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14/12/2015 | BELGIQUE | N°C.14.0262.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 décembre 2015, C.14.0262.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0262.F

1. S. L.,

2. S. A.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

1. Warner/ChapPell MUSIC BELGIUM, societe anonyme dont le siege social estetabli à Grimbergen (Strombeek-Bever), Romeinsesteenweg, 468,

2. EMI MUSIC PUBLISHING BELGIUM, societe privee à responsabilite limitee,dont le siege social est etabli à Etterbeek, ave

nue de Tervueren, 34,

3. SONY/ATV MUSIC PUBLISHING BELGIUM BV, societe de droit neerlandais dontle siege ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0262.F

1. S. L.,

2. S. A.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

1. Warner/ChapPell MUSIC BELGIUM, societe anonyme dont le siege social estetabli à Grimbergen (Strombeek-Bever), Romeinsesteenweg, 468,

2. EMI MUSIC PUBLISHING BELGIUM, societe privee à responsabilite limitee,dont le siege social est etabli à Etterbeek, avenue de Tervueren, 34,

3. SONY/ATV MUSIC PUBLISHING BELGIUM BV, societe de droit neerlandais dontle siege est etabli à Amsterdam (Pays-Bas), Damrak, 20,

defenderesses en cassation,

representees par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 3 fevrier 2014par la cour d'appel de Mons.

Par ordonnance du 29 octobre 2015, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs presentent un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- article 1er, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative audroit d'auteur et aux droits voisins, tel qu'il a ete modifie par la loidu 22 mai 2005 transposant en droit belge la directive europeenne2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droitd'auteur et des droits voisins dans la societe de l'information ;

- article 2, sous a), de la directive europeenne 2001/29/CE du 22 mai 2001sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droitsvoisins dans la societe de l'information ;

- articles 1er et 21, alineas 1er et 2, de la loi uniforme Benelux surles dessins et modeles, annexee à la Convention Benelux en matiere dedessins et modeles, signee à Bruxelles le 25 octobre 1966, approuvee parla loi du 1er decembre 1970.

Decision et motifs critiques

L'arret decide que la partie de la ligne melodique de la chanson « Ma viefout l'camp », dont les demandeurs reclamaient la protection par le droitd'auteur, qui se retrouve dans la chanson « Frozen » commercialisee parles defenderesses « ne presente pas une originalite suffisamment marqueepour justifier » la protection reclamee, et que, « partant, les extraitslitigieux de `Frozen' ne constituent pas une reproduction illegale desextraits litigieux de la chanson `Ma vie fout l'camp' et la contrefac,onn'est pas etablie » et, en consequence, declare fonde l'appel forme parles defenderesses et ainsi non fondes l'action originaire en cessationformee par les demandeurs ainsi que leur appel incident et leurs demandesincidentes nouvelles, et enfin condamne ceux-ci à tous les depens.

L'arret fonde sa decision sur les motifs suivants :

« 1. Principes

[...]

Pour verifier l'application de la protection des droits d'auteur àl'oeuvre pretendument plagiee, qualifiee d'`oeuvre premiere', la premierequestion à se poser est celle de son originalite.

Suivant la doctrine et la jurisprudence, c'est au regard de l'originaliteque doit s'apprecier la contrefac,on.

En amont, l'oeuvre premiere doit constituer une creation intellectuellepropre à son auteur, expression originale de sa liberte creatrice,portant l'empreinte de sa personnalite (C.J.C.E., 16 juillet 2009, C-5/08,Infopaq, A&M, 2009, pp. 521-525 ; Benoit Michaux, `L'originalite en droitd'auteur, une notion davantage communautaire apres l'arret Infopaq', A&M,2009, pp. 481-482).

En aval, lorsqu'il y a une veritable creation, la liberte de creer ducreateur second entre en jeu pour temperer les pretentions parfoisdemesurees du premier createur.

L'originalite doit etre marquee.

