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02/10/2014 | BELGIQUE | N°C.14.0001.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 octobre 2014, C.14.0001.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0001.F

SYMACOM, societe de droit franc,ais dont le siege est etabli à Paris(XIIIe arrondissement) (France), rue de Patay, 79,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,

contre

S. H., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de lasociete anonyme U-Link Telecom,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Michele G

regoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou i...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0001.F

SYMACOM, societe de droit franc,ais dont le siege est etabli à Paris(XIIIe arrondissement) (France), rue de Patay, 79,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,

contre

S. H., avocat, agissant en qualite de curateur à la faillite de lasociete anonyme U-Link Telecom,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 15 mars 2013par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* article 4, alinea 1er, de la loi du 17 avril 1878 contenant le titrepreliminaire du Code de procedure penale ;

* articles 2, 23, 24 et 25 du Code judiciaire ;

* article 246 du Code d'instruction criminelle ;

* principe general du droit relatif à l'autorite erga omnes de la chosejugee en matiere repressive ;

* articles 774, alinea 2, et 1138, 3DEG, du Code judiciaire ;

* principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare fonde l'appel de la demanderesse et, par confirmation dela decision du premier juge, dit que la societe U-Link Telecom enfaillite, representee par son curateur (ici defenderesse), est creancierede la demanderesse jusqu'à concurrence de 457.336,27 euros en principal,augmentes des interets et des depens, aux motifs suivants :

« 7. Aux termes de ses dernieres conclusions d'appel, [la demanderesse]demande à la cour [d'appel], à titre principal, de :

`1. Surseoir à statuer dans l'attente des suites des plaintes avecconstitution de partie civile deposees tant à Paris (France) qu'àBruxelles (Belgique), conformement à l'article 4 de la loi du 17 avril1878 contenant le titre preliminaire du Code de procedure penale ;

2. Entendre dire l'appel recevable et fonde et, connaissance prise desdecisions rendues par la juridiction penale saisie à Bruxelles, faisantce que le premier juge aurait du faire, afin de declarer la demandeprincipale en premiere instance recevable mais non fondee, à tout lemoins jusqu'au quantum des contestations presentees par la [demanderesse],et prononcer des lors la reformation du jugement rendu en premiereinstance';

[...] A titre subsidiaire, [la demanderesse] demande, àu cas ou parimpossible la cour [d'appel] considererait qu'il ne conviendrait pas desurseoir à statuer dans l'attente des suites des plaintes avecconstitution de partie civile : entendre dire l'appel recevable et fonde ;par consequent, reformer le jugement du 28 avril [2008] du tribunal decommerce de Bruxelles et declarer la demande originaire à tout le moinsnon fondee' ;

[...] [La demanderesse] considere que l'utilisation des factureslitigieuses par le curateur dans le cadre d'une procedure judiciaireconstitue notamment `un usage de faux à l'appui d'une veritableescroquerie au jugement'. Elle a depose des plaintes, en Belgique et enFrance, contre Symacom [lire : U-Link Telecom] ou son curateur du chef dediverses infractions ;

A l'audience du 11 janvier 2013, elle precise qu'`elle ne sollicite plusla suspension de la presente procedure en raison de l'existence d'uneprocedure penale en France' ;

A titre surabondant, il convient de relever que, par un arret rendu le

9 mai 2012, la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises enaccusations, a deboute [la demanderesse] de son appel contre uneordonnance de la chambre du conseil du tribunal de premiere instance deBruxelles declarant qu'il n'existe pas de charges suffisantes pourrenvoyer U-Link Telecom devant le tribunal correctionnel, les faits visesaux preventions A et B ne constituant ni crime, ni delit, nicontravention. Elle a, par ailleurs, condamne [la demanderesse] à payerà U-Link Telecom en faillite 1.000 euros à titre de dommages et interetsdu chef d'appel temeraire et vexatoire ;

Quant à la procedure en France, l'article 4 du titre preliminaire du Codede procedure penale n'impose au juge civil de surseoir à statuer que pourautant que l'action publique qui s'y rapporte soit poursuivie en Belgique,et non à l'etranger. Cette regle est justifiee par le fait que l'autoritede la chose jugee au penal sur le civil, sur laquelle repose ladisposition precitee, ne vaut qu'à l'egard des decisions penales belges[...] ;

Il n'y a pas lieu de surseoir à statuer ;

