu’à l’accusé lui-même ; dans un tel cas, le délai fixé pour l’accomplissement d’un acte de procédure court à partir de la dernière notification. »

Article 411 § 1

« Le délai d’introduction du recours est de vingt jours et court :

a) à compter de la notification de la décision ;

(...) »

Article 425

« (...)

6. L’arrêt est porté à la connaissance des recourants, des intimés et du ministère public.

7. Le délai pour interjeter le recours court à partir de la notification de l’arrêt. »

C. La jurisprudence de la Cour suprême

21. Dans un arrêt du 6 juin 2002 (procédure interne no 1534/01), la Cour suprême a considéré que l’article 113 § 9 du CPP faisait clairement apparaître l’intention d’exclure du processus de notification à l’accusé tous les actes de procédure survenant dans le cadre de l’appel, phase au cours de laquelle l’accusé est obligatoirement représenté par un défenseur, censé fournir une assistance dans les questions juridiques. Elle a ainsi conclu que la question de la nécessité de la notification personnelle à l’accusé ne se posait que dans le cadre de décisions prononcées en première instance, les arrêts prononcés dans le cadre d’un appel ne devant être notifiés qu’aux avocats ou aux défenseurs d’office.

22. Dans un arrêt du 29 octobre 2003 (procédure no 2605/03), la Cour suprême a estimé que seules les notifications aux avocats ou aux défenseurs d’office des recourants étaient pertinentes et fondamentales pour que la procédure d’appel puisse être engagée et pour que la décision acquière force de chose jugée. La Cour suprême a ajouté que, eu égard à la nature juridique des questions litigieuses, la notification personnelle aux accusés était facultative et qu’elle ne revêtait aucun caractère d’importance.

23. Dans un arrêt du 7 décembre 2005 (procédure no 3802/05), la Cour suprême a considéré :

– que les arrêts rendus par les tribunaux supérieurs en appel devaient être notifiés à l’accusé par son défenseur ;

– que le délai pour former un appel courait à partir de la notification au défenseur ;

– que ce délai ne courait pas si, malgré la notification du défenseur, l’arrêt en question n’avait pas été porté à la connaissance de l’accusé pour lui permettre de décider d’interjeter appel ou non ;

– qu’il appartenait à l’accusé de faire savoir et de prouver qu’il n’avait pas eu connaissance de l’arrêt ;

– que ces règles ne s’appliquaient pas s’il s’agissait d’un défenseur désigné d’office pour l’audience ou pour tout autre acte judiciaire.

24. Dans un arrêt du 20 avril 2006 (procédure no 1433/06), la Cour d’appel a exposé :

– que le délai pour présenter un pourvoi en cassation devant la Cour suprême commençait à courir à la date à laquelle le recourant avait reçu la notification de l’arrêt de la cour d’appel. En l’occurrence, la notification pouvait être faite au défenseur, conformément à l’article 113 § 9 du CPP, la notification à l’accusé n’étant pas nécessaire, le défenseur exerçant les droits que la loi reconnaissait à l’accusé, dont le droit de recours ;

– que la loi (entre autres les articles 113 § 9, 411 § 1 et 425 § 6 du CPP) n’exigeait pas la notification personnelle à l’accusé.

25. Dans un arrêt du 14 janvier 2009 (procédure no 2494/08), la Cour suprême a relevé qu’il existait une jurisprudence constante selon laquelle la décision d’un tribunal de recours n’avait pas besoin d’être notifiée personnellement à l’accusé et que la notification à son défenseur était suffisante. Elle a toutefois précisé que, dans son arrêt du 7 décembre 2005, elle avait estimé que, lorsque l’accusé n’avait pas été informé de l’arrêt en cause, cette règle ne s’appliquait pas et que la charge de la preuve relativement à l’absence de notification incombait à l’intéressé.

