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14/12/2015 | BELGIQUE | N°S.12.0052.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 décembre 2015, S.12.0052.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.12.0052.F

G.-P. P., demandeur en cassation,

represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

DISTRISUD-BELLENS, societe anonyme dont le siege social est etabli àGrace-Hollogne, rue des Ateliers Smulders, 27,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Emp

ereur, 3, ou ilest fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassati...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.12.0052.F

G.-P. P., demandeur en cassation,

represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

DISTRISUD-BELLENS, societe anonyme dont le siege social est etabli àGrace-Hollogne, rue des Ateliers Smulders, 27,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 25 novembre2011 par la cour du travail de Liege.

Le 26 octobre 2015, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgeneral Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

Le demandeur presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- article 1315 du Code civil ;

- article 870 du Code judiciaire ;

- article 458 du Code penal ;

- article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats detravail ;

- articles 32quater, 32sexies, 32nonies, 32tredecies et 32quinquiesdeciesde la loi du 4 aout 1996 relative au bien-etre des travailleurs lors del'execution de leur travail, dans la version introduite par la loi du 10janvier 2007 modifiant plusieurs dispositions relatives au bien-etre destravailleurs lors de l'execution de leur travail, dont celles relativesà la protection contre la violence et le harcelement moral ou sexuel autravail ;

- articles 21 à 30 de l'arrete royal du 17 mai 2007 relatif à laprevention de la charge psychosociale occasionnee par le travail, dont laviolence, le harcelement moral ou sexuel au travail.

Decisions et motifs critiques

L'arret, apres avoir decide que la notification du conge pour motif graveet de ses motifs le 29 juin 2009 etait reguliere, decide que celicenciement est fonde, reforme le jugement entrepris en ce qu'il acondamne la defenderesse au paiement d'une indemnite de preavis et deboute le demandeur de son appel incident, le condamnant aux depens depremiere instance et d'appel, par tous ses motifs consideres ici commeintegralement reproduits et plus particulierement aux motifs que :

« Fondement du motif grave

[La defenderesse] depose les documents suivants pour prouver les faits :

- un rapport remis le 25 juin 2009 par le service externe de prevention dela [defenderesse] à monsieur V. D.H., apres l'avoir rencontre le jourmeme [...] ;

A la suite de ce rapport, [le demandeur] a ete entendu le 25 juin 2009 parles representants de [la defenderesse] [...] afin de faire connaitre saversion des faits. Lors de cet entretien, si [le demandeur] s'est declare`etre sur le cul', il n'a pas nie les faits allegues par les travailleuses et repris dans ce rapport ;

Ce n'est que par la lettre du 6 juillet 2009, soit une dizaine de joursplus tard, qu'il a conteste son licenciement pour motif grave. Force estde constater que, s'il se dit `stupefait et indigne' et qu'il affirmequ' ` il est inexact qu'il n'aurait pas nie les faits', il ne conteste pas expressement la materialite des reproches formules, se limitant àcontester sans fournir aucune explication precise ;

- deux declarations : d'une part, celle d'une victime [du demandeur],madame N. H., d'autre part, celle de temoins, messieurs P. V. et P. H.,representants d'organisations syndicales ;

[...] Il est suffisamment prouve que [le demandeur] a eu un comportementà connotation sexuelle non desire par les travailleuses concernees, setraduisant tant par des paroles que par des gestes, qui a eu pourconsequence de creer un environnement intimidant, hostile, degradant, humiliant ou offensant ;

A la suite de ce comportement non desire [du demandeur], les travailleusesconcernees ont du mettre en place un systeme afin de se proteger de cedernier ; elles n'auraient evidemment pas eu à se proteger ducomportement [du demandeur] si ce dernier ne se comportait pas de maniereà creer un environnement au moins hostile ou intimidant ;

En outre, cet environnement intimidant et hostile est egalement revele parle fait que les travailleuses mettaient tout en oeuvre afin de ne pas seretrouver seules avec [le demandeur] et ce, de peur des represailles dela part de leur superieur hierarchique si elles se defendaient ;

Enfin, il ressort du rapport du service externe de prevention et deprotection que les travailleuses demandaient à la direction que cettesituation cesse ;

