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29/01/2019 | CEDH | N°001-189724

CEDH | CEDH, AFFAIRE MIFSUD c. MALTE, 2019, 001-189724


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MIFSUD c. MALTE

(Requête no 62257/15)

ARRÊT


STRASBOURG

29 janvier 2019

DÉFINITIF

29/04/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Mifsud c. Malte,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Branko Lubarda, président,
Vincent A. De Gaetano,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Georgios A. Serghides,


Jolien Schukking,
María Elósegui, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 janvier 201...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MIFSUD c. MALTE

(Requête no 62257/15)

ARRÊT

STRASBOURG

29 janvier 2019

DÉFINITIF

29/04/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mifsud c. Malte,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Branko Lubarda, président,
Vincent A. De Gaetano,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking,
María Elósegui, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 janvier 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 62257/15) dirigée contre la République de Malte et dont un ressortissant britannique, M. Francesco Saverio Mifsud (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 décembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par V. Galea, avocat à Birkirkara. Le gouvernement maltais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, P. Grech, Attorney-General.

3. Le requérant alléguait qu’il avait été contraint en vertu du droit maltais de fournir contre sa volonté un échantillon génétique dans le cadre d’une action en recherche de paternité. Il y voyait une violation de l’article 8 de la Convention.

4. Le 20 septembre 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. Le gouvernement britannique, informé par le greffier de son droit d’intervenir dans la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 du règlement), n’a pas manifesté l’intention d’en user.

6. Le requérant est décédé le 3 décembre 2017. Par des lettres datées des 6 avril et 9 juillet 2018, la Cour a été informée du souhait de l’épouse et légataire universelle du requérant, Mme Margaret Mifsud, ressortissante irlandaise, de voir la procédure se poursuivre.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Le requérant est né en 1925. À l’époque où il a introduit sa requête devant la Cour, il résidait à Dublin.

1. La genèse de l’affaire

8. Le 20 décembre 2012, X (qui était alors âgée de 55 ans environ) saisit le tribunal civil (chambre familiale) d’une requête aux fins d’obtenir la reconnaissance de sa filiation biologique avec le requérant et l’inscription d’une mention à cet effet sur son acte de naissance.

9. Le 11 février 2013, le directeur de l’état civil (également défendeur dans la procédure) demanda au tribunal d’ordonner aux parties de se soumettre à une analyse génétique conformément à l’article 100A du code civil, et au requérant de communiquer les informations le concernant qui seraient nécessaires à la modification de l’acte de naissance de X dans l’hypothèse où le tribunal viendrait à statuer en faveur de X.

10. Le 11 février 2013, le requérant communiqua ses observations écrites en réponse, dans lesquelles il niait toute implication dans la conception de X et, affirmant que la mère de l’intéressée avait eu plusieurs partenaires à l’époque, soulevait l’exception d’amants multiples (exceptio plurium concubentium).

11. Le 7 mai 2013, X déposa sa déclaration écrite confirmée sous serment (affidavit) ainsi que celle de sa mère. Elle y déclarait qu’elle était née à Londres d’une union entre sa mère (Y) et le requérant, et que sa mère lui avait dit dès son plus jeune âge que le requérant était son père. Elle indiquait également qu’après son seizième anniversaire, elle avait envoyé au requérant une lettre qui était restée sans réponse. Elle affirmait qu’en 1978, apprenant que le requérant allait séjourner à Malte, elle s’était rendue à l’aéroport pour le rencontrer. Elle expliquait que ce jour-là, elle l’avait vu arriver avec sa famille et avait remarqué une ressemblance entre elle-même et l’une des filles du requérant. Elle ajoutait qu’elle n’était pas entrée en contact avec le requérant à cette occasion, mais qu’ils s’étaient rencontrés quelques temps plus tard en présence d’un avocat. D’après elle, le requérant s’était montré chaleureux et tous deux s’étaient vus à plusieurs reprises par la suite. Elle aurait également rencontré l’épouse du requérant. Le requérant lui aurait dit qu’il entendait taire son existence à ses enfants afin de ne pas perturber leur scolarité, et elle aurait accepté sa décision. Le requérant aurait commencé à se rendre seul à Malte à intervalles réguliers, et quand X était tombée enceinte, il aurait mis à sa disposition un des logements dont il était propriétaire, ce qui lui aurait permis de résider avec elle lors de ses visites dans l’île. À la naissance de la fille de X en 1979, le requérant aurait été désigné parrain de l’enfant, ainsi que l’aurait prouvé une attestation établie à cet effet. X se serait installée au Royaume-Uni sur les conseils du requérant, mais elle serait retournée à Malte seize mois plus tard car elle aurait eu le mal du pays. À cette époque, le requérant lui aurait donné les clés d’un autre logement afin qu’elle s’y installât. X et le requérant seraient restés en contact étroit jusqu’en 1985. En 1998, elle aurait été expulsée du logement qu’elle occupait et leur relation se serait alors détériorée. Au cours de la procédure d’expulsion, le requérant aurait promis à X de l’argent si elle quittait les lieux sans faire de difficulté. X aurait accepté sa proposition mais le requérant ne lui aurait jamais versé la somme promise. Elle aurait ultérieurement obtenu gain de cause en justice et le requérant aurait été condamné à lui verser la somme en question (les décisions de justice étaient jointes à la déclaration de X).

12. Dans sa déclaration sous serment, Y affirmait avoir eu une relation avec le requérant, pour lequel elle travaillait, et être tombée enceinte. D’après elle, le requérant lui avait demandé d’interrompre sa grossesse, envoyant chez elle une personne chargée de lui faire une injection. Elle aurait fait une fausse couche par la suite. Le requérant lui aurait acheté un logement, où leurs rencontres auraient eu lieu étant donné qu’il était marié. Y aurait toujours été fidèle au requérant car elle l’aurait craint. Le requérant aurait en effet été un homme puissant et il aurait été impliqué dans des activités criminelles. Y aurait plus tard donné à naissance à un enfant qu’elle aurait eu de lui (X) et leur relation se serait par la suite détériorée, au point qu’il lui aurait demandé de se prostituer. Elle aurait finalement trouvé le courage de le quitter et de rentrer à Malte avec X.

13. Le 13 mai 2013, invoquant l’article 100A du code civil (voir « Le droit interne pertinent »), X saisit le tribunal d’une demande d’analyses génétiques sur sa personne et celle du requérant. Elle déclara que hormis sa propre déclaration sous serment et celle de sa mère, elle n’avait aucun autre élément de preuve à communiquer. Le 4 juin 2013, le requérant contre-interrogea Y. Le contre-interrogatoire devait être poursuivi à une date ultérieure. Il n’a pas été possible de déterminer si cela fut le cas.

