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18/05/2015 | BELGIQUE | N°S.14.0026.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 18 mai 2015, S.14.0026.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.14.0026.F

1. M.-T. H.,

2. A. P.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue d

e Loxum, 25, ou il est fait electionde domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est di...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.14.0026.F

1. M.-T. H.,

2. A. P.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de Loxum, 25, ou il est fait electionde domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 octobre 2012par la cour du travail de Liege.

Le 1er avril 2015, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgeneral Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 1121 et 1134 du Code civil ;

- article 8, plus specialement S: 1er, alineas 1er et 2, de la loi du 10avril 1971 sur les accidents du travail ;

- article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

L'arret dit fonde l'appel forme par la defenderesse, decharge celle-ci du paiement de la somme de 29.747,22 euros reclamee par les demandeurs sur labase d'un contrat d'assurance conclu entre la defenderesse et J. P., dontles demandeurs sont les ayants cause, et condamne ceux-ci aux depens, partous ses motifs reputes ici integralement reproduits et specialement auxmotifs suivant :

« Un accident survenu sur le chemin `normal' entre le lieu de la reunionsyndicale et son domicile doit [...] etre considere comme un accident dutravail ;

En vertu de la jurisprudence, cette qualification peut egalement etreretenue sous certaines conditions si, sur ce chemin du retour, il y a euune interruption temporelle (ou un detour) ;

Dans un premier temps, il y a lieu de determiner quelle ampleur cetteinterruption a eue dans le temps ou dans l'espace : minime, peuimportante ou importante. Dans un deuxieme temps, il y a lieu dedeterminer, en fonction de cette classification de l'interruption, quellesjustifications peuvent etre acceptees de cette interruption ;

Si l'interruption est minime, celle-ci n'est pas prise en considerationpour la qualification d'accident du travail, peu importe la raison pourlaquelle elle est intervenue ;

Si cette interruption est peu importante, elle n'est prise enconsideration que si l'interruption est intervenue pour des motifslegitimes ou en cas de force majeure ;

Si l'interruption est importante, celle-ci reste sans influence sur laqualification d'accident du travail si elle resulte d'un cas de forcemajeure ;

Pour l'appreciation de l'importance de l'interruption dans le temps, lerapport entre la duree de cette interruption et la duree du trajet normalsans interruption est d'importance essentielle ;

Le trajet normal vers le domicile de J. P. aurait du durer 1 heure 42 minutes ;

Des pieces des [demandeurs], il ressort que la reunion à laquelle aparticipe monsieur P. a dure jusqu'à 16 heures 20 ;

Le ticket de parking a ete paye à 18 heures 17, de sorte quel'interruption s'est terminee à ce moment-là ;

L'interruption [...] a dure 1 heure 57 minutes. De cette duree doit etrededuite la duree du trajet à pied entre le lieu de la reunion et leparking de 5 minutes, puisque ce trajet est independant de l'interruptionet que le cafe se trouvait quasi sur le chemin ;

La duree de l'interruption etait des lors de 1 heure 52 minutes,c'est-à-dire plus longue que le trajet `normal' ;

L'interruption doit donc etre consideree comme importante (en ce sensegalement C. trav. Liege, 27 janvier 2004, R.G. nDEG 31.584/03, cite parV. Neuprez, `Accident sur le chemin du travail', dans `Actualites de lasecurite sociales', CUP, Larcier, 2004, p. 774) ;

Une interruption importante sur le trajet du retour à domicile n'a pas deconsequence sur l'appreciation d'un accident du travail, si celle-ci estjustifiee par un cas de force majeure ;

Le fait de se rendre dans un cafe avec un autre participant à la reunion,apres la fin de celle-ci, meme si dans le cafe le deroulement de lareunion a fait partie de l'objet des discussions, n'est pas un cas deforce majeure, ce qui n'est d'ailleurs pas pretendu ».

Griefs

Il est constant que la police de droit commun souscrite par l'employeur deJ. P. prevoit une indemnisation en cas d'accident du travail ou sur lechemin du travail tel qu'il est defini par la loi du 10 avril 1971 surles accidents du travail.

La definition de l'accident sur le chemin du travail contenue dansl'article 8, S: 1er, alineas 1er et 2, de la loi du 10 avril 1971 faitdonc la loi des parties au sens de l'article 1134 du Code civil et, parvoie de consequence, de la partie au profit de laquelle l'employeur astipule, conformement à l'article 1121 du Code civil, soit J. P. et sesayants droit, les demandeurs.

