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28/03/2014 | BELGIQUE | N°C.13.0163.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 28 mars 2014, C.13.0163.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0163.F

B. M., notaire,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

1. A. T., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de M. A.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de dom

icile,

2. MOSANE, societe anonyme dont le siege social est etabli à Bruxelles,rue de la Chancellerie, 2...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.13.0163.F

B. M., notaire,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

1. A. T., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de M. A.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

2. MOSANE, societe anonyme dont le siege social est etabli à Bruxelles,rue de la Chancellerie, 2/2,

3. GROUPEMENT FINANCIER LIEGEOIS, societe anonyme dont le siege socialest etabli à Bruxelles, rue de la Chancellerie, 2/2,

defenderesses en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 25 octobre 2012par la cour d'appel de Liege.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.

L'avocat general Andre Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 17 du Code judiciaire ;

- article 16, 17, 18, 19, 20, 40, 49, 51, 57 et 99 de la loi du 8 aout1997 sur les faillites ;

- articles 1134, 1135, 1142, 1145, 1151, 1153, 1382 et 1383 du Codecivil ;

- article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

L'arret decide que « [le defendeur] qualitate qua exerce bien, par la presente action, les droits qui sont communs à la masse des creanciers »et conclut en consequence que son action est recevable. L'arret confirmeensuite en toutes ses dispositions le jugement entrepris ayant declarecette action fondee et ayant condamne le demandeur à payer à lacuratelle la somme de 83.151,30 euros, majoree des interets aux tauxlegaux depuis le 29 aout 2007, ainsi que les depens.

L'arret se fonde notamment sur les motifs selon lesquels :

« Le [demandeur] conteste la recevabilite de l'action du curateur,arguant que celui-ci agit en reparation d'un dommage qui ne serait pascommun à l'ensemble des creanciers.

Il ne peut etre suivi.

Le curateur a qualite pour exercer les droits qui sont communs à la massedes creanciers. Sont communs à l'ensemble des creanciers d'une faillite,les droits resultant de dommages causes par la faute de toute personnequi a eu pour effet d'aggraver le passif de la faillite ou d'en diminuerl'actif. En raison du dommage cause à la masse des biens et des droitsqui forment le gage commun des creanciers, cette faute est la cause d'unprejudice collectif pour ceux-ci et lese des droits qui leur sont, parnature, communs (Cass.,

5 decembre 1997, R.C.J.B., 2000, pp. 20 et suivantes).

Il en resulte que les fautes entrainant tant une diminution de l'actifqu'une aggravation du passif sont considerees comme constitutives d'unprejudice collectif et relevent de la competence du curateur.

En l'espece, le comportement reproche au [demandeur], à savoir le fait dene pas avoir tenu compte des oppositions amiables qui lui ont eteadressees par Maitre R., a eu pour effet d'aggraver le passif de lafaillite. En effet, si les [defenderesses] avaient pu beneficier del'effet de l'opposition amiable faite en leurs noms, elles auraientobtenu, avant la faillite, à tout le moins, une partie de leur du etelles ne figureraient pas au rang des creanciers chirographaires ou, àtout le moins, auraient introduit une declaration de creance pour desmontants nettement moindres que ceux qui ont ete declares. La passif dela faillite serait en consequence moindre que ce qu'il est.

Par ailleurs, et comme l'a releve le premier juge, dans l'hypothese ou les[defenderesses] n'auraient pu recevoir leur du avant la faillite, lesfonds en litige auraient ete verses à la curatelle, comme ont du resteete verses les 23.489,50 euros dont question dans la declaration de tierssaisi faite par le [demandeur] le 11 septembre 2007. L'actif de lafaillite doit, dans cette hypothese, etre considere comme etant diminue.

Il suit des considerations qui precedent que [le defendeur] qualitate quaexerce bien, par la presente action, les droits qui sont communs à lamasse des creanciers et que son action est recevable »,

et sur les motifs selon lesquels :

« Cette faute a cause prejudice aux [defenderesses], prejudice dont lareparation doit à present, en raison du concours entre les differentscreanciers resultant de l'etat de faillite de M. A., etre poursuivie parle curateur.

En effet, si le [demandeur] avait tenu compte des oppositions amiables quilui ont ete adressees et avait laisse aux [defenderesses] un delairaisonnable pour faire proceder aux saisies-arrets conservatoiresannoncees en cas de refus du vendeur, la somme de 83.151,30 euros n'aurait pas disparu avec M. A. et aurait permis d'apurer une partie desdettes de ce dernier vis-à-vis des [defenderesses].

