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21/03/2014 | BELGIQUE | N°C.13.0248.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 21 mars 2014, C.13.0248.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0248.F

D. G.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

1. G. M.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Anvers, Amerikalei, 187/302, ou il est faitelection de domicile,

2. FORUM EUROPE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxel

les, rue de la Science, 4,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0248.F

D. G.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

1. G. M.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Anvers, Amerikalei, 187/302, ou il est faitelection de domicile,

2. FORUM EUROPE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, rue de la Science, 4,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 27 septembre2012 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

Le demandeur presente trois moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- articles 745 et 747 du Code judiciaire ;

- article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

1. L'arret rec,oit l'appel du demandeur mais le dit non-fonde et condamnele demandeur aux depens d'appel liquides dans le chef du defendeur à1.320 euros et dans le chef de la defenderesse à 1.320 euros.

L'arret se fonde notamment sur les motifs qui suivent :

« Par arret de la huitieme chambre du 13 mars 2012, la cour d'appel deBruxelles a decide en substance que les demandes en refere introduitespar [le defendeur] ne sont que tres partiellement fondees.

La cour [d'appel] a ordonne à l'expert de restituer toutes les piecesappartenant à la societe anonyme Edificio et [au demandeur] prises soussequestre en execution de l'ordonnance sur requete unilaterale du 5 juillet 2010 mais a condamne la societe Edificio et [le demandeur] àautoriser la consultation par [le defendeur] et ses conseils d'un certainnombre de documents au siege social d'Edificio.

Cet arret est opposable à la [defenderesse], qui etait partie à lacause.

[...] La procedure de designation d'un expert poursuivie par la suite par[le defendeur] et la demande de mise sous sequestre de la comptabilitequi accompagnait cette procedure, si elle a ete en grande partie rejeteepar l'arret definitif de la cour d'appel de Bruxelles du 13 mars 2012, ne peut etre consideree comme abusive, la cour d'appel n'ayant pas reconnul'existence d'une procedure temeraire et vexatoire et ayant d'ailleurs enpartie donne raison [au defendeur] en ordonnant [au demandeur] lacommunication de certaines pieces concernant la comptabilite de lasociete Edificio ».

L'arret prend ainsi expressement en consideration les termes de l'arret dela huitieme chambre de la cour d'appel de Bruxelles du 13 mars 2012,intervenu dans le cadre de la procedure en refere introduite par ledefendeur et tendant à la designation d'un expert charge d'examiner lacomptabilite de la defenderesse et de la societe Edificio, pour conclureque la demande du demandeur d'exclure le defendeur en tant qu'actionnaire de la defenderesse est non fondee.

Griefs

1. Aux termes de l'article 745 du Code judiciaire, toutes conclusions sontadressees à la partie adverse ou à son avocat, en meme temps qu'ellessont remises au greffe.

En vertu de l'article 747, S: 2, alinea 5, du Code judiciaire, lepresident ou le juge qu'il a designe determine les delais pour conclureet fixe la date de l'audience des plaidoiries.

En vertu de l'alinea 6 de cette meme disposition, sans prejudice del'application des exceptions prevues à l'article 748, S:S: 1er et 2, duCode judiciaire, les conclusions qui sont communiquees apres l'expirationdes delais prevus à l'alinea precedent sont d'office ecartees desdebats.

Il resulte de la jurisprudence de la Cour que, lorsque le juge determineainsi des delais pour conclure, tant la remise au greffe des conclusionsque leur envoi à la partie adverse doivent avoir lieu dans le delai fixeet que le seul depot au greffe des conclusions, sans envoi concomitant decelles-ci à la partie adverse, ne satisfait pas aux exigences de la loi et entraine l'ecartement de ces conclusions des debats (Cass., 9 decembre2005, Pas., 2005, 2444 ; Cass.,

26 septembre 2008, Pas., 2008, 2064).

Enfin, la motivation à laquelle est tenu le juge en vertu de l'article149 de la Constitution doit etre telle qu'elle permette à la Cour decassation d'effectuer son controle de legalite.

2. En l'espece, la cour d'appel a fait droit à la demande du demandeur, formulee verbalement à l'audience du 24 mai 2012, d'ecarter des debatsles conclusions additionnelles et de synthese d'appel du defendeurdeposees au greffe le 20 avril 2012 dans le delai prevu par l'ordonnancerendue le

16 novembre 2011 conformement à l'article 747 du Code judiciaire maiscommuniquees en dehors de ce delai, et a ordonne, par l'arret,l'ecartement du « dossier de la procedure des conclusions additionnelleset de synthese d'appel deposees par [le defendeur] au greffe de la courle 20 avril 2012 ».

La cour d'appel n'a par consequent pu prendre en consideration ni lesditesconclusions ni les pieces produites pour la premiere fois à l'occasion dudepot de celles-ci. Il n'a pu avoir egard qu'(i) aux conclusionsprincipales du defendeur du 30 janvier 2012 et aux pieces y annexees,(ii) aux conclusions principales d'appel du 2 mars 2012 du demandeur etaux pieces y annexees et (iii) aux conclusions additionnelles et desynthese d'appel de la defenderesse du 23 mars 2012 et aux pieces yannexees.

Or, par les motifs reproduits au moyen, l'arret prend expressement enconsideration les termes d'un arret de la huitieme chambre de la courd'appel de Bruxelles du 13 mars 2012, intervenu dans le cadre de laprocedure en refere introduite par le defendeur et tendant à ladesignation d'un expert charge d'examiner la comptabilite de ladefenderesse et de la societe Edificio, non seulement dans sa descriptiondes faits, mais egalement pour ecarter le juste motif d'exclusion invoquepar le demandeur et, partant, pour conclure au non-fondement de lademande du demandeur d'exclure le defendeur en tant qu'actionnaire de ladefenderesse.

Cet arret du 13 mars 2012 a toutefois uniquement ete mentionne dans lesconclusions precitees de la defenderesse du 23 mars 2012, sans etre plusamplement decrit par la defenderesse ou faire l'objet d'une pieceproduite par elle dans ce cadre.

Les seules conclusions ayant expose de maniere detaillee le contenu duditarret du 13 mars 2012 et l'ayant annexe comme piece sont les conclusionsadditionnelles et de synthese du defendeur du 20 avril 2012.

Or, comme indique plus haut, ces conclusions du 20 avril 2012 ont eteecartees des debats par la cour d'appel, laquelle ne pouvait des lors yavoir egard pour l'evaluation du litige.

La copie conforme de ces conclusions (avec l'arret de la cour d'appel deBruxelles du 13 mars 2012, produit comme piece) est jointe à la presenterequete.

3. En consequence, en reprenant, dans l'expose des faits, une descriptiondetaillee des decisions prononcees par l'arret du 13 mars 2012 de la courd'appel de Bruxelles et en tirant de ces decisions des conclusions quantau bien-fonde de la demande du demandeur, alors que le contenu de cetarret du 13 mars 2012 n'a pas ete reproduit et que l'arret meme n'a eteproduit comme piece par aucune des parties dans leurs conclusionsrespectives auxquelles la cour d'appel pouvait avoir egard, l'arret sefonde manifestement sur les conclusions additionnelles et de synthese dudefendeur du 20 avril 2012 pourtant ecartees des debats, de sorte qu'il viole les articles 745 et 747 du Code judiciaire.

En outre, en ce qu'il decrit l'arret du 13 mars 2012 de la cour d'appel deBruxelles et en ce qu'il en tire des conclusions en droit quant àl'existence du juste motif invoque par le demandeur, alors que cet arretne fait pas partie des pieces auxquelles la Cour de cassation peut avoiregard et que le contenu de cet arret n'est pas cite dans les conclusionsauxquelles la Cour de cassation peut avoir egard, l'arret ne permet pasà la Cour d'exercer son controle de legalite relatif aux deductionstirees de l'arret precite du 13 mars 2012. L'arret n'est par consequentpas regulierement motive (violation de l'article 149 de la Constitution).

Deuxieme moyen

Dispositions legales et violees

- article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre preliminaire duCode de procedure penale ;

- article 774 du Code judiciaire ;

- article 149 de la Constitution ;

- article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales ;

- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.

Decisions et motifs critiques

L'arret rec,oit l'appel du demandeur mais le dit non fonde et condamne le demandeur aux depens d'appel liquides dans le chef du defendeur à 1.320euros et dans le chef de la defenderesse à 1.320 euros. La cour d'appeln'a donc ni sursis à statuer ni meme pris en consideration l'eventualited'une telle surseance.

L'arret se fonde sur les motifs suivants :

« III. Les faits et antecedents de la procedure

1. [Le defendeur] est de nationalite britannique et a ete journaliste auFinancial Times depuis 1968, d'abord à Londres, ensuite en France, enIrlande et en Belgique. Entre 1984 et 1989, il travaille commejournaliste free-lance pour differents journaux.

Le 24 juin 1990, il constitue la [defenderesse] pour organiser desconferences, colloques et seminaires autour de themes de politique etd'economie europeennes.

