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11/04/2014 | BELGIQUE | N°C.12.0242.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 avril 2014, C.12.0242.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.12.0242.F

1. P. H.,

2. M. M.,

3. MELCHIOR, societe en commandite simple dont le siege social est etablià Liege, quai Godefroid Kurth, 30,

4. F. K., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de lasociete anonyme Polo & Marco, dont le siege social est etabli à Aywaille(Harze), Pavillon champs, 47,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de do

micile,

contre

1. BNP PARIBAS, societe de droit franc,ais dont le siege est etabli àParis (IXe arr...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.12.0242.F

1. P. H.,

2. M. M.,

3. MELCHIOR, societe en commandite simple dont le siege social est etablià Liege, quai Godefroid Kurth, 30,

4. F. K., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de lasociete anonyme Polo & Marco, dont le siege social est etabli à Aywaille(Harze), Pavillon champs, 47,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

1. BNP PARIBAS, societe de droit franc,ais dont le siege est etabli àParis (IXe arrondissement) (France), boulevard des Italiens, 16, et ayanten Belgique une succursale etablie à Bruxelles, Montagne du Parc, 3,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile,

2. MOSANE, societe anonyme dont le siege social est etabli à Liege, placede la Republique franc,aise, 41,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Anvers, Amerikalei, 187/302, ou il est faitelection de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 5 janvier 2012par la cour d'appel de Liege.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

Les demandeurs presentent deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- articles 1166, 1382 et 1383 du Code civil ;

- articles 7 et 8 de la loi hypothecaire du 16 decembre 1851 ;

- articles 17 et 18 du Code judiciaire ;

- articles 11, 16 à 20, 24, 27, 40 à 60, 62 à 72, 75 et 99 de la loi du8 aout 1997 sur les faillites ;

- articles 2, S: 2, 437, 460, 476 et 485 du Code des societes.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir rappele les theses defendues respectivement par les parties enconclusions et constate, en substance, que « [les demandeurs] agissentsur pied de la responsabilite quasi-delictuelle [des defenderesses] enleur qualite de tiers aux contrats de mandat conclus entre, d'une part,Neuroplanet et [la premiere defenderesse] (mandat d'IPO), d'autre part,Neuroplanet et [la seconde defenderesse] (mandat d'administrateur) » ;que, selon les demandeurs, « [les defenderesses] se sont renduescoupables de dol dans le cadre de l'execution des contrats de mandat(articles 1150 et 1151 du Code civil) [et que] le defaut d'executionloyale de ces mandats a cause la faillite de Neuroplanet, laquelle aelle-meme engendre un prejudice dans le chef des [demandeurs]en leursqualites d'actionnaires et associes remuneres »,

l'arret decide qu'au jour de la citation introductive d'instance, lesdemandeurs etaient sans qualite pour agir à l'encontre des defenderessesen reparation de leur prejudice subi à la suite de la faillite deNeuroplanet et consistant en la perte de valeur des actions dont ilsetaient proprietaires et declare, partant, la demande originaireirrecevable.

Cette decision se fonde sur les motifs suivants :

« Il convient de rappeler que, `selon la Cour de cassation, lorsque lafaute d'un tiers cause un prejudice collectif, à savoir une augmentationdu passif de la faillite ou une diminution de son actif, les droitsdecoulant de ce dommage sont communs aux creanciers. La demande introduitependant la faillite par un creancier individuel tendant à obtenirreparation de sa part dans le prejudice collectif est des lorsirrecevable. Notons qu'en cours de faillite, le curateur est le seul àrepresenter le prejudice collectif cause à la masse des creanciers, lecreancier isole ne pouvant agir que pour son prejudice propre' (I.Verougstraete, Manuel de la continuite des entreprises et de la faillite,Waterloo, Kluwer, 2011, 346).

` [...] La qualite est, lorsque l'action est intentee par la personne quipretend etre titulaire d'un droit substantiel, le titre juridique en vertuduquel cette personne agit en justice, c'est-à-dire le lien de droitexistant entre elle - sujet actif ou passif de l'action - et l'objet de sademande, le droit subjectif qu'elle allegue.

Cette definition permet ainsi de considerer que la qualite est bien unecondition liee à l'existence de l'action et non liee au fond.

En effet, ce qui compte pour conferer à une partie la qualite, ce n'estpas que la pretention alleguee soit ou non fondee en droit, mais bienqu'il existe entre celui qui agit et le droit subjectif qu'il invoque unlien de droit autorisant cette partie, non à en beneficier, mais à s'enprevaloir.

