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11/04/2024 | BELGIQUE | N°44/2024

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 11 avril 2024, 44/2024


Cour constitutionnelle
Arrêt n° 44/2024
du 11 avril 2024
Numéros du rôle : 8004, 8008, 8016 et 8017
En cause : les recours en annulation totale ou partielle du chapitre 2 du titre 2 de la loi du 29 novembre 2022 « portant des dispositions diverses en matière de soins de santé », introduits par l’ASBL « Federale Vereniging voor Klinische Laboratoria » et autres, par Sophie Turin et l’ASBL « Chambre de Médecine Dentaire », par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux » et par Johan Blanckaert et la SRL « Blanckaert MD ».
La Cour constitutionne

lle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet...

Cour constitutionnelle
Arrêt n° 44/2024
du 11 avril 2024
Numéros du rôle : 8004, 8008, 8016 et 8017
En cause : les recours en annulation totale ou partielle du chapitre 2 du titre 2 de la loi du 29 novembre 2022 « portant des dispositions diverses en matière de soins de santé », introduits par l’ASBL « Federale Vereniging voor Klinische Laboratoria » et autres, par Sophie Turin et l’ASBL « Chambre de Médecine Dentaire », par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux » et par Johan Blanckaert et la SRL « Blanckaert MD ».
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 7 juin 2023 et parvenue au greffe le 8 juin 2023, un recours en annulation de l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022 « portant des dispositions diverses en matière de soins de santé » (publiée au Moniteur belge du 9 décembre 2022, deuxième édition) a été introduit par l’ASBL « Federale Vereniging voor Klinische Laboratoria », l’ASBL « Société Belge des Pharmaciens Spécialistes en Biologie Clinique », la SRL « Medilab », Jozef Jonckheere et Philippe Cuigniez, assistés et représentés par Me An Vijverman et Me Ann Dierickx, avocates au barreau de Louvain.
b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 8 juin 2023 et parvenue au greffe le 9 juin 2023, un recours en annulation du chapitre 2 du titre 2 de la même loi a été introduit par Sophie Turin et l’ASBL « Chambre de Médecine Dentaire », assistées et représentées par Me Kim Eric Möric et Me Mathieu Dekleermaker, avocats au barreau de Bruxelles.
c. Par deux requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste le 9 juin 2023
et parvenues au greffe le 13 juin 2023, des recours en annulation de l’article 22 de la même loi
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ont été introduits par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux », assistée et représentée par Me Anne Feyt, Me Marc Uyttendaele et Me Victorine Nagels, avocats au barreau de Bruxelles, et par Johan Blanckaert et la SRL « Blanckaert MD », assistés et représentés par Me Anne Feyt, Me Marc Uyttendaele et Me Victorine Nagels.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 8004, 8008, 8016 et 8017 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Des mémoires et mémoires en réplique ont été introduits par :
- l’ASBL « Société de Médecine Dentaire », la SRL « Société Odontologique de Waterloo », l’ASBL « Belgian Union of Orthodontic Specialists », Guy Baeten, l’ASBL « Verbond van Vlaamse Tandartsen », Stéfanie Dekeyser, l’ASBL « Vlaamse Beroepsvereniging Tandartsen » et Frank Herrebout, assistés et représentés par Me Alexis Lefebvre et Me Frederiek Baudoncq, avocats au barreau de Louvain (parties intervenantes);
- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Pierre Slegers, Me Margaux Kerkhofs et Me Jennifer Duval, avocats au barreau de Bruxelles.
Les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse.
Par ordonnance du 14 février 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Yasmine Kherbache et Michel Pâques, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Affaire n° 8004
A.1.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8004 sont trois personnes morales, l’ASBL « Federale Vereniging voor Klinische Laboratoria », l’ASBL « Société Belge des Pharmaciens Spécialistes en Biologie Clinique » et la SRL « Medilab », ainsi que deux personnes physiques, Jozef Jonckheere et Philippe Cuigniez.
Elles demandent l’annulation de l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022 « portant des dispositions diverses en matière de soins de santé » (ci-après : la loi du 29 novembre 2022). Par suite de l’application de la disposition
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attaquée, les dispensateurs de soins ne peuvent plus facturer de suppléments d’honoraires aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance lorsqu’ils dispensent des soins ambulatoires.
A.1.2. Les parties requérantes font valoir que l’article 22 attaqué leur est applicable, de sorte qu’elles auraient intérêt au recours.
A.2.1. Sur le fond, les parties requérantes invoquent trois moyens distincts.
Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 16 de la Constitution, avec l’article 1er, premier alinéa, du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel), avec l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 27 de la Constitution, avec l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 1er et 4 de la Charte sociale européenne révisée, avec les articles 73, § 1er, et 127, § 1er, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : la loi du 14 juillet 1994), avec l’article 4 de la loi du 22 avril 2019 « relative à la qualité de la pratique des soins de santé », avec l’article 144, § 1er, de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 « sur les hôpitaux et autres établissements de soins », avec l’article 6 de la loi du 22 août 2002 « relative aux droits du patient » et avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique.
Le deuxième moyen est pris de la violation de l’article 23 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec la liberté thérapeutique et le libre choix du praticien.
Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution ou de l’article 23 de la Constitution, lus en combinaison avec la libre prestation des services et la liberté d’établissement garantie par l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), avec les articles 56 et 57
du TFUE et avec l’article 15, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
A.2.2. Les parties requérantes subdivisent le premier moyen en six branches.
Dans la première branche, les parties requérantes font valoir que l’article 22, attaqué, de la loi du 29 novembre 2022 viole les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu’il interdit à différentes catégories de dispensateurs de soins de facturer des suppléments d’honoraires portant sur des prestations de soins ambulatoires à des bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance, sans que cette identité de traitement soit raisonnablement justifiée. Ni les dispensateurs de soins qui ont adhéré à un accord tarifaire et qui sont donc conventionnés, ni les dispensateurs de soins qui n’ont pas adhéré à un accord tarifaire et qui ne sont donc pas conventionnés ne peuvent facturer de suppléments d’honoraires, alors que les dispensateurs de soins non conventionnés peuvent normalement le faire. Selon les parties requérantes, cette identité de traitement n’est ni ciblée ni proportionnée, parce qu’elle ne contribue pas à l’objectif du législateur, qui consiste à augmenter la sécurité tarifaire pour les patients à faibles revenus, et qu’elle n’est pas proportionnée à son incidence sur les dispensateurs de soins non conventionnés. Le législateur peut également atteindre son objectif d’autres manières, par exemple en permettant aux mutualités de rembourser l’intégralité du montant aux patients qui ont droit à une intervention majorée de l’assurance, quel que soit le statut conventionnel du dispensateur de soins qu’ils consultent. Le véritable problème des bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance est en effet le fait que les soins ambulatoires qu’ils reçoivent ne sont pas remboursés, ou le sont insuffisamment, par la sécurité sociale.
Selon les parties requérantes, le premier moyen, en sa deuxième branche, est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 16 de la Constitution, avec l’article 1er, premier alinéa, du Premier Protocole additionnel et avec l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Dès lors que les dispensateurs de soins non conventionnés sont traités de la même manière que les dispensateurs de soins conventionnés, ils ne peuvent pas facturer de suppléments d’honoraires, mais ils n’ont pas davantage droit aux avantages sociaux dont bénéficient les dispensateurs de soins conventionnés.
La troisième branche du premier moyen porte sur la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 27 de la Constitution, avec l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec les articles 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que l’article 22, attaqué, de la loi du 29 novembre 2022 oblige les dispensateurs de soins conventionnés et non conventionnés à utiliser le tarif conventionnel, de sorte que le législateur méconnaît la portée de l’accord tarifaire,
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du moins en ce qui concerne le respect des tarifs. Selon les parties requérantes, l’article 22 attaqué porte atteinte à la liberté d’association des dispensateurs de soins non conventionnés, puisqu’ils doivent de facto appliquer un tarif conventionnel pour lequel ils n’ont pas signé. Conformément à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le droit d’association ne peut être restreint que si la restriction est proportionnée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
Dans la quatrième branche, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit au travail et le droit à une rémunération équitable. En effet, le risque est réel que les dispensateurs de soins non conventionnés, par suite de l’article 22, mettent fin à leurs activités de soins ou déménagent à l’étranger, ce qui viole leur droit au travail. L’impossibilité de facturer des suppléments d’honoraires pour les soins ambulatoires porte atteinte à leur droit à une rémunération équitable.
La cinquième branche du premier moyen porte sur la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit à la liberté thérapeutique et au libre choix du praticien. En raison de l’interdiction de suppléments d’honoraires, les dispensateurs de soins non conventionnés ne peuvent plus financer les traitements et appareillages les plus récents, les plus onéreux ou les plus innovants. Les patients bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance, quant à eux, ne peuvent plus choisir librement d’être traités, pour leurs soins ambulatoires, par un dispensateur de soins qui facture des suppléments d’honoraires. Selon les parties requérantes, ces patients sont contraints d’être traités par un dispensateur de soins qui applique les tarifs conventionnels, qui ne dispose donc pas des moyens pour financer les traitements et appareillages médicaux les plus récents et les plus onéreux et qui ne peut dès lors pas offrir les meilleurs soins.
Dans une sixième et dernière branche, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté d’entreprendre telle qu’elle est inscrite dans les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique. L’article 22, attaqué, de la loi du 29 novembre 2022 a pour effet que les dispensateurs de soins non conventionnés sont restreints dans leur faculté de fixer librement les tarifs de leurs services et qu’en raison de la baisse de leurs revenus, ils ne peuvent offrir les traitements souhaités ou adéquats.
