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16/10/2014 | BELGIQUE | N°C.12.0406.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 16 octobre 2014, C.12.0406.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.12.0406.F

R. C.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

FERME C., societe agricole,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

NDEG C.12.0573.F

FERME C.

, societe agricole,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassa...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.12.0406.F

R. C.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

FERME C., societe agricole,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile.

NDEG C.12.0573.F

FERME C., societe agricole,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

R. C.,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Les pourvois en cassation sont diriges contre le jugement rendu le

16 avril 2012 par le tribunal de premiere instance de Tournai, statuant endegre d'appel.

Le 8 aout 2014, le premier avocat general Jean-Franc,ois Leclercq a deposedes conclusions au greffe.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et le premier avocat generalJean-Franc,ois Leclercq a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

A l'appui du pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0406.F,la demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- articles 595, specialement alinea 2, 1122, 1134, 1319, 1320 et 1322 duCode civil ;

- article 1138, 4DEG, du Code judiciaire ;

- pour autant que de besoin, article 4, specialement alinea 2, de la loidu 4 novembre 1969 modifiant la legislation sur le bail à ferme et sur ledroit de preemption en faveur des preneurs de biens ruraux, formant lasection 3 du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil,intitulee « Des regles particulieres aux baux à ferme ».

Decisions et motifs critiques

Le jugement attaque met à neant le jugement entrepris (sauf en tant qu'ila rec,u la demande originaire) et, reformant, limite à huit parcelles,precisees dans son dispositif, la validation du conge donne par lademanderesse à la defenderesse le 9 fevrier 2009 et, relativement auxautres parcelles visees par le conge precite, decide que ce conge est« nul et de nul effet » et deboute en consequence la demanderesse dusurplus de sa demande tendant à voir valider le conge du 9 fevrier 2009en tant qu'il portait sur toutes les autres parcelles qui y etaient visees(soit les parcelles reprises au point C dans l'expose des faits dujugement attaque).

Cette decision se fonde sur les motifs suivants :

« Quant à la chronologie des faits et actes relatifs aux parcelleslitigieuses

[La demanderesse] est la fille de feu J.-L. C. et feu M. L. ; ces derniersavaient egalement retenu de leur union trois autres enfants : J, M. et J.C.

Avant les faits litigieux, les terres concernees appartenaient, selon lesmentions non contestees des actes produits :

A. pour ce qui concerne la premiere pature visee à la lettre de conge(nDEG 1 sous l'article 1175) : à J.-L. C. [...] ;

B. pour ce qui concerne les sept patures suivantes visees au meme acte[...] : en pleine propriete à [la demanderesse] et en usufruit aux epouxC.-L., pour les avoir acquises ensemble d'un tiers selon ces modalites en1992 [...] ;

C. pour ce qui concerne les autres parcelles litigieuses (nDEGs 1 à 26sous l'article 1174) : à la communaute des epoux C.-L. [...].

Par acte notarie du 21 decembre 2006 [...], madame L. et [la defenderesse]declarent mettre fin, avec effet retroactif au 30 septembre 2006, au baildu 30 novembre 1998 en tant que ce bail concerne les parcelleslitigieuses.

[...] Par acte notarie separe du meme jour [...,], madame L. declaredonner à bail les parcelles litigieuses à la [defenderesse], quiaccepte, pour une duree de 28 annees à partir du 1er octobre 2006.

Ce dernier acte distingue :

- une serie de parcelles, pour une contenance totale de 3,91 hectares,àppartenant à madame M. L. en usufruit et à [la demanderesse] ennue-propriete' (soit les parcelles evoquees ci-avant [...] sous A et B) ;

- une autre serie de parcelles, pour une contenance totale de

15,82 hectares, àppartenant à madame M. L. pour une moitie en pleinepropriete et une moitie en usufruit et à [la demanderesse] pour unemoitie en nue-propriete' (soit les parcelles evoquees sous C).

Il porte notamment que `la preneuse se reconnait parfaitement informee dece que le bail consenti excede les pouvoirs de l'usufruitiere ; ils'ensuit que [la demanderesse], actuellement nu-proprietaire, pourra, àl'extinction de l'usufruit, agir en reduction de la duree du bail, à laduree maximale compatible avec les pouvoirs de l'usufruitiere'.

Madame L. decede le 23 decembre 2007.

Par acte notarie du 16 mai 2008, les quatre enfants des epoux C.-L.declarent adherer aux testaments respectifs de leurs auteurs et partagententre eux les biens de ces derniers, qui etaient maries sous le regime dela communaute legale [...]. Les parcelles litigieuses figurant ci-avantsous les lettres A et C sont reprises dans le lot qui echoit à [lademanderesse].

Par une lettre datee du 9 fevrier 2009, dont la reception n'est pascontestee, [la demanderesse] declare donner pour ces immeubles conge `endehors des conditions de fond et de forme de la loi sur le bail à ferme',en l'affectant d'un preavis expirant `à la fin de la saison culturale2009, soit au plus tard le 30 novembre 2009, voire à la premiere dateutile'.

[...] L'article 595 du Code civil dispose notamment que :

- l'usufruitier peut jouir par lui-meme, donner à ferme ou meme vendre ouceder son droit à titre gratuit ;

- les baux que l'usufruitier seul a faits pour un temps qui excede neufans ne sont, en cas de cessation de l'usufruit, obligatoires à l'egard du

nu-proprietaire que pour le temps qui reste à courir, soit de la premiereperiode de neuf ans si les parties s'y trouvent encore, soit de laseconde, et ainsi de suite, de maniere que le preneur n'ait que le droitd'achever la jouissance de la periode de neuf ans ou il se trouve.