14. Le 22 mai 2013, le requérant s’opposa aux analyses, arguant que le fait de le contraindre à s’y soumettre emporterait violation de ses droits fondamentaux. Il allégua en particulier que l’article 100A du code civil (qui renvoyait à l’article 70A du même code) emportait violation de ses droits consacrés par l’article 8 de la Convention, et il demanda au tribunal de renvoyer l’affaire devant les juridictions constitutionnelles. Il s’étonna en outre de ce que X avait introduit sa requête cinquante-trois ans après sa naissance et, invoquant son âge avancé, argua qu’une intervention, quelle qu’elle fût, pourrait avoir des conséquences néfastes sur sa santé.

15. Après avoir entendu les parties, le tribunal décida le 23 octobre 2013 de renvoyer l’affaire devant les juridictions constitutionnelles.

2. Le recours constitutionnel

16. Devant les juridictions constitutionnelles, le requérant plaida qu’aucun des buts énumérés à l’article 8 § 2 ne s’appliquait dans son cas. Il allégua en outre que le droit applicable ne permettait pas de ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu et qu’il limitait sa capacité à contester une prétention, l’exposant de ce fait à une charge exorbitante. Il soutint en outre que n’importe qui pouvait introduire une procédure de cette nature sans l’ombre d’une preuve et qu’un père présumé pouvait par conséquent se voir contraint de se soumettre à une analyse génétique, avec toutes les conséquences qu’un tel acte pouvait emporter, alors même qu’il était sûr de ne pas être le père de l’enfant en question. Il ajouta qu’un résultat positif perturberait et chamboulerait sa vie après tant d’années de silence [il était alors âgé de 88 ans]. Il demanda aux juges de ménager un juste équilibre entre le droit (éventuel) de X de connaître l’identité de son père et son propre droit au respect de sa vie privée et familiale.

1. La procédure en première instance

17. Par un arrêt qu’il rendit le 30 octobre 2014, le tribunal civil (première chambre), statuant en matière constitutionnelle, conclut qu’il n’y aurait pas violation de l’article 8 de la Convention si le tribunal civil (statuant en droit commun) ordonnait au requérant de se soumettre à une analyse génétique aux fins de la cause.

18. Il considéra que l’application des dispositions litigieuses était le reflet des mesures prises par l’État conformément aux obligations positives qui étaient les siennes relativement au droit de chacun de connaître son ascendance dans le contexte d’une procédure judiciaire. Citant l’arrêt Pascaud c. France (no 19535/08, § 64, 16 juin 2011), il rappela que « la protection des intérêts d[‘un] père présumé ne saurait constituer à elle seule un argument suffisant pour priver le requérant [la personne à l’origine de la demande d’établissement de paternité] de ses droits au regard de l’article 8 de la Convention ». Il considéra qu’il y aurait disproportion si la personne cherchant à faire établir un lien de filiation avait eu un comportement fautif, en ne sollicitant pas un test de paternité ou en ne se prévalant pas d’un recours disponible, ou si elle avait renoncé à un tel droit, mais qu’il n’en était rien en l’espèce. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour, il observa que s’il était vrai que le fait de ne pas rendre une analyse génétique obligatoire n’emportait pas nécessairement violation, on ne pouvait pas dire à l’inverse que le fait de la rendre obligatoire emporterait violation de l’article 8 au motif que pareille mesure n’était pas proportionnée au but poursuivi.

19. Le tribunal considéra en outre que la question de l’âge de X était sans rapport avec les démarches qu’elle avait engagées pour découvrir l’identité de son père biologique, d’autant plus que cela faisait plusieurs années qu’elle essayait d’obtenir une reconnaissance de paternité et que le requérant avait fait partie de sa vie pendant un certain temps. Il jugea qu’à la lumière de ces éléments, le requérant ne pouvait pas prétendre que sa vie familiale se trouverait bouleversée par un résultat positif.

20. Enfin, renvoyant à l’arrêt Jäggi c. Suisse (no 58757/00, CEDH 2006‑X), qui portait sur un cas similaire à l’exception du fait que le père biologique présumé était décédé, le tribunal confirma que l’exercice de mise en balance des intérêts en jeu commandait un examen rigoureux dans les affaires relatives à une demande de reconnaissance de filiation, et que le droit d’une personne de connaître son ascendance était un intérêt vital protégé par la Convention.

2. La procédure en appel

21. Le requérant interjeta appel le 10 novembre 2014. Il argua en particulier que lorsqu’elle avait examiné l’affaire à la lumière des obligations positives de l’État, la juridiction de première instance n’avait pas cherché à déterminer si la mesure contestée était proportionnée, ni si elle était prévue par la loi et poursuivait un but légitime – à cet égard, il affirma que le droit applicable rendait les analyses génétiques obligatoires (sauf dans les cas où un mineur était concerné), et que le juge se voyait donc privé de toute possibilité de mettre en balance les intérêts en présence et d’exercer son pouvoir d’appréciation. Il estimait en outre que le texte de loi litigieux emportait violation du principe de l’égalité des armes et était contraire aux règles procédurales (et plus particulièrement à l’article 562 du code civil – voir « Le droit interne pertinent » ci-dessous).

22. La Cour constitutionnelle rendit le 26 juin 2015 un arrêt par lequel elle rejeta le recours dont elle avait été saisie et confirma l’arrêt rendu en première instance.

23. Elle estima qu’il ressortait manifestement de l’arrêt de première instance que le juge avait apprécié la proportionnalité de la mesure litigieuse. Elle considéra que le fait que le juge de première instance se fût principalement concentré sur les aspects juridiques de la cause ne signifiait pas qu’il n’avait pas aussi tenu compte des éléments factuels pertinents, et elle jugea que ses conclusions avaient spécifiquement renvoyé à la cause et n’étaient pas générales par nature.

24. Comme le tribunal de première instance, la Cour constitutionnelle renvoya au fait que X avait espéré plusieurs années durant découvrir la vérité sur un aspect important de son identité personnelle et qu’elle souhaitait faire modifier son acte de naissance, sur lequel figurait la mention « père inconnu » (mention qui d’après elle était inexacte), pour éviter l’humiliation qu’elle disait ressentir chaque fois qu’elle devait présenter ce document. Elle considéra également que X entendait, conformément au droit applicable, revendiquer un droit sur le patrimoine du requérant en cas de décès de l’intéressé. Elle conclut que X avait manifestement un intérêt impérieux à faire établir sa filiation paternelle. Elle considéra par ailleurs que le requérant n’avait quant à lui évoqué comme conséquences négatives de la mesure litigieuse que son âge avancé, l’humiliation qu’un tel examen (un prélèvement buccal) lui causerait et le bouleversement que la confirmation de sa paternité provoquerait.

