La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/03/2024 | BELGIQUE | N°29/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 14 mars 2024, 29/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 29/2024
du 14 mars 2024
Numéro du rôle : 7908
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 6, § 5, alinéa 6, de la loi du 9 décembre 2004 « sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d’informations à finalité judiciaire, l’entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l’article 90ter du Code d’instruction criminelle », posée par la Cour de cassation.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des

juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine d...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 29/2024
du 14 mars 2024
Numéro du rôle : 7908
En cause : la question préjudicielle relative à l’article 6, § 5, alinéa 6, de la loi du 9 décembre 2004 « sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d’informations à finalité judiciaire, l’entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l’article 90ter du Code d’instruction criminelle », posée par la Cour de cassation.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet de la question préjudicielle et procédure
Par arrêt du 21 décembre 2022, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 janvier 2023, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante :
« L’article 6, § 5, alinéa 6, de la loi du 9 décembre 2004 sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d’informations à finalité judiciaire, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ».
Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :
- Jaume Bagot Peix, assisté et représenté par Me Yves-Bernard Debie, Me Marc Matthys et Me Stéphanie Rixhon, avocats au barreau de Bruxelles;
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Evrard de Lophem, Me Maxime Chomé et Me Megi Bakiasi, avocats au barreau de Bruxelles.
2
Par ordonnance du 17 janvier 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteures Emmanuelle Bribosia et Joséphine Moerman, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. Les faits et la procédure antérieure
À une date indéterminée, Jaume Bagot Peix, marchand d’art spécialisé en art antique, établi à Barcelone, s’est vu confier en dépôt-vente un sarcophage égyptien en bois et une barbe postiche. Il transmet ces œuvres à un galeriste du quartier du Sablon à Bruxelles, afin que celui-ci les mette en vente.
Le 14 octobre 2016, à la suite d’un signalement d’Interpol, les biens sont saisis.
Le 5 avril 2017, l’État belge reçoit une demande d’entraide judiciaire venant d’Égypte et portant sur des objets d’art funéraire qui, selon l’autorité judiciaire étrangère, ont été extraits illégalement du site archéologique où ils ont été trouvés, et exportés frauduleusement en Europe. La saisie initiale est levée et une nouvelle saisie en exécution de la demande est ordonnée.
Le 22 mars 2021, le premier substitut du procureur du Roi de Bruxelles décide de transférer les œuvres aux autorités égyptiennes.
Le 6 avril 2021, Jaume Bagot Peix et la société de droit espagnol « J. Bagot Arqueología Sociedad Limitada »
saisissent, en qualité de tiers intéressés, la chambre du conseil du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles d’une requête en opposition au transfert des biens à l’autorité étrangère, conformément à l’article 6, § 5, de la loi du 9 décembre 2004 « sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d’informations à finalité judiciaire, l’entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l’article 90ter du Code d’instruction criminelle » (ci-après : la loi du 9 décembre 2004).
Par une ordonnance du 3 juin 2021, la chambre du conseil accueille partiellement la requête.
Le 16 mars 2022, sur l’appel du procureur du Roi, la chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bruxelles juge que Jaume Bagot Peix n’établit pas sa qualité de tiers intéressé, de sorte que sa requête est irrecevable. La chambre des mises en accusation maintient la décision d’extradition mobilière.
L’article 6, § 5, dernier alinéa, de la loi du 9 décembre 2004 dispose que « l’arrêt de la chambre des mises en accusation n’est pas susceptible de pourvoi en cassation ».
Le 20 mai 2022, Jaume Bagot Peix et la société de droit espagnol « J. Bagot Arqueología Sociedad Limitada » se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 16 mars 2022.
À l’invitation des parties demanderesses en cassation, la Cour de cassation sursoit à statuer sur la recevabilité du pourvoi et pose la question préjudicielle reproduite plus haut.
3
III. En droit
-A-
A.1. À titre liminaire, les parties demanderesses en cassation rappellent que la disposition en cause remplace l’article 11 de la loi du 15 mars 1874 « sur les extraditions », qui prévoyait, pour le tiers intéressé, la possibilité, d’une part, de s’opposer à la transmission des biens saisis, et, d’autre part, de solliciter la main levée de la saisie.
Un recours introduit dans ce cadre pouvait conduire à un arrêt de la chambre des mises en accusation, lequel était susceptible d’un pourvoi en cassation.
A.2. Les parties demanderesses en cassation estiment que la disposition en cause n’est pas raisonnablement justifiée. Elles observent qu’elle repose sur deux motifs. D’une part, la prise en compte de la loi du 14 février 2014
« relative à la procédure devant la Cour de cassation en matière pénale ». D’autre part, la circonstance selon laquelle, lorsque l’État belge est saisi d’une demande d’entraide internationale, les autorités belges n’ont pas à se prononcer sur les poursuites pénales menées dans l’État requérant. De surcroît, la procédure devant la chambre des mises en accusation ne relève pas du champ d’application du droit à un procès équitable, consacré à l’article 6
de la Convention européenne des droits de l’homme.
En ce qui concerne le premier motif, elles font valoir que la disposition en cause ne saurait être assimilée à l’article 420 du Code d’instruction criminelle. Cet article prévoit que le pourvoi en cassation contre les décisions préparatoires et d’instruction n’est ouvert qu’après l’arrêt ou le jugement définitif, de sorte qu’il retarde le pourvoi.
La disposition en cause, en revanche, exclut toute possibilité de pourvoi en cassation.
En ce qui concerne le second motif, elles soutiennent que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme s’applique aux procédures d’exequatur d’une ordonnance de confiscation prononcée par une juridiction étrangère (CEDH, 5 juillet 2007, Saccoccia c. Autriche, ECLI:CE:ECHR:2007:0705DEC006991701), auxquelles peut s’apparenter la procédure prévue par la disposition en cause. Elles considèrent que la disposition en cause viole le droit d’accès au juge qui découle de cette disposition conventionnelle et de l’article 23 de la Constitution.
À titre subsidiaire, elles estiment que, même si l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme n’était pas applicable, cela ne permettrait pas de justifier la discrimination alléguée. Ce sont deux questions différentes.
