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30/10/2014 | BELGIQUE | N°F.13.0140.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 30 octobre 2014, F.13.0140.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG F.13.0140.F

Etat belge, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

SCIERIE DES CARRIERES DE MAFFLE, societe privee à responsabilite limiteedont le siege social est etabli à Ath (Maffle), rue Joseph Wauters, 12,

defenderesse en cassation.
r>I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 24 juin 2013p...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG F.13.0140.F

Etat belge, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

SCIERIE DES CARRIERES DE MAFFLE, societe privee à responsabilite limiteedont le siege social est etabli à Ath (Maffle), rue Joseph Wauters, 12,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 24 juin 2013par la cour d'appel de Mons.

Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.

L'avocat general Andre Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* articles 85 et 86 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee ;

* article 66 des lois coordonnees du 17 juillet 1991 sur la comptabilitede l'Etat ;

* article 35 de la loi du 22 mai 2003 portant organisation du budget etde la comptabilite de l'Etat federal ;

* articles 2, 49 et 50 de la loi du 31 janvier 2009 relative à lacontinuite des entreprises ;

* article 149 de la Constitution ;

* principe general du droit suivant lequel nul ne peut abuser de sondroit ;

* principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir considere que la qualite de la creance et, des lors, laqualite de creancier sursitaire ordinaire ou extraordinaire devait etreappreciee à la date du jugement declarant ouverte la procedure dereorganisation :

« La definition contenue à l'article 2, k), de la loi indique à cetegard precisement que `l'ouverture de la procedure' correspond au jugementdeclarant ouverte la procedure de reorganisation.

Il y a donc bien lieu, comme le soutient (le demandeur), de se referer àla date du jugement, soit le 14 octobre 2010 »,

et admis que des inscriptions hypothecaires soient prises apres le depotde la requete en reorganisation :

« Cet article (article 22 de la loi du 31 janvier 2009 relative à lacontinuite des entreprises) prevoit qu'entre le depot de la requete enreorganisation judiciaire et le jugement se prononc,ant sur l'ouverture dela procedure de reorganisation judiciaire, aucune realisation de biensmeubles ou immeubles du debiteur ne peut intervenir à la suite del'exercice d'une voie d'execution et ce, que l'action ait ete introduiteou la voie d'execution entamee avant ou apres le depot de la requete.

Cette disposition proscrit ainsi que les biens du debiteur soient realisessuite à l'exercice d'une voie d'execution (...).

Elle n'interdit donc pas que des saisies, conservatoires ou execution, surles biens du debiteur, soient pratiquees pour autant qu'ellesn'aboutissent pas à une realisation de ces biens (...).

Elle n'interdit pas davantage que des inscriptions hypothecaires soientprises »,

l'arret decide :

« La seule circonstance que (le demandeur) ait exerce son droit deprendre une inscription hypothecaire, meme apres le depot de la requete,n'est pas ipso facto abusif et il appartient à (la defenderesse) decaracteriser les circonstances particulieres qui rendraient une telleinscription abusive.

Il ressort à suffisance de l'expose chronologique et des correspondancesvantees par (la defenderesse), aux pages 7 à 9 de ses conclusions, quec'est bien parce qu'il avait ete informe par elle du depot de la requeteen reorganisation que (le demandeur) s'est empresse de proceder àl'inscription de son hypotheque legale.

Meme si (le demandeur) s'en defend, le but essentiel de cette inscriptionetait de lui permettre d'obtenir le statut de creancier sursitaireextraordinaire et d'echapper ainsi aux mesures susceptibles d'etreimposees aux creanciers sursitaires ordinaires.

Il a persevere dans cette intention en introduisant la presente procedure,etant rappele que la demande formee par lui dans le proces-verbal decomparution volontaire introductif de la premiere instance tendait à cequ'il soit dit que sa creance a la qualite de creance sursitaireextraordinaire.