[Le demandeur] s'est, des lors, rendu coupable de harcelement sexuelenvers certaines travailleuses ;

Ce comportement inacceptable est aggrave par le fait qu'en tant quedirecteur general et administrateur delegue de la [defenderesse], [ledemandeur] avait une influence certaine sur les travailleuses concerneeset pouvait mettre la pression sur ces dernieres ;

A cet egard, les representants syndicaux des travailleurs de la[defenderesse] precisent : `nous avons aussi clairement compris qu'ileprouvait un sentiment d'impunite par sa situation hierarchique' ;

La cour [du travail] estime que le rapport du service externe deprevention et protection, le Centre belge de la medecine du travail,suffit, avec les pieces qui apportent la preuve d'antecedents, pourprouver la realite des faits ;

Le fait que les travailleuses souhaitaient garder l'anonymat est tout àfait explicable en raison de la subordination hierarchique associee auxsentiments qui, generalement, animent les femmes victimes de harcelementsexuel tels peur de represailles ; impression que la plainte n'est pasassez `serieuse' pour exiger une enquete de l'exterieur ; sentiment deculpabilite, et sentiment de honte et d'humiliation ;

Dans le cadre de la procedure d'appel, deux des quatre travailleuses confirment integralement le contenu du rapport du Centre belge de lamedecine du travail et acceptent d'etre entendues en qualite de temoinsdevant la cour [du travail] ;

La cour [du travail] considere que les declarations produites suffisent etqu'il n'y a pas lieu de proceder à l'audition de ces travailleuses dansla mesure ou elles confirment le descriptif detaille dans le rapport duCentre belge de la medecine du travail ;

La cour [du travail] considere que les faits sont suffisamment decritsdans l'espace et dans le temps pour pouvoir etre qualifies d'actes deharcelement sexuel ;

Il s'agit de toute evidence d'actes indelicats et non appropries dans lecadre d'une relation de travail normale ;

Sous reserve de l'examen de la regularite de la preuve, la cour [dutravail] estime que ces actes justifient un licenciement pour motif gravedans le chef de leur auteur ;

Regularite de la preuve

[Le demandeur] estime que le rapport etabli par le service externe de prevention et protection a ete communique à la [defenderesse] enviolation de la procedure informelle suivie en cas de plainte pourharcelement ;

Il en tire comme consequence que le rapport a donc ete produit en justiceen violation du secret professionnel vise à l'article 458 du Code penal,auquel sont tenus les conseillers en prevention et les personnes deconfiance (article 32quinquiesdecies de la loi du 4 aout 1996) ;

[Le demandeur] estime par consequent que le rapport du service externe deprevention et protection doit etre ecarte des debats ;

Dispositions legales applicables (articles 21 à 24 de l'arrete royal du17 mai 2007 relatif à la prevention de la charge psychosocialeoccasionnee par le travail, dont la violence, le harcelement moral ousexuel au travail)

L'article 23 de l'arrete royal precite dispose que :

`La personne de confiance entend le travailleur qui s'adresse à elle dansun delai de huit jours de calendrier apres le premier contact. Ellel'informe sur la possibilite de rechercher une solution de maniereinformelle par le biais d'une intervention aupres d'un membre de la lignehierarchique ou par le biais d'une conciliation avec la personne mise encause.

La personne de confiance n'agit qu'avec l'accord du travailleur.

Le processus de conciliation necessite l'accord du travailleur.

Si le travailleur ne desire pas s'engager dans la recherche d'une solutionde maniere informelle [...] ou si les faits persistent, le travailleurqui declare etre l'objet de violence ou de harcelement peut deposer uneplainte motivee aupres de la personne de confiance conformement à l'article 25' ;

Interpretation

Il existe une double procedure :

- d'abord interne et informelle (articles 21 et 24 de l'arrete royalprecite),

- ensuite, une procedure concretisee par une plainte (articles 25 etsuivants) ;

En regle, dans la premiere hypothese, `l'employeur n'est pas averti de la procedure menee par la personne de confiance ou par le conseiller enprevention psychosociale et ne rec,oit aucun rapport à ce sujet' ;

