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10/01/2014 | BELGIQUE | N°F.12.0081.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 janvier 2014, F.12.0081.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

4954



NDEG F.12.0081.F

J. T.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Louvain, Koning Leopold I straat, 3, et ayantpour conseil Maitre Dominique Lambot, avocat au barreau de Bruxelles, dontle cabinet est etabli à Ixelles, rue Vilain XIIII, 17, ou il est faitelection de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la loi, 12-14,

defe

ndeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le...

Cour de cassation de Belgique

Arret

4954

NDEG F.12.0081.F

J. T.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Louvain, Koning Leopold I straat, 3, et ayantpour conseil Maitre Dominique Lambot, avocat au barreau de Bruxelles, dontle cabinet est etabli à Ixelles, rue Vilain XIIII, 17, ou il est faitelection de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la loi, 12-14,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 11 mai 2011 parla cour d'appel de Liege.

Le 13 decembre 2013, l'avocat general Andre Henkes a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat general AndreHenkes a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 144 et 145 de la Constitution ;

- article 141bis du Code des droits de succession ;

- articles 569, alinea 1er, specialement 32DEG, 1385decies et 1385undeciesdu Code judiciaire ;

- principe general du droit relatif à la separation des pouvoirs.

Decisions et motifs critiques

Pour reformer le jugement du premier juge en toutes ses dispositions saufen ce qu'il a dit la demande non fondee pour ce qui concerne l'amende,dire pour droit que la demanderesse est redevable des droits, interets etamendes dus sur la succession de feu J. T. et non encore payes etcondamner la demanderesse aux frais et depens des deux instances, l'arretrappelle d'abord que les interets « sont prevus par la loi (articles 81et 82 du Code des droits de succession) et exigibles de plein droit » et que « l'article 141bis du code prevoit : `Dans les cas speciaux, ledirecteur regional de la taxe sur la valeur ajoutee, de l'enregistrementet des domaines competent peut accorder, aux conditions qu'il determine,l'exoneration de tout ou partie des interets prevus par l'article 81' ».

Il decide ensuite que « (l'article 141bis du Code des droits desuccession) accorde au directeur regional une competence d'appreciationdiscretionnaire et souveraine pour octroyer une exoneration totale oupartielle des interets et ne cree aucun droit subjectif à etre dispensede l'obligation de payer l'interet ;

que l'administration qui prend une decision en vertu de son pouvoir discretionnaire, dispose d'une liberte d'appreciation qui lui permet dedecider elle-meme de la maniere dont elle exerce son pouvoir et dechoisir la solution la plus convenable dans les limites fixees par la loi(Cass. 4 mars 2004, C.03.0346.N-C.03.0448.N, juridat.be) ;

que le pouvoir judiciaire exerce un controle de pleine juridiction sur ladecision prise par le directeur regional ; qu'à condition de respecterles droits de la defense et de rester dans le cadre de l'instance, telqu'il est determine par les parties, tout ce qui releve du pouvoird'appreciation du directeur tombe sous le controle du pouvoir judiciaire,sauf lorsqu'une disposition particuliere, en l'espece l'article 141bisprecite, confere explicitement au directeur un pouvoir discretionnaire etsouverain relatif à une decision qui doit etre prise, auquel cas le jugene peut ni priver le directeur de son pouvoir d'appreciation ni se substituer à lui (Cass., 24 janvier 2000, Pas., I, 61 ; Cass. 2 fevrier1998, Pas., 1998, I, 57 ; Cass. 10 juin 1996, Pas., I, nDEG 227 etconclusions du premier avocat general Leclercq) ;

que le pouvoir judiciaire n'a, des lors, pas competence pour remettre lesinterets dans la mesure ou le redevable n'a pas un veritable droitsubjectif à cette remise des interets mais il appartient seulement aupouvoir judiciaire de verifier si les interets reclames sont legalementdus, ce qui est le cas en l'espece ;

que contrairement aux amendes qui presentent un caractere repressif qui implique, en vertu des articles 10 et 11 de la Constitution lus encombinaison avec l'article 6 de la Convention des droits de l'homme etdes libertes fondamentales, que le juge doit pouvoir exercer un controlede pleine juridiction sur la decision administrative refusant la remiseou la reduction d'une amende fiscale (C. Const, nDEG 79/2008, 15 mai2008), le paiement d'un interet n'est pas une sanction repressive mais lacontrepartie du paiement tardif de la taxe ;

que la demande originaire n'est des lors pas fondee ».

Griefs

Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont, aux termes del'article 144 de la Constitution, exclusivement du ressort des cours et tribunaux de l'ordre judiciaire. Selon l'article 145 de la Constitution,les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des cours et tribunaux de l'ordre judiciaire, sauf les exceptionsetablies par la loi.