En conclusions, (le demandeur) insiste sur le fait qu'il ne conteste pasque ce n'est que dans le cas ou une inscription hypothecaire a ete priseavant le jugement d'ouverture de la reorganisation judiciaire que sacreance doit etre qualifiee de creance sursitaire extraordinaire.

Ceci explique pourquoi il s'est hate de faire inscrire l'hypothequelegale, des que (la defenderesse) l'a averti de l'intentement d'uneprocedure de reorganisation judiciaire. En procedant de la sorte, dans lescirconstances concretes de l'espece, l'administration fiscale a detournede sa fonction le droit d'inscrire son hypotheque legale et ne s'est pascomportee comme l'aurait fait une administration publique normalementprudente et diligente, soucieuse de respecter les principes de bonneadministration.

Cette inscription hypothecaire rend nettement plus difficile l'obtentionde credits bancaires indispensables au redressement de (la defenderesse)et partant le respect du plan propose à l'ensemble des creanciers.

Elle est constitutive de l'abus de droit vante.

Par contre, il n'est pas demontre que l'inscription prise par la suite, endate du 25 novembre 2010, est abusive, (le demandeur) admettant que lacreance faisant l'objet de cette inscription est une creance sursitaireordinaire et soutenant qu'il entend se premunir d'un possible echec de laprocedure de reorganisation judiciaire.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris mais pour d'autres motifs.

V) Mainlevee des inscriptions hypothecaires :

La sanction de l'abus de droit n'est pas la decheance totale de ce droitmais seulement la reduction de celui-ci à son usage normal ou lareparation du dommage que l'abus a cause.

Cette sanction doit avoir comme resultat de priver l'acte abusif de seseffets.

En l'espece, l'inscription hypothecaire du 5 octobre 2010 ayant ete prisede maniere abusive, il convient de condamner (le demandeur) à en donnermainlevee ».

Griefs

Premiere branche

L'article 86 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee dispose :

« Pour le recouvrement de la taxe, des interets et des frais, le tresorpublic a un privilege general sur tous les revenus et les biens meubles detoute nature du redevable à l'exception des navires et bateaux et unehypotheque legale sur tous les biens appartenant aux redevables, situes enBelgique et qui sont susceptibles d'hypotheque ».

L'administration, dans son commentaire, indique :

« Les circonstances qui justifient l'inscription de l'hypotheque legale

Le receveur, chaque fois que l'assujetti possede des biens immeubles, etnonobstant l'existence d'un privilege general sur biens meubles, procederaà l'inscription de l'hypotheque legale, cela meme dans le cas oul'inscription serait justifiee comme mesure conservatoire » (numero86/205).

« L'inscription de l'hypotheque legale est en particulier justifiee :

1DEG lorsque, en raison de la nature de l'activite de l'assujetti, de sesagissements, de l'ebranlement de son credit ou d'autres circonstances, lacreance du tresor est en peril ;

2DEG lorsque l'assujetti introduit de maniere repetee des requetes ou descitations, qui ont uniquement pour but de retarder le paiement de sommesincontestablement dues ;

3DEG lorsque l'assujetti a demande et obtenu un delai de paiement » (numero 86/206).

Il resulte de l'economie du Code de la taxe sur la valeur ajoutee et enparticulier des articles 85 et suivants que le but recherche par lelegislateur est le paiement de la taxe, le cas echeant sous le couvert dela contrainte et de mesures d'execution forcee :

« Article 85. S: 1er. En cas de non-paiement de la taxe, des interets,des amendes fiscales et des accessoires, une contrainte est decernee parle fonctionnaire charge du recouvrement ».

Par ailleurs, ce meme devoir resulte, d'une part, de l'application del'article 66 des lois coordonnees sur la comptabilite de l'Etat applicableau moment de la prise de l'hypotheque legale, article qui disposait que :

« Tout comptable est responsable du recouvrement des capitaux, revenus,droits et impots dont la perception lui est confiee.

Avant d'obtenir decharge des articles non recouvres, il doit faireconstater que le non-recouvrement ne provient pas de sa negligence, etqu'il a fait en temps opportun toutes les diligences et poursuitesnecessaires.