En 1994, il engage [le demandeur] comme expert-comptable et, en 1996, M.G. C. comme senior manager et ensuite managing director.

[Le demandeur] et M. C. deviennent tous deux actionnaires de la[defenderesse].

2. Le 15 janvier 1999, [le defendeur] constitue avec [le demandeur] et M.E. D. l'association sans but lucratif Friend of Europe - Les Amis del'Europe, qui a pour objet notamment de favoriser la connaissance de lapolitique et de l'integration europeennes.

3. [Le defendeur], M. C., [le demandeur] et d'autres constituent, paracte du 12 octobre 1999, la societe anonyme La Maison de l'Europe, dontla denomination sera ulterieurement modifiee en societe anonyme Edificio.

Comme la [defenderesse], la societe Edificio a pour objet d'organiser desseminaires et des debats nationaux et internationaux sur des sujetseconomiques, sociaux, culturels et autres lies aux activites desinstitutions europeennes.

Par decision du conseil d'administration du 14 mars 2000, le siege socialde la societe Edificio est transfere dans les locaux de la prestigieuseBibliotheque Solvay, dont l'exploitation lui est concedee par la regionde Bruxelles-Capitale dans le Parc Leopold, rue Belliard, à Bruxelles.

Par la suite, la societe Edificio reussit à obtenir d'autres batimentsprestigieux, à savoir la Maison Wielemans et le Sky Hall de BrusselsAirport.

Il n'est pas conteste que la societe Edificio obtient ses revenusessentiellement de la location des salles qu'elle exploite pourl'organisation d'evenements, de receptions, de debats et seminaires et lamise à disposition des bureaux de la Bibliotheque Solvay à differents locataires, dont l'association Friends of Europe - Les Amis de l'Europe etles deux autres associations sans but lucratif constituees par [ledefendeur et le demandeur] dont il sera question ci-apres.

4. Le 10 avril 2000, [le defendeur et le demandeur] constituent, ensembleavec d'autres, l'association sans but lucratif Humanitarian AffairsReview, actuellement denommee Europe's World, ayant pour but notamment depromouvoir et favoriser le debat sur des themes humanitaires.

Son siege est etabli à la Bibliotheque Solvay et, à la meme epoque, lesiege de la [defenderesse] et de l'association Friends of Europe - LesAmis de l'Europe est egalement transfere à la Bibliotheque Solvay.

5. En 2003, M. C. vend ses actions dans les deux societes, la societeEdificio et [la defenderesse].

Il n'est pas conteste qu'à la suite de cette vente, l'actionnariat de cesdeux societes se presente comme suit :

Edificio : +/- 24 p.c. [le defendeur] (243 actions sur 1.000)

+/- 76 p.c. [le demandeur] (757 actions sur 1.000)

Forum : +/- 56 p.c. [le defendeur] (2.560 actions sur 4.558)

+/- 44 p.c. [le demandeur] (1.998 actions sur 4.558)

[Le demandeur] devient l'administrateur delegue de la societe Edificio etde la [defenderesse].

6. Le 20 mai 2008, [le defendeur et le demandeur] constituent unetroisieme association sans but lucratif, denommee Security and DefenseAgency, qui consacre des activites aux questions de securite et de defense et a egalement son siege à la Bibliotheque Solvay (encore quecette association semble avoir ete constituee dejà anterieurement paracte sous seing prive).

7. En septembre 2009, se presente pour la societe Edificio l'opportunited'acquerir par une structure complexe les droits d'exploitation de lasalle du Concert noble situee rue d'Arlon à Bruxelles dans un complexeappartenant à la societe anonyme KBC Assurances et que celle-ci desirait vendre.

Il resulte d'un courrier de la Banque Dexia du 16 septembre 2009 quecelle-ci etait disposee à financer l'acquisition par un mecanisme deleasing couvrant 80 p.c. du prix d'achat du bien mais que la societeEdificio devait financer le solde par des fonds propres, ce qui exigeaitune augmentation de capital.

Par acte du 23 septembre 2009, le capital de la societe Edificio est portede 100.000 euros à 1.100.000 euros par une augmentation de capitalsouscrite par [le demandeur] seul, [le defendeur] renonc,ant à son droitde souscription preferentielle en vertu d'un mandat donne [au demandeur]dont [le defendeur] invoquera par la suite qu'il s'agit d'un fauxintellectuel.

8. Ulterieurement, les [demandeur et defendeur] et M. C. discutent dureamenagement de l'actionnariat de la societe Edificio et du retour deM. C. en qualite d'actionnaire de celle-ci et de la [defenderesse].

Dans le cadre de ces discussions, M. C. fait, le 6 octobre 2009, uneproposition d'investissement [au demandeur] comme si l'augmentation decapital du 23 septembre 2009 de la societe Edificio n'avait pas eu lieu.[Le demandeur] fait alors observer par un message electronique du 26 novembre 2009 à M. C., avec copie [au defendeur], que ce dernier n'estplus actionnaire de la societe Edificio jusqu'à concurrence de 24 p.c.en raison de l'augmentation de capital intervenue le 23 septembre 2009.Il indique qu'il exercera son droit de preemption statutaire sur toute cession eventuelle d'actions de la societe Edificio et de la[defenderesse] par [le defendeur] à M. C.

9. Le 15 decembre 2009, sont signees les premieres conventions, qui serontcompletees par d'autres, realisant le transfert des droits d'exploitationdu Concert noble à la societe Edificio par un mecanisme complexed'emphyteose et de leasing ou interviennent la societe anonyme Dexia LeaseServices en qualite d'organisme de financement, la societe Edificio etdiverses societes controlees par [le demandeur].

10. Les flux financiers concernant des diverses operations et la gestioncourante de la societe Edificio et de la [defenderesse] font l'objet dediscussions de plus en plus vives entre les deux associes au printemps2010.

Les 12 et 15 mars 2010, les employes de la societe Edificio constatent ladisparition de deux back-ups informatiques faisant partie de lacomptabilite de cette societe. [Le demandeur] signale cette disparitionà la police le

16 mars 2010. Il apparaitra ulterieurement que ces back-ups informatiquesont ete retires pour etre copies par [le defendeur]. Par lettre du 20avril 2010, [le demandeur] demande convocation d'une assemblee generale dela societe Edificio en vue de designer un commissaire-reviseur et unnouvel administrateur.

Le conseil d'administration ne parvient pas à se reunir pour presentercette proposition à l 'assemblee.

Une assemblee speciale des actionnaires de la societe Edificio se tienttoutefois le 21 juin 2010. Elle nomme deux nouveaux administrateurs etrevoque [le defendeur] de son mandat d'administrateur.

11. [Le defendeur] se fait assister dans l'examen de la comptabilite dela societe Edificio et de la [defenderesse] par le cabinet de revisiond'entreprises M. S. V.

Ce cabinet etablit en date du 16 avril 2010 un rapport qui conclutnotamment à l'existence de prelevements sur les comptes de la[defenderesse] entre 2006 et 2008 de montants avoisinant 600.000 euros, enfaveur [du demandeur], sans que ces prelevements soient justifies.

12. Le 23 avril 2010, [le defendeur], en sa qualite de president etd'administrateur de la societe Edificio et de la [defenderesse], envoieune lettre recommandee [au demandeur] concernant des mouvementsinexpliques dans la comptabilite de la societe Edificio et de la[defenderesse].

En ce qui concerne cette derniere, [le defendeur] evoque la constatationdu rapport du cabinet M. S. V. : `Entre 2006 et 2008, d'apres le comptefournisseur à votre nom, il y aurait eu pour environ 600.000 euros deretraits par [le demandeur]. Pour la derniere operation comptable nDEG209001 annee 31 decembre 2008, il manque toute justification'.

Quelques jours plus tard, le 30 avril 2010, [le defendeur], en qualited'administrateur de la societe anonyme Forum Europe, convoque [ledemandeur], en qualite d'administrateur delegue de cette societe, à unconseil d'administration qui doit se tenir le 11 mai 2010, avec pour ordredu jour la lettre recommandee [au demandeur] du 23 avril 2010 et laconvocation d'une assemblee generale en vue de designer uncommissaire-reviseur et un troisieme administrateur.

13. Ce conseil d'administration n'a apparemment pas lieu et, le 15 mai2010, le cabinet de reviseurs d'entreprises M. S. V. depose un rapportcomplementaire, mettant en exergue ce qui, selon ce cabinet,constituerait un abus de biens sociaux au detriment de la [defenderesse].Les prelevements constates avaient d'ailleurs conduit à un redressementfiscal sur les exercices sociaux 2006 et 2007, accepte par la societe endate du 10 juillet 2009.

C'est, semble-t-il, sur le fondement de ce rapport complementaire du

15 mai 2010 que [le defendeur] convoque une assemblee generaleextraordinaire de la [defenderesse] le 22 juin 2010.

Cette assemblee generale extraordinaire, à laquelle assiste [ledefendeur] seul, prend acte du renouvellement du mandat [du defendeur] enqualite d'administrateur avec fonction d'administrateur delegue, nomme M.C. en qualite d'administrateur et revoque le mandat [du demandeur] enqualite d'administrateur.

