La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/04/2007 | BELGIQUE | N°C.06.0123.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 27 avril 2007, C.06.0123.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.06.0123.N

1. H. R.,

2. G. E.,

Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,

contre

D. J.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 11 octobre 2005par la cour d'appel d'Anvers.

Le president Ivan Verougstraete a fait rapport.

L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- ar

ticles 19 et 25 de la Constitution ;

- article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, sign...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.06.0123.N

1. H. R.,

2. G. E.,

Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,

contre

D. J.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 11 octobre 2005par la cour d'appel d'Anvers.

Le president Ivan Verougstraete a fait rapport.

L'avocat general Guy Dubrulle a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 19 et 25 de la Constitution ;

- article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre 1050 et approuvee parla loi du 13 mai 1955 ;

- article 19 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques fait à New York le 19 decembre 1966 et approuve par la loi du15 mai 1981 ;

- article 1382 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

Dans la decision attaque, la cour d'appel, statuant sur la demande dudefendeur, declare partiellement fondes l'appel et la demande du defendeuret autorise le defendeur à faire publier l'arret à intervenir dans « DeMorgen » aux frais des demandeurs. La cour d'appel decide sur la base desmotifs suivants :

« Le defendeur fonde sa demande sur l'article 1382 du Code civil du chefde violation de la norme de prudence. La violation eventuelle de l'article443 du Code penal (delit de calomnie et de diffamation) n'a pas faitl'objet des debats.

L'essentiel de la contestation est de savoir si en ecrivant le livre, lesdemandeurs ont porte atteinte ou non à l'honneur et à la reputation dudefendeur excedant ainsi la norme de prudence.

Les demandeurs ont le droit de s'exprimer librement, comme le garantissentles articles 19 et 25 de la Constitution. L'exercice de la liberted'expression comporte toutefois des devoirs et des responsabilites. Desrestrictions sont necessaires dans une societe democratique afin deproteger la reputation et les droits d'autrui (article 10.2 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales). La disposition constitutionnelle relative à la liberted'expression (article 19 de la Constitution) ne fait pas obstacle àl'application de l'article 1382 du Code civil. La responsabilite de lapartie ayant cause le dommage n'est pas subordonnee à une condamnationpenale anterieure.

Les demandeurs sont tenus de communiquer au public des informationscorrectes, objectives et aussi exactes que possible. Ils doivents'abstenir de lancer des accusations graves sans les avoir suffisammentcontrolees. La mise en peril de l'honneur et de la reputation par ladivulgation d'informations inexactes donne lieu, en principe, à unesanction de droit prive.

On ne peut pas dire qu'il est reproche concretement au defendeur d'avoircommis des faits punissables. Mais dans leur livre, les demandeurs ontfait des insinuations afin de discrediter le defendeur. A la page 75, ouil est question de la manipulation de l'instruction judiciaire àl'occasion du vol d'armes au sein de l'Escadron special d'intervention, ilest mentionne clairement `Tout concerne Johan Demol'. A la page 96 il estaussi mentionne `le gendarme Johan Demol decouvre apres son licenciementdu corps le moyen d'ignorer toutes les enquetes relatives à sesconnections avec l'extreme droite et son implication dans le fameux vold'armes. Il devient agent de police'. Ces insinuations, dont la veraciten'est pas controlee, ne peuvent etre tolerees. Par ailleurs, lesdemandeurs ont repris des donnees de la `Tweede bendecommissie' concernantun certain Johan Demol en tant que participant au `Comite D'Ouwendijck' etles a attribuees au defendeur sans examiner s'il s'agit de la memepersonne. Ils ont reproduit ces donnees uniquement dans le but de blesserle defendeur.

Les demandeurs n'ont pas agi en tant qu'informateurs prudents etconscients de leur devoir d'objectivite, se trouvant dans les memescirconstances. Les demandeurs ont sciemment porte atteinte à l'honneur età la reputation du defendeur. Ils ont manifestement depasse les bornes.L'interet public ne justifie pas les diffamations.