Il s'ensuit que :

- au cas ou l'usufruitier a consenti un bail, le nu-proprietaire devientproprietaire lors de l'extinction de l'usufruit et acquiert à ce momentla jouissance du bien ;

- au cas ou l'usufruitier a consenti seul (à savoir sans le concours dunu-proprietaire) la location d'un bien, le nu-proprietaire est tenu derespecter le bail en vertu de la loi des l'extinction de l'usufruit etdevient bailleur à ce moment ;

- le nu-proprietaire, devenu proprietaire ensuite de l'extinction del'usufruit, peut demander que la duree du bail soit reduite à la duree dela periode theorique de neuf ans en cours à l'epoque de l'extinction del'usufruit ;

- le nu-proprietaire peut exercer ce droit meme si le bail est regi par laloi sur les baux à ferme, sans etre lie par les conditions de fond et deforme prevues par cette loi en matiere de conge par le bailleur et sansque le preneur puisse s'y opposer en invoquant l'article 4, alinea 2, decette loi.

Il resulte de ce qui precede que, le 21 decembre 2006, madame L. avaitqualite pour mettre fin au bail à ferme signe en 1998 et pour consentirun nouveau bail à ferme relativement aux parcelles litigieuses, puisque :

- en ce qui concerne la parcelle reprise ci-avant sous A, elle en avaitseule l'usufruit ;

- en ce qui concerne les parcelles reprises sous B, elle en restait alorsaussi seule usufruitiere ;

- en ce qui concerne les parcelles reprises sous C, elle en etait pourmoitie pleine proprietaire et pour moitie usufruitiere.

L'usufruit, meme partiel, affecte toute la chose puisqu'il porte sur unepart theorique et non materialisable de celle-ci.

Par ailleurs, l'article 617 du Code civil prevoit que l'usufruit s'eteint,notamment, par la mort de l'usufruitier.

En fevrier 2009, [la demanderesse] etait donc devenue seule et pleineproprietaire de l'ensemble de ces parcelles.

Quant aux parcelles reprises sous C

Neanmoins, en ce qui concerne les parcelles reprises ci-avant sous C,cette pleine propriete ne resulte pas uniquement de l'extinction del'usufruit de madame L. par son deces mais egalement de la transmission desa propre propriete à ses heritiers.

Or, l'article 1122 du Code civil dispose qu'on est cense avoir disposepour soi et pour ses heritiers, à moins que le contraire ne soit exprimeou ne resulte de la nature de la convention.

Il s'ensuit que [la demanderesse], en qualite de proprietaire de la partiedu bien heritee de sa mere, doit garantir la [defenderesse] du bail commemadame L. aurait du le faire ; elle ne peut donc revendiquer sa qualitepartielle de nu-proprietaire pour exiger la reduction du bail, meme pourla part du bien precedemment soumise à usufruit.

Enfin, par la mention specifique que [la demanderesse] pourrait agir enreduction, les parties n'ont pas pu deroger aux dispositions imperativesde la loi sur le bail à ferme - dont la [defenderesse] se reclameaujourd'hui - dans une mesure excedant la derogation legale de l'article595 du Code civil.

Par consequent, [la demanderesse] est tenue au bail relatif aux parcellesreprises sous C selon les regles du bail à ferme ; relativement àcelles-ci, le conge litigieux, qui ne respecte pas ces regles, est doncnul et sans effet ».

Griefs

Premiere branche

A. Aux termes de l'article 595, alineas 1er et 2, du Code civil,« l'usufruitier peut jouir par lui-meme, donner à ferme ou meme vendreou ceder son droit à titre gratuit. Les baux que l'usufruitier seul afaits pour un temps qui excede neuf ans ne sont, en cas de cessation del'usufruit, obligatoires à l'egard du nu-proprietaire que pour le tempsqui reste à courir, soit de la premiere periode de neuf ans si lesparties s'y trouvent encore, soit de la seconde, et ainsi de suite, demaniere que le preneur n'ait que le droit d'achever la jouissance de laperiode de neuf ans ou il se trouve ».

L'article 595, alinea 2, est interprete en ce sens que le droit dereduction de la duree du bail de plus de neuf ans consenti parl'usufruitier seul peut, à l'extinction de l'usufruit, etre exerce par lenu-proprietaire meme si le bail est regi par la loi 4 novembre 1969formant la section 3 du chapitre II du titre VIII du livre III du Codecivil, sans etre lie par les conditions de fond et de forme prevues parcette loi en matiere de conge donne par le bailleur et sans que lepreneur puisse s'y opposer en invoquant l'article 4, alinea 2, de la loi,aux termes duquel, « à defaut de conge valable, le bail est prolonge deplein droit à son expiration, par periodes successives de neuf ans, memesi la duree de la premiere occupation a excede neuf ans ».

L'article 1122 du Code civil dispose qu'on est cense avoir stipule poursoi et pour ses heritiers et ayants cause, à moins que le contraire nesoit exprime ou ne resulte de la nature de la convention.

Le jugement attaque se fonde sur l'article 1122 du Code civil pour deciderque, lorsque le nu-proprietaire est l'heritier de l'usufruitier predecede,il ne peut se prevaloir de l'interpretation precitee de l'article 595,alinea 2, du Code civil et ne peut donc donner le conge pour les parcellesdont il est heritier sans respecter les conditions de fond et de formevisees dans la loi du

4 novembre 1969.

Le jugement en deduit que le conge donne par la demanderesse pour lesparcelles reprises sous C, « qui ne respecte pas ces regles, est donc nulet sans effet ».

L'article 1122 du Code civil n'empeche toutefois pas l'heritier de fairevaloir contre l'ayant cause à titre particulier du de cujus un droitpropre, distinct des droits qui appartenaient à ce de cujus(contrairement aux droits qui appartenaient au de cujus, les droitspropres sont des droits que l'heriter recueille independamment de savocation successorale).