Le passif de la faillite de M. A. etant aggrave par la presence descreances declarees par les [defenderesses], le comportement fautif du[demandeur] a cause un dommage à la masse faillie, dommage qu'il est tenude reparer.

Le montant de la reclamation formulee par [le defendeur] qualitate quan'est, en tant que tel, pas conteste, pas plus que ne l'est le liencausal entre le dommage subi et la faute imputee au notaire ».

L'arret se fonde egalement sur les motifs du jugement entrepris, qu'ilfait siens, selon lesquels :

« [Le demandeur] souleve d'abord un argument d'irrecevabilite : lecurateur n'a pas qualite pour agir en reparation du dommage subi par lescreanciers individuels et, de plus, les faits qui lui sont reprochesn'ont pas eu pour effet d'aggraver le passif de la faillite ou d'endiminuer l'actif puisque, si l'immeuble a ete vendu, un prix est entre dans le patrimoine du vendeur. Le notaire n'est pas responsable du faitque les fonds n'ont pas pu etre retrouves trois mois et demi plus tardlorsque la faillite a ete declaree.

Sur le premier point, le curateur repond que le comportement incriminecause un prejudice à la masse : si les [defenderesses] avaient obtenuleur du, elles ne figureraient plus au rang des creanciers chirographaireset le passif, au jour du jugement declaratif de la faillite, seraitlargement inferieur à ce qu'il est.

Le tribunal partage cette analyse, ajoutant que si les [defenderesses] n'avaient pu recevoir leur du avant la faillite à defaut de titreexecutoire, les fonds ici en litige auraient ete verses à la curatelle,comme l'ont d'ailleurs ete les 23.489,50 euros que le notaire avaitconserves et auraient profite à la masse, puisque les [defenderesses] nebeneficient d'aucun droit preferentiel sur ces montants.

Quant au second point, que le demandeur lie egalement à une question derecevabilite compte tenu de l'incidence des faits sur l'actif de lafaillite, le tribunal considere qu'il s'agit d'un probleme de fond : lecomportement du vendeur, qui s'est soustrait à ses creanciers en faisantdisparaitre le produit de la vente, releve de la problematique du dommage et du lien causal.

Enfin, les considerations du [demandeur] quant à l'existence d'autresprocedures qu'aurait pu entamer le curateur (notamment une actionpaulienne contre le frere du failli, acheteur du bien) sont sans interet.Chacun a le choix de la procedure qu'il veut mener et ce choix n'a enprincipe pas d'incidence sur la recevabilite de l'action choisie. Letribunal n'aperc,oit pas en quoi il en aurait ici.

L'action sera donc declaree recevable »,

et, enfin, sur les motifs selon lesquels :

« La faute etant reconnue, reste à demontrer le dommage.

Les [defenderesses] ne produisent pas les jugements qui ont consacre leursdroits dans le cadre du litige locatif. Toutefois, ces jugements,prononces le 25 octobre 2007 et le 5 novembre 2007, ont ete annexes à ladeclaration de creance adressee au curateur.

Le tribunal peut considerer, aucune partie ne pretendant le contraire, queces creances ont ete admises au passif et que les chiffres qui figurentdans les declarations correspondent aux jugements prononces.

Il en resulte que les fonds verses par [le demandeur] au curateur enseptembre 2008 sont largement inferieurs aux montants qu'auraient dupercevoir ces creanciers ou le curateur (puisque les fonds n'auraientpeut-etre pas pu etre liberes avant la date de la declaration de lafaillite), de sorte que le dommage correspond bien aux sommes encaisseespar M. A. au mepris des droits de ses bailleurs.

Le montant de la reclamation n'est d'ailleurs pas, comme tel, discute parle [demandeur].

Le lien causal ne l'est pas davantage, si ce n'est par l'observationformulee dans le cadre de l'argument d'irrecevabilite (ce qu'a fait M. A.de l'argent n'incombe pas au notaire). Il est clair, cependant, que, siun delai avait ete accorde aux opposantes pour qu'elles formalisent leursaisie, elles n'y auraient pas manque. La date de la saisie operee pour[la deuxieme defenderesse] demontre qu'elle l'aurait fait. Rien ne permetde penser que, dument averti du delai qui aurait ete offert, l'huissiern'aurait pas procede de meme pour [la premiere defenderesse]. L'argentn'aurait donc pas disparu avec M. A. ».

