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14/09/2017 | CEDH | N°001-177134

CEDH | CEDH, AFFAIRE BOZZA c. ITALIE, 2017, 001-177134


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BOZZA c. ITALIE

(Requête no 17739/09)

ARRÊT

STRASBOURG

14 septembre 2017

DÉFINITIF

14/12/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Bozza c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtycze

k,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juil...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BOZZA c. ITALIE

(Requête no 17739/09)

ARRÊT

STRASBOURG

14 septembre 2017

DÉFINITIF

14/12/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bozza c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 17739/09) dirigée contre la République italienne et dont une ressortissante de cet État, Mme Ermelinda Bozza (« la requérante »), a saisi la Cour le 23 mars 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me M.T. Marra, avocate à Naples. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, et son co-agent, Mme M. L. Aversano.

3. La requérante allègue en particulier la violation de son droit à un procès dans un délai raisonnable sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention.

4. Le 5 juin 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1949 et réside à Torre del Greco.

6. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. La procédure principale

7. En janvier 1990, quelques années après avoir demandé au ministère de l’Intérieur à pouvoir bénéficier d’une pension d’invalidité, Mme T.G., la mère de la requérante, se vit accorder le droit au versement mensuel de la pension assortie d’une indemnité spéciale allouée en raison de la cécité partielle dont elle était atteinte.

8. Le 21 octobre 1994, Mme T.G. déposa un recours devant le juge d’instance (pretore) de Torre Annunziata faisant fonction de juge du travail, en vue d’obtenir la reconnaissance de la réévaluation et des intérêts sur les arriérés de sa pension.

9. Le 27 mars 1998, après trois reports de l’audience, le juge d’instance rejeta le recours pour forclusion. Le 24 septembre 1998, Mme T.G. décéda.

10. Le 10 mars 1999, la requérante, en son nom et en sa qualité d’héritière, interjeta appel devant le tribunal de Naples.

11. Le 10 décembre 2002, ce tribunal reconnut le droit de la requérante à la réévaluation et aux intérêts demandés pour un montant de 12 240,26 EUR. La décision devint définitive le 25 janvier 2004.

12. En l’absence d’exécution de la part de l’administration, la requérante signifia, le 14 juin 2004, à l’Institut national de la sécurité sociale (Istituto Nazionale della Previdenza Sociale – INPS) une injonction de payer (atto di precetto) pour un montant de 30 364,38 EUR, correspondant à la somme litigieuse majorée des intérêts et de la réévaluation.

13. Le 25 janvier 2005, elle obtint du juge de l’exécution de Naples une saisie-attribution (pignoramento presso terzi) pour l’intégralité de sa créance.

B. La procédure « Pinto »

14. Le 25 mai 2005, la requérante saisit la cour d’appel « Pinto » de Rome pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Quant à la recevabilité de sa demande, elle argua que, aux termes de l’article 4 de la loi no 89/2001, la « décision interne définitive » à prendre en compte était la décision du juge de l’exécution du 25 janvier 2005. Par conséquent, selon elle, le délai de six mois requis pour l’introduction de la demande de satisfaction équitable devait courir à partir de cette date.

15. Le 18 mai 2006, la cour d’appel déclara le recours irrecevable pour tardiveté. Elle considéra que la décision interne définitive était celle rendue à conclusion de la procédure au fond par le tribunal de Naples, passée en force de chose jugée le 25 janvier 2004.

16. Par une ordonnance du 25 septembre 2008, la Cour de cassation confirma la décision entreprise et débouta la requérante de son pourvoi.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, § 23-31, CEDH 2006‑V). En particulier, le texte de l’article 4 de la loi, applicable à l’époque des faits litigieux, se lit comme suit :

Article 4 – Délai et conditions concernant l’introduction d’une requête

« La demande de réparation peut être présentée au cours de la procédure au sujet de laquelle on allègue la violation ou, sous peine de déchéance, dans un délai de six mois à partir de la date à laquelle la décision concluant ladite procédure est devenue définitive. »

18. En ce qui concerne le lien entre la procédure au fond et la procédure d’exécution, la jurisprudence de la Cour de cassation a fait apparaître deux approches opposées, notamment en relation au contentieux administratif.