La doctrine releve que la Cour de justice Benelux, dans son arret du 22mai 1987, a precise que l'adjectif `marque' impliquait qu'apres examen del'originalite, si un `doute raisonnable' subsistait, la protection par ledroit d'auteur devait etre ecartee (Fernand de Visscher et Benoit Michaux,Precis du droit d'auteur et des droits voisins, Bruylant, 2000, p. 185).

Par ailleurs, il faut retenir que l'originalite ne se confond pas avec lanouveaute, que la beaute ou le succes commercial importent peu et que lacombinaison d'elements banals peut etre originale.

En effet, l'originalite de l'oeuvre peut resider dans la combinaison deses differents elements constitutifs qui, pris individuellement, sontdepourvus d'originalite.

La conception la plus exigeante de l'originalite, conforme au droiteuropeen, s'impose au juge national.

S'agissant de l'originalite resultant de la combinaison d'elements en casde reproduction partielle, l'arret Infopaq precite a precise que lesparties de l'oeuvre beneficient de la protection `à condition qu'ellescontiennent certains des elements qui sont l'expression de la creationintellectuelle propre à l'auteur de cette oeuvre' (point 39) et que `lareprise d'un extrait d'une oeuvre protegee (...) est susceptible deconstituer une reproduction partielle (...) si un tel extrait contient unelement de l'oeuvre qui, en tant que tel, exprime la creationintellectuelle propre à l'auteur' (point 48).

Cet arret indique que l'originalite, qui peut porter sur une combinaisond'elements connus, s'apprecie differemment selon le genre de l'oeuvre.

D'autres decisions europeennes recentes precisent la notion d'originalitefaisant reference à la `touche personnelle' de l'auteur (C.J.U.E, 1erdecembre 2011, C-145/10, Painer, A&M, 2012, pp. 322-330) et à ses `choixlibres et creatifs' (C.J.U.E, 22 decembre 2010, C-393/09, BSA, A&M, 2011,pp. 324-327 ; C.J.U.E, 4 octobre 2011, C-403/08, Premier League ; C.J.U.E,1er mars 2012, C-604/10, Football Dataco, A&M, 2012, pp. 331-336).

[...]

Les elements repris ou copies ne meritent une protection que si leur choixet leur combinaison sont suffisamment originaux en sorte que l'etendue del'exclusivite depend de l'originalite de l'oeuvre contrefaite, laquelledoit s'apprecier non pas au regard de l'oeuvre en tant que telle mais deselements repris.

En matiere de droits d'auteur, la contrefac,on ne requiert pas un risquede confusion, mais il faut, condition necessaire mais non suffisante, unesimilarite substantielle entre les deux creations.

La composition musicale, qui utilise un vocabulaire musical limite, lenombre de notes n'etant que de sept, se compose de la melodie, del'harmonie et du rythme.

Seule la melodie, creation de forme par excellence, est appropriable enelle-meme, tandis que l'harmonie et le rythme ne peuvent etre protegesqu'appliques à une melodie (Henri Desbois, Le droit d'auteur en France,Dalloz, Paris, 1976, p. 139, nDEG 109).

La ressemblance doit s'apprecier de fac,on synthetique, du point de vue del'auditeur moyen, non du specialiste, sans mettre l'accent sur lesdifferences.

Cette analyse synthetique se retrouve en amont, pour apprecierl'originalite, et en aval, pour juger la contrefac,on.

Cette regle impose une concordance entre l'etendue de l'originalite etl'etendue de la protection.

[...]

En aval, pour apprecier une contrefac,on entre deux chansons, il convientde se referer aux similitudes existant entre les deux oeuvres, plutotqu'à leurs differences.

L'originalite peut etre contestee par la preuve de la presence deselements similaires dans des oeuvres anterieures, qualifiees de`destructrices d'originalite'.

[...]

Des lors que celui qui revendique la protection du droit d'auteur a decritou reside l'originalite de son oeuvre pretendument contrefaite et quecelui qui la conteste a prouve l'existence de creations anterieures, ilappartient au premier de refuter ces anteriorites.

En resume, il ne peut y avoir contrefac,on que si la ressemblance portesur des elements suffisamment originaux de l'oeuvre premiere qui exprimentune creation intellectuelle propre à son auteur.