Dans la seconde hypothese, des la reception de la plainte, le conseilleren prevention en informe immediatement l'employeur sans lui remettre lacopie de la plainte. Cette information est prevue pour enclencher laprotection contre le licenciement (article 25, alinea 5, de l'arreteroyal du 17 mai 2007) ;

Ensuite, le conseiller en prevention examine la plainte en touteimpartialite ;

La personne mise en cause rec,oit copie de la plainte. Au terme del'examen de la plainte motivee, le conseiller en prevention remet un avisecrit à l'employeur (article 28, alinea 4, de l'arrete royal du 17 mai2007) ;

L'article 32quinquiesdecies de la loi du 4 aout 1996 precise que tant le conseiller en prevention que la personne de confiance est tenu au secretprofessionnel vise à l'article 458 du Code penal ;

La loi enumere cinq hypotheses ou il est deroge à cette regle ;

Parmi ces hypotheses, 1DEG) celle ou `le conseiller en prevention et lapersonne de confiance communiquent les informations qu'ils estimentpertinentes pour le bon deroulement d'une conciliation aux personnes quiy participent' ;

Les travaux preparatoires precisent : `le conseiller en prevention et lapersonne de confiance sont donc tenus au secret professionnel. Parconsequent, ils ne peuvent reveler ce qui est porte à leur connaissancedans le cadre de l'exercice de leurs fonctions, sauf si la loi lepermet' ;

En l'espece

Le rapport du Centre belge de medecine du travail adresse à monsieur V.D. H.precise :

`Monsieur L. et moi-meme avons sollicite une entrevue avec vous à lademande de quatre travailleuses de [la defenderesse] qui nous avaientinterpelles respectivement en nos qualites de personne de confiance et deconseiller en prevention psychosociale. [...] Les travailleusessouhaitaient que cette situation cesse' ;

La cour [du travail] estime que la communication de ce rapport a eteeffectuee selon la prescription legale ;

En effet,

1. les travailleuses ont fait choix de la procedure informelle ;

2. elles ont decide de mandater la personne de confiance et le conseilleren prevention pour agir aupres du superieur hierarchique afin de fairecesser la situation de harcelement sexuel qu'elles denoncent ;

3. en raison de la qualite [du demandeur], seul monsieur V.D.H.,administrateur de la [defenderesse] et representant de HDS au sein du conseil d'administration de [la defenderesse], pouvait etre contacte par le Centre belge de medecine du travail en vue de faire cesser lasituation. Cette communication est conforme à l'article 23 de l'arreteroyal precite ;

4. le secret professionnel n'a pas ete viole puisque monsieur V. D. H. aeu connaissance des faits en sa qualite de superieur hierarchique, partiedirectement impliquee dans le processus informel. Comment monsieur V.D.H. pourrait-il intervenir dans le cadre d'une conciliation sans avoirconnaissance des faits reellement reproches [au demandeur] ?

Reste des lors à examiner la question si monsieur V. D. H. a detourne latransmission des informations de la finalite de la procedure informelle ;

D'une part, monsieur V. D. H. etait, en sa double qualite d'administrateur et de representant d'administrateur, le superieurhierarchique [du demandeur] et donc legalement implique dans le processusinformel (article 23 de l'arrete royal du 17 mai 2007) ;

D'autre part, il etait seul competent pour prendre une decision de licenciement à l'egard [du demandeur] ;

Il ne peut lui etre reproche d'avoir considere en sa qualite d'employeurqu'il lui incombait de proteger non seulement les travailleusesconcernees dans le cadre du rapport litigieux mais egalement tout lepersonnel feminin susceptible d'etre à l'avenir importune par les agissements repetitifs et habituels [du demandeur], en sorte que laprocedure de conciliation envisagee n'avait pas lieu d'etre initiee ;

De toute maniere, lorsqu'une procedure de conciliation est engagee, la possibilite existe qu'elle echoue

- soit parce que les parties n'arrivent pas à se concilier,

- soit parce qu'une partie, le superieur hierarchique, estime qu'elle n'apas lieu d'etre parce que les faits sont d'une telle gravite que la seulemaniere de faire cesser le comportement incrimine est de mettre fin à larelation contractuelle du travailleur coupable des actes denonces ;

