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31/01/2019 | CEDH | N°001-189880

CEDH | CEDH, AFFAIRE FERNANDES DE OLIVEIRA c. PORTUGAL, 2019, 001-189880


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE FERNANDES DE OLIVEIRA c. PORTUGAL

(Requête no 78103/14)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Fernandes de Oliveira c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Luis López Guerra,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Branko Luba

rda,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
Armen Harutyunyan,
Alena Poláčková,
Pauliine Koskelo,
Jolien Schukki...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE FERNANDES DE OLIVEIRA c. PORTUGAL

(Requête no 78103/14)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Fernandes de Oliveira c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Robert Spano,
Luis López Guerra,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Branko Lubarda,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
Armen Harutyunyan,
Alena Poláčková,
Pauliine Koskelo,
Jolien Schukking,
Péter Paczolay, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 mars et 14 novembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 78103/14) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Maria da Glória Fernandes de Oliveira (« la requérante »), a saisi la Cour le 4 décembre 2014, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Mes J. Pais do Amaral, A. Pereira de Sousa et C. Botelho, avocats à Coimbra. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho.

3. Invoquant l’article 2 de la Convention, la requérante alléguait que son fils A.J., qui s’était suicidé, avait pu commettre cet acte en raison d’une négligence de l’hôpital psychiatrique où il séjournait avec son consentement. S’appuyant sur l’article 6 de la Convention, elle se plaignait en outre de la durée de la procédure civile qu’elle avait engagée contre l’hôpital en question.

4. La requête fut attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Le 28 mars 2017, une chambre de cette section composée de Ganna Yudkivska, présidente, Nona Tsotsoria, Paulo Pinto de Albuquerque, Krzysztof Wojtyczek, Egidijus Kūris, Iulia Antoanella Motoc et Marko Bošnjak, juges, ainsi que de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section, déclara la requête recevable. Dans l’arrêt qu’elle rendit le même jour, la chambre dit à l’unanimité qu’il y avait eu violation de l’article 2 en ses volets matériel et procédural. Le 27 juin 2017, le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») sollicita le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 18 septembre 2017, le collège de la Grande Chambre accueillit cette demande.

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Luis López Guerra, dont le mandat a expiré au cours de la procédure, a continué de connaître de l’affaire (articles 23 § 3 de la Convention et 24 § 4 du règlement). Péter Paczolay, juge suppléant, a remplacé Helena Jäderblom, empêchée (article 24 § 3 du règlement).

6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement combiné avec l’article 71 § 1 du règlement).

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 7 mars 2018 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MmesM. de Fátima da Graça Carvalho, agent,
A. Garcia Marques,
DrA. J. Pires Preto, conseillers ;

– pour la requérante
MmesA. Pereira de Sousa,conseil,
C. Botelho,
DrC. Fernandes da Silva,conseillers.

La Cour a entendu Mmes da Graça Carvalho et Pereira de Sousa et le docteur Pires Preto en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions des juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. La requérante est née en 1937 et réside à Ceira (Portugal).

9. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. La genèse de l’affaire

10. Le fils de la requérante, A.J., naquit le 29 mai 1964.

11. Il était atteint de plusieurs troubles mentaux et au fil des ans des diagnostics tels que schizophrénie et dépression grave avaient été posés. Il présentait aussi une dépendance pathologique à l’alcool et aux médicaments (medicamentos) et se montrait parfois violent envers sa mère et sa sœur. Selon l’expertise médicale obtenue après son décès dans le cadre de la procédure interne (paragraphe 33 ci-dessous), A.J. était peut-être également atteint de trouble de la personnalité limite.

12. Il fut hospitalisé à huit reprises, avec son consentement, à l’hôpital psychiatrique Sobral Cid (Hospital Psiquiátrico Sobral Cid – « le HSC ») à Coimbra :

1. du 5 au 8 août 1984 ;

2. du 15 mars au 3 avril 1985, période durant laquelle il lui fut interdit pendant une partie au moins de son séjour de quitter le pavillon où il se trouvait ;

3. du 15 au 28 novembre 1985 ;

4. du 10 au 18 janvier 1993, après avoir été conduit à l’hôpital par la police, qui avait été appelée à son domicile à la suite d’une dispute familiale. Il quitta l’établissement à sa demande, après avoir rempli un formulaire de décharge ;

5. du 1er au 12 février 1993 ;

6. du 1er au 3 septembre 1999 ; hospitalisé d’urgence le 1er septembre (diagnostic d’alcoolisme chronique), il sortit de l’hôpital le 3 septembre 1999, contre l’avis des médecins, en signant une décharge ;

7. du 12 décembre 1999 au 14 janvier 2000, il fut hospitalisé après un accès de délire et fut adressé au HSC par le service des urgences. Au début de son séjour, il lui fut interdit de quitter le pavillon où il était confiné ;

8. du 2 au 27 avril 2000, séjour au cours duquel il quitta deux fois le pavillon sans autorisation, les 3 et 27 avril 2000.

13. Les dossiers médicaux montrent que pendant ces séjours le degré de dépendance (grau de dependência) d’A.J. par rapport à l’assistance médicale avait fluctué, et que l’assistance dont il avait eu besoin pouvait être partielle, intensive, ou totale selon les moments. Parfois, le degré de dépendance n’était pas consigné, comme ce fut le cas pour son dernier séjour en 2000. Entre certains de ces séjours, il vit à de rares occasions un médecin du HSC en consultation externe.

14. Selon le Gouvernement, ces séjours faisaient suite à des urgences ou à des épisodes d’intoxication alcoolique, et seul le dernier était dû à une tentative de suicide.

15. Au cours de certains de ses séjours à l’hôpital, A.J. fut autorisé à passer des week-ends chez lui avec sa famille : trois week-ends entre le 12 décembre 1999 et le 14 janvier 2000, et deux entre le 2 et le 27 avril 2000.

B. Les faits ayant précédé le décès d’A.J.

16. Au mois de mars 2000, A.J. se rendit à Lisbonne pour solliciter le renouvellement de son permis de conduire poids lourds, en vain. Le 1er avril 2000, il tenta de mettre fin à ses jours en ingérant une dose excessive de médicaments. Il fut conduit au service des urgences de l’hôpital universitaire de Coimbra.

17. Le 2 avril 2000, A.J. fut transféré avec son consentement du service des urgences au HSC (ce fut son dernier séjour au HSC – paragraphe 12 ci‑dessus). Il fut pris en charge par le docteur A.A., qui était sa psychiatre depuis décembre 1999. Selon les observations du dossier médical se rapportant au 2 avril 2000 et le témoignage du docteur A.A., la tentative de suicide pouvait être imputable au fait qu’A.J. n’avait pas obtenu le renouvellement de son permis de conduire poids lourds. Selon la psychiatre, il était déprimé et pensait que sa vie ne valait plus la peine d’être vécue, il se sentait marginalisé et impuissant à concrétiser le moindre objectif dans la vie.

18. Pendant la première semaine de son séjour au HSC, A.J. fut interné sous un régime restrictif, bien qu’il eût consenti à son hospitalisation (paragraphe 54 ci-dessous). Il fut confiné, en pyjama, au pavillon 8, où se trouvait la clinique psychiatrique générale pour hommes (hospitalisation des cas aigus), et il ne fut pas autorisé à quitter le pavillon. Il ressort cependant des registres médicaux qu’à la date du 3 avril 2000 A.J. quitta le pavillon après le déjeuner et se rendit chez lui. Il fut ramené au HSC par son beau‑frère vers 13 h 30. Les deuxième et troisième semaines de ce séjour au HSC, compte tenu d’une amélioration de l’état d’A.J., le régime restrictif auquel il était soumis fut levé et il fut autorisé à circuler à l’extérieur du pavillon, dans le périmètre de l’hôpital. Ce régime resta inchangé jusqu’au jour de son décès, le 27 avril 2000 (paragraphe 28 ci-dessous). Pendant cette période, il fut autorisé à passer deux week-ends chez lui.

19. Le second week-end, A.J. put rentrer chez lui pour passer les fêtes de Pâques avec la requérante et d’autres membres de sa famille. Il quitta le HSC le vendredi 21 avril 2000 à 10 heures, après le petit-déjeuner, et avait pour consigne d’y revenir le mercredi 26 avril 2000, après le petit-déjeuner. Le docteur A.A. étant en congé pendant cette période (elle était partie le 19 avril 2000), elle fut remplacée par le docteur E.R., qui vit A.J. deux fois avant que celui-ci ne rentrât chez lui pour le week-end de Pâques.

20. Le mardi 25 avril 2000 vers 22 h 30, la requérante emmena A.J. au service des urgences de l’hôpital universitaire de Coimbra après qu’il eut bu une grande quantité d’alcool. La fiche d’observation établie par le service des urgences le 25 avril 2000 vers minuit indique :

« Patient hospitalisé au HSC, suivi par le docteur A.A. ; a passé le week‑end hors de l’établissement et a dû se comporter de façon irresponsable étant donné qu’il était ivre. Antécédents de faiblesse mentale, d’épisodes dépressifs et de tentatives de suicide récurrentes : caractéristiques non observées ce week-end. Renvoyé au HSC, où il est hospitalisé. »

On prescrivit à A.J. des médicaments à prendre en cas d’urgence. Il ressort du dossier médical de l’intéressé que ces médicaments lui furent administrés au HSC vers 2 heures du matin le 26 avril 2000.

21. D’après les observations consignées dans le dossier médical entre 8 heures et 16 heures le 26 avril 2000, A.J. resta couché et ne se leva que pour manger. Il reçut des appels téléphoniques et la visite de sa sœur. Rien ne fut inscrit pour la période de 16 heures à minuit ni pour la période suivante, de minuit à 8 heures. Les juridictions nationales retinrent que le fils de la requérante avait reçu des médicaments tout au long de la journée, ce que la requérante contesta en s’appuyant sur l’absence d’indication dans le registre médical.

22. Les observations médicales reprirent à 8 heures le 27 avril 2000, l’infirmier notant que de 8 heures à 16 heures A.J. s’était montré calme et s’était promené aux alentours du pavillon 8. D’après le témoignage oral d’un infirmier et le dossier médical, A.J. avait bien mangé, y compris au moment du goûter vers 16 h 45.

23. Le dossier médical ne mentionne pas qu’à son retour au HSC, A.J. avait été vu par le médecin d’astreinte. Le docteur E.R. déclara dans sa déposition orale qu’il avait supposé qu’A.J. allait bien puisque le personnel infirmier n’avait pas sollicité d’avis médical le concernant (paragraphe 35 ci‑dessous)

24. Vers 16 heures, la requérante téléphona à l’hôpital. On lui indiqua que son fils ne se trouvait pas dans le bâtiment à ce moment-là et on lui demanda de rappeler plus tard, pendant le goûter. On lui assura que quelques minutes plus tôt on avait vu son fils à la porte et qu’il avait l’air d’aller bien.

25. Vers 19 heures, on remarqua qu’A.J. ne s’était pas présenté au dîner. L’infirmier coordinateur fut informé de son absence. Le personnel de l’hôpital lança alors des recherches dans les zones du HSC où les patients étaient autorisés à circuler librement, comme le réfectoire et le parc.

26. Entre 19 heures et 20 heures, l’infirmier coordinateur signala la disparition au docteur M.J.P., qui était d’astreinte ce jour-là (mais ne se trouvait pas au HSC à ce moment-là), et il appela la garde nationale républicaine.

27. Vers 20 heures, l’infirmier coordinateur téléphona à la requérante et l’informa qu’A.J. n’était pas présent au dîner.

28. On ignore à quelle heure exactement A.J. avait quitté le pavillon et le périmètre de l’hôpital après le goûter de l’après-midi pour prendre un chemin qui menait à la maison de la requérante. À 17 h 37, vêtu de son pyjama, il s’était jeté sous un train sur la ligne qui reliait Lousã à Coimbra.

C. La procédure interne dirigée contre l’hôpital

29. Le 17 mars 2003, la requérante engagea auprès du tribunal administratif de Coimbra (Tribunal Administrativo do Círculo de Coimbra) une action civile contre le HSC sur le fondement de la loi sur la responsabilité de l’État (décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967) ; elle demandait 100 403 euros (EUR) pour dommage matériel et moral.

30. Dans son action, elle exposait que son fils avait été soigné à plusieurs reprises pour des troubles mentaux au HSC, où il avait été admis avec son consentement le 2 avril 2000 à la suite d’une tentative de suicide. Elle alléguait qu’il avait fait une nouvelle tentative au cours du week-end de Pâques, alors qu’il était à la maison avec elle. Elle indiquait que le fait que son fils avait pu quitter l’établissement le 27 avril 2000 l’amenait à conclure que le personnel de l’hôpital avait fait preuve de négligence dans l’exercice de ses fonctions. Elle estimait que son fils, compte tenu de ses tentatives de suicide et de son état de santé mentale, aurait dû être placé sous surveillance médicale, et que le personnel aurait dû l’empêcher de quitter l’établissement. Elle soutenait que son fils avait pu se suicider en raison d’une mauvaise organisation des services hospitaliers. Cette piètre organisation s’observait, selon elle, à trois niveaux : a) l’absence de clôtures autour du périmètre de l’hôpital, qui aurait laissé aux patients la possibilité de quitter l’hôpital aisément, sans la moindre surveillance ; b) l’absence d’un mécanisme de vérification de la présence des patients apte à faire remarquer immédiatement au personnel toute absence; c) l’absence d’une procédure d’urgence apte à permettre au personnel de l’hôpital de découvrir l’absence d’un patient et de prendre les mesures effectives requises pour garantir le retour de l’intéressé sain et sauf, sans qu’il mît sa vie ou celle d’autrui en danger. La requérante s’appuyait sur le contexte particulier qui avait conduit à l’hospitalisation de son fils depuis le début du mois d’avril, ainsi que sur les éléments du dossier médical, notamment sa consommation excessive d’alcool de manière répétée, sa maladie mentale et sa tentative de suicide antérieure. Elle considérait qu’eu égard à l’ensemble de ces circonstances, les mesures de contrôle auraient dû être renforcées pour empêcher A.J. de quitter l’hôpital.

31. Le 29 octobre 2003, le tribunal rendit une décision préliminaire (despacho saneador) précisant les faits tenus pour établis et ceux qui restaient à l’être.

32. Le 5 juillet 2005, le tribunal ordonna l’établissement d’une expertise sur l’état clinique d’A.J. et sur les mesures de surveillance requises en conséquence.

33. Le 27 septembre 2006, un psychiatre désigné par l’ordre des médecins (Ordem dos Médicos) remit son rapport, qui était fondé sur l’analyse de photocopies des dossiers médicaux du HSC. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, le rapport se lisait ainsi :

« (...)

Si la dépendance à l’alcool était le diagnostic prédominant, plusieurs autres diagnostics ont été envisagés : en particulier trouble de la personnalité dépendante [personalidade dependente], accès de délire [surto delirante], schizophrénie, psychose maniaco-dépressive [psicose maníaco-depressiva] (...)

Au vu de ses antécédents médicaux, A.J. peut être considéré comme un malade qui retombait de façon récurrente dans la consommation excessive d’alcool (...) mais qui présentait aussi d’autres types de symptômes (...)

Il était « très violent et agressif lorsqu’il était ivre, et même dans les moments où il n’avait pas bu, c’était un jeune homme querelleur, prompt à s’irriter » (...)

(...)

Son dossier médical ne contient pas de référence précise à l’état psychopathologique dans lequel il se trouvait le 26 avril 2000 (après l’épisode d’intoxication alcoolique qui l’avait conduit aux urgences le 25 avril 2000), le 27 ou le 28 ? avril 2000 (...)

(...)

Le fils de la [demanderesse] était atteint de troubles qui provoquaient un comportement dépressif associé à une nette tendance suicidaire.

Au vu des pièces du dossier médical, on peut penser que son état clinique l’a conduit à une nouvelle tentative de suicide, qui s’est avérée fatale.

Il faut souligner en outre le polymorphisme de l’état de santé psychiatrique du patient. Un état psychopathologique tel que celui du patient emporte un pronostic défavorable, et le suicide est fréquemment précédé par une ou plusieurs tentatives. (...) Précisons (...) qu’il présentait peut-être un trouble de la personnalité limite [perturbação de personalidade borderline] (...)

(...)

Il est fait référence à de multiples diagnostics, tous susceptibles d’aggraver le risque de suicide (et de comportement suicidaire) du patient.

(...)

Pour les raisons déjà mentionnées, les antécédents cliniques et le tableau psychopathologique [quadro psicopatológico] du patient pouvaient laisser penser que celui-ci aurait un comportement suicidaire à l’avenir ; le suicide n’est donc pas surprenant.

En matière de prévention, il faut assurément adopter des mesures de confinement et de surveillance. Mais pour un patient comme celui-ci, de telles mesures sont difficiles à prendre (nous renvoyons par exemple à ses demandes de sortie de l’hôpital, contre l’avis du médecin, ainsi qu’il ressort du dossier) et toujours insuffisantes eu égard au risque élevé de suicide.

(...)

On peut supposer ou affirmer qu’il y a un risque accru de suicide chez un individu qui présente un tableau psychopathologique caractérisé par la schizophrénie, une dépression grave, un alcoolisme chronique. Toutes ces pathologies sont mentionnées dans le dossier médical du patient. Comme nous l’avons indiqué, ce risque augmente également lorsque le patient présente un trouble de la personnalité limite ; or cette maladie ne peut pas être exclue dans le cas de ce patient. La prévalence du suicide est forte chez les patients atteints de ces pathologies. Ce qui s’est produit n’est donc pas inhabituel.

Le fait que le patient était sous antidépresseurs depuis plus de deux semaines, qu’il circulait dans l’enceinte de l’hôpital sans jamais mettre sa vie en danger et que le dossier médical ne faisait nullement état de pensées suicidaires ne signifie pas que la probabilité de l’événement (le suicide) était négligeable. Il était toutefois difficilement évitable.

Une prévention [pleinement efficace] du suicide chez ces patients est une tâche impossible.

S’agissant d’un patient qui déambule dans l’enceinte de l’hôpital et chez qui on n’observe pas de symptômes laissant présager un suicide imminent, mais chez lequel (eu égard à ses antécédents et à ses caractéristiques) la probabilité (de suicide) est plus élevée mais sans être beaucoup plus forte à ce moment-là, la prévention est beaucoup plus difficile. »

34. La première audience eut lieu le 8 octobre 2008. La requérante et le psychiatre qui avait établi l’expertise médicale précitée témoignèrent.

35. Au cours de cinq audiences (les 8 et 9 octobre 2008, le 14 janvier 2009 et les 9 et 13 février 2009), le tribunal entendit différents témoins, notamment la fille de la requérante – la sœur d’A.J. ; des infirmiers, des médecins et des auxiliaires médicaux qui avaient travaillé ou travaillaient toujours au HSC, dont certains avaient pris leur service à 16 heures le 27 avril 2000 ; un assistant social qui travaillait pour le HSC depuis 1995 et avait eu des contacts avec A.J., et le conducteur du train. Le docteur A.A., la psychiatre qui suivait A.J. au HSC, exposa que le traitement consistait à faire prendre à A.J. les médicaments prescrits, à l’amener à accepter le traitement et à établir avec lui une relation de confiance permettant la mise en œuvre de la thérapie. Elle confirma que les patients hospitalisés avec leur consentement pouvaient voir leur liberté de mouvement restreinte lorsque cela était jugé nécessaire. En pareilles circonstances, il leur était interdit de quitter le pavillon et ils devaient rester en pyjama. Le docteur E.R. (qui remplaçait le docteur A.A. au moment des faits) confirma qu’à la date du 27 avril 2000 le tableau des patients du pavillon 8 ne mentionnait aucune mesure restrictive concernant A.J., ce qui signifiait que celui-ci avait été libre de sortir du pavillon mais qu’il lui aurait fallu la permission d’un médecin pour quitter l’enceinte du HSC. Le docteur M.J.P., qui était d’astreinte aux urgences le 27 avril 2000, expliqua que si les infirmiers du pavillon avaient constaté un problème dans le comportement d’A.J. ce jour‑là ils l’auraient appelée, ce qu’ils n’avaient pas fait. Par ailleurs, le tribunal analysa divers documents joints au dossier médical d’A.J. fourni par le HSC.

36. Le 9 mars 2009, le tribunal procéda à une inspection des lieux (paragraphe 48 ci-dessous).

37. Le 7 janvier 2010, le tribunal tint une audience au cours de laquelle il adopta une décision concernant les faits. Il estima notamment qu’il ne lui appartenait pas de définir explicitement la pathologie d’A.J. Concernant l’épisode du 25 avril 2000, il décida de le considérer simplement comme un abus d’alcool, compte tenu de l’alcoolisme chronique sous-jacent de l’intéressé et du fait que celui-ci s’était enivré dans l’après-midi, principalement dans un café.

38. Le 25 avril 2011, le tribunal administratif de Coimbra rendit un jugement déboutant la requérante. Répondant à l’argument de cette dernière selon lequel les bâtiments de l’hôpital auraient dû être entourés de clôtures ou autres barrières, le tribunal observa que l’approche alors suivie pour le traitement des patients atteints de maladie mentale consistait à encourager l’interaction sociale, et que la présence de clôtures conduisait à la stigmatisation et à l’isolement des patients handicapés mentaux. À cet égard, le tribunal déclara que l’absence de clôtures ou de murs de sécurité était

« conforme aux théories modernes de la science psychiatrique, selon lesquelles le traitement des patients atteints de troubles mentaux doit se dérouler dans une atmosphère de confiance et de liberté de mouvement, dans des conditions physiques propices à cette liberté et à l’autonomie de mouvement et qui favorisent l’interaction et la convivialité entre les patients et le personnel afin d’encourager la réinsertion [des patients] ; la surveillance de ces patients doit demeurer discrète ».

39. Concernant la plainte de la requérante relative à l’absence d’un dispositif apte à contrôler la présence des patients, le tribunal releva que le HSC disposait d’une procédure de surveillance consistant à vérifier la présence des patients aux heures des repas et de prise des médicaments, et que cela était conforme aux conceptions récentes de la science psychiatrique et respectait le droit des patients à la vie privée et à la dignité. En outre, le tribunal considéra que les patients soumis à un régime d’hospitalisation restrictif particulier faisaient l’objet de plus d’attention de la part de l’équipe infirmière et des auxiliaires médicaux, qui vérifiaient leur présence au sein des bâtiments où ils étaient hospitalisés ou à proximité des entrées, selon le cas. S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel il n’existait aucune procédure d’urgence, le tribunal administratif de Coimbra releva qu’il existait bien une procédure consistant à alerter la police et la famille du patient, et il l’estima appropriée.

40. Quant au grief de la requérante selon lequel son fils aurait pu se suicider en raison d’une absence de surveillance permanente, le tribunal estima que le suicide n’était pas prévisible. Il nota qu’il était vrai que le fils de la requérante était atteint d’une maladie mentale qui n’avait jamais été réellement diagnostiquée, soit en raison de la complexité des symptômes, soit en raison de la dépendance de l’intéressé à l’alcool et aux médicaments. Il souligna à cet égard qu’au fil des ans les médecins avaient posé un diagnostic de schizophrénie et de dépression grave, et que c’était seulement après le décès de l’intéressé et à la suite d’une expertise demandée à l’ordre des médecins au cours de la procédure (paragraphe 33 ci-dessus) qu’un diagnostic éventuel de trouble de la personnalité limite avait été posé. Le tribunal établit que la dernière admission d’A.J. à l’hôpital était consécutive à une tentative de suicide. Il considéra toutefois que malgré le risque de suicide chez les patients présentant des maladies mentales comme celles dont le fils de la requérante était atteint, celui-ci n’avait affiché durant les derniers jours qui avaient précédé son décès ni comportement ni humeur susceptibles d’amener le personnel de l’hôpital à penser que le 27 avril 2000 serait une journée différente des précédentes.

Selon le tribunal administratif de Coimbra, c’était non pas une tentative de suicide mais un comportement irresponsable qui avait été à l’origine de l’admission d’A.J. au service des urgences de l’hôpital universitaire de cette ville après qu’il eut bu une grande quantité d’alcool. Le tribunal administratif releva qu’après son retour au HSC, A.J. avait été maintenu sous surveillance médicale pendant toute la journée, qu’il avait reçu des médicaments et avait été accompagné par le personnel médical, et que son état de santé s’était amélioré. Le tribunal parvint donc à la conclusion que rien n’avait laissé présager le tragique événement qui était survenu. Il considéra qu’on ne pouvait affirmer que le suicide de l’intéressé était prévisible. Il ajouta que le dossier ne contenait aucun élément qui aurait été de nature à justifier l’adoption d’une procédure de traitement sans consentement de l’intéressé dans les jours ayant précédé la tragédie car le suicide n’était pas prévisible. Il conclut que le comportement d’A.J. était « totalement inattendu et imprévisible », étant donné les circonstances concrètes au moment des faits.

41. Le 12 mai 2011, la requérante forma un appel devant la Cour administrative suprême, alléguant que la juridiction de première instance n’avait pas correctement apprécié les éléments de preuve, que ses constatations factuelles étaient erronées et qu’elle avait mal interprété la loi.

42. Le 26 septembre 2012, le procureur général adjoint près la Cour administrative suprême fut appelé à formuler un avis sur le recours. Il se prononça en faveur de l’infirmation du jugement de première instance. Dans son avis, il examina plus particulièrement l’absence d’un cadre de surveillance spécifiquement adapté aux troubles mentaux et au risque suicidaire que présentait A.J., ainsi que le manquement allégué du HSC à son obligation de prévenir le suicide de l’intéressé. Il s’exprima ainsi :

« (...)

pour les patients qui présentent des tendances suicidaires, seules la prescription et la mise en œuvre d’une surveillance renforcée (vigilância acrescida) peuvent être jugées adéquates.

