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06/03/2014 | BELGIQUE | N°C.13.0362.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 mars 2014, C.13.0362.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0362.N

M. C.,

Me Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation,

contre

D.S.

I. la procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 11 mars 2013par la cour d'appel d'Anvers.

Le president de section Eric Dirix a fait rapport.

L'avocat general Andre Van Ingelgem a conclu.

II. le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Consti

tution ;

- articles 815, 1102, 1104, 1106, 1108, 1131, 1134, 1186, 1175, 1181,1183, 1234, 1382 1383 et 1964 du Code civil ;

- pri...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0362.N

M. C.,

Me Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation,

contre

D.S.

I. la procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 11 mars 2013par la cour d'appel d'Anvers.

Le president de section Eric Dirix a fait rapport.

L'avocat general Andre Van Ingelgem a conclu.

II. le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- articles 815, 1102, 1104, 1106, 1108, 1131, 1134, 1186, 1175, 1181,1183, 1234, 1382 1383 et 1964 du Code civil ;

- principe general du droit relatif à l'interdiction de l'abus de droit.

Decision et motifs critiques

L'arret confirme le jugement entrepris declarant fondee la requete dudefendeur tendant à la liquidation et au partage du bien immeuble situeà Lanaken, Heirbaan, 292, sur la base des considerations suivantes :

« S'agissant de la demande principale du defendeur, la demanderessefait à nouveau valoir, comme en premiere instance, que, des lors quel'acte du 18 avril 1991 passe devant le notaire Leonard Delwaide dontl'etude est sise à Rekem-Lanaken, par lequel les parties ont acquis lebien immeuble situe à Rekem, Heirbaan, 292, contient une clause detontine, il n'est question ni de copropriete ni d'indivision et que, deslors, la sortie d'indivision demandee par le defendeur en vertu del'article 815 du Code civil n'est pas possible.

Il n'est pas exact que, comme le fait ainsi valoir la demanderesse, il n'ya, en presence d'une clause de tontine, ni copropriete ni indivision,des lors que la circonstance qu'au moment du deces d'un des copartageants,celui-ci doit etre considere comme n'ayant jamais ete proprietaire etl'autre copartageant (survivant), comme ayant toujours ete proprietaire,n'empeche pas que, prealablement au deces d'un des copartageants il aexiste une periode au cours de laquelle les copartageants ontjuridiquement vecu ensemble et, en d'autres termes, etaientcoproprietaires et etaient, des lors, en indivision.

La clause de tontine cree ou engendre un patrimoine d'affectation, ce quiimplique que le patrimoine en tant que tel est detache de la personne,d'une part, et de la notion de droit subjectif, d'autre part, et qu'ilrec,oit ainsi un contenu qui lui est propre et qui interdit auxcopartageants d'y renoncer unilateralement pendente conditione et donc dedemander la sortie d'indivision lorsque la clause de tontine s'applique.

Il peut seulement etre mis fin à l'indivision volontaire, qui equivautprecisement à une clause de tontine, soit lorsque le but poursuivi estatteint, soit lorsque ce but n'est plus possible ou realisable, soit decommun accord.

La cause de la convention de tontine se situe dans les liens affectifsexistant entre les copartageants et a pour but la gestion commune du bienet la garantie des droits de chacun apres le deces de l'un d'entre eux.

Lorsque la cause-mobile disparait à la suite de la rupture des liensaffectifs, la convention n'a plus de raison d'etre et prend fin, de sorteque la partie qui, dans ces circonstances, insiste pour que cetteconvention soit executee, n'agit pas conformement à l'article 1134,alinea 3, du Code civil qui prevoit que toutes les conventions legalementformees doivent etre executees de bonne foi.

Des lors que les parties ne sont plus partenaires et que leurs liensaffectifs ont ete rompus vers le milieu de l'annee 2008, il y a lieu deconstater que la cause-mobile a disparu, que la clause de tontine est doncdevenue caduque et que, des lors, une indivision ordinaire est nee entreles parties, à laquelle l'article 815 du Code judiciaire peut s'appliquerpour demander le partage.

Le premier juge a des lors, à bon droit et judicieusement, declare fondeela requete du defendeur tendant à la liquidation et au partage du bienimmeuble acquis par les parties par l'acte notarie du 18 avril 1991 etordonne la vente publique des biens qui ne sont pas commodementpartageables ».

Les motifs du premier juge sont les suivants :

« La demanderesse estime qu'il ne peut etre question d'indivision deslors que les copartageants ne disposent que de droits conditionnels surles biens qui font l'objet de la clause de tontine et qu'en outre, il nepeut exister d'indivision entre un proprietaire sous condition suspensiveet un proprietaire sous condition resolutoire.

La tontine ne peut prendre fin que de commun accord, ce que ne souhaitepas la demanderesse.

La cause de l'insertion de la clause de tontine dans l'acte d'achat, àsavoir l'idee sous-jacente de protection civile et fiscale de l'un despartenaires cohabitants vis-à-vis de l'autre en cas de deces d'une desparties, a disparu avec la fin de la cohabitation.

Lorsque la cause-mobile vient à disparaitre, cette circonstance entrainela caducite de l'acte juridique pour autant qu'ils agisse d'une acte àtitre gratuit. Cette regle ne s'applique pas pour les clauses de tontinedes lors qu'une telle convention a ete conclue à titre onereux.

La poursuite de l'execution par le cocontractant d'un contratsynallagmatique qui, en raison de circonstances modifiees, a perdu saraison d'etre et, des lors, sa cause, doit etre consideree comme un abusde droit au sens de l'article 1134, dernier alinea, du Code civil(violation de l'execution de bonne foi d'une convention).