26. Dans un arrêt du 3 mai 2012 (procédure no 61/06.9TASAT-C.S1), la Cour suprême a indiqué que sa jurisprudence était constante en matière de notification personnelle à l’accusé. Elle a rappelé que la notification n’était pas exigée concernant les décisions prononcées par les tribunaux supérieurs puisque la notification à l’avocat ou au défenseur d’office était suffisante, et que l’obligation de notification personnelle prévue à l’article 113 § 9 du CPP ne s’appliquait qu’aux jugements de première instance.

D. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

27. Dans son arrêt no 59/99 du 2 février 1999, publié au Journal officiel du 30 mars 1999, le Tribunal constitutionnel a jugé que n’était pas conforme à l’article 32 § 1 de la Constitution l’interprétation selon laquelle l’arrêt d’un tribunal de recours pouvait n’être notifié qu’à l’avocat d’office au moment de l’audience en raison de l’absence du défenseur initial, et ce alors même que l’accusé était lui-même absent, sa présence à l’audience n’étant pas requise. Il a estimé que la question ne se posait pas lorsqu’il s’agissait de la notification à l’avocat désigné par l’accusé dès le début de la procédure ou à l’avocat désigné d’office dès lors que ses fonctions et sa déontologie l’obligeaient à porter à la connaissance de l’accusé la décision du tribunal devant lequel il avait formé un recours.

28. Dans son arrêt nº 476/04 du 2 juillet 2004, publié au Journal officiel du 13 août 2004, le Tribunal constitutionnel a considéré que les articles 113 § 9, 425 § 6 et 411 § 1 du CPP n’étaient pas conformes à l’article 32 de la Constitution si leur interprétation conduisait à dire que le délai d’introduction d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême courait à partir de la date de notification de l’arrêt condamnatoire au défenseur, indépendamment de sa notification à l’accusé, sans faire exception des cas où ce dernier n’avait pas eu connaissance de l’arrêt. Le Tribunal constitutionnel a confirmé cette interprétation dans son arrêt no 418/2005 du 4 août 2005.

29. Dans son arrêt no 275/06 du 2 mai 2006, publié au Journal officiel du 7 juin 2006, le Tribunal constitutionnel a estimé que ces mêmes articles étaient conformes à l’article 32 de la Constitution s’ils étaient interprétés dans le sens que le délai pour former un pourvoi en cassation devant la Cour suprême commençait à courir à la date de notification de l’arrêt à l’avocat, lorsque le devoir de communiquer avec l’accusé n’avait pas été mis en cause. En l’espèce, l’accusé n’avait pas indiqué ne pas avoir été informé de l’arrêt par son avocat.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

30. Le requérant soutient que l’irrecevabilité pour tardiveté de son pourvoi en cassation devant la Cour suprême a porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes en l’espèce sont libellées comme suit :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

31. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

32. Le requérant soutient avoir été privé de son droit d’accès à un tribunal au motif que son pourvoi en cassation a été déclaré irrecevable par la Cour suprême pour non-respect du délai prévu à l’article 411 § 1 du CPP. Il allègue que le dies a quo de ce délai a été fixé de manière erronée à la date de la notification de l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne à l’avocat qui l’avait représenté devant cette instance et non à la date à laquelle il en avait lui-même reçu notification. En outre, il reproche à la Cour suprême d’avoir considéré que l’accusé n’avait pas à recevoir personnellement notification des arrêts des cours d’appel et que leur notification à l’avocat était suffisante.