14. Par requete unilaterale du 2 juillet 2010 adressee au president dutribunal de commerce de Bruxelles, [le defendeur] demande la designationd'un expert-comptable en vue d'examiner la comptabilite informatique dessocietes Edificio et [defenderesse] et des associations sans but lucratifSecurity & Defense Agency, Europe's World et Friends of Europe et deprendre cette comptabilite sous sequestre.

15. Il est fait droit à cette requete unilaterale par ordonnance dupresident du tribunal de commerce de Bruxelles du 5 juillet 2010, sousreserve toutefois de l'obligation pour le demandeur de rendre le debatcontradictoire en refere au plus tard à l'audience du 14 juillet 2010.

16. Une citation en refere est signifiee à cet effet aux differentesparties en cause, dont la [defenderesse], le 8 juillet 2010.

La societe Edificio fait tierce opposition à l'ordonnance sur requeteunilaterale du 5 juillet 2010 par exploit du 30 juillet 2010.

Par une ordonnance rendue en refere du 21 octobre 2010, le president dutribunal de commerce de Bruxelles joint la tierce opposition à lacitation en refere du 8 juillet 2010 et renvoie les deux causes au role,considerant que les demandes formulees devant lui de part et d'autre sontprematurees.

La societe Edificio interjette appel par requete deposee au greffe le

24 novembre 2010 et [le demandeur] par requete d'appel deposee au greffede la cour [d'appel] le 1er decembre 2010.

Par arret de la huitieme chambre du 13 mars 2012, la cour d'appel deBruxelles a decide en substance que les demandes en refere introduitespar [le defendeur] ne sont que tres partiellement fondees. La cour[d'appel] a ordonne à l'expert de restituer toutes les pieces appartenantà la societe Edificio et [au demandeur] prises sous sequestre enexecution de l'ordonnance sur requete unilaterale du 5 juillet 2010 maisa condamne la societe Edificio et [le demandeur] à autoriser laconsultation par [le defendeur] et ses conseils d'un certain nombre dedocuments au siege social d'Edificio.

Cet arret est opposable à la [defenderesse], qui etait partie à lacause.

17. Dans l'intervalle, le conseil d'administration de la [defenderesse] se reunit le 28 septembre 2010 pour approuver le projet de comptesannuels 2009 à soumettre à l'assemblee generale.

Le conseil, compose [du defendeur] et de M. C., decide de modifier leprojet de comptes annuels soumis à sa deliberation en y ajoutant en`operations diverses' une provision de 60.000 euros devant permettre decouvrir les frais lies à la procedure pendante devant le tribunal decommerce de Bruxelles, ainsi que d'autres eventuels evenements imprevus.

Par lettre recommandee du 4 octobre 2010 adressee à la [defenderesse],[le demandeur] demande à pouvoir exercer au siege de la societe sondroit d'investigation individuelle, conformement à l'article 166 du Codedes societes.

Le comptable designe par [le demandeur], M. B., du cabinet d'expertscomptables VGD, etablit le 12 octobre 2010 un rapport contenant certainesreserves sur la procedure d'investigation à laquelle il a eu acces.

18. Le 13 octobre 2010 se tient l'assemblee generale ordinaire desactionnaires de la [defenderesse] qui approuve les comptes de l'exercice2009, contenant la provision complementaire de 60.000 euros dont questionau numero precedent.

[Le demandeur] et [le defendeur] assistent tous les deux à cetteassemblee generale.

[Le demandeur] fait toutefois preceder son vote d'une lettre adressee auconseil d'administration le 13 octobre 2010 par laquelle il exprimecertaines reserves sur la convocation de l'assemblee generale, laprocedure d'investigation à laquelle il a eu acces et la justificationde la provision complementaire de 60.000 euros qui, selon lui, `neconcerne pas la societe mais bien la defense du [defendeur] dans lecadre de la procedure pendante devant le tribunal de commerce deBruxelles, qui, pour rappel, a ete initiee en juillet 2010. Cette procedure ne concerne donc pas l'exercice 2009'.

19. Par exploit introductif d'instance signifie le 29 octobre 2010, [ledemandeur] cite la [defenderesse] en annulation des deliberations del'assemblee generale du 13 octobre 2010.

Par exploit introductif d'instance du meme jour, [le demandeur] citeegalement la societe en refere devant le president du tribunal decommerce de Bruxelles en suspension des deliberations de l'assembleegenerale du

13 octobre 2010.

L'action en suspension est rejetee par une ordonnance de refere du

25 novembre 2010.

L'action en annulation est toujours pendante devant le tribunal.

20. Suivant une attestation signee par lui le 19 mai 2011, [le demandeur]exerce à nouveau son droit d'investigation individuelle conformement àl'article 166 du Code des societes, cette fois concernant les comptes2010 et 2011 de la [defenderesse].

Les comptes 2010 sont approuves par l'assemblee generale ordinaire du 31mai 2011, tenue en presence [du defendeur] et [du demandeur] quireunissent la totalite du capital social.

21. Par exploit introductif d'instance signifie le 27 janvier 2011, [ledemandeur] demande au president du tribunal de commerce de Bruxelles,statuant comme en refere, de condamner [le defendeur] à la cession forceede l'ensemble de ses titres (2.560) detenus dans le capital de la[defenderesse], moyennant un prix fixe à titre provisionnel à 63.280euros, dans les vingt-quatre heures de la signification du jugement, souspeine d'astreinte.

Par le jugement entrepris du 23 septembre 2011, cette action est declareerecevable mais non fondee.

22. [Le demandeur] demande à la cour [d'appel] de dire son appelrecevable et fonde et de mettre en consequence à neant le jugemententrepris.

Il demande en consequence à la cour de :

`Dire pour droit que les conditions de l'article 636 du Code des societeset specialement les justes motifs de nature à justifier l'exclusion [dudefendeur] sont remplies ;

Entendre condamner (dans la meme decision) [le defendeur] à la cessionforcee de l'ensemble de ses titres (2.560) detenus dans le capital de la[defenderesse], moyennant un prix fixe provisionnellement à un euro paraction dans les vingt-quatre heures de la signification de la decision àintervenir, sous peine d'une astreinte de 2.000 euros par jour de retard ;

Entendre designer un expert charge de la mission habituelle, pourdeterminer, à frais partages entre [le demandeur] et [le defendeur], lavaleur des titres detenus par [le defendeur] dans le capital de la[defenderesse], au

22 juin 2010 ou à toute autre date retenue par la cour [d'appel]'.

23. [Le defendeur] demande, aux termes de ses conclusions principalesdeposees au greffe de la cour [d'appel] le 30 janvier 2012, d'entendredeclarer irrecevable ou, à tout le moins, non fondee la demande enexclusion introduite par [le demandeur] et d'entendre [le demandeur]condamne aux depens des deux instances, y compris les indemnites deprocedure, liquidees à 1.320 euros par instance (affaire non evaluableen argent).

24. La [defenderesse] demande à la cour [d'appel] de declarer l'appelprincipal irrecevable et, à tout le moins, non fonde.

La [defenderesse] demande egalement à la cour [d'appel] de declarerl'appel incident recevable et fonde et, des lors, d'entendre [ledemandeur] condamne aux depens des deux instances, y compris l'indemnitede procedure, liquidee à la somme de 1.320 euros par instance.

[...] 3. Quant à la demande d'exclusion [du defendeur] en qualited'actionnaire de la [defenderesse]

29. Aux termes de l'article 636 du Code des societes, un ou plusieursactionnaires possedant ensemble, soit des titres representant 30 p.c. desvoix attachees à l'ensemble des titres existants, soit des actions dontla valeur nominale ou le pair comptable representent 30 p.c. du capital dela societe, peuvent demander en justice, pour de justes motifs, qu'unautre actionnaire leur cede les actions qu'il detient dans la memesociete.

Il n'est pas conteste que [le demandeur] detient plus de 30 p.c. desactions representatives du capital de la [defenderesse] et plus de 30 p.c.des voix attachees à l'ensemble des titres existants de celles-ci etqu'il est donc recevable à introduire l'action en exclusion contre [ledefendeur].

[Le defendeur] conteste toutefois l'existence de justes motifs permettantde prononcer contre lui la decision grave de l'exclure du capital de la[defenderesse].

Il est generalement admis que les justes motifs permettant l'exclusiond'un actionnaire sont les circonstances par lesquelles, `vu lecomportement ou la personnalite d'une personne, le maintien de celle-cien qualite d'actionnaire ne peut raisonnablement plus etre exige des autres actionnaires, des lors que ce maintien, sans rendre la survie de lasociete necessairement impossible, l'expose à tout le moins à un dangerserieux' (Bruxelles, 7 septembre 1999, R.P.S., 2000, 341, et lesreferences citees).

30. En l'espece, [le demandeur] invoque l'existence de six circonstancesqui constitueraient, selon lui, les justes motifs devant permettrel'exclusion [du defendeur].