19. Selon une jurisprudence plus ancienne, la procédure au fond et la procédure d’exécution pouvaient être prises comme un tout. La Cour de cassation affirmait que « la date à laquelle la décision concluant ladite procédure [était] devenue définitive », aux termes de l’article 4 de la loi no 89/2001, devait être la date à laquelle le droit revendiqué au début de la procédure au fond trouvait sa réalisation effective à la fin de la procédure d’exécution (giudizio di ottemperanza). Cette deuxième procédure ‑ éventuelle – était activée par l’intéressé en raison de l’inaction de l’administration, lorsque celle-ci ne se conformait pas à la décision devenue exécutoire (voir, parmi d’autres, les arrêts no 7978/2005, no 14595/2008 et no 1019/2009 de la Cour de cassation).

20. Cette jurisprudence a été progressivement abandonnée. La Cour de cassation a par la suite affirmé (voir en particulier l’arrêt no 1732/2009) que les deux phases devaient être considérées comme autonomes, et ce en raison des caractéristiques de la procédure administrative d’exécution, en particulier depuis la loi de réforme de la justice administrative (loi no 205/2000).

21. L’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation est intervenue en 2009, avec les arrêts nos 27348 et 27365, pour résoudre le conflit et harmoniser la jurisprudence en la matière. Dans les passages principaux des arrêts mentionnés, l’Assemblée plénière a jugé que :

« On ne peut non plus considérer comme exacte l’allégation de la requérante selon laquelle la Cour de Strasbourg, en interprétant la CEDH, a élaboré une notion de « procès équitable » qui impliquerait que la procédure au fond et la procédure d’exécution – qui n’est qu’éventuelle – soient toujours considérées comme une seule et même procédure ou comme formant deux phases du « même » procès (article 4 de la loi no 89 de 2001, relatif aux « droits et obligations de caractère civil » (article 6 de la Convention), afin que soit prise en compte leur durée globale et, donc, que soit considérée comme admissible la demande de satisfaction équitable présentée pendant la procédure d’exécution ou dans un délai de six mois à compter de la décision du juge de l’exécution mettant fin au procès, aux termes de l’article 4 de la [« loi Pinto »] précitée, ou à compter de la « décision interne définitive » au sens de l’article 35 de la Convention.

Si une telle interprétation supranationale avait été admise, notre Cour [de cassation] aurait dû respecter l’interprétation des juges supranationaux (arrêts SS.UU. nos 1138 et 1339 de 2004) afin de répondre à l’exigence de conformité aux obligations juridiques internationales à laquelle sont soumis le législateur (article 117 de la Constitution) et les juges des États parties [à la Convention].

(...) la Cour européenne [des droits de l’homme] n’a jamais affirmé ce que soutient la requérante.

En réalité, le principe du droit à un recours effectif énoncé par l’article 13 de la Convention impose aux États membres l’adoption de remèdes internes afin de garantir le redressement de violations de droits garantis par la Convention, par le biais, notamment, de procédures d’indemnisation, dont la durée doit être calculée à partir de l’introduction de la demande jusqu’à l’exécution de la décision du juge ; ce principe (...) n’implique pas d’examiner chaque procédure au fond et chaque procédure d’exécution y relative en considérant qu’elles ne font qu’une.

Lorsqu’elle est saisie par des requérants qui se plaignent de l’ineffectivité des remèdes internes, en raison du retard ou du défaut de versement du montant accordé dans le cadre du remède interne créé pour redresser la violation d’un droit protégé par la Convention, la Cour de Strasbourg considère ensemble la durée de la procédure au fond qui statue sur le droit au redressement et la durée de la procédure d’exécution (...) qui se termine au moment du versement, même partiel, du montant fixé par le juge du fond, moment à considérer comme le dies a quo du délai de six mois requis pour le dépôt d’une requête devant elle (voir CEDH, Grande Chambre, 31 mars 2009, Simaldone c. Italie, no 22644/03 ; Scordino c. Italie, 29 mars 2006, no 36813/97 – examiné avec neuf affaires sur l’effectivité du remède interne prévu par la loi no 89 de 2001 ; voir aussi, pour d’autres États, Bourdov c. Russie, 7 mai 2002, no 59498/95, sur l’action en indemnisation de victimes d’un grave accident nucléaire).