33. Le Gouvernement récuse les arguments du requérant. Il indique que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et qu’il se prête à des limitations par le droit interne, l’interprétation des dispositions portant sur les délais étant l’apanage selon lui des juridictions nationales. Il combat l’argument du requérant selon lequel l’interprétation des articles 113 § 9, 411 § 1 et 425 § 6 du CPP était erronée. Il précise à cet égard que ni le droit ni la jurisprudence internes ne prescrivent la notification personnelle à l’accusé d’un arrêt rendu par une cour d’appel, et que la notification à son avocat est suffisante. Se référant à l’arrêt no 275/06 du Tribunal constitutionnel du 2 mai 2006, il estime que, en l’espèce, l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne avait sans doute aucun été porté à la connaissance du requérant par son avocat, et que l’avocat qui avait représenté le requérant devant la cour d’appel de Lisbonne avait lui-même déclaré à la Cour suprême avoir bien informé le requérant et des membres de sa famille de l’arrêt litigieux. Par ailleurs, l’avocat aurait indiqué aux intéressés qu’un pourvoi en cassation était voué à l’échec. Le Gouvernement indique ensuite que, même si le requérant avait effectivement reçu personnellement notification de l’arrêt d’appel le 9 novembre 2010, il était toujours représenté, à la date du prononcé de cet arrêt, par l’avocat qu’il avait mandaté dans le cadre de la procédure pénale. Par conséquent, selon le Gouvernement, le délai pour présenter un pourvoi en cassation avait commencé à courir à compter de la date de la notification de l’arrêt à ce dernier.

34. Le Gouvernement soutient encore que, s’agissant d’un pourvoi en cassation limité à des questions de droit, la notification à l’avocat est celle qui prime, et que l’accord de l’accusé et de son avocat sur l’opportunité d’un recours n’est pas essentiel.

Selon le Gouvernement, il appartenait au requérant de prouver que son avocat ne l’avait pas informé de l’arrêt, or il ne l’a pas fait. Il ajoute que, à supposer même que l’avocat n’eût pas informé le requérant de l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne, ce dernier aurait pu dénoncer une telle négligence devant l’Ordre des avocats, ce qu’il n’aurait pas fait non plus.

Le Gouvernement en conclut que l’interprétation faite par la Cour suprême des dispositions du droit interne pertinentes n’a pas porté atteinte au droit d’accès du requérant à un tribunal. Il indique que, au demeurant, ce dernier a bénéficié du double degré de juridiction et qu’il comptait en l’espèce présenter un pourvoi en cassation devant la Cour suprême ; or, selon le Gouvernement, l’accès à ce troisième degré de juridiction n’est pas garanti par l’article 2 du Protocole no 7 à la Convention.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

35. Selon sa jurisprudence constante, la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, et Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 33, Recueil 1998-I), le rôle de la Cour se limitant à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation. Si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation en la matière, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, série A no 18, §§ 34 in fine et 35-36, et Z. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 29392/95, §§ 91-93, CEDH 2001-V).

36. La Cour rappelle que le droit à un tribunal, dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu et qu’il se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (Mortier c. France, no 42195/98, § 33, 31 juillet 2001). Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Guérin c. France, 29 juillet 1998, § 37, Recueil, 1998-V).

37. La Cour rappelle également que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11). En outre, la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d’accès à un tribunal reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention dépend des particularités de la procédure en cause ; il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la Cour suprême, les conditions de recevabilité d’un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (Khalfaoui c. France, no 34791/97, CEDH 1999-IX).

38. La Cour rappelle en outre que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que ces règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I).

39. À ce jour, la Cour a conclu à plusieurs reprises que l’application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d’accès à un tribunal. Il en est ainsi quand l’interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l’examen au fond du recours exercé par l’intéressé (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 69, CEDH 2002-IX, Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, § 55, CEDH 2002‑IX, Viard c. France, no 71658/10, § 38, 9 janvier 2014).

b) Application aux faits de la cause

40. En l’espèce, le requérant estime que l’interprétation par la Cour suprême du dies a quo du délai imparti pour former un pourvoi en cassation l’a privé d’une voie de recours interne. La tâche de la Cour consiste donc à examiner si l’interprétation faite par la Cour suprême est de nature à avoir porté atteinte à la substance même du droit du requérant d’accéder à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

41. La Cour observe tout d’abord qu’au moment où la cour d’appel de Lisbonne a rendu son arrêt, le 21 septembre 2010, le requérant était représenté par un avocat qu’il avait mandaté dans le cadre de la procédure pénale. Le rapport de confiance sur lequel repose le mandat donné à l’avocat semble avoir été rompu en l’espèce, puisque le requérant a révoqué, le 14 novembre 2010, le mandat en question et qu’il a mandaté un nouvel avocat le 25 novembre 2010.

