La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2010 | BELGIQUE | N°C.08.0169.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 28 juin 2010, C.08.0169.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.08.0169.F

AXA BELGIUM, societe anonyme dont le siege social est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

1. P & V ASSURANCES, societe cooperative à responsabilite limitee dont lesiege social est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, rue Royale, 151,

defenderesse en cassation

,

2. NATIONAL SUISSE ASSURANCES, societe anonyme dont le siege social estetabli à Bruxelles, rue de...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.08.0169.F

AXA BELGIUM, societe anonyme dont le siege social est etabli à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

1. P & V ASSURANCES, societe cooperative à responsabilite limitee dont lesiege social est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, rue Royale, 151,

defenderesse en cassation,

2. NATIONAL SUISSE ASSURANCES, societe anonyme dont le siege social estetabli à Bruxelles, rue des Deux-Eglises, 14,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 28 novembre2007 par la cour d'appel de Bruxelles, statuant comme juridiction derenvoi ensuite de l'arret de la Cour du 9 decembre 2004.

Par ordonnance du 8 juin 2010, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat general Jean-Marie Genicot a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 2 du Code civil ;

- articles 17 et 18 du Code judiciaire ;

- articles 86 et 149 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assuranceterrestre ;

- article 3 de l'arrete royal du 24 aout 1992 fixant l'entree en vigueurdes dispositions de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assuranceterrestre ;

- principe general du droit, consacre par l'article 2 du Code civil, del'application immediate de la loi nouvelle à tous les effets futurs desituations nees sous l'empire de la loi anterieure.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir constate, en substance, que la demanderesse vient aux droitsde la compagnie d'assurances Le Secours de Belgique qui assuraitl'officine du pharmacien M. contre l'incendie ; que, dans la nuit du 7mars 1986, deux mineurs d'age ont penetre dans la pharmacie pour ycommettre un vol et ont boute le feu à l'immeuble ; que les deuxdefenderesses viennent aux droits et obligations des assureurs de laresponsabilite civile familiale des parents des deux mineurs ; que lesparents des deux mineurs ont ete declares civilement responsables de leurenfant par des decisions des juridictions de la jeunesse ; que, parexploit des 19 et 23 mars 1990, la demanderesse, qui avait indemnise sonassure à concurrence de 3.600.000 francs, cita les defenderesses devantle tribunal de premiere instance de Liege en remboursement de sesdecaissements ; qu'apres avoir declare, devant le premier juge, que sonaction constituait une action oblique visee à l'article 1166 du Codecivil, la demanderesse soutint devant la cour d'appel de Liege, dans sesconclusions deposees le 16 octobre 2002, qu'elle exerc,ait une actiondirecte contre les defenderesses en application des articles 86 et 87 dela loi du 25 juin 1992 ; que, par arret du 17 decembre 2002, la courd'appel de Liege considera « que la qualification d'action obliques'aver[ait] erronee, s'agissant en realite d'une action directe ; quel'action directe [avait] ete introduite en 1990, soit à un moment ou laloi du 25 juin 1992 n'existait pas encore », et ordonna la reouverturedes debats ; que, par arret du 2 septembre 2003, la cour d'appel de Liegea dit la demande prescrite, s'agissant d'une « demande nouvelle formeepar voie de conclusions deposees le 16 octobre 2002 » ; que, sur lepourvoi de la demanderesse, la Cour de cassation a casse cet arret pourviolation de l'article 19 du Code judiciaire ; que la cause fut renvoyeedevant la cour d'appel de Bruxelles,

l'arret attaque declare irrecevable la demande originaire de lademanderesse contre les defenderesses et condamne la demanderesse auxdepens des deux instances.

L'arret attaque se fonde sur les motifs suivants :

« Le fait que l'article 86 de la loi du 25 juin 1992 soit applicable ausinistre qui s'est produit avant le 1er janvier 1993, date de l'entree envigueur de cet article de ladite loi, signifie que l'action directe peutetre engagee à partir du 1er janvier 1993 pour les sinistres survenus àpartir de ce moment-là mais egalement pour les sinistres anterieurs àcette date. Cela n'implique cependant pas que l'action directe pouvaitetre engagee avant meme d'exister legalement sous peine de donner, sur cepoint, à la loi du 25 juin 1992 un caractere retroactif qu'elle n'a pas.

