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06/07/2023 | CEDH | N°001-225669

CEDH | CEDH, B.M. ET AUTRES c. FRANCE, 2023, 001-225669


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE B.M. ET AUTRES c. FRANCE

(Requêtes nos 84187/17 et 5 autres)

ARRET

Art 3 (matériel) • Traitement dégradant • Mauvaises conditions de détention

Art 13 (+ Art 3) • Absence de recours effectif préventif

STRASBOURG

6 juillet 2023

DÉFINITIF

06/10/2023

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire B.M. et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cin

quième section), siégeant en une chambre composée de :

Lado Chanturia, président,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
María Elósegui,
Mattia...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE B.M. ET AUTRES c. FRANCE

(Requêtes nos 84187/17 et 5 autres)

ARRET

Art 3 (matériel) • Traitement dégradant • Mauvaises conditions de détention

Art 13 (+ Art 3) • Absence de recours effectif préventif

STRASBOURG

6 juillet 2023

DÉFINITIF

06/10/2023

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.
Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire B.M. et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Lado Chanturia, président,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

les requêtes (nos 84187/17 et cinq requêtes) dirigées contre la République française et dont cinq ressortissants de cet État et un ressortissant surinamais (« les requérants », voir Annexe I) ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs concernant les conditions de détention et l’existence d’un recours préventif effectif pour y remédier ainsi que, sauf, pour la requête no 29241/18, celui tiré de la pratique des fouilles à l’issue des parloirs, et de déclarer irrecevables les requêtes pour le surplus,

la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérants,

les déclarations formelles d’acceptation de règlements amiables de trois affaires (requêtes nos 84187/17, 7153/18 et 27525/18) pour autant qu’elles portent sur les griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention relatifs aux conditions de détention et à l’existence d’un recours effectif à cet égard,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juin 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les requêtes concernent, au regard des articles 3 et 13 de la Convention, les conditions de détention des requérants à la maison d’arrêt (MA) de Fresnes et l’existence d’un recours effectif pour y mettre fin, ainsi que, pour cinq des six requérants, la pratique de fouilles intégrales à l’issue des parloirs.

EN FAIT

2. Les requérants furent détenus à la MA de Fresnes entre 2016 et 2019 : B.M. du 11 mars 2016 au 19 novembre 2018, K.G. du 29 juin 2016 au 2 mai 2019, A.M. du 1er décembre 2017 au 31 août 2018, O.S. du 20 octobre 2017 au 6 mai 2019, G.K. du 5 décembre 2016 au 10 juin 2018 et T.A. du 5 décembre 2017 au 30 mars 2019. Ils sont représentés par les avocats désignés dans l’Annexe I précitée.

3. Le Gouvernement est représenté par son agent, M. D. Colas, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

1. Les conditions de détention à la maison d’arrêt de Fresnes
1. La situation générale de la maison d’arrêt de Fresnes

4. La situation générale de la maison d’arrêt telle qu’elle se présentait à la date des faits litigieux est décrite dans l’arrêt J.M.B. et autres c. France (nos 9671/15 et 31 autres, §§ 104 à 109, 30 janvier 2020). Au 1er janvier 2019, le taux de surpopulation était de 197%.

5. La visite de la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en octobre 2016 avait donné lieu à des recommandations en urgence publiées au Journal Officiel le 14 décembre 2016. Cette visite avait conduit aux constats d’un nombre important de dysfonctionnements graves et de conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention, la surpopulation, cumulée à l’état des locaux et au manque d’effectifs, ne permettant pas une prise en charge des droits fondamentaux des personnes détenues.

2. Les règlements amiables dans les requêtes nos 84187/17, 7153/18 et 27525/18

6. À la suite de la communication des requêtes, la Cour a reçu les déclarations de règlement amiable dans les requêtes nos 84187/17, 7153/18 et 27525/18, signées par les parties, en vertu desquelles les requérants acceptaient de renoncer à toute autre prétention à l’encontre de la France à propos des faits à l’origine des griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention relatifs aux conditions de détention et à l’absence de recours effectif susceptible d’y mettre fin, le Gouvernement s’étant engagé à leur verser les sommes reproduites dans le tableau joint en annexe. Il est prévu que ces sommes seront versées dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification de la décision de la Cour. Si elles n’étaient pas versées dans ce délai, le Gouvernement s’engage à les majorer, à compter de l’expiration du délai et jusqu’au règlement, d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Le paiement vaudra règlement définitif de cette partie des requêtes (voir le tableau joint en Annexe II).

2. Les FOUILLEs À la Maison d’arrÊt de Fresnes
1. La version des requérants

7. Les formulaires de requête présentés devant la Cour reprennent les informations figurant dans les questionnaires transmis aux requérants par l’Observatoire internationale des prisons (OIP) et qu’ils ont remplis entre septembre 2017 et mars 2018. À l’exception de T.A. (requête no 29241/18), qui ne présente pas de grief à cet égard, les requérants soutiennent tous avoir systématiquement subi des fouilles intégrales à l’issue de chaque visite reçue au parloir. À la question de savoir s’ils avaient connaissance d’une note de service qui aurait été adoptée en décembre 2016 en vue de mettre un terme au caractère systématique de ces fouilles, ils répondent unanimement par la négative. Ils précisent également être dans l’impossibilité de rapporter la preuve de telles fouilles dans la mesure où aucune décision à cet égard ne leur aurait été notifiée, conformément, selon eux, à la note du ministre de la Justice du 15 novembre 2013 relative aux moyens de contrôle des personnes détenues (BOMJ no 2013-12 du 31 décembre 2013) selon laquelle « la décision de fouille n’implique pas l’organisation d’une procédure contradictoire (...) [et] n’a pas à être notifiée à la personne détenue mais doit être archivée afin d’en assurer la traçabilité ».

8. À la question finale du questionnaire précité relative aux points sur lesquels il souhaite insister, B.M. répond : « oui, que à chaque parloir on est fouillé à poil ».

9. Pour sa part, K.G. souligne qu’il devait enlever ses sous‑vêtements à l’issue de la plupart des parloirs, en l’absence d’intimité, et il rapporte des demandes de postures dégradantes.

10. Dans ses observations, A.M. produit une attestation dans laquelle il indique qu’il a subi une fouille après chaque visite de sa mère et en décrit les modalités dégradantes.

11. O.S. produit une attestation dans laquelle il explique que les fouilles se déroulaient au vu des autres surveillants et détenus, qu’il se déshabillait entièrement, qu’il devait se pencher, s’accroupir plusieurs fois et qu’il s’agissait d’un « calvaire incessant ».

12. Les cinq requérants soulignent que leurs affirmations sont corroborées par les rapports et décisions suivants.

13. Premièrement, par trois ordonnances rendues entre 2012 et 2013, le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Melun, saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA (paragraphe 32 ci-dessous), a ordonné la suspension de l’exécution de la décision implicite par laquelle la directrice du centre pénitentiaire de Fresnes avait institué un régime de fouilles corporelles intégrales systématiques à l’égard de l’ensemble des personnes détenues ayant accès aux parloirs et de la note de service du 5 juin 2012 ayant le même objet.

14. Deuxièmement, dans un rapport au gouvernement français relatif à la visite effectuée par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) à la MA de Fresnes en novembre 2015, a été relevé le fait que la « direction a reconnu que la majorité des détenus était fouillée à nu après les visites sans pour autant que la mesure ne touche l’ensemble des détenus » (CPT/Inf (2017) 7, p. 99).