A.3. Les parties demanderesses en cassation reconnaissent que l’article 22, § 3, de la loi du 22 mai 2017
« relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale » (ci-après : la loi du 22 mai 2017) prévoit qu’en cas de demande de transfert d’éléments de preuve émanant d’un État membre de l’Union européenne, l’arrêt de la chambre des mises en accusation, statuant sur l’opposition d’un tiers intéressé, n’est pas susceptible de pourvoi en cassation. Elles estiment toutefois que cette mesure peut se justifier en raison du fait que les États membres de l’Union européenne répondent à des standards démocratiques et procéduraux équivalents à ceux de la Belgique. Il s’ensuit que les tiers intéressés peuvent exercer un recours effectif dans l’État membre où le bien aurait été réexpédié. En cas de transmission des biens saisis aux autorités d’un État qui n’est pas membre de l’Union européenne, les garanties ne sont pas comparables. Les parties demanderesses en cassation considèrent, en particulier, que l’Égypte ne répond pas aux mêmes standards que les États membres de l’Union européenne. Elles relèvent également que l’article 21 de la loi du 22 mai 2017 prévoit des garanties supplémentaires pour le justiciable, notamment la suspension de principe du transfert en cas de recours et la possibilité pour les autorités belges d’exiger le renvoi des éléments de preuve à la Belgique dès qu’ils ne sont plus nécessaires à l’État d’émission. En d’autres termes, même s’il fallait comparer la procédure d’opposition prévue par la loi du 9 décembre 2004 avec celle qui est prévue par la loi du 22 mai 2017, il faudrait constater que le législateur traite de la même manière des situations essentiellement différentes.
De surcroît, la jurisprudence de la Cour de cassation prévoit que l’arrêt de la chambre des mises en accusation statuant sur la demande de mainlevée introduite par la personne lésée par un acte d’instruction relatif à ses biens
4
est susceptible d’un pourvoi en cassation, même lorsque cet arrêt porte sur des éléments de preuve saisis dans le cadre d’une procédure d’enquête européenne (article 22, § 2, de la loi du 22 mai 2017) ou lorsqu’il porte sur des biens saisis dans le cadre de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne (article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 « relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne »). Cette différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée.
A.4. Les parties demanderesses en cassation estiment que les effets de cette différence de traitement sont disproportionnés, dès lors que l’unité de la jurisprudence n’est plus garantie par la Cour de cassation. En outre, en l’absence de pourvoi en cassation, les œuvres seront transférées à l’étranger dans un État non démocratique et seront définitivement perdues pour leur propriétaire. Il en va d’autant plus ainsi qu’en l’espèce, la demande de l’État égyptien ne porte pas sur la transmission d’éléments de preuve mais sur la restitution des œuvres, en application des articles 7, b), ii), et 13, b), de la Convention de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) du 14 novembre 1970 « concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels ».
Si l’État belge devait s’abstenir d’exercer toute forme de contrôle sur la demande d’entraide, il déléguerait son pouvoir exécutif à un État étranger, selon les parties demanderesses en cassation, ce qui porterait une atteinte discriminatoire aux articles 33 et 34 de la Constitution.
A.5. Le Conseil des ministres soutient, à titre principal, que les catégories de personnes qu’entendent comparer les parties demanderesses en cassation ne sont pas comparables. Il fait valoir que la loi du 5 août 2006
porte sur les saisies effectuées à des fins de confiscation. Ces saisies permettent aux autorités judiciaires d’appréhender les biens en vue d’une éventuelle confiscation. La loi du 22 mai 2017 porte sur les saisies opérées sur des éléments de preuve. En outre, l’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 prévoit une procédure de demande de mainlevée de la saisie introduite par toute personne lésée, tandis que la disposition en cause prévoit une procédure d’opposition à la transmission de l’objet de l’infraction, introduite par un tiers intéressé. De surcroît, la coopération judiciaire au sein de l’Union européenne, qui est réglée par les lois du 5 août 2006 et du 22 mai 2017, est fondée sur les principes de reconnaissance mutuelle et de confiance réciproque, de sorte que cette coopération diffère essentiellement de la coopération avec des États qui ne sont pas membres de l’Union européenne.
A.6. À titre subsidiaire, le Conseil des ministres fait valoir qu’il n’y a pas de différence de traitement entre les catégories de personnes comparées. Il observe que ni l’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 ni l’article 61quater du Code d’instruction criminelle auquel il renvoie ne prévoient la possibilité d’introduire un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation. Sous cet angle, il n’y a donc pas de différence de traitement. Il rappelle que ces dispositions sont applicables aux demandes de mainlevée des saisies à des fins de confiscation. La disposition en cause concerne, quant à elle, l’opposition des tiers intéressés à la transmission d’éléments de preuve à un État qui n’est pas membre de l’Union européenne, de sorte que c’est l’article 22, § 3, de la loi du 22 mai 2017, qui porte sur la transmission d’éléments de preuve à un État membre de l’Union européenne, qu’il y a lieu de comparer avec la disposition en cause. Les deux procédures excluent explicitement le pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation. Il s’ensuit que, sous cet angle, il n’y a pas de différence de traitement non plus.
A.7. Le Conseil des ministres estime qu’en toute hypothèse, les effets de la disposition en cause ne sont pas disproportionnés, étant donné que la décision de transmission peut être contestée devant la chambre du conseil et, ensuite, le cas échéant, devant la chambre des mises en accusation. Le législateur a ménagé un équilibre entre l’accès à la justice et le respect des décisions rendues à l’étranger.
A.8. Les parties demanderesses en cassation répondent que la loi du 9 décembre 2004 vise toute demande d’entraide, indépendamment de son objet. Elle ne se limite donc pas aux saisies probatoires. En l’espèce, les autorités égyptiennes ont demandé la saisie des œuvres aux fins de leur restitution et non à titre d’éléments de preuve. Il s’agit donc d’une confiscation des biens.
La loi du 5 août 2006, quant à elle, vise les confiscations, mais aussi, notamment, les saisies de choses formant l’objet de l’infraction.
5
Selon les parties demanderesses en cassation, la demande d’entraide internationale faite par les autorités égyptiennes dans le cadre du régime de la loi du 9 décembre 2004 porte sur des œuvres qui seraient l’objet de l’infraction, de sorte que ce régime est comparable à celui de la loi du 5 août 2006.