Quand un comptable a ete force en recette, et qu'il a paye de ses deniersles sommes dues et non renseignees, il est subroge de plein droit dans lescreances et privileges de l'Etat à la charge des debiteurs »,

et, d'autre part, de l'article 35 de la loi du 22 mai 2003, portantorganisation du budget et de la comptabilite de l'Etat federal, articleapplicable au jour de l'arret et qui dispose que :

« Tout denier ou valeur appartenant aux services, y compris les droitsconstates, ne peut etre detenu que sous la responsabilite d'un comptablejusticiable de la Cour des comptes et à qui la gestion de cet actif estconfiee par ou en vertu d'une loi ou d'un reglement ».

L'article 49 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuite desentreprises prevoit :

« Le plan indique les delais de paiement et les abattements de creancessursitaires en capital et interets proposes. Il peut prevoir la conversionde creances en actions et le reglement differencie de certaines categoriesde creances, notamment en fonction de leur ampleur ou de leur nature. Leplan peut egalement prevoir une mesure de renonciation aux interets ou dereechelonnement du paiement de ces interets, ainsi que l'imputationprioritaire des sommes realisees sur le montant principal de la creance.

Le plan peut egalement contenir l'evaluation des consequences quel'approbation du plan entrainerait pour les creanciers concernes.

Il peut encore prevoir que les creances sursitaires ne pourront etrecompensees avec des dettes du creancier titulaire posterieures àl'homologation. Une telle proposition ne peut viser des creances connexes.

Lorsque la continuite de l'entreprise requiert une reduction de la massesalariale, un volet social du plan de reorganisation est prevu, dans lamesure ou un tel plan n'a pas encore ete negocie. Le cas echeant, celui-cipeut prevoir des licenciements.

Lors de l'elaboration de ce plan, les representants du personnel au seindu conseil d'entreprise ou, à defaut, du comite pour la prevention et laprotection au travail ou, à defaut, la delegation syndicale ou, àdefaut, une delegation du personnel, seront entendus ».

L'article 50 de la meme loi prevoit, pour les creanciers sursitairesextraordinaires titulaires, en application de l'article 2, h), de la memeloi, d'une creance sursitaire extraordinaire selon les termes des articles2, c) et 2, d) :

« Sans prejudice du paiement des interets qui leur sontconventionnellement ou legalement dus sur leurs creances, le plan peutprevoir le sursis de l'exercice des droits existants des creancierssursitaires extraordinaires pour une duree n'excedant pas vingt-quatremois à dater du depot de la requete.

Dans les memes conditions, le plan peut prevoir une prorogationextraordinaire de ce sursis pour une duree ne depassant pas douze mois.Dans ce cas, le plan prevoit qu'à l'echeance du premier delai de sursis,le debiteur soumettra au tribunal, son creancier entendu, la preuve que lasituation financiere et les recettes previsibles de l'entreprise lamettront, selon les previsions raisonnables, à meme, à l'expiration decette periode supplementaire, de rembourser integralement les creancierssursitaires extraordinaires concernes, et qu'à defaut d'apporter cettepreuve, le debiteur entendra ordonner la fin de ce sursis.

Sauf leur consentement individuel ou accord amiable conclu conformementaux articles 15 ou 43, dont une copie est jointe au plan lors de son depotau greffe, le plan ne peut comporter aucune autre mesure affectant lesdroits desdits creanciers ».

Il decoule de la lecture dudit article 50 que le creancier sursitaireextraordinaire peut pretendre, sous reserve d'un sursis de vingt-quatremois -prorogeable de douze mois - à dater du depot de la requete,percevoir la totalite de sa creance.

A l'inverse, conformement à l'article 49 de la meme loi, les creancierssursitaires ordinaires peuvent voir leur creance subir des abattements.

Ledit article 49 prevoit que le plan de reorganisation judiciaire indiqueles delais de paiement et les abattements de creances sursitaires encapital et interets proposes.