B. En l'espece, il ressort des constatations du jugement attaque qu'aujour de la conclusion du bail à ferme du 21 decembre 2006, les parcellesreprises sous C dans les motifs du jugement appartenaient à madame M. L.(mere de la demanderesse) pour une moitie indivise en pleine propriete et,pour une autre moitie indivise, à madame M. L. pour l'usufruit et à lademanderesse pour la nue-propriete.

Le jugement attaque reproduit la clause du bail du 21 decembre 2006 auxtermes de laquelle « la preneuse [soit la defenderesse] se reconnaitparfaitement informee de ce que le bail consenti excede les pouvoirs del'usufruitiere. Il s'ensuit que [la demanderesse], actuellementnu-proprietaire, pourra, à l'extinction de l'usufruit, agir en reductionde la duree du bail à la duree maximale compatible avec les pouvoirs del'usufruitiere ».

La clause du bail ainsi reproduite par le jugement attaque confirmait doncle droit propre confere à la demanderesse nue-proprietaire par l'article595, alinea 2, du Code civil.

C. En se fondant sur les motifs precites pour refuser de valider le congedu 9 fevrier 2009 en tant qu'il portait sur les parcelles reprises sous C,le jugement attaque meconnait la portee de l'article 1122 du Code civil,en deduisant de cet article que ne peut se prevaloir de l'article 595,alinea 2, du Code civil, l'heritier qui, independamment de sa qualited'heritier, etait dejà au jour de la conclusion du bail nu-proprietaired'une quotite indivise des biens donnes à bail, l'autre quotite indiviseappartenant au defunt en pleine propriete.

Le jugement attaque fait ainsi illegalement prevaloir la regle generale del'article 1122 du Code civil sur le droit propre confere par l'article595, alinea 2, du meme code à celui qui, sur un meme bien, cumule lesqualites d'heritier pour une quotite indivise et de nu-proprietaire devenuplein proprietaire pour une autre quotite indivise (violation des articles595, specialement alinea 2, et 1122 du Code civil et, pour autant que debesoin, des dispositions de la section 3 du chapitre II du titre VIII dulivre III du Code civil visees en tete du moyen).

Deuxieme branche

L'article 1122 du Code civil dispose qu'on est cense avoir stipule poursoi-meme et pour ses heritiers et ayants cause, à moins que le contrairene soit exprime ou ne resulte de la nature de la convention.

En l'espece, le jugement attaque reproduit la clause du bail conclu le 21decembre 2006 entre la defunte M. L. et la defenderesse, aux termes delaquelle « la preneuse se reconnait parfaitement informee de ce que lebail consenti excede les pouvoirs de l'usufruitiere ; il s'ensuit que [lademanderesse], actuelle nu-proprietaire, pourra, à l'extinction del'usufruit, agir en reduction de la duree du bail à la duree maximalecompatible avec les pouvoirs de l'usufruitiere ».

Il ressort ainsi des constatations du jugement attaque qu'en vertu d'uneclause explicite du bail à ferme, la defunte, en octroyant à ladefenderesse un bail excedant les pouvoirs de l'usufruitiere, n'avait pasentendu stipuler pour son heritiere, la demanderesse, puisqu'ellereservait explicitement les droits de cette derniere d'agir en reductionde la duree du bail à l'extinction de l'usufruit.

Des lors, en se fondant sur les motifs reproduits dans l'enonce du moyenpour refuser de valider le conge du 9 fevrier 2009 en tant qu'il portaitsur les parcelles decrites sous C dans l'expose des faits, le jugementattaque meconnait la portee de l'article 1122 du Code civil, en decidantque la defunte M. D. etait censee avoir stipule pour ses heritiers etayants cause, alors que le bail du 21 decembre 2006 « exprimait lecontraire » en reservant explicitement les droits d'une heritiere, àsavoir la demanderesse, de poursuivre, à l'extinction de l'usufruit, lareduction de la duree du bail à la duree maximale compatible avec lespouvoirs de l'usufruitiere (violation de l'article 1122 du Code civil).

à tout le moins, le jugement attaque fait abstraction des mentions de laclause precitee de l'acte notarie du 21 decembre 2006 (dont il reproduitla teneur) et viole ainsi la foi due à cet acte ecrit (violation desarticles 1319, 1320 et 1322 du Code civil) et viole la force obligatoirede cette clause du bail (violation de l'article 1134 du Code civil).

Troisieme branche

En decidant, d'une part, que « l'usufruit, meme partiel, affecte toute lachose puisqu'il porte sur une part theorique et non materialisable decelle-ci », et, d'autre part, que la demanderesse « ne peut [...]revendiquer sa qualite partielle de nue-proprietaire pour exiger lareduction du bail, meme pour la part du bien precedemment soumise àusufruit », le jugement entrepris contient une contradiction entre cesdeux dispositifs et meconnait l'article 1138, 4DEG, du Code judiciaire.Pareille contradiction constitue à tout le moins une contradictionentachant la motivation de la decision entreprise, en violation del'article 149 de la Constitution.

Second moyen

Dispositions legales violees

- article 1138, 2DEG, du Code judiciaire ;

- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense ;

- principe general du droit dit principe dispositif.