25. La Cour constitutionnelle reconnut le droit de X de voir son lien de filiation paternelle établi pour les motifs qu’elle avait invoqués, à savoir l’existence d’intérêts moraux et patrimoniaux. Elle considéra en revanche que le requérant n’avait avancé aucun motif suffisamment sérieux pour qu’elle pût considérer que l’application dans son cas de l’article 100A emporterait violation de ses droits garantis par l’article 8. Rappelant les constats formulés par la Cour dans l’arrêt Pascaud (précité), elle dit que la protection des intérêts d’un père présumé ne saurait constituer à elle seule un argument suffisant pour priver le requérant (la personne à l’origine de la demande d’établissement de paternité) de ses droits au regard de l’article 8. Elle considéra que l’article 8 § 2 autorisait expressément une ingérence légitime dans l’exercice du droit d’un individu au respect de sa vie privée dès lors que cette ingérence visait la « protection des droits et libertés d’autrui », et que tel était le cas en l’espèce. Elle conclut donc que l’application de la loi concernée serait justifiée dans le cas du requérant étant donné que le but visé par la mesure litigieuse était précisément d’établir l’identité de X et de protéger son intérêt patrimonial dans l’hypothèse où il serait établi qu’elle était effectivement la fille du requérant.

26. À la lumière de ces éléments, et tenant compte de l’argument du requérant selon lequel l’article 70A § 2 du code civil excluait l’exercice par le juge ordonnant l’analyse génétique de son pouvoir de discrétion, la Cour constitutionnelle considéra qu’on ne pouvait exclure que dans certains cas, c’est-à-dire lorsque la juridiction chargée de connaître d’une affaire n’avait pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en présence, l’application nécessaire (applikazzjoni tassativa) de l’article 70A § 2 du code civil pût emporter violation de l’article 8. Elle conclut toutefois qu’au regard des faits de la cause, il n’en était rien en l’espèce. Elle estima que la réalisation d’un prélèvement buccal, acte non invasif, ne causerait au requérant aucune humiliation. Elle considéra en outre que les troubles qu’un constat de paternité pourrait provoquer dans sa vie privée et familiale ne prévalaient pas sur les intérêts de X.

27. Enfin, la Cour constitutionnelle considéra que le grief que le requérant avait soulevé relativement à la notion d’égalité des armes était futile étant donné que les deux parties pouvaient demander une analyse génétique et que le fait qu’un élément de preuve s’analysât en un élément probant en faveur d’une partie ne signifiait pas qu’il devait être rejeté.

3. Poursuite de la procédure civile

28. Le 18 octobre 2015, à la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle mentionné ci-dessus, le tribunal civil (chambre familiale) ordonna la poursuite des débats et enjoignit au requérant de se soumettre à l’analyse génétique. Il nomma un expert qu’il chargea de réaliser l’acte et de lui remettre un rapport le 28 janvier 2016 au plus tard.

29. Le 24 mai 2016, le conseil du requérant indiqua au tribunal qu’il convenait d’évoquer avec le requérant la possibilité pour lui de présenter ses moyens de défense par visioconférence étant donné qu’il résidait à l’étranger. Le 6 octobre 2016, il l’informa que le requérant allait probablement produire ses moyens de défense sous la forme d’une déclaration sous serment. Le tribunal ne reçut toutefois aucune déposition écrite du requérant.

30. Le requérant se soumit au test ; d’après le rapport produit par l’expert le 21 février 2017 (et communiqué à la Cour), la probabilité de paternité, c’est-à-dire la probabilité que le requérant fût le père de X, s’élevait à 99,9998 %.

31. L’expert ne put assister à l’audience du 6 avril 2017, ainsi qu’en atteste le procès-verbal de cette audience. Le tribunal l’autorisa donc à remettre son rapport au greffe du tribunal et à en confirmer le contenu sous serment. Le tribunal demanda également au requérant de lui communiquer ses informations personnelles. Il mit le jugement en délibéré. Le même jour, le requérant communiqua une note qui contenait les informations personnelles le concernant.

32. Le 21 juin 2017, le tribunal civil (chambre familiale) déclara que X était l’enfant biologique du requérant et il ordonna au directeur de l’état civil d’apporter les modifications nécessaires à l’acte de naissance de X de manière à y inclure les informations personnelles du requérant. Il renvoya dans son jugement aux déclarations faites sous serment par X et Y, au rapport du test ADN et à la décision du requérant de ne pas communiquer d’observations et de se borner à transmettre les informations personnelles le concernant. Il releva que les dépositions de X et Y n’avaient pas été réfutées étant donné que le requérant n’avait fait aucune déposition, et que la première exception que le requérant avait soulevée avait été contredite par le résultat du test ADN, lequel corroborait les dépositions des témoins, et celle de Y en particulier.

2. LE DROIT INTERNE PERTINENT

33. À l’époque des faits, les articles pertinents du code civil, chapitre 16 du droit maltais, se lisaient comme suit :

Article 70A (Filiation naturelle)

« 1) Dès lors que la filiation naturelle d’un enfant appelle clarification :

a) le père peut demander à la mère et à l’enfant ;

b) la mère peut demander au père et à l’enfant ;

c) l’enfant peut demander aux deux parents ; et

d) le père naturel présumé peut demander à l’époux de la mère de l’enfant, à la mère et à l’enfant,

de consentir à la réalisation d’un test de paternité et au prélèvement d’un échantillon génétique adapté aux fins du test, le prélèvement en question devant être effectué conformément au droit applicable.

2) Sur requête de la personne fondée à obtenir clarification du lien de filiation, le tribunal civil (chambre familiale) supplée tout refus opposé à pareille demande et ordonne qu’il soit consenti au prélèvement d’un échantillon.

3) Le tribunal civil (chambre familiale) rejette la requête lorsqu’il considère que l’établissement du lien de filiation naturelle nuirait gravement aux intérêts de l’enfant mineur, dans une mesure qui serait déraisonnable pour celui-ci même compte tenu des intérêts invoqués par la personne fondée à obtenir pareille mesure.

4) Toute personne ayant consenti à un test de paternité et ayant fourni un échantillon génétique peut exiger de la personne fondée à obtenir clarification du lien de filiation et ayant fait procéder à un test de paternité qu’elle l’autorise à consulter le rapport du test ou qu’elle lui en fournisse copie. Les litiges nés de demandes formulées en vertu de l’alinéa premier du présent article relèvent de la compétence du tribunal civil (chambre familiale).

5) Les requêtes introduites en vertu du présent article sont tranchées par voie de décrets (decrees), lesquels sont susceptibles de recours conformément à la procédure prévue par l’article 229 § 2 du code d’organisation judiciaire et de procédure civile. »

Article 86A

« 1) La mère d’un enfant conçu ou né hors mariage qui n’a pas été reconnu par son père peut, de même que l’enfant en question, saisir à tout moment la justice aux fins de faire établir le lien de filiation paternelle de l’enfant et de faire ordonner l’enregistrement à l’état civil du lien de filiation ainsi établi.