Le dossier médical d’A.J. fait état de tentatives de suicide. La dernière a eu lieu le 1er avril 2000, quelques jours avant le 26 avril 2000, date à laquelle A.J. est revenu au HSC après avoir été soigné à [l’hôpital universitaire de Coimbra] pour ingestion d’une grande quantité d’alcool ; l’éventualité d’une tentative de suicide représentait donc un « risque probable » ou, parmi les risques possibles, un risque qui pouvait être anticipé dans la mesure où un « évaluateur prudent » (avaliador prudente) pouvait le prévoir.

Nous estimons par conséquent que le jugement attaqué fait erreur en considérant aux fins de l’appréciation du niveau de surveillance qui était requis du défendeur que le suicide d’A.J. était totalement inattendu et imprévu et en concluant que rien ne justifiait de renforcer la surveillance dans son cas particulier.

Le HSC n’a jamais prescrit ni mis en place de régime destiné à renforcer la surveillance d’A.J. – régime apte à empêcher toute sortie éventuelle de l’hôpital (...)

Une telle surveillance renforcée, qui vise à protéger le patient, fait partie intégrante de l’obligation thérapeutique de l’hôpital et elle ne s’oppose pas au régime ouvert comme méthode de traitement appliquée aux patients dans les circonstances où il est jugé approprié. »

43. S’agissant des faits invoqués par la requérante en ce qui concerne des patients du HSC qui avaient quitté l’établissement sans autorisation et les conséquences tragiques qui en étaient résultées, le procureur général adjoint estima que ces éléments n’avaient pas à être pris en considération.

De l’avis du procureur général adjoint,

« le niveau de surveillance à appliquer doit prendre en considération « tous les risques probables » et tous les risques « auxquels un « évaluateur prudent » peut s’attendre ».

Le dossier médical à lui seul mentionnait déjà des tentatives de suicide, dont l’une avait eu lieu vingt-cinq jours plus tôt. La répétition d’un tel geste était donc prévisible.

On peut donc conclure que l’établissement défendeur n’a ni adopté ni mis en place de mesures de surveillance que l’on puisse considérer comme adaptées au statut d’un hôpital psychiatrique et aux caractéristiques d’A.J. en tant que patient – comme il pouvait et aurait dû le faire. »

44. Le 29 mai 2014, la Cour administrative suprême rejeta le recours de la requérante par deux voix contre une, confirmant les conclusions factuelles et juridiques du tribunal administratif de Coimbra. La juridiction suprême jugea dénués de pertinence pour sa décision en l’espèce les faits invoqués par la requérante en première instance relativement à des cas similaires de patients qui avaient quitté le HSC sans autorisation. Elle repoussa l’argument de la requérante qui soutenait qu’A.J. présentait un comportement dépressif associé à une « forte » tendance suicidaire et qu’il avait tenté de mettre fin à ses jours à plusieurs reprises. Elle confirma la conclusion de la juridiction inférieure, qui n’avait établi qu’une seule tentative de suicide, le 1er avril 2000.

45. La Cour administrative suprême estima que la pratique consistant à compter les patients aux heures des repas et aux heures de prise des médicaments était suffisante et qu’elle avait permis au personnel de l’hôpital de vérifier qu’A.J. était bien présent au déjeuner et au goûter, le 27 avril 2000. Elle rejeta l’argument de la requérante consistant à dire que le comptage des patients lorsqu’on leur distribuait les plateaux‑repas relevait de « l’amateurisme ». Quant au caractère prévisible du suicide, la juridiction suprême déclara que le HSC n’avait manqué à aucun devoir de vigilance, car il n’existait aucun élément qui eût pu conduire le personnel de l’hôpital à penser que le fils de la requérante risquait de se suicider ce jour-là, notamment en quittant l’hôpital. La Cour administrative suprême tint compte du fait que, lors de précédentes périodes d’hospitalisation, le fils de la requérante avait également quitté l’établissement et qu’aucun lien n’avait été établi entre ce comportement et un risque particulier de suicide, dès lors que l’on n’avait pu établir qu’une seule tentative de suicide, qui avait eu lieu le 1er avril 2000.

46. Dans une opinion dissidente, l’un des juges déclara que l’hôpital aurait dû sécuriser son périmètre d’une manière ou d’une autre pour satisfaire à ses devoirs de vigilance et de surveillance. Il ajouta qu’en l’absence d’une telle sécurisation l’établissement avait permis à des patients de partir facilement sans y être autorisés, et qu’il avait ainsi failli à ces devoirs. Selon le juge, cette lacune avait permis la « fugue » et le suicide du fils de la requérante.

D. Informations générales sur le HSC

47. Le HSC est un hôpital psychiatrique situé en dehors de la ville de Coimbra, sur un domaine de dix-sept hectares. C’est un établissement public, rattaché à l’hôpital universitaire de Coimbra.

48. D’après une inspection des lieux menée par le tribunal administratif de Coimbra le 9 mars 2009 dans le cadre de la procédure intentée contre l’hôpital, le HSC comportait dix-huit bâtiments, abritant chacun un des services de l’hôpital. Sur la base des éléments en la possession de la Cour, il apparaît que ces différents bâtiments accueillaient chacun un certain type de patients, en fonction de leur sexe, de leur maladie et de la gravité de celle-ci. Ni clôture ni mur de sécurité d’aucune sorte n’étaient érigés autour du domaine du HSC. Des espaces verts constitués d’arbres et de plantations diverses entouraient les différents bâtiments, auxquels on accédait par des chaussées et des chemins, également bordés d’arbres et d’autres types de végétation. L’entrée principale du HSC était équipée d’une barrière et surveillée par un agent de sécurité. L’une des issues de l’hôpital débouchait sur un raccourci qui menait à un quai de gare ferroviaire. On accédait à ce raccourci en empruntant la route qui passait à l’arrière du bâtiment no 9. Ce quai de gare se trouvait à environ quinze-vingt minutes à pied de cette partie de l’hôpital.

49. Selon le règlement établi par le HSC, les repas étaient pris au réfectoire de l’hôpital et les patients devaient y rester jusqu’à la fin du repas. Un guide d’information à l’intention des patients précisait les règles qui régissaient leur hospitalisation. Les patients n’étaient pas autorisés à quitter leur pavillon sans en informer préalablement l’infirmier compétent. Il leur était également interdit de quitter le périmètre de l’hôpital sans l’autorisation d’un spécialiste. Si un patient souhaitait quitter l’établissement avant que l’autorisation ne lui en fût donnée, il devait signer une décharge à cet effet.

50. Lorsqu’A.J. séjourna au HSC en avril 2000, les horaires étaient les suivants :

i. Réveil : entre 7 et 8 heures ;

ii. Coucher : flexible ; à partir de 22 heures, le patient ne devait plus faire de bruit et les lumières devaient être éteintes ;

iii. Repas :

1. Petit-déjeuner : de 8 h 35 à 9 h 30 ;

2. Déjeuner : de midi à 13 heures ;

3. Goûter : 16 h 45 ;

4. Dîner : de 19 à 20 heures ;

5. Collation du soir : 22 heures.

51. Comme les juridictions internes l’ont reconnu, un dispositif, qui consistait à compter les patients à chaque repas (cinq fois par jour) et au moment des prises de médicaments, permettait de s’assurer de leur présence. Par ailleurs, leur présence était vérifiée au moment du coucher. Les patients soumis à un régime d’hospitalisation restrictif faisaient l’objet d’une surveillance plus étroite de la part de l’équipe infirmière.

52. Une procédure d’urgence était déclenchée lorsque l’absence d’un patient était constatée. Elle consistait à alerter la police, le médecin d’astreinte et les proches parents du patient.

53. Pendant son hospitalisation, le patient était suivi par une équipe thérapeutique composée notamment d’un médecin, d’un infirmier, d’un assistant social et d’un auxiliaire médical.

54. Une distinction était établie entre l’hospitalisation avec consentement et l’hospitalisation sans consentement (paragraphe 58 ci‑dessous). Dans le premier cas, un patient pouvait abandonner le traitement à tout moment. Toutefois, ainsi qu’il ressort des témoignages apportés par des médecins dans le cadre de la procédure interne et des observations du Gouvernement, il existait deux types de régimes pour les patients admis avec leur consentement : un régime restrictif, en vertu duquel les patients n’étaient pas autorisés à quitter leur pavillon, et un régime général, en vertu duquel ils pouvaient sortir du bâtiment après en avoir informé l’infirmier de service mais ne pouvaient toutefois pas quitter le périmètre du HSC sans autorisation. Les patients soumis au régime restrictif étaient généralement en pyjama et en robe de chambre, tandis que ceux soumis au régime général étaient, semble-t-il, libres de s’habiller comme ils le voulaient. Il apparaît qu’au début de leur séjour les patients étaient souvent soumis au régime restrictif, même lorsqu’ils avaient été admis avec leur consentement. Une chambre d’isolement était destinée aux patients très agités et agressifs ; elle pouvait également servir pour des patients hospitalisés avec leur consentement.

55. La requérante a soumis à la Cour des articles de presse concernant des patients hospitalisés au HSC qui avaient apparemment réussi à sortir du périmètre de l’établissement. Les cinq premiers articles mentionnés ci‑dessous avaient déjà été produits devant les juridictions internes (paragraphe 44 ci-dessus, la Cour administrative suprême ayant jugé que les informations qu’ils contenaient étaient dénuées de pertinence en l’espèce) :

i. le 9 mars 2008, le corps d’un patient qui avait fugué deux semaines plus tôt fut découvert non loin de l’hôpital (Diário de Coimbra) ;

ii. le 29 octobre 2008, un homme qui avait fugué du HSC fut percuté par la voiture devant laquelle il s’était jeté (Diário das Beiras) ;

iii. le 31 juillet 2008, le corps d’un patient qui s’était échappé de l’hôpital le mois précédent fut découvert dans une rivière (Diário de Coimbra) ;

iv. le 14 août 2008, un patient qui avait été hospitalisé sans son consentement s’enfuit du HSC (Diário de Coimbra) ;

v. début mars 2010, trois patients s’enfuirent de l’hôpital ; l’un d’eux fut localisé par la police après avoir volé une voiture et un autre fut retrouvé mort dans une rivière à proximité (Bombeirospontopt) ;

vi. le 16 octobre 2011, un patient s’enfuit du HSC et agressa deux policiers avec une houe (Correio da Manhã) ;

vii. le 1er mars 2015, deux patients s’enfuirent du HSC et volèrent une voiture (Tvi24).

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi sur la santé

56. La loi sur la santé (loi no 48/90 du 24 août 1990) énonce que les soins de santé sont dispensés par les services et établissements de l’État et par d’autres entités, publiques ou privées, à but lucratif ou non lucratif, sous le contrôle de l’État. D’après le principe fondamental XIV de la loi, les usagers du système de santé ont notamment le droit de choisir librement leur médecin et leur établissement de santé, le droit de recevoir ou de refuser le traitement proposé, le droit d’être soignés de manière appropriée et humaine, promptement et avec respect, le droit d’être informés de leur état de santé et de son évolution probable ainsi que de l’existence d’autres traitements possibles, et le droit de se plaindre de la manière dont ils ont été soignés et d’être indemnisés pour tout dommage subi.

57. La loi sur la santé est réglée par le décret-loi no 11/93 du 15 janvier 1993, qui a approuvé la réglementation sur le système national de santé. D’après l’article 38 du décret-loi, l’État supervise les établissements de santé ; le ministère de la Santé est chargé de définir les normes en matière de santé, sans préjudice des fonctions attribuées à l’ordre des médecins et à l’ordre des pharmaciens.

B. La loi sur la santé mentale

58. La loi sur la santé mentale (loi no 36/98 du 24 juillet 1998) énonce les principes généraux de la politique en matière de santé mentale et réglemente l’hospitalisation avec consentement et l’hospitalisation sans consentement des personnes atteintes de troubles psychiatriques. Les dispositions pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

Article 3 – Principes généraux relatifs à la santé mentale

« (...)

a) Pour éviter de sortir les patients de leur cadre habituel et faciliter leur réadaptation et leur intégration sociale, les soins de santé mentale sont dispensés dans des structures de proximité ;

b) Les soins de santé mentale sont dispensés dans l’environnement le moins restrictif possible.

(...) »

Article 7 – Définitions

« (...)

a) L’hospitalisation sans consentement (internamento compulsivo) est l’hospitalisation d’une personne atteinte de troubles mentaux graves [ordonnée] par voie de décision judiciaire ;

b) L’hospitalisation avec consentement (internamento voluntário) est l’hospitalisation demandée par une personne atteinte de troubles mentaux ou par le représentant légal d’un enfant de moins de quatorze ans.

(...) »

Article 12 – Conditions

« 1 – Une personne atteinte d’un trouble mental grave qui, en raison de ce trouble, crée une situation de danger pour des « biens juridiques » (bens jurídicos) d’une valeur importante, de nature personnelle ou patrimoniale, lui appartenant à lui ou appartenant à autrui, et qui refuse de subir le traitement médical requis par son état, peut être interné dans un établissement approprié.

2 – Une personne atteinte d’un trouble mental grave qui ne possède pas le discernement nécessaire pour comprendre le sens et la portée du consentement peut également être internée lorsque l’absence de traitement entraînerait une aggravation importante de son état.

Article 13 – Qualité pour agir

1 – Le représentant légal d’une personne atteinte d’un trouble mental grave, toute personne ayant qualité pour introduire une procédure d’interdiction (interdição), les autorités de santé publique et le ministère public (Ministério Público) sont habilités à demander une hospitalisation d’office.

2 – Lorsque, dans l’exercice de ses fonctions, un médecin diagnostique un trouble mental produisant les effets exposés à l’article 12, il peut en informer l’autorité compétente de la santé publique aux fins du paragraphe précédent.

3 – Si le diagnostic est posé au cours d’une hospitalisation consentie, le directeur médical de l’établissement est également habilité à demander une hospitalisation d’office. »

C. Le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967

59. Le décret-loi no 48051, qui était en vigueur à l’époque où la requérante engagea la procédure, régissait la responsabilité civile non contractuelle de l’État. Ses dispositions pertinentes en l’espèce se lisaient ainsi :

Article 2 § 1

« L’État et les autres personnes collectives publiques sont civilement responsables envers les tiers des atteintes aux droits de ceux-ci ou aux dispositions légales destinées à protéger leurs intérêts qui résultent d’actes illicites fautivement (culpa) commis par leurs organes ou agents administratifs dans l’exercice de leurs fonctions ou en lien avec pareil exercice. »

Article 4

« 1. La faute (culpa) des membres d’un organe public ou des agents administratifs concernés s’apprécie sur le fondement de l’article 487 du code civil.

2. Lorsque plusieurs personnes sont responsables, les dispositions de l’article 497 du code civil s’appliquent. »

Article 6

« Aux fins du présent décret-loi, sont réputés illicites les actes juridiques qui enfreignent les lois et règlements ou les principes généraux pertinents ainsi que les actes matériels qui enfreignent lesdits textes et principes, les règles techniques ou les principes relatifs à la prudence requise qui doivent être observés. »

60. D’après la jurisprudence relative à la responsabilité non contractuelle de l’État, celui-ci n’est tenu à réparation que lorsqu’un acte illicite a été fautivement commis et qu’il existe un lien de causalité entre l’acte et le dommage allégué.

D. Le décret-loi no 35/99 du 5 février 1999

61. Le décret-loi no 35/99 du 5 février 1999, en vigueur au moment de la dernière hospitalisation d’A.J., renferme des dispositions sur l’organisation des soins psychiatriques et de santé mentale. Son préambule est ainsi libellé :

« (...)

Ainsi, considérant en particulier les recommandations des Nations unies et de l’Organisation mondiale de la santé concernant la priorité qu’il convient d’accorder à la promotion d’une prise en charge qui soit la moins restrictive possible à domicile ou dans des structures de proximité et, dans le cadre spécifique de la réadaptation psychosociale, d’une offre de soins en hôpital de jour et dans des structures d’accueil adaptées au degré d’autonomie de chaque patient, il est devenu encore plus urgent depuis le milieu des années 1990 de réviser entièrement la politique en matière de santé mentale et, par suite, le modèle d’organisation des services, ce que le décret‑loi no 127/92 n’a pas réussi à faire. »

Ce décret-loi, en ses dispositions pertinentes en l’espèce, se lit ainsi :

Article 1 – Objet

« Le présent décret énonce les principes directeurs applicables à l’organisation, à la gestion et à l’évaluation des services de psychiatrie et de santé mentale (« les services de santé mentale »). »

Article 2 – Principes généraux

« (...)

6 – L’offre de soins en matière de santé mentale doit être axée sur les besoins et la situation spécifiques des personnes en fonction de leur âge. Il convient de donner la priorité à une prise en charge qui soit la moins restrictive possible, à domicile ou dans des structures de proximité ; les services d’hospitalisation doivent de préférence être intégrés dans des hôpitaux généraux. »

Article 16 – Missions des hôpitaux psychiatriques

« 1 – Les hôpitaux psychiatriques sont chargés de :

(...)

c) Prodiguer les soins nécessaires aux patients atteints d’affections de longue durée (doentes de evolução prolongada) hospitalisés dans leurs murs, favoriser l’humanisation et l’amélioration de leurs conditions de vie, élaborer des programmes de réadaptation correspondant à leurs besoins spécifiques, et les aider à se réinsérer dans la communauté.

(...) »

E. Protocole relatif à l’utilisation de la « contention mécanique » dans l’ensemble des hôpitaux portugais, y compris les hôpitaux psychiatriques (Circulaire normative no 08/DSPSM/DSPCS)

62. En 2007, le ministère de la Santé établit un protocole sur l’utilisation de moyens de contention mécanique dans l’ensemble des hôpitaux portugais, y compris les hôpitaux psychiatriques. Ce texte fut abrogé et remplacé en 2011 par des lignes directrices plus générales (voir ci-dessous).

F. Lignes directrices sur la contention émises par la direction générale de la santé (no 21/2011 du 6 juin 2011)

63. Conformément à l’article 2 § 2 c) du décret réglementaire no 66/2007 du 29 mai 2007, tel que modifié par le décret réglementaire no 21/2008 du 2 décembre 2008, les lignes directrices suivantes furent édictées :

« 1. Le recours à la contention mécanique sur un patient intervient après une évaluation clinique des risques.

2. Un patient peut être soumis à des mesures de contention lorsque :

2.1. il manifeste un comportement par lequel il expose sa personne ou son environnement à un risque de dommages ;

2.2. il refuse de se soumettre à un traitement obligatoire aux termes de la loi ;

2.3. il refuse un traitement vital et urgent.

(...)

6. L’infirmier en chef du service doit s’assurer que les éléments suivants sont consignés dans le dossier du patient :

6.1. l’évaluation de l’état du patient qui a justifié le recours à la contention ;

6.2. les mesures préventives prises et leurs effets ;

6.3. la description des différentes mesures de contention faite au patient ou à une personne habilitée à prendre la décision à sa place ;

6.4. les noms des professionnels ayant pris part à la décision de recourir à la contention ;

6.5. les évaluations ultérieures des mesures de contention prises, notamment l’évolution de l’état du patient et la recherche de blessures éventuelles liées à l’utilisation de la contention ;

6.6. la réévaluation du programme de soins à la suite du recours à une mesure de contention.

(...)

9. Chaque établissement de soins définit, dans le cadre de ces lignes directrices, des règles de conduite internes pour l’utilisation de moyens de contention en fonction de la spécificité des soins qu’il dispense.

(...)

CRITÈRES

(...)

k) Les moyens suivants doivent être envisagés :

i. contention thérapeutique : mesure destinée à contenir l’activité physique, à maîtriser le comportement d’une personne ou à immobiliser une partie de son corps dans le cadre de l’administration de soins, destinée à améliorer l’état de santé de l’intéressé et à prévenir d’éventuelles complications. Elle vise à optimiser la sécurité du patient et des personnes qui l’entourent, tout en préservant, dans toute la mesure du possible, le confort et la dignité de l’intéressé ;

ii. contention environnementale : modifications permettant de restreindre la mobilité du patient, par exemple dans une chambre d’isolement ou dans un espace fermé ou limité dans lequel le patient peut se déplacer sans risque sous surveillance médicale ;

iii. contention physique : situation dans laquelle une ou plusieurs personnes de l’équipe thérapeutique maintiennent un patient, le déplacent ou bloquent ses mouvements pour éviter un risque ;

iv. contention mécanique : utilisation de dispositifs ou d’équipements restreignant les mouvements d’un patient ;

v. contention pharmaceutique ou chimique : médication psychoactive visant à inhiber un mouvement ou un comportement spécifique.

raisonnement

Il apparaît que la contention est l’une des pratiques les plus couramment utilisées à l’échelle internationale pour traiter des patients dont le comportement présente un risque pour eux-mêmes et pour les personnes qui les entourent. Diverses études menées sur ce sujet font ressortir la nécessité de prévenir les incidents et conséquences néfastes associés aux mesures de contention.

(...) »

G. Le code civil portugais

64. Le code énonce en ses dispositions pertinentes en l’espèce :

Article 487

« 1. Il incombe à la partie ayant subi le préjudice de prouver la responsabilité pour faute [culpa], à moins que celle-ci ne fasse l’objet d’une présomption légale.

2. En l’absence de tout autre critère juridique, la faute s’apprécie par référence à la diligence que l’on peut attendre d’un bon père de famille, au vu des circonstances de la cause. »

H. La jurisprudence de la Cour suprême de justice et de la Cour administrative suprême

65. Le 25 juillet 1985, la Cour suprême de justice rendit un arrêt dans lequel elle analysait l’obligation de surveiller les patients hospitalisés atteints de maladie mentale. Elle y déclarait que lorsqu’un tel patient était hospitalisé et recevait un traitement, l’hôpital avait une obligation de soins et de surveillance. Or, dans l’affaire concernée, la juridiction suprême estimait que l’hôpital avait manqué à cette obligation en laissant un patient handicapé mental, hospitalisé en régime ouvert, quitter les lieux sans autorisation et en ne déployant pas tous les efforts requis pour assurer son retour immédiat.

66. Dans un arrêt du 25 novembre 1998, la Cour suprême de justice rechercha si, en ne s’opposant pas à ce qu’une patiente quittât le département de psychiatrie, l’hôpital avait manqué à son obligation de surveillance. Elle répondit par la négative, considérant qu’il avait été établi, notamment, que i) le département de psychiatrie de l’hôpital fonctionnait en régime « ouvert », ii) personne n’avait donné l’ordre exprès d’empêcher la patiente de quitter le service, iii) les médecins avaient estimé inopportun de restreindre la liberté de circulation de la patiente, iv) le jour de sa tentative de suicide, la patiente avait paru se conduire normalement, et v) le comportement de celle-ci n’avait pas permis de prévoir sa tentative de suicide.

67. Dans un arrêt du 29 janvier 2009, la Cour administrative suprême estima, en ce qui concerne un malade mental qui avait sauté par une fenêtre de sa chambre, qu’il n’y avait pas eu de manquement à l’obligation de surveillance. Elle nota, entre autres, que l’obligation de surveillance n’existait que pour les risques susceptibles d’être établis par un « évaluateur prudent ». Elle releva que dans l’affaire examinée aucun élément ne permettait de soupçonner que le patient risquait de tenter de se suicider. Elle estima donc que le niveau de surveillance adopté correspondait à l’état du malade et aux risques prévisibles et conclut que l’hôpital n’était pas responsable du fait que le patient eut subitement sauté par la fenêtre.

III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX

A. Les Nations unies

1. L’Assemblée générale des Nations unies

68. La Résolution de l’Assemblée générale A/RES/46/119 du 17 décembre 1991 énonce des Principes pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale. Les principes pertinents en l’espèce sont les suivants :

Principe 8 ‑ Normes de soins

« 1. Tout patient a droit à des soins et à une protection sociale appropriés aux besoins de sa santé, et à des soins et des traitements conformes aux mêmes normes que les autres malades.

2. Tout patient doit être protégé des atteintes que pourraient lui causer notamment les médicaments injustifiés, les mauvais traitements provenant d’autres patients, du personnel du service ou d’autres personnes, ou les autres actes de nature à entraîner une souffrance mentale ou physique. »

Principe 9 ‑ Traitement

« 1. Tout patient a le droit d’être traité dans l’environnement le moins restrictif possible et selon le traitement le moins restrictif ou portant [le moins] atteinte à l’intégrité du patient [et] répondant à ses besoins de santé et à la nécessité d’assurer la sécurité physique d’autrui.

(...)

3. Les soins de santé mentale doivent, toujours, être dispensés conformément aux normes d’éthique applicables aux praticiens de santé mentale (...)

4. Le traitement de tout patient doit tendre à préserver et à renforcer son autonomie personnelle. »

Principe 15 ‑ Principes de placement

« (...)

2. L’admission dans un service de santé mentale est administrée de la même manière que l’admission dans tout autre service pour toute autre maladie.

3. Tout patient qui n’est pas placé d’office dans un service de santé mentale a le droit de le quitter à tout moment, à moins que ne soient réunies les conditions justifiant son maintien d’office, [telles que prévues au principe 16 ci-après], et il doit être informé de ce droit. »

2. La Convention relative aux droits des personnes handicapées

69. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006, Résolution A/RES/61/106, « la CDPH ») a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque. Cette convention a actualisé et révisé les normes établies par la résolution précitée de l’Assemblée générale. Elle a été ratifiée par le Portugal le 23 septembre 2009. Tous les États membres du Conseil de l’Europe, à l’exception du Liechtenstein, sont à présent parties à la CDPH. Ses dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

Article 10 ‑ Droit à la vie

« Les États Parties réaffirment que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et prennent toutes mesures nécessaires pour en assurer aux personnes handicapées la jouissance effective, sur la base de l’égalité avec les autres. »

Article 12 – Reconnaissance de la personnalité juridique
dans des conditions d’égalité

« 1. Les États Parties réaffirment que les personnes handicapées ont droit à la reconnaissance en tous lieux de leur personnalité juridique.