A.2.3. Dans le deuxième moyen, les parties requérantes invoquent la violation de l’article 23 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec le droit à la liberté thérapeutique et au libre choix du praticien. La liberté thérapeutique est la liberté d’utiliser, en vue d’un traitement, les moyens qu’un dispensateur de soins minutieux utiliserait dans les mêmes circonstances. Selon les parties requérantes, l’obligation de standstill est doublement violée, à savoir sur le plan du droit au travail garanti par l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution et sur le plan du droit à la protection de la santé garanti par l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution. L’article 22, attaqué, de la loi du 29 novembre 2022 ne pourra pas résoudre le premier problème des coûts élevés des soins de santé, mais il peut avoir pour effet que les dispensateurs de soins qui, en raison de la disposition attaquée, ne seront pas ou seront moins en mesure de couvrir leurs coûts et verront en tout cas leurs revenus diminuer en tireront leurs conclusions et partiront à l’étranger. De même, la mise en œuvre de techniques innovantes qui renforcent la protection de la santé devient impossible s’il est interdit de facturer des suppléments d’honoraires.
Selon les parties requérantes, l’article 22 peut également faire naître une médecine à deux voies. En effet, pour les mêmes traitements médicaux ambulatoires, les soins peuvent être de qualités différentes. Un patient qui paie des suppléments d’honoraires bénéficie de meilleurs soins que le patient qui a droit à l’intervention majorée de l’assurance et qui risque de recevoir un autre traitement pour la même intervention.
A.3. Dans le troisième moyen, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec la libre prestation des services et la liberté d’établissement garantie par l’article 49 du TFUE, avec les articles 56 et 57 du TFUE et avec l’article 15, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
L’article 22 attaqué viole la liberté d’établissement et la libre prestation des services, parce que les dispensateurs de soins non conventionnés qui sont ressortissants d’un autre État membre ou les dispensateurs de soins non conventionnés qui exercent leurs activités professionnelles en dehors de la Belgique ne peuvent pas, lorsqu’ils dispensent des soins ambulatoires en Belgique, facturer des suppléments d’honoraires aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance. Ces dispensateurs de soins sont privés de compensations financières qui sont néanmoins justifiées par leur expertise et leur réputation, par leurs frais de déplacement et par le souhait du patient bénéficiaire d’être traité par ces dispensateurs de soins. La disposition attaquée accorde trop peu de flexibilité quant aux prestations transfrontières et quant aux conditions d’établissement des dispensateurs de soins.
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Affaire n° 8008
A.4. Les parties requérantes, une personne physique, Sophie Turin, orthodontiste, et l’ASBL « Chambre de Médecine Dentaire », demandent l’annulation du chapitre 2 (« Interdiction des suppléments d’honoraires pour les soins de santé aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance ») (articles 22, 23 et 24) du titre 2
(« Dispositions relatives à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités ») de la loi du 29 novembre 2022.
À cet effet, elles font valoir que les dispositions attaquées leur sont applicables, de sorte qu’elles auraient intérêt à la requête qu’elles ont introduite.
A.5.1. Sur le fond, les parties requérantes invoquent deux moyens.
A.5.2. Selon les parties requérantes, le premier moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison ou non avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel, avec la liberté d’entreprendre et avec l’article 15 de l’arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 « relatif à l’exercice des professions des soins de santé » (ci-après : l’arrêté royal n° 78). Les dispensateurs de soins conventionnés sont traités de la même manière que les dispensateurs de soins non conventionnés, alors que les deux catégories de dispensateurs de soins se trouvent dans des situations incomparables et sans que cette identité de traitement soit raisonnablement justifiée.
Selon les parties requérantes, les dispositions attaquées de la loi du 29 novembre 2022 limitent considérablement la liberté des dispensateurs de soins non conventionnés de fixer eux-mêmes leurs honoraires, alors que l’article 15 de l’arrêté royal n° 78 prévoit que, « sans préjudice de l’application des taux éventuellement fixés par ou en vertu de la loi ou prévus par des statuts ou par des conventions auxquelles les praticiens ont adhéré, ceux-ci fixent librement le montant de leurs honoraires ». Les dispositions attaquées entraîneront une perte de revenus pour les dispensateurs de soins non conventionnés, si bien que leurs investissements ne seront plus rentables et qu’ils seront donc obligés de travailler à perte. Les actuels remboursements prévus par la nomenclature ne permettent pas de couvrir la totalité des coûts et de récupérer les investissements réalisés, parce que ces remboursements n’ont par ailleurs plus été actualisés depuis des années.
Par son arrêt n° 107/2014 du 17 juillet 2014 (ECLI:BE:GHCC:2014:ARR.107), la Cour a déjà jugé que les deux catégories de dispensateurs de soins, les conventionnés et les non conventionnés, devaient être considérées comme des catégories suffisamment différentes, ce qui implique une différence de traitement.
En ce qui concerne le but légitime, les parties requérantes observent que le législateur entend garantir l’accès financier aux soins de santé en Belgique pour les citoyens qui reportent leurs soins de santé pour des raisons financières. Même si cet objectif peut constituer un objectif politique légitime, celui-ci ne saurait toutefois justifier les dispositions attaquées. L’interdiction de suppléments d’honoraires pour les soins ambulatoires ne garantit pas automatiquement l’accessibilité financière des soins de santé. Une mesure plus efficace serait d’actualiser les codes de la nomenclature et les remboursements correspondants. Par ailleurs, le ministre de la Santé publique a confirmé que le but sous-jacent des dispositions attaquées est que davantage de dispensateurs de soins soient conventionnés.
Un tel objectif ne saurait être considéré comme légitime.
Les parties requérantes estiment qu’en tout état de cause, les conséquences des dispositions attaquées sont disproportionnées. En premier lieu, les dispositions attaquées risquent d’avoir pour effet que les dispensateurs de soins non conventionnés refuseront de dispenser des soins ambulatoires aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance. De ce fait, l’offre de soins pour ces bénéficiaires diminuera. Il ne saurait être reproché aux dispensateurs de soins non conventionnés de refuser de soigner les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance, étant donné que les dispositions attaquées feront baisser leurs revenus. Une deuxième conséquence éventuelle est que les tarifs que devront payer les autres patients, non bénéficiaires, augmenteront. Ce n’est qu’ainsi que les dispensateurs de soins non conventionnés pourront compenser leur manque à gagner, ce qui entraînera à nouveau une injustice à l’égard des non-bénéficiaires. De plus, lors de l’introduction du projet de loi, le Gouvernement a omis de prendre en compte diverses dépenses de soins qui ne sont pas couvertes par un numéro de nomenclature déterminé.
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Par ailleurs, le Gouvernement a négligé de se concerter avec le secteur médical avant de faire approuver les dispositions attaquées. Cette absence de concertation, déjà signalée au cours des travaux préparatoires, démontre que le Gouvernement n’a pas procédé à une analyse d’incidences adéquate.
A.5.3. Dans le second moyen, les parties requérantes invoquent la violation de l’article 23 de la Constitution.
Les dispositions attaquées portent atteinte à leurs conditions de travail ainsi qu’au droit des patients de bénéficier de soins de santé suffisants et adéquats.
Les parties requérantes relèvent qu’il existe deux types de traitements d’orthodontie : (1) soit le traitement des années 80, moins cher, qui implique souvent l’extraction préventive de dents, (2) soit le traitement plus coûteux, qui implique des procédures et un matériel plus onéreux. Une même mise en balance peut être faite à l’égard des traitements parodontaux, des traitements endodontiques et des traitements esthétiques comme le blanchiment dentaire. Les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance risquent d’opter généralement pour le traitement le moins cher, ce qui impliquera également une baisse de la qualité des soins de santé offerts.
Par ailleurs, les dispositions attaquées signifient également que les dispensateurs de soins non conventionnés n’auront plus droit à une rémunération équitable, compte tenu des investissements qu’ils ont réalisés. La rémunération qu’ils perçoivent ne pourra plus couvrir leurs coûts. En Wallonie, 40 % des dentistes ne sont pas conventionnés, contre 50 % en Flandre.
Affaires nos 8016 et 8017
A.6.1. Dans l’affaire n° 8016, l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux » demande l’annulation de l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022. L’ASBL fait valoir que, conformément à son but statutaire, elle représente ses membres dans les diverses institutions de l’Office national de sécurité sociale et participe aux négociations qui aboutissent aux nouveaux accords tarifaires. Elle justifierait dès lors d’un intérêt à demander l’annulation de l’article 22 attaqué.
A.6.2. Dans l’affaire n° 8017, une personne physique, Johan Blanckaert, ophtalmologue, et une personne morale, la SRL « Blanckaert MD », demandent l’annulation de l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022 et ces personnes font valoir leurs intérêts distincts à cet effet. Tant la personne physique que la personne morale qui représente la personne physique sont non conventionnées, de sorte que la disposition attaquée les lèserait.
A.7.1. Sur le fond, les parties requérantes invoquent deux moyens.
A.7.2. Selon les parties requérantes, le premier moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 23 de la Constitution. Deux catégories de médecins, conventionnés et non conventionnés, sont traitées de la même manière, sans justification raisonnable. Afin de justifier la disposition attaquée, il est fait référence à l’Enquête de santé 2018, sans distinction entre les ménages qui sont bénéficiaires ou non d’une intervention majorée de l’assurance.
Le ministre de la Santé publique a confirmé que la disposition attaquée aura pour effet que davantage de médecins se conventionneront, alors qu’il y a lieu de constater qu’environ 85 % des médecins sont déjà conventionnés et que les médecins non conventionnés ne facturent généralement pas de suppléments d’honoraires aux bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance.
Le constat que les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance peuvent opter pour des médecins conventionnés ou des médecins non conventionnés sans devoir payer des suppléments d’honoraires et que les médecins non conventionnés sont obligés de dispenser des soins aux bénéficiaires sans pouvoir facturer des suppléments d’honoraires est contraire au principe de l’accord tarifaire. Il est ainsi porté atteinte à l’article 23 de la Constitution. Par ailleurs, les remboursements prévus dans le cadre de la nomenclature ne sont plus conformes aux coûts réels des médecins, ce qui a pour effet que de plus en plus de médecins choisissent de ne pas ou de ne plus être conventionnés. Les parties requérantes démontrent que seuls 29 % des dentistes et 60 % des logopèdes sont conventionnés.
Selon les parties requérantes, la disposition attaquée aura pour effet qu’au lieu de convaincre les 15 % restants des médecins de se conventionner, les soins offerts diminueront par manque de matériel et des pratiques disparaîtront ou seront éventuellement relocalisées à l’étranger. Des soins sous-financés seront automatiquement de moindre qualité.