2) Les héritiers ou descendants de l’enfant peuvent également saisir la justice en vertu de l’alinéa premier du présent article dès lors que les circonstances mentionnées à l’article 85 sont réunies. »

Article 100

« Toute partie intéressée peut aussi contester une demande judiciaire visant à établir un lien de filiation. »

Article 100A

« Dans les cas prévus par le présent sous-titre, le tribunal peut, sous réserve de toute pièce pouvant être produite par les parties conformément au droit applicable, exiger des parties qu’elles se soumettent aux examens évoqués à l’article 70A, de la même manière et dans les mêmes circonstances. »

34. Il ressort de l’article 229 § 2 du code d’organisation judiciaire et de procédure civile, chapitre 12 du droit maltais, qu’un décret prononcé dans le cadre d’une action en recherche de filiation naturelle pouvait, avant le prononcé du jugement définitif, faire l’objet d’un recours conformément à la procédure énoncée dans les paragraphes 4 et 5 de ce même article, qui se lisaient ainsi :

« 4) Dès lors qu’aucun recours n’a été introduit, la partie s’estimant lésée par un décret prononcé en vertu des paragraphes 2 et 3 du présent article peut, dans les six jours suivant sa lecture en audience publique, saisir le tribunal à son origine d’une requête en réexamen. Cette requête doit contenir un exposé complet et détaillé des arguments avancés et être signifiée à l’autre partie qui aura le droit d’y répondre dans les six jours suivant la date de signification.

5) Le tribunal statue à bref délai par voie de décret dûment motivé, lu en audience publique, sur toute demande d’autorisation spéciale d’introduire un recours formée en vertu du paragraphe 3 ou sur toute demande de réexamen introduite en vertu du paragraphe 4. »

35. L’article 562 du code d’organisation judiciaire et de procédure civile est libellé comme suit :

« Sauf disposition contraire prévue par la loi, c’est toujours à la partie à l’origine d’une allégation factuelle qu’incombe la charge d’en prouver la véracité. »

EN DROIT

1. 1SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

36. Le requérant se plaint de ce que, selon lui, le droit maltais rendait obligatoire le prélèvement d’un échantillon génétique dans le cadre des actions en recherche de paternité. Il voit dans l’obligation qui lui a été faite de se soumettre à une telle procédure contre son gré une violation de l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

37. Le Gouvernement conteste cette thèse.

1. Sur la recevabilité
3. Sur la qualité pour agir de Mme Margaret Mifsud

38. À une date postérieure à l’introduction de la requête, M. Mifsud est décédé ; sa veuve, Mme Mifsud, a exprimé le souhait de maintenir la requête.

39. Dans sa jurisprudence, la Cour distingue selon que le décès de la victime directe est postérieur ou antérieur à l’introduction de la requête devant elle. Dans des cas où le requérant était décédé après l’introduction de la requête, la Cour a admis qu’un proche parent ou un héritier pouvait en principe poursuivre la procédure dès lors qu’il avait un intérêt suffisant dans l’affaire (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 97, CEDH 2014).

40. Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour admet que Mme Mifsud, veuve et héritière de la victime directe (qui avait saisi la Cour avant son décès), possède un intérêt légitime à maintenir la requête au nom du défunt. Elle poursuivra donc l’examen de cette affaire à sa demande. Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera cependant de désigner feu M. Mifsud comme « le requérant ».

4. Autre

41. Le Gouvernement affirme que le requérant invoque l’article 6 de la Convention à maintes reprises dans ses observations alors qu’il n’avait pas soulevé cette question devant les juridictions internes. Il estime donc que ce grief doit être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il ajoute que le grief en question apparaît uniquement dans les observations communiquées par le requérant le 6 avril 2008, et qu’il a donc été soulevé en dehors du délai de six mois et doit par conséquent être aussi rejeté pour tardiveté.

42. La Cour note que la requête communiquée au Gouvernement concernait uniquement un grief fondé sur l’article 8 de la Convention. Par conséquent, elle examinera l’affaire sous l’angle de l’article 6 non pas per se, mais uniquement, le cas échéant, dans la mesure pertinente aux fins de l’appréciation de la mesure litigieuse sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

43. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Le requérant

44. Dans sa requête, le requérant soutient que l’article 100A du code civil, qui renvoyait à l’article 70A du même code, a emporté violation de ses droits garantis par l’article 8. D’une part, il estime que cet article commandait à la partie visée par une procédure de filiation de produire des éléments de preuve auto-incriminants même lorsque la partie adverse n’était pas parvenue à satisfaire à la charge de la preuve nécessaire dans les procédure civiles et, partant, qu’il était contraire au principe de l’égalité des armes et ne satisfaisait donc pas à l’exigence de « qualité de la loi ». D’autre part, il allègue que la mesure visée à cet article revêtait un caractère obligatoire qui empêchait les juridictions internes de la soumettre à un examen ou d’exercer leur pouvoir d’appréciation. Se fondant sur ces deux arguments, il soutient que l’article en question était contraire à la prééminence du droit. Il argue en outre que cet article était imprévisible quant à ses conséquences dans les cas où la partie concernée refuserait de se soumettre à un pareil test. Il y voit une absence de sécurité juridique de la loi. Il s’interroge sur le point de savoir si une partie pouvait être contrainte, par la force physique, à fournir l’échantillon en question.

45. Dans les observations qu’il a communiquées à la Cour, le requérant soutient que l’admission de la pièce en question a nui à sa défense et a constitué un élément déterminant dans l’issue de l’affaire. Il argue qu’une fois cette pièce versée au dossier, il ne lui a plus été possible de présenter ses arguments initiaux comme moyens de défense sans risque d’être poursuivi du chef de faux témoignage dans une procédure civile. Il considère que le fait même que l’injonction de se soumettre à un test génétique soit intervenue au stade initial de la procédure, avant qu’il ait été autorisé à présenter ses arguments, s’analyse en une violation de l’objet de l’article 8, ainsi que de celui de l’article 6 de la Convention. Il soutient que le test a été ordonné à un stade précoce de la procédure, avant même qu’il ait pu livrer sa version des faits et alors qu’il n’avait encore ni communiqué ses observations ni produit de pièces et qu’aucun contre-interrogatoire n’avait encore été mené, et il argue que les circonstances factuelles auxquelles la Cour constitutionnelle a renvoyé étaient « unidimensionnelles » et portaient atteinte à son droit de se défendre dans le cadre d’une procédure civile. Il estime que la situation a été aggravée par le libellé, ambigu selon lui, de l’article 100A du code civil. Il considère en effet que l’expression « sous réserve de toute pièce pouvant être produite par les parties » l’a placé dans une situation telle qu’il lui était impossible de se défendre. Il soutient que si le test avait été ordonné après qu’il eut été autorisé à présenter ses arguments, ses droits de la défense auraient été respectés et le juge aurait pu prendre quant à la nécessité de faire procéder à un test de paternité une décision fondée sur les arguments des deux parties. Il considère qu’on l’a contraint à présenter des moyens de preuve auto-incriminants, en violation du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, et qu’il s’est ensuite vu dénier le droit de se défendre, quand, dans le même temps, X s’est vue exonérée de l’obligation qui lui incombait de produire des éléments à l’appui de son grief civil, obligation pourtant fondamentale en matière de preuve selon lui. Il considère qu’au vu des éléments qui précèdent la mesure n’était pas prévue par la loi, les conséquences mêmes de l’application de la loi soulevant d’après lui un problème au regard des principes de la justice naturelle.