L'arret deduit, en substance, de ce qui precede que « l'action [dudefendeur] qualitate qua demeure fondee et que l'appel du [demandeur] estnon fonde ».

Griefs

Premiere branche

1. La mission generale du curateur consiste à poursuivre la realisationde l'actif du failli et à distribuer le produit de cette realisation.

Lorsqu'il agit en justice pour le compte de l'ensemble des creanciers dufailli, le curateur exerce les droits qui sont communs à ceux-ci maisnon les droits individuels appartenant à chacun d'eux, lors meme que cesdroits individuels seraient cumules.

La Cour, dans son arret du 4 fevrier 2011 (Pas., 2011, 427), a en outre precise que, si le curateur ne pouvait pretendre à l'indemnisation d'undommage collectif subi par la masse, sa demande devait etre rejetee.

Selon la Cour, sont consideres comme communs à l'ensemble des creanciers, les droits resultant du dommage cause par la faute de toutepersonne qui a eu pour effet d'aggraver le passif de la faillite ou d'endiminuer l'actif (Cass., 2 mars 1995, J.L.M.B., 1995, 1205, note Cl.Parmentier ; Pas., 1995, I, 250, avec les conclusions de madame leprocureur general Liekendael, alors avocat general ; Cass., 5 decembre 1997, Pas., 1997, I, 1355, avec les conclusions de monsieur l'avocatgeneral Spreutels ; R.D.C.B., 1998, 523 ; R.W., 1998-1999, 817 ; T.R.V.,1998, 268, obs. Vananroye ; R.C.J.B., 2000, 20, note Bosly, « Prejudicecollectif ou individuel : un modele adequat pour delimiter les pouvoirsd'agir du curateur et des creanciers d'agir en responsabilite contre untiers ? » ; Cass., 19 octobre 1999, Pas., 1999, I, 1349; T.R.V., 2000,457, obs. Vananroye).

Les consequences de cet enseignement sont cependant en partiecontroversees, plusieurs auteurs considerant que, pour s'ajuster auxlimites de sa mission, telles qu'elles lui sont assignees par lesarticles 16, 17, 18, 19, 20, 40, 49, 51, 57 et 99 de la loi du 8 avril1997 sur les faillites, le monopole d'action en justice reconnu aucurateur ne peut exceder la poursuite de la reparation d'une atteintefautive aux actifs appartenant au failli, l'aggravation du passif nepouvant engendrer, en principe, que des prejudices individuels (voirdejà J. Heenen, « Le curateur peut-il exercer, au nom des creanciers, une action en responsabilite contre un tiers dont la faute a cause unediminution de l'actif ou une aggravation du passif de la masse ? », notesous Cass., 12 fevrier 1981, R.C.J.B., 1983, pp. 32 et ss. ; L. Simont etA. Bruyneel, « Chronique de droit bancaire », Rev. Banque, 1979, 715 ;M. Gregoire, Theorie generale du concours des creanciers en droit belge,p. 102, nDEG 168 ; C. Van Buggenhout et O. Clevenbergh, « L'action en responsabilite pour aggravation du passif, prejudice collectif et cumul deprejudices individuels : tentative d'eclaircissement », R.D.C.B., 1995,pp. 536 et ss.) ou, à tout le moins, d'une aggravation du passif de lamasse uniquement (M. Gregoire, « Aggravation du passif - Prejudicecollectif », R.D.C.B., 1998, 198).

Cette derniere interpretation parait, en effet, la seule compatible avecla portee de l'article 17 du Code judiciaire qui, dans l'etat actuel dudroit positif belge, ignore, en principe, les actions collectives (hormisdans une certaine mesure pour l'action en comblement de passif), ainsiqu'avec les principes regissant la reparation du dommage tant en matierecontractuelle qu'en matiere extracontractuelle, qui imposent, pour l'application des articles 1134, 1135, 1142, 1145, 1151, 1153, 1382 et1383 du Code civil, que ce soit tout le dommage personnel de la victime -ni plus ni moins, fut-ce en fonction de l'existence ou non d'autresvictimes de la meme faute - qui rec,oive reparation.

La Cour, elle-meme, s'exprime en des termes qui invitent à favoriser cette voie. Aussi decide-t-elle, par son arret du 24 octobre 2002, que :

« La mission generale du curateur est de realiser l'actif du failli et derepartir les fonds recueillis ; le curateur qui agit en droit au nom dela masse exerce les droits communs de tous les creanciers.