La loi du 22 mai 2017 a remplacé, dans le cadre européen, les dispositions correspondantes de la loi du 9 décembre 2004 et de la loi du 5 août 2006. Selon les parties demanderesses en cassation, les trois lois sont donc intimement liées et comparables.
Les parties demanderesses en cassation font également valoir que l’arrêt de la chambre des mises en accusation dans le cadre d’une procédure d’opposition à la transmission des biens à une autorité étrangère a un caractère définitif, de sorte qu’il devrait être susceptible de pourvoi en cassation.
A.9. Les parties demanderesses en cassation estiment que, par son arrêt n° 1/2022 du 13 janvier 2022
(ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.001), la Cour constitutionnelle a jugé qu’était inconstitutionnelle la différence de traitement entre la procédure de demande de mainlevée d’une saisie aux fins de la confiscation - prévue à l’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 et à l’article 61quater, § 5, du Code d’instruction criminelle - et la procédure d’opposition à la transmission de l’objet de l’infraction.
Les parties demanderesses en cassation rappellent également que, dans son arrêt précité, la Cour a jugé que la compétence territoriale limitée des autorités belges n’empêche pas celles-ci de contrôler le respect des conditions de fond prévues par la loi belge. Elles soutiennent également que faire confiance aux autorités étrangères ne dispense pas de vérifier la légalité des procédures.
A.10. Le Conseil des ministres répond que la disposition en cause ne porte pas exclusivement sur l’Égypte, mais vise tous les États non membres de l’Union européenne. La situation décrite par les parties demanderesses en cassation ne trouve donc pas sa source dans la disposition en cause, mais dans les particularités du régime politique égyptien. Le législateur ne saurait partir du principe que tous les pays non membres de l’Union européenne n’offrent pas des garanties juridictionnelles suffisantes.
Le Conseil des ministres observe que, contrairement à ce qu’allèguent les parties demanderesses en cassation, la disposition en cause peut être assimilée à l’article 420 du Code d’instruction criminelle, dès lors que, dans les deux cas, la saisie peut faire l’objet d’un contrôle en même temps que le jugement définitif. C’est dans le cadre de cette procédure, en Belgique ou à l’étranger, que le demandeur dispose de la possibilité de récupérer ses biens. La disposition en cause s’inscrit dans le prolongement de l’article 420 du Code d’instruction criminelle, qui avait notamment pour objectif de réduire l’afflux considérable de pourvois en matière pénale.
Le Conseil des ministres fait valoir que, par son arrêt n° 148/2017 du 21 décembre 2017
(ECLI:BE:GHCC:2017:ARR.148), la Cour constitutionnelle a jugé que la suppression du pourvoi en cassation dans la procédure de droit commun (articles 61quater et 420 du Code d’instruction criminelle) était compatible avec la Constitution. De surcroît, elle a jugé que la suppression du pourvoi en cassation ne restreint pas de manière disproportionnée les droits des intéressés.
Enfin, le Conseil des ministres estime que la disposition en cause n’entraîne pas un recul significatif de la protection du droit d’accès à la justice, et qu’en toute hypothèse, elle est justifiée par des motifs d’intérêt général.
6
-B-
Quant à la disposition en cause et à son contexte
B.1. La question préjudicielle porte sur l’article 6, § 5, alinéa 6, de la loi du 9 décembre 2004 « sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d’informations à finalité judiciaire, l’entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l’article 90ter du Code d’instruction criminelle » (ci-après : la loi du 9 décembre 2004). Elle vise en particulier l’exclusion du pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu par la chambre des mises en accusation dans le cadre d’une opposition à la transmission de biens saisis en exécution d’une demande d’entraide internationale.
B.2.1. La loi du 9 décembre 2004 concerne l’entraide judiciaire internationale en matière pénale.
B.2.2. Les autorités judiciaires belges accordent l’entraide judiciaire en matière pénale la plus large possible dans le respect de la loi du 9 décembre 2004 et des règles de droit international applicables (article 3).
Les demandes d’entraide judiciaire en matière pénale qui ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un instrument de droit international portant sur l’entraide judiciaire liant la Belgique et l’État requérant ne sont exécutées que moyennant un engagement réciproque de bonne coopération (article 4, § 1er).
L’article 4, § 2, de la loi du 9 décembre 2004 prévoit les cas dans lesquels l’exécution d’une demande d’entraide judiciaire en matière pénale est refusée.
B.3.1. Tel qu’il a été complété par l’article 218 de la loi du 6 juillet 2017 « portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice » (ci-
après : la loi du 6 juillet 2017), l’article 6 de la loi du 9 décembre 2004 dispose :
7
« § 1er. Les demandes d’entraide judiciaire en matière pénale émanant des autorités étrangères compétentes sont exécutées conformément au droit belge et, le cas échéant, aux instruments de droit international en vigueur qui lient l’État requérant et la Belgique.
[...]
§ 4. Si une demande d’entraide judiciaire en matière pénale ne peut être exécutée pour des motifs juridiques, l’autorité belge en charge de celle-ci en informe sans délai l’autorité étrangère compétente et motive sa décision en indiquant, le cas échéant, les conditions dans lesquelles cette exécution pourrait avoir lieu.
[...]
§ 5. Si dans le cadre de l’exécution d’une demande d’entraide judiciaire des biens ont été saisis qui, conformément à la demande d’entraide judiciaire, forment l’objet de l’infraction, un tiers intéressé peut s’opposer à la transmission à l’autorité requérante de ces biens saisis.
Le procureur du Roi communique par lettre recommandée, par fax ou par e-mail sa décision concernant la transmission des objets saisis à la personne chez qui les objets ont été saisis ainsi qu’aux tiers qui se seraient manifestés et, le cas échéant, à leurs avocats.
L’opposition à la transmission est formée au moyen d’une requête motivée dans laquelle le tiers intéressé manifeste un intérêt légitime. La requête doit, à peine de déchéance, être introduite dans les 15 jours de la notification de la décision du procureur du Roi auprès de la chambre du conseil du lieu où le procureur du Roi qui a pris cette décision de transmission exerce ses fonctions.