Le defendeur est un personnage public qui ne peut, en principe, pass'opposer à la publication de sa photo eu egard au droit à l'informationdu public. Dans les circonstances donnees on ne peut accepter que sonassentiment soit presume. La photo a ete utilisee afin de blesser ledefendeur dans son honneur et sa reputation. Le livre s'intitule « Hetgevaar Demol ». A cote de la photo du defendeur au bas de la couverturedu livre des demandeurs est imprime le texte suivant « Als hij zijn bekopendoet, sla je er op », ce qui peut faire naitre l'impression dans lechef du public que le texte est de lui. Meme si la publication de la photone concerne pas sa vie privee, cela n'empeche pas que sa publication,telle qu'elle a eu lieu, porte atteinte à l'honneur et à la reputationdu defendeur. C'est en vain que les demandeurs invoquent que les photos nebeneficient pas de la protection du droit d'auteur des lors que cetteprotection n'est pas à l'ordre du jour en l'espece.

Le defendeur a, en principe, droit à des dommages et interets (...).

Des lors que la faute est etablie, la certitude de l'existence d'undommage moral dans le chef du defendeur ne peut etre mise en doute :atteinte portee à un bien juridique moral. Des lors que les injuresexprimees ne peuvent etre retirees, la publication du present arret auxfrais des demandeurs constitue un devoir de reparation adequat eu egard àla dimension publicitaire de la diffamation, sans qu'il soit necessaired'accorder une indemnite complementaire.

Griefs

L'article 19 de la Constitution dispose que notamment la liberte demanifester ses opinions en toute matiere, est garantie, sauf la repressiondes delits commis à l'occasion de l'usage de ces libertes.

L'article 25 de la Constitution dispose que la presse est libre; lacensure ne pourra jamais etre etablie; il ne peut etre exige decautionnement des ecrivains, editeurs ou imprimeurs. Lorsque l'auteur estconnu et domicilie en Belgique, l'editeur, l'imprimeur ou le distributeurne peut etre poursuivi.

L'article 10, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales signee à Rome le 4 novembre 1950 etapprouvee par la loi du 13 mai 1955, dispose que toute personne a droit àla liberte d'expression. Ce droit comprend la liberte d'opinion et laliberte de recevoir ou de communiquer des informations ou des idees sansqu'il puisse y avoir ingerence d'autorites publiques et sans considerationde frontiere. En vertu de l'article 10, S: 2, de la meme Convention,l'exercice de ces libertes comportant des devoirs et des responsabilitespeut etre soumis à certaines formalites, conditions, restrictions ousanctions prevues par la loi, qui constituent les mesures necessaires dansune societe democratique, à la securite nationale, à la defense del'ordre public et à la prevention du crime, à la protection de la santeet de la morale, à la protection de la reputation ou des droits d'autrui,pour empecher la divulgation d'informations confidentielles ou pourgarantir l'autorite et l'impartialite du pouvoir judiciaire.

L'article 19, S: 1er, du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques fait à New York le 19 decembre 1966, approuve par la loi du 15mai 1981, dispose que nul ne peut etre inquiete pour ses opinions.L'article 19.2 du meme Pacte dispose que toute personne a droit à laliberte d'expression ; ce droit comprend la liberte de rechercher, derecevoir et de repandre des informations ou des idees de toute espece,sans consideration de frontieres, sous une forme orale, ecrite ou imprimeeou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. L'article 19, S: 3,dispose que l'exercice des libertes prevues au paragraphe 2 comporte desdevoirs speciaux et des responsabilites speciales. Il peut en consequenceetre soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois etreexpressement fixees par la loi et qui sont necessaires :

a. au respect des droits ou de la reputation d'autrui ;

b. à la sauvegarde de la securite nationale, de l'ordre public, ou de lamoralite publique.

L'article 19, S: 3, ne s'applique que dans le contexte des dispositions oudes restrictions qui sont indiquees ou autorisees par l'article 10 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales.

Il ressort de chacune de ces dispositions et de leur combinaison que laliberte d'expression est un droit constitutionnel protege qui ne peut etresoumis que dans des conditions particulieres à certaines restrictions ousanctions. Les restrictions ou les sanctions doivent 1) etre fondees surune base legale, 2) doivent etre necessaires dans une societedemocratique, 3) pour proteger certains biens juridiques notamment lareputation d'autrui.

La violation, par l'opinion exprimee par une personne, de la reputationd'une autre personne ne peut donc donner lieu à une restriction ou à unesanction de la liberte d'expression de la premiere personne lorsque cetterestriction ou cette sanction n'est pas fondee sur une loi et/ou n'est pasnecessaire dans une societe democratique pour proteger la reputationd'autrui.

En vertu de l'article 1382 du Code civil, tout fait quelconque de l'hommequi cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il estarrive à le reparer.