Les contestations relatives à une loi d'impot, qu'elles soientconsiderees comme concernant des droits civils ou des droits politiques,sont, suivant les articles 569, alinea 1er, specialement 32DEG, 1385decieset 1385undecies du Code judiciaire, de la seule competence du tribunal depremiere instance. La competence du tribunal de premiere instance en lamatiere est une competence de pleine juridiction.

Suivant l'article 141bis du Code des droits de succession, le directeurregional de l'enregistrement peut accorder, dans les cas speciaux et auxconditions qu'il determine, l'exoneration de tout ou partie des interetsde retard prevus à l'article 81 du meme code. Sa decision estsusceptible d'etre contestee devant le tribunal de premiere instance,competent pour connaitre de toutes contestations relatives à l'application des lois d'impot, statuant dans le cadre du contentieux depleine juridiction organise par les articles 569, alinea 1er, 32DEG, 1385decies et 1385undecies du Code judiciaire.

Premiere branche

Le directeur regional de l'enregistrement, qui statue sur une demande d'exoneration des interets de retard fondee sur l'article 141bis du Codedes droits de succession, n'exerce pas, en la matiere, une competencediscretionnaire, dans la mesure ou il est tenu, dans le cadre de sa prisede decision, de s'en tenir aux cas speciaux dont question dans cettedisposition. La notion de cas special, au sens de l'article 141bis duCode des droits de succession, constitue en effet une notion legale,nonobstant la circonstance que lesdits cas speciaux ne sont pas enumerespar la loi. La decision du directeur de l'enregistrement et l'application faite par celui-ci de la notion de cas special font, partant, l'objet d'uncontrole de pleine juridiction de la part du tribunal de premiereinstance et, à sa suite, de la cour d'appel, lorsque la decision dudirecteur de l'enregistrement est contestee, en justice, par lecontribuable.

Il s'ensuit qu'en reformant le jugement du premier juge et en declarant lademande originaire de la demanderesse non fondee aux motifs, ensubstance, que l'article 141bis du Code des droits de succession confereau directeur de l'enregistrement un pouvoir discretionnaire et souverainen matiere d'exoneration des interets de retard et que le pouvoirjudiciaire n'a pas competence pour accorder la remise des interets deretard, lorsque le directeur de l'enregistrement a rejete la requete du contribuable à cet egard, mais qu'il appartient seulement au pouvoirjudiciaire de verifier si les interets reclames sont legalement dus, cequi est le cas en l'espece, l'arret viole l'article 141bis du Code desdroits de succession, dans la mesure ou, contrairement à ce que l'arretdecide, le directeur de l'enregistrement ne dispose pas, en la matiere,d'une competence discretionnaire mais est tenu par la notion de casspeciaux dont question à l'article 141bis du Code des droits de succession, et les articles 569, alinea 1er, 32DEG, 1385decies et1385undecies du Code judiciaire, dans la mesure ou le tribunal depremiere instance, qui connait du recours du contribuable à l'encontrede la decision du directeur de l'enregistrement, exerce une competence depleine juridiction, ce qui implique qu'il peut substituer sa propre appreciation du cas special et des conditions d'exoneration des interetsde retard à celle du directeur de l'enregistrement.

Seconde branche

A supposer que l'article 141bis du Code des droits de succession doiveetre interprete en ce sens qu'il confere au directeur regional del'enregistrement un pouvoir discretionnaire lorsqu'il statue sur unedemande introduite en vue de la remise des interets de retard, comme endecide l'arret, ce pouvoir, meme discretionnaire, n'en constitue pas pourautant un pouvoir arbitraire. En effet, le directeur de l'enregistrementdoit motiver sa decision à cet egard, cette decision constituant un acteadministratif à portee individuelle. Meme à supposer qu'il exerce, enla matiere, une competence discretionnaire, il lui incombe egalement de verifier s'il est en presence d'un cas special au sens de la dispositionprecitee. Par ailleurs, la notion de cas special constitue une notionlegale et la Cour est competente pour verifier l'application qui en estfaite par les juridictions de fond.