L'article 8, S: 1er, alineas 1er et 2, de la loi du 10 avril 1971 disposeque l'accident survenu sur le chemin du travail est egalement considerecomme un accident du travail et que le chemin du travail s'entend dutrajet normal que le travailleur doit parcourir pour se rendre de saresidence au lieu de l'execution du travail, et inversement.

Une interruption du chemin de retour n'a pas necessairement pourconsequence que le travailleur ne se trouve plus sur le trajet normalentre son lieu de travail et sa residence.

En effet, le trajet parcouru par le travailleur pour se rendre de saresidence au lieu d'execution du travail, et inversement, demeure letrajet normal au sens de l'article 8, 1er, alinea 2, de la loi du 10avril 1971 sur les accidents du travail si l'interruption du trajet estinsignifiante, si elle est peu importante et se justifie par un motiflegitime ou si elle est importante mais imputable à la force majeure.

L'appreciation de l'importance de la duree d'une interruption ne reposepas uniquement sur des elements de temps. Il appartient au juge de seprononcer sur toutes les circonstances susceptibles d'influencer la dureede cette interruption et de conclure si, de leur ensemble, il ressort ounon que celle-ci etait insignifiante, peu importante ou importante, avantde rechercher le pourquoi de l'interruption comme telle et sajustification.

Les demandeurs ont fait valoir dans leurs dernieres conclusions d'appel desynthese regulierement deposees que, « concernant les detours (criterede l'endroit) et les interruptions (critere du temps), la Cour decassation a considere qu'il faut avoir egard aux raisons des detours etinterruptions pour decider si le travailleur se trouvait sur son trajetnormal de travail ».

Ils ont soutenu que l'importance de l'interruption sera appreciee entenant compte de differents criteres : a) la duree de l'interruption ; b)la longueur du chemin du travail ainsi que le temps necessaire poureffectuer ce trajet ; c) toutes les circonstances qui ont influence laduree de l'interruption.

S'agissant des circonstances qui ont eu un impact sur la duree del'interruption, les demandeurs ont soutenu que :

« Concernant les circonstances qui peuvent avoir influence la duree del'interruption, la partie adverse se trompe en estimant que, dans le cadrede l'analyse de l'interruption, les raisons de cette interruption nepouvaient pas etre prises en consideration, puisque la jurisprudence aclairement juge que toutes les circonstances qui ont une influence sur laduree de l'interruption et sur l'etendue du risque doivent etre prises enconsideration ;

La jurisprudence signale egalement que l'importance de l'interruption doitetre appreciee cas par cas et ne doit pas etre appreciee exclusivementsur la base du rapport arithmetique entre la duree de l'interruption etle temps necessaire pour parcourir le chemin du travail ;

En l'espece, monsieur P. et madame B. se sont rendus, le 19 janvier 2005,dans un cafe pour discuter de la reunion. Un tel `debriefing' estnecessairement lie à l'emploi d'un certain temps ;

La partie adverse ne suit pas l'analyse des [demandeurs], puisqu'elle estd'avis que [ceux-ci] confondent dans leur analyse les deux criteres ouetapes (la premiere etape contient l'appreciation de l'etendue del'interruption et la seconde etape les raisons des interruptions) ;

Les [demandeurs] ne sont pas d'avis qu'ils confondent les deux criteres ouen ignorent un, puisqu'ils distinguent dans le cadre de leurs conclusionsclairement entre les deux criteres et qu'ils analysent ces deux criteresdistinctement ;

Ils sont cependant, contrairement [au defendeur], bel et bien d'avis que les circonstances qui influencent la duree de l'interruption jouent dejàun role dans l'analyse de l'importance de l'interruption. Ceci a eteconfirme par la jurisprudence ;

En ce qui concerne l'importance de l'interruption, il est des lorsimportant de preciser que monsieur P. a, avec une autre delegueesyndicale, apres la reunion, discute de celle-ci dans un cafe pendantnonante minutes ;

Les [demandeurs] ne soutiennent nullement que le caractere professionneldu debriefing serait une cause de justification, puisque cela doiteffectivement etre integre dans l'analyse des causes de l'interruption(second critere), mais comme un element qui peut influencer l'appreciationde la duree de l'interruption ;

[La defenderesse] se base sur un arret de la cour du travail de Liege du12 janvier 2000 par lequel il a ete decide que `l'appelant ne designeaucune circonstance particuliere qui commanderait d'apprecier l'ampleurde cette interruption en s'ecartant du rapport arithmetique' ;

Cet arret soutient la these des [demandeurs] que des circonstancesparticulieres doivent jouer un role dans le cadre de l'appreciation del'importance de l'interruption ;