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A.7.3. Dans le second moyen, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté de commerce et d’industrie, avec les articles 101 et 102 du TFUE
et avec la directive (UE) 2018/958 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 « relative à un contrôle de proportionnalité avant l’adoption d’une nouvelle réglementation de professions » (ci-après : la directive (UE) 2018/958). Dès lors que le législateur belge n’applique pas le contrôle de proportionnalité (obligation qui découle de la directive (UE) 2018/958), les médecins belges et les médecins européens sont traités différemment, sans qu’existe pour ce faire une justification raisonnable.
Compte tenu de la directive (UE) 2018/958 et de la loi du 23 mars 2021 « relative à un examen de proportionnalité préalable à l’adoption ou la modification d’une réglementation de profession dans le secteur de la santé » (ci-après : la loi du 23 mars 2021), il convient de constater, selon les parties requérantes, que la disposition attaquée restreint l’exercice de la profession de médecin et qu’il est porté atteinte à leur liberté d’entreprendre et à leur liberté de concurrence. Les médecins qui ne sont pas conventionnés sont obligés, en ce qui concerne certains patients, de respecter les tarifs fixés dans l’accord tarifaire, sans que la modification législative attaquée soit clairement susceptible d’atteindre l’objectif du législateur.
Demandes d’intervention volontaire
A.8. L’ASBL « Belgian Union of Orthodontic Specialists », Guy Baeten, la SRL « Vlaamse Beroepsvereniging Tandartsen », Frank Herrebout, l’ASBL « Verbond van Vlaamse Tandartsen », Stéfanie Dekeyser, l’ASBL « Société de Médecine Dentaire » et la SRL « Société Odontologique de Waterloo »
ont tous introduit un mémoire en intervention.
A.9. Les parties intervenantes appuient le recours en annulation introduit par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux » dans l’affaire n° 8016, qui, comme les affaires nos 8008 et 8017, a été jointe à l’affaire n° 8004.
Elles relèvent que l’article 22 attaqué n’a pas fait l’objet d’une concertation sociale avec les unions professionnelles qui représentent les dentistes agréés par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité.
Mémoires du Conseil des ministres
A.10.1. En ce qui concerne les affaires nos 8004, 8016 et 8017, le Conseil des ministres constate que les parties requérantes demandent uniquement l’annulation de l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022. Elles n’ont nullement intérêt à l’annulation d’une disposition qui aurait pour effet non seulement de faire disparaître une règle de droit de l’ordre juridique, mais aussi de modifier cet ordre juridique. En effet, le législateur n’avait pas l’intention de lever l’interdiction en ce qui concerne les professions visées dans l’arrêté royal du 15 janvier 2014
« relatif à l’intervention majorée de l’assurance visée à l’article 37, § 19, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 », mais uniquement d’étendre l’interdiction de suppléments d’honoraires.
En ciblant l’intérêt sur leur propre groupe professionnel, les parties requérantes dans les affaires nos 8004, 8016 et 8017 ont également restreint la portée de leur recours en annulation. En effet, elles ont incontestablement indiqué qu’elles trouvaient injustifié, dans cette mesure limitée, de laisser subsister pareille disposition. Ainsi, elles demandent uniquement une annulation partielle de la disposition attaquée et une révision de celle-ci pour leur seul groupe professionnel, sans démontrer que ce groupe professionnel ait le droit et soit en mesure de bénéficier d’un tel privilège.
A.10.2. En ce qui concerne l’affaire n° 8008, le Conseil des ministres observe que la portée de la requête doit être déterminée en fonction de l’exposé des moyens. La requête tend à l’annulation du chapitre 2 du titre 2 de la loi du 29 novembre 2022. Or, les moyens sont uniquement dirigés contre l’article 22 et ne visent pas les articles 23 et 24 de la loi du 29 novembre 2022. En formulant leur requête ainsi, les parties requérantes demandent uniquement une annulation partielle de la disposition attaquée et une révision de celle-ci pour leur seul groupe professionnel, sans démontrer que ce groupe professionnel ait le droit et soit en mesure de bénéficier d’un tel privilège.
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A.11.1. Quant au fond, pour ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 8004, le Conseil des ministres estime qu’il est effectivement attendu la même chose de tous les dispensateurs de soins, à savoir de ne pas demander de suppléments d’honoraires pour leurs soins ambulatoires aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance. Le but poursuivi consiste à sauvegarder l’accessibilité financière des soins de santé pour les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance. Selon le Conseil des ministres, la mesure attaquée est raisonnablement justifiée et proportionnée, parce qu’elle porte uniquement sur un groupe restreint de bénéficiaires, à savoir les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance. Pour eux, tous les soins de santé peuvent être une source de problème. Pour tous les autres patients, le dispensateur de soins non conventionné conserve intégralement sa liberté tarifaire.
En l’espèce, le législateur a choisi de maintenir le principe du libre choix d’un dispensateur de soins pour tous les bénéficiaires et d’interdire aux dispensateurs de soins de facturer des suppléments d’honoraires; pour les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance, ils doivent limiter leur tarif au tarif conventionnel. Le Conseil des ministres ajoute que l’interdiction de suppléments d’honoraires existe déjà depuis une dizaine d’années pour quatre professions de soins de santé, à savoir les kinésithérapeutes, les auxiliaires paramédicaux, les sages-
femmes et les infirmiers.
A.11.2. En ce qui concerne le deuxième moyen des parties requérantes dans l’affaire n° 8004, le Conseil des ministres fait valoir que les parties requérantes ne démontrent pas en quoi la mesure attaquée inciterait les médecins à mettre fin à leur pratique ou à déménager à l’étranger. Et même en cas de pareille cessation ou de déménagement pour l’un ou l’autre médecin, le recul du droit au travail n’est pas du tout considérable et est en tout cas dicté par un motif d’intérêt général, à savoir le fait de garantir l’accès aux soins de santé.
A.11.3. En ce qui concerne le troisième moyen dans l’affaire n° 8004, le Conseil des ministres estime que le respect des tarifs applicables dans un État membre déterminé n’implique pas d’entrave à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. Le manque de flexibilité mentionné par les parties requérantes est inhérent à la mesure attaquée, étant donné qu’il concerne uniquement les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance. Ensuite, les parties requérantes ne démontrent pas que l’offre de biologie clinique disponible en Belgique serait insuffisante pour dispenser et pour continuer à dispenser des soins de qualité.
A.12.1. En ce qui concerne les affaires nos 8008, 8016 et 8017, le Conseil des ministres observe en premier lieu que les parties requérantes se fondent sur une prémisse erronée; il ne peut être admis que les soins ambulatoires prodigués par des dispensateurs de soins conventionnés seraient de moindre qualité que les soins ambulatoires prodigués par des dispensateurs de soins non conventionnés. En Belgique, 86,45 % des médecins sont conventionnés et 60,41 % des dentistes et orthodontistes le sont également, si bien qu’à suivre la thèse des parties requérantes, des soins de santé de qualité ne seraient dispensés que par 13,55 % des médecins et 39,59 % des dentistes. Le même raisonnement peut être appliqué à l’égard des actes remboursés par la nomenclature; les actes non remboursés seraient de qualité et les actes remboursés liés aux tarifs de remboursement ne le seraient pas. Les parties requérantes n’étayent nullement cette thèse par des données objectives. Le Conseil des ministres ajoute que, depuis déjà une dizaine d’années, l’interdiction de facturer des suppléments d’honoraires s’applique à quatre catégories de dispensateurs de soins, sans que cette interdiction ait eu des répercussions sur la qualité ou sur l’offre de soins.
Le Conseil des ministres constate qu’environ 20 % de la population belge est bénéficiaire d’une intervention majorée de l’assurance. L’interdiction de suppléments d’honoraires se manifeste uniquement à l’égard des soins ambulatoires prodigués par les dispensateurs de soins non conventionnés à ces bénéficiaires, donc uniquement lorsque ces 20 % de bénéficiaires optent pour l’un des 13,55 % des médecins non conventionnés ou des 39,59 %
des dentistes non conventionnés. Les conséquences financières considérables pour les dispensateurs de soins non conventionnés ne sont dès lors pas aussi plausibles que ne le laissent entendre les parties requérantes.
A.12.2. En ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 8008, le Conseil des ministres fait valoir que l’objectif poursuivi est légitime. La disposition attaquée vise à garantir l’accessibilité financière des soins de santé en Belgique. La Cour a déjà jugé que le fait de garantir l’accès égal aux soins de santé constitue un objectif légitime.
Ensuite, la mesure attaquée est proportionnée. La notion de « rémunération équitable » est une notion subjective et environ 86 % des médecins et 60 % des dentistes estiment que les rémunérations qu’ils perçoivent sur la base de la nomenclature sont équitables. Le système de la nomenclature est en soi proportionné, étant donné que les rémunérations fixées sont le résultat de négociations entre les représentants des dispensateurs de soins et les organismes assureurs. Par conséquent, il ne peut être admis que la mesure impliquant que les bénéficiaires de
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l’intervention majorée de l’assurance ne peuvent se voir facturer des suppléments d’honoraires mais que les rémunérations de la nomenclature contenue dans l’accord tarifaire doivent être respectées serait disproportionnée ou déraisonnable.
A.12.3. En ce qui concerne le second moyen dans l’affaire n° 8008, le Conseil des ministres estime que la disposition attaquée aura pour effet que des soins de santé de qualité pourront continuer à être offerts aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance. En outre, l’incidence de la disposition attaquée sur les soins ambulatoires est marginale. Le nombre de médecins non conventionnés est nettement inférieur au nombre de médecins conventionnés et les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance sont eux aussi minoritaires.
L’incidence sur les soins dispensés sera donc négligeable.
A.13.1. En ce qui concerne le premier moyen dans les affaires nos 8016 et 8017, le Conseil des ministres fait valoir que le but du législateur est clair et objectif. Le législateur s’est fondé sur l’Enquête de santé 2018 et sur d’autres études qui démontrent clairement que l’accès aux soins de santé n’est pas évident pour les personnes à faibles revenus. L’incidence de la mesure attaquée sur l’ensemble des rémunérations pour les soins dispensés sera négligeable, dès lors que la mesure vise uniquement les soins ambulatoires dispensés aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance qui ont choisi de consulter un dispensateur de soins non conventionné.