2. Les États Parties reconnaissent que les personnes handicapées jouissent de la capacité juridique dans tous les domaines, sur la base de l’égalité avec les autres.

3. Les États Parties prennent des mesures appropriées pour donner aux personnes handicapées accès à l’accompagnement dont elles peuvent avoir besoin pour exercer leur capacité juridique.

4. Les États Parties font en sorte que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique soient assorties de garanties appropriées et effectives pour prévenir les abus, conformément au droit international des droits de l’homme. Ces garanties doivent garantir que les mesures relatives à l’exercice de la capacité juridique respectent les droits, la volonté et les préférences de la personne concernée, soient exemptes de tout conflit d’intérêt et ne donnent lieu à aucun abus d’influence, soient proportionnées et adaptées à la situation de la personne concernée, s’appliquent pendant la période la plus brève possible et soient soumises à un contrôle périodique effectué par un organe compétent, indépendant et impartial ou une instance judiciaire. Ces garanties doivent également être proportionnées au degré auquel les mesures devant faciliter l’exercice de la capacité juridique affectent les droits et intérêts de la personne concernée.

(...) »

Article 14 ‑ Liberté et sécurité de la personne

« 1. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres :

a) Jouissent du droit à la liberté et à la sûreté de leur personne ;

b) Ne soient pas privées de leur liberté de façon illégale ou arbitraire ; ils veillent en outre à ce que toute privation de liberté soit conforme à la loi et à ce qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté.

2. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, si elles sont privées de leur liberté à l’issue d’une quelconque procédure, aient droit, sur la base de l’égalité avec les autres, aux garanties prévues par le droit international des droits de l’homme et soient traitées conformément aux buts et principes de la présente Convention, y compris en bénéficiant d’aménagements raisonnables. »

Article 25 – Santé

« Les États Parties reconnaissent que les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap. Ils prennent toutes les mesures appropriées pour leur assurer l’accès à des services de santé qui prennent en compte les sexospécificités, y compris des services de réadaptation. En particulier, les États Parties :

a) Fournissent aux personnes handicapées des services de santé gratuits ou d’un coût abordable couvrant la même gamme et de la même qualité que ceux offerts aux autres personnes, (...) ;

b) Fournissent aux personnes handicapées les services de santé dont celles-ci ont besoin en raison spécifiquement de leur handicap, y compris des services de dépistage précoce et, s’il y a lieu, d’intervention précoce, et des services destinés à réduire au maximum ou à prévenir les nouveaux handicaps, notamment chez les enfants et les personnes âgées ;

c) Fournissent ces services aux personnes handicapées aussi près que possible de leur communauté, y compris en milieu rural ;

d) Exigent des professionnels de la santé qu’ils dispensent aux personnes handicapées des soins de la même qualité que ceux dispensés aux autres, notamment qu’ils obtiennent le consentement libre et éclairé des personnes handicapées concernées ; à cette fin, les États Parties mènent des activités de formation et promulguent des règles déontologiques pour les secteurs public et privé de la santé de façon, entre autres, à sensibiliser les personnels aux droits de l’homme, à la dignité, à l’autonomie et aux besoins des personnes handicapées ;

(...) »

3. Le Comité des droits des personnes handicapées

70. En avril 2014, le Comité des droits des personnes handicapées (« le CDPH ») adopta une Observation générale sur l’article 12 de la Convention, relatif à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité. Dans ses parties pertinentes traitant de la question des personnes internées contre leur volonté, celle-ci énonce :

Articles 14 et 25
Liberté et sécurité de la personne et consentement

« 36. (...) Le déni de la capacité juridique des personnes handicapées et leur détention dans des établissements contre leur volonté, sans leur consentement ou avec celui d’une personne habilitée à se substituer à elles pour prendre les décisions les concernant, est un problème très actuel. Cette pratique constitue une privation arbitraire de liberté et viole les articles 12 et 14 de la Convention (...)

37. Le droit de jouir du meilleur état de santé possible (art. 25) implique le droit à des soins de santé sur la base du consentement libre et éclairé. Les États parties ont l’obligation d’exiger de tous les médecins et professionnels de la santé (y compris les psychiatres) qu’ils obtiennent le consentement libre et éclairé des personnes handicapées avant de les traiter.

(...) »

71. En septembre 2015, le CDPH adopta des Directives relatives à l’article 14 de la Convention. Leurs parties pertinentes en l’espèce, qui concernent les personnes internées contre leur volonté, se lisent comme suit :

« B. Droit à la liberté et à la sûreté des personnes handicapées

3. Le Comité réaffirme que le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne est l’un des droits les plus précieux auxquels chacun puisse prétendre. De fait, toutes les personnes handicapées, en particulier les personnes avec un handicap mental ou psychosocial, ont droit à la liberté, en vertu de l’article 14 de la Convention.

4. L’article 14 est, en soi, une disposition relative à la non-discrimination. Il précise la portée du droit à la liberté et à la sécurité de la personne s’agissant des personnes handicapées, et interdit toute forme de discrimination fondée sur le handicap dans l’exercice de ce droit.

(...)

C. Interdiction absolue de la détention fondée sur l’incapacité

6. Il existe encore dans les États parties des pratiques autorisant la privation de liberté en raison d’une incapacité réelle ou supposée. (...) Le Comité a établi que l’article 14 ne prévoyait aucune exception qui permettrait de priver des personnes de leur liberté sur la base d’une déficience réelle ou perçue. Pourtant, la législation de plusieurs États parties, notamment les lois sur la santé mentale, continue de prévoir plusieurs cas dans lesquels des personnes peuvent être placées en établissement sur la base d’une déficience, réelle ou perçue, à condition qu’il existe d’autres motifs à leur placement, notamment le fait qu’elles présentent un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Cette pratique n’est pas compatible avec l’article 14 ; elle est discriminatoire par nature et constitue une privation arbitraire de liberté.

(...)

D. Placement forcé ou non consenti en institution psychiatrique

10. L’internement forcé de personnes handicapées pour des motifs de soins de santé est incompatible avec l’interdiction absolue de la privation de liberté pour des raisons de déficience (art. 14, par. 1 b)) et le principe du consentement libre et éclairé de la personne concernée par les soins de santé (art. 25). Le Comité a souligné à plusieurs reprises que les États parties devaient abolir les dispositions prévoyant le placement de personnes handicapées en institution psychiatrique sans leur consentement, en raison d’une déficience réelle ou supposée. L’internement non consenti prive la personne de sa capacité juridique de décider si elle souhaite ou non faire l’objet de soins et de traitements, être hospitalisée ou placée en institution, et constitue de ce fait une violation de l’article 12, lu en parallèle avec l’article 14.

(...)

G. Privation de liberté au motif que la personne handicapée présenterait un danger, aurait besoin de soins ou de traitements ou pour tout autre motif

13. Dans tous les examens des rapports des États parties, le Comité a estimé que la détention de personnes handicapées au motif qu’elles présenteraient un danger pour elles-mêmes ou pour autrui était contraire à l’article 14. La détention forcée de personnes handicapées au motif qu’elles présenteraient un risque ou un danger, qu’elles auraient besoin de soins ou de traitements ou pour toute autre raison liée à leur déficience ou à un diagnostic, notamment la gravité de leur déficience, ou encore à des fins d’observation, est contraire au droit à la liberté et constitue une privation arbitraire de liberté.

14. On considère souvent que les personnes présentant des troubles intellectuels ou psychosociaux constituent un danger pour elles-mêmes et pour autrui lorsqu’elles ne consentent pas à faire l’objet d’un traitement médical ou thérapeutique ou s’y opposent. Toute personne, y compris handicapée, a l’obligation de ne pas causer de préjudice, et les systèmes juridiques fondés sur la règle de droit contiennent des lois pénales et autres pour traiter tout manquement à cette obligation. Les personnes handicapées ne sont souvent pas protégées sur un pied d’égalité avec les autres par ces lois, dans la mesure où elles dépendent d’un ensemble distinct de lois, notamment de lois sur la santé mentale. Ces lois et procédures prévoient généralement des critères moins stricts en matière de protection des droits de l’homme, en particulier du droit à une procédure régulière et à un procès équitable, et ne sont pas conformes à l’article 13 de la Convention, lu en parallèle avec l’article 14.

15. La liberté de faire ses propres choix, posée comme un principe à l’article 3 a) de la Convention, comprend la liberté de prendre des risques et de faire des erreurs, sur un pied d’égalité avec les autres. Dans son observation générale no 1, le Comité a indiqué que les décisions relatives aux traitements médicaux et psychiatriques devaient être fondées sur le consentement libre et éclairé de la personne concernée et respecter son autonomie, sa volonté et ses préférences. L’internement en institution psychiatrique fondé sur la déficience, réelle ou supposée, ou sur les conditions de santé des personnes concernées prive les personnes handicapées de leur capacité juridique et constitue une violation de l’article 12 de la Convention.

(...) »

4. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme

72. En septembre 2014, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme adopta une déclaration sur l’article 14 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui énonce ce qui suit :

« Le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne est l’un des droits les plus précieux auxquels chacun puisse prétendre. De fait, toutes les personnes handicapées, en particulier les personnes atteintes d’un handicap mental ou psychosocial, ont droit à la liberté, en vertu de l’article 14 de la Convention.

Depuis que le Comité a commencé à examiner les rapports des États parties à sa cinquième session, en avril 2011, il a systématiquement appelé l’attention des États parties sur la nécessité de faire observer correctement ce droit consacré par la Convention. La jurisprudence du Comité sur l’article 14 peut être plus facilement comprise en décomposant ses différents éléments comme suit :

1. L’interdiction absolue de priver de liberté une personne en raison de son handicap. Il existe encore, dans certains États parties, des pratiques selon lesquelles un handicap réel ou perçu peut justifier une privation de liberté. À cet égard, le Comité a établi que l’article 14 ne prévoyait aucune exception qui permettrait de priver des personnes de leur liberté sur la base d’un handicap réel ou perçu. Pourtant, la législation de plusieurs États parties, notamment les lois sur la santé mentale, continuent de prévoir plusieurs cas dans lesquels des personnes peuvent être placées en établissement sur la base d’un handicap, réel ou perçu, à condition qu’il existe d’autres motifs à leur placement, notamment le fait qu’elles représentent un danger pour elles-mêmes et pour autrui. Cette pratique n’est pas compatible avec l’article 14 tel qu’il a été interprété par le Comité dans sa jurisprudence.

2. Les lois sur la santé mentale qui autorisent le placement en établissement de personnes handicapées au motif qu’elles représenteraient un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. À chaque examen de rapports d’États parties, le Comité a établi qu’il était contraire à l’article 14 de prévoir le placement en établissement de personnes handicapées au motif qu’elles représentaient un danger potentiel pour elles-mêmes ou pour autrui. Le placement en établissement, sans leur consentement, de personnes handicapées, motivé par une présomption de risque ou de dangerosité tenant à des qualifications de handicap constitue une atteinte au droit à la liberté. Par exemple, une personne ne peut être placée en établissement pour la seule raison qu’elle a été diagnostiquée schizophrène paranoïde.

(...) »

5. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies

73. Le 16 décembre 2014, le Comité des droits de l’homme formula l’Observation générale no 35 sur l’article 9 (Liberté et sécurité de la personne) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans la partie II de l’observation, le Comité développait la question de la détention arbitraire et de la détention illégale :

« 19. Les États parties devraient réviser les textes législatifs désuets et revoir les pratiques dans le domaine de la santé mentale afin d’éviter la détention arbitraire. Le Comité souligne le préjudice inhérent à toute privation de liberté, ainsi que les préjudices particuliers qui peuvent entraîner des situations d’hospitalisation sans consentement. Les États parties devraient mettre en place des services appropriés d’aide sociale communautaires ou autres à l’intention des personnes présentant un handicap psychosocial, afin d’offrir des solutions de substitution qui soient moins restrictives que l’internement. L’existence d’un handicap ne justifie pas en soi une privation de liberté – au contraire, toute privation de liberté doit être nécessaire et proportionnée, afin de protéger l’intéressé de tout préjudice grave ou de prévenir des atteintes à autrui. Cette mesure ne doit être appliquée qu’en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible et doit être entourée de garanties de procédure et de fond suffisantes, établies par la loi. Les procédures doivent être de nature à garantir le respect des opinions des individus et permettre une représentation et une défense effectives de leurs souhaits et de leurs intérêts par un représentant. Les États parties doivent offrir aux personnes placées en institution des programmes de traitement et de réadaptation qui servent les objectifs avancés pour justifier la détention. La privation de liberté doit être réexaminée à intervalles réguliers afin de déterminer si la mesure continue d’être nécessaire. Les personnes doivent être aidées pour obtenir l’accès à un recours utile leur permettant de faire valoir leurs droits, y compris un réexamen judiciaire de la décision initiale de placement puis périodiquement de la légalité du maintien en détention, afin d’éviter des conditions de détention incompatibles avec le Pacte. »

6. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint

74. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint établit le 2 avril 2015 un rapport sur le droit à la santé de toute personne handicapée dans lequel il concluait à propos de la CDPH :

« 96. La Convention remet en question les pratiques traditionnelles de la psychiatrie, tant au plan scientifique qu’à celui de la pratique clinique. À cet égard, il est particulièrement nécessaire d’examiner les questions liées aux droits de l’homme dans le domaine de la psychiatrie et d’élaborer des mécanismes pour la protection efficace des droits des personnes atteintes de handicaps mentaux.

97. L’histoire de la psychiatrie montre que les bonnes intentions des prestataires de services peuvent conduire à des violations des droits de l’homme des utilisateurs de services. Les arguments classiques qui limitent les droits de l’homme des personnes diagnostiquées avec des handicaps psycho-sociaux et intellectuels, qui reposent sur la nécessité médicale de fournir à ces personnes le traitement nécessaire et/ou de protéger leur sécurité personnelle ou la sécurité publique, sont aujourd’hui sérieusement remis en question car ils ne sont pas conformes à la Convention.

(...)

99. Un grand nombre de personnes atteintes de handicaps psycho-sociaux sont privées de leur liberté dans des établissements fermés et sont privées et [sic] de capacité juridique au motif de leur diagnostic médical. On a là une illustration du dévoiement de la science et la pratique de la médecine, qui montre la nécessité de réévaluer la prééminence du modèle biomédical actuel dans le domaine de la santé mentale. D’autres modèles, axés résolument sur les droits de la personne et les expériences et les relations humaines, et qui tiennent compte des contextes sociaux, doivent être envisagés pour faire avancer la recherche et la pratique actuelles. »

B. Le Conseil de l’Europe

1. Le Comité des Ministres

75. Le 22 septembre 2004, le Comité des Ministres adopta la Recommandation Rec(2004)10 relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux, dont les dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

Article 7 – Protection des personnes vulnérables atteintes
de troubles mentaux

« 1. Les États membres devraient s’assurer de l’existence de mécanismes de protection des personnes vulnérables atteintes de troubles mentaux, en particulier de celles qui n’ont pas la capacité de consentir ou qui peuvent ne pas être capables de s’opposer à des violations des droits de l’homme dont elles feraient l’objet.

2. La loi devrait prévoir des mesures pour protéger, le cas échéant, les intérêts économiques des personnes atteintes de troubles mentaux. »

Article 8 – Principe de la restriction minimale

« Les personnes atteintes de troubles mentaux devraient avoir le droit d’être soignées dans l’environnement disponible le moins restrictif possible et de bénéficier du traitement disponible le moins restrictif possible ou impliquant la moindre intrusion, tout en tenant compte des exigences liées à leur santé et à la sécurité d’autrui. »

Article 9 – Environnement et conditions de vie

« 1. Les établissements destinés au placement des personnes atteintes de troubles mentaux devraient assurer à chacune de ces personnes, en tenant compte de leur état de santé et des exigences liées à la sécurité d’autrui, un environnement et des conditions de vie aussi proches que possible de ceux dont bénéficient dans la société les personnes d’âge, de sexe et de culture similaires. Des mesures de réadaptation professionnelle visant à faciliter l’insertion de ces personnes dans la société devraient également être proposées. »

76. L’exposé des motifs de la recommandation précise que « le principe de la restriction minimale » est fondamental. Il implique que, lorsque la maladie d’une personne évolue positivement, celle-ci doit être transférée dans un environnement moins restrictif, si une telle mesure est compatible avec ses besoins en matière de santé.

77. L’article 17 de la recommandation énonce les critères régissant le placement involontaire et indique qu’une personne ne peut faire l’objet d’une telle mesure que si elle est atteinte d’un trouble mental et présente de ce fait un risque réel pour elle-même ou pour autrui, et si le placement a notamment un but thérapeutique, si aucun autre moyen moins restrictif n’est disponible, et si l’avis de la personne concernée a été pris en considération.

2. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)

78. Le CPT visita un certain nombre d’institutions psychiatriques au Portugal dans le cadre des visites périodiques en 1999, 2003, 2008, 2012 et 2016. Dans les rapports établis à l’issue de ces visites, il recommandait de nouveau que tous les hôpitaux psychiatriques établissent un protocole écrit relatif à l’utilisation de moyens de contention dans leurs services et que tout recours à la contention physique sur un patient soit consigné dans un registre spécifique.

79. Le CPT visita le HSC en 1999 et 2012. En 1999, sa délégation s’intéressa principalement au service de psychiatrie légale de l’hôpital (accueillant les patients déclarés partiellement ou totalement irresponsables et hospitalisés d’office pour recevoir des soins en exécution d’une ordonnance délivrée par une juridiction pénale) et visita également le service de psychiatrie générale pour hommes. En 2012, le CPT se rendit uniquement dans le service de médecine légale (pavillon 16) du HSC et n’aborda pas expressément le cas des patients hospitalisés avec leur consentement (comme le fils de la requérante). Dans son rapport au gouvernement portugais sur la visite qu’il avait effectuée du 7 au 16 février 2012, le CPT notait que l’adoption par le ministère de la Santé, en juin 2011, de lignes directrices représentait une avancée. Il réitéra toutefois sa recommandation visant à l’élaboration par tous les services de médecine légale d’un protocole écrit relatif à la contention, conformément à ses recommandations antérieures à ce sujet. Il recommanda aussi que les mesures nécessaires fussent prises pour mettre un terme à la pratique consistant à imposer le port du pyjama aux nouveaux patients du HSC.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

80. La requérante allègue que les autorités n’ont pas protégé le droit à la vie de son fils, ce qui constitue selon elle une violation de l’article 2 de la Convention. Elle soutient en particulier que l’hôpital a fait preuve de négligence, reprochant à celui-ci de ne pas avoir suffisamment surveillé son fils, de ne pas avoir installé de clôtures de sécurité adéquates aptes à empêcher son fils de sortir du périmètre de l’hôpital et de ne pas s’être doté d’une procédure d’urgence appropriée. Sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, elle se plaint de la durée de la procédure civile qu’elle avait engagée contre l’hôpital.

81. La Cour considère que les griefs de la requérante doivent être examinés uniquement sous l’angle des volets matériel et procédural de l’article 2, étant entendu que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018).

82. Dans sa partie pertinente en l’espèce, l’article 2 est ainsi libellé :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. »

A. Sur le volet matériel

1. L’arrêt de la chambre

83. La chambre a dit, à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet matériel. Elle a considéré, eu égard aux antécédents médicaux d’A.J. et, en particulier, au fait qu’il avait tenté de se suicider le 1er avril 2000, que le personnel de l’hôpital pouvait s’attendre à ce qu’il attentât de nouveau à ses jours. Elle en a déduit que le personnel aurait dû prévoir une nouvelle fugue de la part d’A.J. et l’éventualité d’une issue fatale compte tenu du diagnostic posé.

84. La chambre a estimé que, si en matière de soins de santé mentale il se dessinait une tendance vers un traitement des patients selon le principe de l’imposition de restrictions minimales dans un régime « ouvert », pareil traitement ne pouvait exonérer l’État de son obligation de protéger les malades mentaux hospitalisés contre le danger qu’ils présentent pour eux‑mêmes, notamment lorsque des éléments spécifiques indiquent qu’ils risquent d’attenter à leur vie. Elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’opérer de distinction en fonction du type d’hospitalisation – avec ou sans consentement. Un malade hospitalisé avec son consentement était pris en charge et surveillé par l’hôpital au même titre qu’un malade hospitalisé sans son consentement, et l’État avait les mêmes obligations envers l’un et l’autre. D’après la chambre, affirmer le contraire reviendrait à priver les patients hospitalisés avec leur consentement de la protection de l’article 2 de la Convention.

85. La chambre a constaté que les deux procédures qui étaient en place à l’hôpital – la vérification de la présence des patients hospitalisés aux heures des repas et de prise des médicaments et la procédure d’urgence qui consistait à rechercher le patient manquant dans le périmètre de l’hôpital et à appeler la police et la famille – s’étaient avérées inefficaces pour empêcher la fugue d’A.J. et, en fin de compte, son suicide. Elle a relevé en outre que le risque avait été aggravé par le fait qu’il existait un accès libre et non restreint à un quai de gare. Elle a estimé que l’on aurait pu s’attendre à ce que le personnel de l’hôpital prît davantage de mesures pour s’assurer qu’A.J. ne quittât pas le périmètre de l’hôpital. À cet égard, elle a considéré que la présente espèce se distinguait de l’affaire Hiller c. Autriche (no 1967/14, 22 novembre 2016).

2. Thèses des parties

a) La requérante

86. Dans les observations qu’elle a adressées à la Grande Chambre, la requérante réitère son allégation selon laquelle la procédure de surveillance en vigueur au HSC, qui, précise-t-elle, consistait à compter les patients lorsqu’ils prenaient leur plateau-repas à travers une ouverture relativement petite dans le mur, était inadéquate. Elle ajoute que la procédure d’urgence relevait de l’amateurisme. Selon la requérante, l’intervalle d’au moins deux heures entre les repas était suffisamment long pour permettre à un patient de quitter le pavillon et l’enceinte de l’hôpital, et de se suicider. D’après elle, cela avait en fait été le cas pour A.J., dont la présence aurait été relevée lors du goûter de 16 h 45 et dont l’absence n’aurait été constatée qu’à l’heure du dîner, vers 19 heures, heure à laquelle il n’aurait déjà plus été en vie.

87. En ce qui concerne la présence des médecins, la requérante affirme que ceux-ci ne rendaient visite aux patients qu’une fois par jour, le matin ou l’après-midi, et seulement lorsqu’ils n’étaient ni en consultation ni de service pour les urgences. Elle indique qu’il n’y avait pas de service d’urgence au HSC et que lorsqu’un malade faisait une crise, l’établissement appelait le médecin d’astreinte, qui décidait si le patient devait être conduit aux urgences d’un autre hôpital. Elle ajoute qu’il n’y avait pas de psychologue au sein de l’équipe thérapeutique du HSC et que cela avait nui au traitement d’A.J. En outre, selon la requérante, le HSC avait fait un mauvais diagnostic de la maladie mentale d’A.J. au fil des ans, ce que les juridictions internes auraient reconnu et qui aurait été clairement énoncé dans le jugement du tribunal administratif de Coimbra. Par ailleurs, le dossier médical concernant la situation clinique d’A.J. et son évolution, et les soins qui lui avaient été dispensés, ne serait ni complet ni à jour. A.J. n’aurait pas bénéficié d’un traitement psychologique adéquat, comme le montrerait le dossier médical, où la rubrique réservée à l’évaluation ou au programme thérapeutique aurait plusieurs fois été laissée vierge.

88. La requérante indique qu’elle ne plaide pas pour un régime de surveillance stricte. Elle estime que l’hospitalisation des personnes atteintes de troubles psychiatriques doit reposer sur un équilibre entre la liberté thérapeutique, d’une part, et la nécessité d’une contention, d’autre part. A.J. aurait eu besoin de soins particuliers et aurait dû faire l’objet d’une surveillance personnelle et de mesures de contention. A.J. aurait affiché de manière récurrente un comportement irresponsable et ses antécédents suicidaires auraient été avérés.

89. La requérante avance que le risque qu’A.J. attentât à ses jours était prévisible ou, pour le moins, probable. Selon elle, le HSC savait, ou aurait dû savoir, qu’il existait un risque réel et immédiat pour la vie d’A.J. Un traitement en « régime ouvert » ne pourrait exonérer l’État de son obligation de protéger les patients atteints de troubles mentaux contre les risques qu’ils présentent pour eux-mêmes. Une vigilance particulière se serait donc imposée dans le cas d’A.J.

90. Pour la requérante, l’obligation positive incombant à l’État en vertu de l’article 2 de prendre des mesures opérationnelles préventives doit s’appliquer pareillement à tous les patients, qu’ils soient hospitalisés avec ou sans leur consentement. D’après elle, il ne fait aucun doute que même dans le cas d’une hospitalisation consentie, un patient se trouve sous la protection de l’État. L’État aurait l’obligation de mettre en place un cadre réglementaire contraignant les hôpitaux, tant publics que privés, à adopter des mesures et des procédures appropriées.

91. En ce qui concerne la procédure par laquelle le HSC pouvait demander une hospitalisation d’office, la requérante estime que n’importe quel médecin dans l’exercice de ses fonctions ou le directeur de l’établissement auraient pu en faire la demande.