[...] C'est ce qu'affirmait dejà Giverdon lorsqu'il ecrivait que laqualite est l'element qui, dans chaque hypothese, vient preciser lalegitimite du droit d'action et cela, par reference à la questionsubstantielle sur laquelle porte le litige.

La qualite derive donc d'un droit substantiel. Elle est l'expression de larelation particuliere entre la contestation, d'une part, et la situationjuridique du demandeur ou du requerant, d'autre part.

Ces elements etant ainsi precises, encore convient-il de determiner enquoi consiste precisement ce lien de droit conferant le titre juridiquerequis pour etre qualifie à agir.

Quelques exemples tires de la jurisprudence permettront de l'illustrer.

[...] Sont, en revanche, depourvus du droit d'agir en raison d'un defautde qualite, c'est-à-dire de titre juridique etablissant un lien entreleur personne et le droit subjectif allegue, et ce, à supposer memequ'ils etablissent dans leur chef l'existence d'un interet direct etpersonnel : [...] les creanciers individuels, lorsqu'ils entendent mettreen oeuvre la responsabilite d'un tiers pour un prejudice « collectif »,une fois la faillite declaree, le curateur ayant seul qualite pour cefaire.

[...] L'article 17 du Code judiciaire disposant que « l'action ne peutetre admise si le demandeur n'a pas qualite et interet pour la former »doit par consequent, à notre estime, faire l'objet d'une double lecture :

- « L'action ne peut etre admise si le veritable demandeur n'a pasqualite et interet à agir ». Il s'agit de la premiere dimension de laqualite : la qualite-titre, condition de l'action ;

- « La demande ne peut etre admise si le demandeur formel n'a pas qualitepour la former ». C'est ici la seconde dimension de la qualite : laqualite-pouvoir, condition de la demande [...].

La qualite-titre est « le titre en vertu duquel une personne agit enjustice, c'est-à-dire le lien de droit existant entre elle - sujet actifou passif de l'action - et l'objet de sa demande, le droit subjectifqu'elle allegue » [...].

La sanction du defaut de qualite est l'irrecevabilite de l'action, sonexigence se rattache effectivement à l'existence meme de l'action.

La fin de non-recevoir deduite du defaut de qualite, dans le chef dudemandeur reel, est peremptoire.

Elle s'attaque au titre generateur de l'action, à la qualite meme de lapersonne qui intente celle-ci. Elle peut donc etre opposee en tout etat decause et meme pour la premiere fois en degre d'appel. L'action n'existepas.

Enfin, une fois l'action en justice declaree inexistante pour defaut dequalite, elle ne peut plus etre intentee, sauf à supposer l'acquisitionpar le demandeur reel de la qualite qui lui faisait defaut' (H. Boularbah,`La double dimension de la qualite, condition de l'action et condition dela demande en justice', R.G.D.C., 1997, pp. 58 - 97).

La recevabilite doit s'apprecier au moment de l'introduction de l'action,soit, en l'espece, le 6 mars 2003.

A cette date, Neuroplanet etait en faillite, celle-ci ayant ete declareepar jugement du 10 septembre 2001 qui a designe le quatrieme demandeur enqualite de curateur.

Le prejudice dont [les demandeurs] demandaient reparation en termes decitation introductive d'instance ne se distingue pas du prejudicecollectif subi par la masse des creanciers et le fait qu'au jour oucelle-ci a ete signifiee, la societe faillie n'avait pas ete indemnisee etn'avait ni tente d'obtenir reparation ni pu l'obtenir n'y change rien.

Par consequent, en date du 6 mars 2003, [les demandeurs] n'avaient pasqualite pour agir à l'encontre [des defenderesses] et leur action doitetre declaree non recevable ».

Griefs

1. D'une part, la victime d'une faute extracontractuelle a en principequalite et interet pour poursuivre en justice la reparation du prejudicequ'elle a personnellement subi en raison de cette faute (articles 17, 18du Code judiciaire, 1382 et 1383 du Code civil).

2. D'autre part, les actionnaires d'une societe anonyme, donc ses associes(articles 2, S: 2, 437, 760, 476 et 485 du Code des societes), ne sontpas, en regle, en tant que tels, ses creanciers au sens des articles 1166du Code civil, 7, 8 de la loi hypothecaire, 11, 16 à 20, 62 à 72 et 99de la loi sur les faillites.

