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06/01/2014 | BELGIQUE | N°C.10.0527.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 janvier 2014, C.10.0527.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

5515



NDEG C.10.0527.F

1. A. R.,

2. C. R.,

3. A. R.,

4. N. R.,

5. M. A. R.,

6. A. L. R.,

7. E. R.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

REGION WALLONNE, representee par son gouvernement, en la personne duministre-president, faisant election de domicile au bureau du president duco

mite d'acquisition d'immeubles de Liege, etabli à Liege, rue deFragnee, 40,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le...

Cour de cassation de Belgique

Arret

5515

NDEG C.10.0527.F

1. A. R.,

2. C. R.,

3. A. R.,

4. N. R.,

5. M. A. R.,

6. A. L. R.,

7. E. R.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

REGION WALLONNE, representee par son gouvernement, en la personne duministre-president, faisant election de domicile au bureau du president ducomite d'acquisition d'immeubles de Liege, etabli à Liege, rue deFragnee, 40,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 2 fevrier 2010par la cour d'appel de Liege.

Par ordonnance du 9 decembre 2013, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 16 de la Constitution ;

- article 79, alinea 1er, de la loi speciale de reformes institutionnellesdu 8 aout 1980, tel qu'il etait en vigueur apres sa modification par laloi speciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure federale del'Etat ;

- articles 1er et, pour autant que de besoin, 7, alinea 2, et 16 de laloi relative à la procedure d'extreme urgence en matiere d'expropriationpour cause d'utilite publique, contenue dans l'article 5 de la loi du 26juillet 1962 relative aux expropriations pour cause d'utilite publique etaux concessions en vue de la construction des autoroutes ;

- articles 181 et 182, S: 1er, du Code wallon de l'amenagement duterritoire, de l'urbanisme et du patrimoine (l'intitule tel qu'il a eteremplace par le decret de la Region wallonne du 18 juillet 1991 mais avantson remplacement par le decret de la Region wallonne du 19 avril 2007 ;l'article 181 tel qu'il etait en vigueur apres sa modification par ledecret de la Region wallonne du 27 novembre 1997 mais avant samodification par le decret du 1er avril 2004 et par les decretssubsequents ; l'article 182, S: 1er, tel qu'il etait en vigueur apres samodification par le decret de la Region wallonne du 27 novembre 1997 ettel qu'il etait en vigueur avant et apres sa modification par le decret dela Region wallonne du 18 juillet 2002 mais avant son abrogation par ledecret de la Region wallonne du 1er avril 2004 et son remplacement et sesmodifications par les decrets subsequents) ;

- pour autant que de besoin, article 159 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir constate que les demandeurs ont introduit, devant le tribunalde premiere instance, une demande tendant à la revision des decisions dujuge de paix des 20 mars, 22 avril et 13 juin 2003 relatives àl'expropriation du site denomme « Fonderie de fer »,

l'arret, 1. par confirmation du jugement entrepris, « dit pour droitque la procedure d'expropriation est reguliere » et, 2. par voie deconsequence, confirmant partiellement le jugement precite et evoquant pourle surplus, rejette la demande en revision des demandeurs, pour autant quede besoin les condamne solidairement à restituer la somme de 213,28 eurosà la defenderesse et les condamne enfin aux depens et à l'indemnite deprocedure des deux instances.

Cette decision se fonde notamment sur les motifs suivants : « [lesdemandeurs] arguent egalement de `l'absence de justification en fait durecours à [la] procedure d'extreme urgence' et de ce que [ladefenderesse] ne pouvait y faire appel. C'est oublier que l'article 181,alinea 2, du Code Wallon de l'amenagement du territoire, de l'urbanisme etdu patrimoine edicte qu'en ce qui concerne les biens compris dans leperimetre d'un site economique desaffecte à assainir ` l'expropriationest poursuivie selon les regles prevues par la loi du 26 juillet 1962relative à la procedure d'extreme urgence en matiere d'expropriation pourcause d'utilite publique'. [La defenderesse] est donc tenue de recourir àce type d'expropriation des lors qu'elle lui est legalement imposee. Enconclusion [..], les moyens d'irregularite et d'illegalite souleves par[les demandeurs] sont depourvus de fondement. En consequence, les demandesformulees à titre principal par [les demandeurs] [...] sont non fondees ».