A.13.2. En ce qui concerne le second moyen dans les affaires nos 8016 et 8017, le Conseil des ministres considère que la disposition attaquée ne restreint pas directement la liberté d’entreprendre des médecins. Une éventuelle restriction indirecte serait justifiée par l’objectif du législateur. En ce qui concerne la proportionnalité, qui découle de la directive (UE) 2018/958, le Conseil des ministres indique qu’il a bien été procédé à une analyse d’incidences.
Mémoires en réponse des parties requérantes et des parties intervenantes dans les affaires nos 8004, 8008, 8016 et 8017
A.14.1. Les parties requérantes dans l’affaire n° 8004 estiment qu’il est logique que le recours en annulation soit limité à l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022. Elles font valoir qu’elles n’ont pas intérêt à demander l’annulation de l’article 23, qui abroge l’interdiction de suppléments d’honoraires pour les sages-femmes, les infirmiers, les kinésithérapeutes et les auxiliaires paramédicaux.
Par ailleurs, il ne peut être admis que l’annulation de l’article 22 (et non de l’article 23) excéderait la compétence de la Cour. Il est de jurisprudence constante que la Cour peut étendre la portée d’un recours en annulation aux normes qui y sont indissociablement liées. De surcroît, l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022
est attaqué non seulement par les parties requérantes dans l’affaire n° 8004, mais également dans les affaires nos 8008, 8016 et 8017, jointes à celle-ci, si bien que les moyens mentionnés dans ces requêtes doivent être réunis.
Les divers moyens dans les différentes affaires correspondent en grande partie, en ce sens qu’ils invoquent la discrimination entre les dispensateurs de soins conventionnés et les dispensateurs de soins non conventionnés, liée à une atteinte à la liberté d’entreprise et au droit de propriété des dispensateurs de soins non conventionnés, ainsi que la violation de l’obligation de standstill contenue dans l’article 23 de la Constitution.
Il convient d’observer enfin qu’il n’existe aucune disposition législative imposant à toutes les catégories de personnes physiques ou morales affectées par une loi d’attaquer cette loi ensemble. La thèse du Conseil des ministres selon laquelle les parties requérantes plaident en faveur d’un « privilège pour un seul groupe professionnel » et, partant, d’une « réglementation discriminatoire » ne peut être suivie. Il ne saurait être admis que les parties requérantes ne puissent pas demander l’annulation, au motif que la disposition attaquée n’est pas seulement applicable aux biologistes cliniques.
A.14.2. En ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 8004, les parties requérantes font valoir que la défense du Conseil des ministres n’est pas étayée par des chiffres objectifs; le Conseil des ministres ne produit pas de chiffres faisant apparaître que les soins ambulatoires dispensés aux bénéficiaires de l’intervention majorée seraient compromis par la facturation de suppléments d’honoraires. Ensuite, la disposition attaquée porte une atteinte disproportionnée aux dispensateurs de soins non conventionnés. Les dispensateurs de soins non conventionnés ne peuvent pas facturer de suppléments d’honoraires et ne jouissent pas non plus des avantages sociaux dont bénéficient par contre les médecins conventionnés.
Parallèlement à la prétendue augmentation de la sécurité tarifaire pour les patients à faibles revenus, il semble que l’équivalence attaquée entre les dispensateurs de soins conventionnés et les dispensateurs de soins non
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conventionnés vise également à inciter les dispensateurs de soins non conventionnés à adhérer aux accords tarifaires. Selon les parties requérantes, ceci n’est nullement conforme à l’objectif du législateur.
Les parties requérantes dans l’affaire n° 8004 observent en dernier lieu que le Conseil des ministres considère à tort les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance comme un « groupe limité de bénéficiaires », de sorte que la disposition attaquée n’aurait qu’une incidence négligeable sur le dispensateur de soins non conventionné, qui peut fixer librement son tarif pour tous les autres patients. Cette thèse ne peut pas davantage être suivie : en 2023, 18,9 % de la population belge a droit à l’intervention majorée de l’assurance. Il s’agit donc en l’occurrence d’un groupe de plus de deux millions de patients auxquels des suppléments d’honoraires ne peuvent pas être facturés pour les soins ambulatoires.
A.14.3. En ce qui concerne le deuxième moyen dans l’affaire n° 8004, les parties requérantes font valoir qu’il y a très peu de biologistes cliniques en Belgique. Même si seul un nombre réduit cessait ses activités et partait à l’étranger, il s’agirait d’un recul considérable par rapport à l’offre totale, limitée, de biologistes cliniques. En ce qui concerne le droit à la protection de la santé, les parties requérantes soulignent que l’interdiction de suppléments d’honoraires aura pour effet que de nombreuses techniques ou de nombreux traitements de pointe ne pourront plus être appliqués. Les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance ne pouvant plus choisir librement un dispensateur de soins non conventionné qui facture des suppléments d’honoraires, ils bénéficieront de facto de soins de santé de moindre qualité que les patients qui peuvent encore opter pour un dispensateur de soins non conventionné.
A.14.4. En ce qui concerne le troisième moyen dans l’affaire n° 8004, les parties requérantes estiment que la thèse du Conseil des ministres selon laquelle la disposition attaquée est flexible en soi parce qu’elle s’applique uniquement aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance est complètement erronée. La disposition attaquée n’offre aucune flexibilité. Par ailleurs, il ne peut être admis que les parties requérantes n’aient pas intérêt à invoquer la violation du droit européen transfrontalier.
A.15.1. À l’exception soulevée par le Conseil des ministres, les parties requérantes dans l’affaire n° 8008
répondent que leur requête est bien recevable. En ce qui concerne l’article 23 attaqué, elles relèvent que les articles 22 et 23 sont intrinsèquement liés. Au cours des travaux préparatoires, les deux articles ont fait l’objet d’un seul commentaire, ce dont il peut être déduit que le législateur considère les deux dispositions comme un ensemble.
Pour ce qui est de l’article 24 attaqué, les parties requérantes observent qu’en cas d’annulation des articles 22 et 23, l’article 24 n’aurait plus aucune utilité.
A.15.2. Sur le fond, les parties requérantes répètent que le tarif que peuvent facturer les dispensateurs de soins conventionnés ne couvre en aucun cas les frais réels des soins ambulatoires, compte tenu des impératifs en termes d’investissements, de temps, de personnel et de formations qu’elles doivent financer elles-mêmes. Par ailleurs, il n’est pas possible d’imposer une règle uniforme à tous les dispensateurs de soins, puisque chaque type de soins répond à des caractéristiques propres, de sorte qu’une simple harmonisation est impossible.
A.15.3. En ce qui concerne le premier moyen dans l’affaire n° 8008, les parties requérantes estiment que l’absence de concertation démontre que le Gouvernement n’a pas pris toute la mesure de l’incidence de la mesure attaquée et qu’il a omis d’examiner sérieusement les effets de cette mesure.
A.15.4. En ce qui concerne le second moyen dans l’affaire n° 8008, les parties requérantes répètent que l’incidence de la mesure attaquée n’est pas marginale. Le nombre de bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance s’élève à presque 20 %, ce qui aura une incidence manifeste sur les conditions de travail et sur les revenus des dispensateurs de soins non conventionnés.
A.16.1. En ce qui concerne l’irrecevabilité des requêtes dans les affaires nos 8016 et 8017, soulevée par le Conseil des ministres, les parties requérantes observent qu’elles n’ont pas intérêt à l’annulation de l’article 23 de la loi du 29 novembre 2022, parce que cette disposition ne leur est pas applicable. De plus, il ne saurait être admis qu’elles demandent à la Cour de limiter l’éventuelle annulation de l’article 22 aux ophtalmologues. Elles démontrent en effet que la mesure attaquée est disproportionnée pour tous les dispensateurs de soins non conventionnés et non seulement pour les ophtalmologues.
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A.16.2. Quant au fond, les parties requérantes constatent que les honoraires des dispensateurs de soins conventionnés ne suffisent plus pour prodiguer des soins de santé de qualité. Pour les spécialistes, qui font usage d’un équipement spécifique et d’un encadrement indispensable, les tarifs fixés sont insuffisants.
A.16.3. Les parties requérantes dans les affaires nos 8016 et 8017 font valoir que le législateur n’indique pas comment les coûts qui ne peuvent pas être facturés aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance devront être financés. Les dispensateurs de soins non conventionnés seront contraints d’augmenter les suppléments d’honoraires qu’ils peuvent facturer aux non-bénéficiaires.
L’interdiction, attaquée, de facturer des suppléments d’honoraires est disproportionnée, dès lors que les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance peuvent toujours s’adresser à des dispensateurs de soins conventionnés, si bien qu’il n’est pas nécessaire d’interdire aux dispensateurs de soins non conventionnés de facturer des suppléments d’honoraires.
A.16.4. En ce qui concerne le second moyen dans les affaires nos 8016 et 8017, les parties requérantes répètent que le législateur n’a pas procédé à une analyse d’incidences à part entière, analyse qui est exigée par la directive (UE) 2018/958 et par l’article 8, § 1er, de la loi du 23 mars 2021.
A.17.1. En ce qui concerne le premier moyen dans les affaires nos 8016 et 8017, les parties intervenantes font valoir que le respect obligatoire des accords tarifaires aura pour effet que les dispensateurs de soins non conventionnés refuseront de traiter des bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance, parce qu’ils ne veulent pas travailler à perte, ou préféreront dispenser des traitements de bien moindre qualité. Eu égard à l’incidence des soins ambulatoires à long terme, il est essentiel de donner la priorité aux soins de qualité.
A.17.2. Les parties intervenantes plaident en faveur d’une approche équilibrée afin de laisser aux dentistes la liberté de fixer des tarifs honnêtes et proportionnés aux soins ambulatoires dispensés, alors que des démarches sont en même temps entreprises pour veiller à ce que les soins dentaires restent accessibles à tous les patients.