Ils ne font donc pas, en regle, partie de la masse des creanciers dont lecurateur est l'organe (articles 11, 16, 24, 27, 40 à 60, 62, 63, 75 et 99de la loi sur les faillites).

3. Enfin, dans le cadre de sa mission generale de realisation des actifsdu failli et de repartition de leur produit entre les creanciers, lecurateur, qui exerce les droits collectifs de la masse des creanciers ouceux du failli, à l'instar d'un creancier agissant par voie oblique(article 1166 du Code civil), agit toujours dans l'interet des creancierset dans les limites de celui-ci (articles 11, 16, 24, 27, 40 à 60 -specialement 40, 51 et 57 -, 62, 63, 75, 99 de la loi sur les faillites et1166 du Code civil).

4. S'il est vrai à cet egard que le curateur a seul qualite, tant que lafaillite n'est pas cloturee, pour poursuivre la reparation du prejudicecollectif des creanciers et notamment pour agir en responsabilite contretout tiers dont la faute a contribue à diminuer l'actif ou à aggraver lepassif du debiteur failli, en sorte qu'un creancier ne pourrait agirindividuellement contre cette personne pour reclamer sa simple quote-partdans ce prejudice collectif, le monopole d'action du curateur ne paralyseque le droit d'action des creanciers dans l'interet desquels il doit agir(articles 11, 16, 24, 27, 40 à 60 - specialement 40, 51 et 57 -, 62, 63,75 et 99 de la loi sur les faillites).

Le monopole que la loi confere au curateur ne saurait donc faire obstacleà l'action en responsabilite introduite, comme en l'espece, non par uncreancier, mais par un actionnaire d'une societe anonyme faillie contre untiers dont la faute a contribue à emporter la faillite de cette societe,aux fins d'obtenir la reparation du prejudice resultant pour cetactionnaire de la perte de valeur de ses actions.

5. Il s'ensuit qu'en considerant que les demandeurs n'avaient pas qualitepour agir contre les defenderesses tant que la faillite de la societeanonyme Neuroplanet n'etait pas cloturee, au motif que le prejudice dontles demandeurs « demandaient la reparation en termes de citationintroductive d'instance ne se distingue pas du prejudice collectif subipar la masse des creanciers », l'arret :

1. confere au monopole d'action du curateur une portee qu'il n'a pas en cequ'elle excede la defense des interets collectifs de la masse descreanciers (violation des dispositions de la loi sur les faillites viseesau moyen et specialement des articles 16, 24, 40, 51, 57, 62, 63, 75 et99),

2. denie, à tout le moins, aux demandeurs la qualite et l'interet qu'ilsont pour agir en reparation du prejudice qu'ils ont subi personnellementen raison des fautes imputees aux defenderesses (violation des articles17, 18 du Code judiciaire et, pour autant que de besoin, 1382 et 1383 duCode civil),

3. à tout le moins, confere aux actionnaires d'une societe anonymefaillie une qualite de creanciers de celle-ci qu'ils n'ont pas (violationdes articles 2, S: 2, 437, 460, 476, 485 du Code des societes, 1166 duCode civil, 7, 8 de la loi hypothecaire, 11, 16 à 20, 62 à 72 et 99 dela loi sur les faillites),

4. et, partant, ne justifie pas legalement sa decision (violation detoutes les dispositions visees au moyen).

Second moyen

Dispositions legales violees

- articles 2244, 2247 et 2262bis du Code civil ;

- articles 807, 808 et 1042 du Code judiciaire.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir rappele, en substance, que « la demande nouvelle est lademande incidente par laquelle le demandeur etend ou modifie sa demandeoriginaire » ; qu'« alors que la demande additionnelle est celle qui,comme le definit l'article 808 du Code judiciaire, s'etend auxaccessoires, la demande nouvelle s'en prend à l'objet ou à la cause dela demande principale pour l'etendre ou la modifier » ; que, « commetoute demande, les demandes reconventionnelle et nouvelle doivent repondreaux conditions d'interet et de qualite prescrites aux articles 17 et 18 duCode judiciaire, qui doivent etre reunies dans le chef du demandeur » ;que « l'article 807 du Code judiciaire [...] comporte deux conditions derecevabilite : la premiere est celle des conclusions contradictoirementprises pour assurer le respect des droits de la defense ; la seconde deces conditions - deriver d'un fait ou d'un acte invoque dans l'acteintroductif - veut eviter toute surprise au defendeur en exigeant un lienprecis avec la demande originaire » ; que, « pour autant qu'il n'y aitpas lieu d'annuler l'acte introductif d'instance et que la demandeoriginaire relevat de la competence du juge saisi, le juge appele àapprecier la demande modifiee ou etendue est tenu de statuer sur cettedemande, sans devoir examiner la recevabilite et le fondement de lademande originaire (Cass.,