Dans le cas d'espece, les circonstances particulieres qui ont influencel'interruption sont les suivantes :

- en ce qui concerne l'interruption, il s'agit d'une visite dans un cafe,de sorte que l'interruption d'une duree de 90 minutes doit etreconsideree comme normale ;

- dans le cadre de leur visite dans le cafe, monsieur P. et madame B. ontdiscute du debat qui a eu lieu durant la journee ainsi que desconsequences que cela aurait pour le personnel de la [societe Fortis], desorte que le fait que cela a pris un certain temps doit etre considerecomme absolument logique ;

L'interruption est des lors, apres l'analyse de la duree objective del'interruption, la longueur du chemin et le temps necessaire qui devaitencore etre parcouru, et les circonstances qui ont influence cetteinterruption, à considerer comme non importante ».

L'arret, apres avoir decide qu'il faut dans un premier temps determiner l'importance de l'interruption du trajet de retour et que, pourl'appreciation de l'importance de l'interruption dans le temps, c'est lerapport entre la duree de cette interruption et la duree du trajet normalsans interruption qui est essentielle, se borne à proceder à unecomparaison mathematique entre la duree objective de cette interruptionet celle du meme trajet s'il avait ete accompli sans interruption et àposer en regle qu'est importante une interruption dont la duree excedecelle du trajet normal, sans avoir egard aux circonstances susceptiblesd'influencer la duree de l'interruption invoquee par les demandeurs.

Il viole, partant, l'article 8, S: 1er, alineas 1er et 2, de la loi du 10avril 1971, qui fait la loi des parties qui ont contracte le contratd'assurance au sens de l'article 1134 du Code civil et qui regit les droits de la partie pour laquelle il a ete stipule au sens de l'article1121 du meme code, à savoir J. P., aux droits desquels viennent lesdemandeurs (violation des articles 8, S: 1er, alineas 1er et 2, de la loidu 10 avril 1971, 1121 et 1134 du Code civil).

A tout le moins, l'arret, en se bornant à indiquer que, pour apprecier l'importance de l'interruption dans le temps, c'est le rapport entre laduree de cette interruption et la duree du trajet normal sansinterruption qui est d'importance capitale, sans rencontrer lesconclusions prises par les demandeurs qui soutenaient qu'il appartenaitau juge de prendre egalement en consideration toutes les circonstancesdont ils soutenaient qu'elles avaient, in concreto, influence la duree del'interruption et qu'ils invoquaient, n'est pas regulierement motive(violation de l'article 149 de la Constitution) et ne permet pas à laCour d'exercer son controle sur la legalite de la decision.

III. La decision de la Cour

Aux termes de l'article 8, S: 1er, alinea 2, de la loi du 10 avril 1971sur les accidents du travail, le chemin du travail s'entend du trajetnormal que le travailleur doit parcourir pour se rendre de sa residence aulieu de l'execution du travail, et inversement.

Le trajet peut etre considere comme normal lorsque l'interruption dont laduree n'est pas importante est justifiee par un motif legitime ; le trajetcesse toutefois d'etre normal lorsque l'interruption est importante sansetre justifiee par la force majeure.

Pour apprecier l'importance de la duree de l'interruption du trajet, lejuge ne peut pas ne pas tenir compte de la duree objective de cetteinterruption.

L'arret, qui considere que le rapport entre la duree de l'interruption etcelle du trajet normal ne comportant pas d'interruption est, pour cetteappreciation, « d'importance essentielle », repond, en leur opposant lescriteres d'appreciation de la cour du travail, aux conclusions desdemandeurs qui en proposaient d'autres.

En constatant que, la duree du trajet normal etant d'une heurequarante-deux minutes, celle de l'interruption a atteint une heurecinquante-deux minutes, l'arret, qui permet à la Cour d'exercer soncontrole, motive regulierement et justifie legalement sa decision quel'interruption « doit etre consideree comme importante ».

Le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux depens.

Les depens taxes à la somme de deux cent deux euros vingt-cinq centimesenvers les parties demanderesses.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Koen Mestdagh, Mireille Delange et Antoine Lievens, etprononce en audience publique du dix-huit mai deux mille quinze par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+----------------------------------------+
| L. Body | A. Lievens | M. Delange |
|-------------+------------+-------------|
| K. Mestdagh | D. Batsele | Chr. Storck |
+----------------------------------------+

18 MAI 2015 S.14.0026.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.14.0026.F
Date de la décision : 18/05/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-05-18;s.14.0026.f ?
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