Bien que les dentistes soient associés à la fixation des indemnités dans le cadre des discussions au sein de la Commission dento-mutualiste, la fixation de ces indemnités est en premier lieu tributaire du budget disponible, sur lequel les médecins et dentistes n’ont pas d’emprise.
Mémoire en réplique du Conseil des ministres
A.18. En ce qui concerne la recevabilité de la requête introduite dans l’affaire n° 8004, le Conseil des ministres répond que les parties requérantes n’indiquent pas en quoi elles auraient un quelconque intérêt au maintien de l’article 23 de la loi du 29 novembre 2022.
A.19.1. En ce qui concerne le premier moyen dans les affaires nos 8004 et 8008, le Conseil des ministres répète que ce moyen n’est pas fondé. Les mesures attaquées ont été prises après que le législateur a constaté que les mesures existantes ne suffisaient pas pour garantir à un groupe de bénéficiaires particulièrement vulnérables des soins de santé suffisamment accessibles. L’autorité a l’obligation positive d’organiser des soins de santé. Les obligations internationales (article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme) et la Constitution elle-
même obligent le législateur à garantir le droit à la protection de la santé.
Selon le Conseil des ministres, la réglementation instaurée est légitime, parce qu’elle repose sur des mécanismes existants, à savoir les honoraires tels qu’ils sont fixés dans les conventions et appliqués par la très large majorité des dispensateurs de soins et l’obligation de ne pas dépasser ce montant pour un groupe de bénéficiaires particulièrement vulnérables.
Le Conseil des ministres relève également que la majorité des dispensateurs de soins non conventionnés sont des spécialistes qui sont normalement moins consultés que les dispensateurs de soins ordinaires, de sorte que l’incidence sera marginale.
A.19.2. En ce qui concerne les deuxième et troisième moyens dans l’affaire n° 8004, le Conseil des ministres se réfère à son mémoire.
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A.19.3. En ce qui concerne le second moyen dans l’affaire n° 8008, le Conseil des ministres fait valoir qu’une règle ne peut avoir qu’une portée générale et qu’elle ne saurait être réputée adaptée à chaque situation spécifique.
A.19.4. Le Conseil des ministres observe à titre liminaire qu’en ce qui concerne les affaires nos 8016 et 8017, les parties requérantes et intervenantes ne contestent pas la mesure attaquée elle-même, mais bien la rémunération inadéquate des prestations visées dans l’accord tarifaire, de sorte que certains dispensateurs de soins ne pourraient pas couvrir leurs coûts.
A.19.5. En ce qui concerne le premier moyen dans les affaires nos 8016 et 8017, le Conseil des ministres estime qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation à celle du législateur. La Cour n’annule une loi que lorsque les moyens utilisés ne sont pas proportionnés à l’objectif ou lorsque la mesure est manifestement déraisonnable.
A.19.6. En ce qui concerne le second moyen dans les affaires nos 8016 et 8017, le Conseil des ministres observe que le législateur a expressément consulté les organes de concertation communs dans le domaine des soins de santé pour déterminer si les mesures attaquées sont proportionnées.
-B–
B.1.1. Les recours dans les affaires nos 8004, 8016 et 8017 tendent à l’annulation de l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022 « portant des dispositions diverses en matière de soins de santé » (ci-après : la loi du 29 novembre 2022).
Les parties requérantes dans l’affaire n° 8008 demandent l’annulation du chapitre 2
(« Interdiction des suppléments d’honoraires pour les soins de santé aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance ») (articles 22, 23 et 24) du titre 2 (« Dispositions relatives à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités ») de la loi du 29 novembre 2022.
B.1.2. L’article 22 de la loi du 29 novembre 2022 insère un paragraphe 5 dans l’article 53
de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : la loi du 14 juillet 1994). L’article 53 de la loi du 14 juillet 1994 figure au titre III (« De l’assurance soins de santé ») de cette loi et impose diverses obligations administratives et financières aux dispensateurs de soins dans le cadre de l’assurance maladie obligatoire. Le paragraphe 5 inséré dispose :
« Les dispensateurs de soins ne peuvent en aucun cas facturer aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance visée à l’article 37, § 19, pour les soins ambulatoires qu’ils délivrent, des honoraires ou des prix supérieurs aux tarifs qui servent de base au calcul de l’intervention de l’assurance obligatoire ».
L’article 23 de la loi du 29 novembre 2022 dispose :
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« L’article 42 de l’arrêté royal du 15 janvier 2014 relatif à l’intervention majorée de l’assurance visée à l’article 37, § 19, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, modifié par l’arrêté royal du 17 octobre 2019, est abrogé ».
L’article 24 de la loi du 29 novembre 2022 dispose :
« Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les modalités d’entrée en vigueur du présent chapitre ».
B.1.3. L’interdiction de facturer des suppléments d’honoraires dans le cadre de soins ambulatoires instaurée par l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022 vaut uniquement à l’égard des bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance. Cette catégorie de personnes est définie à l’article 37, § 19, de la loi du 14 juillet 1994, qui dispose :
« Les ménages qui disposent de revenus modestes bénéficient d’une intervention majorée de l’assurance. Par ménage, il y a lieu d’entendre l’entité constituée du demandeur, de son conjoint non séparé de fait ou de corps et de biens ou de son cohabitant et de leurs personnes à charge au sens de l’article 32, alinéa 1er, 17°, 18°, 19° ou 25°. Cependant, si le demandeur est inscrit auprès de sa mutualité en qualité de personne à charge, le ménage est constitué du demandeur, du titulaire à charge de qui il est inscrit, du conjoint non séparé de fait ou de corps et de biens ou cohabitant de ce titulaire et de leurs personnes à charge. Le Roi peut toutefois prévoir que le ménage est constitué différemment dans les cas visés à l’alinéa 9 et lorsqu’un enfant est inscrit comme titulaire.
Sont pris en considération les revenus bruts imposables du ménage. Par revenus bruts imposables, il faut entendre le montant des revenus tels qu’ils sont fixés en matière d’impôts sur les revenus avant toute déduction, ainsi que tout autre ressource déterminée selon les modalités fixées par le Roi.
De même, sont pris en considération les revenus exonérés d’impôt en Belgique en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition ou d’autres traités ou accords internationaux, qu’ils interviennent ou non pour le calcul de l’impôt afférent aux autres revenus, ainsi que les revenus des personnes visées à l’article 227, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 qui sont exonérés d’impôt conformément aux articles 230 ou 231, § 1er, 2°, du même Code.
Le Roi peut également déterminer des modalités de précision des revenus ou ressources susvisés ainsi que fixer les conditions dans lesquelles des revenus ou ressources susvisés sont partiellement ou totalement exonérés.
Le Roi fixe le plafond de revenus en dessous duquel le ménage concerné est considéré comme disposant de revenus modestes. Il fixe les conditions et les modalités d’ouverture, de
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maintien et de retrait du droit à l’intervention majorée de l’assurance, compte tenu des précisions apportées dans le présent paragraphe.
Dans la fixation des conditions d’ouverture, il est tenu compte d’une période d’une année civile durant laquelle le ménage a bénéficié de revenus modestes, appelée ci-après période de référence. Le Roi définit toutefois les situations dans lesquelles il peut être dérogé, totalement ou partiellement, à cette période de référence. Il n’est pas tenu compte d’une période de référence lorsque la situation dans laquelle se trouve un membre du ménage concerné se caractérise par une perte de revenus sensible et durable. Il en est notamment ainsi en cas de mise à la pension, de bénéfice d’indemnités d’invalidité visées à l’article 93 ou pour un titulaire handicapé au sens de l’article 32, alinéa 1er, 13°.
La période de référence susvisée est réduite lorsque la situation d’un membre du ménage concerné est de nature à entraîner une perte de revenus sensible. Il en est notamment ainsi en cas de veuvage, pour une famille monoparentale ou pour le chômeur de longue durée.
Le Roi fixe les modalités selon lesquelles un ménage établit qu’il satisfait aux conditions susvisées. La mutualité, l’office régional de la Caisse auxiliaire d’assurance maladie-invalidité ou la Caisse des soins de santé de HR Rail, auprès duquel les membres du ménage concerné sont affiliés décide de l’octroi du droit à l’intervention majorée de l’assurance sur la base des documents probants exigés.
Dans les conditions déterminées par le Roi, le droit à l’intervention majorée de l’assurance peut être octroyé automatiquement lorsqu’un membre du ménage concerné bénéficie d’un avantage déterminé par le Roi pour autant que cet avantage soit octroyé après un contrôle sur les revenus du ménage du bénéficiaire de cet avantage. Le Roi précise ce qu’il convient d’entendre par ‘ bénéfice d’un avantage ’ et par ‘ contrôle sur les revenus ’. Il précise également les cas où le droit à l’intervention majorée de l’assurance peut être octroyé automatiquement aux enfants se trouvant dans une situation digne d’intérêt.
Le Roi détermine quel organisme assureur gère le dossier relatif au droit à l’intervention majorée de l’assurance lorsque les bénéficiaires d’un même ménage sont affiliés ou inscrits auprès d’organismes assureurs différents.
Un contrôle annuel de la condition de revenus susvisée est effectué en collaboration avec l’Administration de la fiscalité des entreprises et des revenus. Ce contrôle concerne l’ensemble des bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance, à l’exception des catégories de bénéficiaires, désignées par le Roi, pour lesquelles il est démontré que ce contrôle systématique serait sans conséquence sur l’octroi du droit à l’intervention majorée de l’assurance.
S’il apparaît des données ainsi communiquées relatives aux revenus de chaque membre du ménage concerné qu’il n’était pas satisfait à la condition de revenus, le droit est retiré au 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle l’Administration de la fiscalité des entreprises et des revenus a transmis les informations susvisées.
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Si l’administration susvisée ne peut pas mettre à disposition pour une date à déterminer par le Roi ou ne dispose pas d’information relative à chaque membre du ménage concerné, le droit est retiré dans le délai déterminé par le Roi sauf si l’absence de données concerne des enfants de moins de 18 ans.