92. Enfin, la requérante considère que les articles de presse qu’elle a présentés en ce qui concerne des fugues de patients au HSC sont pertinents en ce qu’ils montreraient que les procédures de surveillance et d’urgence étaient défaillantes.

b) Le Gouvernement

93. Le Gouvernement soutient qu’A.J., durant son dernier séjour au HSC – du 2 au 27 avril 2000 – était suivi par un psychiatre et recevait des médicaments chaque jour. D’après lui, A.J. avait été vu par un médecin au moins sept fois pendant cette période, et aucune mention relative à des idées suicidaires n’avait été faite dans son dossier médical. L’équipe soignante (constituée de médecins et d’infirmiers) se serait réunie quotidiennement pour discuter de chacun des patients. Après son admission le 2 avril 2000 et pendant environ une semaine, A.J. aurait été confiné, en pyjama et robe de chambre, dans le pavillon où il était hospitalisé. Après qu’une amélioration de son état eut été constatée, un régime moins restrictif lui aurait été appliqué et pendant les deuxième et troisième semaines d’avril 2000 il aurait été autorisé à quitter le pavillon, à condition d’en informer l’infirmier de service. Pendant cette période, il aurait également été autorisé à passer deux week-ends chez lui.

94. Le Gouvernement ne conteste pas que le HSC avait l’obligation, en particulier en présence d’un risque de suicide, de surveiller et de protéger A.J. d’une manière raisonnable et proportionnée. Il considère que cette obligation impliquait aussi de prendre en compte le programme thérapeutique défini pour chaque patient et le droit du patient à la liberté. Il expose que, selon le droit national (paragraphe 58 ci-dessus), l’hospitalisation d’office pouvait être ordonnée par un juge dans le cadre d’une procédure judiciaire particulière dans deux cas : soit lorsqu’une personne présentait un trouble mental grave susceptible de constituer un danger pour elle-même ou pour un tiers et ne consentait pas au traitement requis par son état ; soit lorsqu’une personne présentait un danger pour la société mais ne relevait pas du système de sanctions pénales applicable aux auteurs d’infractions graves. Le Gouvernement estime qu’A.J. ne se trouvait dans aucune de ces deux situations. Il affirme que la requérante n’a jamais demandé l’hospitalisation d’office d’A.J., alors que, d’après lui, elle savait que le HSC était un hôpital ouvert et sans clôtures et que, pendant son hospitalisation, son fils avait été autorisé à quitter l’établissement et était parfois rentré au domicile familial. En outre, le Gouvernement soutient que, conformément au cadre légal en vigueur à l’époque pertinente, les principes généraux en matière de santé mentale préconisaient que les soins fussent dispensés dans l’environnement le moins restrictif possible (article 3 b) de la loi sur la santé mentale, paragraphe 58 ci-dessus).

95. Le Gouvernement considère que la requérante plaide en faveur de l’installation de murs et de barrières aptes à empêcher les patients suicidaires de quitter le périmètre de l’hôpital. Il affirme que, dans la mesure où la plupart des patients atteints de maladies psychiatriques présentent, selon lui, des tendances suicidaires, une telle solution constituerait un pas vers un système d’internement d’office et ne cadrerait ni avec les conceptions en vigueur dans le domaine de la psychiatrie, ni avec les normes juridiques internationales pertinentes en la matière. Selon le Gouvernement, la meilleure approche consiste à assurer un accompagnement individuel des patients en privilégiant le régime d’hospitalisation le moins restrictif possible et, le cas échéant, une prise en charge dans des structures de proximité ou, à défaut, un régime ouvert où les patients continueraient à jouir du droit de circuler librement. En effet, même en cas d’hospitalisation d’office, il serait admis et recommandé de laisser aux patients une certaine liberté de circulation.

96. Le Gouvernement soutient que, dans le cas d’A.J., il n’a pas été établi qu’il existait un risque réel et immédiat de suicide le 27 avril 2000 ou dans les jours ayant précédé son décès. Il renvoie à la déposition faite devant les tribunaux nationaux par l’expert médical, qui aurait émis l’avis que le risque de suicide, s’il était réel, n’était pas imminent, et que le passage à l’acte pouvait résulter d’une impulsion. Il indique que le médecin qui suivait A.J. (le docteur A.A.) avait considéré qu’une relation thérapeutique fondée sur la confiance constituait un traitement adéquat. Il ajoute que le 27 avril 2000, A.J. n’avait pas manifesté un comportement anormal, qu’il s’était promené aux alentours de l’hôpital et avait pris tous ses repas, y compris le goûter.

97. Le Gouvernement renvoie à l’exigence qui serait posée par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle, d’après lui, l’obligation positive incombant aux autorités doit être interprétée de manière à ne pas imposer à celles-ci un fardeau insupportable ou excessif, et que dès lors, toute menace présumée contre la vie n’entraîne pas pour les autorités une obligation au regard de la Convention (Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, § 116, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, et Renolde c. France, no 5608/05, § 82, CEDH 2008 (extraits)). Pour le Gouvernement, un contrôle permanent des mouvements d’A.J. aurait pu emporter violation dans le chef de celui-ci d’autres droits découlant de la Convention (Hiller, précité, § 55). Le système en place au HSC, dans le cadre duquel la présence d’A.J. aurait été vérifiée cinq fois par jour, au moment des repas, associé au régime thérapeutique, aurait donc été approprié et proportionné.

98. Le Gouvernement admet que l’obligation positive de protéger les patients contre le danger qu’ils peuvent présenter pour eux-mêmes ou pour autrui s’applique aux patients hospitalisés avec leur consentement comme à ceux hospitalisés sans leur consentement. Il soutient toutefois que dans le cas de patients hospitalisés en exécution d’une ordonnance judiciaire, donc sans leur consentement, ces obligations positives revêtent une force et un caractère particuliers.

99. Il estime que, conformément au principe de subsidiarité, la Cour doit accepter les conclusions qui ont été rendues par les autorités nationales au terme d’une procédure interne contradictoire et équitable, conclusions selon lesquelles le suicide d’A.J. n’aurait pas été prévisible et les soins reçus par lui au HSC auraient été adéquats.

100. Sur le point de savoir si A.J. présentait ou non de fortes tendances suicidaires, le Gouvernement indique que les juridictions nationales ont estimé qu’il avait seulement été établi qu’A.J. avait attenté à ses jours une fois, le 1er avril 2000, et qu’elles ont également conclu que les règles internes relatives à la surveillance et au déclenchement du dispositif d’urgence avaient été adéquates et suffisantes.

101. Le Gouvernement confirme que tous les patients (admis avec ou sans leur consentement) pouvaient, en fonction de leurs symptômes, être confinés pendant une période donnée dans le pavillon où ils séjournaient. Il ajoute que, pendant des périodes d’agitation extrême, un patient pouvait également être placé en chambre d’isolement.

102. Enfin, le Gouvernement conclut que, compte tenu des modalités actuelles de traitement psychiatrique qui sont axées sur le respect de la dignité et de la liberté du patient, tous les décès ne peuvent être évités et l’État ne peut être tenu responsable de ceux qui surviennent.

3. Appréciation de la Cour

a) Remarques préliminaires et portée de l’appréciation de la Cour

103. La Cour note d’emblée que la présente affaire concerne des faits allégués de négligence médicale qui se seraient produits dans le contexte du suicide d’un patient survenu au cours d’une hospitalisation consentie dans un établissement psychiatrique public. En conséquence, deux obligations positives, distinctes quoique liées, découlant de l’article 2, qui sont déjà établies par la jurisprudence de la Cour, peuvent entrer en jeu. Premièrement, il s’agit de l’obligation positive qui incombe à l’État de mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux d’adopter des mesures appropriées pour protéger la vie des patients (paragraphes 104 à 107 ci-dessous). Deuxièmement, il s’agit de l’obligation positive pour les autorités de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu contre autrui ou, dans certaines circonstances, contre lui‑même (paragraphes 108 à 115 ci-dessous).

b) Principes généraux

104. La Cour exposera les principes généraux relatifs aux deux obligations susmentionnées et examinera ensuite leur application en l’espèce. Elle rappelle que la première phrase de l’article 2, qui se place parmi les articles primordiaux de la Convention en ce qu’il consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe, impose à l’État l’obligation non seulement de s’abstenir de donner la mort « intentionnellement », mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 48, CEDH 2002‑I).

i. L’obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire

105. Premièrement, dans le domaine particulier de la santé, la Cour a jugé que l’obligation positive matérielle incombant à l’État astreignait celui‑ci à mettre en place un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades. Cette obligation positive requiert également l’instauration d’un système judiciaire efficace et indépendant capable, en cas de décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, qu’ils relèvent du secteur public ou du secteur privé, d’établir la cause du décès et d’obliger les responsables éventuels à répondre de leurs actes (voir, parmi beaucoup d’autres, Calvelli et Ciglio [GC], précité, et Dodov c. Bulgarie, no 59548/00, § 80, 17 janvier 2008).

106. Dans l’affaire Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal ([GC], no 56080/13, § 165, 19 décembre 2017), la Grande Chambre a récemment rappelé et clarifié la portée de l’obligation positive découlant pour les États de l’article 2 dans le cas d’une allégation de faits de négligence médicale commis dans un hôpital. Elle a dit que, même lorsque la négligence médicale a été établie, la Cour ne conclut normalement à la violation du volet matériel de l’article 2 que si le cadre réglementaire applicable ne protégeait pas dûment la vie du patient. Elle a réaffirmé que, dès lors qu’un État contractant a pris les dispositions nécessaires pour assurer un haut niveau de compétence chez les professionnels de la santé et pour garantir la protection de la vie des patients, on ne peut admettre que des questions telles qu’une erreur de jugement de la part d’un professionnel de la santé ou une mauvaise coordination entre des professionnels de la santé dans le cadre du traitement d’un patient en particulier suffisent en elles-mêmes à obliger un État contractant à rendre des comptes en vertu de l’obligation positive de protéger le droit à la vie qui lui incombait aux termes de l’article 2 de la Convention (ibidem, § 187).

107. La question de savoir si l’État a failli à son obligation de réglementer appelle une appréciation concrète, et non abstraite, des défaillances alléguées. La Cour n’a pas normalement pour tâche d’examiner dans l’abstrait la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées au requérant ou à la personne décédée, ou les ont touchés, a donné lieu à une violation de la Convention (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 188). En conséquence, le simple fait que le cadre réglementaire puisse être défaillant par certains côtés ne suffit pas en lui-même à soulever une question sous l’angle de l’article 2 de la Convention. Il faut encore démontrer que cette défaillance a nui au patient.

ii. L’obligation positive de mettre en œuvre des mesures opérationnelles préventives

108. Deuxièmement, dans certaines circonstances bien définies, l’article 2 peut mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu contre autrui (Osman, précité, § 115) ou, dans certaines conditions particulières, contre lui-même (Renolde, précité, et Haas c. Suisse, no 31322/07, § 54, CEDH 2011).

109. Dans l’affaire Osman, la Cour a estimé qu’il doit être établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu’un ou plusieurs individus étaient menacés de manière réelle et immédiate dans leur vie du fait des actes criminels d’un tiers, et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque (ibidem, § 116).

110. Dans plusieurs affaires où le risque provenait non pas d’actes criminels accomplis par des tiers mais d’actes d’auto-agression commis par un détenu, la Cour a conclu qu’une obligation positive pesait sur les autorités dès lors qu’elles savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat de voir la personne attenter à ses jours. Dans les affaires où elle a établi que les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance de ce risque, elle a ensuite examiné si celles-ci avaient fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour le prévenir (Hiller, précité, § 49, et Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 93, CEDH 2001‑III). Ainsi, la Cour détermine, en prenant en compte l’ensemble des circonstances d’une affaire donnée, si le risque en question était à la fois réel et immédiat.

111. La Cour a déjà dit dans l’affaire Osman que, sans perdre de vue les difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines, ni l’imprévisibilité du comportement humain ou les choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, et que, dès lors, toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation (Osman, précité, § 116).

112. En outre, la Cour réaffirme que la dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Convention. À cet égard, les autorités doivent s’acquitter de leurs tâches de manière compatible avec les droits et libertés de l’individu concerné et de façon à diminuer les risques qu’une personne se nuise à elle-même, et ce sans empiéter sur l’autonomie individuelle (voir, mutatis mutandis, Mitić c. Serbie, no 31963/08, § 47, 22 janvier 2013). La Cour a reconnu que des mesures excessivement restrictives pouvaient soulever des problèmes au regard des articles 3, 5 et 8 de la Convention (Hiller, précité, § 55).

113. En ce qui concerne les malades mentaux, la Cour a estimé qu’il s’agissait de personnes particulièrement vulnérables (Renolde, précité, § 84). Lorsque les autorités décident de placer et de maintenir en détention une personne atteinte d’une maladie mentale, elles doivent veiller avec une rigueur particulière à ce que les conditions de sa détention répondent aux besoins spécifiques découlant de sa maladie. Il en va de même pour les personnes internées sans leur consentement en institution psychiatrique (Hiller, précité, § 48, et les références citées).

114. La Cour a également eu à connaître de griefs soulevés par des proches de personnes atteintes de troubles psychiatriques hospitalisées avec leur consentement. Ainsi, dans l’affaire Reynolds c. Royaume-Uni (no 2694/08, 13 mars 2012), le fils de la requérante, qui avait été admis dans un service hospitalier avec son consentement au motif qu’il présentait des symptômes psychotiques, s’était tué en se défenestrant du sixième étage. Lorsqu’elle a établi qu’il y avait eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 2 de la Convention, la Cour a conclu que la requérante n’avait disposé d’aucun recours civil pour faire reconnaître une éventuelle responsabilité et obtenir réparation du préjudice qu’elle considérait avoir subi du fait de sa propre souffrance et du décès de son fils (Reynolds, précité, § 67) et elle a estimé que l’intéressée présentait un grief défendable de violation de l’article 2 relativement aux circonstances d’un décès intervenu à la suite d’une hospitalisation consentie dans un établissement psychiatrique. Dans l’affaire Reynolds, la Cour n’a pas expressément dit que l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique s’étendait aux malades mentaux hospitalisés avec leur consentement. Il apparaît toutefois clairement qu’elle n’a pas non plus exclu une telle conclusion. La Cour est à présent appelée à statuer sur cette question en l’espèce.

115. En ce qui concerne les risques de suicide en particulier, dans le cas de personnes privées de leur liberté par les autorités (principalement dans le cadre d’un placement en garde à vue ou d’une détention), la Cour a précédemment pris en compte divers facteurs afin d’établir si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait pour la vie d’un individu donné un risque réel et immédiat, déclenchant l’obligation de prendre des mesures préventives adéquates. Ces facteurs incluent généralement :

i. les antécédents de troubles mentaux (Volk c. Slovénie, no 62120/09, § 86, 13 décembre 2012, Mitić, précité, et Younger c. Royaume-Uni (déc.), no 57420/00, CEDH 2003‑I) ;

ii. la gravité de la maladie mentale (De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 75, 6 décembre 2011, et Keenan, précité) ;

iii. des tentatives de suicide ou des actes d’auto-agression antérieurs (Renolde, précité, § 86, Ketreb c. France, no 38447/09, § 78, 19 juillet 2012, et Çoşelav c. Turquie, no 1413/07, § 57, 9 octobre 2012, et comparer avec Hiller, précité, § 52) ;

iv. les pensées ou menaces suicidaires (voir, par exemple, Reynolds, précité, § 10) ;

v. les signes de détresse physique ou mentale (De Donder et De Clippel, précité, et comparer avec Younger (décision précitée)).

c) Application de ces principes en l’espèce

i. L’obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire

116. La Cour rappelle tout d’abord qu’elle n’examine pas dans l’abstrait le cadre réglementaire interne mais qu’elle apprécie de quelle manière il a touché la personne dans l’affaire en question (paragraphe 107 ci-dessus).

117. Pour autant que la requérante se plaint de l’absence de clôtures et de murs de sécurité autour du HSC, la Cour, à l’instar des juridictions internes, ne voit aucune raison de mettre en cause l’approche adoptée par l’établissement à cet égard, laquelle était conforme aux dispositions de la loi sur la santé mentale en vigueur à l’époque des faits (paragraphe 58 ci‑dessus). Cette loi énonçait que les soins de santé mentale devaient être dispensés dans l’environnement le moins restrictif possible. Ces principes généraux reflétaient la volonté thérapeutique d’instaurer un régime ouvert, préservant le droit du patient de circuler librement. L’approche adoptée cadrait avec les standards internationaux élaborés ces dernières années en matière de traitement des malades mentaux (voir la partie droit international ci-dessus et Hiller, § 54, précité). La Cour relève en outre que la législation interne – la loi sur la santé mentale du 24 juillet 1998 (paragraphe 58 ci‑dessus) – prévoyait la possibilité d’une hospitalisation d’office lorsque les besoins spécifiques du patient la justifiaient. Indépendamment du point de savoir si une hospitalisation d’office s’imposait pour prévenir un risque réel et immédiat pour la vie d’A.J., la Cour considère que le cadre réglementaire prévoyait clairement les moyens thérapeutiques nécessaires pour que le HSC pût répondre aux besoins d’A.J. sur les plans médical et psychiatrique.

118. La Cour relève que ce n’est qu’en 2011 que des lignes directrices sur les moyens de contention applicables aux malades mentaux ont été introduites (paragraphe 63 ci-dessus). Pour autant, elle estime que le cadre réglementaire n’en était pas en lui-même inapte à assurer les moyens requis pour protéger la vie d’A.J.

119. À cet égard, la Cour établit une distinction entre les exigences requises en matière de qualité de la loi sur le terrain des articles 3, 5 et 8 de la Convention, où l’aspect négatif des droits protégés se trouve en jeu, et l’obligation découlant de l’article 2 de mettre en place un cadre réglementaire destiné à protéger une personne contre tout dommage susceptible de lui être infligé par des tiers ou par elle-même. Sous l’angle de l’article 5 § 1, la « qualité de la loi » implique que lorsqu’une loi nationale autorise une privation de liberté, elle doit être suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application, afin d’éviter tout danger d’arbitraire (J.N. c. Royaume-Uni, no 37289/12, § 77, 19 mai 2016, avec les références citées). L’obligation découlant de l’article 2 de mettre en place un cadre réglementaire visant un but différent, à savoir fournir les moyens nécessaires à la protection de la vie d’un patient, l’absence de lignes directrices écrites sur le recours aux moyens de contention n’est pas déterminante pour l’appréciation de l’efficacité du cadre réglementaire et elle ne justifie pas en soi un constat de violation de l’article 2. De plus, on ne saurait oublier qu’A.J. a été hospitalisé avec son consentement et que le grief de la requérante ne se rapporte pas à la période pendant laquelle son fils était soumis à un régime restrictif. En conséquence, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner cette question plus avant (Radomilja et autres, précité, § 126).

120. En outre, la Cour ne discerne dans la procédure de surveillance appliquée aux patients hospitalisés avec leur consentement aucun élément critiquable susceptible de justifier la conclusion que le décès d’A.J. était imputable aux défaillances alléguées. Dans le cadre de cette procédure, il était établi un emploi du temps précis, que tous les patients devaient respecter, et la présence de chacun d’eux aux heures des repas et de prise des médicaments était vérifiée ; de plus, le personnel du service assurait une surveillance générale des patients (paragraphes 50 et 51 ci-dessus). Il existait également un régime de surveillance plus restrictif, qui était appliqué aux patients au début de leur hospitalisation et à d’autres moments lorsque le médecin qui suivait le patient le jugeait nécessaire (paragraphe 54 ci‑dessus). Les patients soumis à ce régime n’étaient pas autorisés à quitter le pavillon et le personnel infirmier surveillait plus étroitement leurs mouvements. Enfin, dans les situations d’urgence, le HSC pouvait recourir à d’autres formes de contention, notamment une chambre d’isolement. La procédure de surveillance en vigueur et les mesures de contention disponibles fournissaient donc au HSC les moyens nécessaires au traitement d’A.J.

121. La Cour accepte également la conclusion rendue par les juridictions internes, selon laquelle la procédure de surveillance appliquée à A.J. était destinée à respecter sa vie privée et était conforme au principe voulant que les patients fussent traités dans l’environnement le moins restrictif possible. La Cour elle-même a estimé que l’application à des malades mentaux de mesures excessivement restrictives pouvait soulever des questions au regard des articles 3, 5 et 8 de la Convention (paragraphe 112 ci-dessus et Hiller, précité, § 55). En l’espèce, l’imposition à A.J. d’un régime de surveillance plus intrusif aurait très bien pu être contestée comme étant incompatible avec les droits protégés par ces dispositions, d’autant qu’A.J. avait été hospitalisé avec son consentement.

122. Quant à la procédure d’urgence, elle consistait à alerter le médecin d’astreinte, la police et la famille du patient (paragraphe 52 ci-dessus). À un moment donné, entre 19 et 20 heures, l’infirmier coordinateur signala la disparition d’A.J. au docteur M.J.P., le médecin qui suivait A.J. et qui était d’astreinte le jour en question (mais ne se trouvait pas au HSC à ce moment‑là) et il appela la garde nationale républicaine et la requérante. La Cour souscrit à la conclusion de la juridiction nationale selon laquelle la procédure d’urgence en vigueur était adéquate. Quoi qu’il en soit, elle n’aperçoit aucun lien de causalité entre une quelconque déficience alléguée de la procédure d’urgence et le décès d’A.J. Par conséquent, elle conclut que cette procédure n’était pas déficiente au point de soulever une question sous l’angle de l’article 2.

123. Enfin, la Cour relève que la requérante a eu recours à un système judiciaire apte à établir qui était responsable de la mort d’A.J. L’intéressée a engagé une procédure civile devant le tribunal administratif de Coimbra et fait appel auprès de la Cour administrative suprême d’un jugement qui lui était défavorable (paragraphes 29 à 46 ci‑dessus). Bien que des questions – que la Cour examinera sous l’angle du volet procédural de l’article 2 (paragraphes 134 à 140 ci-dessous) – soient soulevées relativement à la durée de cette procédure civile, rien dans le dossier soumis à la Cour n’indique l’existence d’une déficience systémique du système judiciaire qui aurait privé la requérante d’un examen effectif de sa demande civile.

ii. L’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique

124. Il ne fait aucun doute qu’A.J., en tant que personne atteinte de troubles mentaux graves, se trouvait dans une situation de vulnérabilité. La Cour estime qu’un malade mental est particulièrement vulnérable, même lorsqu’il consent à son traitement. En raison des troubles mentaux que présente un tel malade, sa capacité à prendre rationnellement la décision de mettre fin à ses jours peut dans une certaine mesure être amoindrie. En outre, toute hospitalisation d’une personne atteinte de troubles psychiatriques, qu’elle soit consentie ou non, implique inévitablement un certain niveau de contention lié à l’état de santé du patient et au traitement dispensé en conséquence par les professionnels de santé. Dans le processus de traitement, il est souvent possible de recourir à diverses mesures de contention, qui peuvent prendre différentes formes, notamment celle d’une restriction de la liberté personnelle et du droit à la vie privée. Tenant compte de tous ces facteurs et eu égard à la nature et à l’évolution de la jurisprudence citée aux paragraphes 108 à 115 ci-dessus, la Cour considère que, s’agissant d’un malade mental qui a été hospitalisé avec son consentement, les autorités ont une obligation générale de prendre des mesures raisonnables pour le protéger contre un risque réel et immédiat de suicide. Les mesures spécifiques requises dépendront des circonstances particulières de l’affaire et seront souvent différentes selon qu’il s’agit d’une hospitalisation avec consentement ou d’une hospitalisation sans consentement. Aussi cette obligation de prendre des mesures raisonnables pour empêcher une personne de se nuire à elle-même s’applique-t-elle aux deux catégories de patients. La Cour estime toutefois que dans le cas de patients hospitalisés en exécution d’une ordonnance judiciaire, et donc sans leur consentement, elle peut, dans sa propre appréciation, appliquer un critère de contrôle plus strict.

125. La Cour doit donc rechercher si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat de voir l’intéressé attenter à ses jours et, dans l’affirmative, si elles ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir ce risque en prenant les mesures de restriction dont elles disposaient (Keenan, précité, § 93). Elle ne perdra pas de vue les choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources dans la fourniture des soins de santé publique et d’autres services publics, ni les difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines (paragraphe 111 ci-dessus).

126. Ainsi qu’il est exposé au paragraphe 115 ci-dessus, la Cour a établi une liste de critères pertinents pour évaluer les risques de suicide. Elle examinera ces éléments à la lumière des circonstances particulières de l’espèce afin de déterminer si les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait pour la vie du fils de la requérante un risque réel et immédiat entraînant l’obligation de prendre les mesures préventives nécessaires.

127. Premièrement, en ce qui concerne les antécédents de troubles mentaux d’A.J., nul ne conteste que celui-ci avait été hospitalisé au HSC avec son consentement à huit reprises entre 1984 et 2000 (paragraphe 12 ci‑dessus). Ces séjours faisaient généralement suite à des crises ou à une intoxication alcoolique et seule sa dernière admission était due à une tentative de suicide. Les juridictions nationales établirent qu’A.J. était atteint de plusieurs maladies mentales causées par une addiction pathologique à l’alcool et aux médicaments. Elles reconnurent également qu’il souffrait parfois de dépression. Après le décès d’A.J., le psychiatre chargé de l’établissement d’une expertise (paragraphe 33 ci-dessus) estima qu’il était possible qu’A.J. présentât également un trouble de la personnalité limite. Deuxièmement, s’agissant de la gravité des troubles mentaux d’A.J., il est clair que celui-ci avait souffert de troubles mentaux graves pendant une longue période (Renolde, précité, § 109).