Dans les arrêts cités, parmi beaucoup d’autres, il est dit que, eu égard au principe d’effectivité, l’exécution d’un jugement doit être considérée comme faisant partie intégrante du procès pour éviter que la lenteur excessive du recours indemnitaire n’en affecte le caractère adéquat (Scordino c. Italie, 29 mars 2006, no 36813/97, § 195) et elle doit englober l’action indemnitaire interne de réparation du préjudice découlant de la violation des droits reconnus par la Convention ; le principe est donc dépourvu de portée générale (...) »

22. Pour ce qui est du contentieux civil, la Cour de cassation a jugé, dans un premier temps, que la procédure au fond et la procédure d’exécution devaient être considérées séparément, compte tenu de leur caractère autonome et de la fonction spécifique de chacune (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts nos 25529/2006, 25806/2007, 19573/2008, 5536/2010 et l’ordonnance no 8256/2011).

23. En revenant sur sa jurisprudence, en mars 2014 (arrêt no 6312/2014) l’Assemblée plénière de la Cour de cassation s’est exprimée à nouveau en la matière. Dans ce revirement, elle s’est prononcée en faveur d’une approche globale qui considère la procédure au fond et celle, éventuelle, d’exécution, comme un seul et même « procès ». La Cour de cassation a notamment estimé ce qui suit :

« (...) [Il] est nécessaire de s’inspirer du principe constitutionnel d’effectivité de la protection juridictionnelle énoncé aux articles 24, alinéa 1, 111, alinéas 1 et 2, et 113, alinéas 1 et 2, de la Constitution (...). Le respect de ce principe exige que la protection juridictionnelle ne soit pas réduite au seul droit d’accès au juge, garanti à tous, mais qu’elle comprenne chaque étape de la procédure prévue dans l’ordre interne, même après l’introduction de la demande, afin de rendre concrète et effective la protection juridictionnelle des droits (...) et il exige aussi que ces situations juridiques individuelles, portées devant un juge, et définitivement admises par celui-ci, trouvent leur réalisation effective en faveur du titulaire du droit revendiqué et reconnu dans la phase au fond (...)

Si, donc, « la prévision d’une phase d’exécution forcée des décisions de justice, en tant qu’élément intrinsèque et essentiel de la fonction juridictionnelle, doit passer pour constitutionnellement nécessaire », dans le système défini aux articles 24, alinéa 1, 111, alinéas 1 et 2, et 113, alinéas 1 et 2, de la Constitution, pour affirmer le principe d’effectivité de la protection juridictionnelle, si « l’exécution de la décision rendue par le juge doit (...) être considérée comme faisant partie intégrante du procès aux termes de l’article 6 » de la CEDH et si, par conséquent, « la procédure d’exécution constitue la deuxième phase du procès et que le droit revendiqué ne devient réellement effectif qu’au moment de l’exécution », il en découle nécessairement que, en principe (sia pure in linea di principio), pour une interprétation conforme à la Constitution et à la Convention, et respectueuse tant des normes constitutionnelles évoquées que de l’article 6 § 1 de la CEDH tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg, le procès « juste » (article 111, alinéa 1, de la Constitution) et « équitable » (article 6 de la Convention) s’entend comme une procédure juridictionnelle unique, qui commence avec l’accès au juge et se termine avec l’exécution de la décision définitive et obligatoire (...)

Lorsque, dans un procès civil ou administratif, la situation juridique subjective a été reconnue dans une décision judiciaire devenue définitive et contraignante (« phase » au fond), mais que, cette décision est restée inopérante, le titulaire du droit reconnu par le juge au fond a dû en demander l’exécution forcée (« phase » de l’exécution), la garantie constitutionnelle d’effectivité de la protection juridictionnelle et l’article 6 § 1 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg, imposent de considérer que cette procédure complexe s’articule comme un « seul procès » composé de phases successives et complémentaires (...)

Dans une telle perspective, les « différences fonctionnelles et structurelles » entre la procédure au fond et la procédure d’exécution forcée s’atténuent jusqu’à disparaître. »

24. Dans le même sens, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé et précisé la nouvelle « lecture globale » dans le récent arrêt no 9142 du 6 mai 2016. La Cour de cassation s’est notamment exprimée comme suit :

« III. La question posée par la section simple concerne en substance la compatibilité de la structure de la procédure « Pinto » (...) avec les principes découlant de la CEDH quant à la qualification fonctionnelle de la notion de « décision définitive » : en particulier, la présente décision a pour objet de vérifier si la discipline normative prévoyant un délai de forclusion de six mois à partir de l’issue de la procédure doit, en général, s’appliquer à partir de la décision interne définitive de la procédure considérée dans son ensemble (fond + exécution) ou si, une fois ce principe établi, il y a lieu de tenir également compte du comportement non actif de la partie en cause entre la conclusion de la phase au fond et le début de la phase d’exécution ; autrement dit, si la possibilité de décaler le dies ad quem de l’issue de la procédure susmentionnée et d’identifier donc la décision interne définitive (à conclusion de phase d’exécution) ne se heurte pas à la limite de l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 4 de la loi no 89 de 2001 dans son libellé initial.