2. Application

Il ne peut etre raisonnablement conteste que la chanson `Ma vie foutl'camp', composee par [le demandeur], est en soi une creation originale,empreinte de la personnalite de son compositeur, et merite protection dansson ensemble.

Encore faut-il verifier l'etendue de cette protection en fonction deselements precis d'originalite revendiques par [le demandeur].

En effet, le plagiat musical reproche ne concerne pas l'ensemble de lachanson, mais seulement quelques mesures, et plus particulierement lesdeux premieres mesures du premier couplet chante `3.3.3. 2.2.2. 1.7.1',repetees à deux reprises, qui se retrouvent dans la chanson `Frozen' deM., sous une forme comparable (mais avec une note en plus, dix au lieu deneuf, 3.3.3.2 2.2.2 1.7.1) et selon une structure similaire (mais avec uncouplet en plus, trois au lieu de deux).

La cour [d'appel] n'est pas tenue par l'opinion, qui n'a aucune valeurcontraignante, emise par la SABAM laissant le soin aux tribunaux de seprononcer sur l'existence d'une contrefac,on (voir en ce sens l'arretEminem, Bruxelles (9e chambre), 6 decembre 2007, Ing. Cons., 2008, p. 29,nDEG 10).

Il convient de verifier si les elements repris sont l'expression de lacreation intellectuelle propre à leur auteur.

Les mesures litigieuses sont en soi relativement banales et il a pu etredemontre par les [defenderesses] que ces lignes melodiques - 3.2.1.7.1 -se retrouvent dans de nombreuses autres oeuvres anterieures.

La plupart des experts consultes [...] sont d'accord pour considerer queles mesures de la chanson `Ma vie fout l'camp' se retrouvant dans `Frozen'ne presentent pas une originalite suffisante, susceptible de beneficierd'une protection.

Il a ete juge par le tribunal de grande instance de Paris le 6 janvier2012 que ce passage relativement courant, utilise sous une forme plus oumoins depouillee, qui se retrouve egalement dans l'oeuvre musicale`Bloodnight' creee en 1982, n'est pas en tant que tel susceptibled'appropriation, ce qui ne remet pas en cause l'originalite de l'oeuvredans son ensemble.

La question soumise au tribunal franc,ais etait celle de la contrefac,onreprochee aux parties [defenderesses et demanderesses] par l'auteur del'oeuvre musicale `Bloodnight' creee en 1982.

Elle portait sur les memes mesures litigieuses, repetees à diversesreprises.

L'expertise judiciaire ordonnee par ce tribunal et confiee au musicologueG.S. a permis de demontrer le caractere original des trois oeuvres dansleur ensemble, ainsi que l'existence de similitudes, sans cependant que lajuridiction franc,aise decide que la contrefac,on de l'oeuvre `Bloodnight'etait etablie.

La question de la contrefac,on de l'oeuvre `Ma vie fout l'camp' parl'oeuvre `Frozen' n'a donc pas ete tranchee et reste à examiner, sansqu'aucun aveu judiciaire puisse etre tire de l'attitude [du demandeur]qui, dans le cadre du litige franc,ais ou il avait la qualite dedefendeur, contestait l'originalite de l'oeuvre `Bloodnight', et non cellede sa propre chanson.

L'expert mandate par les [demandeurs] [...] considere que des elements quipresentent, isolement, un caractere banal, peuvent devenir originauxlorsqu'ils se retrouvent regroupes et deviennent des lors susceptibles decontrefac,on.

Cette theorie peut etre acceptee, mais doit etre justifiee en l'espece.

La cour [d'appel] ne peut que constater que les similitudes rencontreesentre les oeuvres `Frozen' et `Ma vie fout l'camp', à savoir les quelquesmesures, certes pratiquement identiques (mais avec une note en plus) etrepetees à plusieurs reprises (mais avec une repetition en plus), quiaccrochent l'oreille, se retrouvent dans de nombreuses oeuvres anterieuresà la chanson composee par [le demandeur].