[...] Aux termes de l'article 7.5 [du contrat entre les parties], lesparties sont donc convenues qu'en l'absence de contestation des facturesdans les sept jours ouvrables suivant leur reception, elles sont reputeesetre irrevocablement acceptees ;

Des lors que cette disposition - dont la validite n'est pas contestee -constitue la loi des parties (article 1134 du Code civil belge), ilappartient aux parties de la respecter et à la juridiction d'en assurerle respect ;

[...] Il decoule des considerations qui precedent que la demande ducurateur est fondee en son principe et en son quantum, ainsi que l'a admisle premier juge ;

[...] L'examen des autres moyens developpes par [la demanderesse] estsurabondant et ne saurait amener la cour [d'appel] à un dispositif autrede celui qui resulte des moyens precedents ;

La cour [d'appel] n'est, par ailleurs, pas tenue de rencontrer lesconsiderations emises par les parties dont elles ne tirent aucunesconsequences precises et qui ne constituent des lors ni une demande, niune defense, ni une exception ».

Griefs

Premiere branche

L'alinea premier de l'article 4 du titre preliminaire du Code de procedurepenale dispose que « l'action civile peut etre poursuivie en meme tempset devant le meme juge que l'action publique. Elle peut aussi l'etreseparement ; dans ce cas, l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pasete prononce definitivement sur l'action publique, intentee avant oupendant la poursuite de l'action civile ».

Dans le dispositif de ses conclusions de synthese d'appel, la demanderesseinvitait à titre principal la cour d'appel à « surseoir à statuer dansl'attente des suites des plaintes avec constitution de partie civiledeposees tant à Paris (France) qu'à Bruxelles (Belgique) conformement àl'article 4 de la loi du 17 avril 1878 concernant le titre preliminaire duCode de procedure penale » et, à titre subsidiaire, demandait : « Envertu de l'article 19, alinea 2, du Code judiciaire, ordonner avant diredroit une mesure prealable destinee à instruire la demande afin deconfirmer la validite des constatations et des contestations presenteespar [la demanderesse] et, par consequent, designer un expert judiciairedont la mission peut etre definie comme suit : s'entourant de tousrenseignements utiles, apres avoir pris connaissance des dossiers desparties, celles-ci etant tenues d'ouvrir leurs bases informatiques dans lerespect des limites necessaires à l'analyse de leurs donnees, entendu lesparties en leurs dires et moyens et pris connaissance de tous documentsutiles que les parties seront tenues de lui remettre, se prononcer quantà la validite et l'authenticite des factures produites par [ladefenderesse], y compris leur conformite aux prestations reellementeffectuees ; dresser comptes entre parties ; les concilier si faire sepeut et, à defaut, deposer son rapport dans les delais legaux ».

L'arret estime qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attentede la suite de la plainte deposee en Belgique, des lors que, « par unarret rendu le 9 mai 2012, la cour d'appel de Bruxelles, chambre des misesen accusations, a deboute [la demanderesse] de son appel contre uneordonnance de la chambre du conseil du tribunal de premiere instance deBruxelles declarant qu'il n'existe pas de charges suffisantes pourrenvoyer U-Link Telecom devant le tribunal correctionnel, les faits visesaux preventions A et B ne constituant ni crime, ni delit, nicontravention », et decide que « U-Link Telecom est creanciere de [lademanderesse] jusqu'à concurrence de 457.336,27 euros », montant dessommes reclamees par elle.

Ainsi, l'arret justifie sa decision de ne pas surseoir à statuer et decondamner la demanderesse au paiement des factures litigieuses par lemotif que la cour d'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation, adeclare qu'il n'existait pas de charges suffisantes pour renvoyer U-LinkTelecom devant le tribunal correctionnel.

L'article 246 du Code d'instruction criminelle dispose, il est vrai, que« l'inculpe à l'egard duquel la cour d'appel aura decide qu'il n'y paslieu au renvoi [...] ne pourra plus etre traduit à raison du meme fait,à moins qu'il ne survienne de nouvelles charges ».

Toutefois, si une ordonnance de non-lieu au motif qu'il n'y a pas decharges suffisantes est une decision definitive, elle n'a pas l'autoritede la chose jugee envers le juge civil, en ce sens que celui-ci peutdecider, contrairement à l'ordonnance de non-lieu, que les infractions defaux, d'usage de faux et d'escroquerie alleguees par la demanderesse sontetablies.