(...)

VII. La sauvegarde de la particularité – fût-elle historique – des règles de procédure adoptées par un État pose un problème dans l’optique d’assurer la conformité des critères de procédure nationaux avec les critères européens.

(...)

IX. La Cour [de cassation] considère toutefois qu’il est possible de parvenir à un résultat équilibré (...)

X. En fonction du comportement des parties, la procédure peut être considérée comme étant un tout ou comme étant séparée en deux « phases » : si une partie laisse s’écouler un délai considérable – qui doit être identifié avec le délai de six mois prévu à l’article 4 de la loi no 89 de 2001 – à partir du moment où la décision a acquis force de chose jugée, cette même partie ne peut pas, par la suite, dénoncer une durée excessive de cette partie de la procédure ; si, au contraire, la partie a un comportement actif avant l’expiration du délai de six mois afin de procéder à l’exécution, alors (...) il est possible de considérer la procédure comme étant un tout, aux fins du calcul de la durée en question (...)

XI. Il s’ensuit que, lorsque l’article 4 de la loi no 89 de 2001, dans sa formulation antérieure à la réforme de 2012, établissait la forclusion du droit à indemnisation pour dépassement du délai de six mois, il présupposait une appréciation au cas par cas du lien entre la phase au fond et la phase d’exécution, du point de vue de l’action et non du droit (...)

XII. La nouvelle perspective établie par l’arrêt de l’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de 2014 [no 6312/2014 susmentionné], qui est davantage conforme aux principes de la CEDH – selon l’interprétation soulignée précédemment – (...) ne peut donc pas être entendue dans un sens absolu, c’est-à-dire en faisant abstraction des différences – de structures et de principe – propres au système national entre la phase au fond et la phase d’exécution (...) : c’est justement en tenant compte de ces différences qu’il est possible d’interpréter la norme (...) de manière à fixer, en fonction du comportement de la partie, le point de départ du délai de six mois soit à la date à laquelle la décision au fond est passée en force de chose jugée soit au moment de la réalisation effective du droit reconnu dans la phase précédente (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

25. La requérante se plaint de la durée excessive de la procédure civile à laquelle elle a été partie. Elle invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

26. La requérante soutient que le rejet pour tardiveté de sa demande d’indemnisation « Pinto » a méconnu la jurisprudence de la Cour selon laquelle la procédure d’exécution serait partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention. Ainsi, selon la requérante, si l’on se fonde sur les principes mentionnés dans l’arrêt Cocchiarella (précité, §§ 87‑90), la « décision interne définitive », à partir de laquelle calculer le délai de six mois pour introduire la demande de satisfaction équitable aux termes de l’article 4 de la loi no 89 de 2001, devrait être la saisie-attribution du juge de l’exécution du 25 janvier 2005.

27. La requérante dénonce également l’impossibilité d’avoir accès aux juridictions « Pinto » en raison du conflit entre la jurisprudence interne et les principes dégagés par la Cour sur le terrain du droit à un tribunal. Elle invoque à ce titre les articles 1 et 13 de la Convention, ainsi libellés dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

Article 1

« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (...). »

28. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 43, CEDH 2012, Halil Yüksel Akıncı c. Turquie, no 39125/04, § 54, 11 décembre 2012, et Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I), la Cour estime qu’il y a lieu d’examiner ces griefs uniquement sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit à un procès dans un délai raisonnable.

A. Sur la recevabilité

1. Sur la qualité de victime

a) Arguments des parties

29. Renvoyant à la décision Fazio c. Italie ((déc.), 18 juin 2013), le Gouvernement soutient que la requérante, intervenue de iure ereditario dans la procédure le 10 mars 1999, a été partie à celle-ci uniquement entre cette date et le 10 décembre 2002, date du dépôt de la décision du tribunal de Naples. Il estime par conséquent qu’elle ne saurait être considérée victime de la durée de la procédure prises dans sa globalité.