Ces six circonstances, ni isolement ni prises dans leur ensemble, nepermettent toutefois de conclure que le comportement ou la personnalite[du defendeur] expose la [defenderesse] à un danger injustifie.

31. La premiere circonstance invoquee par [le demandeur] reside dans sarevocation en qualite d'administrateur par decision de l'assembleegenerale speciale des actionnaires du 22 juin 2010.

[Le demandeur] ne justifie cependant pas en quoi cette decision, dont ilne conteste pas la regularite formelle, constituerait un abus de droitdans le chef des actionnaires qui l'on votee ([le defendeur]).

Le droit de revocation d'un administrateur de societe anonyme est un droitque l'assemblee generale des actionnaires peut exercer ad nutum et qui netrouve sa limite que dans l'abus de droit, sous la forme particuliered'une revocation à contretemps ou intempestive.

En l'espece, il resulte des faits tels qu'ils sont exposes aux n-os 11 à13 ci-dessus, que la revocation [du demandeur] en qualited'administrateur de la [defenderesse] fut motivee par la constatationfaite par le cabinet de reviseurs d'entreprises M. S. V. de certainesirregularites comptables non insignifiantes commises sous saresponsabilite, alors qu'il etait administrateur delegue de la societe.

Il est vrai que l'expert-comptable B. a delivre le 21 juin 2010, soit laveille de la decision de revocation [du demandeur], une attestation `àqui de droit' (àan wie het aanbelangt') selon laquelle, apres un examenlimite, il n'aurait pas decele d'element significatif permettant deconclure à un abus de biens sociaux ou à une manipulation de la comptabilite dans le chef [du demandeur] (`na een beperkt nazich van denaamloze venootschap Edificio en de [verweerster] m.b.t. de boekjaren2007, 2008 et 2009 hebben wij geen significante elementen aangetroffen die wijzen in de richting van misbruik van vennootschapsgoederen of manipulalie van de boekhouding in hoofde van de [eiser] teneinde daarpersoonlijk voordeel uit te halen').

Il n'est toutefois pas etabli que cette declaration ait ete communiqueeaux actionnaires avant leur decision du 22 juin 2010 ni qu'elle devaitnecessairement conduire à la conclusion que la confiance à l'egard [dudemandeur] n'etait pas rompue.

De nombreuses suspicions pesaient à l'epoque sur [le demandeur] qui,vraies ou fausses, avaient altere la confiance necessaire desactionnaires ([le defendeur]) à l'egard [du demandeur] en sa qualited'administrateur delegue.

Divers employes et anciens employes des societes gravitant autour de dudemandeur et du defendeur avaient denonce approximativement à la memeperiode de graves doutes sur les prelevements effectues par [ledemandeur] sur la tresorerie de la [defenderesse] (voir notamment lesdeclarations de Mme M. M. M. du 23 juin 2010, la declaration de Mme S. L.du 28 juin 2010 et la declaration de M. R. D. du 8 juillet 2010).

La decision de revocation [du demandeur] en sa qualite d'administrateur dela [defenderesse] ne peut ainsi etre qualifiee d'abusive, dans le cadredu pouvoir d'appreciation marginale qui peut etre exerce par la cour[d'appel]. Cette revocation ne peut donc constituer un juste motif àl'appui de la demande d'exclusion [du defendeur].

32. La deuxieme circonstance constituant, selon [le demandeur], un justemotif d'exclusion [du defendeur], residerait dans la violation du droitd'investigation individuel du premier nomme.

Il a ete expose ci-dessus aux nDEGs 17 et 18 que ce droit d'investigationindividuel a pu effectivement etre exerce tant pour les exercices 2009que pour les exercices 2010 et 2011.

S'il est vrai que M. B. a fait certaines reserves quant aux conditionsdans lesquelles ce droit a pu s'exercer pour 2009, ces reserves ne sontpas de nature à permettre de conclure à de graves manquements auprejudice [du demandeur].

33. La troisieme circonstance qui constituerait, selon [le demandeur], unjuste motif d'exclusion [du defendeur], residerait dans le fait que [ledemandeur] se serait porte caution au benefice de la societe jusqu'àconcurrence de 100.000 euros alors que [le defendeur] ne se serait portecaution que jusqu'à concurrence de 50.000 euros et que [le demandeur]aurait encore du intervenir aupres de la banque BNP Paribas Fortis enseptembre 2010 jusqu'à concurrence de 60.000 euros pour apurer ledecouvert de la societe.

On n'aperc,oit pas en quoi ces circonstances permettraient de conclure àl'existence d'un danger serieux pour la societe et des lors d'un justemotif lie à la personnalite ou au comportement [du defendeur].

34. La quatrieme circonstance invoquee par [le demandeur] residerait dansle fait qu'il etait, selon lui, totalement injustifie de mettre à chargede la societe une provision de 60.000 euros dans les comptes 2009 pourcouvrir les frais lies à une procedure à laquelle la societe ne seraitpas partie.

[Le defendeur] explique que cette provision est liee aux frais quepouvaient occasionner à la societe les differentes proceduresintroduites contre elle.

Meme s'il est vrai que les actions concernant la [defenderesse] furentformellement introduites en 2010 et non en 2009, il n'etait pasderaisonnable de prevoir dejà au moment de l'approbation des comptes2009 de la [defenderesse] des frais importants lies au contentieux danslequel cette societe pourrait etre impliquee au moins en partie.

Il n'y a en tous cas pas dans cette ecriture comptable de dangerparticulier à craindre pour la [defenderesse], d'autant qu'il ne s'agitque d'une provision et pas de la prise en charge d'une depensedefinitive.

35. La cinquieme circonstance invoquee reside dans ce que [le demandeur]appelle le `vol' des back-ups informatiques dont la societe Edificio(mais apparemment aussi la [defenderesse] en raison de l'imbrication deleurs infrastructures) fut victime entre les 12 et 15 mars 2010.

[Le defendeur] explique toutefois qu'il s'est contente de se procurer, `ensa qualite d'administrateur, une copie de deux back-ups del'infrastructure LT dans l'espoir de disposer de plus d'informations'. Le premier juge a des lors decide à juste titre que [le demandeur]n'etablit l'existence ni d'un `vol' ni d'un danger ou d'une menaceserieuse pour la societe, la declaration faite à la police le 16 mars2010 par [le demandeur] etant apparemment restee sans suite.

La procedure de designation d'un expert poursuivie par la suite par [ledefendeur] et la demande de mise sous sequestre de la comptabilite quiaccompagnait cette procedure, si elle a ete en grande partie rejetee parl'arret definitif de la cour d'appel de Bruxelles du 13 mars 2012, ne peut etre consideree comme abusive, la cour d'appel n'ayant pas reconnul'existence d'une procedure temeraire et vexatoire et ayant d'ailleurs enpartie donne raison [au defendeur] en ordonnant [au demandeur] lacommunication de certaines pieces concernant la comptabilite de lasociete Edificio.

36. La derniere circonstance invoquee consisterait dans le fait que [ledefendeur] n'aurait plus aucun animus societatis pour la [defenderesse],ayant dejà manifeste en 2009 sa volonte de vendre sa participation danscette societe.

Ce n'est pas parce qu'un actionnaire veut vendre sa participation dans unesociete que sa personnalite ou son comportement fait courir à celle-ciun danger serieux.

Le projet de cession de la participation [du defendeur] dans la[defenderesse] ne s'est pas realise et [le defendeur] a ensuite faitpreuve d'une volonte non contestable de rester actionnaire et d'enassumer les droits et obligations.

La societe fonctionne normalement depuis la revocation [du demandeur] etles comptes annuels 2010 ont ete regulierement approuves par l'assembleegenerale des actionnaires.

La [defenderesse] explique d'ailleurs que les operations comptables quiont conduit à un exercice social 2010 defavorable sont justifiees pardes redressements necessaires lies aux subsides à recevoir des pouvoirspublics et que le projet de comptes annuels 2011 laisse prevoir unbenefice substantiel pour cet exercice ».

L'arret en conclut qu'il est demontre « que la societe fonctionnenormalement et qu'aucun prejudice ne lui est cause par la nouvellegestion assuree par [le defendeur] ».

Griefs

1. Aux termes de l'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titrepreliminaire du Code de procedure penale, l'exercice de l'action civileest suspendu tant qu'il n'a pas ete prononce definitivement sur l'actionpublique, intentee avant ou pendant la poursuite de l'action civile.

L'action civile qui oblige le juge qui en est saisi separement à surseoirà statuer est celle qui est relative à des points qui sont communs àune action publique intentee avant ou pendant le cours de l'action civile(Cass., 20 janvier 1984, Pas., 1984, I , p. 555 ; Cass., 13 mai 1983, Pas., 1983,1, p. 1035 ; Cass., 22 mai 1975, Pas., 1975,1, 908).

Cette regle, qui est d'ordre public (Cass., 23 mars 1992, Bull., 1992,n-o 389), vaut pour toute action tendant à des fins civiles, nonseulement lorsqu'elle presente des points communs avec l'action penalemais aussi lorsque la decision à rendre par le juge repressif pourraitexercer une influence sur la decision à rendre par le juge civil.