Cette situation se produit lorsque la convention ou une de ses clauses, en raison de circonstances modifiees et non seulement sur la base desintentions du contractant au moment de sa conclusion, perd sa raisond'etre ou lorsque la situation de fait disparait pour autant que la partiepour laquelle ces circonstances de fait etaient determinantes n'eut pasete partie à la convention si elle en avait eu connaissance.

L'actuelle situation, la rupture des relations, repond à cette situation.

Eu egard à la disparition de la raison d'etre et de la cause de laconvention de tontine, il y a lieu de la considerer comme caduque.

Conformement à l'article 815 du Code civil, la requete en liquidation eten partage du bien immobilier est fondee ».

Griefs

Il ressort des conclusions d'appel de la demanderesse et de l'acte du 18avril 1991 passe devant le notaire L. Delwaide, joint à la requete, quela clause de tontine est la suivante :

« Il est convenu entre lesdits acheteurs que chacun d'eux obtient undroit de propriete conditionnel sur le bien. Le droit de chacun seraresolu par son predeces. Il en resultera que le survivant obtiendra lapleine propriete du bien. Ce droit est acquis par chacun des acheteurssous la condition suspensive du predeces de l'autre. En raison de l'effetretroactif de la realisation de la condition suspensive, le survivant desacquereurs sera considere comme ayant totalement et directement acquis lebien du vendeur et non dans la succession du predecede.

Le predecede sera, des lors, considere comme n'ayant jamais eteproprietaire.

Cette clause d'attribution est conc,ue par les acheteurs comme un contrataleatoire à titre onereux. Les parties considerent que leurs chancesd'acquerir finalement la propriete sont egales ».

(...)

Deuxieme branche

1. La clause de tontine formulee ci-dessus est, comme il ressort de saformulation, un contrat aleatoire. Les juges du fond ne le contestent pas.

En ce qui concerne un tel contrat, la disparition de la cause, apres laconclusion du contrat, n'entraine pas l'extinction du contrat (articles1102, 1104, 1106, 1108, 1131, 1134, alinea 2, 1234 du code civil).

2. L'arret decide que, « lorsque la cause-mobile disparait, les liensaffectifs etant rompus, et que la convention n'a donc plus de raisond'etre, elle est caduque » et « que, des lors que les parties ne sontplus partenaires et que leurs liens affectifs ont ete rompus à la moitiede l'annee 2008, il y a lieu de constater que la cause-mobile a disparu etque la clause de tontine est caduque ». Il se fonde sur cette caducitepour reprocher un abus de droit à la demanderesse consistant à insistersur l'execution de la convention qui est caduque. Selon l'arret, ce n'estpas l'abus de droit qui entraine la caducite de la convention de tontinemais la disparition de la cause de cette convention.

L'arret decide ainsi que la disparition de la cause de la convention detontine entraine la caducite de cette convention.

La convention de tontine precitee constitue, toutefois, un contrataleatoire, soit un contrat synallagmatique et un contrat à titre onereux(articles 1102, 1104, 1106, 1964 du Code civil) et, dans de tels contrats,la disparition de la cause, qui est une condition de validite du contrat,n'entraine pas la caducite du contrat. En decidant autrement, l'arretviole les articles 1102, 1104, 1106, 1108, 1131, 1134,alinea 2, 1234 et1964 du Code civil).

(...)

III. la decision de la Cour

(...)

Quant à la deuxieme branche :

2. L'existence d'une cause au sens des articles 1108 et 1131 du Code civildoit en principe etre appreciee au moment de la naissance de l'actejuridique dont elle constitue une condition de validite. Sa disparitionulterieure est, en principe, sans incidence sur la validite de l'actejuridique.

Une convention de tontine qui se construit sur la base d'une relation defait ou juridique existant entre les parties cesse toutefois d'existerlorsque ces rapports sous-jacents prennent fin, de sorte que l'executionulterieure de cette convention est privee de tout sens.

3. Il ressort des constatations de l'arret et du jugement entrepris que :

- les liens affectifs entre les parties ont dure plus de vingt ans ;

- par acte du 19 avril 1991, « partant de l'idee sous-jacente deprotection civile et fiscale de l'un des partenaires cohabitant vis-à-visde l'autre en cas de deces d'une des parties », les parties ont acquisune habitation conformement à une clause de tontine en vertu de laquellela pleine propriete serait acquise au survivant ;

- leur relation a pris fin ;

- aucun accord mettant fin à la convention n'a pu etre atteint ;

- le defendeur demande le partage du bien immobilier.

4. En considerant que, des lors que la cause de la convention qui se situe« dans les liens affectifs existant entre les copartageants et qui a pourbut la gestion commune du bien et la garantie des droits de chacun apresle deces de l'un d'entre eux » « perd sa raison d'etre » lorsque cesliens sont rompus, de sorte que la clause de tontine est sans effet et« qu'une indivision ordinaire » nait ainsi entre les parties, l'arretjustifie legalement sa decision que le defendeur peut reclamer le partageen vertu de l'article 815 du Code civil.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Eric Dirix, les conseillers AlainSmetryns, Koen Mestdagh, Geert Jocque et Bart Wylleman, et prononce enaudience publique du six mars deux mille quatorze par le president desection Eric Dirix, en presence de l'avocat general Andre Van Ingelgem,avec l'assistance du greffier Johan Pafenols.

Traduction etablie sous le controle du president de section ChristianStorck et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

Le greffier, Le president de section,

6 mars 2014 C.13.0362.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.13.0362.N
Date de la décision : 06/03/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-03-06;c.13.0362.n ?
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