Pour que la violation de la reputation d'une personne par une opiniondeterminee puisse etre sanctionnee, notamment par une condamnation à desdommages et interets, il ne suffit pas de constater qu'il a ete porteatteinte à la reputation de l'interesse. Eu egard aux dispositionsprecitees et particulierement à l'article 10 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales, il fautaussi constater que cette sanction de la liberte d'expression dans unesociete democratique est absolument necessaire pour proteger la reputationde cette personne, de sorte que la liberte d'expression de l'auteur doitetre restreinte par cette sanction. Le juge doit donc examiner le droit àla protection de la reputation d'une personne par rapport à la liberted'expression de l'autre personne. En voulant obtenir un juste equilibreentre les droits de ces deux personnes il doit tenir compte du fait que ledroit à la protection de la reputation de l'une ne peut restreindre ledroit à la liberte d'expression de l'autre que dans la mesure ou cetterestriction est absolument necessaire dans le contexte d'une societedemocratique pour sauvegarder la reputation de la premiere personne.

Premiere branche

La necessite d'une restriction ou d'une sanction de la liberted'expression doit etre appreciee concretement en vertu des dispositionslegales citees au debut du moyen qui garantissent cette liberte etspecialement en vertu de l'article 10 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales. Toute restriction ousanction doit, dans des circonstances concretes, repondre à une necessitesociale imperieuse et etre proportionnee à l'objectif poursuivi, comme laprotection de la reputation des personnes. Ainsi il y a lieu de tenircompte, le cas echeant, de la mission de la presse en tant que« gardien » dans une societe democratique, notamment garantie par laliberte de la presse consacree par l'article 25 de la Constitution, et dela qualite de la personne qui invoque la protection de sa reputation.Ainsi les personnages publics, particulierement les hommes politiques,doivent pouvoir mieux supporter la critique que les personnes privees.

Dans l'arret attaque, la cour d'appel applique l'article 1382 du Codecivil à l'acte pose par les demandeurs et consistant dans l'ecriture d'unlivre et portant ainsi atteinte, selon la cour d'appel, à l'honneur et àla reputation du defendeur. La cour d'appel decide par ailleurs que lapublication de l'arret aux frais des demandeurs constitue une reparationadequate, eu egard aussi à la dimension publicitaire de la diffamation.La cour d'appel n'examine ni l'une ni l'autre de ses decisions par rapportà la liberte d'expression des demandeurs et à la liberte de la presse àlaquelle les demandeurs peuvent pretendre en tant qu'auteurs d'un livre.Par son application de l'article 1382 du Code civil, la cour d'appellimite et sanctionne la liberte d'expression des demandeurs afin deproteger la reputation du defendeur, mais elle n'examine pas à cet egardet ne constate pas davantage que l'equilibre requis existe entre le faitde vouloir assurer cette protection et le droit à la liberte d'expressiondes demandeurs dans une societe democratique.

La cour d'appel considere certes que les demandeurs ont le droit des'exprimer librement, que l'exercice de ce droit comporte des devoirs etdes obligations, que l'exercice de ce droit ne fait pas obstacle àl'application de l'article 1382 du Code civil, que les demandeurs n'ontpas agi en tant qu'informateurs prudents et conscients de leur devoird'objectivite se trouvant dans des circonstances de fait identiques etqu'il ont sciemment porte atteinte à l'honneur et à la reputation dudefendeur, mais la cour d'appel n'examine pas et/ou ne constate pas que lacondamnation des demandeurs et l'autorisation de la publication de l'arretattaque dans « De Morgen » à leurs frais, est necessaire dans unesociete democratique pour proteger la reputation du defendeur.

Une telle comparaison ne ressort pas de la simple decision de la courd'appel selon laquelle « l'interet public ne justifie pas lesdiffamations ». La liberte d'expression des demandeurs n'est d'ailleurspas « d'interet public ». Par ailleurs, la question que la cour d'appeldevait poser et à laquelle elle devait repondre n'est pas de savoir si laliberte d'expression des demandeurs justifie la violation de la reputationdu defendeur mais bien si la restriction de la liberte d'expression desdemandeurs qui resulte de la condamnation des demandeurs et del'autorisation de publication de l'arret aux frais des demandeurs dans« De Morgen » est justifiee, dans les circonstances concretes, par lanecessite absolue de proteger la reputation du defendeur dans une societedemocratique.