Les droits communs des creanciers sont les droits qui resultent duprejudice cause par la faute d'autrui qui augmente la passif ou diminuel'actif de la faillite.

Un tel prejudice peut egalement decouler de la faute d'autrui à la suitede laquelle l'actif qui aurait du se trouver à la disposition descurateurs ne se trouve pas reellement dans la masse.

Il est ainsi porte atteinte à la confiance legitime des creanciers quantà l'etendue de leurs droits de recours sur le patrimoine du failli.

Le curateur est habilite à reclamer des dommages interets du chef de ce prejudice ».

Seule l'atteinte à l'actif est ainsi visee.

L'arret de la Cour du [10 decembre 2008] enonce encore que :

« Sont communs à l'ensemble des creanciers les droits resultant dudommage cause par la faute de toute personne qui a eu pour effetd'aggraver le passif de la faillite ou d'en diminuer l'actif. En raisondu dommage ainsi cause à la masse des biens et droits qui forment legage commun des creanciers, cette faute est la cause d'un prejudicecollectif pour ceux-ci et lese des droits qui leur sont, par nature,communs » (J.L.M.B., 2009, 724).

Pour causer un dommage à la masse des biens et droits qui forment le gagecommun, l'aggravation du passif doit concerner des dettes de la masse,car n'aurait pas cet effet l'aggravation du passif dans la masse, quilaisse indemne la consistance du gage commun.

2. En l'espece, il ressort des motifs repris au moyen que l'arret accueille la demande du defendeur pour la raison que le comportementreproche au demandeur, « à savoir le fait de ne pas avoir tenu comptedes oppositions amiables qui lui ont ete adressees par Maitre R., a eupour effet d'aggraver le passif de la faillite ».

L'arret deduit cette consideration des constatations suivantes (i) « siles [defenderesses] avaient pu beneficier de l'effet de l'oppositionamiable faite en leurs noms, elles auraient obtenu, avant la faillite, àtout le moins, une partie de leur du et elles ne figureraient pas au rangdes creanciers chirographaires ou, à tout le moins, auraient introduitune declaration de creance pour des montants nettement moindres que ceuxqui ont ete declares » ; (ii) la faute du demandeur « a cause unprejudice aux [defenderesses], prejudice dont la reparation doit à present, en raison du concours entre les differents creanciers resultantde l'etat de faillite de M. A., etre poursuivie par le

curateur » ; (iii) « le passif de la faillite de M. A. etant aggrave parla presence des creances declarees par [les defenderesses], lecomportement fautif du [demandeur] a cause un dommage à la massefaillie, dommage qu'il est tenu de reparer ».

Si, de la sorte, l'arret releve que les defenderesses ont subi un prejudice propre en raison d'une situation qu'il impute à la faute dudemandeur, il ne constate en aucun de ses motifs, en revanche, en quoil'aggravation du passif aurait porte atteinte au gage commun descreanciers ni pour quelle raison il s'agirait d'une aggravation du passifde la masse.

3. En consequence, l'arret, qui accueille la demande du defendeur contrele demandeur sur la base des seules constatations qui precedent, d'ou ilne ressort nullement que le prejudice invoque est commun à l'ensembledes creanciers, meconnait, la notion legale de prejudice collectif(violation de toutes les dispositions legales visees au moyen, hormisl'article 149 de la Constitution).

Deuxieme branche

1. Il est constant que la contradiction des motifs equivaut à une absencede motifs au regard de l'article 149 de la Constitution.

2. En l'espece, l'arret enonce, d'une part, que « n'est, en tant quetel, pas conteste [...] le lien causal entre le dommage subi et la fauteimputee au notaire », d'autre part, que le lien causal est neanmoinsconteste « par l'observation formulee dans le cadre de l'argumentd'irrecevabilite (ce qu'a fait M. A. de l'argent n'incombe pas aunotaire) ».

L'arret n'a pu, sans se contredire, considerer à la fois que le demandeurn'a pas conteste le lien de causalite et qu'il l'a fait par au moins uneobservation de ses conclusions.

Cette contradiction n'est pas depourvue d'influence decisoire sur ledispositif car la question de l'existence ou non d'un lien de causaliteest bien entendu pertinente pour la solution du litige.

3. En consequence, en ce qu'il repose sur des motifs contradictoires,l'arret n'est pas regulierement motive (violation de l'article 149 de laConstitution).