42. La Cour constate ensuite que l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne a été notifié au premier avocat du requérant le 24 septembre 2010 et au requérant personnellement le 9 novembre 2010, ce que la Cour suprême a considéré comme établi dans son arrêt du 17 février 2011.

43. Pour ce qui est des modalités de notification, la Cour relève que l’article 425 § 6 du CPP énonce que l’arrêt d’un tribunal supérieur, c’est-à-dire d’une cour d’appel ou de la Cour suprême, doit être notifié au recourant, sans préciser s’il s’agit de l’accusé lui-même ou de son défenseur. Dans ses arrêts du 6 juin 2002, du 29 octobre 2003, du 20 avril 2006 et du 3 mai 2012, la Cour suprême a précisé que seuls les avocats ou les défenseurs d’office devaient recevoir notification des arrêts d’un tribunal devant lequel ils avaient déposé un recours, la question de la nécessité de la notification personnelle à l’accusé ne se posant, selon elle, que pour les jugements de première instance, conformément à l’article 113 § 9 du CPP (paragraphes 22, 23, 25 et 27 ci-dessus). La Cour note que cette jurisprudence part du principe que l’arrêt a été porté à la connaissance de l’accusé par son représentant, eu égard aux devoirs et obligations de ce dernier, comme l’indique l’arrêt du Tribunal constitutionnel no 59/99 du 2 février 1999.

44. S’agissant des situations exceptionnelles où un accusé conteste avoir été informé d’un arrêt par son avocat ou par son défenseur, le Tribunal constitutionnel a considéré, dans son arrêt nº 476/04 du 2 juillet 2004, confirmé par l’arrêt no 418/2005 du 4 août 2005, que l’interprétation des articles 113 § 9, 425 § 6 et 411 § 1 du CPP selon laquelle le délai pour introduire un pourvoi en cassation devant la Cour suprême courait à compter de la date de notification de l’arrêt au défenseur, indépendamment de sa notification à l’accusé, sans faire exception des cas où ce dernier n’avait pas eu connaissance de l’arrêt, n’était pas conforme à l’article 32 de la Constitution (paragraphe 29 ci-dessus). En outre, dans son arrêt no 275/06 du 2 mai 2006, le Tribunal constitutionnel a estimé que le dies a quo du délai pour former un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’une cour d’appel était la date de notification de cet arrêt à l’avocat, sous réserve que le devoir de communication de ce dernier par rapport à celui qu’il représente n’ait pas été mis en cause (paragraphe 28 ci-dessus).

45. Compte tenu de la jurisprudence qui précède, il apparaît que la règle générale selon laquelle le délai pour introduire un pourvoi en cassation court à compter de la date de notification de l’arrêt à l’avocat ne saurait s’appliquer lorsque l’accusé allègue que celui-ci ne l’a pas informé de l’arrêt, sous peine de porter atteinte au droit de recours garanti par l’article 32 de la Constitution.

46. Dans la présente espèce, le requérant, dans son pourvoi en cassation, avait bien indiqué à la Cour suprême ne pas avoir été informé de l’arrêt de la cour d’appel et n’en avoir eu connaissance qu’au moment où il en avait eu personnellement notification, le 9 novembre 2010. Dans son arrêt du 17 février 2011, la Cour suprême a néanmoins rejeté la thèse du requérant au motif que son avocat de l’époque avait indiqué le contraire, faisant ainsi prévaloir sa parole sur celle du requérant sans qu’aucune preuve concrète n’ait été produite à cet égard. Il découle néanmoins de l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 2 février 1999 (paragraphe 27 ci-dessus) que le conseil de l’accusé est tenu de porter la décision condamnatoire à la connaissance de son client. La Cour conclut de ce fait que la charge de la preuve retombe sur le conseil.