Decisions et motifs critiques

Le jugement attaque « dit l'appel principal recevable et partiellementfonde ; dit l'appel incident recevable et non fonde ; en consequence, metà neant le jugement entrepris, sauf en tant qu'il a rec,u la demandeoriginaire ; reformant, valide le conge donne le 9 fevrier 2009 par [lademanderesse] à la [defenderesse] pour la date du 30 septembre 2016 surles parcelles suivantes :

Ville ... (ex-... - article 1174) :

1. une pature sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 381/02b, pour 51 ares 10 centiares (r.c. 32 euros) ;

2. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 324 d,pour 53 ares 80 centiares (r.c. 46 euros) ;

3. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 324 c,pour 53 ares 80 centiares (r.c. 46 euros) ;

4. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 325, pour39 ares 20 centiares (r.c. 33 euros) ;

5. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 327 c,pour 29 ares 50 centiares (r.c. 18 euros) ;

6. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 337 a,pour 63 ares 90 centiares (r.c. 54 euros) ;

7. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 377 a,pour 29 ares 35 centiares (r.c. 25 euros) ;

8. une terre sise au lieu-dit `Q.', cadastree section B, numero

56 a, pour 70 ares 60 centiares (r.c. 50 euros) ;

Ordonne à la [defenderesse] de delaisser à la libre et entieredisposition de [la demanderesse] les immeubles qui precedent pour la datedu 30 septembre 2016 au plus tard, sous peine de s'en faire expulser,elle, les siens et tout occupant qui pourrait s'y trouver, et de fairemettre leur materiel eventuel sur la voie publique par le premier huissierde justice requis à ces fins, au besoin à l'aide de la force publique ;

Deboute les parties de leurs pretentions respectives pour le surplus ;

Delaisse à chacune des parties la charge de ses propres frais et depens(pour chacune des deux instances) ».

Cette decision se fonde sur les motifs suivants :

« Il n'est pas conteste que toutes les terres litigieuses ont faitl'objet d'un premier bail, dont les actuelles parties etaient signatairesavec d'autres, le 30 novembre 1998 [...].

Or, c'est par deux actes immediatement successifs et passes un meme jouren 2006 que madame L., qui concentrait desormais seule les pouvoirsnecessaires pour les terres litigieuses, a mis fin à ce bail et conclu unnouveau bail à ferme.

Il suit du rapprochement des articles 4 et 8 de la loi sur les baux àferme avec l'article 595 du Code civil, à la lumiere de l'equilibrerecherche par ces dispositions entre les interets en presence, que laperiode de neuf annees en cours doit etre calculee au depart de lapremiere occupation par le locataire, à savoir sa premiere perioded'etablissement ininterrompu sur les terres donnees à bail.

La premiere periode s'est donc ouverte le 1er octobre 1998 (article 4 del'acte de 1998) pour se terminer le 30 septembre 2007 ; la periode encours s'est ouverte le lendemain, soit le 1er octobre 2007, de sortequ'elle prend fin le 30 septembre 2016 ».

Griefs

Le jugement attaque decide que c'est à l'expiration de la seconde periodede neuf ans du premier bail du 30 novembre 1998, soit le 30 septembre2016, que les parcelles litigieuses doivent etre liberees par ladefenderesse.

Or, il resulte des conclusions d'appel des parties qu'aucune d'elles nedemandait au tribunal de premiere instance de calculer les periodes deneuf ans à compter du bail du 30 novembre 1998 ni d'ordonner laliberation des lieux au 30 septembre 2016, date de la fin de la secondeperiode de neuf ans du bail precite.

Des lors, en fixant d'office la date de liberation des lieux à une datequ'aucune des parties n'avait avancee, sans leur donner la possibilite defaire valoir leurs observations à cet egard, le jugement attaque viole ladisposition legale et meconnait les principes generaux du droit vises entete du moyen.

A l'appui du pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0573.F,la demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* article 149 de la Constitution ;

* article 14, alinea 2, de la loi du 4 novembre 1969 sur le bail àferme, formant la section 3 du chapitre II du titre VIII du livre IIIdu Code civil ;

* articles 1122 et 1742 du Code civil ;

* articles 5, 30, 565, 566 et 1068 du Code judiciaire ;

* principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.

Decisions et motifs critiques

Le jugement attaque, « reformant, valide le conge donne le 9 fevrier2009 par [la defenderesse] à la [demanderesse] pour la date du 30septembre 2016 sur les parcelles suivantes :

Ville ... (ex-... - article 1174) :

1. une pature sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 381/02b, pour 51 ares 10 centiares (r.c. 32 euros) ;

2. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 324 d,pour 53 ares 80 centiares (r.c. 46 euros) ;

3. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 324 c,pour 53 ares 80 centiares (r.c. 46 euros) ;

4. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 325, pour39 ares 20 centiares (r.c. 33 euros) ;

5. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 327 c,pour 29 ares 50 centiares (r.c. 18 euros) ;

6. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 337 a,pour 63 ares 90 centiares (r.c. 54 euros) ;

7. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero 377 a,pour 29 ares 35 centiares (r.c. 25 euros) ;

8. une terre sise au lieu-dit `...', cadastree section B, numero

56 a, pour 70 ares 60 centiares (r.c. 50 euros) ;

Ordonne à la [demanderesse] de delaisser à la libre et entieredisposition de [la defenderesse] les immeubles qui precedent pour la datedu 30 septembre 2016 au plus tard, sous peine de s'en faire expulser,elle, les siens et tout occupant qui pourrait s'y trouver, et de fairemettre leur materiel eventuel sur la voie publique par le premier huissierde justice requis à ces fins, au besoin à l'aide de la force publique ;

Deboute les parties de leurs pretentions respectives pour le surplus ;

Delaisse à chacune des parties la charge de ses propres frais et depens(pour chacune des deux instances) ».

Il fonde ces decisions sur les motifs suivants :

« Quant aux parcelles reprises sous A et B

9. Par contre, pour les parcelles reprises ci-avant sous A et B, madame L.etait simple et seule usufruitiere au moment de consentir le bail.