15. Troisièmement, dans les recommandations en urgence précitées (paragraphe 5 ci-dessus), le CGLPL a relevé les éléments suivants :

« Un recours trop systématique aux fouilles intégrales

À la maison d’arrêt de Fresnes, le recours aux fouilles à corps fait l’objet de pratiques locales qui violent les droits des personnes détenues et ne sont pas conformes à la loi. Une note interne définit des critères si extensifs qu’en pratique la fouille à corps devient la règle et non plus l’exception. En témoigne le fait que les surveillants n’ont pas une liste des personnes à fouiller, mais seulement de celles qui ne doivent pas l’être. Plus grave encore, en deuxième division, les fouilles à corps sont systématiques, ce que l’encadrement semblait ignorer. »

16. Le 13 décembre 2016, le ministre de la Justice a fourni au CGLPL les éléments de réponse suivants :

« Les fouilles étaient organisées par une note de service datant de 2013 fixant un certain nombre de critères non cumulatifs autorisant la fouille intégrale et chargeant le bureau de gestion de la détention du contrôle. Je vous confirme qu’il a été ordonné de mettre fin à ce système, pour revenir à la lettre de l’article 57 de la loi pénitentiaire modifiée par la loi du 3 juin 2016. »

17. Quatrièmement, par une décision du 23 février 2017, le Défenseur des droits a constaté la persistance du directeur de la MA de Fresnes à instituer un régime de fouilles intégrales systématiques en sortie de parloir, en dépit des ordonnances de 2012 et 2013 (paragraphe 13 ci-dessus), et a recommandé l’engagement de poursuites disciplinaires à son encontre.

18. Cinquièmement, par une ordonnance du 28 avril 2017, le juge des référés du TA de Melun, saisi par l’OIP, a ordonné de prendre des mesures afin que les fouilles soient pratiquées dans le respect de la loi :

« Considérant que le témoignage de certains détenus fait apparaître que la pratique de fouille à corps revêt encore un caractère trop systématique ; qu’il y a lieu d’enjoindre aux autorités de l’administration pénitentiaire de Fresnes de diffuser une note de service dans laquelle elle rappellerait les conditions dans lesquelles doivent s’effectuer les fouilles à corps, notamment telles qu’elles sont définies par l’article 57 de la loi pénitentiaire. »

19. Sixièmement, dans son rapport relatif à la troisième visite effectuée à la MA de Fresnes du 12 au 15 novembre 2019, le CGLPL a indiqué que les contrôleurs avaient constaté, en dépit des réponses ministérielles encourageantes de 2016 et 2019, que la pratique des fouilles, et plus particulièrement celles réalisées à l’issue des parloirs, était inchangée au premier jour de la mission. S’agissant des conditions de fouilles, le CGLPL a souligné les éléments suivants :

« À la suite de visites aux parloirs, les fouilles sont réalisées dans des salles situées au rez-de-chaussée des ailes Sud de chaque division. Les personnes visitées, placées en salle d’attente, sont extraites par petit groupe de moins de cinq personnes et réparties dans l’un des différents espaces de fouille de la salle. Ces boxes, séparés entre eux par une cloison haute, sont équipés de deux patères, d’un tapis de sol et, dans certaines divisions, d’une chaise en plastique. La fouille de plusieurs personnes détenues est réalisée simultanément par plusieurs agents placés dans la salle, ajoutant un sentiment de honte supplémentaire vis-à-vis des personnes qui, la fouille terminée, peuvent être amenées à passer devant les autres.

De nombreuses personnes ont décrit des recours à des gestes non professionnels ou à des postures de fouille dégradantes. La diversité des témoignages recueillis ne permet pas d’appréhender précisément les gestes techniques demandés (...). [Les] consignes diffèrent d’un agent à un autre, fluctuent au gré de leur charge de travail et tiennent compte du « profil » estimé de la personne fouillée et de son attitude. Certaines personnes ont également indiqué qu’il ne leur était pas toujours demandé de retirer leurs sous-vêtements quand d’autres affirment s’y soumettre systématiquement. En l’absence d’uniformisation des pratiques, la partialité règne et renforce encore davantage l’assujettissement des personnes détenues aux agents qui les fouillent. »

20. Le CGLPL a néanmoins constaté une volonté de changement pour parvenir à une stricte application de la loi, tout en relevant que « l’habitude, tellement ancrée, de procéder à des fouilles intégrales, s’apparentait à une véritable culture d’établissement et faisait craindre aux contrôleurs une mise en œuvre difficile de ces nouvelles mesures ». Il a indiqué que les statistiques communiquées par le directeur de la prison étaient encourageantes (82% de personnes détenues fouillées à l’issue des parloirs en octobre 2019, 43 % en novembre 2019, 36 % en janvier 2020, 32 % en mai 2020, 21 % en juillet et août 2020).

21. Le 9 juin 2021, le ministre de la Justice a apporté au CGLPL les éléments de réponse suivants :

« (...) votre rapport met en exergue la bonne application des instructions afin que les fouilles intégrales des personnes détenues soient pratiquées en dernier recours, de manière exceptionnelle et dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité. La direction et l’encadrement de l’établissement sont vigilants sur ce point. »

2. La version du Gouvernement

22. Le Gouvernement fournit un historique des visites au parloir de B.M. : cent quarante-deux parloirs entre le 11 avril 2016 et le 14 novembre 2018, sans préciser s’il a fait ou non l’objet de fouilles à leur issue. Il fournit également un rapport de comportement le concernant à propos d’un incident intervenu à l’issue d’un parloir en avril 2018.

23. Le Gouvernement fournit un historique des visites au parloir de K.G. : quatre-vingt-cinq parloirs entre le 11 avril 2016 et le 14 novembre 2018. Il indique également « qu’il ne ressort pas du logiciel d’enregistrement que des décisions de fouilles intégrales ont été prises à son encontre ».

24. Le Gouvernement fournit un historique des visites au parloir d’A.M. : onze parloirs entre le 11 décembre 2017 et le 24 mars 2018. Il indique également « qu’il ne ressort pas du logiciel d’enregistrement que des décisions de fouilles intégrales ont été prises à son encontre ».

25. Le Gouvernement produit un historique des visites au parloir d’O.S. : soixante-neuf parloirs entre le 3 novembre 2017 et le 11 décembre 2018. Il précise qu’une décision de fouille intégrale a été prise à son encontre le 10 janvier 2018 en raison d’un comportement suspect. Le rapport de comportement qu’il produit indique que ce jour-là, la fouille du requérant a permis de trouver une clé USB et une carte SIM Free, fait pour lequel il a été puni de sept jours de cellule disciplinaire avec sursis.

26. S’agissant de G.K., le Gouvernement, qui ne produit pas d’historique, indique qu’il ne ressort pas du logiciel d’enregistrement que des fouilles intégrales ont été prises à son encontre.

27. De manière générale, le Gouvernement fait valoir que trois notes de service adoptées entre décembre 2016 et septembre 2017 ont déterminé le régime des fouilles à la MA de Fresnes tel qu’il s’appliquait au cours de la détention des requérants. Ces notes sont décrites au paragraphe 35 ci-dessous.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. la loi no 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en dÉtention

28. La loi du 8 avril 2021 a créé un nouveau recours devant le juge judiciaire pour les personnes détenues en cas de conditions indignes de détention. Aux termes de l’article 803-8 du code de procédure pénale :

« I.- Sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 [paragraphe 32 ci-dessous] ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes. (...) »

2. La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009

29. Aux termes de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, dans sa version en vigueur du 5 juin 2016 au 25 mars 2019 issue de la loi no 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale :

« Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues.

Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef d’établissement peut également ordonner des fouilles de personnes détenues dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de leur personnalité. Ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Elles sont spécialement motivées et font l’objet d’un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l’administration pénitentiaire.

Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes.

Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n’exerçant pas au sein de l’établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l’autorité judiciaire. »

30. L’article 57 a été modifié par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Aux termes de l’alinéa 1 de cet article, en vigueur depuis le 25 mars 2019 :

« Hors les cas où les personnes détenues accèdent à l’établissement sans être restées sous la surveillance constante de l’administration pénitentiaire ou des forces de police ou de gendarmerie, les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l’imposent. Dans ce cas, le chef d’établissement doit prendre une décision pour une durée maximale de trois mois renouvelable après un nouvel examen de la situation de la personne détenue. »

31. L’article 57 a été abrogé et est désormais repris aux articles L. 225-1 à L. 225-5 du code pénitentiaire, entré en vigueur le 1er mai 2022.

3. Le code de justice administrative (CJA)

32. Les articles L. 521-1 et L. 521-2 du CJA disposent que :

Article L. 521-1

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. »

Article L. 521-2

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

33. Lorsqu’il est saisi d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L.521-2 du code de la justice administrative, le juge administratif peut, en cas d’urgence, ordonner toute mesure nécessaire afin de remédier à une « atteinte grave et manifestement illégale » portée à une liberté fondamentale. La procédure applicable en matière de référé-liberté (article L. 521-2 du CJA précité) a été présentée dans l’arrêt J.M.B. et autres précité (§ 137).

34. Pour sa part, la voie du référé-suspension (article L. 521-1 du CJA précité) ne peut être utilisée indépendamment d’un recours au fond, dont elle est nécessairement l’accessoire. En cas d’urgence et de doute sérieux sur sa légalité, le demandeur peut obtenir du juge des référés la suspension de l’exécution de la décision administrative litigieuse, dans l’attente du jugement sur le fond (O.L.G. c. France (déc.), no 47022/16, 5 juin 2018). À l’instar de la procédure relative au référé-liberté, la procédure est contradictoire et, si l’instruction est ouverte, les parties entendues en audience publique (article R. 522-7 du CJA). Le juge peut décider que l’ordonnance rendue est exécutoire aussitôt qu’elle est rendue (article R 522-13 du CJA). Les ordonnances rendues par le juge des référés du tribunal administratif peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État (article R. 523-1 du CJA).

4. Les notes de service des 29 décembre 2016, 28 mars 2017 et 15 septembre 2017 DU cENTRE pÉNITENTIAIRE de Fresnes

35. Trois notes de service ont été prises, respectivement les 29 décembre 2016, 28 mars 2017 et 15 septembre 2017, pour déterminer le régime juridique encadrant, au centre pénitentiaire de Fresnes, les modalités de contrôle des personnes détenues. Elles rappellent, à titre liminaire, que, depuis la loi de 2016 précitée (paragraphe 29 ci-dessus), « le recours à tout type de fouille (intégrales ou par palpation) est possible en cas de suspicions sérieuses d’introduction d’objets ou de substances interdits ou dangereux sans qu’il soit nécessaire d’individualiser les décisions au regard de la personnalité des personnes détenues ». Les trois notes comportent ensuite les mêmes éléments suivants :

« 1- Cadre juridique

L’article 57 tel que récemment amendé dispose que : (...)

Ainsi, à titre d’exemple, le chef d’établissement peut désormais ordonner de fouiller intégralement ou par palpation toutes les personnes détenues sur un ou plusieurs tours de parloirs, dès lors que la situation l’exige et que les critères légaux auront été remplis.

Les fouilles à corps ou intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. Je rappelle par ailleurs que les investigations corporelles sont proscrites, sauf impératif motivé.

Les différentes mesures de fouille (...) doivent répondre à des critères de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité (...).

Les fouilles intégrales (...) doivent s’effectuer dans des conditions qui (...) préservent l’intimité et la dignité des personnes détenues. [Elles doivent être mises en œuvre] de manière subsidiaire (...). Pour autant, il est possible de recourir immédiatement à une fouille intégrale lorsque sont recherchées des substances ou matière non décelables par les matériels de détection (...).

2- Mise en œuvre des fouilles par palpation et intégrales

2-1 le principe de nécessité

La liste des personnes détenues remplissant le critère de nécessité est arrêtée chaque semaine par le chef d’établissement (...) au regard de différents critères [profil pénal, profil pénitentiaire, secteur de l’établissement au sein duquel elles sont hébergées].

Les critères sont mis à jour quotidiennement (...). Le tableau ainsi mis à jour (...) est ensuite validé par le chef d’établissement, par voie de signature, avant transmission en détention.

2-2 Le principe de proportionnalité et de subsidiarité

Une décision de fouille par secteurs précisant le type de fouille applicable à la liste des personnes détenues identifiées dans le tableau décrit ci-dessus est établie trimestriellement par le chef d’établissement au regard de l’efficacité des moyens de contrôle par détection électronique constatée sur le trimestre précédent.

2-3 Moyens de contrôle des personnes détenues ne figurant pas sur la liste réalisée à partir du tableau hebdomadaire ou dans un secteur non concerné par la décision trimestrielle du chef d’établissement.

Par principe, [ces personnes seront contrôlées] par un passage sous un portique de détection. En cas de déclenchement du portique, la personne détenue est invitée à déposer tous ses objets métalliques et à faire un second passage. En cas de nouveau déclenchement, une palpation de sécurité est réalisée. En cas de nouveau déclenchement (...) un membre de l’encadrement peut ordonner la réalisation d’une fouille intégrale. Le cas échéant, il convient d’en assurer sa traçabilité sur GENESIS. »

5. La jurisprudence du Conseil d’État

36. Le juge administratif, compétent pour contrôler le service public pénitentiaire, a développé une jurisprudence encadrant, de manière de plus en plus stricte, le recours aux fouilles corporelles des personnes détenues et les conditions de leur exercice, en particulier en ce qui concerne les fouilles intégrales.

37. Par une décision du 14 novembre 2008 (no 315622), le Conseil d’État a jugé que « [...] les décisions par lesquelles les autorités pénitentiaires, afin d’assurer la sécurité générale des établissements ou des opérations d’extraction, décident de soumettre un détenu à des fouilles corporelles intégrales, dans le but de prévenir toute atteinte à l’ordre public, relèvent de l’exécution du service public administratif pénitentiaire et de la compétence de la juridiction administrative » et a ajouté « qu’il en va ainsi alors même que les fouilles sont décidées et réalisées à l’occasion d’extractions judiciaires [...] y compris lorsque les opérations de fouille se déroulent dans l’enceinte de la juridiction et durant le procès ». Au visa de l’article 3 de la Convention, il a précisé que « si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment, par l’existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes ». En ce qui concerne les limites du pouvoir de l’administration et l’étendue du contrôle du juge, le Conseil d’Etat a jugé « qu’il appartient ainsi à l’administration de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités retenues ».

38. Dans le prolongement de cette jurisprudence, désormais bien établie, le Conseil d’Etat a précisé, dans le cadre d’un recours indemnitaire (décision du 30 janvier 2019, no 416999), que « (...) si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu de mesures de fouille, le cas échéant répétées, elles ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l’un des motifs qu’elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l’intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu’il a pu avoir avec des tiers ». Il a ajouté que « Les fouilles intégrales revêtent un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens de détection électronique ». Précisant que le contrôle du juge porte non seulement sur le principe du recours aux fouilles intégrales mais également sur les conditions concrètes de leur déroulement, il a jugé qu’«il appartient à l’administration pénitentiaire de veiller, d’une part, à ce que de telles fouilles soient, eu égard à leur caractère subsidiaire, nécessaires et proportionnées et, d’autre part, à ce que les conditions dans lesquelles elles sont effectuées ne soient pas, par elles-mêmes, attentatoires à la dignité de la personne. »

39. Le contrôle du juge administratif s’est également exercé dans le cadre des procédures de référé prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du CJA précités, en particulier la procédure de référé-liberté.