Lorsque le directeur regional de l'enregistrement rejette en tout ou enpartie la requete d'un contribuable introduite sur pied de l'article141bis du Code des droits de succession et que ledit contribuable entendcontester cette decision administrative, une contestation relative à uneloi d'impot, au sens de l'article 569, alinea 1er, 32DEG, du Codejudiciaire, nait entre le contribuable et l'administration. C'est le tribunal de premiere instance qui, en vertu de la disposition precitee,est seul competent pour en connaitre. Dans ce contexte, le tribunal depremiere instance exerce une competence de pleine juridiction relative àla decision prise par le directeur, à l'instar de celle qu'il exerce ence qui concerne toutes les contestations relatives à l'application d'uneloi d'impot qui lui sont soumises : dans le respect des droits de ladefense et du cadre de l'instance, tel que fixe par les parties, letribunal de premiere instance pourra substituer sa propre appreciation,dans le cas d'espece, de la notion de cas special au sens de l'article141bis du Code des droits de succession et des conditions d'exonerationdes interets de retard, à celle du directeur regional, tout ce quireleve du pouvoir d'appreciation du directeur regional de l'enregistrementrelevant aussi du pouvoir d'appreciation du juge judiciaire. En resume, eninstaurant, en ce qui concerne les contestations relatives àl'application des lois d'impot et sans la moindre exception ourestriction, une competence de pleine juridiction en faveur du tribunalde premiere instance, le legislateur a permis au tribunal de premiereinstance d'exercer, en matiere de remise des interets de retard, uncontrole de pleine juridiction, tout aussi etendu que dans l'hypothese ou la decision du directeur de l'enregistrement ne serait pas l'expressiond'un pouvoir discretionnaire. Dans les deux cas, en effet, c'est letribunal de premiere instance qui est competent pour connaitre du recoursdu contribuable, ce sont les memes dispositions qui s'appliquent et iln'est des lors pas concevable que le tribunal de premiere instance,statuant dans le cadre d'un contentieux de pleine juridiction, dispose depouvoirs plus etendus dans un cas que dans l'autre, les deux cas etantregis par les memes dispositions du Code judiciaire, à savoir les articles 569, alinea 1er, 32DEG, 1385decies et 1385undecies.

Il s'ensuit qu'en reformant le jugement du premier juge et en declarant lademande originaire de la demanderesse non fondee, aux motifs, ensubstance, que l'article 141bis du Code des droits de succession confereau directeur de l'enregistrement un pouvoir discretionnaire et souverainrelatif à l'exoneration des interets de retard et que le pouvoirjudiciaire n'a pas competence pour remettre ces interets, dans la mesureou le redevable n'a pas un veritable droit subjectif à cette remise desinterets mais qu'il appartient seulement au pouvoir judiciaire deverifier si les interets reclames sont legalement dus, ce qui est le cas en l'espece, l'arret ne justifie pas legalement sa decision, des lors quetout ce qui releve du pouvoir d'appreciation, meme discretionnaire, dudirecteur de l'enregistrement releve aussi, necessairement, du pouvoird'appreciation du tribunal de premiere instance et, à sa suite, de lacour d'appel, statuant dans le cadre d'un contentieux de pleinejuridiction (violation des articles 569, alinea 1er, 32DEG, 1385decies et1385undecies du Code judiciaire), ce qui implique que le tribunal doit pouvoir substituer sa propre appreciation de la notion de cas special etdes conditions d'exoneration à celle du directeur de l'enregistrement(violation de l'article 141bis du Code des droits de succession) sansqu'il y ait là le moindre empietement du pouvoir judiciaire sur lesattributions de l'administration fiscale (violation des articles 144 et145 de la Constitution et meconnaissance du principe general du droitrelatif à la separation des pouvoirs).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

L'article 569, alinea 1er, 32DEG, du Code judiciaire, suivant lequel letribunal de premiere instance connait des contestations relatives àl'application d'une loi d'impot, est etranger au grief exprime par lemoyen, en cette branche, relatif au caractere discretionnaire ou non dupouvoir du directeur regional de la taxe sur la valeur ajoutee, del'enregistrement et des domaines en matiere d'exoneration des interets deretard afferents à des droits de succession restes impayes.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Pour le surplus, aux termes de l'article 141bis du Code des droits desuccession, dans les cas speciaux, le directeur regional de la taxe sur lavaleur ajoutee, de l'enregistrement et des domaines competent peutaccorder, aux conditions qu'il determine, l'exoneration de tout ou partiedes interets prevus par l'article 81.

Le directeur regional qui statue sur une telle demande d'exoneration doitrespecter la notion legale de cas special mais dispose, dans ces limites,d'un pouvoir d'appreciation discretionnaire.

Dans la mesure ou il est recevable, le moyen, qui, en cette branche,soutient le contraire, manque en droit.

Quant à la seconde branche :

La competence d'attribution prevue par l'article 569, alinea 1er, 32DEG,du Code judiciaire pour les contestations relatives à l'application del'article 141bis du Code des droits de succession est sans pertinence pourdeterminer la nature du pouvoir que le directeur regional tire de cettederniere disposition ni, partant, pour determiner l'etendue du controle del'exercice de ce pouvoir par le juge.

Le moyen qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de trois cents euros quatre-vingt-sixcentimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du dix janvier deux mille quatorze par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+-------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
|-----------------+-----------+-------------|
| M. Delange | M. Regout | A. Fettweis |
+-------------------------------------------+

10 JANVIER 2014 F.12.0081.F/10


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.12.0081.F
Date de la décision : 10/01/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 02/02/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-01-10;f.12.0081.f ?
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