46. Le requérant soutient en outre que l’article 100A semblait à première vue conférer au tribunal le pouvoir d’ordonner ou non un test de paternité, mais que lu conjointement avec l’article 70A § 2 du code civil, ce pouvoir d’appréciation devenait une obligation. Il déduit de Malone c. Royaume-Uni (2 août 1984, série A no 82) et de Silver et autres c. Royaume-Uni (25 mars 1983, série A no 61) qu’une loi qui confère un pouvoir d’appréciation doit en fixer la portée, ce qui, d’après lui, sous-entend qu’il y a lieu de considérer qu’une loi qui ne fixerait pas la portée du pouvoir d’appréciation qu’elle confère ne répondrait pas à l’exigence de légalité.

47. Le requérant considère en outre que la loi en question ne poursuivait pas un but légitime au sens de l’article 8 § 2. Il estime que le simple fait qu’une loi ait été adoptée pour permettre à l’État de remplir ses obligations positives ne signifie pas que toute mesure en découlant soit automatiquement proportionnée. Il allègue à l’appui de cet argument que les juridictions internes n’ont pas établi l’existence d’un besoin social impérieux. Il soutient que la loi édictait des règles en matière de charge de la preuve dans les affaires civiles (selon le « critère de la plus forte probabilité »), et que le fait qu’on lui ordonnât de se soumettre au test ne pouvait donc être considéré comme une mesure « nécessaire » étant donné que le même résultat aurait pu être obtenu par des moyens moins restrictifs. Il argue que l’État aurait pu s’acquitter de son obligation positive en offrant au tribunal la possibilité d’inviter une partie visée par une action en recherche de filiation à se soumettre à un test génétique ou de tirer des conclusions d’un refus de se soumettre à pareil test, et que cette solution lui aurait laissé la possibilité de présenter ses moyens de défense.

48. Le requérant se plaint également des conclusions des juridictions constitutionnelles. Il estime en particulier que ces juridictions n’ont pas examiné la question de la proportionnalité de la mesure de manière approfondie. Il soutient qu’elles se sont au contraire bornées à une analyse superficielle et qu’elles ne se sont pas livrées à une appréciation correcte et approfondie des rapports qui existaient entre les intérêts concurrents en jeu. Il considère que dans le cas d’espèce, ces intérêts relevaient des droits fondamentaux individuels de chacune des parties, et que tous méritaient d’être protégés. Il soutient qu’un tel exercice d’appréciation par les juridictions constitutionnelles était d’autant plus nécessaire que dans les affaires de filiation, la loi n’offrait pas au juge la possibilité d’examiner les intérêts en présence avant d’ordonner la réalisation d’analyses génétiques, sauf si la personne visée était mineure. Il estime que les juridictions internes se sont certes appuyées sur la jurisprudence de la Cour, mais qu’elles n’ont pas établi de distinction entre les faits des affaires déjà jugées par la Cour et ceux du cas d’espèce, qui, selon lui, sont intrinsèquement différents. Il soutient également que l’arrêt Canonne c. France ((déc.), no 22037/13, 2 juin 2015) invoqué par le Gouvernement n’est pas comparable au cas d’espèce. Il allègue en effet que dans cette affaire, M. Canonne avait refusé de se soumettre au test.

b) Le Gouvernement

49. Le Gouvernement reconnaît que l’obligation de se soumettre à un prélèvement d’ADN dans le cadre d’une action en recherche de paternité peut s’analyser en une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 8, mais il soutient que pareille ingérence est justifiée. Il estime en revanche qu’en l’espèce, le requérant n’a pas apporté la preuve d’un quelconque préjudice et qu’il n’y a donc pas eu ingérence. Il ajoute que le test ADN a certes permis d’établir la paternité du requérant, mais que celui-ci a continué à résider à l’étranger avec sa famille.

50. Le Gouvernement soutient que la mesure litigieuse était prévue par le droit interne, et plus particulièrement par l’article 100A du code civil, qui offrait également selon lui la possibilité de produire des pièces complémentaires. Il considère que cette disposition était claire et ne laissait aucune marge d’interprétation concernant la question de savoir si le juge pouvait ordonner pareil test. Il soutient que l’article 70A était encore plus clair puisqu’il décrivait selon lui de manière détaillée la procédure devant être suivie et offrait une possibilité de recours.

51. Le Gouvernement soutient que la Cour a établi dans plusieurs affaires que le droit à l’identité (dont relève le droit de connaître son ascendance) fait partie intégrante de la notion de vie privée et que les États doivent avoir mis en place un dispositif approprié et adéquat propre à établir de manière certaine l’existence de liens de filiation. Il cite à cet égard les arrêts Mikulić c. Croatie (no 53176/99, CEDH 2002‑I), Jäggi c. Suisse (no 58757/00, CEDH 2006‑X) et Pascaud c. France, no 19535/08, § 62, 16 juin 2011). Il considère donc que X avait un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui lui étaient nécessaires pour découvrir la vérité sur un aspect important de son identité, et que la mesure litigieuse était nécessaire pour établir son ascendance. Il argue que le code civil maltais commandait au père de se soumettre à un test ADN pour garantir les droits de l’enfant, mais que les juridictions internes étaient libres d’ordonner ou non des tests ADN en fonction de l’intérêt de l’enfant, et que ce pouvoir discrétionnaire leur permettait d’examiner chaque affaire dans sa singularité et de ménager un juste équilibre entre les droits concurrents en présence. Il renvoie à Canonne (précité).

52. Le Gouvernement soutient en outre que le requérant s’est vu offrir la possibilité de produire des éléments de preuve et de se défendre. Il estime que dans sa décision du 21 juin 2007, le juge interne a tenu compte de l’ensemble des éléments à sa disposition, dont le test génétique, mais aussi, d’une part, du fait que dans sa déposition, le témoin ait indiqué que le requérant et sa famille avaient rencontré X et sa famille et que le requérant avait aidé X et sa famille à s’installer à Malte et au Royaume-Uni, et, d’autre part, du fait que le requérant ait su que X était sa fille et qu’il avait résidé avec elle et sa famille à plusieurs reprises. Il considère donc que comme dans l’affaire Canonne (arrêt précité), le juge interne a fondé sa décision sur un faisceau d’éléments.