40. Dans la ligne de la décision précitée du 14 novembre 2008 (paragraphe 37 ci-dessus), par une ordonnance du 20 mai 2010 (no 339259), le juge des référés du Conseil d’Etat a admis « que le caractère quotidien des fouilles corporelles en cause crée une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ». Après avoir relevé que « ni [le] comportement du [requérant] ni ses agissements ne faisaient apparaître d’éléments justifiant qu’il soit soumis à un régime de fouilles corporelles intégrales pratiquées quotidiennement à l’issue de sa promenade », il en a déduit « que l’application d’un tel régime constitu[ait] ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale » invoquée et a confirmé le suspension, ordonnée par le juge de première instance, de l’application du régime de fouilles corporelles intégrales auquel le requérant était soumis quotidiennement. Par une ordonnance du 6 juin 2013 (no 368875), le juge des référés du Conseil d’Etat, après avoir reconnu « qu’eu égard tant à la nature des faits qui ont entraîné sa condamnation qu’à l’ensemble de son comportement en détention au vu desquels il fait l’objet d’un suivi particulier, le maintien, immédiatement après l’arrivée du requérant à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, du régime de fouilles intégrales systématiques dont il faisait l’objet auparavant apparaît justifié par les nécessités de l’ordre public », a indiqué « qu’il incombe au chef d’établissement d[e] réexaminer le bien-fondé [de telles mesures], à bref délai et, le cas échéant, à intervalle régulier, afin d’apprécier si le comportement et la personnalité du requérant justifient ou non la poursuite de ce régime exorbitant ».

41. Outre les litiges portant sur les mesures individuelles ou sur l’application à une personne détenue du régime de fouille défini, à l’échelle d’un établissement pénitentiaire, par une note de service, le Conseil d’Etat a également été amené à connaître, dans le cadre de procédures de référé, de demandes dirigées contre pareille note de service. Par une décision du 26 septembre 2012 (no 359479), statuant sur le fondement de l’article L. 521‑1 du CJA, le Conseil d’Etat a suspendu l’exécution de la note de service par laquelle la directrice du centre pénitentiaire de Bourg‑en‑Bresse a organisé les fouilles à l’issue des parloirs « famille » après avoir relevé « la fréquence moyenne des fouilles intégrales » que le système mis en place impose aux détenus et « la circonstance qu’il ne prévoit pas la possibilité de moduler l’application à un détenu du régime de fouilles intégrales qu’il définit en tenant compte de sa personnalité et de son comportement en détention ainsi que de la fréquence de sa fréquentation des parloirs ».

42. Par une ordonnance du 6 juin 2013 (no 368816), rendue sur le fondement de l’article L. 521-2 du CJA, le juge des référés du Conseil d’État, après avoir retenu que la fréquence et le caractère répété des fouilles intégrales encourues à l’échelle de l’établissement pénitentiaire créaient une situation d’urgence, a rappelé que « l’exigence de proportionnalité des modalités selon lesquelles les fouilles intégrales sont organisées implique qu’elles soient strictement adaptées non seulement aux objectifs qu’elles poursuivent mais aussi à la personnalité des personnes détenues qu’elles concernent » et a enjoint au chef de l’établissement de Fleury-Mérogis « de modifier [...] les conditions d’application du régime des fouilles intégrales systématiques afin d’en permettre la modulation en fonction de la personnalité des détenus et de modifier, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance, la note de service du 28 mars 2013 qui définit le régime des fouilles intégrales systématiques afin d’y introduire la possibilité d’une telle modulation ».

43. Enfin, afin de remédier aux difficultés auxquelles les personnes détenues sont susceptibles d’être confrontées pour se procurer les décisions fixant, au sein d’un établissement pénitentiaire, le régime de fouilles applicable, il a rappelé les pouvoirs inquisitoriaux dont est doté le juge administratif. Par une décision du 3 octobre 2018 (no 413989), le Conseil d’État a réaffirmé qu’« il revient au juge de l’excès de pouvoir, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur ». Il a ainsi jugé ce qui suit :

« (...) eu égard aux éléments produits devant elle par l’association requérante et aux diligences que celle-ci a effectuées pour se procurer la décision qu’elle attaquait, la cour administrative d’appel de Douai a méconnu son office et commis une erreur de droit en confirmant l’irrecevabilité des conclusions dont elle était saisie, sans avoir préalablement fait usage de ses pouvoirs inquisitoriaux en demandant à l’administration pénitentiaire de produire la note de service définissant le régime des fouilles des détenus à la sortie des parloirs au centre pénitentiaire de Maubeuge ou, à défaut de l’existence d’une telle note, tous éléments de nature à révéler le régime de fouilles contesté, notamment le registre de consignation des fouilles mises en œuvre sur les détenus. »

EN DROIT

1. JONCTION DES REQUÊTES

44. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

2. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU gOUVERNEMENT CONCERNANT LE grief TIRÉ DE L’ARTICLE 3 (FOUILLES)

45. À l’exception de T.A. (requête no 29241/18), les requérants se plaignent d’avoir subi des fouilles corporelles intégrales systématiques à l’issue de chaque parloir. Ils invoquent l’article 3 de la Convention aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

46. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir que les requérants avaient à leur disposition un certain nombre de recours dont ils n’ont pas fait usage.

47. En premier lieu, il estime qu’ils auraient pu exercer un référé-liberté ou un référé-suspension (paragraphes 32 à 34 ci-dessus) devant le juge administratif, ces recours étant à même, selon lui, de permettre une cessation rapide de la violation alléguée du droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants.

48. En gage de leur effectivité, le Gouvernement donne les exemples suivants. Par la voie du référé-suspension, le Conseil d’État a ordonné la suspension d’une note de service instaurant un régime aléatoire de fouilles à l’issue des parloirs qui exposait tous les détenus en bénéficiant à une fouille intégrale en moyenne une fois sur deux, après avoir retenu que la condition d’urgence était remplie du fait de la fréquence et du caractère répété des fouilles encourues (CE, 26 septembre 2012, no 359479). Par la voie du référé‑liberté, il a jugé qu’une fouille corporelle intégrale à la sortie de chaque parloir, sans justifications particulières, « impose à l’intéressé une contrainte grave et durable susceptible d’excéder illégalement celle qui est nécessaire pour l’application de l’article 57 de la loi du 24 novembre 2009 » (CE, 9 septembre 2011, no 352372). Il a par ailleurs fait droit à la demande de suspension d’un régime de fouilles corporelles intégrales pratiquées quotidiennement sur un détenu à l’issue de sa promenade (voir l’arrêt du Conseil du 20 mai 2010 cité au paragraphe 40 ci-dessus), ordonné la modulation d’un régime de fouille systématique généralisé en fonction du profil des détenus (paragraphe 42 ci-dessus) ainsi que le réexamen à intervalle régulier du bien-fondé d’un régime de fouilles (paragraphe 40 ci-dessus) ou l’aménagement de locaux spécifiquement destinés à la fouille afin que celle‑ci n’ait pas lieu dans les locaux des douches (CE, 4 avril 2019, no 428747). Faisant application de la jurisprudence du Conseil d’État, les juges des référés de différents tribunaux administratifs ont par ailleurs enjoint à la directrice d’une MA de suspendre les fouilles intégrales systématiques à l’issue de chaque parloir alors qu’aucune décision explicite en ce sens n’avait été prise (TA Cergy-Pontoise, 13 janvier 2020, no 2000114), ordonné la diffusion d’une note de service rappelant le cadre légal sur l’usage de telles fouilles (paragraphe 18 ci-dessus) et considéré que la seule circonstance qu’une personne détenue soit soumis à une fouille intégrale à l’issue de chaque parloir suffit à démontrer un caractère systématique (TA Paris, 20 juillet 2019, no 1915042).