Outre les oeuvres de musique classique ou les chansons anciennes etfolkloriques tombees dans le domaine public, on retrouve des anterioritesplus recentes, notamment des chansons de variete, blues ou rock.

Contrairement à ce qu'a estime en 2005 le premier juge, qui ne disposaità l'epoque que des seuls premiers rapports de l'expert Ricigliano ets'est fonde uniquement sur neuf anteriorites - les neuf melodies decomparaison citees dans le rapport du 23 juin 2005 -, la cour [d'appel] aconstate que d'autres anteriorites relevees presentent egalement uncaractere tres proche de la chanson `Ma vie fout l'camp' et une similariteà l'audition qui peut etre aisement perc,ue par une oreille non avertie,sans proceder à une savante analyse, et ce de maniere particulierementflagrante pour les titres `The Nights The Lights Went Out in Georgia'(Bobby Russell, 1972) et `Livin' On A Prayer' (John Bon Jovi, 1986).

Confrontes à ces anteriorites destructrices d'originalite, il appartientaux [demandeurs] de prouver que, malgre cet emprunt apparent,l'originalite de la chanson `Ma vie fout l'camp', et plus particulierementdes mesures litigieuses reprises dans la chanson `Frozen', n'est pasrestreinte ou compromise par les elements anterieurs.

Leur expert [...] affirme de maniere peremptoire, mais sans le demontrer,dans son dernier rapport du 13 avril 2013, que `toutes les anterioritesrelevees par les experts n'atteignent jamais le meme quota de pointsobjectifs de demonstration de similitude', et estime qu'il n'existe aucunesimilarite à l'audition entre les anteriorites et la chanson `Ma vie foutl'camp', avant de proceder exclusivement à une comparaison entre `Frozen'et `Ma vie fout l'camp'.

Cette analyse n'est pas partagee par la cour [d'appel] qui decele àl'oreille, aux termes d'une premiere ecoute, une similarite manifeste de`Ma vie fout l'camp' avec les chansons `The Nights The Lights Went Out inGeorgia' (anteriorite nDEG 2 du premier rapport Ricigliano) et `Livin' OnA Prayer' (anteriorite du rapport Ferrara), ces similarites s'accentuantlors d'auditions repetees.

Les [demandeurs] critiquent le fait que certaines anteriorites invoqueesseraient posterieures à la creation de `Ma vie fout l'camp'(officiellement deposee en 1993, mais composee selon eux à la fin desannees 1970).

Cette critique doit etre ecartee.

D'une part, la date exacte de creation de `Ma vie fout l'camp' n'est pasetablie de maniere certaine.

D'autre part, il est admis que, pour demontrer le manque d'originalited'une oeuvre, notamment en raison de son caractere banal, des oeuvresposterieures peuvent egalement etre prises en compte.

Le doute subsiste quant à la marque de l'originalite des mesureslitigieuses dont les [demandeurs] ne parviennent pas à apporter lapreuve, leur repetition à diverses reprises sous forme de debut decouplet dans le cadre d'une structure commune à de nombreuses chansonspopulaires n'etant pas significative.

Il s'en deduit que ces mesures, leur combinaison et leur repetition neportent pas suffisamment la touche personnelle [du demandeur] pourpresenter l'originalite requise pour etre protegees par le droitd'auteur.

La partie de la ligne melodique de `Ma vie fout l'camp' se retrouvant dans`Frozen' ne presente pas une originalite suffisamment marquee pourjustifier cette protection.

Partant les extraits de `Frozen' ne constituent pas une reproductionillegale des extraits litigieux de la chanson `Ma vie fout l'camp' et lacontrefac,on n'est pas etablie ».

Griefs

Premiere branche

1. En vertu de l'article 1er, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 30 juin1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, tel qu'il a etemodifie par la loi du 22 mai 2005 transposant en droit belge la directiveeuropeenne 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certainsaspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la societe del'information, l'auteur d'une oeuvre litteraire ou artistique a seul ledroit de la reproduire ou d'en autoriser la reproduction, de quelquemaniere et sous quelque forme que ce soit, qu'elle soit directe ouindirecte, provisoire ou permanente, en tout ou en partie.