Seule la chambre du conseil est compétente pour se prononcer sur l’opposition contre la décision de transmission, à l’exclusion de la compétence du juge des référés.
L’ordonnance de la chambre du conseil est susceptible de recours devant la chambre des mises en accusation.
L’arrêt de la chambre des mises en accusation n’est pas susceptible de pourvoi en cassation ».
B.3.2. L’article 6, § 5, de la loi du 9 décembre 2004, tel qu’il a été inséré par l’article 218
de la loi du 6 juillet 2017, organise ainsi, au bénéfice du tiers intéressé, une procédure d’opposition à la transmission des biens saisis qui, en exécution d’une demande d’entraide judiciaire, forment l’objet de l’infraction.
8
La procédure prévue par cette disposition ne concerne que l’opposition à la transmission des biens saisis. Elle ne conduit donc pas à la mainlevée de la saisie.
Elle remplace la procédure qui était prévue à l’article 11 de la loi du 15 mars 1874 « sur les extraditions » (ci-après : la loi du 15 mars 1874).
B.3.3. Les travaux préparatoires de l’article 218 de la loi du 6 juillet 2017, laquelle a inséré un paragraphe 5 dans l’article 6 de la loi du 9 décembre 2004, expliquent la portée de la compétence de l’autorité belge en tant qu’État requis :
« À la suite de l’abrogation de l’article 11 de la loi du 15 mars 1874 sur les extraditions, il est inséré dans la loi en matière d’entraide judiciaire une procédure qui permet aux tiers intéressés de faire valoir leurs droits vis-à-vis des objets qui ont été saisis dans le cadre de l’exécution d’une demande d’entraide judiciaire étrangère dans laquelle il a été demandé qu’il soit procédé à une perquisition en Belgique.
Les demandes d’entraide judiciaire sont exécutées dans les limites des mesures de recherche demandées et en conformité avec l’instrument international applicable et avec la loi belge.
L’autorité belge en tant qu’État requis n’est pas compétente pour juger des mérites de l’enquête pénale menée à l’étranger.
Les autorités judiciaires ne sont pas habilitées à juger ce qui peut être utilisé comme élément de preuve à l’étranger dans le cadre de l’instruction ou des poursuites menées exclusivement à l’étranger en vertu de la loi de l’[É]tat étranger.
Par conséquent, l’éventuelle contestation des éléments de preuve saisis en Belgique lors de l’exécution d’une demande d’entraide judiciaire, est étrangère à la compétence des autorités judiciaires belges. Pour ces raisons, la discussion concernant la transmission des éléments de preuve est exclu[e].
Des procédures concernant l’(in)admissibilité des preuves obtenues à l’étranger doivent être menées dans l’état requérant.
Par conséquent, ce paragraphe vise uniquement les biens saisis pouvant être considérés comme l’objet de l’infraction.
[...]
Les tiers intéressés peuvent, par une requête motivée, s’opposer à la décision de transmission des objets saisis prise par le procureur du Roi. À cet égard, il peut être renvoyé à la jurisprudence existante en la matière, dont l’arrêt du 15 juin 2011 de la Cour de cassation (P.11 0927.F).
9
[...]
Dans le cadre de l’opposition contre la transmission des biens saisis, la chambre du conseil compétente est celle du lieu où le procureur du Roi qui a pris la décision de transmission exerce ses fonctions. L’opposition ne porte pas sur la saisie, mais bien sur la transmission des biens saisis et donc liée à la décision de transmission. Cela a comme effet que le procureur fédéral, ayant son siège normal à Bruxelles, prend une décision de transmission concernant des biens saisis par exemple, à Ostende, Gand, Anvers et Arlon et que seule la chambre du conseil de Bruxelles sera compétente. Cela anticipe la désignation de divisions spécifiques pour le traitement des demandes d’entraide judiciaire étrangères dans le cadre des règlements de répartition des affaires, ainsi que la possibilité qu’un magistrat d’une autre division soit temporairement détaché à la division désignée pour le traitement d’une demande d’entraide étrangère.
Conformément au droit commun (article 135 du Code d’instruction criminelle), il peut être interjeté appel des ordonnances de la chambre du conseil devant la chambre des mises en accusation.
Il est décidé expressément de ne pas rendre l’arrêt de la chambre des mises en accusation susceptible de pourvoi en cassation » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2259/001, pp. 163-164).
Le ministre de la Justice a également précisé :
« Le ministre explique que le choix de ne pas rendre l’arrêt de la chambre des mises en accusation susceptible de pourvoi en cassation se justifie à la lumière de la loi du 14 février 2014 relative à la procédure devant la Cour de cassation en matière pénale (voir plus particulièrement DOC 53 3065/001). L’entraide internationale en matière pénale est régie par les traités et accords internationaux et la législation nationale ayant un caractère sui generis. La caractéristique essentielle de l’entraide internationale en matière pénale est que l’État requis aide l’État requérant en lui fournissant les preuves qu’il a demandées. L’État requis n’est donc pas habilité à se prononcer sur la teneur des poursuites pénales étrangères ou sur la procédure (pénale) menée dans l’État requérant. La procédure visant uniquement à exécuter une entraide judiciaire étrangère n’est même pas une procédure au sens de l’article 6 de la CEDH. Il s’agit de la simple exécution d’une décision judiciaire étrangère » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2259/008, p. 71).
B.3.4. Comme le mentionnent les travaux préparatoires précités, les enseignements de la jurisprudence relative à l’article 11 de la loi du 15 mars 1874 peuvent être transposés mutatis mutandis pour l’application de la disposition en cause.
Il ressort de cette jurisprudence que « la chambre du conseil et, en degré d’appel, la chambre des mises en accusation examinent uniquement, dans le cadre de leur compétence
10
clairement délimitée, si les droits de tiers peuvent avoir été lésés, du fait que les objets saisis sont transmis au gouvernement requérant; que le rôle de la juridiction d’instruction revêt un caractère conservatoire dans la mesure où, en qualité de juridiction chargée uniquement d’approuver la remise des objets saisis à l’autorité étrangère, elle ne peut refuser cette remise que lorsque les tiers détenteurs ou autres ayants droit ont un intérêt à ce que ces objets soient conservés à l’intérieur des frontières du pays; que lesdites personnes doivent établir cet intérêt »
(Cass., 1er juin 1999, P.99.0630.N ECLI:BE:CASS:1999:ARR.19990601.11, ECLI:BE:CASS:1999:ARR.199990601.11).