Griefs

Premiere branche

1. En vertu des articles 181 et 182, S: 1er, du Code wallon del'amenagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine, tels qu'ilsetaient applicables à l'epoque des faits, lorsque le gouvernement a,comme en l'espece, decrete d'utilite publique l'expropriation d'un sited'activite economique desaffecte devant etre assaini, « l'expropriationest poursuivie selon les regles prevues par la loi du 26 juillet 1962relative à la procedure d'extreme urgence en matiere d'expropriation pourcause d'utilite publique ».

La procedure d'extreme urgence en matiere d'expropriation de la loi du 26juillet 1962, à laquelle renvoie l'article 181, alinea 2, du Code wallon,ne peut etre appliquee que lorsqu'il est constate par le Roi ou parl'executif concerne que la prise de possession immediate d'un ou deplusieurs immeubles est indispensable pour cause d'utilite publique(article 1er de la loi relative à la procedure d'extreme urgence du 26juillet 1962). Cette condition relative au caractere indispensable d'uneprise de possession immediate doit exister tant au moment de l'arreteautorisant l'expropriation qu'au moment ou la procedure judiciaire estentamee. Il appartient au pouvoir judiciaire de verifier concretement sicette condition d'extreme urgence est remplie.

Les articles 181, alinea 2, et 182 du Code wallon doivent etre interpretesen ce sens qu'ils ne derogent pas aux dispositions de la loi du 26 juillet1962 et qu'ils ne dispensent donc nullement l'autorite expropriante deconstater, sous le controle ulterieur du pouvoir judiciaire, que la prisede possession immediate d'un ou de plusieurs immeubles est indispensablepour cause d'utilite publique.

Par son arret nDEG 131/2002 du 18 septembre 2002, la Courconstitutionnelle a decide que les articles 181 et 182 precites ne violentpas les regles repartitrices de competence, et plus particulierementl'article 16 de la Constitution et l'article 79, S: 1er, de la loispeciale du 8 aout 1980, s'ils sont interpretes en ce sens qu'ils nederogent pas aux dispositions de la loi du 26 juillet 1962 et qu'ils nedispensent donc nullement l'autorite expropriante de constater, sous lecontrole ulterieur du pouvoir judiciaire, que la prise de possessionimmediate d'un ou de plusieurs immeubles est indispensable pour caused'utilite publique.

En revanche, la Cour constitutionnelle a decide, par ce meme arret, quelesdits articles 181 et 182 violent les regles repartitrices de competenceprecitees s'ils sont interpretes en ce sens qu'ils etabliraient unepresomption d'extreme urgence, dispensant l'autorite expropriante deconstater que la prise de possession immediate du bien est indispensablepour cause d'utilite publique et empechant le pouvoir judiciaire deverifier si cette necessite de prise de possession immediate existe.

2. En l'espece, les demandeurs soutenaient, en substance, dans leursconclusions de synthese d'appel, qu'aucun element ne justifie le recoursà la procedure d'extreme urgence en l'absence de necessite d'une prise depossession immediate du bien pour cause d'utilite publique. Ilssoutenaient ainsi qu'«aucun element, de fait ou de droit, ne justifiel'utilisation de cette procedure qui presuppose une urgence extreme. Lesite ne presente aucun caractere dangereux pour le public et ne presentepas de caractere polluant [...]. D'ailleurs, [l'autorite expropriante] nes'est guere manifestee depuis 2003. [L'autorite expropriante] ne nourritpas pour ce site un projet imperieux [...]. Au-delà de l'absence dejustification en fait du recours à cette procedure d'extreme urgence,l'attitude de [l'autorite expropriante] confirme qu'il ne pouvait y etrefait appel. [L'autorite expropriante] a mis en route cette procedure à lafin de l'annee 1997 et n'a entame la procedure judiciaire qu'en mars 2003.Les annees ecoulees sont la preuve et la demonstration qu'il n'y avaitaucune urgence pourtant invoquee par l'arrete d'expropriation ».

3. En rejetant le moyen des conclusions des demandeurs relatif àl'absence d'extreme urgence et en decidant, par les motifs reproduits entete du moyen, que la defenderesse etait « tenue de recourir à ce typed'expropriation » (soit la procedure d'extreme urgence) « des lorsqu'elle lui est legalement imposee », l'arret viole les articles 181 et182 du Code wallon de l'amenagement du territoire, de l'urbanisme et dupatrimoine et les dispositions pertinentes de la loi du 26 juillet 1962,dont il resulte que la defenderesse n'est pas dispensee de constater, sousle controle ulterieur du pouvoir judiciaire, que la prise de possessionimmediate de l'immeuble exproprie est concretement indispensable dans lescirconstances particulieres de l'espece (violation de l'article 1er de laloi relative à la procedure d'extreme urgence en matiere d'expropriationpour cause d'utilite publique, contenue dans l'article 5 de la loi du 26juillet 1962 relative aux expropriations pour cause d'utilite publique etaux concessions en vue de la construction des autoroutes, et des articles181 et 182, S: 1er, du Code wallon de l'amenagement du territoire, del'urbanisme et du patrimoine, vises en tete du moyen, et, pour autant quede besoin, de l'article 159 de la Constitution et des articles 7, alinea2, et 16 de la loi relative à la procedure d'extreme urgence en matiered'expropriation pour cause d'utilite publique precitee).