Cette derniere hypothese rentre parfaitement dans la procedure visee parles articles 21 à 24 de l'arrete royal precite ;

La cour [du travail] considere, des lors, que monsieur V. D. H. n'a pasviole les dispositions legales precitees ;

Il n'a pas detourne la connaissance des faits devoiles par le rapport du conseiller en prevention dans un but illicite ;

Conclusions

Les fautes graves ayant justifie le licenciement pour motif grave [du demandeur] sont etablies tant par le rapport du service externe deprevention et protection, confirme par deux des quatre travailleuses, quepar les declarations [du demandeur] lors de l'entretien du 25 juin 2009,mais egalement confortees par les declaration de madame H. et plus fondamentalement encore par celles des representants syndicaux destravailleurs de [la defenderesse] ».

Griefs

Dans ses conclusions d'appel, le demandeur a soutenu

« Que la reglementation prevoit d'abord une procedure interne ouinformelle (articles 21 à 24 de l'arrete royal du 17 mai 2007 relatifsà la prevention de la charge psychosociale occasionnee par le travail,dont la violence, le harcelement moral ou sexuel au travail) ; que, dansce cadre, la procedure informelle se deroule sous le benefice d'uneconfidentialite absolue et qu'il n'est pas permis à la personne deconfiance ou au conseiller en prevention d'avertir l'employeur ; quel'article 32quinquiesdecies, alinea 2, 1DEG, de la loi du 4 aout 1996n'autorise en effet la communication que des seules informations que leconseiller en prevention ou la personne de confiance estime pertinentes pour le bon deroulement d'une conciliation aux personnes qui yparticipent ; qu'en l'espece, il n'y a eu aucune tentative deconciliation ;

Que les conseillers en prevention ou les personnes de confiance sont tenuspar le secret professionnel vise à l'article 458 du Code penal et quel'article 32quinquiesdecies ne prevoit que cinq hypotheses danslesquelles il peut etre deroge à cette regle ;

Qu'à supposer que la remise du rapport se soit situee, comme le soutenait[la defenderesse], dans le cadre des articles 23 et 24 de l'arrete royal,l'employeur aurait alors detourne le procede de sa finalite, à savoirparvenir à une solution informelle, en notifiant immediatement un licenciement pour motif grave sans verification, et qu'en outre,l'intervention aupres d'un membre de la ligne hierarchique ne correspondà aucune des cinq hypotheses dans lesquelles la loi libere le conseilleren prevention et la personne de confiance de leur obligation au secretprofessionnel ».

Par la loi du 4 aout 1996, plus particulierement dans la versionintroduite par la loi du 10 janvier 2007, le legislateur a entenduprivilegier la procedure interne à l'entreprise pour la resolution dessituations conflictuelles entre travailleurs en matiere de violence et deharcelement moral ou sexuel au travail.

Il a ainsi prevu, en son article 32sexies, les mesures que l'employeurdoit prendre afin que les travailleurs puissent, conformement àl'article 32nonies, s'adresser au conseiller en prevention ou à lapersonne de confiance. Il a egalement impose à l'employeur de prendre lesmesures permettant l'intervention « tout à fait impartiale » de cespersonnes (article 32quater, alinea 2, de la loi).

Par l'article 32quinquiesdecies, alinea 1er, de la loi, le legislateur aprevu que le conseiller en prevention et la personne de confiance sonttenus au secret professionnel vise à l'article 458 du Code penal, quiinterdit la revelation des secrets dont une personne est depositaire par son etat ou sa profession.

Les exceptions apportees par l'article 32quinquiesdecies, alinea 2, à laregle du secret sont limitatives et differentes selon le stade de laprocedure interne organisee par les articles 21 à 30 de l'arrete royaldu 17 mai 2007.

Le travailleur qui estime etre l'objet de violences ou de harcelementmoral ou sexuel au travail peut, apres un entretien personnel avec lapersonne de confiance ou le conseiller en prevention, faire directementle choix de deposer une « plainte motivee » aupres d'une de ces personnes, plainte prevue et encadree par les articles 32quater et32nonies de la loi et les articles 25, 27 et 30 de l'arrete royal.