En outre, la juridiction d’instruction n’est pas obligée de refuser la remise des objets saisis du seul fait qu’un tiers détenteur est intéressé à ce qu’ils ne franchissent pas la frontière. En d’autres termes, « l’intérêt du tiers permet à la juridiction d’instruction de refuser la remise. Il ne l’y contraint pas » (Cass., 15 juin 2011, P.11.0927.F, ECLI:BE:CASS:2011:ARR.20110615.2).
B.4. Dans leurs mémoires, les parties mettent en évidence quatre régimes juridiques, à savoir :
- la demande de levée d’un acte d’instruction qui ne trouve pas sa source dans une demande d’entraide judiciaire internationale (article 61quater du Code d’instruction criminelle, lu en combinaison avec l’article 420 du même Code);
- la demande de levée d’une saisie prononcée en exécution d’une décision judiciaire en matière pénale prise par un État membre de l’Union européenne (article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 « relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne » (ci-après : la loi du 5 août 2006));
- la demande de levée d’une saisie prononcée en exécution d’une décision d’enquête européenne (article 22, §§ 1er et 2, de la loi du 22 mai 2017 « relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale » (ci-après : la loi du 22 mai 2017)) et
- l’opposition au transfert des biens saisis en exécution d’une décision d’enquête européenne (article 22, § 3, de la loi du 22 mai 2017).
11
B.5.1. La procédure de demande de levée d’un acte d’instruction qui ne trouve pas sa source dans une demande d’entraide judiciaire internationale, y compris lorsqu’il ordonne une saisie, est mise en place par l’article 61quater du Code d’instruction criminelle. Le recours est ouvert à toute personne lésée par un acte d’instruction relatif à ses biens (article 61quater, § 1er).
L’article 61quater, § 3, du Code d’instruction criminelle prévoit que le juge d’instruction « peut rejeter la requête s’il estime que les nécessités de l’instruction le requièrent, lorsque la levée de l’acte compromet la sauvegarde des droits des parties ou des tiers, lorsque la levée de l’acte présente un danger pour les personnes ou les biens, ou dans les cas où la loi prévoit la restitution ou la confiscation desdits biens ».
Le procureur du Roi et le requérant peuvent interjeter appel de l’ordonnance du juge d’instruction devant la chambre des mises en accusation. L’appel est suspensif, à moins que l’exécution provisoire ait été ordonnée (article 61quater, § 5).
B.5.2. L’article 20 de la loi du 14 février 2014 « relative à la procédure devant la Cour de cassation en matière pénale », auquel se réfèrent les travaux préparatoires cités en B.3, remplace l’article 420, alinéa 1er, du même Code. Cette disposition prévoit que le « pourvoi en cassation contre les décisions préparatoires et d’instruction n’est ouvert qu’après l’arrêt ou le jugement définitif, même si elles ont été exécutées sans réserve ». Il ressort de l’alinéa 2 de cet article que l’arrêt de la chambre des mises en accusation qui contrôle la légalité d’une saisie n’est pas susceptible de pourvoi en cassation immédiat.
La possibilité d’introduire un pourvoi en cassation immédiat a été abrogée par l’article 115
de la loi du 5 février 2016 « modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice », qui remplace l’article 420, alinéa 2, du Code d’instruction criminelle.
12
Comme il est dit en B.3.3, la disposition en cause est justifiée par la volonté d’instaurer un parallélisme avec la règle contenue dans l’article 420 du Code d’instruction criminelle.
B.5.3. Dans l’exposé des motifs, l’abrogation de cette possibilité de pourvoi en cassation immédiat est justifiée en ces termes :
« La prolifération des exceptions au principe de base selon lequel la recevabilité du pourvoi contre les décisions préparatoires et d’instruction n’est ouverte qu’après l’arrêt ou le jugement définitif, est une des causes de l’engorgement de la Cour.
La suppression du pourvoi immédiat contre les arrêts rendus en application des articles 135, 235bis et 235ter du Code d’instruction criminelle a pour but d’éviter les dérives liées au développement du procès fait dans le procès.
Il s’agit d’une mesure suggérée avec insistance dans le Relevé des lois qui ont posé des difficultés d’application ou d’interprétation pour les cours et tribunaux, présenté le 17 octobre 2014 par le procureur général près la Cour de cassation au Comité parlementaire chargé du suivi législatif (rapport 2013-2014, DOC 54-0435/001 pg 31 à 33), tout comme dans son rapport de l’année précédente.
Elle vise aussi à pallier les conséquences négatives de l’allongement des procédures sur la détention préventive et sur le délai raisonnable.
Il n’en résulte toutefois pas un affaiblissement du contrôle de légalité de la procédure, mais seulement le report de ce contrôle à la fin du procès, qui est le seul moment où, disposant d’une vue d’ensemble, l’on peut mesurer l’impact véritable, sur la procédure, des irrégularités invoquées.
Une telle solution soulagerait la Cour d’un fardeau énorme et dont le nombre de pourvois rejetés indique qu’il est inutile » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/001, pp. 104-
105).
Les travaux préparatoires ajoutent également que la faculté d’introduire un pourvoi en cassation immédiat « dégénère souvent en procès fait dans le procès, allongeant démesurément les procédures avant même le jugement de l’affaire au fond, où les mêmes questions seront reposées sous un habillage différent ou par une autre partie » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1418/005, p. 19).
B.5.4. La Cour a jugé que cette disposition ne limite pas de manière disproportionnée les droits des personnes concernées, étant donné qu’un pourvoi en cassation est toujours ouvert
13
contre les arrêts de la chambre des mises en accusation, fût-ce uniquement après l’arrêt ou le jugement définitifs (arrêt n° 148/2017 du 21 décembre 2017, ECLI:BE:GHCC:2017:ARR.148, B.55.2).
B.6.1. La procédure de demande de levée d’une saisie prononcée en exécution d’une décision judiciaire en matière pénale prise par un État membre de l’Union européenne est organisée par l’article 15 de la loi du 5 août 2006.