49. En deuxième lieu, le Gouvernement fait valoir que les requérants auraient pu exercer un recours pour excès de pouvoir dans le cadre duquel le juge administratif exerce un contrôle de proportionnalité approfondi sur les mesures de fouilles. À ce titre, il fait référence à un certain nombre de jugements et d’arrêts des juridictions du fond. Ainsi, le juge administratif aurait rejeté une demande d’annulation d’une note de service régissant des fouilles intégrales à l’issue des parloirs après s’être assuré qu’elle prévoyait une modulation de ce régime en fonction de la personnalité des détenus et de leur comportement (TA Rennes, 29 juin 2019, no 1601952 et 1603672). Il aurait également rejeté des demandes d’annulation de décisions de fouilles intégrales après avoir pris en considération le profil pénal et pénitentiaire des détenus (TA Orléans, 28 juin 2018, no 170070, CAA Nantes, 24 novembre 2017, no 15 NT03190, CAA Marseille, 30 mars 2018, no 1507085 et no 1507088). Dans d’autres affaires, il aurait annulé des décisions de fouilles intégrales en l’absence de justification précise de la part de l’administration (TA Nice, 7 mars 2019, no 1603793, TA Lyon, 17 mars 2020, no 1901919, CAA 29 janvier 2015, no 13LY03116) ou de l’existence d’une mesure moins intrusive (CAA Marseille, 26 mars 2018, no 16MA02484).

50. En troisième lieu, le Gouvernement soutient que les requérants auraient pu saisir le juge administratif d’un recours de plein contentieux en vue de faire établir la responsabilité de l’État (recours indemnitaire, paragraphe 38 ci-dessus) pour violation des principes de nécessité et de proportionnalité des mesures de fouilles intégrales et d’obtenir une réparation de leur préjudice (TA Nancy, 29 décembre 2020, no 1900830, TA Lille 19 février 2021, no 1905121). Il en est de même si l’État ne motive pas suffisamment les décisions de fouille (TA Lille, 23 décembre 2020, no 1805578, TA Lille, 19 février 2021, no 1907653).

51. Enfin, dans la mesure où les requérants contestent le caractère effectif de ces recours du fait de la résistance de l’administration de la MA de Fresnes à se soumettre aux injonctions du juge (paragraphes 13 à 19 ci-dessus), le Gouvernement souligne, dans ses observations en réplique et sur les demandes de satisfaction équitable, la possibilité de demander l’exécution de telles injonctions, en engageant un référé-réexamen prévu par l’article L. 521‑4 du CJA ou une procédure d’exécution conformément à l’article L. 911-4 du CJA (voir la partie de droit interne de l’arrêt J.M.B. et autres, précité, §§146 et 149).

2. Les requérants

52. Dans leurs observations en réplique à celles du Gouvernement, les requérants, sauf G.K. qui n’a pas produit d’observations en réponse à celles du Gouvernement, précisant s’en remettre à son formulaire de requête, soutiennent que le recours de plein contentieux et le recours pour excès de pouvoir ne sont pas des voies de droit préventives effectives susceptibles d’empêcher la survenance ou la continuation de mesures de fouille comme celles dont ils ont fait l’objet, en raison des délais d’instruction qui peuvent être de plusieurs années.

53. S’agissant des référés, les requérants font valoir que s’ils sont effectifs en théorie, ils ne l’auraient pas été en pratique. Ils en veulent pour preuve la pratique de l’administration pénitentiaire de la MA de Fresnes, et ses refus et résistances à se soumettre aux injonctions des juges ou des organes de contrôle ainsi qu’à une application scrupuleuse de la loi (paragraphes 13 à 21 ci-dessus). Dans ces conditions, ils font valoir qu’il ne peut être sérieusement soutenu que les procédures de référé offraient une perspective réaliste de faire cesser la pratique des fouilles intégrales et, donc, qu’ils n’ont pas épuisé les voies de recours internes.

2. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux

54. La Cour renvoie aux principes relatifs à l’épuisement des voies de recours internes tels qu’ils ont été rappelés dans les arrêts Selahattin Demirtaş c. Turquie (no2) ([GC], no 14305/17, §§ 205-206, 22 décembre 2020), Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) ([GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 71, 25 mars 2014) et Pagerie c. France (no 24203/16, 19 janvier 2023).

55. En particulier, la règle de l’épuisement des voies de recours internes a pour finalité de permettre à un État contractant d’examiner, et ainsi de prévenir ou redresser, la violation de la Convention qui est alléguée contre lui. Le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention a, en effet, une vocation subsidiaire (idem, § 120).

56. L’obligation d’épuiser les voies de recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité requises (idem, § 121).

57. Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation litigieuse et présenter des perspectives raisonnables de succès. Le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné, qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec, ne constitue pas une raison propre à justifier le non-exercice du recours en question (idem, § 122).

58. En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement d’établir devant la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits. Il revient ensuite au requérant d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été exercé ou bien que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de l’exercer (idem, § 123).

2. Application en l’espèce

59. À titre liminaire, la Cour relève, en premier lieu, que lorsqu’ils ont saisi la Cour, les requérants se trouvaient détenus et soutenaient être soumis à un régime de fouilles les exposant à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et, partant, à une violation continue du droit garanti par cette disposition. Elle constate, en second lieu, que les requérants n’ont engagé aucune procédure devant les juridictions internes pour contester l’application de ce régime de fouilles et obtenir qu’il y soit mis un terme. À cet égard, ils font valoir qu’ils étaient dispensés de l’obligation d’épuiser les recours internes dont ils disposaient du fait de la pratique généralisée de l’administration de la MA de Fresnes, réfractaire à toute injonction ou recommandation de la part des autorités juridictionnelles ou d’autres organes de contrôle qui avaient déjà été saisis de la légalité d’un régime soumettant l’ensemble des personnes détenues à des fouilles systématiques à la sortie des parloirs. Pour déterminer si les exigences d’épuisement des voies de recours internes ont été ou non respectées, il revient à la Cour de vérifier si les recours ouverts devant le juge administratif et dont se prévaut le Gouvernement au titre de son exception d’irrecevabilité étaient adéquats, effectifs et de nature à obtenir qu’il soit mis fin aux pratiques dénoncées par les requérants. Dans les circonstances de l’espèce, il s’agit de déterminer s’il existait ou non un recours préventif effectif de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée.

60. En ce qui concerne les procédures de référé qui permettent au juge administratif de statuer dans l’urgence et, le cas échéant, de mettre un terme à une violation continue de l’article 3 de la Convention (voir, pour des exemples récents de fouilles à nu répétées, aléatoires ou systématiques contraires à cette disposition, Roth c. Allemagne, nos 6780/18 et 30776/18, §§ 70-72, 22 octobre 2020, Safi et autres c. Grèce, no 5418/15, §§ 190 à 192, 7 juillet 2022), le Gouvernement soutient que les requérants auraient dû exercer un référé-liberté. S’agissant du contrôle exercé par le juge des référés sur l’application d’un régime de fouilles corporelles intégrales, la Cour renvoie aux développements ci-dessus (paragraphes 36 à 43). Elle rappelle que, dans l’arrêt El Shennawy c. France (no 51246/08, § 57, 20 janvier 2011), elle a pris acte de l’existence de cette voie de recours (§ 57), qui est dispensée de ministère d’avocat tant en première instance qu’en appel (J.M.B. et autres précité, § 137). Reste à examiner si elle était effective dans les circonstances de l’espèce.

61. À cet égard, la Cour rappelle que la procédure de référé-liberté prévue à l’article L. 521-2 du code de la justice administrative permet au juge des référés, en cas d’urgence caractérisée, de remédier à bref délai, aux atteintes graves et manifestement illégales portées à une liberté fondamentale (Pagerie, précité, § 129 et les références citées). Elle souligne aussi que les décisions du juge des référés revêtent un caractère exécutoire (idem).