Dans le cadre de l’octroi et du retrait du droit à l’intervention majorée de l’assurance, le Roi précise, après avis de la Commission de protection de la vie privée, les conditions dans lesquelles les organismes assureurs, les mutualités, les offices régionaux de la Caisse auxiliaire d’assurance maladie-invalidité utilisent des données utiles en leur possession en vue de l’octroi de droits en matière d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, sans préjudice de l’article 37duodecies, § 4.
Par dérogation à l’article 337, alinéa 4, du Code des impôts sur les revenus 1992, les organismes assureurs, les mutualités, les offices régionaux de la Caisse auxiliaire d’assurance maladie-invalidité ou la Caisse des soins de santé de HR Rail peuvent, dans les conditions et selon les modalités fixées par le Roi et après avis de la Commission de protection de la vie privée, avoir accès à toute information nécessaire relative aux revenus de leurs affiliés leur permettant de statuer sur l’octroi à l’intervention majorée de l’assurance.
Les organismes assureurs, les mutualités, les offices régionaux de la Caisse auxiliaire d’assurance maladie-invalidité et la Caisse des soins de santé de HR Rail sont tenus de garder le secret au sujet des informations susvisées et ils ne peuvent pas utiliser les renseignements ainsi obtenus en dehors du cadre de l’application du présent paragraphe.
Toutes les mesures d’exécution du présent paragraphe sont prises par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, sur proposition du groupe de travail assurabilité visé à l’article 31bis ».
Les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance sont des personnes qui soit ont automatiquement droit à l’intervention majorée de l’assurance, soit n’y ont droit qu’après une enquête sur les revenus. Ces personnes reçoivent un remboursement plus élevé de leur mutuelle et ont droit à divers avantages sociaux. Le pourcentage de bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance s’élève actuellement à environ 20 % de la population.
B.2.1. Il ressort des travaux préparatoires que, malgré les diverses mesures prises par les pouvoirs publics afin de garantir l’accès des patients aux soins ambulatoires, l’Enquête de santé 2018 fait apparaître que certaines catégories de citoyens continuent de reporter leurs soins de santé pour des raisons financières. Pour les ménages appartenant au quintile des revenus les plus bas, la proportion de personnes concernées s’élève à 18,4 % (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2882/001, p. 17).
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C’est pourquoi la loi du 29 novembre 2022 interdit les suppléments d’honoraires pour les soins ambulatoires prodigués par des dispensateurs de soins aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance. L’exposé des motifs précise :
« Outre l’impact de l’intervention majorée de l’assurance sur le ticket modérateur, l’assuré social qui en est bénéficiaire ne doit pas avancer le montant de l’intervention de l’assurance lorsqu’il consulte son médecin généraliste, en application du régime du tiers payant obligatoire.
Nonobstant ces avantages liés au bénéfice de l’intervention majorée, force est de constater que les ménages à faibles revenus continuent à reporter leurs soins de santé pour des raisons financières.
[…]
Afin d’accroître la sécurité tarifaire pour les ménages à faibles revenus, il est proposé d’interdire la facturation de suppléments d’honoraires aux patients qui bénéficient de l’intervention majorée.
Cette proposition ne concerne que les soins ambulatoires, puisqu’il existe déjà une interdiction de suppléments d’honoraires en cas d’hospitalisation dans une chambre double ou commune.
[…]
Pour améliorer l’accessibilité financière des soins de santé, il est proposé de remplacer la réglementation susmentionnée concernant l’engagement tarifaire par une obligation généralisée de respecter les tarifs lorsque des soins ambulatoires sont dispensés à un bénéficiaire de l’intervention majorée » (ibid., pp. 17-18).
Au cours de la discussion en commission de la Santé et de l’Égalité des chances, le ministre a apporté des éclaircissements :
« Le ministre indique que 93 % des médecins généralistes et 84 % des spécialistes sont conventionnés. Le problème n’est pas là. Mais il arrive souvent qu’un patient soit renvoyé par son médecin généraliste vers un spécialiste qui n’est pas conventionné. Cela arrive également aux patients bénéficiaires de l’intervention majorée. Et ce spécialiste peut demander un supplément.
Certaines régions de Flandre ne comptent pas le moindre dentiste conventionné.
L’argument selon lequel le patient a le choix n’est donc pas toujours valable. L’année dernière, 45 millions d’euros ont été attribués aux dentistes et une grande partie de ce montant a servi à améliorer leurs revenus. Le montant du ticket modérateur n’a pas été modifié pour le patient, mais les honoraires des dentistes ont augmenté. Le ministre a pris cette mesure avec conviction.
C’est pourquoi il estime qu’il n’est pas sérieux d’affirmer que les dentistes doivent encore
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pouvoir demander un supplément aux patients bénéficiant d’un tarif préférentiel » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2882/002, p. 20).
B.2.2. La notion de « soins ambulatoires » n’est pas précisée, si bien qu’elle doit être comprise dans son acception usuelle. Par soins ambulatoires, il convient d’entendre : tous les soins dispensés dans un hôpital ou en dehors de celui-ci sans hospitalisation et tous les examens et traitements aux urgences.
Par dispensateur de soins, il convient d’entendre :
« les praticiens de l’art de guérir, les kinésithérapeutes, les praticiens de l’art infirmier, les auxiliaires paramédicaux, les aides-soignants, les établissements hospitaliers, les établissements de rééducation fonctionnelle et de réadaptation professionnelle et les autres services et institutions. Sont assimilées aux dispensateurs de soins pour l’application des articles 53, § 1er, § 1er/1 et § 1er/2, 73bis, 77sexies, 142 et 144, les personnes physiques ou morales qui les emploient, qui organisent la dispensation des soins ou la perception des sommes dues par l’assurance soins de santé » (article 2, n), de la loi du 14 juillet 1994).
B.2.3. Conformément aux articles 26, 42, 43, 44, 46, 47, 48, 49, 50 et 51 de la loi du 14 juillet 1994, il est conclu au sein des commissions compétentes, au moins tous les deux ans, un accord national (ci-après : accord tarifaire) qui fixe les tarifs pour les prestations médicales prévues dans la nomenclature. Les dispensateurs de soins qui choisissent d’adhérer à l’accord tarifaire sont des dispensateurs de soins conventionnés et sont en principe tenus de respecter les tarifs contenus dans cet accord. Cette obligation est contrebalancée par le statut social, qui contient des avantages sociaux et autres dont jouissent les dispensateurs de soins conventionnés (article 54 de la loi du 14 juillet 1994).
Les dispensateurs de soins non conventionnés ne doivent en principe pas respecter les tarifs de l’accord tarifaire. Ils sont libres de fixer leurs honoraires et peuvent facturer des honoraires supérieurs aux tarifs applicables de l’accord tarifaire.
Par conséquent, seuls les dispensateurs de soins non conventionnés ont la possibilité de facturer des suppléments d’honoraires, de sorte que l’interdiction générale de facturer des suppléments d’honoraires pour la dispensation de soins ambulatoires a essentiellement une incidence sur ceux-ci.
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Quant à l’intérêt des parties requérantes
B.3. Le Conseil des ministres conteste l’intérêt des parties requérantes.
B.4.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.4.2. L’article 22 de la loi du 29 novembre 2022 instaure une interdiction de facturer des suppléments d’honoraires aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance pour les soins ambulatoires prodigués par des dispensateurs de soins. En tant que dispensateurs de soins non conventionnés, de sociétés de dispensateurs de soins non conventionnés ou d’ASBL qui défendent les intérêts des dispensateurs de soins, les parties requérantes sont directement et défavorablement affectées par la disposition attaquée et justifient de l’intérêt requis pour en demander l’annulation.
Les exceptions sont rejetées.
Quant au fond
En ce qui concerne l’ensemble des moyens pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec des dispositions de droit national, de droit européen et de droit international
B.5.1. Le premier moyen des parties requérantes dans les affaires nos 8004, 8008, 8016 et 8017 est pris de la violation du principe d’égalité et de non-discrimination, lu en combinaison ou non avec les articles 16 et 27 de la Constitution, avec l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après : le Premier Protocole additionnel), avec les articles 12 et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec les articles 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 1er et 4 de la Charte sociale européenne révisée, avec les articles 73, § 1er, et 127, § 1er, de la loi
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du 14 juillet 1994, avec l’article 4 de la loi du 22 avril 2019 « relative à la qualité de la pratique des soins de santé » (ci-après : la loi du 22 avril 2019), avec l’article 144, § 1er, de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 « sur les hôpitaux et autres établissements de soins » (ci-après :
la loi du 10 juillet 2008), avec l’article 6 de la loi du 22 août 2002 « relative aux droits du patient » (ci-après : la loi du 22 août 2002), avec les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique et avec l’article 15 de l’arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 « relatif à l’exercice des professions des soins de santé » (ci-après : l’arrêté royal n° 78), en ce que les dispositions attaquées traitent de la même manière les dispensateurs de soins conventionnés et les dispensateurs de soins non conventionnés, sans tenir compte des différences objectives entre ces catégories de personnes.
B.5.2. Les parties requérantes ne démontrent pas en quoi l’interdiction des suppléments d’honoraires pourrait violer la liberté de réunion garantie par l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de sorte que le moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation de ces dispositions.
La Cour n’est pas compétente pour contrôler les dispositions attaquées au regard de normes législatives qui ne constituent pas des règles répartitrices de compétences. Par conséquent, le moyen est irrecevable en ce qu’il invite la Cour à procéder à un contrôle au regard des articles 73, § 1er, et 127, § 1er, de la loi du 14 juillet 1994, de l’article 4 de la loi du 22 avril 2019, de l’article 144, § 1er, de la loi du 10 juillet 2008, de l’article 6 de la loi du 22 août 2002
et de l’article 15 de l’arrêté royal n° 78.
B.5.3. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s’oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu’apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.
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L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5.4. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
L’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :
« 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.
2. La propriété intellectuelle est protégée ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel et l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’ils contiennent forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans l’article 16 de la Constitution, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle des dispositions attaquées.
L’article 27 de la Constitution dispose :
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« Les Belges ont le droit de s’associer; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive ».
L’article 12, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :
« Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts ».
L’article 22, paragraphes 1 et 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« 1. Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts.
2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police ».