La loi du 5 août 2006 régit, dans les relations entre la Belgique et les autres États membres de l’Union européenne, les modalités d’exécution des décisions prises dans le cadre d’une procédure pénale par une autorité compétente selon le droit de l’État d’émission ainsi que les modalités à respecter par les autorités belges pour la transmission de pareilles décisions.
Elle transpose en droit belge, notamment, la décision-cadre 2003/577/JAI du Conseil du 22 juillet 2003 « relative à l’exécution dans l’Union européenne des décisions de gel de biens ou d’éléments de preuve » (ci-après : la décision-cadre 2003/577/JAI) (article 2).
B.6.2. Les travaux préparatoires de la loi du 26 novembre 2011 « modifiant la loi du 5 août 2006 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne (II) » exposent :
« Le principe de reconnaissance mutuelle est ainsi considéré comme la pierre angulaire de la coopération judiciaire pénale dans l’Union européenne et doit remplacer les mécanismes d’entraide ‘ classique ’ basés sur le dialogue entre États.
Le nouveau système se fonde sur la confiance réciproque des États membres dans la qualité de leur procédure pénale respective. Dans un espace sans frontière tel que l’Union européenne, il est normal que les décisions judiciaires puissent facilement circuler et y être exécutées » (Doc.
parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-1703/001, p. 7).
B.6.3. La loi du 5 août 2006 concerne, notamment, les « saisies préalables » – à savoir les saisies de biens visant à garantir l’exécution de la confiscation (article 2/1, 4/1°) – et les
14
« gels » - ce qui comprend notamment les saisies de choses formant l’objet de l’infraction, de celles qui ont servi ou qui ont été destinées à la commettre, quand la propriété en appartient au condamné et de celles qui ont été produites par l’infraction (article 2/1, 3°).
B.6.4. L’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 prévoit que toute personne lésée peut demander la levée de la saisie. La demande de levée de la saisie a un effet suspensif sur l’exécution de la demande de confiscation ou de transfert du bien en tant qu’élément de preuve.
L’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 dispose que la procédure prévue à l’article 61quater du Code d’instruction criminelle est applicable. Toutefois, contrairement à la procédure résultant de l’article 61quater du Code d’instruction criminelle, la compétence du juge d’instruction se limite à vérifier l’existence des conditions de fond (article 15, § 1er).
En revanche, les motifs de la saisie ne peuvent être contestés que par une action devant un tribunal de l’État d’émission (article 15, § 2).
Conformément à l’article 61quater, l’ordonnance du juge d’instruction est susceptible d’appel devant la chambre des mises en accusation.
B.6.5. La Cour de cassation a jugé que l’arrêt de la chambre des mises en accusation peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation, dès lors que l’éventuelle décision définitive au sens de l’article 420 du Code d’instruction criminelle n’est pas rendue en Belgique (Cass., 3 juin 2020, P.20.0314.F, ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20200603.2F.7).
B.7.1. La procédure de demande de levée d’une saisie prononcée en exécution d’une décision d’enquête européenne est visée à l’article 22, §§ 1er et 2, de la loi du 22 mai 2017.
Cette loi transpose la directive 2014/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 « concernant la décision d’enquête européenne en matière pénale » (ci-après : la directive 2014/41/UE).
15
Dans les relations qu’entretient la Belgique avec les autres États membres de l’Union européenne liés par la directive 2014/41/UE, la loi du 22 mai 2017 remplace, d’une part, la loi du 9 décembre 2004, en ce qui concerne l’exécution de mesures d’enquête, et, d’autre part, la loi du 5 août 2006, en ce qui concerne la saisie d’éléments de preuve (article 3, § 2).
B.7.2. Les seules voies de recours ouvertes contre l’exécution d’une décision d’enquête européenne sont celles qui sont prévues à l’article 22 (article 22, § 1er).
L’article 22, § 2, rend l’article 61quater du Code d’instruction criminelle applicable mutatis mutandis. Il prévoit toutefois que les motifs de fond qui sous-tendent l’émission d’une décision d’enquête européenne ne peuvent être contestés que dans l’État d’émission.
Il s’ensuit que, conformément à l’article 61quater du Code d’instruction criminelle, l’ordonnance du juge d’instruction qui se prononce sur la levée d’une saisie exécutée en application d’une décision d’enquête européenne est susceptible d’appel devant la chambre des mises en accusation.
B.7.3. La Cour de cassation a jugé que l’arrêt de la chambre des mises en accusation peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation (Cass., 12 mai 2020, P.20.0342.N, ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20200512.2N.3; 5 janvier 2022, P.21.1329.F, ECLI:BE:CASS:2022:ARR.20220105.2F.2).
B.8.1. Enfin, l’article 22, § 3, de la loi du 22 mai 2017 organise, quant à lui, la procédure d’opposition au transfert à l’autorité d’émission des biens constituant l’objet de l’infraction saisis en exécution d’une décision d’enquête européenne.
Ce recours peut être exercé par tout tiers intéressé. La requête est introduite auprès de la chambre du conseil du lieu où l’autorité d’exécution belge qui a pris la décision de transfert exerce ses fonctions. Seule la chambre du conseil est compétente pour se prononcer sur l’opposition contre la décision de transfert, à l’exclusion de la compétence du juge en référé.
L’ordonnance de la chambre du conseil est susceptible de recours devant la chambre des mises en accusation (article 22, § 3, alinéas 1er à 5). En revanche, à l’instar de ce que prévoit la disposition en cause, l’article 22, § 3, alinéa 6, de la loi du 22 mai 2017 dispose expressément
16
que l’arrêt de la chambre des mises en accusation n’est pas susceptible de pourvoi en cassation (article 22, § 3, alinéa 6).
L’opposition au transfert n’a pas d’effets sur la saisie du bien. En d’autres termes, si l’opposition au transfert est accueillie, la saisie n’est pas levée pour autant.
B.8.2. Il ressort des travaux préparatoires de cette disposition que le législateur a souhaité mettre en place une procédure similaire à celle qui a été fixée par la disposition en cause, alors en projet (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-2437/001, p. 30).