62. En ce qui concerne les fouilles corporelles intégrales, la Cour relève qu’il ressort de la jurisprudence constante et bien établie du Conseil d’Etat que le juge des référés exerce un contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de l’application à une personne détenue d’un régime de fouilles, pour déterminer s’il porte atteinte ou non à sa dignité (paragraphes 37, 40 et 42 ci-dessus). Elle souligne par ailleurs que ce contrôle ne se limite pas aux mesures individuelles de fouille mais peut également porter sur une note de service de l’administration pénitentiaire instituant un régime de fouille ou sur une pratique administrative révélant une décision informelle d’appliquer un tel régime (paragraphes 41 et 48 ci-dessus). La Cour relève également que le juge des référés peut, dans le cadre de ses pouvoirs, suspendre l’exécution de la mesure de fouille critiquée, enjoindre à l’administration d’aménager ou de modifier les conditions d’application d’un régime de fouille ou d’en réévaluer à intervalle régulier le bien-fondé (paragraphes 41, 42 et 48 ci-dessus). Elle en déduit qu’eu égard à son office, le juge du référé-liberté est doté de pouvoirs lui permettant de faire cesser, à bref délai, les violations continues dont il est saisi.

63. La Cour considère donc, contrairement aux affirmations des requérants, qu’en dépit des difficultés qu’ils invoquent à ce que soient modifiées les pratiques existantes au sein de la MA de Fresnes, la voie du référé-liberté avait une chance raisonnable de succès en ce qui les concerne.

64. Elle souligne certes qu’ils déplorent à bon droit l’absence de notification ou de traçabilité des fouilles pratiquées en détention mais elle rappelle que cette carence n’affecte pas, en pratique, l’exercice d’un recours en référé-liberté puisque que le juge peut être saisi d’une demande de suspension d’un régime de fouilles non formalisé par écrit (paragraphe 62 ci‑dessus) et qu’il peut, dans le cadre du débat contradictoire (paragraphe 33 ci-dessus), demander à l’administration pénitentiaire de produire tout élément de nature à révéler la pratique d’un tel régime. Par ailleurs, les requérants font valoir que cette voie de recours était nécessairement vouée à l’échec en raison de l’incapacité du juge à obtenir qu’il soit effectivement mis fin au régime de fouilles en place à la MA de Fresnes. Rappelant que les procédures de référé-liberté ont effectivement permis de remédier à la violation de l’article 3 de la Convention en la matière, dans un certain nombre de cas (paragraphes 37, 40, 42 et 48 ci-dessus), la Cour ne saurait, en l’absence de toute procédure engagée par les intéressés dans les présentes affaires, spéculer dans l’abstrait sur l’impossibilité d’obtenir l’exécution effective de mesures ordonnées par le juge des référés. Elle rappelle en outre qu’ils disposaient de procédures leur permettant, le cas échéant, de rechercher l’exécution des mesures prescrites par le juge des référés (J.M.B. et autres, précité, §§ 147 à 149, paragraphe 51 ci-dessus).

65. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour conclut qu’eu égard à l’office du juge administratif, et en particulier à l’étendue de son contrôle et à la portée de ses pouvoirs, le référé-liberté doit être regardé, à l’époque des faits litigieux, comme constituant, en la matière, une voie de recours effective et disponible, en théorie comme en pratique.

3. Conclusion

66. Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le caractère effectif des autres voies recours invoquées par le Gouvernement, la Cour conclut que l’exception préliminaire de ce dernier doit être accueillie, et que le grief des requérants tiré de l’article 3 relatif aux fouilles doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 et de la Convention.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 et 13 DE LA CONVENTION (conditions matérielles DE DÉTENTION et recours préventif)

67. Invoquant les articles 3 et 13 de la Convention, les requérants se plaignent de leurs conditions de détention et de l’absence de recours effectif pour y mettre fin. Aux termes des dispositions de l’article 13 :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

68. La Cour relève que les parties sont parvenues à des règlements amiables dans trois affaires. Dans les trois autres affaires, les requérants ont fait savoir qu’ils n’étaient pas satisfaits par les termes des déclarations unilatérales soumises par le Gouvernement à la Cour. La Cour examinera ces deux cas de figure séparément.

1. Sur les déclarations de règlement amiable dans les requêtes nos 84187/17, 7153/18 et 27525/18

69. La Cour prend acte des règlements amiables auxquels sont parvenues les parties. Elle considère que ces accords reposent sur le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles et ne relève par ailleurs aucune raison qui exigerait qu’elle poursuive l’examen des requêtes (article 37 § 1 in fine de la Convention). Elle en déduit qu’il convient de rayer cette partie des requêtes du rôle en vertu de l’article 39 de la Convention.

2. Sur les déclarations unilatérales du Gouvernement dans les requêtes nos 1734/18,13562/18 et 29241/18
1. Les déclarations unilatérales

70. Dans des lettres des 31 mai et 30 juillet 2021, auxquelles se trouve joint le texte de déclarations unilatérales, le Gouvernement invite la Cour à rayer les requêtes du rôle en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention.

71. Ayant examiné les termes de ces déclarations unilatérales, la Cour considère, en dépit des concessions consenties par le Gouvernement sur le fondement de l’arrêt J.M.B. et autres précité, que les montants des indemnisations proposées ne constituent pas, eu égard aux montants généralement alloués dans des affaires similaires, et en particulier dans cet arrêt, une réparation adéquate (comparer avec ce dernier, §§ 333 et 335).

72. En conséquence, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de cette partie des requêtes du rôle. Il lui incombe dès lors de poursuivre l’examen de la recevabilité et du fond des affaires.

2. La recevabilité

73. La Cour constate que les griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention. Partant, la Cour les déclare recevables.

3. Le fond

74. Les trois requérants font valoir qu’ils ont été détenus dans des conditions matérielles gravement attentatoires à l’article 3 de la Convention sans disposer de recours pour y mettre fin.

75. Le Gouvernement souligne qu’à la suite de l’arrêt JM.B. et autres précité, le législateur français, sur l’initiative de la Cour de cassation, a adopté la loi no 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention (paragraphe 28 ci-dessus). Il soutient que le nouveau recours créé par cette loi, combiné aux recours en référés devant le juge administratif déjà à la disposition des personnes détenues (paragraphe 32 ci‑dessus), permettent d’améliorer les conditions matérielles de détention ou de remédier à la situation dans le respect de la jurisprudence de la Cour. Cela étant, en ce qui concerne les trois requérants, il s’en remet à la sagesse de la Cour car ils étaient détenus à la MA de Fresnes à la même période que les intéressés dans l’affaire J.M.B. et autres.

76. La Cour relève en effet que les trois requérants étaient détenus à la MA de Fresnes aux mêmes périodes que l’étaient les requérants dans l’affaire J.M.B. et autres (§§ 110 à 112). Dans cette dernière, elle a conclu que les intéressés avaient été soumis à des conditions de détention constitutives d’une violation de l’article 3 de la Convention (§§ 299 à 301). Elle a également jugé qu’ils n’avaient pas disposé d’un recours effectif susceptible de leur assurer une amélioration de leurs conditions matérielles de détention, en violation de l’article 13 de la Convention (§§ 212 à 221).

77. La Cour ne voit aucune raison de parvenir à une conclusion différente dans les présentes affaires. Dans ces conditions, elle considère qu’il y a eu violation des articles 3 et 13 de la Convention en raison des conditions de détention subies par les requérants et de l’absence de recours effectif préventif à l’époque de leur détention.

4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

78. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

79. Les requérants K.G., G.K. et T.A. réclament respectivement 62 000, 15 000 et 26 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi (voir, sur les périodes de détention concernées, paragraphe 2 ci-dessus). L’avocate de G.K. indique qu’il a consenti à verser le montant de cette indemnité sur un compte CARPA qu’elle ouvrira pour son compte.

80. Le Gouvernement estime que la Cour ne saurait accorder plus de 11 550 EUR à K.G., 5 346 EUR à G.K. et 4 417 EUR à T.A. au titre du préjudice moral lié à leurs conditions de détention et à l’absence de recours préventif.