Au sujet de cette possible influence sur la solution à reserver àl'action civile, specialement en matiere de retraits et exclusionsforces, la Cour considere que, si, « en regle, les faits susceptiblesd'etre invoques à titre de justes motifs doivent etre propres à la societe dont l'actionnaire veut se retirer », il n'est pas exclu que «des faits etrangers à cette societe puissent egalement etre pris enconsideration » (Cass., 28 novembre 2011, C.11.0338.N).

Si les conditions en sont remplies, la surseance doit etre prononcee, memed'office. Cette contrainte participe egalement de l'ordre public, desorte que son omission ne peut etre couverte par l'acquiescement ou lesilence des parties.

Lorsque, en conformite avec la regle precitee, le juge releve, de sapropre initiative, une contestation qui ne lui avait pas ete soumise parles parties, parce qu'elle se fonde sur une loi d'ordre public, il al'obligation, en vertu de l'article 774 du Code judiciaire, d'ordonner la reouverture des debats, afin de respecter le principe general du droitrelatif au respect des droits de la defense (voir notamment Cass., 21janvier 2008, Pas., I , 2008, nDEG 43 ; Cass., 21 octobre 1996, J.T.,1997, 441), tel qu'il est exprime par l'article 6, S: 1er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales.

2. En l'espece, le demandeur mentionnait dans ses conclusions principalesd'appel du 2 mars 2012 que, le 9 aout 2011, le defendeur avait faitdefinitivement s'envoler « tout espoir d'amelioration des relationsentre les parties [...] par le depot de la plainte avec constitution departie civile » à son encontre et que, « par le depot de cetteplainte, [le defendeur] a consomme de maniere definitive lamesintelligence regnant entre les parties ».

Le demandeur a ainsi fait le lien entre la mesintelligence grave, dont ilconsiderait qu'elle justifiait l'exclusion du defendeur en tantqu'actionnaire de la defenderesse et fondait donc son action enexclusion, d'une part, et la plainte penale avec constitution de partiecivile deposee par le defendeur, d'autre part.

Ces conclusions principales d'appel du 2 mars 2012 du demandeur lui ayantete regulierement soumises, la cour d'appel a incontestablement prisconnaissance de l'existence d'une instruction penale en cours, entre lesmemes parties, et du lien avec le litige.

Cependant, l'arret rejette la demande en exclusion formee par le demandeurà l'encontre du defendeur sans surseoir à statuer en application del'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre preliminaire duCode de procedure penale, sans ordonner la reouverture des debats et sansindiquer les motifs pour lesquels la cour d'appel a estime ne pas avoir àprononcer une telle surseance.

3. En consequence, en rejetant la demande en exclusion formee par ledemandeur à l'encontre du defendeur sans ordonner la reouverture desdebats afin de permettre aux parties de prendre position sur la question,relevant de l'ordre public, de l'influence possible sur la presente causede la plainte deposee avec constitution de partie civile, l'arretmeconnait l'article 774 du Code judicaire, le principe general du droit relatif au respect des droits de la defense, l'article 6, S: 1er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales consacrant le droit de tout justiciable à un procesequitable ainsi que l'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant letitre preliminaire du Code de procedure penale (violation de cesdispositions legales et principe general du droit).

A tout le moins, à defaut d'indiquer les motifs pour lesquels la courd'appel a estime ne pas avoir à prononcer une telle surseance, l'arretn'est pas regulierement motive car il ne permet pas à la Cour d'exercerson controle de legalite (violation de l'article 149 de la Constitution).

Troisieme moyen

Dispositions legales violees

- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;

- article 636 du Code des societes ;

- article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

L'arret rec,oit l'appel du demandeur mais le dit non fonde et condamne le demandeur aux depens d'appel liquides dans le chef du defendeur à 1.320euros et dans le chef de la defenderesse à 1.320 euros.

Cette decision repose sur les motifs qui suivent :

« 3. Quant à la demande d'exclusion [du defendeur] en qualited'actionnaire de la [defenderesse]

[...] Il est generalement admis que les justes motifs permettantl'exclusion d'un actionnaire sont les circonstances par lesquelles, `vule comportement ou la personnalite d'une personne, le maintien decelle-ci en qualite d'actionnaire ne peut raisonnablement plus etre exigedes autres actionnaires, des lors que ce maintien, sans rendre la surviede la societe necessairement impossible, l'expose à tout le moins à undanger serieux' (Bruxelles, 7 septembre 1999, RPS, 2000, 341, et lesreferences citees).

30. En l'espece, [le demandeur] invoque l'existence de six circonstancesqui constitueraient, selon lui, les justes motifs devant permettrel'exclusion [du defendeur].

[...] 31. La premiere circonstance invoquee par [le demandeur] residedans sa revocation en qualite d'administrateur par decision del'assemblee generale speciale des actionnaires du 22 juin 2010.

[Le demandeur] ne justifie cependant pas en quoi cette decision, dont ilne conteste pas la regularite formelle, constituerait un abus de droitdans le chef des actionnaires qui l'ont votee ([le defendeur]).

Le droit de revocation d'un administrateur de societe anonyme est un droitque l'assemblee generale des actionnaires peut exercer ad nutum et qui netrouve sa limite que dans l'abus de droit, sous la forme particuliered'une revocation à contretemps ou intempestive.

[...] La decision de revocation [du demandeur] en sa qualited'administrateur de la [defenderesse] ne peut ainsi etre qualifieed'abusive, dans le cadre du pouvoir d'appreciation marginale qui peutetre exerce par la cour [d'appel]. Cette revocation ne peut doncconstituer un juste motif à l'appui de la demande d'exclusion [dudefendeur].

32. La deuxieme circonstance constituant, selon [le demandeur], un justemotif d'exclusion [du defendeur], residerait dans la violation du droitd'investigation du premier nomme.

Il a ete expose ci-dessus aux nDEGs 17 et 18 que ce droit d'investigationindividuel a pu effectivement etre exerce tant pour les exercices 2009que pour les exercices 2010 et 2011.

S'il est vrai que M. B. a fait certaines reserves quant aux conditionsdans lesquelles ce droit a pu s'exercer pour 2009, ces reserves ne sontpas de nature à permettre de conclure à de graves manquements auprejudice [du demandeur].

33. La troisieme circonstance qui constituerait, selon [le demandeur], unjuste motif d'exclusion [du defendeur], residerait dans le fait que [ledemandeur] se serait porte caution au benefice de la societe jusqu'àconcurrence de 100.000 euros alors que [le defendeur] ne se serait portecaution que jusqu'à concurrence de 50.000 euros et que [le demandeur]aurait encore du intervenir aupres de la banque BNP Paribas Fortis enseptembre 2010 jusqu'à concurrence de 60.000 euros pour apurer ledecouvert de la societe.

On n'aperc,oit pas en quoi ces circonstances permettraient de conclure àl'existence d'un danger serieux pour la societe et des lors d'un justemotif lie à la personnalite ou au comportement [du defendeur].

34. La quatrieme circonstance invoquee par [le demandeur] residerait dansle fait qu'il etait, selon lui, totalement injustifie de mettre à chargede la societe une provision de 60.000 euros dans les comptes de 2009 pourcouvrir des frais lies à une procedure à laquelle la societe ne seraitpas partie.

[...] Il n'y a en tout cas pas dans cette ecriture comptable de dangerparticulier à craindre pour la [defenderesse], d'autant qu'il ne s'agitque d'une provision et pas de la prise en charge d'une depensedefinitive.

35. La cinquieme circonstance invoquee reside dans ce que [le demandeur]appelle le `vol' des back-ups informatiques dont la societe Edificio(mais apparemment aussi [la defenderesse] en raison de l'imbrication deleurs infrastructures) fut victime entre les 12 et 15 mars 2010.

[...] Le premier juge a des lors decide à juste titre que [le demandeur]n'etablit l'existence ni d'un `vol' ni d'un danger ou d'une menaceserieuse pour la societe, la declaration faite à la police le 16 mars2010 par [le demandeur] etant apparemment restee sans suite.

La procedure de designation d'un expert poursuivie par la suite par [ledefendeur] et la demande de mise sous sequestre de la comptabilite quiaccompagnait cette procedure, si elle a ete en grande partie rejetee parl'arret definitif de la cour d'appel de Bruxelles du 13 mars 2012, ne peut etre consideree comme abusive, la cour d'appel n'ayant pas reconnul'existence d'une procedure temeraire et vexatoire et ayant d'ailleurs enpartie donne raison [au defendeur] en ordonnant [au demandeur] lacommunication de certaines pieces concernant la comptabilite de lasociete Edificio.

36. La derniere circonstance invoquee consisterait dans le fait que [ledefendeur] n'aurait plus aucun animus societatis pour la [defenderesse],ayant dejà manifeste en 2009 sa volonte de vendre sa participation danscette societe.

Ce n'est pas parce qu'un actionnaire veut vendre sa participation dans unesociete que sa personnalite ou son comportement fait courir à celle-ciun danger serieux.