47. Il est vrai que, d’après l’arrêt de la Cour suprême du 7 décembre 2005, confirmé par son arrêt du 14 janvier 2009 (paragraphes 24 et 26 ci-dessus), il appartient à l’accusé de se plaindre et de prouver qu’il n’a pas eu connaissance de l’arrêt qu’il souhaite attaquer. Le droit interne fait ainsi peser sur l’accusé la charge de la preuve d’un fait négatif, ce qui aux yeux de la Cour, pourrait se révéler difficile, voire impossible. La Cour ne partage donc pas l’argument du Gouvernement sur ce point.

48. Pour ce qui est de l’interprétation du droit interne, la Cour suprême a considéré dans son arrêt que l’article 425 § 6 du CPP n’exigeait pas qu’un arrêt d’une cour d’appel fût notifié personnellement à l’accusé, faisant notamment référence à cet égard aux arrêts no 59/99 du 2 février 1999 et no 275/06 du 2 mai 2006 du Tribunal constitutionnel. Or, comme la Cour l’a relevé ci-dessus, ces arrêts ouvrent précisément une exception à la règle générale. L’interprétation faite par la Cour suprême des règles du droit interne en ce qui concerne la notification des arrêts d’une cour d’appel et du dies a quo pour former un pourvoi en cassation apparaît donc non seulement particulièrement rigoureuse, mais encore éloignée de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel.

49. Au vu de l’indépendance de la profession légale d’avocat à l’égard de l’État, la façon de conduire une affaire ne concerne que le prévenu et son conseil ; elle ne peut engager la responsabilité de l’État au regard de la Convention que dans des circonstances particulières (Siałkowska c. Pologne, no 8932/05, § 99, 22 mars 2007). Si elle a bien conscience qu’il appartient en premier lieu aux juridictions nationales de vérifier si les règles de recevabilité régissant l’exercice des recours internes ont été respectées par le justiciable, la Cour réaffirme cependant que la Convention ne garantit pas des droits théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (voir, parmi beaucoup d’autres, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 34, CEDH 1999-I). Eu égard aux circonstances de l’espèce, elle estime que l’interprétation particulièrement restrictive faite par la Cour suprême d’une règle de procédure et le non-respect de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel sur le sujet ont privé le requérant de son droit d’accéder à un tribunal en vue de faire examiner son pourvoi en cassation. Comme elle l’a rappelé au paragraphe 38 ci-dessus, l’article 6 § 1 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation, mais un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 de la Convention.

50. Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

52. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qui aurait découlé de l’absence d’examen de ses moyens par la Cour suprême.

53. Le Gouvernement conteste cette prétention, l’estimant surévaluée. Il soutient en outre qu’on ne peut spéculer sur le résultat du pourvoi en cassation devant la Cour suprême si celui-ci avait été déclaré recevable.

54. La Cour convient, avec le Gouvernement, que l’on ne se saurait spéculer sur l’issue de la procédure si le pourvoi en cassation du requérant avait été accueilli et examiné. Statuant en équité, elle considère néanmoins qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 250 EUR pour préjudice moral.

B. Frais et dépens

55. Le requérant demande également 3 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

56. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

57. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). En l’espèce, la Cour constate que les prétentions du requérant concernant les frais et les honoraires prétendument exposés pour la procédure devant la Cour ne sont étayées par aucun justificatif.

58. Partant, la Cour rejette la demande du requérant au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

59. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :

a) 3 250 EUR (trois mille deux cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıAndrás Sajó
Greffière adjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-160311
Date de la décision : 02/02/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Accès à un tribunal);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : MEGGI CALA
Défendeurs : PORTUGAL

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CARRETO RIBEIRO V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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