53. Le Gouvernement soutient en outre que le requérant aurait pu contester le test ADN en produisant un rapport ex parte. Il considère en effet que le fait que le juge ait ordonné un test ADN au stade de la collecte des moyens de preuve ne l’empêchait pas de produire des pièces à l’appui de ses allégations. Il ajoute que s’il s’était avéré négatif, le test ADN aurait au contraire constitué pour le requérant son argument le plus solide pour contester les allégations de X. Il estime que le seul fait que le résultat n’ait pas corroboré ses allégations ne signifie pas que ses droits aient été violés. Enfin, il affirme qu’en vertu de l’article 70A § 5 du code civil, le requérant aurait pu contester la décision du juge d’ordonner un test génétique, mais qu’il ne l’a pas fait.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

54. La Cour a déjà dit que le prélèvement d’échantillons cellulaires et leur conservation, ainsi que la détermination de profils ADN extraits d’échantillons cellulaires et la conservation de ces données, s’analysent en une atteinte au droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 § 1 de la Convention (S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, §§ 71 à 77, CEDH 2008).

55. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 de la Convention, sauf si elle peut se justifier sous l’angle du paragraphe 2 de cet article, c’est-à-dire si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou des buts légitimes qui sont énumérés dans cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre le ou les buts en question (Peruzzo et Martens c. Allemagne (déc.), nos 7841/08 et 1 autre, § 34, 4 juin 2013).

56. La Cour rappelle que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il peut de surcroît engendrer des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale, qui peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Mikulić, précité, § 57, et S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 87, CEDH 2011). Elle réaffirme en outre que le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain et que le droit d’un individu à de telles informations est essentiel du fait de leurs incidences sur la formation de la personnalité. Le droit d’obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l’identité de ses géniteurs (voir, par exemple, Călin et autres c. Roumanie, nos 25057/11 et 2 autres, § 83, 19 juillet 2016, et références citées), en fait partie.

57. La Cour a déjà conclu à une violation de l’article 8 dans des affaires où le système juridique interne ne prévoyait aucune mesure permettant d’obliger un parent présumé à obtempérer à l’injonction d’un tribunal en acceptant de subir un test ADN (A.M.M. c. Roumanie, no 2151/10, § 61, 14 février 2012, et Mikulić, précité, § 61) ni aucune disposition régissant les conséquences d’une telle résistance (ibidem). Néanmoins, si elle a admis que les enfants supposés ont un intérêt vital, défendu par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle, elle a aussi considéré qu’il faut garder à l’esprit que la nécessité de protéger les tiers (tels le requérant en l’espèce) peut exclure la possibilité de les contraindre à se soumettre à quelque analyse médicale que ce soit, notamment à des tests ADN (Mikulić, précité, § 64 et Pascaud, précité, § 62).

58. Elle a cependant dit dans Pascaud (précité, §§ 63‑69) que la protection des intérêts du père présumé ne saurait constituer à elle seule un argument suffisant pour priver le requérant (le fils présumé) de ses droits au regard de l’article 8 de la Convention. Dans cette affaire, elle a conclu que la décision des juridictions internes d’invalider les résultats d’un test ADN (en raison d’un vice de procédure, à savoir l’absence de consentement explicite de la personne sur laquelle l’échantillon avait été prélevé), qui donnait plus de poids aux droits du père présumé qu’au droit du fils à connaître ses origines, avait emporté violation de l’article 8.

59. Dans l’arrêt Tsvetelin Petkov c. Bulgarie (no 2641/06, § 55, 15 juillet 2014), où le requérant avait été déclaré père de l’enfant présumé à l’issue d’une procédure à laquelle il n’avait pas participé, en l’absence, donc, d’expertise génétique, la Cour a considéré que le test ADN était la méthode scientifique qui était disponible à l’époque pour déterminer avec fiabilité l’ascendance d’un enfant, et que sa valeur probante dépassait largement celle de toute autre pièce pouvant être présentée par les parties pour confirmer ou infirmer l’existence d’un lien biologique de filiation. Elle a par conséquent estimé que si le requérant avait eu la possibilité de participer en personne à la procédure, il aurait pu permettre de trancher de manière définitive la question de sa paternité en se soumettant à un test ADN, ce qui aurait été dans l’intérêt de toutes les parties concernées. Elle a donc conclu que le fait que le requérant n’ait pas pu prendre part à la procédure avait emporté violation de ses droits garantis par l’article 8. Cet exemple montre que même dans les affaires de recherche de paternité, la Cour doit déterminer si pris dans sa globalité, le processus décisionnel était équitable et a permis au requérant de faire valoir ses intérêts protégés par l’article 8 (Ahrens c. Allemagne, no 45071/09, § 40, 22 mars 2012, Kautzor c. Allemagne, no 23338/09, § 80, 22 mars 2012, et Tsvetelin Petkov, précité, §§ 49 et suiv.).

60. Dans le cadre d’une affaire relative à l’institution de délais pour l’introduction d’actions en recherche de paternité, la Cour a admis que l’intérêt du père présumé à être protégé contre des actions portant sur des faits remontant à plusieurs années ne pouvait être nié, et qu’outre le conflit d’intérêts existant entre le père et l’enfant présumés, d’autres intérêts pouvaient entrer en jeu, dont ceux de tiers, et principalement ceux de la famille du père présumé, ainsi que l’intérêt général que représente la préservation de la sécurité juridique (Laakso c. Finlande, no 7361/05, § 46, 15 janvier 2013 ; voir aussi Konstantinidis c. Grèce, no 58809/09, § 52, 3 avril 2014). Elle a toutefois jugé dans le contexte d’affaires concernant des tests ADN menés dans le cadre d’actions en recherche de paternité que l’intérêt que peut avoir un individu à connaître son ascendance ne cesse nullement avec l’âge, bien au contraire (Pascaud, précité, § 65, et Jäggi, précité, § 40).

b) L’application des principes précités au cas d’espèce

61. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour observe que l’injonction de se soumettre à un test ADN et la réalisation du test en dépit des objections du requérant s’analysent en une atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée (comparer avec Cakicisoy et autres c. Chypre ((déc.), no 6523/12, § 51, 23 septembre 2014), où la Cour a considéré qu’il n’y avait pas eu atteinte au droit des requérants, ceux-ci ayant accepté de leur plein gré de fournir les échantillons demandés).

62. Sur la question de savoir si la mesure était prévue par la loi, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots « prévue par la loi » imposent que la mesure incriminée ait une base en droit interne mais visent aussi la qualité de la loi en cause : celle-ci doit en effet être accessible au justiciable et prévisible quant à ses effets (Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000-V).