Le projet de cession de la participation [du defendeur] dans la[defenderesse] ne s'est pas realise et [le defendeur] a ensuite faitpreuve d'une volonte non contestable de rester actionnaire et d'enassumer les droits et obligations.

La societe fonctionne normalement depuis la revocation [du demandeur] etles comptes annuels 2010 ont ete regulierement approuves par l'assembleegenerale des actionnaires.

[...] Aucun prejudice ne lui est cause par la nouvelle gestion assumeepar [le defendeur] ».

Estimant, sur la base de ces considerations, que « ces six circonstances,ni isolement ni prises dans leur ensemble, ne permettent toutefois deconclure que le comportement ou la personnalite [du defendeur] expose la[defenderesse] à un danger injustifie », l'arret conclut au rejet de lademande d'exclusion introduite par le demandeur.

Griefs

Premiere branche

1. Dans ses conclusions principales d'appel du 2 mars 2012, le demandeurn'invoquait, comme unique « juste motif » au sens de l'article 636 duCode des societes justifiant l'exclusion forcee du premier defendeur quela mesentente grave avec ce dernier.

Le demandeur developpait ce moyen comme suit :

« Or ici, ainsi qu'il sera demontre ci-apres, la mesentente entre lesparties est fondamentale et persistante.

[...] La jurisprudence retient generalement comme constituant de justesmotifs pouvant fonder une action en exclusion les manquements del'associe à ses obligations, les abus de majorite ou de minorite ouencore la mesintelligence grave entre associes rendant toutecollaboration entre eux definitivement impossible ou conduisant aublocage du fonctionnement des organes sociaux ou, à tout le moins,constituant un conflit serieux et compromettant la realisation de l'objetsocial

[...] Enfin, tout espoir d'amelioration des relations entre les partiess'est definitivement envole, le 9 aout 2011, par le depot de la plainteavec constitution de partie civile [du defendeur] contre le [demandeur].Par le depot de cette plainte, [le defendeur] a consomme `de manieredefinitive la mesintelligence regnant entre les parties'.

Il resulte de ce qui precede que le comportement adopte par [le defendeur]nuit aux interets de [la defenderesse] et du [demandeur]. La mesententeentre [le demandeur] et [le defendeur] n'est nullement ponctuellepuisqu'elle est apparue des novembre 2009 pour aller en s'aggravantjusqu'à ce jour. Les differentes accusations de vol, de malversations etde detournement des biens de la societe faites par [le defendeur] dansles differentes procedures et le depot de la plainte penale consomment defac,on definitive la mesintelligence regnant entre les parties. Onrappellera à cet egard qu' `une mesentente fondamentale persistanteentre les actionnaires peut constituer un juste motif, meme si on ne peutpas determiner sur qui pese la faute de la mesentente'. La mesententeentre les parties est incontestablement etablie en l'espece, ce qui n'estd'ailleurs pas conteste par le premier juge.

Comme expose ci-dessus, `il n'est pas necessaire, pour qu'il soit faitdroit à une action fondee sur l'article [636 du Code des societes], quele fonctionnement des organes sociaux soit bloque' ».

A l'appui de ce moyen, le demandeur apportait plusieurs circonstances etelements, revelateurs de tensions irremediables entre lui-meme et ledefendeur, illustrant la mesentente grave justifiant l'exclusion dudefendeur en tant qu'actionnaire de la defenderesse.

Il invoquait ainsi que :

« C'est à tort que le premier juge n'a pas tenu compte des elementssuivants dans son appreciation :

i) Contrairement à ce qu'a decide le premier juge, en revoquant [ledemandeur] de son mandat d'administrateur delegue lors de l'assembleegenerale du 22 juin 2010, [le defendeur] a rompu l'equilibre initialementinstaure entre les deux precites, compte tenu de leur participationrespective de 56 p.c. et 44 p.c. et [ce fait] participe de sa volonte derompre tout contact entre [la defenderesse] et le [demandeur]. On noteraà cet egard que la jurisprudence retient comme constituant un justemotif la rupture de l'equilibre initialement instaure entre associes.

En effet, la revocation [du demandeur] en qualite d'administrateur est prejudiciable pour le developpement des activites de la societe. En effet,en revoquant [le demandeur] et en introduisant differentes procedurescontre celui-ci et Edificio, [le defendeur] n'a pas agi comme unactionnaire normalement prudent et diligent. Sa decision a pour effet depriver [la defenderesse] d'un important courant d'affaires avec Edificioet du know-how du [demandeur], ce qui porte prejudice à la societe.

De plus, on constatera que, depuis le depart du [demandeur] de la societe,les fonds propres de celle-ci sont negatifs et la societe ne developpeplus aucune activite, ce qui n'est d'ailleurs pas conteste par ledefendeur. [Le defendeur] est incapable d'assurer la gestion de lasociete. Aucune mesure de redressement de la situation financiere ou deprojet de developpement ne sont adoptes par le conseil d'administrationde [la defenderesse].

ii) Le conseil d'administration dont fait partie [le defendeur] refuse au [demandeur] tout acces aux documents sociaux et comptables de la societe.[Le demandeur] n'aperc,oit pas en quoi sa demande du 4 octobre 2010aurait ete `intempestive et à contretemps', dans la mesure ou le[demandeur] ne fait qu'exercer ses droits d'actionnaires afin d'essayerd'obtenir des informations sur la societe dont il est actionnairejusqu'à concurrence de 44 p.c. et de verifier le respect des interets de [la defenderesse]. Aucune information n'est donnee [au demandeur] sur la situation financiere de la societe ainsi que sur le developpement futur deses activites. Selon la jurisprudence, le fait d'empecher (comme enl'espece) un actionnaire d'exercer ses droits sociaux peut constituer unjuste motif.

Lors de l'exercice de son droit de controle du 19 mai 2011, le [demandeur]a eu acces à certains documents de la societe et a constate de nouvellesirregularites encore plus graves dans la comptabilite de la societe[...].

Malgre le fait qu'il est tenu à l'ecart de [la defenderesse], [ledemandeur] fait tout encore dans les limites de ses possibilites pours'investir dans le developpement des activites de [la defenderesse], enintervenant notamment financierement aupres des banques pour assurer lefinancement de son developpement et ses bonnes relations.

C'est ainsi, par exemple, que le [demandeur] s'est porte caution aubenefice de la societe jusqu'à concurrence de 100.000 euros alors que[le defendeur] (detenant 56 p.c. du capital) ne s'est porte caution quejusqu'à concurrence de 50.000 euros et ce, solidairement avec le [demandeur]. Les cautions consenties par le [demandeur] ne sont la contrepartie d'aucune cession d'actions [du defendeur] au [demandeur].Aucune piece ne soutient d'ailleurs cette affirmation.

En septembre 2010, le [demandeur] a ete contraint d'intervenir aupres dela banque BNP Paribas Fortis jusqu'à concurrence de 60.000 euros pourapurer le decouvert de la societe en raison de la `passivite' du conseild'administration de [la defenderesse] et ce, malgre la mise en demeure quilui fut adressee et le fait que la societe avait les liquiditessuffisantes.

[...] N'ayant plus de mandat au sein de [la defenderesse], et tout contactavec ses dirigeants etant impossible, [le defendeur] fait preuve demauvaise foi quand il soutient que [le demandeur] se desinteresserait desactivites de la societe. Contrairement à ce dernier, on constatera quele [demandeur] ne nuit pas à la societe et qu'il se preoccupe de sasituation financiere dramatique et de l'absence de projet dedeveloppement et de redressement de ses activites.

[Le defendeur] utilise [la defenderesse] dans son interet personnel dansle cadre de la guerilla judiciaire menee contre le [demandeur] et ce, audetriment du developpement des activites de la societe.

En effet, [le defendeur] n'hesite pas à faire supporter par [ladefenderesse] les frais de ses differentes actions diligentees contre le[demandeur]. C'est ainsi qu'il a notamment porte 60.000 euros enprovision des comptes arretes au 31 decembre 2009, pour un litige qui neconcerne pas [la defenderesse] et qui a debute en juillet 2010 (soitapres l'exercice 2009). [Le demandeur] peut legitimement s'inquieter del'avenir de [defenderesse] dans la mesure notamment ou cette provisionrepresente pres de 45 p.c. de la valeur des fonds propres de la societe.

Ses craintes sont d'autant plus fondees qu'il resulte des derniers comptesannuels au 31 decembre 2010 une perte totale du capital social. [Ledefendeur] utilise les ressources de la societe à son profit (ce qu'ilconfirme d'ailleurs dans sa note annexee au proces-verbal de l'assembleegenerale ordinaire du 31 mai 2011 [...] et la vide litteralement de sa substance au profit des associations sans but lucratif afin de laisser unecoquille vide au [demandeur], sans se soucier du respect de l'article 523du Code des societes, pourtant demande et souligne lors de l'exercice dudroit de controle [...]. La survie de la societe est compromise par lapolitique financiere desastreuse menee par [le defendeur]. C'est à tortque le tribunal de commerce ne prend pas en consideration ces griefs dansl'appreciation de l'existence des justes motifs.