La cour d'appel ne constate nulle part que l'autorisation qu'elle accordeau defendeur, compte tenu de la liberte d'expression, est proportionnee àl'objectif poursuivi par la protection de la reputation du defendeur. Dansles considerations qui sont critiquees par le moyen en cette branche etqui concernent l'ecriture d'un livre, la cour d'appel ne tient pas comptede la tache de la presse dans une societe democratique, ni de laconstatation que le defendeur « est un personnage public », comme l'areconnu le defendeur lui-meme et comme il ressort des considerationscritiquees par le moyen en sa deuxieme branche et qui concernentl'utilisation de photos du defendeur.

La cour d'appel viole ainsi le droit à la liberte d'expression desdemandeurs et la liberte de la presse qui peuvent etre invoquees par lesdemandeurs et meconnait les conditions auxquelles ce droit et cetteliberte peuvent etre restreints.

Conclusion

En autorisant le defendeur à publier l'arret attaque aux frais desdemandeurs dans « De Morgen » sur la base des considerations que lesdemandeurs ont le droit de s'exprimer librement , que l'exercice de cetteliberte comporte des devoirs et des responsabilites, que cette liberted'opinion ne fait pas obstacle à l'application de l'article 1382 du Codecivil, que les demandeurs n'ont pas agi en tant informateurs prudents etconscients de leur devoir d'objectivite se trouvent dans des circonstancesde fait identiques, et qu'ils ont sciemment porte atteinte à l'honneur età la reputation du defendeur et que l'interet public ne justifie pas lesdiffamations, la cour d'appel viole les articles 19 et 25 de laConstitution, 10 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales signee à Rome le 4 novembre 1950, approuveepar la loi du 13 mai 1955, 19 du Pacte international du 19 decembre 1966relatif aux droits civils et politiques, fait à New York le 19 decembre1966, approuve par la loi du 15 mai 1981, et 1382 du Code civil.

Deuxieme branche

2.1. Les dispositions citees au debut du moyen qui garantissent la liberted'expression et specialement l'article 10 de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertes fondamentales concernent tantl'expression, la transmission et la reception de renseignements(information) que d'idees (opinions) et s'appliquent à la publication dephotos.

La necessite de restreindre ou de sanctionner la liberte d'expressiondoit, suivant ces dispositions, etre appreciee de maniere concrete. Touterestriction ou sanction doit, dans des circonstances concretes, repondreà une necessite sociale imperieuse et etre proportionnee à l'objectifpoursuivi, comme la protection de la reputation des personnes. Ainsi, il ya lieu de tenir compte, le cas echeant, de la mission de la presse dansune societe democratique qui est de divulguer des idees et desinformations, parmi lesquelles des photos, à propos de problemesd'interet general, garantie notamment par la liberte de la presseconsacree par l'article 25 de la Constitution, de l'interet pour le publicde voir publier de telles photos et de la qualite de la personne quiinvoque la protection de sa reputation. Ainsi, les personnages publics,comme les hommes politiques, doivent assumer les consequences du faitqu'ils sont des personnes publiques et elles doivent assumer que desreproductions de leur personne qui ne concernent pas leur vie priveesoient diffusees.

Dans l'arret attaque, la cour d'appel applique l'article 1382 du Codecivil à l'acte des demandeurs qui consiste à publier une ou plusieursphotos du defendeur dans leur livre portant le titre « Het gevaarDemol » et à inserer le texte « Als hij zijn bek opendoet, sla jeerop » à cote de la photo au bas de la couverture du livre ; selon lacour d'appel, la publication des photos, telle qu'elle a eu lieu, porteatteinte à l'honneur et à la reputation du defendeur. La cour d'appeldecide par ailleurs que la publication de l'arret aux frais des demandeursconstitue une obligation de reparation adequate, eu egard aussi à ladimension publicitaire de la diffamation. La cour d'appel ne compare nil'une ni l'autre de ses decisions à la liberte d'expression desdemandeurs et à la liberte de la presse à laquelle les demandeurspeuvent pretendre en tant qu'auteurs d'un livre. Par son application del'article 1382 du Code civil, la cour d'appel limite et sanctionne laliberte d'expression des demandeurs afin de proteger la reputation dudefendeur, mais elle n'examine pas à cet egard et ne constate pasdavantage que l'equilibre requis existe entre le fait de vouloir assurercette protection et le droit à la liberte d'expression des demandeursdans une societe democratique.