128. En ce qui concerne les pensées ou menaces suicidaires, la Cour n’a aucune raison de rejeter la conclusion de la juridiction interne selon laquelle, au cours des derniers jours de sa vie, A.J. n’avait manifesté aucun comportement ni humeur qui eût pu conduire le personnel de l’hôpital à soupçonner que le 27 avril 2000 son comportement serait différent des jours précédents (paragraphe 40 ci-dessus). Il y eut cinq audiences au cours desquelles la juridiction entendit de nombreux témoins et soumit les éléments recueillis à un examen approfondi. Par conséquent, la Cour admet que, pendant toute la durée de son séjour au HSC qui avait débuté le 2 avril 2000, A.J. n’avait présenté aucun signe donnant à penser qu’il était animé de pensées suicidaires (Hiller, précité, § 52). Dans la procédure interne, la requérante avança qu’A.J. avait une nouvelle fois tenté de se suicider le 25 avril 2000 en ingérant une quantité excessive d’alcool. Cette affirmation fut rejetée par les juridictions nationales, qui établirent qu’A.J. avait été admis au service des urgences de l’hôpital universitaire de Coimbra le 26 avril 2000 en raison d’un comportement « irresponsable » et non d’un comportement suicidaire (paragraphe 40 ci-dessus). Les juridictions internes parvinrent à cette conclusion après avoir procédé à une appréciation exhaustive, pertinente et convaincante des éléments de preuve qu’elles avaient minutieusement examinés. Compte tenu de l’alcoolisme chronique d’A.J. et du fait qu’il avait bu dans l’après-midi, principalement dans un café, la Cour souscrit à la conclusion de la juridiction nationale à cet égard. Elle admet par conséquent la conclusion selon laquelle, au cours des trois semaines ayant précédé sa mort, A.J. avait tenté de se suicider une fois, le 1er avril 2000.

129. Enfin, en ce qui concerne les signes de détresse physique ou mentale, les observations consignées pour la date du 27 avril 2000 dans le dossier médical indiquent qu’A.J. était calme, qu’il s’était promené autour du bâtiment où il était hospitalisé, qu’il avait bien mangé à l’heure du déjeuner et qu’il était présent pour le goûter de l’après-midi (paragraphe 22 ci‑dessus). La Cour accepte à cet égard également les conclusions des juridictions internes selon lesquelles le comportement d’A.J. n’avait rien de préoccupant dans les jours ayant immédiatement précédé son suicide (paragraphe 40 ci-dessus).

130. La Cour relève que le HSC savait qu’A.J. présentait depuis longtemps des troubles mentaux et qu’il risquait par moments d’attenter à ses jours. Toutefois, elle observe également qu’A.J. était certes vulnérable, mais qu’il se trouvait dans un environnement qui lui était devenu familier et où il avait des relations avec le personnel qu’il connaissait et qui le connaissait. Quand le HSC estimait que le risque qu’A.J. pouvait présenter pour lui-même avait diminué, il l’autorisait à circuler librement dans le périmètre de l’hôpital et à rentrer dans sa famille le week-end. Rien n’indique que la famille d’A.J. se fût opposée au retour de celui-ci le week‑end. Lorsque le risque était jugé important, A.J. était confiné en pyjama dans le pavillon et soumis à un régime plus strict. Cela avait été le cas après son admission au HSC le 2 avril 2000, pendant la première semaine de son séjour (paragraphe 18 ci-dessus), et au cours de précédentes hospitalisations. Le régime restrictif était toutefois toujours levé lorsque l’on estimait que les symptômes d’A.J. s’amélioraient. Cette façon de procéder correspondait à la philosophie générale du HSC consistant à accorder une grande liberté de mouvement aux patients afin de renforcer leur sens des responsabilités et de leur permettre de réintégrer leur famille et la société dans les meilleures conditions. Par ailleurs, la Cour ne voit aucune raison de mettre en cause l’avis formulé par le docteur A.A., la psychiatre qui suivait A.J., et accepté par les juridictions internes, selon lequel le traitement consistant à faire prendre à A.J. les médicaments prescrits, à l’amener à accepter son traitement et à établir avec lui une relation de confiance (paragraphe 35 ci-dessus), était approprié et proportionné vu la situation.

131. La Cour conclut, dans le sens de l’expertise établie par le psychiatre désigné par l’ordre des médecins (paragraphe 33 ci-dessus), que si l’on ne pouvait exclure le risque de suicide chez des malades hospitalisés tels qu’A.J., chez lesquels les troubles psychopathologiques ont donné lieu à de multiples diagnostics, l’immédiateté de ce risque peut varier. En l’espèce, le HSC s’était efforcé de s’adapter au risque que présentait l’état mental fluctuant d’A.J. en renforçant ou en allégeant le régime de surveillance en place, décision qui incombait à l’équipe médicale responsable d’A.J. (paragraphe 35 ci-dessus). La Cour renvoie aux facteurs mentionnés aux paragraphes 127 à 129 ci-dessus. Elle tient compte également de l’impossibilité, d’après l’expertise, de prévenir totalement le suicide chez un patient tel qu’A.J. (paragraphe 33 ci-dessus), et de la conclusion du tribunal administratif de Coimbra selon laquelle le suicide de l’intéressé n’était pas prévisible (paragraphe 40 ci-dessus). En outre, la Cour aborde la question du risque en cherchant à déterminer s’il était à la fois réel et immédiat et observe que l’obligation positive incombant à l’État doit être interprétée de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif. À la lumière de ces éléments, elle conclut qu’il n’a pas été établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il existait un risque immédiat pour la vie d’A.J. dans les jours ayant précédé le 27 avril 2000.

132. En conséquence, la Cour peut se dispenser de rechercher si la deuxième partie du critère Osman/Keenan a été remplie, à savoir si les autorités avaient pris les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles.

d) Observations finales

133. En ce qui concerne l’obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire, la Cour conclut que la manière dont le cadre réglementaire a été mis en œuvre n’a pas emporté violation de l’article 2 dans les circonstances de l’espèce. Pour ce qui est de l’obligation de prendre des mesures opérationnelles préventives, elle considère qu’il n’a pas été établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir à l’époque qu’il existait un risque à la fois réel et immédiat pour la vie d’A.J. En conclusion, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet matériel dans les circonstances de l’espèce.

B. Sur le volet procédural

1. L’arrêt de la chambre

134. La chambre a conclu à la violation de l’article 2 de la Convention en son volet procédural. Le Gouvernement a admis que la procédure interne avait duré longtemps mais il n’a fourni aucune justification plausible à cet égard. La chambre a relevé plusieurs longues périodes d’inactivité. En particulier, elle a constaté qu’il avait fallu deux ans au tribunal administratif de Coimbra pour demander une expertise sur l’état clinique d’A.J., que la première audience avait eu lieu le 8 octobre 2008, soit deux ans après le versement de l’expertise au dossier, et que près de trois autres années s’étaient écoulées avant que le tribunal ne rendît son jugement.

2. Thèses des parties

a) La requérante

135. La requérante soutient que le retard dans la procédure constitue une violation manifeste de l’article 2. Elle indique que le 17 mars 2003 elle a engagé une procédure civile contre le HSC et que, du 12 décembre 2003 au 11 janvier 2005, l’affaire a stagné, dans l’attente d’une décision du tribunal sur la demande qu’elle avait soumise en vue d’obtenir la modification de certains passages de la décision préliminaire (paragraphes 31 et 32 ci‑dessus). Du 13 octobre 2005 au 16 juin 2006, l’affaire aurait été retardée dans l’attente de l’obtention d’une expertise (paragraphes 32 et 33 ci‑dessus). L’expert désigné aurait dû patienter plus de huit mois avant de recevoir du tribunal les éléments nécessaires à l’établissement de son rapport. Le 9 novembre 2007, le tribunal aurait fixé la date de l’audience au 8 octobre 2008. En raison des lenteurs de la procédure, les témoins auraient été interrogés cinq ans après l’introduction de l’action par la requérante et huit ans après les faits. Il y aurait eu d’autres retards, notamment entre le transfert de la procédure à la Cour administrative suprême, le 11 octobre 2011, et le dépôt de l’avis du procureur général adjoint, le 26 septembre 2012, puis jusqu’au prononcé du jugement par la Cour administrative suprême, le 29 mai 2014.

b) Le Gouvernement

136. Le Gouvernement reconnaît que la durée de la procédure était excessive. Il considère cependant qu’il y aurait violation de l’article 6 de la Convention et non de l’article 2.

3. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

137. L’obligation procédurale découlant de l’article 2 en matière de soins impose notamment que la procédure soit menée à terme dans un délai raisonnable (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 218). La connaissance des faits et des erreurs éventuellement commises dans l’administration de soins médicaux est essentielle pour permettre aux établissements concernés et au personnel médical de remédier aux défaillances potentielles et de prévenir des erreurs similaires. Le prompt examen de telles affaires est donc important pour la sécurité des usagers de l’ensemble des services de santé (Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, §196, 9 avril 2009). En particulier dans des affaires concernant des procédures engagées pour déterminer les circonstances d’un décès survenu à l’hôpital, la lenteur de la procédure est un indice solide de la présence d’une défaillance constitutive d’une violation par l’État défendeur des obligations positives qui lui incombent au titre de la Convention, à moins que l’État n’ait fourni des justifications très convaincantes et plausibles pour expliquer cette lenteur (voir, par exemple, Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 219, et Bilbija et Blažević c.Croatie, no 62870/13, § 107, 12 janvier 2016).

b) Application de ces principes en l’espèce

138. La procédure interne a duré onze ans, deux mois et quinze jours pour deux degrés de juridiction. La Cour relève que le Gouvernement concède que la procédure a été excessivement longue et qu’elle n’a pas été conduite dans un délai raisonnable, même si l’on tient compte de la complexité alléguée de la procédure et du report qui avait été demandé.

139. Le Gouvernement n’a pas fourni de justifications convaincantes et plausibles pour expliquer la durée de la procédure interne. En l’espèce, des témoins ont été entendus entre huit et neuf ans après le décès d’A.J. et entre six et sept ans après l’introduction de l’action par la requérante (paragraphe 35 ci-dessus). Le passage du temps a pu affecter la capacité des témoins à se remémorer des faits cruciaux concernant les évènements qui avaient précédé la mort d’A.J. Qui plus est, comme la Cour l’a reconnu, un prompt examen est important afin qu’il puisse être remédié pour l’avenir aux éventuelles défaillances ou erreurs établies (Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 218).

140. La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet procédural.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

141. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

142. Dans la procédure devant la chambre, la requérante avait demandé 703,80 euros (EUR) pour dommage matériel, somme qui selon elle correspondait aux frais engagés pour les funérailles de son fils. Par ailleurs, expliquant que son fils lui versait mensuellement 200 EUR, elle disait avoir subi une perte de revenu et avait sollicité 40 000 EUR. Elle avait en outre demandé 40 000 EUR pour dommage moral (30 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 2 en son volet matériel et 10 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 2 en son volet procédural).

143. La chambre a alloué à la requérante la totalité de la somme demandée pour les frais funéraires. Toutefois, en ce qui concerne la perte alléguée d’un soutien financier, elle n’a discerné aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Quant à la demande présentée pour dommage moral, la chambre a estimé raisonnable d’accorder 25 000 EUR à la requérante pour l’angoisse et la détresse qu’elle disait avoir éprouvées en raison des circonstances de la mort de son fils et de l’impossibilité pour elle d’obtenir une décision interne dans un délai raisonnable.

144. Devant la Grande Chambre, la requérante réitère les demandes pour dommage moral et matériel qu’elle avait formulées devant la chambre.

145. En ce qui concerne le dommage matériel, la Cour observe que l’État n’a pas été jugé responsable du décès du fils de la requérante. En conséquence, aucun lien de causalité n’ayant été établi entre les actions du HSC et le décès d’a.j., elle n’accorde pas d’indemnité à la requérante pour dommage matériel.

146. Pour ce qui est du dommage moral, la Cour estime que la requérante a dû éprouver de la détresse et de la frustration en raison de la lenteur de la procédure interne qu’elle avait engagée pour faire établir la cause du décès de son fils. Par conséquent, elle accorde à la requérante 10 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

147. Devant la Grande Chambre, comme devant la chambre, la requérante sollicite 409 EUR pour les frais et dépens qu’elle aurait engagés dans la procédure interne. Cette somme correspondrait aux honoraires qu’elle aurait versés pour sa représentation. Elle fournit à l’appui de sa demande la note d’honoraires pertinente. La chambre a alloué l’intégralité de la somme demandée à cet égard, plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt.

148. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Sargsyan c. Azerbaïdjan (satisfaction équitable) [GC], no 40167/06, § 61, 12 décembre 2017). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour accorde à la requérante l’intégralité de la somme demandée pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt sur cette somme. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire pour la procédure devant la Grande Chambre, n’a pas présenté de demande pour les frais et dépens afférents à la procédure devant celle-ci.

C. Intérêts moratoires

149. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet matériel ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en son volet procédural ;

3. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes :

i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

ii. 409 EUR (quatre cent neuf euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, par quinze voix contre deux, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 31 janvier 2019.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
Greffière adjointePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque, à laquelle se rallie le juge Harutyunyan.

G.R.
F.E.P.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN PARTIE DISSIDENTE du JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE,
à laquelle se RALLIE le juge Harutyunyan

(Traduction)

1. J’ai voté en faveur d’un constat de violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») en ses volets matériel et procédural. Si je souscris de manière générale aux conclusions de la majorité sur le deuxième volet, je ne puis partager son opinion sur le premier, pour des raisons factuelles et juridiques. Sur le plan factuel, je démontrerai que l’opinion de la majorité est bâtie sur des faits présumés qui ne se sont tout simplement pas produits et, pire encore, sur un cadre légal reposant sur une « philosophie générale »[1] sur la protection du droit à la vie des personnes hospitalisées pour troubles psychiatriques, qui était de toute évidence inexistant. Pour dire les choses simplement, l’opinion de la majorité vise un pays qui n’est pas le Portugal à l’époque des faits. Le présent arrêt est le résultat d’un exercice d’appréciation judiciaire créatif pour un pays imaginaire.

2. Sur le plan du droit, je démontrerai que l’opinion de la majorité suit l’approche minimaliste teintée d’idéologie adoptée dans l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes[2] relativement aux obligations positives de l’État dans le domaine des soins de santé et l’applique cette fois-ci à la catégorie particulièrement vulnérable des personnes hospitalisées pour troubles psychiatriques qui se trouvent sous la responsabilité de l’État. Cette démarche a pour effet de ramener le niveau de protection de la Convention à une inertie inacceptable de l’État.

L’obligation de mettre en place un cadre réglementaire

3. L’obligation positive qui pèse sur l’État dans le domaine de la santé implique la mise en place par lui d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades[3]. D’après l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal[4], l’obligation incombant à l’État en vertu de l’article 2 de la Convention dans le domaine de la santé englobe celle de mettre en place un cadre réglementaire pour protéger le patient. La majorité suit cette ligne jurisprudentielle[5]. Même si l’on admet qu’une telle obligation, au sens étroit où elle a été formulée dans l’arrêt[6], découle de la Convention, j’estime que le gouvernement défendeur ne s’y est pas conformé, pour les raisons que j’exposerai ci-après.

4. L’article XVII de la loi no 2006 du 11 avril 1945 réglementait l’obligation de l’État de protéger la vie des malades mentaux hospitalisés avec leur consentement dans des établissements publics et il prévoyait un régime ouvert et un régime fermé. Cette réglementation fut conservée dans l’article XXII de la loi no 2118 du 3 avril 1963 et, après la révolution de 1974, le décret no 127/92 du 3 juillet 1992 faisait toujours référence à ces régimes. Ces derniers furent abrogés par la loi actuellement en vigueur (loi no 36/98 du 24 juillet 1998) mais ils ont perduré, sans aucune base légale.

5. En ce qui concerne le cadre réglementaire portugais et, plus particulièrement, l’hôpital Sobral Cid (« le HSC ») à l’époque des faits, il convient de citer les passages suivants du rapport du Comité pour la prévention de la torture (« le CPT ») [traduction du greffe] :

« 108. (...) Les patients pouvaient aussi être temporairement placés à l’isolement (c’est-à-dire confinés seuls dans une pièce). Pendant l’isolement, qui ne durait jamais longtemps, le malade restait dans sa chambre personnelle ou, s’il partageait un dortoir, était placé dans l’une des chambres individuelles.

109. (...) le CPT considère que tout recours à la contention physique sur un patient doit être consigné dans un registre spécifiquement établi à cet effet. L’inscription doit comporter l’heure de début et de fin de la mesure, les circonstances dans lesquelles elle a été mise en œuvre, les raisons l’ayant motivée, le nom du médecin l’ayant ordonnée ou approuvée et, le cas échéant, un compte rendu des blessures subies par des patients ou des membres du personnel »[7]. (italique ajouté)

6. En 2003 et 2008, le CPT insista en termes généraux sur la nécessité d’élaborer pour « tous les hôpitaux psychiatriques », y compris les hôpitaux psychiatriques « privés », une politique « détaillée » et « écrite » relative à l’isolement des patients atteints de troubles mentaux :

« 119. L’isolement des patients atteints de troubles psychiatriques doit faire l’objet d’une politique détaillée (...) Le CPT recommande aux autorités portugaises d’élaborer une telle politique »[8]. (...)

« 130. [traduction du greffe] Le CPT recommande aux autorités portugaises de prendre les mesures nécessaires pour que tous les hôpitaux psychiatriques établissent un protocole écrit relatif à l’utilisation de moyens de contention ou mettent en œuvre le protocole susmentionné. Cette recommandation concerne également les hôpitaux psychiatriques privés »[9]. (italique ajouté)

7. Ce n’est qu’en 2007 que le ministère de la Santé introduisit un protocole relatif à l’utilisation de la « contention mécanique » dans l’ensemble des hôpitaux portugais, y compris les hôpitaux psychiatriques (Circulaire normative no 08/DSPSM/DSPCS). Ce protocole fut abrogé et remplacé en 2011 par de nouvelles lignes directrices (no 21/2011, du 6 juin 2011) plus générales, émises par la direction générale de la santé, concernant le recours à la contention sur des patients, et couvrant « l’isolement et la contention mécanique ou chimique » (Orientação da Direção-Geral da Saúde no. 21/2011, de 6/06/2011 Prevenção de comportamentos dos doentes que põem causa a sua segurança ou da sua envolvente - Contenção de Doentes).

Ces lignes directrices visent cinq types de contention : la contention thérapeutique (destinée à contenir l’activité physique d’un patient, à maîtriser son comportement ou à immobiliser une partie de son corps), la contention environnementale (permettant de limiter la liberté de mouvement du patient, par exemple dans un espace restreint tel qu’une chambre d’isolement (sala de confinamento), où le patient peut se déplacer sans risque sous surveillance médicale), la contention physique (permettant de maintenir, déplacer ou immobiliser un patient afin d’éviter un risque), la contention mécanique (utilisation de dispositifs permettant de restreindre les mouvements) et la contention chimique (médication inhibant les mouvements du patient). Conformément au point 9 de ces lignes directrices, chaque hôpital doit élaborer des lignes directrices internes mettant en œuvre les lignes directrices nationales en fonction du type de soins qu’il prodigue. Le raisonnement sous-tendant ces lignes directrices était exprimé en ces termes :

« Il apparaît que la contention est l’une des pratiques les plus couramment utilisées à l’échelle internationale pour traiter des patients dont le comportement présente un risque pour eux-mêmes et pour les personnes qui les entourent. Diverses études menées sur ce sujet font ressortir la nécessité de prévenir les incidents et conséquences néfastes associés aux mesures de contention. Par ailleurs, des documents attestent que l’organisation de formations sur le lieu de travail peut avoir des retombées positives pour la promotion de la sécurité dans le recours à ces mesures ».

8. Dans son rapport sur sa visite au Portugal en 2012, le CPT formula les observations suivantes sur le nouveau cadre réglementaire [traduction du greffe] :

« 107. Dans ses rapports sur les visites de 2003 et de 2008, le CPT recommandait l’adoption d’un protocole relatif à l’utilisation de moyens de contention. L’adoption par le ministère de la Santé, en juin 2011, de lignes directrices sur le recours aux moyens de contention[10] représente une avancée à cet égard. Ces lignes directrices visent l’isolement et les moyens de contention mécaniques et chimiques et elles remplacent un protocole antérieur de 2007 qui portait sur la contention mécanique[11]. Il est cependant regrettable que ces lignes directrices n’abordent pas explicitement nombre d’aspects importants, en particulier les circonstances dans lesquelles des moyens de contention peuvent être utilisés ; l’exigence voulant que l’application d’une mesure de contention ait été expressément ordonnée par un médecin ou immédiatement portée à la connaissance d’un médecin pour approbation ; la durée de la contention et la nécessité de contrôles fréquents, de contacts humains appropriés et d’une surveillance renforcée de la part du personnel ; l’établissement d’un registre spécial où sont consignés les cas de recours à la contention (en sus de l’inscription de la mesure dans le dossier du patient ou dans le registre de soins infirmiers). Les lignes directrices de 2011 n’étaient pas encore mises en œuvre dans les services de psychiatrie légale visités et, en tout état de cause, n’étaient pas applicables dans l’unité psychiatrique de la prison de Santa Cruz do Bispo, qui dépendait du ministère de la Justice. Le CPT recommande aux autorités portugaises de prendre les mesures nécessaires pour que tous les services hospitaliers de psychiatrie légale – y compris ceux relevant du ministère de la Justice – élaborent un protocole écrit relatif à l’utilisation des moyens de contention, conformément aux recommandations antérieures du Comité sur ce sujet »[12].

9. En fait, les lignes directrices sur l’utilisation des moyens de contention adoptées en juin 2011 par le ministère de la Santé n’étaient pas appliquées de manière systématique dans le pays[13]. Pis encore, on ne recueillait pas l’avis des patients sur l’application de ces régimes, même lorsque ceux-ci étaient hospitalisés avec leur consentement[14]. Le personnel médical faisait ce qu’il voulait, quand il voulait.

En ce qui concerne l’utilisation de moyens de contention et le port du pyjama, le CPT ne pouvait être plus clair lorsqu’il insistait notamment sur la nécessité de tenir un registre centralisé de « toutes les formes » de recours à la contention « dans chaque établissement psychiatrique » [traduction du greffe] :

« 111. (...) Le CPT réitère sa recommandation selon laquelle tout recours à la contention, y compris la contention chimique, doit toujours être expressément ordonné par un médecin ou immédiatement porté à la connaissance d’un médecin. La prescription d’une « médication d’urgence » ne peut jamais justifier son utilisation comme moyen de contention chimique.

112. Une autre forme de restriction de la liberté de mouvement était appliquée aux patients dans les deux services de psychiatrie légale. Il s’agissait d’une mesure de surveillance communément appelée le régime « pyjama ». Les patients soumis à ce régime devaient rester en pyjama toute la journée et n’étaient pas autorisés à se rendre dans la cour. Les patients de l’hôpital central de Lisbonne et de l’hôpital Sobral Cid devaient ainsi rester en pyjama pendant les deux premières semaines suivant leur admission. À l’hôpital Sobral Cid, ce régime pouvait également être imposé pendant un ou plusieurs jours à des patients qui avaient manifesté un comportement agressif ou enfreint certaines règles de l’établissement (par exemple l’interdiction de fumer à l’intérieur des locaux). Dans ces circonstances, la décision de soumettre ces patients au régime de surveillance spéciale était prise sur une base ad hoc par le personnel de service, et elle n’était encadrée par aucune procédure claire ni aucune garantie.

De l’avis du CPT, le port systématisé du pyjama comme moyen de surveillance des nouveaux patients est extrêmement contestable. Il conviendrait d’employer d’autres méthodes de surveillance des nouveaux arrivants, sans restreindre leur liberté de mouvement. Le Comité recommande de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme à la pratique consistant à imposer le port du pyjama aux patients lors de leur admission à l’hôpital central de Lisbonne et à l’hôpital Sobral Cid.

113. En ce qui concerne les registres, il convient de relever qu’un registre électronique centralisé des cas de recours à la contention mécanique a été mis en place à l’hôpital psychiatrique central de Lisbonne. Il ne contenait cependant que des informations statistiques sur la fréquence des recours à des mesures de contention dans les différents services et ne donnait aucun élément détaillé sur, par exemple, le type de mesure employée ou sa durée. À l’hôpital Sobral Cid, il n’existait pas de registre spécifique répertoriant les cas de recours à la contention. Dans les deux hôpitaux visités, l’utilisation de moyens de contention mécanique était consignée dans le registre de soins infirmiers et, parfois, dans le dossier du patient. Ces inscriptions étaient toutefois souvent superficielles et ne précisaient ni l’heure de début ni l’heure de fin de la mesure.

Le CPT a soulevé cette question à plusieurs occasions[15] ; il est regrettable que les lignes directrices concernant l’utilisation des moyens de contention formulées par le ministère de la Santé en 2011 (paragraphe 107 ci-dessus) n’aient pas prévu la mise en place d’un registre centralisé rendant compte du recours à toutes les formes de contention – y compris l’isolement et la contention mécanique ou chimique – dans chaque établissement psychiatrique. Le CPT appelle les autorités portugaises à prendre les mesures nécessaires pour que, dans chaque établissement psychiatrique, tout recours à la contention sur un patient soit consigné dans un registre spécifique. L’inscription dans le registre doit mentionner l’heure de début et de fin de la mesure, les circonstances dans lesquelles elle a été mise en œuvre, les raisons l’ayant motivée, le type de contention appliqué, le nom du médecin l’ayant ordonnée ou approuvée et, le cas échéant, un compte rendu des blessures subies par des patients ou des membres du personnel[16]. (...)