Troisieme branche

1. S'agissant du lien de causalite, il est constant qu'il appartient à lapartie qui reclame la reparation d'un dommage ou qui met en cause laresponsabilite d'une partie d'apporter la preuve de l'existence du liencausal entre la faute et le dommage tel qu'il s'est realise in concreto(Cass.,

13 octobre 1995, Pas., 1995, I , 917 ; Cass., 1er avril 2004, Pas.,2004, I, 527, avec les conclusions de monsieur l'avocat general Th.Werquin).

Si le juge du fond apprecie souverainement, en fait, l'existence d'un liende causalite entre l'acte illicite et le dommage, la Cour de cassationdoit cependant controler si le juge a pu legalement deduire de cesconstatations l'existence de pareil lien de causalite (Cass., 12 janvier1988, Pas., 1988, I, 1086 ; Cass., 30 avril 2003, Pas., 2003, 905).

Il est constant egalement que, selon la theorie de l'equivalence desconditions, le juge a l'obligation de verifier si la causalite estcertaine.

Il ne peut s'agir de conjectures ou d'hypotheses ; il doit constater qu'àdefaut de faute, il est certain que le dommage n'aurait pas eu lieu(Cass.,

17 fevrier 1992, Pas., 1992, I, 534). Le juge ne peut, à cet egard,modifier les circonstances dans lesquelles le dommage est survenu. Il nepeut donc reconstituer la situation en imaginant d'autres hypotheses quecelle qui s'est effectivement produite.

2. En l'espece, l'arret part de la constatation que la faute du demandeurconsiste en son defaut d'avoir prevenu, « avant la passation de l'acteauthentique de vente, Maitre R. du refus de M. A. de tenir compte des oppositions amiables des [defenderesses] afin de lui permettre deregulariser la situation par une saisie-arret conservatoire en bonne etdue forme » et de n'avoir pas permis « aux [defenderesses] deproceder, à bref delai, à une saisie-arret conservatoire en bonne etdue forme ».

L'arret etablit ensuite le lien causal avec le dommage en se fondant surle raisonnement selon lequel « si le [demandeur] avait tenu compte desoppositions amiables qui lui ont ete adressees et avait laisse aux[defenderesses] un delai raisonnable pour faire proceder auxsaisies-arrets conservatoires annoncees en cas de refus du vendeur, lasomme de 83.151,30 euros n'aurait pas disparu avec M. A. et aurait permisd'apurer une partie des dettes de ce dernier vis-à-vis des[defenderesses] ».

De la sorte, l'arret reconstitue la situation en imaginant une situation hypothetique au lieu de se baser sur les faits tels qu'ils se sontreellement deroules. En effet, en l'espece, l'arret, afin de determinersi le dommage se serait produit sans la faute du demandeur, ne procedepas uniquement au remplacement du comportement fautif, à savoir ne pasavoir laisse du temps pour les creanciers de pratiquer une saisie-arretconservatoire, par le comportement licite, à savoir laisser un delairaisonnable pour que les creanciers aient l'occasion de pratiquer unesaisie-arret conservatoire, mais retient, en realite, de puressupputations, selon lesquelles les saisies-arrets esperees se seraientproduites en temps utile, valablement et efficacement, et auraient permisd'apurer une partie des dettes de M. A. vis-à-vis des defenderesses, ouencore que « les fonds n'auraient peut-etre pas pu etre liberes avant ladate de la declaration de la faillite », prononcee plusieurs mois plustard, de sorte qu'ils auraient pu etre verses à la curatelle.

Ces motifs gomment les effets de plusieurs aleas dont ils admettentpourtant l'existence. Le sort des eventuelles saisies-arrets et leseffets qu'elles auraient pu produire ou non en fonction de contestationspossibles, de meme que les modalites d'une eventuelle distribution desavoirs saisis ne peuvent etre qu'hypotheses. Or, l'arret ne se limite pasà envisager la reparation de la perte d'une chance et neglige d'inviterles parties à debattre de ce que pourrait etre la mesure d'une telleperte, non reclamee comme telle par le defendeur. En definitive, l'arretaccorde la reparation du dommage invoque par le curateur, dont il nepouvait etre affirme qu'il ne se serait pas produit tel qu'il s'est produit sans la faute.

3. En consequence l'arret, qui accueille la demande du defendeur à l'encontre du demandeur sur la base des constatations et considerationsqui precedent, meconnait la notion legale de lien de causalite.