21 juin 2010, C.09.0067.N.) »,

et apres avoir decide qu'« en l'espece, [les demandeurs] ont, par voie deconclusions deposees au greffe le 12 fevrier 2010, demande la condamnation[des defenderesses] à les indemniser de la perte des plus-valuespotentielles attendues des investissements effectues », qu'« il s'agitd'une demande nouvelle qui repose sur des faits invoques en termes decitation ; que [les demandeurs] fondent leur demande sur les comportementsfautifs [des defenderesses] qui auraient provoque la faillite deNeuroplanet et entraine un prejudice important dans leur chef ; que cettedemande nouvelle a ete introduite à un moment ou la faillite deNeuroplanet etait cloturee, celle-ci etant intervenue le 10 fevrier2004 »,

et que, « par consequent, [les demandeurs] ont qualite pour former lademande nouvelle en indemnisation de la perte des plus-valuespotentielles ; qu'en effet, `si le curateur a seul qualite pour agir,durant la faillite, en reparation du prejudice collectif à la masse descreanciers, il en va autrement des la cloture de celle-ci ; que lescreanciers retrouvent alors leur droit d'agir en reparation de leurdommage propre, meme si ce dommage etait considere comme commun durant lafaillite' (T. Bosly, note sous Cass., 5 decembre 1997, R.C.J.B., 2000,44) »,

l'arret decide toutefois que cette demande, qu'il qualifie de nouvelle,est prescrite sur pied de l'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Codecivil, aux termes duquel, en derogation à ce qui est prevu par le premieralinea de cette disposition, « toute action en reparation d'un dommagefondee sur une responsabilite extracontractuelle se prescrit par cinq ansà partir du jour qui suit celui ou la personne lesee a eu connaissance dudommage ou de son aggravation et de l'identite de la personneresponsable ».

L'arret justifie cette decision, en substance, par les motifs suivants :

« Le 23 mai 2001, Neuroplanet a resilie le contrat de mandat de placementen reprochant à [la premiere defenderesse] de n'avoir pas mis tous lesmoyens en oeuvre en vue de realiser la mission qui lui etait confiee.

Lors du conseil d'administration du 29 mai 2001, il a ete expose que lemandat de placement avait ete resilie et qu'il convenait de s'interrogersur le non-respect de l'obligation de moyen par [la premieredefenderesse].

Au jour de la faillite, le 10 fevrier 2004, [les demandeurs] ont acquis lacertitude qu'aucune plus-value ne pouvait etre attendue desinvestissements qu'ils avaient effectues au sein de Neuroplanet.L'identite des responsables de leurs malheurs etait connue au jour ou ilsont introduit leur action en responsabilite à l'encontre [desdefenderesses], soit le 6 mars 2003.

[Les demandeurs] alleguent certes que la citation introductive d'instancevisait l'integralite du prejudice subi par eux du fait de la faillite deNeuroplanet, le dommage etant valorise à 50 p.c. de la valeurd'introduction des actions proposee au visa du C.O.B. et que le dommagereclame dans le cadre de cette demande nouvelle est le meme dommage,actualise, que celui initialement invoque en termes de citation.

[...] `La citation n'a pas pour effet d'interrompre la prescriptiond'autres dettes. Certes. Elle interrompt cependant non seulement laprescription de la demande qu'elle introduit mais egalement laprescription des demandes qui y sont « virtuellement comprises »,c'est-à-dire celles qui sont implicitement comprises dans l'objet de lademande originaire.

[...] Il s'agit de determiner quels sont les droits que le demandeur a euimplicitement l'intention de faire reconnaitre en justice. [...]

Lorsqu'une demande ulterieure est fondee sur la meme cause que la demandeoriginaire, l'effet interruptif de la prescription s'etend à cettenouvelle demande qui etait virtuellement comprise dans la premiere. Il nes'agit pas d'un nouveau debat qui pourrait surprendre le defendeur.