Ainsi, et entre autres sur cette base, la Cour a decide, par son arret du30 juin 2011 (J.T., 2012, p. 131) :

« Ainsi que les travaux preparatoires l'indiquent, il suit des articles 2et 49 precites que les creances d'impot sont, au sens de la loi, descreances sursitaires ordinaires auxquelles un plan de reorganisation peutimposer des abattements.

L'arret considere que `toute modification ou derogation ne doit pasnecessairement etre expresse ou explicite : elle peut resulter du texte dela loi qui emporte clairement modification ou derogation' et, parreference aux travaux preparatoires de la loi precitee, qu'il s'agit d'une`modification des droits du fisc par rapport à la loi relative auconcordat judiciaire' qui à pour objectif d'assurer, dans le cadre desprocedures visant au redressement de l'entreprise, et bien entendu sansprejudice aux suretes et privileges institues par la loi hypothecaire oupar des lois particulieres, le traitement egal de tous les creanciers,qu'ils soient publics ou prives, et de faire en sorte que chacun de cesderniers apporte sa juste part au redressement de l'entreprise dansl'interet general'.

En homologuant sur la base de ces considerations le plan de reorganisationimposant au demandeur des abattements d'impot, l'arret attaque ne violeaucune des dispositions visees au moyen.

Le moyen ne peut etre accueilli ».

La Cour, selon la jurisprudence constante depuis son arret du

10 septembre 1971 dans le cadre duquel elle a consacre le caracteregenerique de l'abus de droit et affirme que celui-ci ne resultait passeulement de l'exercice d'un droit avec l'intention de nuire, estime que« l'abus de droit consiste à exercer un droit d'une maniere qui excedemanifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par unepersonne prudente et diligente. Tel est le cas specialement lorsque leprejudice cause est sans proportion avec l'avantage recherche ou obtenupar le titulaire du droit. Dans l'appreciation des interets en presence,le juge doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause »(Cass. 9 mars 2009, Pas., p. 689).

Et la Cour, par son arret du 13 octobre 1965 (Pas., 1966, I, 204), adecide que « le detournement de pouvoir, qui est une des formes del'exces de pouvoir, est le fait d'une autorite qui, tout en accomplissantun acte de sa competence, et en respectant les formes imposees par la loi,use de son pouvoir à des fins autres que celles en vue desquelles il luia ete confere ; qu'il entache d'illegalite l'acte administratif au memetitre que tout autre exces de pouvoir ».

Par le recours à la theorie de l'abus de droit, l'arret attaque faitperdre au demandeur le benefice des consequences legalement attachees àla prise d'une inscription hypothecaire (affectation de l'immeuble àl'acquittement de la taxe prevu par l'article 41 de la loi hypothecaire etcaractere sursitaire extraordinaire de la creance prevu par l'article 2,d), de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuite desentreprises) au moment ou cette mesure apparait la plus adequate,c'est-à-dire lorsque le recouvrement de sa creance est gravement mis enperil.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que, comme l'a rappele à denombreuses reprises la Cour constitutionnelle, le produit de l'impot estaffecte à des depenses publiques qui visent à la satisfaction del'interet general (cf. notamment arrets nDEG 54/2006 du 19 avril 2006 etnDEG 107/2006 du 21 juin 2006), ce qui a permis de justifier nombre demesures de recouvrement fiscal derogatoires au droit commun.

Des lors que, par des lois d'ordre public, l'Etat belge est tenu derecouvrer la taxe due et que, dans le cadre d'une procedure enreorganisation judiciaire, le titulaire d'une creance hypothecaire peutrevendiquer sa qualite de creancier sursitaire extraordinaire afin depretendre au paiement integral de sa creance, l'arret, ayant considere que« le but essentiel de cette inscription etait de permettre (au demandeur)d'obtenir le statut de creancier sursitaire extraordinaire et d'echapperainsi aux mesures susceptibles d'etre imposees aux creanciers sursitairesordinaires », n'a pu legalement, sans se meprendre sur les dispositionsvisees à la branche du moyen, decider que « l'administration fiscale adetourne de sa fonction le droit d'inscrire son hypotheque legale et nes'est pas comportee comme l'aurait fait une administration publiquenormalement prudente et diligente, soucieuse de respecter les principes debonne administration » (violation de toutes les dispositions legalesvisees au moyen, à l'exception de l'article 149 de la Constitution et duprincipe general du droit relatif au respect des droits de la defense).