81. Statuant en équité, la Cour octroie 21 250 EUR à K.G., 13 250 EUR à G.K. et 11 750 EUR à T.A. pour dommage moral.

2. Frais et dépens

82. Les avocats de K.G. et T.A. indiquent que leur défense a été assurément gracieusement devant la Cour. G.K. réclame 2 400 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour. Cette somme est justifiée par une note d’honoraire.

83. Le Gouvernement prend acte de la défense gracieuse de K.G. et T.A. Concernant la demande de G.K., il observe que la note d’honoraire n’est pas détaillée et, de plus, non encore acquittée, et fait valoir qu’aucune somme ne doit être allouée au requérant.

84. La Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’accorder une somme d’argent à K.G. et T.A. au titre des frais et dépens.

85. S’agissant de la demande de G.K., elle rappelle qu’un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour relève que la note d’honoraire de 2 400 EUR produite par son avocate fait expressément référence à la procédure devant elle, que G.K. est tenu de la régler et qu’il y a eu un accord entre eux sur le versement des sommes qui seront allouées (paragraphe 79 ci-dessus). Dans ces conditions, et compte tenu des justificatifs produits, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 2 400 EUR, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Décide de rayer les requêtes nos 84187/17, 7153/18 et 27525/18 du rôle, en vertu de l’article 39 de la Convention pour autant qu’elles portent sur les griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention relatifs aux conditions de détention et à l’absence de recours effectif ;
3. Rejette les déclarations unilatérales du Gouvernement dans les requêtes nos 1734/18,13562/18 et 29241/18 pour autant qu’elles portent sur les griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention précités au point 2 du dispositif, et déclare ces griefs recevables ;
4. Déclare le restant des requêtes irrecevable ;
5. Dit qu’il y a eu violation des articles 3 et 13 de la Convention dans les requêtes nos 1734/18, 13562/18 et 29241/18 de la Convention à raison des conditions matérielles des requérants et de l’absence de recours préventif effectif pour y mettre fin ;
6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants nommés ci-dessous, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

1. 21 250 EUR (vingt et un mille deux cent cinquante euros) à K.G., 13 250 EUR (treize mille deux cent cinquante euros) à G.K. et 11 750 EUR (onze mille sept cent cinquante euros) à T.A., plus tout montant pouvant être dû sur ces sommes à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 2 400 EUR (deux mille quatre cents euros) à G.K. plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par lui à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 juillet 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Martina Keller Lado Chanturia
Greffière adjointe Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Elósegui.

L.C.
M.K.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ELÓSEGUI

1. J’estime comme mes collègues qu’il y a eu violation des articles 3 et 13 de la Convention dans les requêtes nos 1734/18, 13562/18 et 29241/18 à raison des conditions matérielles de détention dans la maison d’arrêt de Fresnes et de l’absence de recours préventif effectif pour y mettre fin.

Dans le présent arrêt, il est précisé que la situation générale de la maison d’arrêt de Fresnes, telle qu’elle se présentait à la date des faits litigieux, est décrite dans l’arrêt J.M.B. et autres c. France (nos 9671/15 et 31 autres, §§ 104-109, 30 janvier 2020) qui mentionne qu’au 1er janvier 2019, le taux de surpopulation était de 197 % (paragraphe 4 du présent arrêt). De la même manière, il est indiqué dans le présent arrêt que :

« La visite de la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Fresnes par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en octobre 2016 avait donné lieu à des recommandations en urgence publiées au Journal officiel le 14 décembre 2016. Cette visite avait conduit aux constats d’un nombre important de dysfonctionnements graves et de conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention, la surpopulation, cumulée à l’état des locaux et au manque d’effectifs, ne permettant pas une prise en charge des droits fondamentaux des personnes détenues. » (paragraphe 5 de l’arrêt)

La Cour relève que dans trois des requêtes qui lui ont été soumises, les parties sont parvenues à des règlements amiables.

2. Concernant le grief relatif aux fouilles, la Cour l’a unanimement rejeté comme irrecevable, considérant que les requérants n’ont pas fait usage des voies de recours prévues par le droit interne français qui offre la possibilité légale de porter un tel grief devant le juge du référé-liberté. La raison de mon opinion concordante est d’attirer l’attention des deux parties, celle des requérants et celle du gouvernement français, lorsqu’une requête est soumise à la Cour de Strasbourg. D’une part, il serait souhaitable que les requérants actuels et futurs subissant des fouilles corporelles systématiques qui seraient illégales épuisent les voies de recours internes devant les juridictions nationales avant de saisir notre Cour (paragraphes 56-57 du présent arrêt). D’autre part, il appartient également au gouvernement français de rendre possible l’accès à un avocat dans toutes les prisons françaises (même si la loi ne l’exige pas dans ce cas), et notamment de permettre que les recours formés dans les affaires comme celle en l’espèce puissent être effectifs. Par la suite, lors de l’introduction d’une requête, il appartient à la Cour de Strasbourg d’effectuer le contrôle abstrait de la conventionnalité et de vérifier si les garanties procédurales d’accès à un avocat sont réelles (même si la procédure du référé‑liberté est dispensée de l’obligation de ministère d’avocat – paragraphe 60 du présent arrêt), ainsi que l’accès au juge.

3. En outre, les requérants se plaignent de l’impossibilité pour eux d’avoir pu rapporter la preuve des fouilles corporelles en cause, faute de trace écrite (paragraphes 7, 52-53 de l’arrêt). Il ne suffit pas que le recours formé devant un juge existe en théorie, encore faut-il qu’il soit réel et effectif (paragraphe 58 de l’arrêt). Dans la présente affaire, la Cour conclut que, dans ce cas précis « contrairement aux affirmations des requérants, (...) en dépit des difficultés que [ces derniers] invoquent à ce que soient modifiées les pratiques existantes au sein de la maison d’arrêt de Fresnes, la voie du référé‑liberté avait une chance raisonnable de succès en ce qui les concerne » (paragraphe 63 de l’arrêt). Comme l’indique le présent arrêt, s’agissant des fouilles corporelles intégrales, le Conseil d’État français a reconnu l’existence du recours en référé-liberté qui doit être effectif. Quant à la charge de la preuve, il incombait aux requérants eux-mêmes de démontrer qu’ils ont exercé un tel recours devant le juge des référés, même si les intéressés estiment qu’ils se trouvaient dans l’impossibilité de rapporter la preuve des fouilles en question. À cet égard, la Cour précise que

« [les requérants] déplorent à bon droit l’absence de notification ou de traçabilité des fouilles pratiquées en détention mais elle rappelle que cette absence n’affecte pas, en pratique, l’exercice d’un recours en référé-liberté puisque le juge peut être saisi d’une demande de suspension d’un régime de fouilles non formalisé par écrit (...) et qu’il peut, dans le cadre du débat contradictoire (...), demander à l’administration pénitentiaire de produire tout élément de nature à révéler la pratique d’un tel régime » (paragraphe 64 du présent arrêt).

4. Malgré cela, et bien sûr sans nier ce qui est dit ici, je crois qu’il convient également de prendre en compte les préoccupations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) sur la situation des prisons en France et plus précisément, puisque nous sommes juges de faits concrets, et pas des législateurs, d’attirer l’attention sur des événements spécifiques qui se sont produits dans la prison où étaient détenus les requérants et qui font l’objet de la présente affaire. Il s’agissait d’actes inutiles, humiliants et spécifiques décrits dans le rapport du CPT, ayant été commis en représailles contre un détenu qui avait pris volontairement contact avec les experts du CPT venus mener une enquête. À cet égard, le présent arrêt indique ce qui suit :

« Deuxièmement, dans un rapport au gouvernement français relatif à la visite effectuée par le [CPT] à la [maison d’arrêt] de Fresnes [du 15 au 27] novembre 2015, il a été relevé le fait que la « direction a reconnu que la majorité des détenus était fouillée à nu après les visites sans pour autant que la mesure ne touche l’ensemble des détenus » (CPT/Inf (2017) 7, p. 99). » (paragraphe 14 du présent arrêt)

5. Concernant les fouilles corporelles, le CPT a mentionné ce qui suit au point 99 de son rapport :

« Le CPT attache une importance particulière aux conditions et modalités de mise en œuvre des fouilles à nu en raison de leur caractère invasif et potentiellement dégradant. Le droit applicable au moment de la visite, et notamment l’article 57 de la loi pénitentiaire, était inchangé par rapport à la précédente visite. Le recours aux fouilles devait être justifié par la suspicion d’une infraction ou par un risque pour la sécurité. Ces fouilles ne peuvent en principe pas être systématiques.