[...] Recemment encore, la Cour de cassation a eu l'occasion de seprononcer sur la question des demandes virtuellement comprises dans lacitation initiale. Par son arret du 12 janvier 2010, elle a expressementdecide que toutes les demandes fondees sur la meme cause, entendue commel'ensemble des faits et actes sur lesquels la partie poursuivante base sonaction, beneficient de l'effet interruptif de la prescription' (`Leseffets de l'interruption et de la suspension de la prescription en droitbelge', Rapport belge, Denis Philippe et Marie Dupont, in La prescriptionextinctive, Etudes de droit compare, Bruylant, 2010, nDEG 10, pp. 519 à522 ; dans le meme sens, Marie Dupont, `L'interruption de la prescriptionet les demandes virtuellement comprises dans la citation', R.G.D.C., 2010,pp. 401 - 405).

La seconde demande incidente a trait à la perte d'une chance pour [lesdemandeurs] de realiser une plus-value sur leurs parts si l'introductionen bourse s'etait realisee (...). L'objet de cette demande s'inscrit dansla perspective de la demande originaire qui avait trait à la perte devaleur des actions consecutive à la disparition du capital et des actifsde Neuroplanet suite à la faillite de celle-ci.

La seconde demande incidente tout comme la demande originaire est fondeesur le meme complexe de faits et actes vises à la citation introductived'instance, à savoir :

- pour ce qui concerne [la premiere defenderesse] : [la mauvaiseevaluation du contexte boursier, le retard mis à proceder àl'introduction en bourse de Neuroplanet, le refus d'octroyer àNeuroplanet un credit-pont] ;

- pour ce qui concerne [la seconde defenderesse] : [avoir impose lapremiere defenderesse comme introducteur en bourse, ne pas avoir joue sonrole d'actionnaire financier, avoir revendu ses actions pour un eurosymbolique].

Il peut des lors etre conclu que cette seconde demande incidenteintroduite par conclusions du 12 fevrier 2010, soit apres expiration dudelai de prescription quinquennale qui a pris cours au plus tard le 7 mars2003, peut etre consideree comme virtuellement comprise dans la demandeoriginaire »

mais decide par contre que cette demande incidente « ne peut toutefoisbeneficier de l'effet interruptif de [la demande originaire], qui estd'ailleurs non avenu puisque cette demande est rejetee (article 2247 duCode civil) ».

Griefs

1. Pour autant qu'il n'y ait pas lieu d'annuler l'acte introductifd'instance et que la demande originaire releve de la competence du jugesaisi, le juge appele à apprecier la demande modifiee ou etendue est tenude statuer sur cette demande, sans examiner la recevabilite et lefondement de la demande originaire (articles 807, 808 et 1042 du Codejudiciaire).

2. Une citation en justice interrompt la prescription jusqu'à laprononciation d'une decision definitive (article 2244 du Code civil).

L'interruption n'est regardee comme non avenue, conformement à l'article2247 du Code civil, que si la citation est nulle par defaut de forme, sile demandeur se desiste de sa demande ou si celle-ci est definitivementrejetee.

3. Ainsi que l'admet l'arret, une citation en justice interrompt laprescription pour la demande qu'elle introduit et pour celles qui y sontvirtuellement comprises.

Une demande introduite en reparation d'une partie du dommage cause par unefaute interrompt ainsi la prescription à l'egard de la partie du dommagequi ne fait pas partie de l'objet de la demande originaire (articles 2242,2244 et 2247 du Code civil).

L'effet interruptif de cette citation valable en la forme se prolongedonc, pour les demandes virtuellement comprises dans celle-ci relevant dela competence du juge saisi, jusqu'à ce qu'il soit statue definitivementsur ces demandes, sans que le rejet de la demande originaire puisseaneantir cet effet (articles 2242, 2244, 2247 du Code civil, 807, 808 et1042 du Code judiciaire).

4. Ayant constate que la « demande nouvelle » des demandeurs introduitepar conclusions deposees au greffe le 12 fevrier 2010, apres la cloture dela faillite de la societe anonyme Neuroplanet, et tendant àl'indemnisation des plus-values potentielles attendues des investissementseffectues etait recevable et qu'elle etait virtuellement comprise dans lademande originaire, l'arret, qui ne constate ni la nullite de la citationintroductive d'instance pour vice de forme ni l'incompetence du juged'appel pour connaitre de cette « demande nouvelle », n'a pu legalementdecider que celle-ci ne pouvait beneficier de l'effet interruptif deprescription de la citation introductive d'instance au motif qu'elle avaitete formee par des conclusions deposees apres l'expiration du delai deprescription et que la citation introductive d'instance est non avenuepuisque la demande originaire a ete rejetee.