63. Le requérant allègue que la mesure n’était pas prévue par une loi de qualité suffisante (paragraphe 44 ci-dessous). En effet, il estime premièrement que la loi en question commandait à une partie à une action en recherche de filiation de présenter des éléments auto-incriminants en dépit de l’incapacité de la partie adverse à satisfaire à la charge de la preuve nécessaire dans les procédures civiles et qu’elle enfreignait donc le principe de l’égalité des armes, deuxièmement qu’elle revêtait un caractère obligatoire et ne laissait donc aucun pouvoir d’appréciation ni aucune latitude aux juges internes, et troisièmement qu’elle n’était pas prévisible quant à ses conséquences dans l’hypothèse où l’intéressé refuserait de se soumettre au test en question.

64. Il ne fait pas controverse entre les parties que l’ingérence a été ordonnée en vertu de l’article 100A du code civil. De l’avis de la Cour, les autres questions touchant à la légalité de la mesure – comme ses conséquences dans le cadre de la procédure, le caractère automatique de la règle et le flou allégué de certaines des notions qu’elle renferme – sont étroitement liées à la proportionnalité et doivent être examinées comme un aspect de celle-ci, sous l’angle de l’article 8 § 2 (voir, mutatis mutandis, Maskhadova et autres c. Russie, no 18071/05, § 216, 6 juin 2013, T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 72, CEDH 2001‑V (extraits), et Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 92, CEDH 2001‑I). Sans préjudice de ce qui précède, la Cour considère que la mesure litigieuse était « prévue par la loi » au sens de l’article 8 de la Convention.

65. La Cour estime également que l’ingérence poursuivait un « but légitime », à savoir la protection des droits et libertés d’autrui et plus particulièrement de X. Ainsi que la Cour constitutionnelle l’a relevé en l’espèce, la Cour a déjà déclaré que le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain et que le droit d’un individu à de telles informations est essentiel du fait de leurs incidences sur la formation de la personnalité. Le droit d’obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l’identité de ses géniteurs (voir, par exemple, Călin et autres, précité, § 83) en fait partie. Partant, l’État, par cette expertise génétique, cherchait à s’acquitter de ses obligations positives envers X.

66. Cela étant, la Cour doit examiner le point de savoir si un juste équilibre a été ménagé en l’espèce, à la lumière des droits garantis au requérant par l’article 8.

67. La Cour observe d’emblée relativement à la critique du droit applicable formulée par le requérant que dans des affaires issues d’une requête individuelle, elle n’a généralement point pour tâche de contrôler dans l’abstrait une législation ou une pratique donnée, mais doit autant que possible se limiter, sans oublier le contexte général, à traiter les questions soulevées par le cas concret dont elle se trouve saisie. En l’occurrence, il ne lui revient donc aucunement de se prononcer in abstracto sur la compatibilité avec la Convention du texte de loi en question, mais seulement d’apprécier, in concreto, l’incidence de l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée (Maskhadova et autres, précité, § 227, et Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 69-70, 20 octobre 2011).

68. Dans le cas d’espèce, le requérant allègue que le droit applicable est contraire au principe de l’égalité des armes, d’une part en raison du moment où l’injonction a été prononcée et d’autre part en raison du poids accordé au moyen de preuve en question.

69. La Cour ne peut souscrire à l’argument du requérant qui consiste à dire que l’injonction a été prononcée à un stade où l’intéressé n’avait pas encore été autorisé à produire des moyens de preuve. Elle observe que le directeur de l’état civil a demandé au tribunal d’ordonner au requérant de se soumettre à un test ADN le 11 février 2013 et que X a introduit la même demande le 13 mai 2013 après avoir communiqué l’ensemble des pièces qu’elle entendait produire. À ce moment-là, le requérant avait déjà communiqué ses observations en réponse et présenté ses arguments en défense ; aucun obstacle procédural ne l’empêchait de communiquer sa propre déclaration sous serment ou tout autre élément pertinent. Il ne s’était pas non plus vu refuser l’admission de certaines pièces dont il aurait demandé le versement au dossier. La Cour relève que le requérant a refusé de se soumettre à l’expertise génétique le 22 mai 2013 et que Y a été contre-interrogée quelques jours plus tard. Elle considère donc que jusqu’à ce stade de la procédure, les deux parties s’étaient vu offrir la même possibilité de faire valoir leurs arguments devant le tribunal civil (chambre familiale). Elle observe également que c’est précisément au vu des arguments du requérant et de sa demande de renvoi devant les juridictions constitutionnelles, demande qu’il a accueillie, que le tribunal civil (chambre familiale) n’a pas prononcé d’injonction à ce stade. En effet, ce n’est qu’à l’issue d’une procédure constitutionnelle complète, à deux degrés de juridiction, qu’il a ordonné qu’un test soit réalisé (le 18 octobre 2015). Or, comme le Gouvernement le fait valoir (paragraphe 53 ci-dessus) et ainsi qu’il ressort des faits de la cause (paragraphe 29 ci-dessus), le requérant avait encore à ce stade la possibilité de présenter d’autres éléments de preuve ou de contester le résultat du test.

70. Le requérant allègue également que le moyen de preuve en question s’est vu accorder un poids trop important et qu’il revêtait un caractère « auto-incriminant ». La Cour rappelle d’emblée que les tests ADN sont la méthode scientifique disponible (à l’époque, au début des années 2000, et aujourd’hui encore) pour déterminer avec exactitude l’ascendance d’un enfant, et que sa valeur probante est largement supérieure à celle de n’importe quel autre élément de preuve pouvant être présenté par les parties pour confirmer ou infirmer l’existence d’un lien biologique de filiation (Tsvetelin Petkov, précité, § 55). La Cour considère que ce constat ne porte pas en lui-même atteinte aux droits des parties à la procédure et que c’est le fait de se voir offrir la possibilité de participer en personne à la procédure qui importe (voir, par implication, Tsvetelin Petkov, précité, § 55). En l’espèce, bien qu’il ait préféré se faire représenter par l’avocat de son choix, le requérant s’est vu offrir la possibilité d’assister en personne aux audiences, de présenter des moyens de preuve et de contre-interroger des témoins (comparer avec Tsvetelin Petkov, § 12, où le requérant n’avait pas participé à la procédure et n’avait pas été informé de la décision judiciaire le concernant, et où la décision de ne pas introduire de recours pour contester cette décision avait été prise par un avocat commis d’office). On ne peut donc pas dire en l’espèce que le requérant n’a pas pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts.