La justification apportee par [le defendeur] pour la provision de 60.000euros n'est pas convaincante et c'est à tort que le premier juge prenden consideration la justification du [defendeur] qui ne repose d'ailleurssur aucune piece. [Le defendeur] disposait en effet de toutes lesinformations quant au decompte des interets à imputer sur le comptecourant du [demandeur]. Ce dernier s'etonne une fois encore qu'aucuninteret ne soit calcule sur le compte courant [du defendeur] ni reprisdans les comptes de la societe alors qu'il dispose de cette information.

[...] v) [Le defendeur] n'a en outre pas hesite à voler en mars 2010des back-ups avec des documents comptables de [la defenderesse]. Uneplainte a ete deposee à la police par [le demandeur]. [...]

[Le defendeur] a par ailleurs pratique, le 8 juillet 2010, une veritable `saisie' à la suite d'une perquisition privee de l'ensemble des documentssociaux et comptables de la [defenderesse], l'empechant ainsi d'avoir àsa disposition des documents pourtant essentiels pour son fonctionnement.Cette saisie a ete pratiquee au siege social des differentes personnesmorales du groupe ainsi qu'au domicile prive du [demandeur]. Elle a portesur de nombreux documents, pieces et fichiers informatiques (y compris lacorrespondance avec les avocats), dont une partie etait couverte par lesecret professionnel, et ce, en violation flagrante du droit àl'inviolabilite du domicile, à la vie privee, du secret professionnel,des droits de la defense et des regles du contradictoire, de l'independance et de l'impartialite.

La realisation de cette saisie au domicile prive du [demandeur] devant sesenfants et en presence de la police ainsi que les accusations de vol quis'en sont suivies ont rompu definitivement le climat de confiance devantexister entre les actionnaires d'une societe.

Toute communication entre les parties est devenue depuis lors impossible.Les seuls contacts [du defendeur] avec [le demandeur] se font via l'introduction de nouvelles procedures ou par le biais de lettres de sonconseil ou encore par l'envoi de lettres refusant toute initiativeconstructive ou demande legitime du [demandeur].

Enfin, tout espoir d'amelioration des relations entre les parties s'est definitivement envole, le 9 aout 2011, par le depot de la plainte avecconstitution de partie civile [du defendeur] contre le [demandeur]. Parle depot de cette plainte, [le defendeur] a consomme `de manieredefinitive la mesintelligence regnant entre les parties'.

[...] vi) [Le defendeur] n'a plus aucun animus societatis pour [ladefenderesse]. Des 2009, il a dejà manifeste sa volonte de se retirer del'actionnariat de la societe [...].

Le desinteret total [du defendeur] pour [la defenderesse] est confirme - pour autant que de besoin - par le fait que le conseil d'administration(dont il fait partie) n'a toujours pas propose, au moment du depot despresentes conclusions, de mesures pour redresser la situation financierede la societe, ni de plan de relance de ses activites et ce, en depit dela situation d'urgence pourtant reconnue par le conseild'administration ».

2. Dans l'arret, la cour d'appel de Bruxelles, par les motifs repris aumoyen, a resume et presente l'argumentation du demandeur comme si ellecomportait l'invocation de six circonstances distinctes « qui constitueraient, selon lui, les justes motifs devant permettre l'exclusion[du defendeur] ». L'arret identifie ainsi les six justes motifs suivants:

i) la revocation du demandeur comme administrateur de la defenderesse ;

ii) la violation par le defendeur du droit d'investigation individuel dudemandeur ;

iii) le fait que le demandeur s'est porte caution au benefice de lasociete jusqu'à concurrence de 100.000 euros alors que le defendeur nes'est porte caution que jusqu'à concurrence de 50.000 euros et que ledemandeur a du intervenir aupres de la banque BNP Paribas Fortis jusqu'àconcurrence de 60.000 euros pour apurer le decouvert de la defenderesse ;

iv) la mise à charge de la defenderesse injustifiee d'une provision de60.000 euros dans les comptes 2009 pour couvrir les frais lies à uneprocedure à laquelle la societe n'etait pas partie ;

v) le vol des back-ups informatiques par le defendeur et la procedure de designation d'un expert et de mise sous sequestre à l'instigation dudefendeur ;

vi) la perte de l'animus societatis pour la defenderesse dans le chef dudefendeur parce que ce dernier avait dejà manifeste en 2009 une volontede vendre ses parts.

Or, le demandeur n'invoquait qu'un seul juste motif, à savoir, lamesentente grave, fondamentale et persistance entre lui et le defendeur,illustree par :

i) les tentatives du defendeur de rompre les liens entre le demandeur etla defenderesse (entre autres en le revoquant de sa fonctiond'administrateur), ayant conduit à la rupture de l'equilibreinitialement instaure entre le demandeur et le defendeur en tantqu'actionnaires de la defenderesse et nui aux activites de la societe ;

ii) le fait que le defendeur ait refuse au demandeur l'acces aux donnees comptables et financieres relatives à la societe, dont le demandeur avaitpu constater qu'elles contenaient de nombreuses irregularites ;

iii) le fait que le demandeur s'investit beaucoup plus dans la societe quele defendeur, qui en est pourtant l'actionnaire majoritaire et membre deson conseil d'administration ;

iv) l'usage de la defenderesse par le defendeur dans son interet purement personnel et son intention de vider cette societe de sa substance auprofit des associations sans but lucratif ;

v) la rupture totale de confiance entre les parties (en raison notammentdu vol par le defendeur des back-ups comptables et la saisie à la suited'une perquisition privee de l'ensemble des documents sociaux etcomptables de la defenderesse pratiquee egalement au domicile dudemandeur) et l'impossibilite de toute communication normale, et

vi) le manque d'animus societatis pour la defenderesse dans le chef dudefendeur.

3. En consequence, en ce qu'il considere que le demandeur invoquait unensemble de six justes motifs independants et separes à l'appui de sademande d'exclusion à l'encontre du defendeur, sans mentionner que ledemandeur faisait valoir l'existence d'une mesentente grave entre lui etle defendeur, l'arret meconnait la foi due aux conclusions principalesd'appel du demandeur du 2 mars 2012 (violation des articles 1319, 1320 et l322 du Code civil).

En outre, en ce qu'il n'examine en aucun de ses motifs si la mesententegrave entre le demandeur et le defendeur pouvait entrainer l'exclusion decelui-ci, l'arret n'est pas regulierement motive (violation de l'article149 de la Constitution).

Seconde branche

1. Aux termes de l'article 636 du Code des societes, un ou plusieursactionnaires possedant ensemble, soit des titres representant 30 p.c. desvoix attachees à l'ensemble des titres existants, soit des actions dontla valeur nominale ou le pair comptable representent 30 p.c. du capitalde la societe, peuvent demander en justice, pour de justes motifs, qu'unautre actionnaire leur cede les actions qu'il detient dans la memesociete.

Le legislateur impose donc au demandeur qui entend exclure un associe lademonstration de justes motifs.

Cette notion n'a pas ete dotee d'une definition legale et son appreciationest par consequent laissee aux cours et tribunaux, sous le controle delegalite de la Cour de cassation.

Une jurisprudence constante enseigne à cet egard que les justes motifs ausens de l'article 636 du Code des societes ne se definissent pas parreference à un comportement fautif de l'associe dont l'exclusion estpostulee ; la mesintelligence grave et permanente ne doit pas necessairement proceder d'une faute ou d'un abus mais peut resulter decirconstances objectives ou de divergences de vues trop radicales pourenvisager la poursuite d'une activite en commun entre les partiesantagonistes sans que l'une d'entre elles soit plus à blamer que l'autre. Telle est clairement la volonte du legislateur (voir Doc. Parl.,Senat, 1993-1994, nDEG 1086-2, p. 427 : « la cession forcee, tout commele retrait contentieux organise à l'article 190quater, apparaitront [...]davantage comme le constat d'une situation de fait plutot que comme unesanction »).

Ainsi, la Cour a admis - certes en matiere de retrait force mais cet enseignement vaut par analogie en matiere d'exclusion forcee - que «cette procedure a pour objet de resoudre les situations conflictuellesqui mettent en peril les interets fondamentaux ou la continuite del'entreprise ou, plus generalement, de resoudre les situations de mesentente grave entre les associes. Elle n'implique pas que le demandeurdemontre l'existence d'une faute dans le chef des actionnaires contrelesquels il dirige son action » (Cass., 19 fevrier 2009, C.07.0171.F - C.07.0514.F) et que « cette condition (l'existence de justes motifs)n'implique pas necessairement l'existence d'un comportement fautif ouillicite specifiquement imputable à l'associe cite en reprise de partset auquel l'associe demandeur est etranger» (Cass., 16 mars 2009,C.08.0047.N).

Il est donc constant que la mesintelligence entre associes peut constituerun juste motif justifiant l'exclusion d'un associe, si elle estsuffisamment grave et persistante.