5. Ce faisant, en effet, l'arret :

1. meconnait l'effet interruptif de prescription de la citationintroductive d'instance pour les demandes virtuelles qu'elle comporte,celui-ci valant jusqu'à ce qu'il soit statue sur ces demandes,independamment de la date à laquelle ces demandes ont ete explicitees parconclusions (violation des articles 2242, 2244 et 2247 du Code civil),

2. viole l'article 2247 du Code civil en considerant que le rejet de lademande originaire pour un autre motif que la nullite de l'exploitintroductif d'instance rend non avenue l'interruption de la prescriptionpour les demandes virtuellement comprises dans cet exploit,

3. à tout le moins, viole les articles 807, 808 et 1042 du Codejudiciaire en considerant que le rejet de la demande originaire ne permetpas au juge d'apprecier les demandes virtuellement comprises dansl'exploit introductif d'instance,

4. ne justifie des lors pas legalement sa decision (violation de toutesles dispositions visees au moyen).

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Une societe a le droit de reclamer reparation à un tiers par la fauteduquel il a ete porte atteinte à son patrimoine. Ce dommage n'ouvre pasde droit d'action propre aux actionnaires.

Le moyen, qui repose tout entier sur un soutenement juridique different,manque en droit.

Sur le second moyen :

Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par la premiere defenderesseet deduite du defaut d'interet :

Contrairement à ce que suppose la fin de non-recevoir, l'arret neconsidere pas que la prescription de la demande nouvelle des demandeurs apris cours le 7 mars 2003 mais « au plus tard le 7 mars 2003 ».

Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par la seconde defenderesse etdeduite du defaut d'interet :

La seconde defenderesse fait valoir qu'en substituant, au motif de l'arretque critique le moyen, le motif que les demandeurs ne peuvent jamais agirindividuellement en responsabilite contre des tiers en vue d'obtenir lareparation de leur part du dommage subi par la societe, la decision del'arret de rejeter la demande incidente des demandeurs se trouveraitlegalement justifiee.

L'arret decide que les demandeurs « ont qualite pour former la demandenouvelle en indemnisation de la perte des plus-values potentielles ».

La Cour ne saurait, sans exceder ses pouvoirs, modifier cette decision.

Les fins de non-recevoir ne peuvent etre accueillies.

Sur le fondement du moyen :

Aux termes de l'article 2244, alinea 1er, du Code civil, une citation enjustice, un commandement ou une saisie, signifies à celui qu'on veutempecher de prescrire, forment l'interruption civile.

Une citation interrompt la prescription pour la demande qu'elle introduitainsi que pour la demande dont l'objet est virtuellement compris dans lacitation.

Aux termes de l'article 2247 du Code civil, l'interruption est regardeecomme non avenue si la demande est rejetee.

Il suit de ces dispositions qu'en cas de demande dont l'objet estvirtuellement compris dans la citation, l'interruption de la prescriptionn'est regardee comme non avenue que pour autant que cette demande soitrejetee definitivement.

L'arret considere que « la seconde demande incidente tout comme lademande originaire est fondee sur le meme complexe de faits et actes visesà la citation introductive d'instance » et « conclut que cette secondedemande incidente [...] peut etre consideree comme virtuellement comprisedans la demande originaire ».

L'arret, qui decide que « [la seconde demande incidente] ne peuttoutefois beneficier de l'effet interruptif de [la citation], qui estd'ailleurs non avenu puisque [la demande originaire] est rejetee », violeles dispositions legales precitees.

Dans cette mesure, le moyen est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque en tant qu'il decide que la demande incidente enindemnisation de la perte des plus-values potentielles est prescrite etqu'il statue sur les depens ;

Rejette le pourvoi pour le surplus ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Condamne les demandeurs à la moitie des depens ; en reserve le surpluspour qu'il soit statue sur celui-ci par le juge du fond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.

Les depens taxes à la somme de mille trois euros soixante-trois centimesenvers les parties demanderesses, à la somme de deux cent vingt-septeuros quatre-vingt-six centimes envers la premiere partie defenderesse età la somme de deux cent treize euros quarante-neuf centimes envers laseconde partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du onze avril deux mille quatorze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalThierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+---------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M-Cl. Ernotte |
|-----------------+-----------+---------------|
| M. Lemal | M. Regout | Chr. Storck |
+---------------------------------------------+

11 AVRIL 2014 C.12.0242.F/5


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.12.0242.F
Date de la décision : 11/04/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 02/05/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-04-11;c.12.0242.f ?
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