123. (...) Le CPT doit réitérer sa position selon laquelle l’hospitalisation d’une personne en établissement psychiatrique sans son consentement – qu’elle relève ou non de la psychiatrie légale – ne saurait être interprétée comme autorisant à traiter cette personne sans son consentement. Tout patient capable de discernement, qu’il consente ou non à son hospitalisation, doit être pleinement informé du traitement que l’on entend lui prescrire et il doit avoir la possibilité de refuser ce traitement ou toute autre forme d’intervention médicale. Toute dérogation à ce principe fondamental doit être fondée en droit et elle ne peut concerner que des circonstances exceptionnelles, clairement et strictement définies. Le Comité appelle les autorités portugaises à prendre les dispositions nécessaires pour réviser la législation pertinente à la lumière des observations qui précèdent »[17]. (italique ajouté)

10. Il est hautement significatif que le CPT définisse des normes destinées à être mises en œuvre dans « chaque » établissement psychiatrique à l’égard de « [t]out patient capable de discernement, qu’il consente ou non à son hospitalisation », par exemple « [t]out patient capable de discernement, qu’il consente ou non à son hospitalisation, doit être pleinement informé du traitement que l’on entend lui prescrire et il doit avoir la possibilité de refuser ce traitement ou toute autre forme d’intervention médicale », qu’il appelle les autorités portugaises à prendre les mesures nécessaires pour que « tout recours à la contention sur un patient soit consigné dans un registre spécifique » ou encore qu’il déclare que « tout recours à la contention, y compris la contention chimique, doit toujours être expressément ordonné par un médecin ou immédiatement porté à la connaissance d’un médecin ». De même, le CPT critique des déficiences dans le régime d’hospitalisation appliqué aux personnes atteintes de troubles mentaux, qu’elles soient admises avec ou sans leur consentement, par exemple la décision de soumettre des patients au régime de surveillance spécial, qui était prise « sur une base ad hoc par le personnel de service » et n’était « encadrée par aucune procédure claire ni aucune garantie », le recours systématisé au port du pyjama comme moyen de surveillance des patients nouvellement admis et l’absence d’un registre centralisé consignant le recours à toutes les formes de contention (y compris l’isolement et la contention mécanique ou chimique) dans chaque établissement psychiatrique.

11. On ne peut donc certainement pas limiter la portée des normes définies par le CPT aux patients hospitalisés d’office en exécution d’une ordonnance pénale[18]. La majorité a ignoré tous les éléments susmentionnés dans son appréciation de l’aspect matériel de l’espèce, tout comme elle a ignoré le fait que le premier programme national pour la santé mentale (2007-2016) avait été approuvé par la Résolution 48/2008 du Conseil des ministres du 24 janvier 2008. Dans un document de 55 pages, on trouve neuf références au suicide et une disposition très vague en faveur de la création future de programmes de prévention du suicide. La résolution prévoit trois hôpitaux psychiatriques pour tout le pays : Magalhães de Lemos (Porto), Sobral Cid (Coimbra) et Júlio de Matos (Lisbonne) et 39 services psychiatriques dans des hôpitaux généraux. Le décret no 1490/2017 prévoyait une évaluation de la mise en œuvre du programme en vue de sa prolongation jusqu’en 2020. Cette évaluation analysait la situation dans les termes suivants :

« Évaluation du plan national sur la santé mentale 2007-2016 (Avaliação do Plano Nacional de Saúde Mental 2007-2016) : « absence de coordination effective de certains éléments du système de soins de santé mentale, accompagnée de déséquilibres persistants du fait de la concentration des ressources humaines dans les hôpitaux centraux ; (...) autonomie réduite des centres décisionnels locaux et régionaux ; (...) développement insuffisant du réseau de soins continus et intégrés de santé mentale ; absence de mesures incitant à mettre en place des interventions de proximité »[19].

12. Le premier programme national de prévention du suicide (2013‑2017) se fonde sur le document Action de santé publique pour la prévention du suicide : un cadre de travail publié par l’Organisation mondiale de la santé (« OMS ») en 2012[20]. Pour la première fois, une stratégie nationale de lutte contre le suicide fut élaborée, formulant des recommandations spécifiques à l’intention de certains groupes ou individus à risque, dont les personnes atteintes de déficiences mentales, ainsi que des instructions en matière de suivi et des lignes directrices pour l’évaluation de la mise en œuvre.

13. En d’autres termes, en 2000, le Portugal en était au stade de la préhistoire en matière de prévention du suicide chez les patients hospitalisés dans un établissement psychiatrique. Il n’existait ni législation ni réglementation indiquant les types de régimes applicables et précisant qui pouvait les appliquer, dans quelles circonstances et pour quelle durée. Le protocole régissant les mesures visant à protéger les patients, applicable dans tous les établissements ou services psychiatriques, date de 2011, et il n’a pas été transposé dans les règlements au niveau de chaque hôpital comme cela aurait dû être le cas. Ce protocole est manifestement insuffisant au regard des normes internationales définies par le CPT. Ainsi, il n’existait et il n’existe toujours pas de cadre légal clair en ce qui concerne l’obligation incombant à l’État de protéger la vie des malades mentaux hospitalisés avec leur consentement dans des établissements publics tels que le HSC. Autrement dit, en 2000, le HSC se trouvait dans un vide juridique.

14. Ayant ignoré les faits tels qu’ils se présentaient sur le terrain, la majorité excuse l’État défendeur en avançant deux arguments : elle affirme que l’approche adoptée par le HSC en ce qui concerne l’absence de clôtures et de murs d’enceinte était conforme aux dispositions de la loi sur la santé mentale qui était alors en vigueur et cadrait selon elle avec les standards internationaux. Ceci est tout simplement inexact. Comme je l’ai démontré plus haut, les normes internationales définies par l’instance compétente, le CPT, n’étaient pas dûment respectées avant 2011, et même alors ne l’étaient que partiellement. Ainsi, on ne peut affirmer que « le cadre réglementaire prévoyait clairement les moyens thérapeutiques nécessaires pour que le HSC pût répondre aux besoins d’A.J. sur les plans médical et psychiatrique »[21], sans se méprendre gravement sur le sens du message réitéré adressé au Portugal par le CPT. De plus, l’argument selon lequel la loi sur la santé mentale prévoyait la possibilité d’une hospitalisation d’office et couvrait par conséquent les besoins médicaux et psychiatriques éventuels d’A.J. ne répond pas à la thèse de la requérante. Celle-ci n’a jamais avancé que son fils aurait dû être enfermé. Elle a affirmé en revanche que celui-ci n’avait pas besoin d’une forme de surveillance stricte mais d’un régime de soins spécifique et personnel assorti de mesures de contention, propre à couvrir adéquatement ses besoins sur le plan médical et celui de sa sécurité[22].

15. Sur la question cruciale de l’absence totale, en 2000, de lignes directrices sur l’utilisation des moyens de contention applicables aux malades mentaux hospitalisés avec leur consentement, et dont le gouvernement a discrètement minimisé l’importance jusqu’à ce qu’elle soit expressément posée lors de l’audience devant la Grande Chambre, la réponse de la majorité est étonnante : elle ne perçoit pas là de « déficience » de nature à donner lieu à une violation de l’article 2, car cette insuffisance n’a, à ses yeux, de pertinence qu’aux fins de l’évaluation de la qualité de la loi sous l’angle de l’article 5 de la Convention. Selon ce point de vue, l’absence d’une politique écrite sur l’utilisation de moyens de contention pourrait emporter violation de l’article 5, mais ne permet pas de conclure à une violation de l’article 2, même lorsque l’absence de réglementation précise et prévisible sur le recours aux moyens de contention met en danger la vie de malades mentaux hospitalisés se trouvant sous le contrôle de l’État. Cet argument mène à la conclusion illogique que le droit le plus important (garanti par l’article 2) mérite moins de protection que le droit le moins important (consacré par l’article 5).

16. Mais la partie la plus stupéfiante de l’arrêt est encore ailleurs. Au paragraphe 120, la soi-disant « procédure de surveillance en vigueur » est en fait une création ab ovo de la majorité. Il n’y avait pas de règles régissant une telle « procédure de surveillance ». Il n’existait d’ailleurs pas de telle « procédure de surveillance », sans parler d’un « régime plus restrictif » ou d’une procédure pour « les situations d’urgence », pour la bonne raison que chaque décision prise par le personnel médical et infirmier l’était sur une base ad hoc, comme le CPT l’a confirmé lors de sa visite sur le terrain récemment encore, en 2012[23]. Le paragraphe 120 de l’arrêt, tout comme les éléments qui le sous-tendent dans la partie consacrée aux faits (paragraphe 54), décrit avec imagination une réalité virtuelle. De même, il est exagéré d’affirmer, comme la majorité le fait au paragraphe 49 de l’arrêt, que le guide d’information à l’intention des patients « précisait les règles qui régissaient leur hospitalisation ». En réalité, le document contient uniquement « des informations utiles pour que les patients se sentent bien dans cet hôpital » (informações úteis para que se sinta bem neste Hospital), c’est-à-dire une série d’informations pratiques à l’intention des patients, dépourvue du moindre caractère normatif[24]. Si la majorité a bien entendu le droit d’avoir sa propre opinion sur les faits, elle ne peut se prévaloir de ses « propres faits ».

17. Il est vrai que, dans le dossier, le personnel médical et le Gouvernement font référence à un « régime ouvert » et à un « régime fermé » mais l’obligation de l’État d’appliquer l’un de ces régimes n’était énoncée nulle part dans la loi ou dans la réglementation administrative. La meilleure preuve du caractère confus de la situation s’illustre dans la façon contradictoire dont le Gouvernement lui-même fait référence au « régime fermé » (regime fechado). Le Gouvernement a d’abord affirmé que le régime fermé aurait pu être appliqué à A.J., mais ne l’avait pas été parce qu’il n’était pas « adéquat »[25]. Il a ensuite avancé que le régime fermé ne s’appliquait qu’aux patients hospitalisés d’office[26], mais il a également admis qu’en avril 2000, A.J., qui avait consenti à son hospitalisation, avait été « confiné dans le pavillon où il séjournait, vêtu d’un pyjama et d’une robe de chambre » (confinado ao respetivo pavilhao, permanecendo vestido com pajama e roupao) et que ce n’est qu’au cours des deuxième et troisième semaines d’avril qu’il avait été autorisé à quitter le pavillon[27].

18. L’intention a priori de la majorité est claire et a été inscrite dans le marbre au paragraphe 122 de l’arrêt : agissant comme une juridiction de première instance, la majorité juge qu’il n’y a pas de lien de causalité entre « une quelconque déficience alléguée de la procédure d’urgence et le décès d’A.J. » avant même d’avoir abordé la question de l’examen in concreto de l’existence d’un risque « réel et immédiat »[28] pour la vie du fils de la requérante et de la nécessité de prendre des mesures opérationnelles préventives adéquates. L’arrêt aurait pu s’arrêter là. Mais la majorité a imposé à la requérante la douleur d’avoir à prendre connaissance de la deuxième partie du volet matériel de la partie « En droit » de l’arrêt (paragraphes 124-132) et d’y lire que la première tentative de suicide manquée de son fils et sa crise d’intoxication alcoolique aigüe la veille de sa seconde tentative de suicide – réussie cette fois – n’était pas suffisamment graves pour mériter toute l’attention de l’État portugais et que, par conséquent, la majorité pouvait se laver les mains de cette affaire.

L’obligation de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique

19. La majorité propose d’examiner l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique à la lumière du critère défini dans l’arrêt Osman[29]. Selon ce critère, l’extrême vulnérabilité de la victime doit être prise en considération[30]. Le critère Osman a été appliqué pour la première fois à un cas de suicide dans l’affaire Keenan c. Royaume-Uni[31]. Dans une affaire ultérieure, où un grief défendable de violation de l’article 2 avait été soulevé dans le contexte du suicide d’un patient hospitalisé avec son consentement dans un établissement psychiatrique, la Cour a conclu à la violation de l’article 13 combiné avec l’article 2 à raison de l’absence de recours civil pour faire établir une responsabilité et obtenir réparation[32]. La présente espèce est la première affaire dans laquelle la Cour a établi l’obligation positive incombant à l’État en vertu de l’article 2 de prendre des mesures d’ordre pratique en ce qui concerne les malades mentaux hospitalisés avec leur consentement et susceptibles d’attenter à leurs jours.

20. La majorité non seulement affirme l’existence de cette obligation positive mais la précise dans le cas d’une hospitalisation non consentie, indiquant que la Cour « peut (...) appliquer un critère de contrôle plus strict » relativement à l’obligation de prendre des mesures raisonnables pour empêcher une personne de se suicider[33]. Cela bien sûr implique, à l’inverse, que la Cour adoptera une approche non interventionniste dans le cas de patients en danger hospitalisés avec leur consentement. Je ne vois pas la raison de nature à motiver cette différence de traitement et la majorité ne fait pas même l’effort d’en fournir une. La Grande Chambre aurait dû la justifier, ne serait-ce que parce qu’elle contredit la décision unanime de la chambre. Celle-ci avait adopté le point de vue opposé, à savoir que les patients hospitalisés avec et sans leur consentement devaient être traités de la même façon,

« que l’hospitalisation ait été consentie ou non, et dans la mesure où le patient admis avec son consentement est sous la responsabilité et la surveillance de l’hôpital, les obligations de l’État doivent être les mêmes. Affirmer le contraire reviendrait à priver les patients hospitalisés avec leur consentement de la protection de l’article 2 de la Convention ».[34]

21. L’argument selon lequel il se dessine une tendance vers le traitement des personnes atteintes de troubles mentaux dans un régime « ouvert » n’est pas décisif[35]. Premièrement, il ne reflète qu’un des points de vue sur cette question car il existe aussi une tendance contraire en faveur d’un renforcement des obligations de l’État en matière de prévention du suicide, et dont la majorité fait totalement abstraction, comme je vais le démontrer ci-après[36]. Le fond du problème aujourd’hui réside précisément dans l’articulation de ces deux tendances divergentes du droit et de la pratique internationaux dans le domaine de la santé, que la majorité ne tente même pas de prendre en compte.

Qui plus est, comme la juge Iulia Antoanella Motoc l’a dit dans son opinion dissidente dans l’affaire Hiller, « l’obligation de protéger le droit à la vie ne doit pas être sacrifiée dans un effort de se conformer à la tendance récente en matière de santé mentionnée plus haut »[37]. Le droit à la vie prime sur le droit à la liberté, en particulier lorsque l’état psychopathologique de la personne concernée limite sa capacité d’autodétermination. Il est tout à fait hypocrite d’avancer que l’État devrait laisser aux patients suicidaires vulnérables hospitalisés dans des hôpitaux psychiatriques publics la liberté de mettre fin à leurs jours simplement afin de respecter leur droit à la liberté. Au bout du compte, ce qui guide réellement la majorité, ce n’est pas le point de savoir s’il convient d’accorder plus ou moins de liberté aux malades mentaux admis dans les hôpitaux publics mais l’intérêt purement financier qu’il y a à prémunir les responsables de ces établissements contre des recours judiciaires contestant des « mesures excessivement restrictives »[38], sans « perdr[e] de vue les choix opérationnels à faire en termes de priorités et de ressources dans la fourniture des soins de santé publique et d’autres services publics »[39]. Enfin, cela reflète une politique cachée de désengagement de l’État dans le domaine de la protection sociale visant la marchandisation maximale des services de santé et avant tout la protection des professionnels de santé derrière un écran juridique inviolable, soustrayant ainsi l’État à sa responsabilité en vertu de la Convention en cas de décès ou de blessures graves survenues dans le cadre du système de santé ou en milieu hospitalier et limitant par conséquent la compétence de la Cour dans ce domaine. Autrement dit, le présent arrêt s’inscrit dans le droit fil idéologique de l’arrêt Lopes de Sousa Fernandes[40].

22. Comme la majorité le reconnaît elle-même, A.J. était une personne particulièrement vulnérable[41]. Plusieurs éléments indicateurs de son extrême vulnérabilité renforçaient à l’évidence le caractère imminent et prévisible du suicide, comme, en premier lieu, le fait qu’il avait récemment tenté de se donner la mort. Dès le 1er septembre 1999, une note portée dans son « dossier médical »[42] indiquait une « probabilité d’atteinte à son intégrité physique et psychologique en raison de la privation d’alcool ». Comme le procureur général adjoint près la Cour suprême l’a dit dans son opinion, « [l]e dossier médical à lui seul mentionnait déjà des tentatives de suicide, dont l’une avait eu lieu vingt-cinq jours plus tôt. La répétition d’un tel geste était donc prévisible. »[43]

Le 1er avril 2000, A.J. a fait une tentative de suicide[44]. L’inscription suivante a été portée dans son dossier médical ce jour-là après cette tentative : il « a le sentiment que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue, se sent marginalisé et impuissant à concrétiser le moindre objectif dans la vie, et préfère donc mourir, projet qu’il a tenté de concrétiser »[45]. Il formulait clairement le fait qu’il « préférait mourir », parce qu’il se sentait « marginalisé et impuissant » (marginalisado e sem poder). De fait, A.J. avait exprimé plusieurs fois un sentiment de profond désespoir, en particulier après avoir perdu la possibilité d’obtenir un emploi de conducteur poids lourd, ce qui l’avait conduit à la tentative de suicide[46].

Dans l’arrêt Renolde c. France, l’intervalle entre les deux tentatives de suicide – la première, manquée et la seconde, réussie – était de 18 jours[47]. Dans le cas d’A.J., cet intervalle était de 26 jours, avec un épisode grave d’auto-agression entre-temps, deux jours avant le suicide. Eu égard au raisonnement suivi dans l’arrêt Renolde, à savoir que le risque était réel et que l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique s’imposait indépendamment du fait que « [l’]état de Joselito Renolde était variable et le risque d’une nouvelle tentative de suicide plus ou moins immédiat »[48], je me demande pourquoi cela n’a pas été le cas en ce qui concerne le risque auquel A.J. était exposé.

23. Deuxièmement, A.J. était schizophrène et souffrait de « dépression grave »[49]. Cela a été établi par les juridictions internes. Ce diagnostic de schizophrénie a été formulé pour la première fois dès le 6 septembre 1999, soit bien avant la première tentative de suicide[50]. Dans l’arrêt De Donder et De Clippel c. Belgique[51], la Cour a considéré que la schizophrénie paranoïde était associée à un risque de suicide élevé et prévisible. Dans cette affaire, la Cour a conclu à la violation de l’article 2 sans même qu’il y ait eu de tentative de suicide antérieure, considérant que « [c]ertes l’immédiateté d’un tel risque était difficile à percevoir, mais ce critère (...) ne saurait entrer péremptoirement en jeu en matière de suicide »[52]. Là encore, je ne comprends pas pourquoi le critère de l’immédiateté du risque n’était pas décisif dans l’affaire belge, mais a été strictement observé dans la présente espèce portugaise[53], où le patient cumulait les deux facteurs de risque élevés retenus dans Renolde et dans De Donder et De Clippel.

Ce qui précède suffirait à soulever la question légitime de savoir si la Cour n’opère pas une distinction entre des patients de première et des patients de seconde classe, dans la mesure où rien ne justifie cette différence de traitement entre A.J. et les patients belges et français. La question n’est certainement pas rhétorique et elle s’impose d’autant plus au vu des arguments ci-après montrant qu’A.J. a subi un préjudice qui n’a jamais été réparé.

24. Troisièmement, les juridictions internes ont conclu que le suicide n’était pas prévisible car la maladie d’A.J. n’avait jamais été convenablement diagnostiquée. Autrement dit, l’absence en temps opportun d’un diagnostic adéquat posé par l’État sert à excuser celui-ci de ne pas avoir prévu le risque de suicide. C’est le type même du raisonnement circulaire, où l’État se sert de sa propre omission fautive pour s’exonérer du tort qui en est résulté. La justification stupéfiante donnée par le psychiatre d’A.J. (le docteur A.A.) était qu’il ne suivait pas ce patient depuis suffisamment longtemps pour être en mesure de poser un diagnostic plus précis de son état mental[54], bien qu’il fût son psychiatre depuis décembre 1999, soit quatre mois avant le suicide. Le plus affligeant, c’est que l’État a bien fait ce diagnostic, mais seulement après le décès d’A.J.[55] Le diagnostic selon lequel A.J. présentait un trouble de la personnalité limite ne fut posé qu’après son suicide ![56] Selon les termes du médecin expert désigné par le tribunal, « A.J. était un individu querelleur et facilement irritable (...) agressif envers sa famille (sa mère et sa sœur), qui s’énervait sans raison, même sans être sous l’influence de l’alcool (...) Il dirige parfois cette agressivité contre lui-même – son dossier médical fait état de tentatives de suicide répétées (...) »[57].

25. Quatrièmement, A.J. avait de nombreux antécédents d’alcoolisme et d’abus de médicaments. Il s’est suicidé le 27 avril 2000. Le 25 avril 2000, deux jours avant son suicide, il avait eu un « épisode délibéré d’auto‑agression » typique par voie d’intoxication alcoolique[58]. Par la suite, aucun médecin n’a évalué les conséquences de cet incident au regard de la nécessité de renforcer la surveillance d’A.J. On l’a laissé persister dans son désespoir, livré à son « agressivité », qu’il « dirige[ait] parfois contre lui‑même » pour employer les termes de l’expert désigné par le tribunal.

26. Cinquièmement, A.J. était un homme jeune et, selon l’OMS « le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes à l’échelle mondiale (...) En outre, les jeunes et les personnes âgées font partie des classes d’âge les plus sujettes à l’idéation suicidaire et aux actes autodestructeurs[59] ».

27. Enfin, et surtout, le HSC lui-même avait évalué le risque d’A.J. comme étant de niveau « GD 3 », soit « degré de dépendance 3 » (Grau de Dependência 3)[60]. Le degré de dépendance 3 « correspond aux patients nécessitant une assistance totale ou intensive dans les phases aiguës ou les situations d’urgence[61] ». Le degré de dépendance 1 « correspond au patient autonome ». Le degré de dépendance 2 « correspond au patient ayant besoin d’une assistance partielle ». Le dossier médical ne mentionne pas le degré de dépendance du patient pour la période comprise entre le 25 avril 2000 et la date du suicide. Cela signifie que le HSC n’a pas évalué le risque pendant une période de deux jours au moins avant le suicide d’A.J.[62].

Mesures mises en place aux fins de la prévention du suicide des patients qui sont internés avec leur consentement en hôpital psychiatrique

28. Compte tenu de ce qui précède, A.J. présentait un risque prévisible et imminent de suicide et le HSC ainsi que les autres autorités hospitalières le savaient. Mais même si tel n’avait pas été le cas, on aurait tout de même pu s’attendre à ce que certaines précautions élémentaires fussent prises. La majorité ne se penche pas sur cette question, mais la jurisprudence impose bien pareil fardeau à l’État dans le but de réduire autant que possible tout risque potentiel de tentative de comportement auto-agressif ou de suicide, même quand il n’est pas établi que l’État savait ou aurait dû savoir qu’il existait un tel risque[63].

Bien que la majorité n’estime pas nécessaire de suivre ce raisonnement[64], je pense avoir l’obligation déontologique de le faire, au nom à la fois de la cohérence de la jurisprudence et de l’exhaustivité de l’analyse juridique de l’affaire. Dès lors, il convient de répondre à la question de savoir si les mesures opérationnelles mises en place étaient suffisantes, et la réponse est résolument non, absolument pas, pour les sept raisons que je vais exposer ci-après.

29. En premier lieu, il n’existait pas, et il n’existe toujours pas, de cadre réglementaire adéquat concernant l’obligation incombant à l’État de protéger la vie des malades mentaux qui sont traités de leur plein gré dans les hôpitaux publics au Portugal. Aucune limite légale ne vient encadrer la réflexion du médecin qui doit décider s’il doit ou non soumettre un patient présentant des troubles psychiatriques à un régime ouvert ou fermé ou le placer dans une chambre d’isolement. Or, cette affaire aurait précisément dû avoir pour valeur ajoutée de conduire l’État à combler cette lacune et à fournir aux médecins une base légale pour leur activité.

30. En deuxième lieu, il n’existait pas, et il n’existe toujours pas, de moyens administratifs adéquats permettant de renforcer la surveillance des patients hospitalisés présentant un risque suicidaire. La définition des modalités de cette surveillance relève de la marge d’appréciation de l’État, mais pour ce faire, l’État devrait prendre en considération, entre autres, les normes internationales établies par l’OMS. Selon ces normes, une vigilance accrue s’impose à l’égard des patients présentant un risque suicidaire, qui peut par exemple être assurée grâce à un système de vidéosurveillance, au port consenti par la personne concernée d’un dispositif électronique ou à tout autre moyen permis par les technologies de l’information[65]. La télésurveillance aide à détecter d’éventuelles carences dans les soins et produit un effet dissuasif à cet égard ; elle permet aussi de contrôler la qualité des soins. Elle crée un environnement accueillant dans lequel les personnes ont la certitude qu’elles seront soignées correctement. Il est possible de réserver l’utilisation de la télésurveillance aux parties communes des établissements quitte, si nécessaire, à l’introduire dans les chambres et dans les locaux privés fréquentés par les usagers. Cette dernière solution nécessite le consentement de l’usager. Les hôpitaux recourent à du matériel de surveillance visible mais aussi caché. Une surveillance adéquate des patients permet de réagir promptement en cas de crise, ce qui détermine leurs chances de survie[66]. Dès lors, les normes de l’OMS n’imposent pas la construction de murs et certainement pas l’instauration d’un régime quasi pénitentiaire pour les personnes se trouvant dans la situation d’A.J.[67].

31. Dans le cas particulier de l’hôpital Sobral Cid, les personnes internées peuvent entrer et sortir sans être contrôlées. Il en va de même des personnes extérieures, qui peuvent entrer dans le périmètre de l’hôpital et même dans les pavillons à leur guise. En 2000, il y avait un seul garde pour tout le bâtiment, qui était posté à l’entrée des véhicules. Il n’y avait ni psychologue ni service d’urgence permanent. Lorsqu’une situation d’urgence se présentait, le médecin d’astreinte était contacté par téléphone et décidait à distance si le patient devait être transporté à l’hôpital central de Coimbra. Au fil des ans, plusieurs incidents graves, voire mortels, ont été causés par des patients qui avaient réussi à sortir de l’enceinte du HSC[68].