B.9.1. Il ressort des développements qui précédent qu’en matière d’entraide internationale, un pourvoi en cassation immédiat contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation qui se prononce sur la mainlevée de la saisie est possible en application de l’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 et de l’article 22, § 2, de la loi du 22 mai 2017. L’arrêt de la chambre des mises en accusation qui se prononce sur la levée d’une saisie qui n’a pas été décidée en exécution d’une demande d’entraide internationale n’est, quant à lui, susceptible d’un pourvoi en cassation qu’en même temps que le pourvoi dirigé contre la décision définitive au fond.
En revanche, ni l’arrêt de la chambre des mises en accusation qui se prononce sur l’opposition au transfert des biens saisis à l’État d’émission en application de la loi du 22 mai 2017 ni l’arrêt qui se prononce sur l’opposition à la transmission de tels biens en application de la loi du 9 décembre 2004 ne sont susceptibles d’un pourvoi en cassation immédiat ou différé.
B.9.2. Contrairement à la loi du 5 août 2006 et à la loi du 22 mai 2017, qui concernent les demandes d’exécution de saisies provenant d’États membres de l’Union européenne liés par la décision-cadre 2003/577/JAI ou par la directive 2014/41/UE, la loi du 9 décembre 2004, qui concerne en règle les demandes d’exécution de saisies provenant d’États non membres de l’Union européenne, ne prévoit pas la possibilité pour la personne lésée de demander la mainlevée de la saisie des biens.
17
B.9.3. Alors qu’elle se prononçait sur la différence de traitement entre le régime instauré par la loi du 9 décembre 2004 et le régime instauré par la loi du 5 août 2006, la Cour a jugé, par son arrêt n° 1/2022 du 13 janvier 2022 (ECLI:BE:GHCC:2022:ARR.001) :
« B.13.2. [...]
Cette différence de traitement limite de manière disproportionnée les droits des personnes lésées, puisqu’elle les prive d’un recours effectif leur permettant de contester le respect des conditions légales d’exécution de la saisie et de mettre fin à la saisie de leurs biens si les conditions prévues par le droit belge ne sont pas respectées. Cette atteinte est d’autant plus disproportionnée que la saisie de biens est une mesure particulièrement attentatoire au droit de propriété, qui bénéficie d’un régime spécifique dans la loi du 5 août 2006, que la saisie est exécutée en vertu d’une demande émanant d’une autorité étrangère à l’égard de laquelle ne prévaut pas le principe de reconnaissance mutuelle, lequel constitue la pierre angulaire de la coopération judiciaire dans l’Union européenne, et que la procédure d’exécution d’une telle demande, prévue par la loi du 9 décembre 2004, ne comporte pas les mêmes garanties que celles qui sont prévues par la loi du 5 août 2006.
B.13.3. C’est au législateur qu’il appartient de remédier aux lacunes de l’article 6, § 5, de la loi du 9 décembre 2004 et d’organiser les modalités spécifiques d’un tel recours en mainlevée d’une saisie, le cas échéant en s’inspirant – comme le prévoit l’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 – de la procédure prévue à l’article 61quater du Code d’instruction criminelle.
B.13.4. Afin, dans l’attente de cette intervention du législateur, que soit garanti aux intéressés le droit d’accès au juge, ceux-ci doivent pouvoir solliciter du juge d’instruction la mainlevée de la saisie exécutée en vertu d’une demande d’entraide judiciaire émanant d’un État non membre de l’Union européenne, par analogie avec la procédure prévue à l’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006 juncto l’article 61quater du Code d’instruction criminelle, qui permet d’interjeter appel de la décision du juge d’instruction devant la chambre des mises en accusation. Dans le cadre de cette procédure, le respect de la loi du 9 décembre 2004, et en particulier des conditions visées à l’article 4 de cette même loi, peut être contrôlé ».
Quant à la recevabilité de la question préjudicielle
B.10.1. L’examen de la compatibilité d’une disposition législative avec le principe d’égalité et de non-discrimination suppose notamment l’identification précise de deux
18
catégories de personnes qui font l’objet d’une différence de traitement ou d’une identité de traitement.
Le libellé de la question préjudicielle invitant la Cour à un tel examen et à tout le moins les motifs de la décision de renvoi doivent donc contenir les éléments nécessaires à cette identification. Il n’appartient pas à la Cour d’examiner la constitutionnalité d’une différence de traitement ou d’une identité de traitement entre deux catégories de personnes dont elle devrait elle-même définir les contours.
B.10.2 En l’espèce, la question préjudicielle ne mentionne pas quelles catégories de personnes doivent être comparées.
Il peut toutefois être déduit de l’arrêt de renvoi que la juridiction a quo invite la Cour constitutionnelle à se prononcer sur la différence de traitement entre, d’une part, les tiers intéressés qui, conformément à l’article 6, § 5, alinéa 6, de la loi du 9 décembre 2004, ne peuvent pas se pourvoir en cassation contre l’arrêt statuant sur le recours introduit contre la décision de transmission à l’État d’émission des biens saisis qui forment l’objet de l’infraction et, d’autre part, les personnes lésées qui peuvent se pourvoir en cassation contre l’arrêt statuant sur le recours dirigé contre les saisies pratiquées en exécution d’une décision d’enquête européenne ou de gel des biens.
La situation de cette dernière catégorie de personnes est réglée dans la loi du 22 mai 2017
« relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale » et dans la loi du 5 août 2006.
Quant au fond
B.11.1. La loi du 5 août 2006 concerne, notamment, les « saisies préalables » – à savoir les saisies de biens visant à garantir l’exécution de la confiscation (article 2/1, 4/1°) – et les
19
« gels » – ce qui comprend notamment les saisies de choses formant l’objet de l’infraction, de celles qui ont servi ou qui ont été destinées à la commettre, quand la propriété en appartient au condamné et de celles qui ont été produites par l’infraction (article 2/1, 3°).
B.11.2. La procédure de demande de levée d’une saisie prononcée en exécution d’une décision judiciaire en matière pénale prise par un État membre de l’Union européenne est organisée à l’article 15 de la loi du 5 août 2006.