En vertu de cette disposition, une oeuvre litteraire ou artistique estprotegee par le droit d'auteur si elle est originale, en ce sens qu'elleest la creation intellectuelle propre à son auteur.

Une creation intellectuelle est propre à son auteur lorsqu'elle refletela personnalite de celui-ci. Tel est le cas si l'auteur a pu exprimer sescapacites creatives lors de la realisation de l'oeuvre en effectuant deschoix libres et creatifs.

Il suffit à l'originalite requise par la loi pour la protection par ledroit d'auteur que la creation reflete la personnalite de son auteur, sansque soient requis ni pertinents un degre, une suffisance, une marque outoute consideration autre que la presence, dans la creation litigieuse, dureflet de la personnalite de l'auteur.

2. L'arret, apres avoir considere notamment que « l'originalite doit etremarquee », ce qui implique que si, apres examen de l'originalite, undoute raisonnable subsiste, la protection par le droit d'auteur doit etrerefusee, enonce en regle que, « en resume, il ne peut y avoircontrefac,on que si la ressemblance porte sur des elements suffisammentoriginaux de l'oeuvre premiere qui expriment une creation intellectuellepropre à son auteur ».

Examinant les deux premieres mesures repetees de la chanson du demandeur,et dont celui-ci reprochait la reprise dans la chanson commercialisee parles defenderesses, l'arret conclut l'examen des mesures litigieuses parles juges d'appel en enonc,ant que « le doute subsiste quant à la marquede l'originalite des mesures litigieuses dont les [demandeurs] neparviennent pas à apporter la preuve », et en deduit « que ces mesures,leur combinaison et leur repetition ne portent pas suffisamment la touchepersonnelle [du demandeur] pour presenter l'originalite requise pour etreprotegees par le droit d'auteur » et que « la partie de la lignemelodique de « Ma vie fout l'camp » [chanson du demandeur] ne presentepas une originalite suffisamment marquee pour justifier cetteprotection ».

3. En exigeant ainsi la preuve de « la marque de l'originalite » et enrefusant à la creation litigieuse la protection par le droit d'auteur àdefaut de porter « suffisamment la touche personnelle » de l'auteur etainsi de presenter « une originalite suffisamment marquee », l'arretsoumet cette protection à la condition que le reflet de la personnalitede l'auteur, et par là l'originalite, soit marque ou suffisant, conditionetrangere au reflet de la personnalite de l'auteur, seul requis par laloi, et ainsi à l'originalite requise par l'article 1er, S: 1er, alinea1er, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droitsvoisins. Il viole par là cette disposition legale ainsi que ladisposition de droit de l'Union europeenne qu'elle transpose, à savoirl'article 2, sous a), 3, S: 1er, et 4, S: 1er, de la directive europeenne2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droitd'auteur et des droits voisins dans la societe de l'information.

4. Si l'arret doit se lire comme appliquant à la creation litigieuse,c'est-à-dire à une partie d'une chanson, l'article 21, alineas 1er et 2,de la loi uniforme Benelux sur les dessins et modeles du 25 octobre 1966,dispositions en vertu desquelles un dessin ou modele n'est protege par ledroit d'auteur que s'il presente un caractere artistique marque, il violeces dispositions qui ne sont applicables qu'aux dessins et modeles au sensdefini par l'article 1er de cette meme loi, et par là, il viole aussicette derniere disposition selon laquelle peut etre protege comme dessinou modele l'aspect nouveau d'un produit ayant une fonction utilitaire, cequ'une chanson ou partie de chanson n'est pas.

Seconde branche (subsidiaire)

1. L'originalite requise par l'article 1er, S: 1er, alinea 1er, de la loidu 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisinss'apprecie au moment de la creation de l'oeuvre concernee au regardexclusivement d'elements anterieurs et non d'elements posterieurs.

En l'espece, l'arret fonde sa decision sur la consideration qu' « il estadmis que pour demontrer le manque d'originalite, notamment en raison deson caractere banal, des oeuvres posterieures peuvent egalement etreprises en compte ».