Enfin, la jurisprudence et la doctrine reconnaissent que c'est l'interetde la societe qui doit etre mis en avant et protege dans le cadre d'uneprocedure d'exclusion forcee.

2. En l'espece, l'arret considere qu' « il est generalement admis queles justes motifs permettant l'exclusion d'un actionnaire sont lescirconstances par lesquelles, `vu le comportement ou la personnalited'une personne, le maintien de celle-ci en qualite d'actionnaire ne peutraisonnablement plus etre exige des autres actionnaires, des lors que cemaintien, sans rendre la survie de la societe necessairement impossible,l'expose à tout le moins à un danger serieux' ».

L'arret procede ensuite à l'analyse des « six circonstances quiconstitueraient, selon [le demandeur], les justes motifs devant permettrel'exclusion [du defendeur] », dont il decide d'emblee que « niisolement ni prises dans leur ensemble », elles ne « permettent de conclure que le comportement ou la personnalite [du defendeur] expose [ladefenderesse] à un danger injustifie ».

C'est exclusivement à l'aune de ce critere, associe à celui del'existence eventuelle d'une faute, que l'arret examine les conclusionsdu demandeur et considere que :

i) la revocation du demandeur en qualite d'administrateur n'etait pas« abusive » et « ne peut donc constituer un juste motif à l'appui dela demande d'exclusion [du defendeur] » ;

ii) les reserves faites quant aux conditions dans lesquelles le demandeura pu exercer son droit d'investigation individuel ne sont pas de natureà permettre de conclure « à de graves manquements au prejudice [dudemandeur] » ;

iii) les circonstances que le demandeur s'est porte caution jusqu'àconcurrence d'un montant deux fois plus eleve que le defendeur et qu'ilest intervenu aupres de BNP Paribas Fortis pour apurer le decouvert de ladefenderesse ne permettent pas de conclure à l'existence d'un « dangerserieux pour la societe et, des lors, d'un juste motif lie à lapersonnalite ou au comportement [du defendeur] » ;

iv) la circonstance d'avoir comptabilise une provision de 60.000 eurosdans les comptes 2009 pour couvrir des frais lies à des proceduresformellement introduites en 2010 ne presente pas de « danger particulier» pour la defenderesse ;

v) la procedure de designation d'un expert et la demande de mise soussequestre ne peuvent etre considerees comme « abusives » ;

vi) la retention par le defendeur des back-ups informatiques n'emporte pasde « danger » ou menace serieuse pour la societe et le fait qu'unactionnaire souhaite vendre sa participation ne veut pas dire que sapersonnalite ou son comportement fasse courir à la societe un « dangerserieux ».

Pour qu'il y ait un « juste motif » justifiant l'exclusion d'unactionnaire, l'arret exige ainsi, en substance i) que le comportement oula personnalite de cet actionnaire expose la societe à un danger serieuxou injustifie, ii) que soit demontre qu'il y a un « grave manquement auprejudice» de l'actionnaire demandeur en l'exclusion ou encore iii) quel'actionnaire dont l'exclusion est sollicitee pose des actes « abusifs».

3. En consequence, en ce qu'il rejette la demande d'exclusion formee parle demandeur à l'encontre du defendeur, pour le motif, d'une part, quela defenderesse n'etait pas soumise à un danger serieux et injustifieet, d'autre part, que les elements invoques par le demandeur ne seraientpas de nature à conclure à l'existence de « graves manquements auprejudice [du demandeur] », l'arret meconnait la notion legale de «juste motif », de meme que celle d'exclusion, cette derniere mesuren'etant pas conc,ue pour servir les interets de l'actionnaire demandeurde l'exclusion mais ceux de la societe.

L'arret viole par consequent l'article 636 du Code des societes.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

L'arret attaque n'ecarte expressement aucune des pieces deposees par ledefendeur et il ne se deduit pas de la circonstance qu'il ecarte desdebats les conclusions additionnelles et de synthese d'appel du defendeurdeposees au greffe de la cour d'appel le 20 avril 2012 qu'il ecarteegalement lesdites pieces ou certaines d'entre elles.

Le moyen ne conteste pas que, parmi les pieces deposees par le defendeur,figure l'arret de la huitieme chambre de la cour d'appel de Bruxelles du13 mars 2012.

L'arret attaque, qui reproduit les termes de cette piece, se fonde surcelle-ci et non sur les conclusions qu'il ecarte.

Le moyen manque en fait.

Sur le deuxieme moyen :

Est irrecevable le moyen qui n'a pas ete soumis au juge du fond ou dontcelui-ci ne s'est pas saisi de sa propre initiative, meme s'il est fondesur des dispositions legales d'ordre public ou imperatives, lorsque leselements de fait necessaires à son appreciation ne ressortent pas de ladecision attaquee ou des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard.

Le demandeur n'a ni sollicite devant la cour d'appel qu'en application del'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre preliminaire duCode de procedure penale, il soit sursis à statuer en raison de laplainte avec constitution de partie civile deposee par le defendeur nifait valoir que cette plainte penale etait de nature à avoir uneinfluence sur le jugement de l'action civile.

Les elements de fait necessaires à l'examen du moyen n'apparaissent pasde l'arret ou des autres pieces auxquelles la Cour peut avoir egard.

Le moyen est irrecevable.

Sur le troisieme moyen :

Quant à la seconde branche :

L'article 636, alinea 1er, du Code des societes dispose qu'un ou plusieursactionnaires possedant ensemble, soit des titres representant 30 p.c. desvoix attachees à l'ensemble des titres existants ou 20 p.c. si la societea emis des titres non representatifs du capital, soit des actions dont lavaleur nominale ou le pair comptable represente 30 p.c. du capital de lasociete, peuvent demander en justice, pour de justes motifs, qu'unactionnaire cede au demandeur ses actions et tous les titres qu'il detientet qui peuvent etre convertis ou donnent droit à la souscription ou àl'echange en actions de la societe.

Ces justes motifs doivent etre d'une nature telle que le maintien dans lasociete de l'actionnaire dont l'exclusion est demandee mette en peril lesinterets fondamentaux ou la continuite de l'entreprise.

Par les considerations reproduites au moyen, l'arret, qui examine les sixcategories de griefs imputes par le demandeur au defendeur, considereque certains de ces griefs ne sont pas etablis, que certains actes posesou procedures introduites par le defendeur n'ont pas ete detournes de leurfinalite au detriment de la societe ou du demandeur et, partant, ne sontpas de nature à porter atteinte aux interets de la societe et que lesautres actes poses ne mettent pas la societe en danger.

Ainsi, l'arret considere, par une appreciation en fait, qu'aucun de cesgriefs imputes par le demandeur au defendeur ne sont d'une gravite telleque le maintien dans la societe du defendeur mette en peril les interetsfondamentaux ou la continuite de l'entreprise.

Des lors, l'arret, qui considere que les « six circonstances quiconstitueraient, selon [le demandeur] les justes motifs devant permettrel'exclusion [du defendeur] », « ni isolement ni prises dans leurensemble, ne permettent [...] de conclure que le comportement ou lapersonnalite [du defendeur] expose la [defenderesse] à un dangerinjustifie », ne viole pas l'article 636 du Code des societes.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la premiere branche :

Dans ses conclusions d'appel, le demandeur soutenait qu' « en l'espece,il n'est pas contestable qu'il existe de justes motifs suffisants pourfaire droit à la demande introduite [par le demandeur] » et, à l'appuide cette affirmation, exposait six categories de griefs, reprochant audefendeur notamment d'avoir rompu l'equilibre initialement instaure entreles deux associes ou encore d'avoir commis divers actes ou introduitdiverses procedures ayant eu pour but ou pour effet de porter atteinte àla situation financiere et au developpement des activites de ladefenderesse.

Des lors, contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, ledemandeur n'invoquait pas uniquement l'existence d'une mesentente graveentre associes à l'appui de sa demande, mais imputait egalement audefendeur plusieurs manquements precis de nature à leser les interets dela societe, sans preciser si les griefs allegues constituaient,individuellement ou pris dans leur ensemble, de justes motifs de nature àfonder la demande.

L'arret, qui, par les considerations, vainement critiquees par la secondebranche du moyen, examine ces griefs et apprecie s'ils sont demontres ousont de nature à fonder, individuellement ou pris dans leur ensemble, lademande, ne meconnait pas la foi due aux conclusions du demandeur, viseesau moyen, en cette branche, et repond, en les contredisant, auxditesconclusions.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de neuf cent nonante-huit eurosnonante-quatre centimes envers la partie demanderesse et à la somme dedeux cent septante-deux euros soixante-quatre centimes envers la premierepartie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, le president de section AlbertFettweis, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et SabineGeubel, et prononce en audience publique du vingt et un mars deux millequatorze par le president Christian Storck, en presence de l'avocatgeneral Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia DeWadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+-------------+----------------|
| M. Lemal | A. Fettweis | Chr. Storck |
+------------------------------------------------+

21 MARS 2014 C.13.0248.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.13.0248.F
Date de la décision : 21/03/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-03-21;c.13.0248.f ?
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