Aucune disposition legale n'impose en effet de joindre, pour examiner laqualite du bailleur, des baux consentis successivement mais par actesdistincts sur un meme immeuble ; ce n'est donc pas la qualite desbailleurs en 1998 qu'il convient d'examiner.

10. Au demeurant, le tribunal [de premiere instance] est competent pourexaminer l'eventuelle nullite de l'acte de resiliation du bail du

21 decembre 2006 dans la mesure necessaire à la solution du litige dontil est saisi.

La connexite avec l'action actuellement pendante devant la justice de paixdu canton ... ne saurait porter atteinte à cette competence, des lors quela combinaison des articles 565 et 566 du Code judiciaire aboutit àpreferer le tribunal de premiere instance au juge de paix.

Sous peine de deni de justice, il ne convient donc pas de surseoir àstatuer dans l'attente d'une decision de ce dernier.

11. à ce sujet, et par application de l'article 870 du Code judiciaire,c'est à la [demanderesse], qui l'invoque, d'etablir qu'elle a ete victimed'une erreur inexcusable justifiant la nullite de l'acte de resiliation.

L'article 14, alinea 2, de la loi sur le bail à ferme permet pareilleresiliation par acte authentique, comme en l'espece.

Et la [demanderesse] n'etablit nullement qu'elle aurait fait erreur surles consequences de cette resiliation - et ce, d'autant moins que, par unacte distinct du meme jour formant manifestement avec elle une uniqueoperation economique, cette societe a ete explicitement informee que `[ladefenderesse], actuelle nue-proprietaire, pourra, à l'extinction del'usufruit, agir en reduction de la duree du bail'.

La [demanderesse] a donc ete clairement avertie du risque dereductibilite.

Pour le surplus, les parties disposent librement de leurs droitsrespectifs selon leurs interets divers et legitimes, et le tribunal [depremiere instance] n'a pas à sonder plus avant leurs intentions.

En conclusion, c'est bien la qualite qu'avait le bailleur le 21 decembre2006 qu'il convient d'apprecier pour etudier la reductibilite du bail àferme.

12. Ce n'est pas par transmission que [la defenderesse] a dispose àpartir du deces de madame L. de la pleine propriete mais par reunion dansson chef de tous les droits sur la chose à la suite de l'extinction del'usufruit par ce deces.

Pour le surplus, [la defenderesse] n'a pas herite des obligations debailleresse de son auteur dans une mesure superieure aux droits quel'usufruitier pouvait consentir : son obligation de garantir la jouissancedu locataire cessait avec l'usufruit et, comme ce dernier, etaitintransmissible.

De toute fac,on, sachant que madame L. n'etait qu'usufruitiere, la[demanderesse] n'a contracte qu'à ses risques et perils.

[La defenderesse] peut donc en principe se prevaloir des dispositions del'article 595 du Code civil relativement à ces parcelles ».

Le jugement attaque valide ainsi le conge notifie à la demanderesse en cequi concerne les parcelles reprises sub A et B, deboute la demanderesse dusurplus de ses pretentions et lui delaisse la charge de ses depensd'instance et d'appel, ces decisions etant la consequence du refus dujugement attaque de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge de paix... ait tranche la demande d'annulation de la resiliation du bail initialdont il etait saisi.

Griefs

Premiere branche

Dans ses conclusions d'appel de synthese, la demanderesse avait faitvaloir que :

« C. Validite de l'acte de resiliation du 21 decembre 2006

La question de la regularite de l'acte de resiliation du 21 decembre 2006peut etre posee en faisant abstraction de tout vice de consentement. Eneffet, le bail suppose resilie du 30 novembre 1998 avait ete consenti nonseulement par madame L., [mais aussi] par son mari et par monsieur J.-L.C. Le notaire D. n'a fait intervenir à l'acte de resiliation que madameL., considerant sans doute qu'en sa qualite d'usufruitiere, elle devaitseule etre consideree comme bailleresse. Mais ce jugement etait-ilpertinent ?

L'article 1742 du Code civil, tel qu'il a ete modifie par la loi du

20 fevrier 1991, pose en principe que le contrat de louage n'est pointresolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. Le contrat de bailest un contrat personnel, source de droits et d'obligations. Au deces dubailleur ou de l'un des bailleurs, il tombe donc dans la succession commetous les autres elements du patrimoine. S'il existe un conjointrecueillant l'usufruit, ce conjoint recueille le droit de jouir desimmeubles par les perceptions des fruits civils, mais cela fait-il de lui,desormais, le seul et unique bailleur, et donc le seul interlocuteur dupreneur ? Ainsi, par exemple, si le bail portait sur des batiments et sil'etat de ces batiments justifiait de grosses reparations, le preneurdevrait-il les reclamer au seul titulaire de l'usufruit ou devrait-ils'adresser à l'ensemble des heritiers, sachant qu'aux termes de l'article605 du Code civil, l'usufruitier n'est tenu qu'aux reparationsd'entretien, les grosses reparations demeurant à charge du proprietaireà moins qu'elles n'aient ete occasionnees par le defaut de reparations etd'entretien depuis l'ouverture de l'usufruit ?

De l'avis de la [demanderesse], à l'ouverture d'une succession, laqualite de bailleur passe à l'ensemble des heritiers. C'est doncl'ensemble des heritiers qui auraient du participer à l'acte deresiliation du 21 decembre 2006, et non point seulement madame L., si bienque cet acte de resiliation ne peut etre tenu pour valable. Le bail du 30novembre 1998 lui a donc survecu, independamment du sort que le juge depaix ... estimera devoir reserver à l'action dont il est actuellementsaisi à l'initiative de la [demanderesse] ».