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

La mission generale du curateur est de realiser l'actif du failli et dedistribuer les deniers qui proviendraient de la realisation de cet actif.

Lorsque le curateur agit en justice au nom de la masse, il exerce lesdroits qui sont communs à l'ensemble des creanciers.

Les droits communs à l'ensemble des creanciers sont les droits resultantde dommages causes par la faute de toute personne qui a eu pour effetd'aggraver le passif de la faillite ou d'en diminuer l'actif. En raison dudommage qui est ainsi cause à la masse des biens et droits quiconstituent le gage commun des creanciers, cette faute est la cause d'unprejudice collectif pour ces creanciers et elle porte atteinte aux droitsque ceux-ci, eu egard à leur nature, ont en commun.

Pour causer un dommage à la masse des biens et droits qui constituent legage commun des creanciers, la faute ne doit pas necessairement entrainerune aggravation du passif de la masse.

Le moyen, qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutenementcontraire, manque en droit.

Quant à la troisieme branche :

La consideration du jugement du premier juge, que s'approprie l'arret, que« les fonds n'auraient peut-etre pas pu etre liberes avant la date de lafaillite » est relative à la determination de la hauteur du dommage subiet ne concerne pas la decision de l'arret, critiquee par le moyen, encette branche, et relative à l'existence d'un lien de causalite entre lafaute imputee au demandeur et le dommage subi.

Pour le surplus, l'arret decide, sans etre critique, que le demandeur acommis une faute en ne prevenant pas, « avant la passation de l'acteauthentique de vente, Maitre R. du refus de M. A. de tenir compte desoppositions amiables afin de lui permettre de regulariser la situation parune saisie-arret conservatoire en bonne et due forme », en ne postposantpas « de quelques jours, voire quelques heures, la signature de l'acte »et, le cas echeant, « tout en maintenant la signature de l'acte au 29aout 2007 selon les volontes de son client, [en n'indiquant pas] à MaitreR. un delai au-delà duquel il cesserait de tenir compte des oppositionsen l'absence de saisies-arrets regulierement pratiquees ».

Il considere, par appropriation des motifs du jugement du premier juge,qu'il est clair « que, si un delai avait ete accorde aux [defenderesses]pour qu'elles formalisent leur saisie, elles n'y auraient pas manque. Ladate de la saisie operee pour [la deuxieme defenderesse] demontre qu'ellel'aurait fait. Rien ne permet de penser que, dument averti du delai quiaurait ete offert, l'huissier n'aurait pas procede de meme pour la[premiere defenderesse]. L'argent n'aurait pas disparu avec M. A. ».

Il considere egalement, par des motifs propres, que si le demandeur« avait tenu compte des oppositions amiables qui lui ont ete adressees etavait laisse aux [defenderesses] un delai raisonnable pour faire procederaux saisies-arrets conservatoires annoncees en cas de refus du vendeur, lasomme de 83.151,30 euros n'aurait pas disparu avec M. A. et aurait permisd'apurer une partie des dettes de ce dernier vis-à-vis des[defenderesses] ».

Il resulte de ces considerations que l'arret tient pour certain que, siles defenderesses avaient ete informees en temps utile du refus de M. A.de tenir compte des oppositions amiables notifiees en leurs noms, ellesauraient fait proceder aux saisies-arrets conservatoires annoncees en casde refus du vendeur et, partant, que, contrairement à ce que soutient lemoyen, en cette branche, l'arret ne deduit pas l'existence d'un liencausal entre la faute imputee au demandeur et le dommage subi d'unesituation hypothetique.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la deuxieme branche :

Par les considerations reproduites dans la reponse à la troisieme branchedu moyen et vainement critiquees par celle-ci, l'arret examine l'existenced'un lien causal entre le dommage subi et la faute imputee au demandeur.

Ces considerations suffisent à fonder la decision de l'arret que ce liencausal est etabli.

Dirige contre des considerations surabondantes, le moyen, qui, en cettebranche, ne saurait entrainer la cassation, est denue d'interet, partant,est, comme le soutient le defendeur, irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de mille deux cent nonante-deux eurosvingt-sept centimes envers la partie demanderesse et à la somme de quatrecent trente euros quarante centimes envers la premiere partiedefenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, et prononce enaudience publique du vingt-huit mars deux mille quatorze par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Andre Henkes, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
+------------------------------------------------+

28 MARS 2014 C.13.0163.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.13.0163.F
Date de la décision : 28/03/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-03-28;c.13.0163.f ?
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