Toutefois, la législation en la matière a connu des modifications depuis la visite. Le Comité regrette vivement l’introduction, par la loi du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, d’un nouvel alinéa à l’article 57 de la loi pénitentiaire permettant aux chefs d’établissement d’ordonner des fouilles, non plus sur le fondement d’un risque individuel, mais sur la base de soupçons collectifs [...]. Il est rappelé qu’une fouille à nu ne devrait être réalisée que si des motifs raisonnables existent de soupçonner un détenu d’avoir caché sur lui des objets prohibés, et que cette fouille est nécessaire pour les détecter, une fouille ordinaire ne permettant probablement pas de les découvrir.

(...)

À la maison d’arrêt de Fresnes, la direction a reconnu que la majorité des détenus était fouillée à nu après les visites sans pour autant que la mesure ne touche l’ensemble des détenus. »

6. Le CPT a poursuivi en précisant dans son rapport que

« [la] seconde situation concerne la maison d’arrêt des hommes de Fresnes où des membres de la délégation ont dû attendre des délais indus pour pouvoir s’entretenir sans témoin avec des détenus. Ces obstructions manifestes aux travaux de la délégation se sont principalement produites lors de visites à la Division I. Des détenus du quartier d’isolement ont également fait l’objet d’une fouille à nu après s’être entretenu avec un membre de la délégation, apparemment en application stricte du règlement. Une telle pratique relève d’une mauvaise compréhension du mandat du CPT et pourrait être assimilée à une mesure de représailles indirecte ou d’intimidation à l’encontre des détenus ayant accepté de s’entretenir avec la délégation. Le Comité recommande aux autorités françaises de prendre toutes les mesures qui s’imposent afin d’éviter, à l’avenir, de telles situations. »

Les autorités françaises ont pour leur part longuement répondu sur ce point dans leur propre rapport intitulé « Réponse du Gouvernement de la République française au rapport du [CPT] relatif à la visite effectuée en France du 15 au 27 novembre 2015 ». Le gouvernement français a répondu comme suit :

« S’agissant de la visite de la maison d’arrêt des hommes de Fresnes, cet établissement est confronté à une situation de suroccupation très importante. Au 1er décembre 2016, l’établissement accueillait 2 637 personnes détenues pour 1 324 places, soit un taux d’occupation de 200 %. Cette situation explique les contraintes pesant sur l’organisation et le fonctionnement de la structure, comme notamment les mouvements.

Sur la réglementation applicable en matière de fouille des personnes détenues, il convient de rappeler les récentes évolutions législatives intervenues en ce domaine.

La loi no 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a modifié l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Il s’est agi d’adapter le cadre juridique à la réalité de la situation de sécurité au sein des établissements pour faire face aux trafics et aux risques pour la sécurité des personnels, en créant un encadrement rigoureux.

(...)

La note du 14 octobre 2016 relative au régime juridique encadrant certaines modalités de contrôle des personnes détenues, remplaçant la circulaire du 15 novembre 2013, est venue préciser le cadre juridique, en rappelant les critères de nécessité, proportionnalité et subsidiarité pour le déclenchement et la mise en œuvre des fouilles. Elle a également défini les conditions pratiques de motivation et de traçabilité des décisions de fouille et rappelé l’articulation entre les nouvelles dispositions votées et celles en vigueur depuis 2009 qui n’ont pas été abrogées.

Ainsi, les personnes détenues peuvent faire l’objet de fouilles intégrales dès lors qu´il existe des éléments permettant de suspecter un risque d’évasion, l’entrée, la sortie ou la circulation en détention d’objets ou de substances prohibées ou dangereux pour la sécurité des personnes ou le bon ordre d’établissement, compte tenu de la personnalité du détenu concerné et dès lors que les autres moyens de contrôle sont insuffisants ou inefficaces. »

7. Enfin, tenant compte du problème endémique de la surpopulation carcérale en France associé aux mauvaises conditions de détention et plus particulièrement du grief de violation des articles 3 et 13 de la Convention, qui porte sur les conditions matérielles de détention des requérants et sur l’absence de recours préventif effectif pour y remédier, je souscris à la jurisprudence réitérée de notre Cour sur le calcul de l’indemnité qui doit être accordée à chaque requérant. Bien que certains citoyens puissent considérer ces montants comme élevés, pour éviter ces sanctions de la part de notre Cour, le gouvernement français devrait faire de sérieux efforts pour se conformer à la Convention sur le problème susmentionné qui est d’ailleurs abordé dans l’arrêt J.M.B. et autres, précité, §§ 104-109. À cet égard, il convient d’ajouter que selon le rapport du CPT :

« [l]es prisons françaises connaissent une surpopulation préoccupante depuis plusieurs années, certains établissements ayant des taux d’occupation approchant, voire dépassant, les 200 %. Ainsi, les trois maisons d’arrêt visitées (Fresnes, Nîmes et Villepinte) avaient un taux d’occupation compris entre 150 et 180 %. De nombreux détenus étaient hébergés à deux ou trois dans des cellules de moins de 10 m² et devaient parfois dormir sur un matelas posé au sol. Le CPT appelle les autorités françaises à garantir à chaque détenu un minimum de 4 m² d’espace de vie en cellule collective et de disposer d’un lit individuel dans l’ensemble des établissements pénitentiaires. Il demande également à ce que des mesures soient prises pour diminuer la population carcérale notamment en engageant une réflexion vers une nouvelle politique pénale et pénitentiaire durable. »

ANNEXE I

Liste des requêtes

No.

|

Requête No

|

Nom de l’affaire

|

Introduite le

|

Représenté par

---|---|---|---|---

1.

|

84187/17

|

B.M. c. France

|

12/12/2017

|

Me Alexis CRESTIN

2.

|

1734/18

|

K.G. c. France

|

05/01/2018

|

Me Louise DUMONT-SAINT-PRIEST

3.

|

7153/18

|

A.M. c. France

|

02/02/2018

|

Me Alexis CRESTIN

4.

|

13562/18

|

G.K. c. France

|

17/03/2018

|

Me Violaine FAUCON-TILLIER

5.

|

27525/18

|

O.S. c. France

|

07/06/2018

|

Me Alexis CRESTIN

6.

|

29241/18

|

T.A. c. France

|

13/06/2018

|

Me Sarah CATELLA NALLET

ANNEXE II

Requêtes concernant des griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention

(Conditions matérielles de détention et l’absence de recours préventif)

No

|

Numéro de la requête

|

Nom du requérant

|

Date de réception de la déclaration du Gouvernement

|

Date de réception de la déclaration du requérant

|

Montant alloué pour dommage matériel et moral et frais et dépens

par requérant

(en euros)[1]

---|---|---|---|---|---

1.
|

84187/17

|

B.M.

|

12/05/2021

|

20/05/2021

|

13 938

2.
|

7153/18

|

A.M.

|

12/05/2021

|

20/05/2021

|

2 980

3.
|

27525/18

|

O.S.

|

12/05/2021

|

20/05/2021

|

5 707

* * *

[1] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la partie requérante.


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