En fondant ainsi sa decision sur un principe contraire à l'article 1er,S: 1er, alinea 1er, de la loi du 30 juin 1994, l'arret viole cettedisposition et n'est des lors pas legalement justifie.

2. A tout le moins, il ressort de l'arret que :

- la ligne melodique de la chanson du demandeur, intitulee « Ma vie foutl'camp » et dont la contrefac,on etait reprochee, est presentee par lesdemandeurs comme ayant ete composee « à la fin des annees 70 » et letexte seul a ete depose « à la SACEM le 27 mars 1981, mais enregistre le27 octobre 1982 »,

- le titre de cette chanson (parole et musique) est depose à la SABAM le14 juillet 1993,

- la chanson « The Nights The Lights Went Out in Georgia » de BobbyRussell date de 1972, et la chanson « Livin' On A Prayer » de John BonJovi date de 1986,

- les juges d'appel considerent la date exacte de creation de la chanson« Ma vie fout l'camp » comme n'etant pas etablie de maniere certaine.

En s'appuyant (par deux fois) sur la similarite à l'audition entre lachanson litigieuse « Ma vie fout l'camp », dont la date de creation estjugee incertaine, et les deux chansons « The Nights The Lights Went Outin Georgia » et « Livin' On A Prayer », pour denier à la premierel'originalite requise pour sa protection, l'arret est affecte d'une doubleambiguite dans ses motifs, violant par là l'article 149 de laConstitution.

D'une part, on ne peut pas determiner si les juges d'appel ont constate lasimilarite à l'audition en rapport avec les deux chansons « The NightsThe Lights Went Out in Georgia » et « Livin' On A Prayer » considereesensemble ou considerees separement.

D'autre part, on ne peut pas determiner si les juges d'appel, bien qu'ilsconsiderent la date exacte de creation de la chanson litigieuse commen'etant pas etablie de maniere certaine, ont pris en consideration la dateavancee par les demandeurs à savoir « la fin des annees 1970 », ous'ils ont considere la chanson comme creee en 1981, en 1982 ou en 1993.

3. Or, la decision des juges d'appel n'est conforme au principe selonlequel l'originalite d'une oeuvre s'apprecie au regard des seuls elementsanterieurs à sa creation (art. 1er, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 30juin 1994 precitee), que :

- dans l'hypothese ou ils ont considere la chanson litigieuse commecomposee à la fin des annees 1970, en 1981 ou en 1982 et ou ils ontdeduit la similarite à l'audition de la chanson « The Nights The LightsWent Out in Georgia » (1972) independamment de la chanson posterieure« Livin' On A Prayer » (1986), ou

- dans l'hypothese ou ils ont considere la chanson litigieuse commecomposee en 1993 et ou ils ont deduit la similarite à l'audition de l'uneou de l'autre des deux chansons de 1972 et 1986, ou des deux ensemble.

En revanche, la decision des juges d'appel viole l'article 1er, S: 1er,alinea 1er, de la loi du 30 juin 1994 dans l'hypothese ou ils ontconsidere la chanson litigieuse comme composee à la fin des annees 1970,en 1981 ou en 1982, et ou ils ont deduit la similarite à l'audition deschansons de 1972 et de 1986 considerees ensemble, ce qui revient alors -en contradiction avec la loi - à apprecier l'originalite au moyen d'unelement posterieur, fut-ce en partie, ce qui n'affecte pas l'illegalitedenoncee.

Etant ainsi legal dans certaines interpretations possibles et illegal dansd'autres, l'arret, qui est entache d'ambiguite, n'est pas regulierementmotive (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

Pour qu'une oeuvre puisse beneficier de la protection de la loi du 30 juin1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins, il est necessairemais suffisant de prouver qu'elle est originale en ce sens qu'elle est unecreation intellectuelle propre à son auteur. Une creation intellectuelleest propre à son auteur lorsqu'elle reflete la personnalite de celui-ci.Tel est le cas si l'auteur a exprime ses capacites creatives lors de larealisation de l'oeuvre en effectuant des choix libres et creatifs.