30. La requérante conteste la thèse du Gouvernement. Elle argue que, pendant toute la procédure interne, elle a agi en son propre nom et en qualité d’héritière.

b) Appréciation de la Cour

31. La Cour observe d’emblée que, en dépit de l’affirmation du Gouvernement, la décision Fazio n’est pas pertinente en l’espèce. En effet, dans cette affaire, la Cour a conclu à l’absence de la qualité de victime des requérants, faute pour ces derniers de s’être constitués, en leur qualité d’héritiers, comme parties à la procédure. Dans la présente affaire, au contraire, la requérante a agi devant les juridictions internes en son propre nom et en tant qu’héritière de sa mère (paragraphe 7 ci-dessus).

32. La Cour rappelle aussi sa jurisprudence relative à l’intervention des tiers dans des procédures civiles aux fins du calcul de la durée de la procédure. Selon cette jurisprudence, lorsqu’un requérant est intervenu dans la procédure nationale uniquement en son propre nom, la période à prendre en considération court à partir de cette date, tandis que, lorsqu’un requérant se constitue partie au litige en tant qu’héritier, il peut se plaindre de toute la durée de la procédure (voir, parmi d’autres, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 220, CEDH 2006‑V, et Cocchiarella, précité, § 113).

33. Par conséquent, la Cour rejette cette exception du Gouvernement et estime que la requérante peut se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

2. Sur la tardiveté de la requête

a) Arguments des parties

34. Le Gouvernement soulève également une exception de tardiveté de la requête, estimant que la requérante se plaint en substance de la seule durée de la procédure au fond. En effet, d’après le Gouvernement, la requérante, au lieu de présenter sa demande d’indemnisation « Pinto » dans les six mois suivant la « décision interne définitive » au sens de la « loi Pinto », à savoir le jugement du tribunal de Naples passée en force de chose jugée le 25 janvier 2004, aurait choisi d’introduire le recours « Pinto » au terme de la procédure d’exécution afin de contourner les règles relatives à la forclusion de la demande de satisfaction équitable fixées par l’article 4 de la même loi (paragraphe 17 ci-dessus).

35. Pour parvenir à cette conclusion, le Gouvernement s’appuie sur son interprétation de la jurisprudence découlant de l’arrêt Hornsby c. Grèce (19 mars 1997, Recueil 1997‑II). Selon cette interprétation, l’obligation d’exécuter les arrêts et les décisions définitifs rendus contre l’État s’appliquerait uniquement aux systèmes juridiques qui, comme celui grec à l’époque de l’arrêt susmentionné, ne prévoient aucun remède pour demander l’exécution d’une décision juridictionnelle définitive. Or, le Gouvernement souligne que le système juridique italien prévoit au contraire un remède de ce type.

36. En outre, le Gouvernement observe que la requérante avait la possibilité de se plaindre de la durée de la procédure au fond et, postérieurement dans une procédure ultérieure, de la durée de la procédure d’exécution éventuellement excessive et contraire à l’article 6 § 1 de la Convention.

37. S’agissant enfin du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation (paragraphe 23 ci-dessus), le Gouvernement souligne les différences entre les faits à l’origine de l’arrêt no 6312/2014 de la Cour de cassation et la présente affaire. Il précise que la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation, donnant une lecture globale de la procédure, est strictement limitée au contentieux discipliné par la « loi Pinto » et que ces mêmes principes ne sont pas transposables aux procédures civiles ordinaires.

38. La partie requérante conteste la thèse du Gouvernement. Elle soutient que la décision de déclarer irrecevable sa demande d’indemnisation « Pinto » est contraire à la jurisprudence de la Cour sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention. Le contraste se fonderait sur l’interprétation de la notion de « décision interne définitive » de la « loi Pinto » élaborée par les juges nationaux. Selon la requérante, cette notion correspond, au niveau interne, à la décision finale relative à la procédure au fond. Partant, il ne serait pas possible de considérer comme « décision interne définitive » celle rendue par le juge de l’exécution et de se plaindre de la durée de la procédure prise dans sa globalité.

39. À l’opposé, la jurisprudence de la Cour considérerait l’exécution comme une phase éventuelle et nécessaire du « procès » au sens de l’article 6, la procédure prenant fin au moment où le droit actionné trouve sa réalisation effective. À ce propos, la requérante se réfère à plusieurs arrêts de la Cour, dont Di Pede c. Italie (26 septembre 1996, Recueil 1996‑IV), Scollo c. Italie (28 septembre 1995, série A no 315‑C) et Cocchiarella (précité).

b) Appréciation de la Cour

40. La Cour considère que la présente affaire porte essentiellement sur la question de savoir si, dans le cadre procédural de la voie de recours « Pinto », la décision du juge de l’exécution du 25 janvier 2005 peut passer pour la « décision interne définitive » de la procédure principale au sens de l’article 35 de la Convention et, dans l’affirmative, elle est appelée à dire si le rejet de la demande de satisfaction équitable par les juridictions « Pinto » a constitué une violation du droit de la requérante à un procès dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Le point de savoir si la requête doit être considérée tardive étant indissociablement lié au fond de la requête, la Cour décide de joindre au fond l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement.

41. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Principes généraux

42. Dans son arrêt fondateur Hornsby (précité, §§ 40 et suivants ; voir aussi Silva Pontes c. Portugal, 23 mars 1994, série A no 286‑A, Di Pede, précité, et Zappia c. Italie, 26 septembre 1996, Recueil 1996‑IV), la Cour a établi le principe selon lequel le droit à un tribunal serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire restât inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 (voir aussi Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 65, CEDH 2009).

43. Il découle de ces principes l’obligation pour les États contractants d’assurer que chaque droit revendiqué trouve sa réalisation effective. La Cour a également indiqué que l’étendue de cette obligation varie en fonction de la qualité de la partie débitrice. Elle opère en effet une distinction selon la nature de la partie débitrice, débiteur-particulier ou débiteur-administration de l’État.

44. Dans le premier cas, lorsque le particulier ou la personne privée est défaillant, il revient aux États contractants d’assurer l’assistance nécessaire afin que le droit revendiqué trouve sa réalisation effective. Bien que leur responsabilité ne puisse être engagée du fait du défaut de paiement d’une créance exécutoire dû à l’insolvabilité d’un débiteur « privé » (voir, mutatis mutandis, Sanglier c. France, no 50342/99, § 39, 27 mai 2003, Ciprova c. République tchèque (déc.), no 33273/03, 22 mars 2005, et Cubănit c. Roumanie (déc.), no 31510/02, 4 janvier 2007), les États ont l’obligation positive de mettre en place un système qui soit effectif en pratique comme en droit et qui permet d’assurer l’exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées (Fouklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005). La responsabilité des États concernant l’exécution d’un jugement par une personne de droit privé peut dès lors se trouver engagée si les autorités publiques impliquées dans les procédures d’exécution manquent de la diligence requise ou encore empêchent l’exécution (Bogdan Vodă Greek-Catholic Parish c. Roumanie, no 26270/04, § 44, 19 novembre 2013, et Sekul c. Croatie (déc.), no 43569/13, §§ 54-55, 30 juin 2015).

45. Dans le deuxième cas, lorsqu’un jugement ou arrêt est prononcé contre l’État, le particulier qui a obtenu un jugement contre celui-ci n’a normalement pas à ouvrir une procédure distincte pour en obtenir l’exécution forcée (Metaxas, précité, § 19). Il lui suffit de le signifier en bonne et due forme à l’autorité étatique concernée (Akachev c. Russie, no 30616/05, § 21, 12 juin 2008) ou d’effectuer certaines démarches procédurales de nature formelle (Chvedov c. Russie, no 69306/01, §§ 29-37, 20 octobre 2005, et Kosmidis et Kosmidou c. Grèce, no 32141/04, § 24, 8 novembre 2007). Son obligation de coopérer ne doit toutefois pas excéder ce qui est strictement nécessaire à l’exécution de la décision et, quoi qu’il en soit, elle n’exonère pas l’administration de l’obligation d’agir de sa propre initiative et dans les délais prévus (Akachev, précité, § 22, Bourdov, précité, § 35, et Koukalo c. Russie, no 63995/00, § 49, 3 novembre 2005), notamment en organisant son système judiciaire (voir, mutatis mutandis, Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000‑IV, et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 45, CEDH 2000‑VII).

46. Un délai d’exécution déraisonnablement long d’un jugement obligatoire peut donc emporter violation de la Convention (Bourdov, précité, § 73). Le caractère raisonnable d’un tel délai doit s’apprécier en tenant compte en particulier de la complexité de la procédure d’exécution, du comportement du requérant et des autorités compétentes et du montant et de la nature de la somme accordée par le juge (Raïlian c. Russie, no 22000/03, § 31, 15 février 2007).

47. La Cour a déjà jugé que, lorsque l’exécution ne posait aucun problème particulier, s’agissant du versement d’une somme d’argent, un délai d’un an et trois mois méconnaissait a priori le droit du requérant à un tribunal et que, en revanche, la non-exécution d’un jugement pendant six mois n’était pas déraisonnable en soi (Bourdov (no 2), précité, §§ 83 et 85).