Deuxieme branche

L'arret considere que « la seule circonstance que [le demandeur] aitexerce son droit de prendre une inscription hypothecaire, meme apres ledepot de la requete, n'est pas ipso facto abusif » pour ensuite indiquerque « le but essentiel de cette inscription etait de lui permettred'obtenir le statut de creancier sursitaire extraordinaire » et enfindecider qu'« en l'espece, l'inscription hypothecaire du 5 octobre 2010ayant ete prise de maniere abusive, il convient de condamner [ledemandeur] à en donner mainlevee ».

L'arret considere egalement que, « par contre, il n'est pas demontreque l'inscription prise par la suite, en date du 25 novembre 2010, estabusive, [le demandeur] admettant que la creance faisant l'objet de cetteinscription est une creance sursitaire ordinaire et soutenant qu'il entendse premunir d'un possible echec de la procedure de reorganisationjudiciaire ».

Des lors que l'arret, à juste titre, releve que « la sanction de l'abusde droit n'est pas la decheance totale de ce droit mais seulement lareduction de celui-ci à son usage normal ou la reparation du dommage quel'abus a cause » et que « cette sanction doit avoir comme resultat depriver l'acte abusif de ses effets », il n'a pu, sans se contredire,decider de donner purement et simplement mainlevee de l'hypotheque alorsqu'il aurait pu se contenter de rejeter l'appel forme par le demandeur ence qu'il visait la requalification de la creance sursitaire en creancesursitaire extraordinaire tout en laissant subsister, comme il l'admetpour l'inscription hypothecaire du 25 novembre 2010, les autres effets del'inscription du 5 octobre 2010.

Troisieme branche

Des lors que la defenderesse avait indique aux pages 7 à 9 de sesconclusions d'appel apres reouverture des debats :

« Sans prejudice du paiement des interets qui leur sontconventionnellement ou legalement dus sur leur creance, le plan peutprevoir le sursis de l'exercice des droits existants des creancierssursitaires extraordinaires pour une duree n'excedant pas vingt-quatremois, à dater du depot de la requete.

Il est egalement precise qu'en application de l'article 50, `le plan nepeut comporter aucune autre mesure affectant les droits desdits creanciers(creanciers sursitaires extraordinaires)'.

Il s'en deduit, par consequent, que contrairement à l'argumentation (dudemandeur), la qualite de la creance sursitaire ordinaire ouextraordinaire s'apprecie bien à la date du depot de la requete maisnullement à une date ulterieure.

Le fait, pour (le demandeur), administration de la taxe sur la valeurajoutee, de faire inscrire son hypotheque posterieurement à la date dudepot de le requete implique une mutation de la qualite de sa creancequalifiee d'ordinaire en extraordinaire, dans la mesure ou il beneficieposterieurement au depot de la requete de la qualite d'etre creanciersursitaire extraordinaire nanti d'une hypotheque, qui lui assureassurement un droit de preference par rapport aux autres creancierssursitaires ordinaires et extraordinaires.

En effet, l'article 50 de la loi sur la continuite des entreprises retientque peut prevoir seulement un sursis de l'exercice des droits existantsdes creanciers sursitaires extraordinaires pour une duree qui ne depassevingt-quatre mois à dater du depot de la requete, ce qui implique que ledebiteur devra rembourser integralement les creanciers sursitairesextraordinaires au terme des vingt-quatre mois à dater du depot de larequete alors qu'il n'en va naturellement pas de meme en casd'homologation du plan de reorganisation judiciaire pour les creanciersordinaires, en application de l'article 54 de la loi sur la continuite desentreprises et de l'article 57 qui prevoit que l'homologation du plan dereorganisation le rend contraignant pour tous les creanciers sursitaires.