Les differentes parties d'une oeuvre beneficient de la protection de laloi precitee à condition de contenir des elements qui sont l'expressionde la creation intellectuelle propre à l'auteur de cette oeuvre. Elles nebeneficient pas de cette protection si elles sont banales.

L'arret constate que « le plagiat musical reproche [aux demandeurs parles defendeurs] ne concerne pas l'ensemble de la chanson, mais [...] lesdeux premieres mesures du premier couplet chante [...], repetees à deuxreprises » .

Il considere que « la chanson `Ma vie fout l'camp', composee par [ledemandeur], est en soi une creation originale, empreinte de lapersonnalite de son compositeur, et merite protection dans sonensemble » ; qu'« il convient de verifier si les elements repris sontl'expression de la creation intellectuelle propre à leur auteur ; [que]les mesures litigieuses sont en soi relativement banales et [qu']il a puetre demontre par les [defenderesses] que ces lignes melodiques [...] seretrouvent dans de nombreuses autres oeuvres anterieures ; [que] laplupart des experts consultes [...] sont d'accord pour considerer que lesmesures de la chanson `Ma vie fout l'camp' se retrouvant dans `Frozen' nepresentent pas une originalite suffisante, susceptible de beneficier d'uneprotection ; [qu'] il a ete juge par le tribunal de grande instance deParis le 6 janvier 2012 que ce passage relativement courant [...], qui seretrouve egalement dans l'oeuvre musicale `Bloodnight',[...] n'est pas entant que tel susceptible d'appropriation » ; que « les similitudesrencontrees entre les oeuvres `Frozen' et `Ma vie fout l'camp', à savoirles quelques mesures [...], qui accrochent l'oreille, se retrouvent dansde nombreuses oeuvres anterieures à la chanson composee par [ledemandeur] » et que « le doute subsiste quant à la marque del'originalite des mesures litigieuses dont [les demandeurs] ne parviennentpas à apporter la preuve, leur repetition à diverses reprises sous formede debut de couplet dans le cadre d'une structure commune à de nombreuseschansons populaires n'etant pas significative ».

L'arret en deduit que « ces mesures, leur combinaison et leur repetitionne portent pas suffisamment la touche personnelle [du demandeur] pourpresenter l'originalite requise pour etre protegees par le droit d'auteur[et que] la partie de la ligne melodique de `Ma vie fout l'camp' seretrouvant dans `Frozen' ne presente pas une originalite suffisammentmarquee pour justifier cette protection ».

Par ces enonciations, d'ou il ressort que, compte tenu notamment desoeuvres anterieures invoquees par les defendeurs, les demandeursn'etablissent pas que les extraits litigieux de la chanson du demandeur nesont pas banals mais refletent la personnalite de leur auteur, l'arretjustifie legalement, sans faire application de l'article 21, alineas 1eret 2, de la loi uniforme Benelux sur les dessins et modeles, sa decisionque « les extraits litigieux de `Frozen' ne constituent pas unereproduction illegale des extraits litigieux de la chanson `Ma viefout l'camp' et [que] la contrefac,on n'est pas etablie ».

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la seconde branche :

L'article 1er, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 30 juin 1994 relative audroit d'auteur et aux droits voisins n'exclut pas que, dans certainescirconstances, le tribunal puisse tenir compte d'oeuvres posterieures pourapprecier la banalite de l'oeuvre litigieuse.

Le moyen, qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutenementcontraire, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux depens.

Les depens taxes à la somme de mille quarante-deux euros cinquante-sixcentimes envers les parties demanderesses.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du quatorze decembre deux mille quinze parle president de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+---------------------------------------------+
| L. Body | M. - Cl. Ernotte | M. Lemal |
|------------+------------------+-------------|
| M. Delange | M. Regout | A. Fettweis |
+---------------------------------------------+

14 DECEMBRE 2015 C.14.0262.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0262.F
Date de la décision : 14/12/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 18/03/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-12-14;c.14.0262.f ?
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