48. En ce qui concerne le recours indemnitaire destiné à redresser les conséquences de la durée excessive d’une procédure, la Cour a admis qu’une administration pouvait avoir besoin d’un certain laps de temps pour procéder à un paiement et elle a fixé à six mois, à compter de la date à laquelle la décision d’indemnisation est devenue exécutoire, le délai de paiement (Cocchiarella, précité, § 89).

2. Application des principes au cas d’espèce

49. Revenant à la présente affaire, la Cour rappelle que le jugement du tribunal de Naples a été rendu le 10 décembre 2002 et que, faute de notification, il est devenu obligatoire et exécutoire le 25 janvier 2004. À partir de cette date, l’autorité défenderesse savait ou était censée savoir qu’elle était tenue de verser à la requérante la somme due.

50. Selon la jurisprudence citée plus haut (voir paragraphes 42-45 ci‑dessus), la requérante n’était pas tenue d’engager une quelconque procédure d’exécution, s’agissant en l’espèce d’un jugement obtenu contre l’État. La Cour note de surcroit que l’exécution de ce jugement ne comportait aucune difficulté particulière en sus du simple versement d’une somme d’argent.

51. En l’absence de paiement spontané par l’Administration, la requérante saisit le juge de l’exécution de Naples lequel, le 25 janvier 2005, rendit une saisie-attribution en sa faveur (paragraphe 13 ci-dessus).

52. Dès lors, le droit revendiqué par la requérante a trouvé sa réalisation effective à cette dernière date, la saisie-attribution étant donc la « décision interne définitive » de la procédure principale dans la présente affaire (voir, parmi d’autres, Bourdov (no 2), précité, § 72).

53. Par conséquent, la procédure s’est déroulée entre le 21 octobre 1994 et le 27 mars 1998 et puis à partir du 10 mars 1999 pour se conclure le 25 janvier 2005 (paragraphes 8-13 ci-dessus).

54. Au demeurant, la Cour note que l’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation a opéré en 2016 un revirement de sa jurisprudence en la matière (paragraphes 23-24 ci-dessus). En particulier, comme l’a remarqué le Gouvernement défendeur dans ses observations (paragraphe 37 ci-dessus), les faits à l’origine de l’arrêt no 9142/2016 sont similaires aux faits litigieux.

55. La Cour observe que, bien qu’il ne soit complètement aligné sur les principes fixés dans sa jurisprudence (paragraphes -48 ci-dessus), cet arrêt prête à une lecture globale selon laquelle « il est possible de considérer la procédure comme étant un tout, aux fins du calcul de la durée (de la procédure) ».

56. Cependant, à l’époque des faits litigieux, les tribunaux internes avaient une interprétation opposée en la matière portant sur la séparation stricte de la procédure au fond et de celle d’exécution (paragraphe 22 ci‑dessus). D’ailleurs, cette interprétation se trouve confirmée dans les décisions rendues contre la requérante par la cour d’appel de Rome du 18 mai 2006 et par la Cour de cassation du 25 septembre 2008.

57. En conclusion, la Cour rappelle avoir traité à maintes reprises des requêtes soulevant des questions similaires en matière de durée de la procédure et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », en s’appuyant sur des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres précédents, Cocchiarella, précité, avec les références à Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999‑V, Di Mauro c. Italie [GC], no 34256/96, §23, CEDH 1999‑V, Ferrari c. Italie [GC], no 33440/96, § 21, 28 juillet 1999 et A.P. c. Italie [GC], no 35265/97, § 18, 28 juillet 1999).

58. N’apercevant aucune raison de se départir de ses précédentes conclusions, la Cour estime que la durée de la procédure a été excessive et qu’elle ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ». En conclusion, la Cour rejette l’exception du Gouvernement relative à la tardivité de la requête et estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée excessive de la procédure.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

60. La requérante réclame 12 625 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.

61. Le Gouvernement conteste les prétentions de la partie requérante.

62. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

63. La requérante demande également 3 206,31 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 4 553.92 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

64. Le Gouvernement conteste les prétentions présentées par la requérante. Il allègue notamment que cette dernière n’aurait pas satisfait aux obligations lui incombant aux termes de l’article 60 du règlement de présenter les justificatifs nécessaires dans les observations écrites sur le fond.

65. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens de la procédure nationale, faute pour la requérante d’avoir présenté des justificatifs à l’appui de cette partie de sa demande. Elle estime en revanche raisonnable la somme de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde à la requérante.

C. Intérêts moratoires

66. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond, et rejette l’exception soulevée par le Gouvernement quant à la tardivité de la requête, et déclare la requête recevable ;

2. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne le droit à un procès dans un délai raisonnable ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 3 000 EUR (trois mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 septembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Renata DegenerLinos-Alexandre Sicilianos
Greffière adjointePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Wojtyczek.

L.A.S.
R.D.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK

1. Je suis d’accord avec mes collègues pour dire que l’article 6 de la Convention a été violé en ce qui concerne le droit à un procès dans un délai raisonnable ; j’ai toutefois des réserves quant à la motivation de l’arrêt, telle que figurant notamment au paragraphe 57.

2. Dans la présente affaire, la procédure s’est déroulée du 21 octobre 1994 au 27 mars 1998, puis elle a été reprise le 10 mars 1999 pour être clôturée le 25 janvier 2005 (paragraphe 53 de l’arrêt). Dans de telles circonstances, le gouvernement défendeur était tenu de justifier la durée de la procédure par des raisons pertinentes. Il ne l’a pas fait. Ces circonstances sont suffisantes pour conclure à une violation de l’article 6 de la Convention.

3. Au paragraphe 57 de l’arrêt, la Cour affirme ceci : « En conclusion, la Cour rappelle avoir traité à maintes reprises des requêtes soulevant des questions similaires en matière de durée de la procédure et a constaté une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable », en s’appuyant sur des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres précédents, Cocchiarella, précité, avec les références à Bottazzi c. Italie [GC], no 34884/97, § 22, CEDH 1999-V, Di Mauro c. Italie [GC], no 34256/96, §23, CEDH 1999-V, Ferrari c. Italie [GC], no 33440/96, § 21, 28 juillet 1999, et A.P. c. Italie [GC], no 35265/97, § 18, 28 juillet 1999). »

4. Cette affirmation soulève plusieurs interrogations. Premièrement, si l’on se réfère à des « questions similaires en matière de durée de la procédure », il convient d’expliquer en quoi cette similarité consiste. Quels sont les critères pertinents pour établir des similarités entre des affaires ?

Deuxièmement, la Cour se réfère, au paragraphe 57 susmentionné, à l’affaire Cocchiarella. Dans l’arrêt rendu en cette affaire, la Cour a expliqué, dans le contexte de l’évaluation du dommage moral, ce qui suit : « pour répondre aux gouvernements, la Cour indique avant tout que par « affaires similaires » elle entend deux procédures ayant duré le même nombre d’années, pour un nombre d’instances identique, avec un enjeu d’importance équivalente, un comportement des parties requérantes, sensiblement le même, dans le même pays » (paragraphe 138). La motivation du présent arrêt se réfère-t-elle à ces critères ou bien à d’autres critères ?

Troisièmement, au paragraphe 57 du présent arrêt, la Cour mentionne « des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière » et elle cite un certain nombre de références. J’observe dans ce contexte que, dans l’affaire Cocchiarella, la Cour a formulé des critères pour calculer la durée totale de la procédure en cas d’intervention d’un tiers mais non pas pour apprécier le caractère excessif de celle-ci, se contentant de se référer à sa jurisprudence antérieure sans plus d’explications. De plus, les paragraphes des quatre autres arrêts cités en référence n’énoncent aucun critère pour constater une méconnaissance de l’exigence du « délai raisonnable ». Dans ce contexte, la référence à l’arrêt Cocchiarella et aux quatre autres arrêts, présentés comme sources de « critères dégagés par la jurisprudence bien établie », semble être erronée. Il serait ainsi souhaitable soit de rappeler ici les critères auxquels l’on renvoie soit de donner les références d’un arrêt qui les pose.

Quatrièmement, l’argument a simile dans les affaires portant sur la durée de la procédure doit être utilisé avec beaucoup de précautions car, dans la pratique, malgré certaines apparences, les procédures judiciaires menées dans des affaires concrètes sont très différentes, en particulier en ce qui concerne le degré de complexité des problèmes légaux, l’établissement des faits, le comportement des parties et le déroulement des instances. Il est rare que deux causes soient vraiment similaires. Dans ces circonstances, l’argumentum a simile, utilisé sans d’autres explications, tend non pas à renforcer mais à affaiblir considérablement la force de persuasion de la motivation de l’arrêt de la Cour.


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