32. A.J. a été placé dans le pavillon 8, lequel comportait une chambre d’isolement. Le pavillon 8 accueillait des personnes qui avaient été internées avec ou sans leur consentement[69]. Le 25 avril 2000, après l’épisode d’intoxication alcoolique, A.J. a été hospitalisé en régime ouvert, comme il ressort de la note indiquant qu’il « s’était promené aux alentours du pavillon »[70].

33. En troisième lieu, la gravité de l’abus d’alcool du 25 avril n’a pas été évaluée par un médecin, alors qu’A.J. présentait un état de « déséquilibre, une résistance à l’internement, une mauvaise coordination fonctionnelle et de l’agitation »[71]. La justification avancée pour cette omission par le docteur ER était « qu’il avait supposé qu’A.J. allait bien puisque le personnel infirmier n’avait pas sollicité d’avis médical le concernant » après l’incident du 25/26 avril[72]. Étonnamment, le médecin d’astreinte n’a pas pris la peine de voir un patient suicidaire qui venait juste de traverser un épisode alcoolique grave parce que les infirmiers ne lui avaient pas demandé de le faire, comme si les infirmiers étaient censés assumer la responsabilité qui lui revenait.

34. Entre le 25 avril et le moment du suicide, aucun docteur n’a apprécié la nécessité de soumettre A.J. à un régime restrictif, bien que celui-ci eût déjà été soumis à plusieurs reprises au « régime fermé » et même placé en chambre d’isolement (ainsi, le 12 décembre 1999, il a été « placé en chambre d’isolement » parce qu’il était « agité et [avait] des difficultés à se calmer » ; le 15 décembre 1999, on lui a ordonné « de ne pas quitter le pavillon » ; le 16 décembre 1999, on lui a ordonné « de ne pas quitter le service » ; le 22 décembre 1999, il se plaignait toujours de vouloir quitter le pavillon)[73]. Ce n’est que le 13 avril qu’il a été vu par son médecin et « que sa thérapie a été changée », mais rien dans le dossier n’indique la nature de la nouvelle thérapie[74].

35. En quatrième lieu, à la date de son suicide et la veille, on observe un intervalle de seize heures sans supervision, puisque rien n’est inscrit dans le dossier médical pour la période comprise entre 16 heures le 26 avril et 8 heures le 27 avril. De plus, les dernières notes figurant dans le dossier médical d’A.J., indiquant que celui-ci était « calme et coopératif au début de la période » (27 avril, période de 14 heures à 19 heures) ont été ajoutées par la même personne, à 20 heures, alors que la nouvelle de son suicide était déjà connue[75] !

36. Pire encore, on observe un intervalle de plus de vingt-quatre heures sans prise de médicaments avant le suicide d’A.J., puisque sa dernière prise de médicaments remonte au 26 avril pendant la période de minuit à 8 heures (plus précisément à 00 h 39, lorsqu’il a été vu à l’hôpital général de Coimbra et à 2 heures, lorsqu’il a été admis au HSC). Cela signifie qu’il ne lui a pas été administré de médicament entre le 26 avril à 2 heures du matin et le moment de son suicide, le 27 avril à 17 h 37. Les examens toxicologiques post mortem effectués sur la dépouille d’A.J. ont révélé que celui-ci ne s’est pas trouvé pas sous l’effet de médicaments à ce moment-là. Le rapport d’expertise lui-même indique que « [s]on dossier médical ne contient pas de référence précise à l’état psychopathologique dans lequel il se trouvait le 26 avril 2000 » ; il ajoute : « nous ne pouvons pas répondre de manière plus détaillée car nous n’avons pas eu accès aux documents décrivant les circonstances du suicide »[76]. Il importe également de noter qu’A.J. avait tenté de se suicider le 1er avril 2000 en ingérant une quantité excessive de médicaments et d’alcool. L’incident d’intoxication alcoolique du 25 avril a suivi le même schéma de consommation excessive d’alcool, mais cette fois-ci sans ingestion de médicaments. Malgré tout cela, A.J. a été laissé seul, abandonné à sa grave maladie mentale. À cet égard, il y a lieu de noter que dans l’arrêt Renolde c. France, le fait que l’on ne se fût pas assuré que M. Renolde prenait tous les jours ses médicaments a compté parmi les facteurs qui ont étayé le constat de violation de l’article 2. Pourquoi le même critère n’a-t-il pas été appliqué au patient portugais ?

37. En cinquième lieu, le Gouvernement fait référence à un « programme thérapeutique défini pour chaque patient »[77]. Absolument rien dans le dossier dont dispose la Cour ne prouve l’existence d’un tel « programme thérapeutique ». La majorité ne va pas jusqu’à se ranger aux côtés du Gouvernement sur ce point aussi. Pas plus qu’elle ne partage l’avis du gouvernement défendeur selon lequel la requérante aurait dû demander l’internement forcé de son fils si elle était tellement convaincue qu’il était en danger. Un argument qui rejette la faute sur la requérante est irrecevable et ne fait qu’ajouter l’insulte au préjudice.

38. En sixième lieu, lorsque l’on compare les conditions régnant au sein du HSC et avec celles observées dans d’autres établissements psychiatriques, il importe de noter que des établissements comparables au Portugal se sont dotés soit de clôtures soit de systèmes de télésurveillance[78]. Il est également possible de trouver des établissements psychiatriques qui proposent des programmes thérapeutiques personnalisés en bonne et due forme[79].

39. Enfin, en septième lieu, l’argument du Gouvernement selon lequel l’arrêt de la chambre l’aurait placé face à un dilemme juridique en lui imposant des obligations internationales contradictoires découlant d’une part de l’article 2 de la CEDH (installer des clôtures autour des hôpitaux ou restreindre la liberté des patients) et, d’autre part, de l’article 14 de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (« la CDPH ») (ni clôturer ni restreindre la liberté de circulation des patients), en particulier dans l’interprétation qu’en donne le Comité des droits des personnes handicapées (« le CDPH »), est donc erroné.

40. Le paysage juridique international est extrêmement troublé, témoignant de l’âpreté des débats en cours sur la question[80]. Le Comité des droits de l’homme ne partage pas le point de vue du CDPH puisqu’il reconnaît que l’hospitalisation sans consentement puisse être justifiée[81]. De même, le Sous-Comité pour la prévention de la torture[82] a exprimé l’opinion selon laquelle la privation de liberté pouvait se justifier s’il existait un risque de comportement auto-agressif ou d’atteinte à autrui. Malgré les exhortations du Centre for Human Rights of Users and Survivors of Psychiatry[83], la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes n’a pas traité la question des interventions psychiatriques forcées et de l’hospitalisation sans consentement[84].

41. Les Principes des Nations Unies pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale (1991) énoncent les circonstances dans lesquelles une personne peut être admise sans son consentement dans un service de santé mentale. Pourtant, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a considéré que ces principes entraient directement en contradiction avec l’article 14 § 1b) de la CDPH et a soutenu une interdiction absolue de la privation de liberté motivée par un handicap[85]. Il a formulé l’affirmation suivante :

« Le paragraphe 1 b) de l’article 14 de la Convention est sans équivoque à cet égard : « (...) en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté ». Lors de l’élaboration de la Convention, les propositions qui visaient à limiter l’interdiction de la privation de liberté aux cas où cette dernière était « exclusivement » motivée par l’existence d’un handicap ont été rejetées. Par conséquent, il y a internement illégal quand la privation de liberté est fondée sur la combinaison entre un handicap mental ou intellectuel et d’autres éléments comme le risque de dommage pour l’intéressé ou pour autrui ou la nécessité de soins et de traitement. Comme les mesures en question sont en partie justifiées par le handicap de l’intéressé, elles sont jugées discriminatoires et incompatibles avec l’interdiction de la privation de liberté en raison du handicap et avec le droit à la liberté, sur la base de l’égalité avec les autres, consacrés par l’article 14[86]. »

42. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint a critiqué l’Ouvrage de référence de l’OMS sur la santé mentale, les droits de l’homme et la législation de 2005, parce qu’il autorisait certaines exceptions qui « normalisaient la coercition », mais a dans ses rapports au Conseil des droits de l’homme des Nations unies exprimé prudemment son opinion s’agissant de l’interdiction absolue de toutes les formes de mesures non consenties, reconnaissant « qu’il sera long et difficile de mettre un frein à ces mesures et, à terme, de les éliminer ».[87]

43. Dans la sphère du Conseil de l’Europe, la Recommandation Rec(2004)10 du Comité des Ministres aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux autorise l’internement sans leur consentement de ces personnes sur le fondement de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 1 e) de la Convention[88]. Pourtant, la recommandation de l’APCE intitulée Arguments contre un instrument juridique du Conseil de l’Europe sur les mesures involontaires en psychiatrie[89] s’aligne sur la CDPH. La Réponse du Comité des Ministres[90] choisit au contraire de maintenir sa position de 2004.

44. Une chose est certaine : la pratique des hôpitaux psychiatriques portugais consistant à soumettre les malades mentaux qui sont hospitalisés avec leur consentement à un « régime restrictif » dans un pavillon fermé, voire en chambre d’isolement, ne reposait pas en 2000, et ne repose toujours pas aujourd’hui, sur une base légale spécifique qui définirait les types de régimes pouvant être appliqués, dans quelles circonstances, par qui et jusqu’à quand et qui les soumettrait à un critère de proportionnalité et de nécessité. De plus, selon le Comité des droits des personnes handicapées (« le CDPH »), dans sa version actuelle, la loi no 36/98 du 24 juillet 1998 est incompatible avec la CDPH, puisqu’elle autorise, en dehors de toute procédure pénale, l’internement sans consentement de personnes atteintes de troubles mentaux qui n’ont pas commis d’infraction.[91]

45. Le problème de la compatibilité, ou du défaut de compatibilité, entre le droit national et la Convention des Nations unies susmentionnée telle qu’interprétée par le CRPD, à savoir l’interdiction absolue de la détention sans consentement fondée sur un handicap[92], dépasse largement les limites de cette affaire. La majorité n’analyse pas cette question juridique, supposant purement et simplement que l’approche adoptée par le droit national « cadrait avec les standards internationaux (...) »[93]

46. Pour conclure sur ce point, le dilemme mentionné par le Gouvernement constitue aussi un faux argument parce qu’il existait et il existe toujours des moyens de surveiller les malades mentaux à risque hospitalisés sans pour cela avoir à ériger de clôtures tout autour du HSC. Le Gouvernement choisit un mode binaire de type soit/soit pour l’examen des mesures auxquelles il était possible de recourir : soit une absence totale de surveillance soit une clôture tout autour du HSC. Non seulement cette approche oublie l’existence de solutions moins intrusives, mais elle ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu, à savoir le respect de la liberté d’un malade mental hospitalisé et présentant un risque suicidaire, d’une part, et l’obligation qui incombe à l’État de protéger la vie dudit patient, d’autre part.

La qualité de la procédure interne

47. La qualité de la procédure interne n’a pas été à la hauteur des standards de la Cour, pour diverses raisons. En premier lieu, pas une seule juridiction interne n’a fait référence à la Convention, laquelle a été totalement ignorée. Ni le tribunal de première instance ni la Cour administrative suprême n’ont à aucun moment pris en compte la Convention ou la jurisprudence de la Cour. Aucune des juridictions internes n’a appliqué de critère de proportionnalité ou de nécessité concernant l’étendue de l’obligation incombant à l’État de protéger les patients atteints de troubles psychiatriques.

48. Dans son recours devant la Cour administrative suprême, la requérante a bel et bien mentionné l’utilisation de techniques de télésurveillance[94]. L’argument qu’elle a exposé concernant la possibilité de mettre en œuvre ces techniques n’a reçu aucune réponse. Pourtant, tant le juge dissident de la Cour administrative suprême que le procureur général adjoint ont avancé que le HSC n’avait pas mis en place de régime visant à renforcer la surveillance d’A.J.[95] ni d’autres mesures suffisantes pour prévenir ou atténuer le risque de suicide[96].

49. En deuxième lieu, la juridiction interne a considéré comme établi qu’A.J. avait quitté le bâtiment à 17 heures, malgré l’existence de témoignages contradictoires sur une éventuelle absence d’A.J. dès l’heure du déjeuner le 27 avril. En effet, le témoin S. P. a dit qu’A.J. n’avait pas été présent à l’heure du déjeuner tandis que le témoin A. D. a déclaré le contraire. Pour finir, le premier a modifié son témoignage, avec beaucoup de réticences (« bien que je sois convaincue qu’A.J. n’était pas là, je n’en suis pas sûre »)[97]. Le tribunal de première instance a accepté ce revirement sans vérifier davantage la fiabilité des dires du témoin.

50. En troisième lieu, la juridiction interne n’a pas admis dans sa décision préliminaire sur les faits qu’il y avait eu d’autres tentatives de suicide, alors même que deux témoins (la mère et la sœur du défunt) en avaient mentionné d’autres[98]. La juridiction interne n’a donné aucune explication pour le fait que le dossier médical contenait une note écrite faisant référence à de « multiples » tentatives de suicide ; elle n’a pas interrogé la personne qui avait porté cette mention dans le dossier médical afin de savoir pourquoi et sur quelle base elle avait agi ainsi.

51. En quatrième lieu, la requérante a soulevé la question du caractère éventuellement incomplet du dossier médical devant la juridiction interne, mais celle-ci n’a pas estimé que cette question était pertinente parce qu’elle n’avait pas été soulevée sous la forme d’une plainte officielle pour falsification du dossier[99]. La juridiction interne avait le pouvoir de vérifier si le dossier médical était complet et elle n’en a pas fait usage, pour une raison de forme. En fait, la juridiction interne n’a même pas analysé le dossier médical puisqu’elle ignorait complètement l’existence des notes d’évaluation des risques qu’il contenait.

52. En cinquième lieu, le tribunal de première instance a invoqué les normes de la psychiatrie moderne, mais uniquement en faveur de l’État et au détriment de la requérante. Il s’est livré à une description très inégalitaire et déséquilibrée de l’état de l’art s’agissant des normes de la psychiatrie moderne. Cette juridiction interne a tout simplement ignoré les normes définies par l’OMS à l’intention des États et des praticiens dans le domaine de la prévention du suicide, particulièrement dans les hôpitaux et dans les établissements de santé. Notre Cour n’aurait pas dû commettre la même erreur, et c’est pourtant ce qu’elle a fait. La Cour ne peut pas d’un côté prendre en considération les normes établies par l’OMS concernant la désinstitutionalisation des malades mentaux et d’un autre côté ignorer les normes de cette même OMS concernant la responsabilité de l’État pour la prévention du suicide, en particulier dans les établissements psychiatriques.

53. Le tribunal de première instance a opté pour une approche radicale, minimaliste et non interventionniste concernant l’obligation qui incombe à l’État de protéger la vie des patients dans les établissements psychiatriques publics et n’a pas suivi l’approche équilibrée préconisée par l’OMS. En fait, le tribunal de première instance s’est rangé à l’avis radical exprimé dans le rapport d’expertise du 27 septembre 2006 qui lui avait été soumis[100]. Ce rapport d’expertise faisait même l’éloge de la possibilité de se suicider ! Il se terminait sur une apologie du suicide, qu’il présentait comme un acte de « liberté et de libération ». Après avoir déclaré que la « prévention du suicide chez ces patients [était] une tâche impossible », l’expert ajoutait :

« Pour beaucoup d’individus suicidaires, ce moment (du suicide) est un moment unique de liberté et de libération. Comment peut-on l’empêcher en termes absolus ? En réalité, qui veut renoncer à cette possibilité ? Il existe beaucoup de personnes qui sont lucides et heureuses aujourd’hui et qui ne voudraient pas renoncer à pareille possibilité (de se suicider).[101] »

Tout en concluant également à « l’impossibilité » de prévenir le suicide chez un patient tel qu’A.J.[102], la Grande Chambre a copié-collé ce même rapport qui avait fait l’apologie du suicide. Ce même rapport qui avait noté : « nous ne pouvons pas répondre de manière plus détaillée car nous n’avons pas eu accès aux documents décrivant les circonstances du suicide ». Je regrette qu’une fois encore, la conscience de l’Europe se soit ralliée à cette culture de la mort, allant jusqu’à suggérer que le droit de « prendre rationnellement la décision de mettre fin à ses jours » relevait de l’article 2[103].

54. La Cour administrative suprême n’a pas remédié aux insuffisances du tribunal de première instance. En fait, elle ne s’est même pas intéressée aux normes de la psychiatrie moderne. La partie de son arrêt consacrée à « l’analyse des motifs d’appel » est plutôt succincte – elle ne compte que trois pages – et se contente d’estampiller le jugement rendu en première instance, en recourant à de longues citations extraites de ce jugement qui n’apportent aucune valeur ajoutée[104]. Elle ne dit pas un seul mot du critère de proportionnalité ou de nécessité, contrairement à ce qu’imposent le droit constitutionnel interne, au regard des articles 18 et 24 de la Constitution, ainsi que le droit de la Convention, au regard de l’article 2, paragraphe 2, de la Convention.

55. Autrement dit, la qualité de la procédure interne laisse beaucoup à désirer. La violation de l’article 2 sous son volet procédural va bien au-delà de la critique très limitée que formule la majorité[105].

Conclusion

56. En résumé, dans cette affaire, la Cour envoie une fois de plus un message décevant en ce qui concerne les obligations qui incombent à l’État de fournir des soins de santé à une catégorie de personnes vulnérables telles que les patients hospitalisés en établissement psychiatrique. Se fondant sur une mauvaise appréciation du contexte juridique et factuel dans lequel s’inscrit l’affaire ainsi que sur une lecture erronée de la propre jurisprudence de la Cour, la majorité applique à l’affaire de l’infortuné A.J. un traitement différent de celui qu’elle avait retenu pour les affaires Renolde et De Donder et De Clippel, donnant fortement l’impression qu’il y a deux poids et deux mesures. Pire encore, la partialité adoptée à l’égard du droit et de la pratique internationaux dans le domaine de la santé est patente, dans la mesure où la majorité prend en considération la tendance qui est favorable à la liberté des patients atteints de troubles mentaux mais où elle oublie de tenir compte des voix contraires, qui légitiment une implication accrue de l’État dans la prévention du suicide, en particulier à l’égard des personnes qui sont placées sous son contrôle, et plus encore à l’égard des patients qui sont internés en établissement psychiatrique.

Dans le contexte politique actuel en Europe, cet arrêt ne surprendra peut‑être personne. Je nourris l’espoir qu’il soit un jour infirmé, lorsque les vents politiques auront tourné. Je crains toutefois qu’en attendant, de nombreux malades mentaux présentant un risque suicidaire ne meurent alors que leur décès aurait pu être évité, comme dans le cas d’A.J.

* * *

[1]. Paragraphe 130 de l’arrêt.

[2]. Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, 19 décembre 2017.

[3]. Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 49, CEDH 2002‑I.

[4]. Lopes de Sousa Fernandes, précité.

[5]. Paragraphes 106 et 107 de l’arrêt.

[6]. Ibidem.

[7]. Portugal: Visit 1999, CPT/Inf (2001) 12 / Section: 38/47 / Date: 20/12/1999, C. Sobral Cid Psychiatric Hospital / 5. Means of restraint. Cette visite incluait la « clinique psychiatrique générale pour hommes » où A.J. avait été hospitalisé à plusieurs reprises (paragraphes 17 et 79 de l’arrêt).

[8]. Portugal : visite 2003, CPT/Inf (2007) 13 / Section : 37/47 / Date : 30/07/2004, C. Structures psychiatriques pénitentiaires / 6. Moyens de contention et recours à l’isolement.

[9]. Portugal: Visit 2008, CPT/Inf (2009) 13 / Section: 36/44 / Date: 24/07/2008, C. Psychiatric institutions / 4. Means of restraint.

[10]. Orientação da Direção-Geral da Saúde número 021/2011, data 06/06/2011 « Prevenção de comportamentos dos doentes que põem causa a sua segurança ou da sua envolvente - Contenção de Doentes ».

[11]. Protocole relatif à l’utilisation de la contention mécanique, ministère de la Santé, mai 2007 (Circulaire normative no 08/DSPSM/DSPCS), voir la note 59 du rapport CPT/Inf (2009) 13.

[12]. Portugal: Visit 2012, CPT/Inf (2013) 4 / Section: 38/45 / Date: 25/07/2012, C. Psychiatric institutions for forensic patients / 6. Seclusion and means of restraint / a. policy on the use of means of restraint.

[13]. Rapport du CPT sur sa visite au HSC en 2012, paragraphe 107.

[14]. Rapport du CPT sur sa visite au HSC en 2012, paragraphe 123.

[15]. Le CPT a formulé des observations similaires sur ce sujet à l’issue de ses visites au Portugal en 1999, 2000 et 2008, voir le rapport CPT/Inf (2009)13, paragraphe 129.

[16]. Portugal: Visit 2012, CPT/Inf (2013) 4 / Section: 39/45 / Date: 25/07/2012, C. Psychiatric institutions for forensic patients / 6. Seclusion and means of restraint / b. forensic departments of Sobral Cid and Lisbon Central Psychiatric Hospitals.

[17]. Portugal: Visit 2012, CPT/Inf (2013) 4 / Section: 39/45 / Date: 25/07/2012, C. Psychiatric institutions for forensic patients / 7. Safeguards / b) safeguards during placement.

[18]. Paragraphes 78 et 79 de l’arrêt.

[19]. [http://www.sns.gov.pt](http://www.sns.gov.pt)

[20]. [www.dgs.pt](http://www.dgs.pt)

[21]. Paragraphe 117 de l’arrêt.

[22]. Paragraphe 88 de l’arrêt.

[23]. Voir ci-dessus le paragraphe 112 du rapport du CPT de 2012.

[24]. Je cite le document lui-même, qui figure à la page 35 des observations du Gouvernement devant la Grande Chambre.

[25]. Paragraphe 104 des observations du Gouvernement devant la chambre.

[26]. Paragraphe 130 des observations du Gouvernement devant la Grande Chambre.

[27]. Paragraphes 21 et 85 des observations du Gouvernement devant la Grande Chambre.

[28]. Paragraphe 131 de l’arrêt.

[29]. Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII. Je me suis exprimé en faveur d’une réforme du critère Osman (Valiulienė c. Lituanie, no 33234/07, 26 mars 2013, et Lopes de Sousa Fernandes, précité, § 63). En l’espèce, je n’entrerai pas dans ce débat par souci de simplification.

[30]. Van Colle c. Royaume-Uni, no 7678/09, § 91, 13 novembre 2012.

[31]. Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, CEDH 2001‑III.

[32]. Reynolds c. Royaume-Uni, no 2694/08, 13 mars 2012.

[33]. Paragraphe 124 de l’arrêt.

[34]. Fernandes de Oliveira c. Portugal, no 78103/14, § 73, 28 mars 2017. Le degré de respect pour cette décision ressort également du fait que la majorité ne la mentionne même pas dans le passage où elle aborde ce point, au paragraphe 124 du présent arrêt.

[35]. Voir la littérature scientifique sur les nouvelles théories en matière de santé mentale, Davidson, « An international comparison of legal frameworks for supported and substitute decision-making in mental health services » (2016) 44 International Journal of Law and Psychiatry, 30-40 ; Richardson, « Mental Disabilities and the Law: From Substitute to Supported Decision Making? » (2012) Current Legal Problems, 1-22 ; Richardson « Mental Capacity at the Margin: The Interface between Two Acts » (2010) 18 Medical Law Review 56-77 ; Donnelly, « Healthcare Decision-Making and the Law ». Cambridge : Cambridge University Press, 2010 ; McSherry et Weller (eds) « Rethinking Rights-Based Mental Health Laws », Oxford : Hart Publishing, 2010 ; Nuffield Council on Bioethics, « Dementia: Ethical Issues », London : Nuffield Council on Bioethics, 2009 ; Maclean, « Autonomy, Informed Consent and Medical Law: A Relational Challenge », Cambridge : Cambridge University Press, 2008 ; Fistein, et al., « A Comparison of Mental Health Legislation from Diverse Commonwealth Jurisdictions » (2000) 32 International Journal of Law and Psychiatry, 147-155 ; et Mackenzie et Stoljar (eds), « Relational Autonomy: Feminist Perspectives on Autonomy, Agency and the Social Self », New York : Oxford University Press, 2000.

[36]. Les normes auxquelles je fais référence ont été définies dans les documents suivants : « Practice manual for establishing and maintaining surveillance systems for suicide attempts and self-harm », Organisation mondiale de la santé, Genève, 2016 ; « Prévention du suicide : l’état d’urgence mondial », Organisation mondiale de la santé, Genève, 2014 ; « Plan d’action pour la santé mentale 2013-2020 », Organisation mondiale de la santé, Genève, 2013 ; « La prévention du suicide, indications pour les médecins généralistes », Organisation mondiale de la santé, 2000 (contenant des indications précises sur la prise en charge des patients) ; « La prévention du suicide, indications pour professions de santé primaires », Organisation mondiale de la santé, 2000 (où figurent des éléments précis sur la manière d’approcher les personnes suicidaires) ; « Primary prevention of mental, neurological and psychosocial disorders » (Prévention primaire des troubles mentaux, neurologiques et psychosociaux), chapitre 4 consacré au suicide, Organisation mondiale de la santé, 1998 ; et « Prevention of suicide: guidelines for the formulation and implementation of national strategies », Organisation des Nations unies, New York, 1996.