La cour d'appel considere certes que le defendeur est un personnage publicet qu'en tant que tel il ne peut en principe s'opposer à la publicationde sa photo eu egard au droit à l'information du public et que lapublication des photos est sans rapport avec la vie privee du defendeur,mais la cour d'appel n'examine pas et/ou ne constate pas que lacondamnation des demandeurs et l'autorisation de publication de l'arretattaque dans « De Morgen » à leurs frais, est necessaire dans unesociete democratique pour proteger la reputation du defendeur.

Une telle comparaison ne ressort pas des simples constatations que laphoto a ete utilisee pour porter atteinte à l'honneur et à la reputationdu defendeur et que la publication telle qu'elle a eu lieu, porte atteinteà l'honneur et à la reputation du defendeur. La cour d'appel ne constatenulle part que l'autorisation qu'elle a accordee au defendeur estproportionnee à l'objectif poursuivi de la protection de la reputation dudefendeur.

La cour d'appel viole ainsi le droit à la liberte d'expression desdemandeurs et la liberte de la presse qui peuvent etre invoques par lesdemandeurs et elle meconnait les conditions auxquelles ce droit et cetteliberte peuvent etre limitees.

2.2. L'article 10 de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur etaux droits voisins dispose que ni l'auteur, ni le proprietaire d'unportrait, ni tout autre possesseur ou detenteur d'un portrait n'a le droitde le reproduire ou de le communiquer au public sans l'assentiment de lapersonne representee ou celui de ses ayants droit pendant vingt ans àpartir de son deces.

Cet assentiment n'est certes pas presume mais il ressort de l'article 10de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, explicite ci-dessus sous le 2.1., que le droit d'unepersonne d'interdire la reproduction de son portrait doit ceder devantl'interet legitime du public d'etre informe et que les personnes publiquesdoivent accepter que leur photo soit publiee dans le but d'informer lepublic.

Dans la mesure ou, en considerant que le defendeur est un personnagepublic qui ne peut en principe pas s'opposer à la publication de saphoto, eu egard au droit d'information du public et qu'il ne peut etreconsidere dans les circonstances donnees que l'assentiment du defendeurest presume, la cour d'appel decide que l'assentiment du defendeur estrequis en vertu de l'article 10 de la loi du 30 juin 1994 relative audroit d'auteur et aux droits voisins pour la publication des photos dudefendeur et qu'il n'est pas etabli que cet assentiment a ete donne, lacour d'appel viole aussi cet article 10 ainsi que l'article 10 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales et l'article 19 du Pacte international relatif aux droitscivils et politiques fait à New York le 19 decembre 1966 : un personnagepublic, comme l'est le defendeur selon les constatations de la courd'appel, doit accepter qu'une photo de lui soit publiee dans le butd'informer le public.

Conclusion

En autorisant le defendeur à faire publier l'arret attaque aux frais desdemandeurs dans « De Morgen » sur la base des considerations quel'assentiment du defendeur à la publication de ses photos n'est paspresume dans les circonstances donnees, que la photo a ete utilisee afinde porter atteinte à son honneur et à sa reputation et que lapublication des photos, meme si elles n'ont aucun rapport avec sa vieprivee, porte atteinte à l'honneur et à la reputation du defendeur, lacour d'appel viole les articles 19 et 25 de la Constitution, 10 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales signee à Rome le 4 novembre 1950, approuvee par la loi du13 mai 1955, 19 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques fait à New York le 19 decembre 1966, approuve par la loi du 15mai 1981, 1382 du Code civil et 10 de la loi du 30 juin 1994 relatif audroit d'auteur et aux droits voisins.

Troisieme branche

En vertu de l'article 1382 du Code civil tout fait de l'homme qui cause àautrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrive à lereparer. L'application de l'article 1382 du Code civil requiert donc, enplus de la faute, l'existence d'un dommage certain et etabli.

La faute et le dommage sont deux conditions distinctes de laresponsabilite extra contractuelle et l'existence du dommage ne peutevidemment pas se deduire de la simple existence d'une faute.

Dans des conclusions regulierement deposees au greffe de la cour d'appelles demandeurs ont invoque que le defendeur n'a subi aucun dommagepolitique ou electoral en raison de la publication de leur livre, bien aucontraire (...).

En decidant que, des lors que la faute des demandeurs est etablie, lacertitude du dommage moral subi par le defendeur ne peut etre mise endoute, la cour d'appel ne constate pas legalement l'existence d'un dommagecertain et etabli qui presente un lien de causalite avec la faute.