En vertu de l’article 15, § 1er, de la loi du 5 août 2006, toute personne lésée peut demander la levée de la saisie et la procédure visée à l’article 61quater du Code d’instruction criminelle s’y applique. L’article 61quater, § 1er, du Code d’instruction criminelle prévoit que toute personne lésée par un acte d’instruction relatif à ses biens peut en demander la levée au juge d’instruction.
Conformément à l’article 61quater, § 5, l’ordonnance du juge d’instruction est susceptible d’appel devant la chambre des mises en accusation.
B.11.3. La Cour de cassation a jugé que l’arrêt de la chambre des mises en accusation peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation immédiat, dès lors que l’éventuelle décision définitive au sens de l’article 420 du Code d’instruction criminelle n’est pas rendue en Belgique (Cass., 3 juin 2020, P.20.0314.F, ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20200603.2F.7).
B.12.1. La procédure de demande de levée d’une saisie prononcée en exécution d’une décision d’enquête européenne est réglée à l’article 22, §§ 1er et 2, de la loi du 22 mai 2017.
B.12.2. Cet article 22, § 2, de la loi du 22 mai 2017 prévoit également que l’article 61quater du Code d’instruction criminelle est d’application correspondante.
Il s’ensuit que, conformément à l’article 61quater du Code d’instruction criminelle, l’ordonnance du juge d’instruction qui se prononce sur la levée d’une saisie exécutée en
20
application d’une décision d’enquête européenne est susceptible d’appel devant la chambre des mises en accusation.
B.12.3. La Cour de cassation a jugé que l’arrêt de la chambre des mises en accusation est susceptible d’un pourvoi en cassation (Cass., 12 mai 2020, P.20.0342.N, ECLI:BE:CASS:2020:ARR.20200512.2N.3; 5 janvier 2022, P.21.1329.F, ECLI:BE:CASS:2022:ARR.20220105.2F.2).
B.13. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.14. La différence de traitement entre certaines catégories de personnes qui découle de l’application de règles procédurales différentes dans des circonstances différentes n’est pas discriminatoire en soi. Il ne pourrait être question de discrimination que si la différence de traitement qui découle de l’application de ces règles de procédure entraînait une limitation disproportionnée des droits des personnes concernées.
B.15. La disposition en cause rend impossible le pourvoi en cassation immédiat contre la décision de la chambre des mises en accusation statuant sur le recours formé contre la décision de transmission des biens saisis à l’État d’émission. Étant donné que, dans une telle situation, la décision définitive relative à la procédure pénale n’est par définition pas rendue par une juridiction belge, la décision de la chambre des mises en accusation n’est pas non plus susceptible d’un pourvoi en cassation différé. Par conséquent, toute possibilité de contrôle par la Cour de cassation est exclue et les tiers intéressés ne peuvent pas contester une contravention
21
à la loi ou une violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, dans la décision de la chambre des mises en accusation.
B.16. Le droit à un procès équitable n’implique pas, de manière générale, le droit à un pourvoi en cassation. Toutefois, lorsque le législateur prévoit la voie de recours du pourvoi en cassation, il doit à cette occasion garantir un déroulement équitable de la procédure et ne peut refuser cette voie de recours à certaines catégories de justiciables sans qu’existe pour ce faire une justification raisonnable.
B.17. Il est significativement plus difficile pour un tiers intéressé de faire valoir ses droits sur le bien saisi, dès que ce bien a été transmis à une autorité étrangère. C’est d’autant plus vrai s’il s’agit d’une autorité à l’égard de laquelle ne prévaut pas le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue la pierre angulaire de la coopération judiciaire dans l’Union européenne.
L’absence d’un pourvoi en cassation n’est pas valablement justifiée par la circonstance, citée dans les travaux préparatoires mentionnés en B.3.3, selon laquelle les autorités belges, dans le cadre de l’exécution d’une demande d’entraide judiciaire internationale, ne collaborent qu’à une enquête menée par une autorité étrangère et qu’elles ne peuvent, en principe, contrôler la régularité de cette enquête. La compétence territoriale limitée des autorités belges n’empêche en effet pas celles-ci de vérifier si la transmission des biens saisis lèse les droits de tiers et, le cas échéant, de refuser la transmission, ainsi qu’il ressort également de la jurisprudence de la Cour de cassation mentionnée en B.3.4.
B.18. L’objectif, cité en B.3.3, d’instaurer un parallélisme avec l’article 420 du Code d’instruction criminelle et d’éviter ainsi l’engorgement de la Cour de cassation par les recours en matière pénale ne permet pas non plus de justifier raisonnablement une telle différence de traitement.
En effet, si la Cour, par son arrêt n° 148/2017 précité, a jugé que le dispositif mis en place par l’article 420 du Code d’instruction criminelle ne limitait pas de manière disproportionnée les droits des justiciables, c’est en raison du fait qu’il reporte au moment du pourvoi en cassation
22
contre l’arrêt définitif rendu au fond le contrôle de l’arrêt de la chambre des mises en accusation.
Il ne supprime donc pas ce contrôle.
En outre, s’il est vrai que, comme le relève le Conseil des ministres, la loi du 5 août 2006
et la loi du 22 mai 2017 ne prévoient pas explicitement le pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre de mises en accusation statuant sur la levée de la saisie, la Cour de cassation a jugé que cet arrêt peut faire l’objet d’un pourvoi immédiat, dès lors que l’éventuelle décision définitive au sens de l’article 420 du Code d’instruction criminelle n’est pas rendue en Belgique.
La disposition en cause exclut en revanche explicitement le pourvoi en cassation, alors que la décision définitive n’est pas rendue en Belgique. Il s’ensuit que toute possibilité de contrôle par la Cour de cassation est exclue.
B.19. Il résulte de ce qui précède que la disposition en cause n’est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
23
Par ces motifs,
la Cour
dit pour droit :
L’article 6, § 5, alinéa 6, de la loi du 9 décembre 2004 « sur la transmission policière internationale de données à caractère personnel et d’informations à finalité judiciaire, l’entraide judiciaire internationale en matière pénale et modifiant l’article 90ter du Code d’instruction criminelle » viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 mars 2024.
Le greffier, Le président,
Nicolas Dupont Pierre Nihoul


Synthèse
Numéro d'arrêt : 29/2024
Date de la décision : 14/03/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-03-14;29.2024 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award