Le jugement attaque ne repond pas à cette conclusion circonstanciee, sesconsiderations relatives au defaut d'erreur inexcusable de la demanderesseetant etrangeres à la defense reproduite au moyen, qui etait deduite, nond'un vice de consentement, mais de la nullite d'une resiliation convenueen l'absence de certaines des parties au bail initial, et les observationsrelatives à la conclusion du nouveau bail aux risques et perils de lademanderesse etant etrangeres à la resiliation du bail initial.

Le jugement attaque n'est des lors pas regulierement motive (violation del'article 149 de la Constitution).

Deuxieme branche

La connexite ne peut exister entre les demandes pendantes devant desjuridictions de rangs differents (articles 30, 565 et 566 du Codejudiciaire).

Le jugement attaque meconnait des lors la notion legale de connexite endecidant que « la connexite avec l'action actuellement pendante devant lajustice de paix du canton ... ne saurait porter atteinte à cettecompetence, des lors que la combinaison des articles 565 et 566 du Codejudiciaire aboutit à preferer le tribunal de premiere instance au juge depaix » et viole, partant, les articles 30, 565 et 566 du Code judiciaire.

Troisieme branche

En vertu de l'article 5 du Code judiciaire, il n'y a deni de justice quelorsque le juge refuse de juger sous quelque pretexte que ce soit, meme dusilence, de l'obscurite ou de l'insuffisance de la loi.

Les juges d'appel n'auraient pas refuse de juger si, comme la demanderessele leur demandait dans ses conclusions d'appel de synthese, ici tenuespour reproduites, ils avaient decide, dans l'interet d'une bonne justice,de reserver à statuer dans l'attente de la decision du juge de paix surla nullite de l'acte de resiliation du bail initial.

En considerant que, « sous peine de deni de justice, il ne convient [...]pas de surseoir à statuer dans l'attente d'une decision du juge de paix...», le jugement attaque meconnait des lors la notion legale de deni dejustice (violation de l'article 5 du Code judiciaire).

Quatrieme branche

Les juges d'appel etaient certes saisis, par l'effet devolutif de l'appel(article 1068, alinea 1er, du Code judiciaire), de toutes les questions dedroit et de fait que comportait le litige et donc, le cas echeant, de lavalidite de l'acte de resiliation du bail initial. Il leur appartenaitcependant de respecter les droits de la defense.

Toutefois, dans la mesure ou la demanderesse n'avait pas, à proprementparler, demande aux juges d'appel de se prononcer sur la validite del'acte de resiliation, ils ne pouvaient le faire d'office sans inviter auprealable la demanderesse à s'expliquer plus avant sur cette question(violation de l'article 1068, alinea 1er, du Code judiciaire et duprincipe general de droit relatif au respect des droits de la defense).

Cinquieme branche

Aux termes de l'article 14, alinea 2, de la loi du 4 novembre 1969 vise aumoyen, les parties peuvent mettre fin au bail en cours à condition queleur accord soit constate par un acte authentique ou par une declarationfaite devant le juge de paix, sur son interpellation.

Il suit de ces termes que la resiliation, meme constatee par un acteauthentique, n'est valable que si toutes les parties y sont intervenues.

Il resulte des constatations du jugement attaque que :

- par acte notarie du 30 novembre 1998, J.-L. C., madame L. et J. C. ontdeclare donner ensemble à bail à la demanderesse, qui accepte, denombreuses parcelles dont l'ensemble des parcelles litigieuses ;

- J.-L. C. est decede le 17 juillet 2001, ses enfants ayant recueillichacun pour un quart la nue-propriete de ses biens, madame L. beneficiantde l'usufruit legal du conjoint survivant ;

- par acte notarie du 21 decembre 2006, madame L. et la demanderessedeclarent mettre fin, avec effet retroactif au 30 septembre 2006, au baildu 30 novembre 1998 en tant qu'il concerne les parcelles litigieuses.

Il resulte de l'article 1742 du Code civil que le contrat de louage n'estpoint resolu par la mort du bailleur et de l'article 1122 de ce code queles ayants cause universels ou à titre universel d'une partie à uneconvention doivent egalement etre consideres comme des parties à cetteconvention.

à compter du deces de J.-L. C., le 17 juillet 2001, ce sont des lorstous ses heritiers et non la seule M. L. qui avaient la qualite decobailleurs de la demanderesse.

Il suit de là que l'acte de resiliation du 21 decembre 2006, auquel seuleM. L. est intervenue comme bailleresse, n'a pas ete convenu entre toutesles parties au contrat de bail du 30 novembre 1998 et que, par suite, enreconnaissant la validite de cette resiliation pour les seuls motifsrepris aux numeros 9 à 12 du jugement attaque, celui-ci ne justifie paslegalement sa decision à cet egard (violation des articles 14, alinea 2,de la loi du

4 novembre 1969 visee au moyen, 1122 et 1742 du Code civil).

à tout le moins, à defaut de constater que, à la date de laresiliation, le 21 decembre 2006, il n'existait pas d'autres ayants causeuniversels ou à titre universel de J.-L. C. que madame L., le jugement necontient pas les constatations de fait qui doivent permettre à la Courd'exercer le controle de legalite qui lui est confie et, partant, n'estpas regulierement motive (violation de l'article 149 de la Constitution).

La cassation de la decision du jugement attaque sur la validite de l'actede resiliation du 21 decembre 2006 entraine, par voie de consequence,celle de la decision du jugement de refuser de reserver à statuer, cettederniere decision etant unie à la premiere par un lien necessaire.

III. La decision de la Cour

Sur la jonction des pourvois :

Les pourvois sont diriges contre le meme jugement. Il y a lieu de lesjoindre.

Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0573.F :

Sur le moyen :

Quant à la premiere branche :

Le jugement attaque considere que, « le 21 decembre 2006, madame L. avaitqualite pour mettre fin au bail à ferme signe en 1998 et pour consentirun nouveau bail à ferme relativement aux parcelles litigieuses, puisque,en ce qui concerne la parcelle reprise ci-avant sous A, elle en avaitseule l'usufruit et, en ce qui concerne les parcelles reprises sous B,elle en restait alors aussi seule usufruitiere ».

Par ces considerations, le jugement attaque repond, en les contredisant,aux conclusions de la demanderesse faisant valoir que l'acte deresiliation du bail du 30 novembre 1998, etabli le 21 decembre 2006, etaitnul pour avoir ete convenu en l'absence de certaines des parties auditbail.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la deuxieme branche :

Aux termes de l'article 8 du Code judiciaire, la competence est le pouvoirdu juge de connaitre d'une demande portee devant lui.

Il resulte de cette disposition qu'en regle, le juge competent pourconnaitre d'une demande l'est egalement pour statuer sur les defenses etexceptions opposees à cette demande.

En vertu de l'article 30 du Code judiciaire, des demandes en justicepeuvent etre traitees comme connexes lorsqu'elles sont liees entre ellespar un rapport si etroit qu'il y a interet à les instruire et juger enmeme temps, afin d'eviter des solutions qui seraient susceptibles d'etreinconciliables si les causes etaient jugees separement.

Il ne peut etre question de connexite lorsque l'une des demandes estpendante devant une juridiction qui est tenue de statuer en premiereinstance et l'autre devant une juridiction qui est tenue de statuer endegre d'appel.

En ce cas, les deux causes doivent demeurer distinctes et etre trancheespar leurs juges respectifs.

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse opposait à la demande lanullite de l'acte de resiliation du 21 decembre 2006 pour erreursubstantielle sur sa portee et pour absence de cause, exposait avoirintroduit une action en nullite de cet acte devant le juge de paix ducanton ... et sollicitait du tribunal de premiere instance qu'il sursoieà statuer sur la demande de la defenderesse dans la mesure ou le sort àlui reserver dependait du sort reserve à cette action en nullite.

Dans ses conclusions, la defenderesse, qui contestait les causes denullite invoquees, faisait valoir que « l'argumentation [de lademanderesse] est audacieuse et erronee en fait et en droit » et que« cette action [en nullite dudit acte de resiliation], temeraire etvexatoire, est dilatoire ».

Le jugement attaque, qui considere que le tribunal de premiere instance« est competent pour examiner l'eventuelle nullite de l'acte deresiliation du bail du 21 decembre 2006, dans la mesure necessaire à lasolution du litige dont il est saisi », decide legalement que ce tribunaletait competent pour statuer sur cette defense opposee à la demande parla demanderesse.

Dirige contre des considerations surabondantes, le moyen, qui, en cettebranche, ne saurait entrainer la cassation du jugement attaque, est denued'interet, partant, irrecevable.

Quant à la troisieme branche :

En vertu de l'article 5 du Code judiciaire, le juge ne peut refuser dejuger sous quelque pretexte que ce soit, meme du silence, de l'obscuriteou de l'insuffisance de la loi.

Il resulte des enonciations, reproduites en reponse à la seconde branchedu moyen, des conclusions d'appel de la defenderesse que celle-cicontestait la demande de surseance de la demanderesse et sollicitait dutribunal de premiere instance qu'il statue sur la defense deduite de lanullite de l'acte de resiliation du 21 decembre 2006 opposee par lademanderesse.

Par la consideration que, « sous peine de deni de justice, il ne convient[...] pas de surseoir à statuer dans l'attente d'une decision » du jugede paix du canton ..., dont il resulte qu'aux yeux du tribunal de premiereinstance, la decision du magistrat cantonal n'etait pas necessaire à lasolution du litige, le jugement attaque ne viole pas l'article 5 precite.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la quatrieme branche :

Ainsi qu'il resulte de la reponse à la troisieme branche du moyen, ladefenderesse contestait la demande de surseance de la demanderesse etsollicitait du tribunal de premiere instance qu'il statue sur la defensededuite de la nullite de l'acte de resiliation du 21 decembre 2006 opposeepar la demanderesse.

Des lors, le jugement attaque ne se prononce pas d'office sur cettequestion.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la cinquieme branche :

Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen, en cette branche, par ladefenderesse et deduite du defaut d'interet :

Par les enonciations reproduites en reponse à la premiere branche dumoyen, le jugement attaque considere qu'etant usufruitiere pour latotalite des parcelles reprises sous A et B, madame L. avait qualite pourmettre fin au bail à ferme signe en 1998.

Ces considerations non critiquees suffisent à fonder la decision quel'acte de resiliation ne peut etre declare nul pour ne pas avoir eteetabli en presence des heritiers du defunt mari de madame L.

Le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entrainer la cassation decette decision, est denue d'interet.

La fin de non-recevoir est fondee.

Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.12.0406.F :

Sur le premier moyen :

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 1122 du Code civil, les ayants cause universels sontlies par les actes de leur auteur, à moins que le contraire ne soitexprime ou ne resulte de la nature de la convention.

Il suit de cette disposition qu'ils ne sont pas lies par un acte de cetauteur lorsqu'ils peuvent invoquer contre cet acte un droit propre queleur confere la loi et auquel cet acte porte atteinte.

Aux termes de l'article 595, alinea 2, du meme code, les baux quel'usufruitier seul a faits pour un temps qui excede neuf ans ne sont, encas de cessation de l'usufruit, obligatoires à l'egard du nu-proprietaireque pour le temps qui reste à courir, soit de la premiere periode de neufans si les parties s'y trouvent encore, soit de la seconde et ainsi desuite, de maniere que le preneur n'ait que le droit d'achever lajouissance de la periode de neuf ans ou il se trouve.