Lorsqu'une plainte motivee est deposee, le legislateur a strictementencadre, par l'article 32quinquiesdecies, alinea 2, quand et de quellemaniere, par exception à la regle du secret professionnel, le conseilleren prevention et la personne de confiance pouvaient donner des informations à l'employeur. Ce n'est ainsi que lorsque l'examen impartialde la plainte motivee est termine que l'article 32quinquiesdecies, alinea 2, 3DEG, permet la transmission à l'employeur d'un avis ecritportant sur les resultats de l'examen impartial de cette plainte, avisqui, en vertu de l'article 28 de l'arrete royal, contient notamment « lecompte-rendu des faits ».

Avant la fin de cet examen impartial de la plainte motivee, les seules informations que le conseiller en prevention ou la personne de confianceest autorise à donner à l'employeur sont l'existence de cette plainte,l'identite de la personne concernee ainsi qu'eventuellement l'identitedes temoins, aux fins de la protection contre le licenciement (articles 32tredecies, S: 6, de la loi et 25, dernier alinea, de l'arrete royal).

En vertu de l'article 29 de l'arrete royal, c'est apres avoir rec,u cetavis ecrit que l'employeur informe le plaignant et la personne mise encause des mesures qu'il compte prendre.

Le travailleur peut aussi faire le choix de la procedure organisee par lesarticles 23 et 24 de l'arrete royal. Dans ce cadre, une solution peut etrerecherchee de maniere informelle par le biais d'une intervention aupresde la ligne hierarchique. Une seule exception à la levee du secretprofessionnel est prevue au stade de cette procedure informelle, soit, envertu de l'article 32quinquiesdecies, alinea 2, 1DEG, de la loi, que« le conseiller en prevention et la personne de confiance communiquentles informations qu'ils estiment pertinentes pour le bon deroulement d'uneconciliation aux personnes qui y participent ». Cette exception est doncstrictement limitee par sa finalite, à savoir la realisation d'un accordpermettant d'eviter les mesures coercitives que l'employeur pourraitdevoir prendre à l'egard d'un travailleur si une solution informellen'etait pas trouvee ou si les faits persistaient ulterieurement.

Premiere branche

Il se deduit de l'ensemble de ces dispositions que l'intervention de laligne hierarchique est, au stade de la recherche d'une solutioninformelle prevue par les articles 23 et 24 de l'arrete royal, celle d'unamiable compositeur. A supposer meme que le superieur hierarchique soit egalement celui qui detient le pouvoir de rompre le contrat, ce n'est pasen tant que titulaire de ce pouvoir qu'il intervient dans la procedureinformelle. Lorsque la ligne hierarchique estime que la conciliation n'apas lieu d'etre, les informations qui lui ont ete transmises par leconseiller en prevention ou la personne de confiance aux seules fins deparvenir à un accord ne peuvent etre utilisees aux fins de rompre lecontrat pour motif grave.

L'arret constate que les travailleuses ont fait choix de la procedure informelle, ont decide de mandater la personne de confiance et leconseiller en prevention pour agir aupres du superieur hierarchique, soitmonsieur V. D.H., afin de faire cesser la situation de harcelement sexuelqu'elles denonc,aient ; que la personne de confiance et le conseiller enprevention ont rencontre, le 25 juin 2009, monsieur V. D. H. et ont remisau superieur hierarchique un rapport confirmant l'entretien etreproduisant les propos des travailleuses quant au comportement du demandeur ; que c'est « à la suite de ce rapport » que, le meme jour,le demandeur a ete convoque et que c'est ce rapport qui est invoque dansla lettre de licenciement pour motif grave du 29 juin et dans la lettrede notification des motifs graves du meme jour.

En decidant que l'utilisation dudit rapport par monsieur V. D. H. en sa qualite d'employeur, aux fins du licenciement du demandeur, n'avait pas eulieu en violation du secret professionnel et rentrait « parfaitementdans la procedure visee par les articles 21 à 24 de l'arrete royalprecite » et que celui-ci n'avait pas « detourne la connaissance desfaits dans un but illicite », l'arret viole, partant, les articles 458du Code penal, 32quater, 32sexies, 32nonies, 32tredecies,32quinquiesdiecies de la loi du 4 aout 1996 et 21 à 29 de l'arrete royaldu 17 mai 2007.