Autrement dit, l'autorite de la chose jugee attachee à la decision denon-lieu prise par la juridiction d'instruction signifie seulement larenonciation à l'action publique mais ne s'etend pas à l'action portee,comme en l'espece, devant un juge civil ni meme à celle qui aurait eteportee initialement devant le juge penal, une ordonnance de non-lieu neconstituant pas un jugement definitif sur l'action civile et n'ayant parconsequent pas l'autorite de la chose jugee à l'egard de celle-ci(articles 23 et 24 du Code judiciaire).

Il s'ensuit que la decision de la cour d'appel de ne pas surseoir àstatuer et de condamner la demanderesse, sans plus instruire, à payer àla defenderesse la somme de 457.336,27 euros, montant des factures enlitige, au motif principal et determinant que « la juridictiond'instruction a declare qu'il n'existe pas de charges suffisantes pourrenvoyer U-Link Telecom devant le tribunal correctionnel et que les faitsvises aux preventions A et B ne constituent ni crime, ni delit, nicontravention », viole les dispositions legales visees en tete du moyenet, plus specialement, fait une application illegale des dispositions del'article 4, alinea 1er, du titre preliminaire du Code d'instructioncriminelle et du principe general du droit de l'autorite erga omnes de lachose jugee au penal.

Seconde branche

Le juge qui rejette la demande de surseoir à statuer en attendant la finde l'instance penale doit statuer sur l'action civile dont il est saisi.

Des lors, les juges d'appel auraient du, puisqu'ils constataient que lademanderesse n'etablissait pas à suffisance la faussete des factureslitigieuses, ordonner, sinon une expertise, une reouverture des debats etinviter la demanderesse à fournir des elements de preuve du faux et del'escroquerie allegues par elle et, de maniere generale, l'inviter àconclure à propos de ses « contestations serieuses » sur le montantdes creances presentees par la societe U-Link Telecom.

En ne le faisant pas, les juges d'appel ont porte atteinte au droit dedefense de la demanderesse (violation du principe general du droit relatifaux droits de la defense, dont l'article 774, alinea 2, du Code judiciaireconstitue une application) et, parallelement, ont omis de statuer surchose demandee, plus precisement sur la demande subsidiaire de lademanderesse de pouvoir prouver que les factures ne sont pas conformes auxprestations effectuees (violation de l'article 1138, 3DEG, du Codejudiciaire).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 4, alinea 1er, de la loi du 17 avril 1878 contenantle titre preliminaire du Code de procedure penale, l'exercice de l'actioncivile qui n'est pas poursuivie devant le meme juge simultanement àl'action publique est suspendu tant qu'il n'a pas ete prononcedefinitivement sur l'action publique.

Une ordonnance ou un arret de non-lieu, passe en force de chose jugee,constitue une decision definitive sur l'action publique au sens de cettedisposition legale.

Dans la mesure ou il repose sur le soutenement contraire, le moyen, encette branche, manque en droit.

Pour le surplus, l'arret ne fonde pas sa decision de condamner lademanderesse au paiement des factures litigieuses sur la decision denon-lieu de la chambre des mises en accusation.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la seconde branche :

L'arret considere qu'« aux termes de l'article 7.5 [du contrat concluentre les parties], les parties sont [...] convenues qu'en l'absence decontestation des factures dans les sept jours ouvrables suivant leurreception, elles sont reputees etre irrevocablement acceptees », que« cette disposition - dont la validite n'est pas contestee - constitue laloi des parties » et « qu'il n'est pas etabli que [les formes pour lacontestation des factures] aient ete satisfaites ».

L'arret deduit de ces considerations que, « [la demanderesse] etantforclose à contester les factures », « il n'y a pas lieu de recouriraux lumieres d'un expert judiciaire » et que « la demande du curateurest fondee en son principe et en son quantum ».

Le moyen, qui, en cette branche, repose sur l'affirmation que les jugesd'appel ont constate que la demanderesse n'etablissait pas à suffisancela faussete des factures litigieuses, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de six cent quarante-cinq euros cinquante-sixcentimes envers la partie demanderesse et à la somme de deux centcinquante-neuf euros septante-cinq centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Martine Regout, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononceen audience publique du deux octobre deux mille quatorze par le presidentde section Christian Storck, en presence de l'avocat general ThierryWerquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
|-----------------+------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

2 OCTOBRE 2014 C.14.0001.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0001.F
Date de la décision : 02/10/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-10-02;c.14.0001.f ?
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