Seconde branche (subsidiaire)

Interprete en ce sens qu'il etablirait une presomption d'extreme urgence,dispensant l'autorite expropriante de constater que la prise de possessionimmediate du bien est indispensable pour cause d'utilite publique etempechant le pouvoir judiciaire de controler si cette necessite de prisede possession immediate existe dans les circonstances concretes del'espece, l'article 181, alinea 2, du Code wallon de l'amenagement duterritoire, de l'urbanisme et du patrimoine, tel qu'il etait en vigueur aumoment des faits viole les regles repartitrices de competence entre l'Etatfederal et la Region, et plus particulierement l'article 16 de laConstitution, en vertu duquel « nul ne peut etre prive de sa proprieteque pour cause d'utilite publique, dans les cas et de la maniere etabliepar la loi », ainsi que l'article 79, S: 1er, de la loi speciale du 8aout 1980, en vertu duquel « les gouvernements peuvent poursuivre desexpropriations pour cause d'utilite publique dans les cas et selon lesmodalites fixees par decret, dans le respect des procedures judiciairesfixees par la loi».

Il en resulte qu'en fondant sa decision sur le motif qu'en vertu del'article 181, alinea 2, precite, la Region wallonne etait tenue derecourir à la procedure d'extreme urgence regie par la loi du 26 juillet1962 independamment de la question si la prise de possession immediateetait en l'espece indispensable pour cause d'utilite publique, l'arretfait application d'un decret contraire aux regles repartitrices decompetence entre l'Etat federal et la Region (violation de l'article 16 dela Constitution et de l'article 79, alinea 1er, de la loi speciale dereformes institutionnelles du 8 aout 1980, cet article 79 tel qu'il etaiten vigueur apres sa modification par la loi speciale du 16 juillet 1993visant à achever la structure federale de l'Etat et, pour autant que debesoin, de toutes les autres dispositions visees en tete du moyen).

III. La decision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la premiere branche :

En vertu des articles 181 et 182, S: 1er, du Code wallon de l'amenagementdu territoire, de l'urbanisme et du patrimoine, tels qu'ils s'appliquentau litige, lorsque le gouvernement decrete d'utilite publiquel'expropriation d'un site d'activite economique desaffecte dontl'assainissement est reconnu d'interet regional, l'expropriation estpoursuivie selon les regles prevues par la loi du 26 juillet 1962 relativeà la procedure d'extreme urgence en matiere d'expropriation pour caused'utilite publique.

L'article 1er de ladite loi du 26 juillet 1962 dispose que, lorsqu'il estconstate par le Roi que la prise de possession immediate d'un ou plusieursimmeubles est indispensable pour cause d'utilite publique, l'expropriationde ces immeubles est poursuivie conformement aux regles prevues par cetteloi.

En autorisant le gouvernement de la Region wallonne à recourir à laprocedure d'extreme urgence organisee par la loi du 26 juillet 1962, lesarticles 181 et 182, S: 1er, du Code wallon de l'amenagement duterritoire, de l'urbanisme et du patrimoine ne le dispensent pas deconstater, sous le controle du juge, que la prise de possession immediatede l'immeuble exproprie est indispensable pour cause d'utilite publique.

L'arret, qui, pour ecarter le moyen deduit par les demandeurs del'inobservation de cette condition, considere que, en vertu de l'article181, alinea 2, du meme code, la defenderesse « est [...] tenue derecourir à [la procedure d'extreme urgence], des lors qu'elle lui estlegalement imposee », viole les dispositions legales precitees.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du six janvier deux mille quatorze par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general delegue Michel Palumbo,avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+------------------------------------------+
| L. Body | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|------------+------------+----------------|
| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
+------------------------------------------+

6 JANVIER 2014 C.10.0527.F/9


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.10.0527.F
Date de la décision : 06/01/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-01-06;c.10.0527.f ?
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