Cette disposition legale confere au nu-proprietaire, devenu leproprietaire à la suite de l'extinction de l'usufruit, le droit dedemander que la duree du bail soit reduite à la duree de la periode deneuf ans en cours à l'epoque de l'extinction de l'usufruit, meme si lebail est regi par la loi sur les baux à ferme, sans etre lie par lesconditions de fond et de forme prevues par cette loi en matiere de congedonne par le bailleur et sans que le preneur puisse s'y opposer eninvoquant l'article 4, alinea 2, de ladite loi.

Il resulte de la combinaison de ces dispositions que les baux quel'usufruitier seul a faits pour un temps qui excede neuf ans ne lient lenu-proprietaire ayant cause universel de cet usufruitier que dans leslimites de l'article 595, alinea 2, du Code civil.

Il en est egalement ainsi lorsque le bailleur, qui detient une partieindivise de la chose louee et est usufruitier de l'autre partie indivisede cette chose, a fait seul un tel bail.

Il resulte des constatations du jugement attaque qu'au jour de laconclusion du bail à ferme du 21 decembre 2006, les parcelles reprisessous C appartenaient, pour une moitie indivise en pleine propriete, àmadame L., mere de la demanderesse, et, pour l'autre moitie, à madame L.en usufruit et à la demanderesse en nue-propriete et que ledit bailstipule que « la preneuse [soit la defenderesse] se reconnaitparfaitement informee de ce que le bail consenti excede les pouvoirs del'usufruitiere. Il s'ensuit que [la demanderesse], actuellementnu-proprietaire, pourra, à l'extinction de l'usufruit, agir en reductionde la duree du bail à la duree maximale compatible avec les pouvoirs del'usufruitiere ».

Le jugement attaque considere que, bien qu'etant « pour moitie pleineproprietaire et pour moitie usufruitiere » des « parcelles reprises sousC », madame L. avait qualite pour consentir ce bail, au motif que« l'usufruit, meme partiel, affecte toute la chose puisqu'il porte surune part theorique et non materialisable de celle-ci ».

Le jugement attaque, qui considere que la demanderesse « est tenue aubail [du 21 decembre 2006] relatif aux parcelles reprises sous C selon lesregles du bail à ferme ; [que], relativement à celle-ci, le congelitigieux, qui ne respecte pas ces regles, est donc nul et sans effet »,viole les articles 1122 et 595 du Code civil.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Sur le second moyen :

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse sollicitait de valider leconge du 9 fevrier 2009 et d'ordonner la liberation des lieux au plus tardpour le 30 novembre 2009, subsidiairement pour le 1er novembre 2012, finde la periode de neuf ans en cours, et plus subsidiairement pour le 1eroctobre 2015, soit la fin de la premiere periode de neuf ans à dater dudebut du bail de 28 ans qui a pris cours le 1er octobre 2006.

Dans ses conclusions, la defenderesse contestait la validite du congeprecite et, à titre subsidiaire en ce qui concerne les parcelles reprisessous A et B, demandait de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il afixe la fin de l'occupation à la fin de l'annee 2015.

Le jugement attaque considere que, pour determiner l'echeance du congedonne pour les parcelles reprises sous A et B, « la periode de neufannees en cours doit etre calculee au depart de la premiere occupation parle locataire, à savoir sa premiere periode d'etablissement ininterrompusur les terres donnees à bail », que « la premiere periode s'est [...]ouverte le

1er octobre 1998 (article 4 de l'acte de 1998) pour se terminer le 30septembre 2007 ; [que] la periode en cours s'est ouverte le lendemain,soit le 1er octobre 2007, de sorte qu'elle prend fin le 30 septembre2016 », et valide pour la date du 30 septembre 2016 le conge donne le 9fevrier 2009 par la demanderesse sur ces parcelles.

En fixant d'office la date de liberation des lieux à une date qu'aucunepartie n'avait avancee, sans leur permettre de s'en expliquer, le jugementattaque viole le droit de defense de la demanderesse.

Dans cette mesure, le moyen est fonde.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du premier moyen, qui nesauraient entrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Joint les causes inscrites au role general sous les numeros C.12.0406.F etC.12.0573.F ;

Statuant sur le pourvoi en la cause C.12.0406.F, casse le jugement attaqueen tant qu'il refuse de valider le conge donne le 9 fevrier 2009 en ce quiconcerne les parcelles reprises sous C, en tant qu'il fixe au

30 septembre 2016 la date d'echeance de ce conge en ce qui concerne leshuit parcelles identifiees au huitieme feuillet de ce jugement et en tantqu'il statue sur les depens ;

Rejette le pourvoi en la cause C.12.0573.F ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;

Reserve les depens en la cause C.12.0406.F pour qu'il soit statue surceux-ci par le juge du fond ;

Condamne la societe agricole Ferme C. aux depens du pourvoi C.12.0573.F etdu memoire en reponse de R. C. ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instancede Namur, siegeant en degre d'appel.

Les depens taxes, dans la cause C.12.0573.F, à la somme de six centvingt-cinq euros quatre-vingt-trois centimes envers la partie demanderesseet à la somme de deux cent trente-trois euros six centimes envers lapartie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du seize octobre deux mille quatorze par lepresident de section Christian Storck, en presence du premier avocatgeneral Jean-Franc,ois Leclercq, avec l'assistance du greffier Patricia DeWadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
+------------------------------------------------+

16 OCTOBRE 2014 C.12.0406.F/

C.12.0573.F/14


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.12.0406.F
Date de la décision : 16/10/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-10-16;c.12.0406.f ?
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