La cour d'appel ne pouvait deduire legalement l'existence d'un quelconquedommage de la simple existence d'une faute, ni le lien de causalite avecla faute.

Conclusion

En autorisant le defendeur à faire publier l'arret attaque aux frais desdemandeurs dans « De Morgen » sur la base des considerations que lacertitude de l'existence d'un dommage moral dans le chef du defendeur nepeut etre mise en doute des lors que la faute des demandeurs est etablieet que la publication aux frais des demandeurs semble etre la seulereparation adequate, la cour d'appel viole l'article 1382 du Code civil.

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

1. L'article 10.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales dispose que l'exercice de la liberted'expression qui comprend la liberte de communiquer des informations oudes idees et qui comporte des devoirs et des responsabilites, peut etresoumis à certaines formalites, conditions, restrictions ou sanctionsprevues par la loi, qui constituent des mesures necessaires dans unesociete democratique, notamment pour la protection de la reputation ou desdroits d'autrui pour empecher la divulgation d'informationsconfidentielles ou pour garantir l'autorite et l'impartialite du pouvoirjudiciaire.

La restriction de l'exercice de la liberte d'expression est necessairedans une societe democratique, lorsqu'elle repond à une necessite socialeimperieuse à la condition que la proportionnalite soit respectee entre lemoyen utilise et l'objectif poursuivi et que la restriction soit justifieepar des motifs pertinents et suffisants.

Il doit ressortir de la decision du juge qu'il a examine le droit à laliberte d'expression par rapport à d'autres droits vises à l'article10.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, comme le droit à une bonne reputation, mais aussi que larestriction imposee, compte tenu du contexte dans lequel l'opinion estemise, de la qualite des parties et des autres circonstances particulieresde la cause, repond à une necessite sociale imperieuse, est pertinente etqu'à la suite de la restriction imposee la proportionnalite est respecteeentre le moyen utilise et l'objectif poursuivi.

2. Les juges d'appel ont considere que « les demandeurs n'ont pas agi entant qu'informateurs prudents et conscients de leurs devoirsd'impartialite, se trouvant dans les memes circonstances de fait. Ils ontporte atteinte sciemment à l'honneur et à la reputation du defendeur.Ils ont manifestement depasse les bornes. L'interet public ne justifie pasles diffamations ».

Ils ont sanctionne ensuite les opinions des demandeurs exprimees dans leurlivre concernant le defendeur, en autorisant le defendeur à proceder àla publication de l'arret attaque dans « De Morgen » sans indiquertoutefois que la restriction infligee repond à une necessite socialeimperieuse ni que la proportionnalite est respectee entre le moyen utiliseet l'objectif vise.

Les juges d'appel n'ont, des lors, pas justifie legalement leur decisionet ils ont viole le droit à la liberte d'expression tel qu'il est prevuà l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertes fondamentales.

3. Le moyen, en cette branche, est fonde.

Quant à la deuxieme branche :

4. La protection de la liberte d'expression en vertu de l'article 10 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales comprend aussi la protection de la liberte de communiquerdes informations ou des idees au moyen de photos qui, le cas echeant,accompagnent une information ecrite.

5. En decidant que l'utilisation d'un portrait du defendeur par lesdemandeur constitue une atteinte portee à l'honneur et à la reputationdu defendeur, qui donne lieu à des dommages et interets, sur la base desconsiderations que : « le defendeur est un personnage public qui ne peuten principe pas s'opposer à la publication de sa photo eu egard au droità l'information du public. Dans les circonstances donnees, il ne peutetre admis que son assentiment soit presume », sans indiquer que le droità la liberte d'expression a ete examine par rapport au droit à la bonnereputation, ni indiquer que la restriction imposee repond à une necessitesociale imperieuse, ni que la restriction imposee respecte laproportionnalite entre le moyen utilise et l'objectif vise, les jugesd'appel ont viole le droit à la liberte d'expression tel que prevu parl'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales.

6. Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Gand.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, les conseillers Eric Dirix,Eric Stassijns, Albert Fettweis et Alain Smetryns, et prononce en audiencepublique du vingt-sept avril deux mille sept par le president IvanVerougstraete, en presence de l'avocat general Guy Dubrulle, avecl'assistance du greffier Philippe Van Geem.

Traduction etablie sous le controle du president Ivan Verougstraete ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

Le greffier, Le president,

27 AVRIL 2007 C.06.0123.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.06.0123.N
Date de la décision : 27/04/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2007-04-27;c.06.0123.n ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award