En enregistrant, posterieurement à la date du depot de la requete enreorganisation judiciaire, l'administration de la taxe sur la valeurajoutee s'octroie une surete reelle ayant pour consequence :

1. que le patrimoine du debiteur est gele en sa faveur ;

2. que l'entreprise n'a plus, en fait, la possibilite d'obtenir descredits de la part des etablissements financiers en vue de s'acquitter del'execution du plan de reorganisation judiciaire, de proceder à desinvestissements dans son entreprise ou d'obtenir une ligne de credit pourcontinuer son commerce, compte tenu de l'hypotheque qui a ete prise par(le demandeur) sur son patrimoine immobilier, et qu'il est non realiste desoutenir l'absence de prejudice du debiteur, car il ne faut pas etre grandclerc ni visionnaire pour savoir que le banquier n'octroiera pas de credità l'entreprise si la banque ne dispose pas d'une surete reelle sur toutou partie de l'actif de l'entreprise.

Le seul pouvoir d'appreciation du tribunal, dans le cadre du jugementd'ouverture de la procedure de reorganisation judiciaire qui est, d'apresla doctrine et la jurisprudence majoritaire, automatique au regard del'article 23 de la loi sur la continuite de l'entreprise, se limite à laduree du sursis visee à l'article 16 de cette loi qui ne peut, à cestade, etre superieure à six mois, en application de l'article 24, S: 2,de ladite loi (Reorganisation judiciaire, faillite, liquidationdeficitaire, CUP, nDEG 59, p. 106).

Conclusion

L'administration fiscale a, posterieurement, en cours de sursis,c'est-à-dire posterieurement à la date du depot de la requete enreorganisation judiciaire deposee par le debiteur, au meme titre qued'autres creanciers, tels les etablissements bancaires et financiers dansla mesure ou ceux-ci transforment le mandat hypothecaire qu'ils detiennentau meme titre que le fisc qui prend une inscription hypothecaire legale, apour effet, alors que ses creanciers sont titulaires d'une creancesursitaire ordinaire à l'ouverture de la procedure en reorganisationjudiciaire, qu'ils s'octroient assurement un avantage indeniable parrapport aux autres creanciers sursitaires, tant sur le plan financier quesur le plan de l'obtention du reglement de leur creance si le moment ous'apprecie la qualite de la creance n'est pas celui à la date à laquellele debiteur a fait le depot de sa requete en reorganisation judiciairemais ulterieurement à la date du jugement d'ouverture de la procedure dela reorganisation judiciaire dont la mission du tribunal est extremementlimitee puisqu'elle doit automatiquement ouvrir la procedure dereorganisation judicaire et que le seul pouvoir dont elle dispose est defixer le delai du sursis.

Cette situation prejudicie assurement le debiteur puisque sa tresoreriesera assurement amputee par les hypotheques prises par les creancierssursitaires sur son patrimoine rendant ainsi pratiquement impossible pourle debiteur d'obtenir un financement bancaire afin d'apurer ses dettespassees ou futures et d'investir dans son entreprise afin de survivre etd'echapper à la faillite.

En permettant de tels agissements concernant la mutation de la qualite dela creance du creancier, posterieurement à la date du depot de larequete, ampute certainement la reussite de la reorganisation judiciairepar accord collectif obtenu à la suite de l'homologation par le tribunaldu plan soumis par le debiteur en vue d'obtenir le retablissement de sarentabilite et de la solvabilite de l'entreprise.

Il est contraire en droit, mais egalement en fait, comme le fait [ledemandeur], par le truchement de ses conclusions, de pretendre qu'etrenanti du titre de creancier sursitaire extraordinaire n'implique nullementde lui faire reconnaitre des faveurs et ce, contrairement à l'article 50de la loi sur la continuite des entreprises qui dispose que les interetslegaux conventionnels dus sur leur creance doivent etre payes, meme si leplan prevoit un sursis de l'exercice de leurs droits.