L’article 1er (« Droit au travail ») de la Charte sociale européenne révisée dispose :
« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit au travail, les Parties s’engagent :
1. à reconnaître comme l’un de leurs principaux objectifs et responsabilités la réalisation et le maintien du niveau le plus élevé et le plus stable possible de l’emploi en vue de la réalisation du plein emploi;
2. à protéger de façon efficace le droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris;
3. à établir ou à maintenir des services gratuits de l’emploi pour tous les travailleurs;
4. à assurer ou à favoriser une orientation, une formation et une réadaptation professionnelles appropriées ».
L’article 4 (« Droit à une rémunération équitable ») de la même Charte dispose :
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« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à une rémunération équitable, les Parties s’engagent :
1. à reconnaître le droit des travailleurs à une rémunération suffisante pour leur assurer, ainsi qu’à leurs familles, un niveau de vie décent;
2. à reconnaître le droit des travailleurs à un taux de rémunération majoré pour les heures de travail supplémentaires, exception faite de certains cas particuliers;
3. à reconnaître le droit des travailleurs masculins et féminins à une rémunération égale pour un travail de valeur égale;
4. à reconnaître le droit de tous les travailleurs à un délai de préavis raisonnable dans le cas de cessation de l’emploi;
5. à n’autoriser des retenues sur les salaires que dans les conditions et limites prescrites par la législation ou la réglementation nationale, ou fixées par des conventions collectives ou des sentences arbitrales.
L’exercice de ces droits doit être assuré soit par voie de conventions collectives librement conclues, soit par des méthodes légales de fixation des salaires, soit de toute autre manière appropriée aux conditions nationales ».
L’article II.3 du Code du droit économique dispose :
« Chacun est libre d’exercer l’activité économique de son choix ».
L’article II.4 du même Code dispose :
« La liberté d’entreprendre s’exerce dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l’union économique et de l’unité monétaire tel qu’établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi, ainsi que des lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs et des dispositions impératives ».
B.6. L’article 22 de la loi du 29 novembre 2022 traite les dispensateurs de soins conventionnés et les dispensateurs de soins non conventionnés de la même manière, bien que ces catégories de personnes se trouvent dans des situations essentiellement différentes. Il appartient à la Cour d’apprécier si cette identité de traitement viole le principe d’égalité et de non-discrimination.
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B.7.1. Les dispositions attaquées visent à ménager un équilibre entre équité et égalité pour ce qui est de l’accessibilité financière des soins de santé, de la qualité des soins ambulatoires offerts et de la viabilité des soins de santé en allouant efficacement les ressources.
L’accessibilité des soins de santé est garantie par une diminution des coûts pour les personnes en difficulté financière qui sont bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance.
B.7.2. En ce qu’elles interdisent aux dispensateurs de soins de facturer aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance, pour les soins ambulatoires qu’ils dispensent, des honoraires ou tarifs supérieurs aux tarifs servant de base au calcul de l’intervention de l’assurance obligatoire, les dispositions attaquées tendent à protéger les intérêts des patients qui ont droit à l’intervention majorée de l’assurance. En effet, sans l’article 22 de la loi du 29 novembre 2022, l’intervention majorée risquerait, en raison de la tarification libre des dispensateurs de soins non conventionnés, de devenir insuffisante et d’être réduite à néant, de sorte que l’accessibilité des soins de santé ne pourrait plus être assurée.
B.8.1. Il est inhérent à la mesure attaquée que celle-ci n’ait de conséquences que pour les dispensateurs de soins non conventionnés, étant donné que les dispensateurs de soins conventionnés respectent déjà les tarifs de l’accord tarifaire. L’interdiction de facturer des suppléments d’honoraires permet d’atteindre le but poursuivi par le législateur, à savoir l’accessibilité financière et l’efficacité réelle de l’intervention majorée de l’assurance, de sorte que la mesure attaquée est pertinente.
B.8.2. Le législateur a pu considérer que les bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance ne disposent pas des moyens leur permettant de payer des suppléments par rapport au tarif servant de base à l’intervention de l’assurance ou par rapport aux honoraires qui résultent des accords tarifaires. Aussi, la disposition attaquée est nécessaire pour protéger les bénéficiaires d’une intervention majorée de l’assurance. En effet, ainsi qu’il a été relevé dans l’exposé des motifs, les initiatives qui ont déjà été prises sont insuffisantes pour éviter que les ménages à faibles revenus reportent leurs soins de santé pour des raisons financières (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2882/001, p. 17). En outre, il est possible que, dans certaines régions, il n’y ait pas suffisamment de dispensateurs de soins conventionnés dans certains
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domaines (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-2882/002, p. 20), en conséquence de quoi des patients bénéficiaires de l’intervention majorée sont renvoyés par leur médecin généraliste vers un spécialiste qui n’est pas conventionné (ibid.).
B.8.3. L’interdiction de facturer des suppléments d’honoraires pour les soins ambulatoires aboutit à traiter de la même manière les dispensateurs de soins conventionnés et les dispensateurs de soins non conventionnés en ce qui concerne les indemnités qu’ils perçoivent pour les patients bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance, sans que le législateur octroie aux dispensateurs de soins non conventionnés les avantages du conventionnement. Les dispensateurs de soins non conventionnés restent toutefois libres de facturer des suppléments d’honoraires à leurs patients non bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance.
Il est certes probable que tous les dispensateurs de soins non conventionnés ne seront pas en mesure de compenser aussi aisément les effets financiers des mesures attaquées, étant donné qu’ils ne supportent pas tous les mêmes coûts en ce qui concerne leurs formations permanentes et les outils logistiques et matériels qui leur sont nécessaires. Cependant, il ne peut être attendu du législateur qu’il tienne compte des particularités de chaque catégorie distincte de dispensateurs de soins; il peut appréhender leur diversité de manière approximative et simplificatrice. Pour le surplus, les parties requérantes ne démontrent pas que la mesure attaquée aurait un effet tel que certains praticiens seraient contraints de mettre fin à leurs activités, de quitter le pays ou d’adhérer contre leur gré à l’accord tarifaire. En outre, même à supposer que la mesure attaquée puisse avoir pour effet de rendre onéreuse l’utilisation, par certains praticiens, de traitements et appareils modernes, l’on ne saurait raisonnablement prétendre que la mesure attaquée limite la liberté thérapeutique de ces praticiens. Enfin, la mesure ne porte pas atteinte au droit au libre choix du praticien.
B.8.4. En rendant l’interdiction de suppléments d’honoraires applicable à la dispensation de soins ambulatoires aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance (article 37, § 19, de la loi du 14 juillet 1994), le législateur a dès lors pris une mesure qui est raisonnablement justifiée.
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B.8.5. Le moyen pris de l’identité de traitement non justifiée des dispensateurs de soins conventionnés et non conventionnés n’est pas fondé.
Le constat qu’environ 20 % de la population belge est actuellement bénéficiaire de l’intervention majorée de l’assurance et que ce pourcentage ne serait pas réparti au prorata entre les différentes régions n’altère pas le caractère raisonnable de la mesure attaquée. Le fait d’être bénéficiaire ou non découle de l’article 37, § 19, de la loi du 14 juillet 1994, que la Cour ne peut pas examiner dans le cadre des recours en annulation présentement examinés.
B.9. Un contrôle au regard des articles 16 et 27 de la Constitution, de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 1er du Premier Protocole additionnel, des articles 12 et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des articles 1er et 4
de la Charte sociale européenne révisée et de la liberté d’entreprendre ne conduit pas à une autre conclusion.
B.10. Le premier moyen dans les affaires nos 8004, 8008, 8016 et 8017 n’est pas fondé.
En ce qui concerne les moyens pris de la violation de l’article 23 de la Constitution
B.11. Dans le deuxième moyen dans les affaires nos 8004 et 8008, les parties requérantes soutiennent que les dispositions attaquées violent l’article 23 de la Constitution. D’après elles, les dispositions attaquées violent le droit à la liberté thérapeutique et le droit au libre choix du praticien, ainsi que les conditions de travail des dispensateurs de soins. Elles violeraient ainsi l’obligation de standstill garantie par la disposition précitée. De surcroît, les dispositions attaquées violeraient le droit des bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance à une prestation de soins de qualité.
B.12. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
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A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
1° le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle dans le cadre d’une politique générale de l’emploi, visant entre autres à assurer un niveau d’emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d’information, de consultation et de négociation collective;
2° le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique;
[…] ».
B.13.1. L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.13.2. En matière socio-économique, le législateur compétent dispose d’un large pouvoir d’appréciation en vue de déterminer les mesures à adopter pour tendre vers les objectifs qu’il s’est fixés.
B.13.3. L’interdiction de facturer des suppléments d’honoraires pour les soins ambulatoires aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance ne porte atteinte ni au droit au travail ni au droit à une rémunération équitable des dispensateurs de soins non conventionnés. En effet, ces derniers continuent de recevoir les honoraires applicables en vertu des accords tarifaires à tous les dispensateurs de soins conventionnés et aux dispensateurs de soins non conventionnés qui ne facturent pas de suppléments d’honoraires.
Du reste, comme il est dit en B.8.3, les dispensateurs de soins non conventionnés restent libres de facturer des suppléments d’honoraires à leurs patients non bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance.
B.13.4. Comme il est dit en B.8.4, en rendant l’interdiction de suppléments d’honoraires applicable à la prestation de soins ambulatoires aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance (article 37, § 19, de la loi du 14 juillet 1994), le législateur a pris une mesure qui est raisonnablement justifiée.
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Pour le surplus, les dispositions attaquées, qui visent à assurer à tous les patients un accès égal aux soins ambulatoires, ne violent pas le droit à la protection de la santé garanti à l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, mais le garantissent au contraire.
B.13.5. Enfin, les parties requérantes omettent d’étayer la corrélation entre la qualité des soins et le montant des honoraires tarifés aux patients. Elles n’avancent aucune donnée permettant d’inférer que les soins en Belgique seraient de meilleure qualité si ces soins ambulatoires étaient prodigués par des dispensateurs de soins non conventionnés qui facturent des suppléments d’honoraires aux patients.