71. Deuxièmement, la Cour observe qu’en matière pénale, l’article 8 de la Convention n’interdit pas en tant que tel le recours à une intervention médicale contre la volonté d’un suspect, ou contre la volonté d’un témoin, en vue de l’obtention de preuves (voir, respectivement, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 70, CEDH 2006‑IX, et Caruana c. Malte, (déc.), no 41079/16, 15 mai 2018). Il importe surtout que la mesure soit conforme aux exigences pertinentes de la Convention (ibidem). Partant, de telles méthodes, y compris dans le domaine civil, ne sont pas en elles-mêmes contraires à l’état de droit et à la justice naturelle. La Cour observe que dans de telles affaires, le but légitime poursuivi revêt une importance particulière et qu’en l’espèce, la mesure litigieuse consistait pour l’État à honorer ses obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention vis-à-vis de X.

72. Le requérant argue en outre que l’injonction de se soumettre au test revêtait un caractère obligatoire, et que le droit interne n’énonçait pas les conséquences d’un refus d’obtempérer.

73. La Cour rappelle qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne. Il ne lui appartient pas d’interpréter le droit interne, ni de se prononcer sur l’opportunité des techniques choisies par le législateur d’un État défendeur pour réglementer tel ou tel domaine ; son rôle se limite à vérifier si les méthodes adoptées et les conséquences qu’elles entraînent sont en conformité avec la Convention (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 94, CEDH 2005‑XI, et Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, § 184, 8 novembre 2016). La Cour observe que les juridictions internes « peuvent » ordonner pareils tests en vertu de l’article 100A. Elle relève cependant que combiné avec l’article 70A, cet article pourrait sembler ne laisser aux juridictions aucune latitude pour juger de l’opportunité d’ordonner pareil test, sauf dans le cas des mineurs. En l’espèce, la Cour constitutionnelle a en effet admis que dans certains cas pouvait se poser la question de la compatibilité d’une mesure ainsi imposée avec la Convention. Il apparaît donc bien qu’en théorie cette mesure ait revêtu un caractère obligatoire. Pourtant, la Cour n’est pas convaincue que dans la pratique, un tribunal ordonnerait un test ADN sans tenir compte d’autres éléments, comme le point de savoir si un commencement de preuve a été apporté. De même, la Cour ne peut ignorer qu’une personne visée par une injonction peut introduire un recours pour la contester. Certes, la portée de pareil recours n’a pas été débattue devant la Cour, ce qui soulève donc la question de savoir si une juridiction appelée à connaître d’un tel recours serait compétente pour procéder à un exercice de mise en balance des intérêts en jeu, offrant par là même une garantie procédurale pertinente dans des cas comme celui de l’espèce. Cela étant, bien qu’elle estime que le droit interne pourrait nécessiter des ajustements, la Cour se limitera à examiner son application en l’espèce.

74. La Cour rappelle que dans la présente affaire, le tribunal civil (chambre familiale) n’a pas ordonné au requérant de se soumettre à un test au moment où on lui en a fait la demande. Il a tenu une audience afin d’examiner les objections du requérant. Après avoir entendu les parties, il a considéré que les arguments du requérant n’étaient ni futiles ni vexatoires et il a renvoyé la question devant les juridictions constitutionnelles qui, à deux degrés de juridiction, ont procédé à une appréciation des intérêts en jeu et ont conclu que compte tenu des circonstances de l’affaire, l’intérêt de X à faire établir son ascendance prévalait sur celui du requérant (paragraphes 24 et 25 ci-dessus). La Cour ne voit rien d’arbitraire dans ces décisions, qui ont été prises à la lumière de sa jurisprudence. En effet, ce n’est qu’à l’issue d’une procédure constitutionnelle complète, ouverte à la demande du requérant, qu’un test ADN a été ordonné. Il s’agissait là d’une voie offerte au requérant (puisqu’en vertu du droit maltais, un individu peut aussi introduire des recours pour dénoncer des violations de la Convention qu’il estime être sur le point de se produire), dont il s’est prévalu en pleine connaissance de ses droits procéduraux et des garanties disponibles au niveau interne. Partant, si l’on peut regretter la lourdeur de la procédure (tant pour les parties que pour le système judiciaire) et le fait qu’elle ait eu pour effet de retarder l’issue de la procédure civile, on ne peut considérer qu’elle n’a pas servi l’objectif qui consistait à apprécier les intérêts en jeu et à déterminer si le fait d’ordonner un test ADN porterait atteinte aux droits du requérant découlant de l’article 8. Il s’ensuit qu’en l’espèce, l’injonction de se soumettre au test ADN n’a pas découlé du caractère obligatoire du test en question.

75. Par conséquent, il apparaît au vu des circonstances de l’espèce que la décision du tribunal civil (chambre familiale) d’ordonner pareille mesure était fondée non seulement sur les arguments présentés par les parties dans le cadre de la procédure civile mais aussi sur deux arrêts rendus par les juridictions constitutionnelles, qui avaient mis en balance les intérêts de la partie visée par la mesure et ceux de X, qui était à l’origine de la demande. La Cour conclut par conséquent que le processus décisionnel, considéré comme un tout, était équilibré et que le requérant a pu y jouer un rôle suffisamment important pour lui assurer la protection requise de ses intérêts protégés par l’article 8. Dans la continuité de la jurisprudence qu’elle a rappelée ci-dessus, la Cour considère également que la mesure était nécessaire dans une société démocratique afin de protéger les droits de X.

76. Enfin, le requérant soutient que les conséquences d’un refus de se soumettre au test n’étaient pas prévisibles. La Cour observe toutefois que le requérant s’est soumis au test quelques jours après la décision des juridictions internes lui enjoignant de s’y soumettre. Le requérant n’a pas affirmé que l’échantillon avait été prélevé d’une manière non conforme à la procédure pertinente (voir, a contrario, Yuriy Volkov c. Ukraine, no 45872/06, § 87, 19 décembre 2013) ou au moyen d’un recours excessif à la force. On ne peut pas dire que le requérant ait subi des conséquences imprévisibles puisqu’aucune ne s’est concrétisée en l’espèce, le requérant n’ayant pas refusé de se soumettre au test.

77. En conclusion, la Cour considère qu’en ordonnant un test ADN après avoir effectué la nécessaire mise en balance des intérêts en jeu, dans le cadre d’une procédure judiciaire à laquelle le requérant a participé par l’intermédiaire d’un défenseur choisi par lui, et au cours de laquelle les droits de la défense ont été respectés et mis sur un pied d’égalité avec les droits de la partie adverse, les juridictions nationales ont ménagé un juste équilibre entre l’intérêt de X à faire établir sa filiation paternelle et celui du requérant à ne pas subir le test ADN.

78. Partant, il n’y pas eu violation de l’article 8.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit que l’héritière de M. Mifsud, Mme Margaret Mifsud, peut maintenir sa requête ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 29 janvier 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıBranko Lubarda
Greffière adjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-189724
Date de la décision : 29/01/2019
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : MIFSUD
Défendeurs : MALTE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GALEA V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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