Un tel sursis ne peut exceder vingt-quatre mois à dater du depot de larequete pouvant etre proroge de fac,on extraordinaire jusqu'à trente-sixmois et sous reserve de la verification de ce qu'apres vingt-quatre mois,le debiteur devrait, raisonnablement, etre en mesure de les remboursersous peine de decheance immediate du sursis alors que, pour les autrescreanciers, le delai d'execution du plan peut aller jusqu'à cinq ans àdater de l'homologation.

En ces qualites d'inexecution des mesures prevues au plan, la reprise parles creanciers de l'exercice integral de leurs droits et actions estsubordonnee à la prononciation d'un jugement ordonnant la fin anticipeedu sursis en application des articles 42, alinea 1er, et 58, alinea 1er,de la loi sur la continuite des entreprises.

Il est antinomique d'exiger de justifier l'enregistrement de l'hypothequeapres le depot de la requete au motif que celle-ci se justifie pourassurer à l'Etat la priorite d'etre paye hors concours si le plan nedevait pas etre respecte ad futurum par les debiteurs - ce qui impliqueque, malgre le depot de la requete en continuite d'entreprise, [ledemandeur] se cree une surete ad futurum en cours de procedure de sursiscontradictoire aux autres creanciers sursitaires et aussi un droit depreference contraire à l'economie de la loi sur la continuite desentreprises.

L'appel

L'appel a pour objet d'obtenir la reformation du jugement contradictoirerendu par la troisieme chambre du tribunal de commerce de Tournai du 28novembre 2011 en vue de declarer l'appel recevable et fonde »,

et que le demandeur soutenait par ailleurs à la page 4 de ses conclusionsde synthese d'appel apres l'arret du 15 avril 2013 :

« A cet egard, il n'est pas inutile de souligner que les creanciers nesont pas avertis du depot d'une telle requete en reorganisationjudiciaire.

Les travaux preparatoires à la loi sur la continuite des entreprisessoulignent ainsi (Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2008, nDEG 520160/002, p. 22) qu'àucune publicite n'accompagne le depot de la requeteafin de permettre au requerant de mettre en place le dispositif du sursissans subir les consequences negatives d'un tel depot sur son credit'.

(La defenderesse) ne convainc pas lorsqu'elle pretend que le (demandeur) aete informe du depot de la requete car elle a ete contrainte `de payer desdroits de role à l'administration fiscale'. Le (demandeur) est en mesured'affirmer qu'il n'a pas perc,u la moindre somme à ce titre de la part de(la defenderesse) »,

L'arret n'a pu, sans violer le droit de defense du demandeur, en conclure:

« Il ressort à suffisance de l'expose chronologique et descorrespondances vantees par (la defenderesse), aux pages 7 à 9 de sesconclusions, que c'est bien parce qu'il avait ete informe par elle dudepot de la requete en reorganisation que (le demandeur) s'est empresse deproceder à l'inscription de son hypotheque legale »,

pour en consequence decider :

« En procedant de la sorte, dans les circonstances concretes de l'espece,l'administration fiscale a detourne de sa fonction le droit d'inscrire sonhypotheque legale et ne s'est pas comportee comme l'aurait fait uneadministration publique normalement prudente et diligente, soucieuse derespecter les principes de bonne administration.

Cette inscription hypothecaire rend nettement plus difficile l'obtentionde credits bancaires indispensables au redressement de (la defenderesse)et partant le respect du plan propose à l'ensemble des creanciers.

Elle est constitutive de l'abus de droit vante »,

et en consequence condamner le demandeur à en donner mainlevee (violationdu principe general du droit relatif au respect des droits de la defense).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

L'abus de droit consiste à exercer un droit d'une maniere qui excedemanifestement les limites de l'exercice de ce droit par une personneprudente et diligente. Tel est le cas specialement lorsqu'un droit estutilise à une fin etrangere à celle en vue de laquelle il a ete accorde.Dans l'appreciation des interets en presence, le juge doit tenir compte detoutes les circonstances de la cause.