Seconde branche

En vertu des articles 1315 du Code civil, 870 du Code judiciaire et 35 dela loi du 3 juillet 1978, il appartient à l'employeur d'apporter lapreuve des faits qu'il invoque au titre de motifs graves et cette preuvene peut etre apportee que selon les modes legaux de preuve.

Il se deduit de l'ensemble des dispositions exposees en tete du moyen que,au stade de la procedure informelle, le conseiller en prevention ou lapersonne de confiance ne sont pas autorises à etablir un rapport portantsur le contenu des faits dont un travailleur se plaint et qu'à supposermeme qu'ils puissent, uniquement aux fins de la realisation d'un accord,etablir ce rapport, cet ecrit est couvert par le secret professionnellorsque le superieur hierarchique estime que la conciliation n'a pas lieud'etre. Ce n'est en effet que si une plainte motivee est deposee et apres l'examen impartial de cette plainte qu'un tel rapport, reprenant lecompte-rendu des faits, peut, sans violation du secret professionnel,etre adresse par ecrit à l'employeur.

Il s'en deduit que le rapport etabli par la personne de confiance et le conseiller en prevention dans le cadre de la procedure informelle ne peut,lorsque le superieur hierarchique estime qu'elle n'a pas lieu d'etre,etre utilise comme mode de preuve legal des faits susceptibles dejustifier le licenciement pour motif grave.

L'arret constate que les travailleuses ont fait choix de la procedure informelle, ont decide de mandater la personne de confiance et leconseiller en prevention pour agir aupres du superieur hierarchique, soitmonsieur V. D.H., afin de faire cesser la situation de harcelement sexuelqu'elles denonc,aient ; que la personne de confiance et le conseiller enprevention ont rencontre, le 25 juin 2009, monsieur V.D. H. et ont remisau superieur hierarchique un rapport confirmant l'entretien etreproduisant les propos des travailleuses quant au comportement du demandeur.

L'arret, qui considere que « la cour [du travail] estime que le rapportdu service externe de prevention et protection suffit, avec les piecesqui apportent la preuve d'antecedents, pour prouver la realite desfaits » et, partant, se fonde sur ce rapport, viole, pour decider queles faits sont etablis, les articles 1315 du Code civil, 870 du Codejudiciaire, 35 de la loi du 3 juillet 1978, 458 du Code penal, 32quater,32sexies, 32nonies, 32tredecies, 32quinquiesdecies de la loi du 4 aout1996 et 21 à 29 de l'arrete royal du 17 mai 2007.

Second moyen

Dispositions legales violees

- article 1315 du Code civil ;

- article 870 du Code judiciaire ;

- article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats detravail ;

- article 149 de la Constitution.

Decisions et motifs critiques

L'arret, apres avoir decide que la notification du conge pour motif graveet de ses motifs le 29 juin 2009 etait reguliere, decide que celicenciement est fonde, reforme le jugement entrepris en ce qu'il acondamne la defenderesse au paiement d'une indemnite de preavis et deboute le demandeur de son appel incident, le condamnant aux depens depremiere instance et d'appel, par tous ses motifs consideres ici commeintegralement reproduits, notamment ceux qui sont repris au premier moyen, consideres ici comme reproduits, et plus particulierement auxmotifs que :

« [La defenderesse] depose [...] pour prouver les faits un rapport remisle 25 juin 2009 par le service externe de prevention de la [defenderesse]à monsieur V.D. H., apres l'avoir rencontre le jour meme [...] ;

A la suite de ce rapport, [le demandeur] a ete entendu le 25 juin 2009par les representants de [la defenderesse] et ce, afin de faire connaitresa version des faits. Lors de cet entretien, si [le demandeur] s'estdeclare `etre sur le cul', il n'a pas nie les faits allegues par les travailleuses et repris dans ce rapport ;

[...] A la suite de ce comportement non desire [du demandeur], lestravailleuses concernees ont du mettre en place un systeme afin de seproteger de ce dernier ; les travailleuses n'auraient evidemment pas euà se proteger du comportement [du demandeur] si ce dernier ne se comportait pas de maniere à creer un environnement au moins hostile ouintimidant ;

En outre, cet environnement intimidant et hostile est egalement revele parle fait que les travailleuses mettaient tout en oeuvre afin de ne pas seretrouver seules avec [le demandeur] et ce, de peur des represailles dela part de leur superieur hierarchique si elles se defendaient ».