[37]. Opinion dissidente de la juge Iulia Antoanella Motoc dans Hiller c. Autriche, no 1967/14, 22 novembre 2016.

[38]. Paragraphe 121 de l’arrêt.

[39]. Paragraphe 125 de l’arrêt.

[40]. Voir mon opinion séparée dans Lopes de Sousa Fernandes, précité, §§ 64, 73 et 74.

[41]. Paragraphe 124 de l’arrêt ; voir aussi l’arrêt Renolde c. France, no 5608/05, § 84, CEDH 2008 (extraits), dans lequel la Cour considère les personnes atteintes de maladie mentale comme particulièrement vulnérables.

[42]. Il est tout à fait abusif de qualifier de « dossier médical » la liasse de documents non classés, incomplets, confus et parfois illisibles que le Gouvernement a mis à la disposition de la Cour mais j’utiliserai cette expression par commodité de référence. L’aspect chaotique du « dossier » reflète bien la qualité des soins prodigués à A.J.

[43]. Paragraphe 43 de l’arrêt.

[44]. Selon l’OMS, [traduction du greffe] « [o]n estime que, pour chaque suicide, il y a vraisemblablement eu plus de 20 tentatives. L’existence d’une ou de plusieurs tentatives de suicide ou d’actes d’auto-agression est le principal élément prédictif d’une mort par suicide. (...) On compare souvent la connaissance que l’on a de ces cas à un iceberg, dont seule la partie émergée est visible (cas de suicides, de tentatives de suicide et d’auto-agression se présentant dans les hôpitaux et cas de tentatives de suicide et d’auto-agression survenant dans les services de soins primaires) tandis que la majorité des tentatives de suicide reste « cachée » sous la surface et ne parvient pas à la connaissance des services de santé » (Practice manual for establishing and maintaining surveillance systems for suicide attempts and self-harm, Genève : Organisation mondiale de la santé, 2016, p. 6).

[45]. Voir la note du 1er avril 2000 dans le dossier médical.

[46]. Selon l’OMS, les « facteurs de risque individuels » sont les suivants : « antécédents de tentatives de suicide, troubles mentaux, usage nocif de l’alcool, perte d’emploi ou financière, désespoir, douleur chronique, antécédents familiaux de suicide, facteurs génétiques et biologiques (...) Le désespoir, en tant qu’aspect cognitif du fonctionnement psychologique, est souvent utilisé comme un indicateur du risque de suicide lorsqu’il est associé à des troubles mentaux ou des antécédents de tentative de suicide (113). L’avenir, la perte de motivation et les attentes d’une personne sont les trois principales facettes sur lesquelles porte le désespoir. Souvent, ce dernier est détecté par la présence de pensées telles que « les choses n’iront jamais mieux » et « ma situation ne s’améliore pas » et s’accompagne, dans la plupart des cas, d’une dépression (114) ». (Prévention du suicide : l’état d’urgence mondiale. Genève : Organisation mondiale de la santé, 2014, p. 31 et 40).

[47]. Renolde, précité, § 86.

[48]. Renolde, précité, § 89 : « ce risque était réel et (...) Joselito Renolde avait besoin d’une surveillance étroite pour parer à une aggravation subite ». Voir également Keenan, précité, § 96 : « Ce risque était toutefois plus ou moins immédiat. À certaines périodes, Mark Keenan avait un comportement apparemment normal ou était au moins en mesure de faire face au stress de sa situation. On ne saurait conclure qu’il courait un risque immédiat tout au long de sa détention. Cependant, son état étant variable, il avait besoin d’une surveillance étroite pour parer à une aggravation subite ».

[49]. Pas seulement de « dépression », comme il est dit de façon édulcorée au paragraphe 127 de l’arrêt, mais de « dépression grave ». Voir le rapport de l’expert établi dans le cadre de la procédure devant le tribunal administratif, cité au paragraphe 33 de l’arrêt.

[50]. Voir le rapport de l’expert établi dans le cadre de la procédure interne devant le tribunal administratif, cité au paragraphe 33 de l’arrêt. Selon l’OMS, « on constate chez les personnes souffrant de troubles mentaux des taux d’incapacité et de mortalité plus élevée que la moyenne. Par exemple, les personnes atteintes de dépression majeure et de schizophrénie ont 40 à 60 % plus de risques que la population générale de mourir prématurément, du fait de problèmes de santé physique qui, souvent, ne sont pas soignés (cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète ou encore infection à VIH) et par suicide » (Plan d’action pour la santé mentale 2013–2020. Genève : Organisation mondiale de la santé, 2013, paragraphe 11).

[51]. De Donder et de Clippel c. Belgique, no 8595/06, 6 décembre 2011.

[52]. Ibidem, § 76.

[53]. La majorité ne précise même pas l’intervalle de temps considéré pour l’évaluation du risque : s’agit-il des « derniers jours de sa vie » (paragraphe 128), des « jours précédents » (ibidem), ou des « jours ayant immédiatement précédé son suicide » (paragraphe 129) ? Quel est l’intervalle de temps exact pertinent pour cet examen ?

[54]. Voir le témoignage du docteur A.A. versé au dossier.

[55]. Paragraphe 33 de l’arrêt.

[56]. Paragraphes 11 et 40 de l’arrêt.

[57]. Voir le rapport du médecin expert devant le tribunal daté du 27 septembre 2006 joint au dossier.

[58]. Selon l’OMS, « [traduction du greffe] sur la base de cette définition, les critères d’inclusion sont les suivants (c’est-à-dire que les cas suivants sont considérés comme des cas d’auto-agression et de tentative de suicide intentionnels) : toutes les méthodes d’auto-agression intentionnelle (selon la codification ICD-10, Tableau 3.1) (par exemple : abus d’alcool, abus de stupéfiants, ingestion de pesticides, lacérations, tentative de noyade, tentative de pendaison, blessure par arme à feu) où l’acte d’auto-agression est de toute évidence intentionnel » (Practice manual for establishing and maintaining surveillance systems for suicide attempts and self-harm, Genève : Organisation mondiale de la santé, 2016, p. 33) ; voir également « Programme d’action Combler les lacunes en santé mentale (mhGAP) : élargir l’accès aux soins pour lutter contre les troubles mentaux, neurologiques et liés à l’utilisation de substances psychoactives », Genève : Organisation mondiale de la santé, 2008, p. 31 : « Le suicide est la troisième cause de décès dans le monde chez les personnes âgées de 15 à 34 ans, et la 13e cause de décès pour toutes les classes d’âge confondues. Environ 875 000 personnes se suicident chaque année. Des taux élevés de suicide sont associés à des troubles mentaux comme la dépression et la schizophrénie (...) et la dépendance à l’alcool et aux drogues ». Voir aussi National Confidential Inquiry into Suicide and Homicide by People with Mental Illness (NCISH), Safer Care for Patients with Personality Disorder, Manchester : University of Manchester, 2018 : [traduction du greffe] « la majorité des patients qui ont mis fin à leurs jours avaient des antécédents d’auto‑agression (146, 95 %). Le dernier épisode d’auto-agression avait précédé la mort d’une semaine, ou moins, dans 20 cas (16 %), et de trois mois ou moins dans 81 des cas (70 %). Des incidents répétés d’auto-agression étaient fréquents dans l’année qui avait précédé le suicide (77,66 %). Dans la plupart des cas, les éléments déclencheurs étaient connus des services (106, 98 %) : intoxication alcoolique, (...). Lors de la dernière prise en charge, une évaluation du risque de suicide, d’auto-agression ou de violence avait été effectuée dans 121 cas (88 %), le risque avait été formulé dans 91 cas (71 %) et un plan de gestion du risque avait été établi dans 85 cas (69 %) ».

[59]. Plan d’action pour la santé mentale 2013-2020, Organisation mondiale de la santé, Genève, 2013, paragraphes 11 et 75. Voir aussi Prévention du suicide : l’état d’urgence mondial, Organisation mondiale de la santé, Genève, 2014, p. 11 : « Les jeunes figurent parmi les plus touchés et le suicide est désormais la deuxième cause de mortalité chez les 15-29 ans à l’échelle mondiale ».

Selon le document Guidelines for Suicide Prevention publié par l’International Association for Suicide Prevention (IASP) : [traduction du greffe] « Il existe également certains groupes de personnes particulièrement exposées à un risque de comportement suicidaire. C’est notamment le cas des personnes ayant des antécédents de tentative de suicide, des personnes ayant une dépendance à l’alcool et à d’autres substances, des hommes jeunes (...) De nombreuses études montrent que les personnes qui ont déjà fait une tentative de suicide sont bien plus susceptibles d’attenter à leurs jours dans le futur que d’autres groupes. (...) Il est reconnu depuis longtemps que la dépendance à l’alcool et à d’autres substances est associée à un risque de suicide accru ».

[60]. Paragraphe 13 de l’arrêt.

[61]. Voir, par exemple, les notes du 11 janvier 1993 et du 2 février 1993 figurant dans le dossier. Bien qu’elle ait conscience de ce fait (se reporter au paragraphe 13 de l’arrêt), la majorité ne se soucie pas de prendre en compte cette information dans son appréciation du fait qu’« A.J. présentait depuis longtemps des troubles mentaux » (paragraphe 130 de l’arrêt).

[62]. La majorité admet qu’on ne trouve aucune mention concernant l’évaluation du risque lors du « dernier » séjour d’A.J. en 2000 (paragraphe 13 de l’arrêt).

[63]. Eremiášová et Pechová c. République tchèque, no 23944/04, § 110, 16 février 2012, rappelé dans l’arrêt Keller c. Russie, no 26824/04, § 88, 17 octobre 2013.

[64]. Le paragraphe 132 de l’arrêt évite la deuxième partie du critère Osman, mais en réalité, dans les paragraphes précédents, la majorité a déjà admis le caractère approprié des mesures prises par les autorités nationales (voir, par exemple, le paragraphe 130 de l’arrêt).

[65]. Voir Practice manual for establishing and maintaining surveillance systems for suicide attempts and self-harm, Genève : Organisation mondiale de la santé, 2016, page 6 : « La vigilance et le suivi renforcés pour les tentatives de suicide et les conduites auto-agressives forment un élément central du modèle de prévention du suicide en santé publique. (…) Cependant, l’intention de mourir peut se révéler plus difficile à établir (et donc à consigner) puisqu’il arrive que, dans certains cas, même la personne concernée ne soit pas sûre de ses intentions. C’est la raison pour laquelle un système de vigilance destiné aux hôpitaux représentera inévitablement des cas de conduite auto-agressive intentionnelle correspondant à différents niveaux d’intention suicidaire et à diverses motivations sous-jacentes, et pas uniquement des tentatives de suicide caractérisées par des degrés élevés d’intention suicidaire. » Selon le Guide d’intervention mhGAP pour la prise en charge des troubles mentaux, neurologiques et liés à l’utilisation de substances psychoactives dans les structures de soins non spécialisées - version 2.0, Organisation mondiale de la santé, 2016, page 136 : pour tous les cas de conduites auto-agressives graves sur le plan médical ou de risque imminent de conduites auto-agressives / suicide, il est préconisé de « placer la personne en sécurité dans un environnement apportant un soutien au sein d’un centre de santé [et de] NE PAS laisser la personne seule. »

[66]. Dans les Normes révisées du CPT de mars 2017, le CPT accepte le recours à la vidéosurveillance comme moyen de contention dans les établissements psychiatriques pour adultes, mais il ajoute : « À l’évidence, la vidéosurveillance ne saurait remplacer une telle présence continue du personnel. » (CPT/Inf (2017)6). Par ailleurs, la commission sur la qualité des soins (Care Quality Commission) est l’autorité indépendante du secteur de la santé en Angleterre : elle réglemente les services de santé dans le pays et produit à l’intention des prestataires de services de santé et du public des recommandations relatives à l’utilisation de la surveillance dans des environnements tels que les maisons de santé et les hôpitaux. Voir « Using surveillance. Information for providers of health and social care on using surveillance to monitor services », décembre 2014 (actualisé avec la nouvelle réglementation en juin 2015) : « Dans certaines circonstances, il serait possible d’utiliser les systèmes de surveillance à des fins relevant de la définition de la « privation de liberté » – ce serait par exemple le cas du recours à des systèmes de télévision en circuit fermé ou à des dispositifs d’identification par radiofréquence visant à localiser un individu dans le but de l’empêcher de quitter l’établissement. Si la finalité identifiée ou l’utilisation du système de surveillance peuvent potentiellement entraîner une restriction ou une privation de liberté, il convient tout particulièrement de veiller à consulter les individus et à tenir compte des recommandations pertinentes. Cet impératif vient s’ajouter aux considérations usuelles qui s’imposent dans le recours à la surveillance. »

[67]. Au sujet de la prévention du suicide et des mesures de contention, y compris l’isolement et la vidéosurveillance des patients, voir Dasic et al, « Improving patient safety in hospitals through usage of cloud supported video surveillance » (2017) 5 (2), Macedonian Journal of Medical Sciences 101 : « On se préoccupe de plus en plus de la sécurité des patients et il est possible de l’améliorer grâce à des systèmes de surveillance centralisée sophistiqués qui permettent au personnel de se concentrer davantage sur le traitement médical au lieu de rester à l’affût d’un incident potentiel. » ; Stolovy et al., « Video surveillance in mental health facilities: is it ethical? » (2015) 17, Israel Medical Association Journal, 274-276 : « Le personnel comme les patients réagissent favorablement à la surveillance, et aucune plainte concernant l’utilisation des caméras n’a été formulée depuis leur installation. De plus, la surveillance n’a pas suscité de symptômes paranoïdes ; bien au contraire, les patients perçoivent la surveillance comme une protection (…) » ; Carroll et al., « Hospital management of self-harm patients and risk of repetition: systematic review and meta-analysis » (2014), Journal of Affective Disorders 476–483 ; Richardson, « Mental capacity in the shadow of suicide: What can the law do? » (2013), 9 International Journal of Law in Context, 87–105 ; Frank, « Videoüberwachung in der Psychiatrie - Pro, kontra, Video surveillance in psychiatric hospitals-pro & contra » (2013), 40 Psychiatrische Praxis, 117-119 : « de nombreux arguments militent contre l’interdiction (de la télésurveillance dans les hôpitaux psychiatriques) et rares sont les arguments qui s’opposent à la possibilité d’y recourir » ; Salzmann et al., « Panoptic power and mental health nursing-space and surveillance in relation to staff, patients, and neutral spaces » (2012) 33(8) ; Issues in Mental Health Nursing, 500-504 : « la majorité des espaces dans les services de santé mentale servent de champs de visibilité à l’intérieur desquels le patient est constamment sous surveillance. » ; Mullender, « Involuntary Medical Treatment, Incapacity and Respect » (2011), 127 Law Quarterly Review, 167–171 ; David et al., « Mentally Disordered or Lacking Capacity? Lessons for Management of Serious Deliberate Self Harm » (2010), British Medical Journal 341 : c4489 ; Desai, « The new stars of CCTV: what is the purpose of monitoring patients in communal areas of psychiatric hospital wards, bedrooms and seclusion rooms? » (2009), 6 Diversity and Equality in Health Care, 45-53 : « Le recours aux caméras de télévision en circuit fermé non seulement a permis de mieux détecter les facteurs de risque dans le cadre de la prise en charge des patients au sein d’un service, mais a également produit des bandes vidéo qui se révèlent utiles pour la formation. Ainsi, Chambers et Gillard (2005) ont observé que le fait de conserver des images vidéo des incidents offrait la possibilité de procéder à une évaluation a posteriori pouvant servir à la formation, surtout au repérage des comportements ayant précédé des épisodes violents, et à la prévention du suicide. Le personnel considère que les images enregistrées relatent les incidents de manière plus précise et donc objective » ; Appelbaum, « Commentary: the use of restraint and seclusion in correctional mental health » (2007), 35 (4) Journal of the American Academy of Psychiatry Law, 431-435 ; Kennedy, Electronic surveillance in hospitals: A review (2006), Edith Cowan University, Perth : « Les bienfaits de la surveillance électronique pour la santé du patient sont multiples, mais il est vital que ses conséquences pour la vie privée des patients ne soient pas occultées par la volonté de garantir la sécurité de toute la communauté » ; Smith et al., « Pennsylvania State Hospital system’s seclusion and restraint reduction program » (2005), 56 (9) Psychiatric Service, 1115-1122 ; Paris, « Is hospitalization useful for suicidal patients with borderline personality disorder? » Journal of Personality Disorders, 240-247 ; voir également les lignes directrices du National Institute for Care and Excellence ainsi que les ouvrages consacrés au recours à la contention sur les personnes atteintes de troubles de la santé mentale dans les établissements de santé et les foyers d’accueil, à consulter à l’adresse https://www.nice.org.uk/.

[68]. Paragraphe 55 de l’arrêt. Il est assez révélateur que cette information n’ait même pas été prise en compte par la majorité dans son appréciation de l’obligation de prendre des mesures opérationnelles préventives.

[69]. Voir le rapport d’inspection produit par le tribunal de première instance.

[70]. Voir les observations consignées le 27 avril dans son dossier médical, période de 8 heures à 16 heures.

[71]. Voir les observations consignées le 26 avril dans son dossier médical, période de minuit à 8 heures.

[72]. Voir le témoignage du docteur ER annexé au dossier, et le paragraphe 23 de l’arrêt.

[73]. Voir les observations portées ces jours-là dans son dossier médical.

[74]. Voir les observations portées ce jour-là dans son dossier médical.

[75]. En fait, la même personne a également noté que l’on soupçonnait qu’il se fût suicidé et la famille était venue récupérer les effets personnels d’A.J.

[76]. Voir le rapport d’expertise du 27 septembre 2006, dont établissement avait été ordonné par le tribunal de première instance (paragraphe 33 de l’arrêt), ainsi que l’interview donnée par la sœur d’A.J. au journal O Publico le 29 mars 2017.

[77]. Paragraphe 94 de l’arrêt.

[78]. Voir les références dans les rapports susmentionnés du CPT relatifs au Portugal.

[79]. Ibidem.

[80]. À propos de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées et de l’interprétation qu’en donne le CDPH, voir Loza et Omar, « The rights of persons with mental disabilities: is the UN Convention the answer? An Arab perspective » (2017), 14 (3) The British Journal of Psychiatry International, 53-55 : « L’observation générale relative à l’article 12 interprète d’importantes dispositions concernant les droits de l’homme selon une perspective étroite, prend ses distances avec le savoir médical et aliène des familles dans de nombreuses cultures. » ; Freeman et al., « Reversing hard won victories in the name of human rights: a critique of the General Comment on Article 12 of the UN Convention on the Rights of Persons with Disabilities » (2015), Lancet Psychiatry, 844-850 : « Nous soutenons que, dans les cas où une vie pourrait être sauvée du suicide, le Comité a tort d’affirmer qu’un traitement sans consentement ne devrait jamais être autorisé. (…) En cas de conflit entre différents droits, le droit à la vie devrait supplanter les autres droits. » « Que faire si la personne entend des voix qui lui disent d’avoir un comportement auto-agressif ou de faire du mal à autrui ? (…) nous ne pouvons pas admettre que l’abolition totale de la pratique de l’hospitalisation ou du traitement sans consentement puisse promouvoir les droits des personnes atteintes de maladie mentale. » ; Szumkler et al., « Mental health law and the UN Convention on the rights of persons with disabilities » (2014), 37 International Journal of Law and Psychiatry, 245–252 : « très rares sont ceux qui soutiendraient l’idée que l’État n’a jamais, pas même en dernier ressort, le devoir de protéger ceux qui sont manifestement incapables de prendre pour eux-mêmes des décisions de traitement cruciales. » ; Bartlett, « The United Nations on the Rights of Persons with Disabilities and Mental Health law » (2012). 75 (5) The Modern Law Review, 752-778 ; Fennell et Khaliq, « Conflicting or Complementary Obligations? The UN Disability Rights Convention and the European Convention on Human Rights and English law » (2011), European Human Rights Law Review, 662–674 ; Weller « The Convention on the Rights of Persons with Disabilities and the Social Model of Health: New Perspectives » (2011), Journal of Mental Health Law, 74–83 ; Lush, « Article 12 of the United Nations Convention on the Rights of Persons with Disability » (2011), Elder Law Journal, 61–68 ; Minkowitz « Abolishing Mental Health Laws to Comply with the Convention on the Rights of Persons with Disabilities », in McSherry et Weller (eds), Rethinking Rights-Based Mental Health Laws, Oxford : Hart Publishing, 2010, 151–178 ; Bach et Kerzner (2010), « A New Paradigm for Protecting Autonomy and the Right to Legal Capacity », Canada : Law Commission of Ontario ; Hale, Mental Health Law, Londres : Sweet and Maxwell, 2010 ; Lewis, « The Expressive, Educational and Proactive Roles of Human Rights: An Analysis of the United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities » in McSherry et Weller (eds), Rethinking Rights-Based Mental Health Laws, Oxford : Hart Publishing, 2010, 97–128 ; Bartlett, « The United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities and the Future of Mental Health Law » (2009), 18 Psychiatry, 496–498 ; Bartlett et al., « Mental Disability and the European Convention on Human Rights », Leiden : Martinus Nijhof, (2007) ; Lawson, « The United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities: New Era or False Dawn? », (2007), 34 (2) Syracuse Journal of International Law, 563–619 ; Hale, « The Human Rights Act and Mental Health Law: Has it Helped? » (2007), Journal of Mental Health Law, 7–18 ; Dhanda, « Legal Capacity in the Disability Rights Convention: Stranglehold of the Past or Lodestar for the Future? » (2006), 34 Syracuse Journal of International Law and Commerce, 429–462 ; et Richardson, « The European Convention and Mental Health Law in England and Wales: Moving Beyond Process » (2005), 28 International Journal of Law and Psychiatry, 127–139.

[81]. Observation générale no 35 sur l’article 9 du PIDCP, CCPR/C/GC/35, 16 décembre 2014.

[82]. Position du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur les droits des personnes placées en institution et faisant l’objet d’un traitement médical sans avoir donné leur consentement éclairé, CAT/OP/27/2, 26 janvier 2016.

[83]. Comments on the draft update of CEDAW General Recommendation no 19: Forced psychiatric interventions as violence against women with disabilities, 26 septembre 2016.

[84]. Recommandation générale no 35 du Comité CEDAW sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, actualisant la Recommandation générale no 19, CEDAW/C/GC/35, 26 juillet 2017.

[85]. Haut-Commissaire aux droits de l’homme, « Forgotten Europeans, forgotten rights, the human rights of persons placed in institutions », 2011, 12-13 ; Déclaration du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur l’article 14 de la CDPH, septembre 2014.

[86]. Rapport annuel du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme à l’Assemblée générale, A/HRC/10/48, 26 janvier 2009, paragraphes 48-49.

[87]. A/HRC/29/33, 2 avril 2015, et A/HRC/35/21, 28 mars 2017.

[88]. Paragraphe 75 de l’arrêt.

[89]. Recommandation APCE 2091 (2016), 22 avril 2016, que la majorité n’a pas prise en considération.

[90]. Réponse du Comité des Ministres à la Recommandation (2091 (2016)), adoptée le 9 novembre 2016.

[91]. Voir les Observations finales du CPDH concernant le rapport initial du Portugal, du 30 mai 2016, paragraphe 33 b) : le Comité demande à l’État partie de « retirer (…) les dispositions de la législation relative à la santé mentale qui autorisent la privation de liberté fondée sur le handicap ».

[92]. A/HRC/34/32, paragraphes 29-33.

[93]. Paragraphe 117 de l’arrêt.

[94]. Page 8 de l’arrêt de la Cour administrative suprême.

[95]. Page 4 de l’opinion du procureur général adjoint.

[96]. Le Gouvernement lui-même a, dans ses observations devant la chambre et la Grande Chambre (paragraphe 125 des observations du Gouvernement devant la chambre et point 17 de sa conclusion, et aussi paragraphe 94 des observations du Gouvernement devant la Grande Chambre), fait référence à l’utilisation des techniques de télésurveillance. Dans son recours devant la Cour administrative suprême, l’appelante avait également soulevé la question de l’absence de dispositifs de contention ou de mesures de vigilance particuliers après l’épisode de la consommation excessive d’alcool et demandé que ce fait fût ajouté aux faits établis. La Cour administrative suprême avait considéré qu’« il n’exist[ait] pas de raisons de l’ajouter à la base factuelle », pour un motif très formaliste, à savoir qu’il n’avait pas été soulevé correctement (voir l’arrêt de la Cour administrative suprême, point 2.2 (iii), page 18).

[97]. Page 7 de la première décision sur les faits, du 7 janvier 2010.

[98]. Page 5 de la première décision sur les faits, du 7 janvier 2010.

[99]. Page 10 de la première décision sur les faits, du 7 janvier 2010.

[100]. Paragraphe 33 de l’arrêt.

[101]. Le rapport d’expertise est cité au paragraphe 33 de l’arrêt, mais la majorité de la Grande chambre n’a pas jugé nécessaire d’inclure ces phrases dans ledit paragraphe.

[102]. Paragraphe 131 de l’arrêt.

[103]. Paragraphe 124 de l’arrêt. Cette culture a trouvé son apothéose dans l’arrêt Gross c. Suisse, no 67810/10, § 60, 14 mai 2013, qui a fait suite à l’arrêt Haas c. Suisse, no 31322/07, § 51, CEDH 2011. Dans la mesure où l’arrêt Gross n’est pas passé en force de chose jugée et où la Grande Chambre a déclaré, le 30 septembre 2014, que la requête était abusive, les conclusions de la chambre sont devenues invalides.

[104]. Voir du bas de la page 22 à la page 24 de l’arrêt tel que traduit en anglais dans le dossier.

[105]. Paragraphe 139 de l’arrêt.


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