La cour [d'appel] de ceans etant liee par l'arret du 17 decembre 2002 dela cour d'appel de Liege, qui a dit pour droit que l'action originaireintroduite en 1990 par (la demanderesse) s'analysait en une actiondirecte, question litigieuse ainsi definitivement tranchee (Cassation, 9decembre 2004, prononce en la presente cause), ne peut que constater qu'àcette epoque, l'assureur-incendie ayant indemnise son assure ne disposaitpas d'une action directe en remboursement de ses decaissements contre lesassureurs en responsabilite civile familiale des parents des responsablesdes faits litigieux ».

Griefs

Premiere branche

Selon l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut etre admise si ledemandeur n'a pas qualite et interet pour la former. Selon l'article 18,alinea 1er, du meme code, l'interet doit etre ne et actuel.

L'interet consiste en tout avantage materiel ou moral, effectif, que ledemandeur peut retirer de son action, à la supposer fondee. La qualitecoincide avec l'interet lorsque l'action tend à la reconnaissance d'undroit subjectif et qu'elle est exercee par celui qui se pretend titulairede ce droit (et non par un mandataire ou un representant de ce titulaire).

La partie qui se pretend titulaire d'un droit de nature patrimonialepossede donc tant l'interet que la qualite qui sont requis par lesdispositions precitees pour introduire une demande en justice. L'interetet la qualite exiges par l'article 17 du Code judiciaire comme conditionsde recevabilite de la demande par celui qui se pretend titulaire du droitne dependent pas de la question de savoir si la pretention est fondee ounon. L'examen de l'existence ou de la portee du droit subjectif invoque nereleve pas de la recevabilite de la demande mais bien de son fondement.

En l'espece, sans denier que la demanderesse se pretendait titulaire dudroit d'obtenir des defenderesses le remboursement de ses decaissements,l'arret attaque declare la demande de la demanderesse contre lesdefenderesses non recevable au motif qu'au moment ou la demande a eteintroduite, la demanderesse « ne disposait pas d'une action directe enremboursement de ses decaissements contre les assureurs en responsabilitecivile familiale des parents responsables des faits litigieux ». L'arretconsidere ainsi que la demande n'est pas recevable en raison d'unepretendue absence de sanction juridique du droit dont la demanderesse sepretendait titulaire.

Ce motif ne justifie pas legalement la decision que la demanderessen'aurait pas eu l'interet et la qualite requis pour introduire la demandede sanction du droit dont elle se pretendait titulaire. L'arret viole deslors les articles 17 et 18, alinea 1er, du Code judiciaire.

Seconde branche

Selon l'article 2 du Code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir ;elle n'a pas d'effet retroactif. En application du principe general dudroit, que consacre la disposition precitee, de l'application immediate dela loi nouvelle, celle-ci s'applique immediatement aux effets futurs dessituations nees sous l'empire de l'ancienne loi, pour autant que cetteapplication ne porte pas atteinte à des droits dejà irrevocablementfixes.

L'article 86 de la loi du 25 juin 1992 relative au contrat d'assuranceterrestre, situe dans le chapitre III relatif aux contrats d'assurance dela responsabilite, dispose : « L'assurance fait naitre au profit de lapersonne lesee un droit propre contre l'assureur. L'indemnite due parl'assureur est acquise à la personne lesee, à l'exception des autrescreanciers de l'assure ». Cette disposition est entree en vigueur le 1erjanvier 1993 en vertu de l'article 149 de ladite loi et de l'article 3 del'arrete royal du 24 aout 1992.

L'article 86 de la loi du 25 juin 1992 ne modifie pas substantiellementles obligations de l'assureur des lors qu'il n'est pas relatif àl'existence ou à l'etendue du droit à l'indemnite d'assurance mais regleseulement la question de savoir à qui l'indemnite d'assurance revient ;cet article tend essentiellement à simplifier le reglement des litiges enoctroyant à la personne lesee une action directe et à proteger cettepersonne de l'insolvabilite de l'assure par une voie autre quel'attribution du privilege vise à l'article 20, 9DEG, de la loihypothecaire.