Griefs

Dans ses conclusions d'appel, le demandeur soutenait avoir, lors de l'entretien du 25 juin 2009, « conteste de la maniere la plus ferme lesfaits qui lui etaient reproches ».

En vertu des articles 1315 du Code civil, 870 du Code judiciaire et 35 dela loi du 3 juillet 1978, il appartient à la partie qui rompt le contratde travail pour motif grave d'etablir l'existence des faits qu'elleinvoque à ce titre. Il s'en deduit que le juge ne peut, lorsquel'employeur soutient que, lors d'un entretien prealable au licenciement,le travailleur n'a pas nie les faits sur lesquels ce licenciement estbase, retenir cet element de fait lorsqu'il est conteste par l'autrepartie. Il appartient à l'employeur d'apporter la preuve de cetteaffirmation selon un mode de preuve legal et sur lequel la Cour peutexercer son controle.

Il n'etait pas soutenu par la defenderesse qu'un rapport ecrit del'entretien du 25 juin 2009 entre celle-ci et le demandeur eut ete etabliet il ressort de l'inventaire des dossiers des parties annexe à leursdernieres conclusions qu'aucun rapport de cet entretien n'a ete produit.

L'arret, pour decider que les fautes graves ayant justifie le licenciementdu demandeur sont etablies, se fonde sur « les declarations [dudemandeur] lors de l'entretien du 25 juin 2009 » et releve que, « lors de cet entretien, si [le demandeur] s'est declare `etre sur lecul', il n'a pas nie les faits allegues par les travailleuses et reprisdans ce rapport », sans indiquer sur quel element de preuve il fondecette absence de denegation expressement contestee par le demandeur. Ilviole, partant, les regles relatives à la charge de la preuve (articles1315 du Code civil, 870 du Code judiciaire et 35 de la loi du 3 juillet1978) et, à tout le moins, ne permet pas à la Cour d'exercer soncontrole sur la legalite de la decision de se fonder sur la teneur del'entretien entre les parties le 25 juin 2009 dans la version allegueepar la defenderesse et contestee par le demandeur (violation del'article 149 de la Constitution).

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant aux deux branches reunies :

En vertu de l'article 32nonies, alinea 1er, de la loi du 4 aout 1996relative au bien-etre des travailleurs lors de l'execution de leurtravail, tel qu'il s'applique au litige, le travailleur qui considere etrel'objet de harcelement sexuel au travail s'adresse au conseiller enprevention ou à la personne de confiance et peut deposer une plaintemotivee aupres de ces personnes aux conditions et selon les modalitesfixees en application de l'article 32quater, S: 2.

Conformement aux articles 23 et 24 de l'arrete royal du 17 mai 2007relatif à la prevention de la charge psychosociale occasionnee par letravail, dont la violence et le harcelement moral ou sexuel au travail, lapersonne de confiance et le conseiller en prevention informent letravailleur qui s'adresse à eux sur la possibilite de rechercher unesolution de maniere informelle par le biais d'une intervention aupres d'unmembre de la ligne hierarchique ou d'une conciliation avec la personnemise en cause ; ils n'agissent qu'avec l'accord du travailleur qui, s'ilne desire pas s'engager dans cette voie, peut deposer une plainte motivee.

Le conseiller en prevention et la personne de confiance sont, aux termesde l'article 32quinquiesdecies, alinea 1er, de la loi du 4 aout 1996,tenus au secret professionnel vise à l'article 458 du Code penal.

L'article 32quinquiesdecies, alinea 2, dispose que, par derogation àcette obligation, le conseiller en prevention et la personne de confiancecommuniquent les informations qu'ils estiment pertinentes pour le bonderoulement d'une conciliation aux personnes qui y participent.