En vertu de l'article 86 du Code de la taxe sur la valeur ajoutee, letresor public dispose, pour le recouvrement de la taxe, des interets etdes frais, d'une hypotheque legale sur tous les biens appartenant auredevable, situes en Belgique et qui sont susceptibles d'hypotheque.

Conformement à l'article 85 de ce code, en cas de non-paiement, unecontrainte est decernee par le fonctionnaire charge du recouvrement et lanotification de cette contrainte rendue executoire permet l'inscription del'hypotheque legale.

Ces dispositions visent à garantir le recouvrement de la creance lorsqueles circonstances resultant notamment de la situation ou du comportementdu redevable le justifient.

L'article 2, d), de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuitedes entreprises dispose que les creances sursitaires extraordinaires sontcelles qui sont garanties par un privilege special ou une hypotheque etles creances des creanciers proprietaires, tandis que, selon l'article 2,e), de la loi, les autres creances sont des creances sursitairesordinaires.

En vertu de l'article 49, alinea 1er, de la meme loi, le plan peutprevoir, en ce qui concerne les creances sursitaires ordinaires, desabattements de creances en capital et interets ainsi que le reglementdifferencie de certaines categories de creances, notamment en fonction deleur ampleur ou de leur nature.

En vertu de l'article 50 de cette loi, sans prejudice du paiement desinterets qui leur sont conventionnellement ou legalement dus sur leurscreances, le plan ne peut prevoir le sursis de l'exercice des droitsexistants des creanciers sursitaires extraordinaires que pour une dureen'excedant pas vingt-quatre mois à dater du depot de la requete, le casecheant prorogee de douze mois.

Il suit de ces dispositions qu'alors que le plan peut imposer au creanciersursitaire ordinaire un abattement de creance, il ne peut faire supporterau creancier sursitaire extraordinaire qu'un report limite dans le tempsdu paiement de l'integralite de sa creance.

L'arret constate que le demandeur « a pris une inscription hypothecaireapres le depot de la requete en reorganisation judiciaire [du] 29septembre 2010 mais avant le jugement declarant ouverte la procedure [le]14 octobre 2010 ».

Il considere que « l'article 22 [de la loi] [...] n'interdit pas [...]que des inscriptions hypothecaires soient prises » apres le depot de larequete et que « le moment auquel doit s'apprecier la qualite de lacreance [...] [est] la date du jugement » en sorte que le demandeur estun creancier sursitaire extraordinaire.

Apres avoir enonce que « la seule circonstance que [le demandeur] aitexerce son droit de prendre une inscription hypothecaire, meme apres ledepot de la requete, n'est pas ipso facto abusif, et [qu']il appartient à[la defenderesse] de caracteriser les circonstances particulieres quirendraient une telle inscription abusive », l'arret considere que «c'est bien parce qu'il avait ete informe par [la defenderesse] du depot dela requete en reorganisation que [le demandeur] s'est empresse de procederà [cette] inscription [dont] le but essentiel [...] etait de luipermettre d'obtenir le statut de creancier sursitaire extraordinaire etd'echapper ainsi aux mesures susceptibles d'etre imposees aux creancierssursitaires ordinaires ».

Sur la base de ces motifs, d'ou il resulte que le demandeur a procede àl'inscription de l'hypotheque legale pour garantir le paiement integral deses droits plutot que de subir, en sa qualite de creancier sursitaireordinaire, un abattement de sa creance, l'arret, qui considere que « [ledemandeur] a detourne de sa fonction le droit d'inscrire son hypothequelegale », meconnait le principe general du droit selon lequel nul ne peutabuser de son droit.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arret casse;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du trente octobre deux mille quatorze parle president de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalAndre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+-----------+----------------|
| M. Delange | M. Regout | Chr. Storck |
+----------------------------------------------+

30 OCTOBRE 2014 F.13.0140.F/5


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.13.0140.F
Date de la décision : 30/10/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2014
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2014-10-30;f.13.0140.f ?
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