B.14. Le deuxième moyen dans les affaires nos 8004 et 8008 n’est pas fondé.
En ce qui concerne les moyens pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit de l’Union européenne
B.15.1. Dans le troisième moyen dans l’affaire no 8004 et dans le second moyen dans les affaires nos 8016 et 8017, les parties requérantes font valoir que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 49, 56, 57, 101 et 102
du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après : le TFUE), avec l’article 15, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et avec la directive (UE) 2018/958 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 « relative à un contrôle de proportionnalité avant l’adoption d’une nouvelle réglementation de professions »
(ci-après : la directive (UE) 2018/958), en ce qu’elle imposerait une restriction disproportionnée à la liberté d’établissement et à la liberté de commerce et d’industrie pour les ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre et en ce qu’elle restreindrait la libre prestation des services dans l’Union européenne, sans examen de proportionnalité préalable.
B.15.2. Les parties requérantes ne démontrent pas en quoi les articles 101 et 102 du TFUE, qui portent sur la libre concurrence, pourraient être violés par une disposition qui impose une
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interdiction légale de facturer des suppléments d’honoraires dans le cadre de soins ambulatoires prodigués aux bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance.
Le second moyen dans les affaires nos 8016 et 8017, en ce qu’il est pris de la violation des articles 101 et 102 du TFUE, est irrecevable.
B.16.1. L’article 49 du TFUE dispose :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.
La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ».
B.16.2. L’article 56 du TFUE dispose :
« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.
Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d’un État tiers et établis à l’intérieur de l’Union ».
B.16.3. L’article 57 du TFUE dispose :
« Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.
Les services comprennent notamment :
a) des activités de caractère industriel,
b) des activités de caractère commercial,
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c) des activités artisanales,
d) les activités des professions libérales.
Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d’établissement, le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l’État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants ».
B.16.4. L’article 15, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose :
« Tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s’établir ou de fournir des services dans tout État membre ».
B.16.5. Le considérant 7 de la directive (EU) 2018/958 dispose :
« La présente directive a pour objet d’établir des règles pour la conduite par les États membres des examens de la proportionnalité avant l’adoption de nouvelles réglementations professionnelles ou la modification de réglementations professionnelles existantes, en vue d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant la transparence et un haut degré de protection des consommateurs ».
L’article 1er de la même directive dispose :
« La présente directive établit, en vue de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, les règles applicables à un cadre commun pour la conduite des examens de proportionnalité des dispositions législatives, réglementaires ou administratives limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice avant l’adoption de nouvelles dispositions ou la modification de telles dispositions existantes, tout en garantissant un haut degré de protection des consommateurs. Elle ne porte pas atteinte à la compétence des États membres, en l’absence d’harmonisation, ni à la marge d’appréciation dont ils disposent pour décider des professions à réglementer et de la manière de les réglementer, dans les limites des principes de non-
discrimination et de proportionnalité ».
L’article 4, paragraphe 1, de la même directive dispose :
« Avant d’introduire de nouvelles dispositions législatives, réglementaires ou administratives limitant l’accès à des professions réglementées ou leur exercice ou avant de modifier de telles dispositions existantes, les États membres procèdent à un examen de proportionnalité conformément aux dispositions de la présente directive ».
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B.17.1. Les restrictions visées par les articles 49 et 56 du TFUE sont les mesures adoptées par un État membre de l’Union européenne qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services (CJCE, grande chambre, 28 avril 2009, C-518/06, Commission des Communautés européennes c. République italienne, ECLI:EU:C:2009:270, point 62; CJUE, grande chambre, 1er juin 2010, C-570/07 et C-571/07, Blanco Pérez et Chao Gómez, ECLI:EU:C:2010:300, point 53; 7 octobre 2010, C-515/08, dos Santos Palhota e.a., ECLI:EU:C:2010:589, point 29; 8 juin 2023, C-468/20, Fastweb SpA, ECLI:EU:C:2023:447, point 81).
Une réglementation d’un État membre de l’Union européenne ne constitue pas une restriction du seul fait que d’autres États membres appliquent des règles moins strictes ou économiquement plus intéressantes aux prestataires de services similaires établis sur leur territoire (CJCE, grande chambre, 28 avril 2009, C-518/06, précité, point 63; CJUE, 12 septembre 2013, C-475/11, Kostas Konstantinides, ECLI:EU:C:2013:542, point 47; 8 juin 2023, C-468/20, précité, point 85).
B.17.2. Par son arrêt précité du 12 septembre 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a plus précisément jugé :
« 47. En outre, il convient de rappeler qu’une réglementation d’un État membre ne constitue pas une restriction au sens du traité FUE du seul fait que d’autres États membres appliquent des règles moins strictes ou économiquement plus intéressantes aux prestataires de services similaires établis sur leur territoire (voir arrêt Commission/Italie, précité, point 49 et jurisprudence citée).
48. L’existence d’une restriction au sens du traité ne saurait donc être déduite du seul fait que les médecins établis dans des États membres autres que la République fédérale d’Allemagne doivent, pour le calcul de leurs honoraires pour des prestations fournies sur le territoire du Land de Hesse, se soumettre aux règles applicables sur ce territoire.
49. Toutefois, en l’absence de toute flexibilité du régime en cause au principal, ce qui relève d’une appréciation par le juge national, l’application d’un tel régime, qui serait susceptible d’avoir un effet dissuasif à l’égard des médecins d’autres États membres, serait constitutive d’une restriction au sens du traité.
50. S’agissant de la justification d’une telle restriction, il est de jurisprudence bien établie que des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité ne peuvent être admises qu’à la condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif
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poursuivi (voir, notamment, arrêt du 16 avril 2013, Las, C-202/11, point 23 et jurisprudence citée).
51. À cet égard, il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner si, à supposer que son application dans des circonstances telles que celles décrites dans la décision de renvoi constitue une restriction à la libre prestation de services, la réglementation en cause au principal est fondée sur un objectif d’intérêt général. D’une manière générale, il convient de relever que la protection de la santé et de la vie des personnes, ainsi que le prévoit l’article 36 TFUE, et celle des consommateurs sont des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme constituant des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la libre prestation de services (voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C-94/04 et C-202/04, Rec. p. I-11421, point 64 et jurisprudence citée, ainsi que du 8 novembre 2007, Ludwigs-Apotheke, C-143/06, Rec. p. I-9623, point 27 et jurisprudence citée).
52. En ce qui concerne la question de savoir si une telle réglementation fondée sur un objectif d’intérêt général est propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si cette réglementation répond véritablement au souci d’atteindre l’objectif poursuivi d’une manière cohérente et systématique. L’analyse de la proportionnalité exige de tenir compte notamment de la sévérité de la sanction envisagée.
53. Il appartient ainsi à la juridiction de renvoi de vérifier si la réglementation en cause au principal constitue une restriction au sens de l’article 56 TFUE et, dans l’affirmative, si elle poursuit un objectif d’intérêt général, est propre à garantir la réalisation de celui-ci et ne va au-
delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi ».
B.18.1. Sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les dispositions attaquées constituent des restrictions au sens des articles 49 et 56 du TFUE, il suffit de constater qu’elles répondent aux conditions de restriction mentionnées en B.17.2. Ainsi qu’il a déjà été mentionné, la mesure attaquée poursuit un but d’intérêt général (B.2.1), elle est adéquate pour en garantir la réalisation (B.8.2) et elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi (B.8.3).
B.18.2. Les dispositions attaquées tendent en substance à « accroître la sécurité tarifaire pour les ménages à faibles revenus ». La loi vise donc à protéger la santé des bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance, objectif figurant à l’article 36 du TFUE et qui peut constituer, comme il est dit en B.17.2, une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services.
32
B.18.3. Il ressort de l’examen des moyens pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution que les dispositions attaquées sont pertinentes et proportionnées à l’aune de cet objectif. Les dispensateurs de soins non conventionnés restent en outre libres de fixer leurs tarifs lorsqu’ils dispensent des soins ambulatoires à des non-bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance. En conséquence, ces dispositions ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. En effet, elles n’obligent pas les dispensateurs de soins non conventionnés à adhérer aux accords tarifaires et ne leur interdisent pas de facturer des suppléments d’honoraires à des non-bénéficiaires de l’intervention majorée de l’assurance.
B.18.4. Les dispositions attaquées ne violent par conséquent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 49, 56 et 57 du TFUE.
B.18.5. Un examen à la lumière de l’article 15, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne pourrait conduire à une autre conclusion. En effet, cette disposition reconnaît la liberté d’établissement et la libre prestation des services, également garanties par les articles 49 et 56 du TFUE. Or, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose, aux termes de son article 52, paragraphe 2, que les droits qui y sont reconnus et qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.
B.19.1. Enfin, les parties requérantes soutiennent qu’aucun examen de proportionnalité n’a été mené au sens de la directive (UE) 2018/958 avant l’adoption de la loi du 29 novembre 2022.
B.19.2. Pour ce qui concerne le secteur de la santé, cette directive a été transposée par la loi du 23 mars 2021 « relative à un examen de proportionnalité préalable à l’adoption ou la modification d’une réglementation de profession dans le secteur de la santé ».
B.19.3. En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner si la Cour est compétente pour contrôler le respect des exigences de la directive (UE) 2018/958 et les obligations concrètes qui, le cas échéant, en découlent pour le législateur lorsqu’il prend une mesure restreignant la faculté de certains dispensateurs de soins de facturer des suppléments d’honoraires.
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En effet, il suffit de constater que les travaux préparatoires comportent l’analyse d’impact de la réglementation (RiA-AiR), qui examine et analyse les incidences positives et négatives du projet de loi sur certains acteurs et dispensateurs de soins (Doc. parl., Chambre, 2021-2022, DOC 55-2882/001, pp. 27-158). En outre, il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.2.1 que le législateur a eu égard à la proportionnalité de la mesure attaquée.
B.20. Le troisième moyen dans l’affaire n° 8004 et le second moyen dans les affaires nos 8016 et 8017 ne sont pas fondés.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette les recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 11 avril 2024.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44/2024
Date de la décision : 11/04/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2024-04-11;44.2024 ?

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