Cette disposition, qui autorise la communication des informations qu'ellevise au membre de la ligne hierarchique aupres duquel une intervention alieu en vue de rechercher de maniere informelle une solution à lasituation, n'exclut pas que cette communication prenne la forme d'unrapport ecrit relatant les declarations du travailleur qui s'est adresseà la personne de confiance ou au conseiller en prevention.

Elle ne limite pas le pouvoir du membre de la ligne hierarchique dedecider que les faits portes à sa connaissance constituent un motif gravede nature à justifier la resiliation sans preavis du contrat de travailde la personne à laquelle ils sont reproches et ne le prive pas du droitd'invoquer, pour etablir ces faits, les informations qui lui ont ete ainsicommuniquees.

L'arret constate que quatre travailleuses au service de la defenderesses'estimant victimes d'actes de harcelement sexuel commis par le demandeuront, faisant « choix de la procedure informelle », « mandate lapersonne de confiance et le conseiller en prevention pour agir aupres dusuperieur hierarchique [du demandeur] afin de faire cesser lasituation », que ceux-ci ont rencontre ce superieur hierarchique à quiils ont ensuite remis une relation ecrite des faits tels qu'ils leuravaient ete rapportes et que, apres avoir ete entendu par son superieur,le demandeur a ete licencie pour motif grave sur la base de ces faits.

En decidant que « le secret professionnel n'a pas ete viole puisque [lesuperieur hierarchique du demandeur] a eu connaissance des faits en[cette] qualite » alors qu'il « etait directement implique dans leprocessus informel », qu'il n'a pas « detourne la transmission desinformations des finalites de la procedure informelle » des lors qu'« il etait seul competent pour prendre une decision de licenciement àl'egard [du demandeur] » et qu'il pouvait estimer que « les faits[etaient] d'une telle gravite que la seule maniere de faire cesser lecomportement incrimine etait de mettre fin à la relation contractuelle[de la defenderesse et] du travailleur coupable des actes denonces », etque ces faits sont etablis par le rapport remis à ce superieurhierarchique par la personne de confiance et le conseiller en prevention,l'arret ne viole aucune des dispositions legales visees au moyen.

Celui-ci, en aucune de ses branches, ne peut etre accueilli.

Sur le second moyen :

L'arret constate, en en reproduisant les termes, que la lettre de ladefenderesse contenant la « motivation de la notification de la rupturepour faute grave » du contrat de travail du demandeur enonce quecelui-ci, lors de l'entretien qu'il avait eu au sujet des faits avec sonsuperieur hierarchique, s'etait « declare `etre sur le cul' maisn'[avait] pas nie les faits ».

L'arret, qui ajoute que « ce n'est que par [sa lettre] du 6 juillet 2009,soit une dizaine de jours plus tard, qu'il a conteste son licenciementpour motif grave », considere que « force est de constater que, s'il[s'est] dit `stupefait et indigne' et [a] affirm[e] qu' `il est inexactqu'il n'a pas nie les faits' », il n'a pas « contest[e] [...]expressement les reproches formules, se limitant à contester sans fourniraucune explication precise ».

Il ressort de ces motifs que l'arret ne reprend à son comptel'affirmation de la defenderesse relative à l'absence de denegation desfaits par le demandeur lors de son entretien avec son superieurhierarchique qu'apres avoir apprecie la valeur probante des denegationsulterieures du demandeur et indique ainsi sur quels elements de preuve ilfonde sa decision.

Le moyen manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de quatre cent quatorze euros septantecentimes envers la partie demanderesse et à la somme de cinq centtrente-neuf euros quatre-vingt-neuf centimes envers la partiedefenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Koen Mestdagh, Mireille Delange et Antoine Lievens, etprononce en audience publique du quatorze decembre deux mille quinze parle president de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+----------------------------------------+
| L. Body | A. Lievens | M. Delange |
|-------------+------------+-------------|
| K. Mestdagh | D. Batsele | Chr. Storck |
+----------------------------------------+

14 DECEMBRE 2015 S.12.0052.F/19


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.12.0052.F
Date de la décision : 14/12/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 18/03/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-12-14;s.12.0052.f ?
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