Au regard de la volonte du legislateur de soumettre l'exercice des droitsde la personne lesee à l'effet immediat de la loi nouvelle, la personnelesee dispose d'une action directe meme pour des faits anterieurs au 1erjanvier 1993, sauf en cas de droits irrevocablement etablis. A cet egard,la date d'introduction de la demande en justice est sans incidence, sousreserve que l'action contre l'assureur ne soit pas prescrite.

Certes, s'il avait statue avant le 1er janvier 1993, date de l'entree envigueur de l'article 86 de la loi du 25 juin 1992, sur l'action introduitepar la personne lesee, ou par la personne subrogee dans les droits decelle-ci, contre l'assureur de la responsabilite civile du responsable dusinistre et tendant à obtenir directement de celui-ci l'indemnisation deson prejudice, le juge n'aurait pu faire droit à cette demande. Enrevanche, statuant apres le 1er janvier 1993 dans une cause ou les droitsvis-à-vis de l'assureur n'ont pas ete irrevocablement etablis, la courd'appel ne pouvait refuser d'appliquer au litige qui lui etait soumisl'article 86 de la loi du 25 juin 1992 en tant qu'il instaure au profit dela personne lesee un droit propre à l'indemnite d'assurance, au seulmotif que l'action a ete introduite à un moment ou la loi du 25 juin 1992n'existait pas encore.

En l'espece, l'arret attaque ne constate pas que l'action directeintroduite en 1990 par la demanderesse contre les defenderesses seraitprescrite. Il decide cependant que l'action n'est pas recevable au motifque l'action directe ne pouvait etre engagee avant meme d'exister, souspeine de donner sur ce point à la loi du 25 juin 1992 un caractereretroactif qu'elle n'a pas.

L'arret viole ainsi l'article 2 du Code civil et le principe general dudroit, consacre par cette disposition, de l'application immediate de laloi nouvelle, les articles 86 et 149 de la loi du 25 juin 1992 etl'article 3 de l'arrete royal du 24 octobre 1992.

III. La decision de la Cour

Quant à la seconde branche :

En regle, une loi nouvelle s'applique non seulement aux situations quinaissent à partir de son entree en vigueur, mais aussi aux effets futursde situations nees sous le regime de la loi anterieure, qui se produisentou se prolongent sous l'empire de la loi nouvelle, pour autant que cetteapplication ne porte pas atteinte à des droits dejà irrevocablementfixes.

L'article 86 de la loi du 25 juin 1992 relative au contrat d'assuranceterrestre dispose que l'assurance fait naitre au profit de la personnelesee un droit propre contre l'assureur et que l'indemnite due parl'assureur est acquise à la personne lesee, à l'exception des autrescreanciers de l'assure.

Cette disposition ne modifie pas substantiellement les obligations del'assureur et n'etablit pas une nouvelle regle de responsabilite ; elletend essentiellement à simplifier le reglement des litiges en octroyantà la personne lesee une action directe et un droit propre, et à laproteger de l'insolvabilite de l'assure par une voie autre que celle duprivilege instaure par l'article 20, 9DEG, de la loi hypothecaire.

La volonte du legislateur a ete de lui donner un effet immediat. Elles'impose au juge qui statue apres la date de son entree en vigueur, le 1erjanvier 1993, meme pour des sinistres survenus avant cette date, sauf encas de droits irrevocablement fixes et pour autant que l'action contrel'assureur ne soit pas prescrite.

En refusant d'examiner le fondement de la demande de la demanderesse aumotif que « l'action directe ne pouvait etre engagee avant meme d'existerlegalement », sous peine de donner sur ce point à l'article 86 de la loidu25 juin 1992 « un effet retroactif qu'[il] n'a pas », l'arret attaque,qui statue apres l'entree en vigueur de cette disposition, n'est paslegalement justifie.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le president de section PaulMathieu, les conseillers Christine Matray, Sylviane Velu et MireilleDelange, et prononce en audience publique du vingt-huit juin deux milledix par le president Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean-Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

+-----------------------------------------+
| M-J. Massart | M. Delange | S. Velu |
|--------------+------------+-------------|
| Chr. Matray | P. Mathieu | Chr. Storck |
+-----------------------------------------+

28 JUIN 2010 C.08.0169.F/10


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.08.0169.F
Date de la décision : 28/06/2010

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2010-06-28;c.08.0169.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award