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14/12/2015 | BELGIQUE | N°S.14.0082.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 décembre 2015, S.14.0082.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.14.0082.F

ERFA PHARM, societe anonyme dont le siege social est etabli à Etterbeek,rue des Cultivateurs, 25,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

F A, faisant election de domicile en l'etude de l'huissier de justicePhilippe Schepkens, etablie à Ixelles, avenue de la Couronne, 145 F,

defenderesse en cassation.

I. La p

rocedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 juin 2009par la co...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.14.0082.F

ERFA PHARM, societe anonyme dont le siege social est etabli à Etterbeek,rue des Cultivateurs, 25,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

F A, faisant election de domicile en l'etude de l'huissier de justicePhilippe Schepkens, etablie à Ixelles, avenue de la Couronne, 145 F,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 juin 2009par la cour du travail de Mons, statuant comme juridiction de renvoiensuite de l'arret de la Cour du 18 fevrier 2008.

Le 7 octobre 2015, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgeneral Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- article 63, alineas 1er et 2, de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail, tel qu'il etait applicable au 12 decembre 1995(c'est-à-dire avant qu'il ne cesse de s'appliquer en vertu de l'article38 de la loi du 26 decembre 2013).

Decisions et motifs critiques

Apres avoir constate les faits suivants : « [la defenderesse] est entreeau service de la [demanderesse] le 1er mars 1985 pour exercer la fonctionde conditionneuse dans le cadre d'un contrat de travail d'ouvrier à dureeindeterminee signe le 27 fevrier 1985 ; par lettre recommandee du 12decembre 1995, la [demanderesse] a notifie conge à [la defenderesse]moyennant paiement d'une indemnite de preavis equivalente à vingt-huitjours de remuneration ; le motif inscrit sur le formulaire C4 àl'intention de l'Office national de l'emploi etait le suivant :`incompatibilite d'humeur' » ; toutefois, « à l'appui du caractere nonabusif du licenciement, la [demanderesse] invoque tant des motifs lies aucomportement ou à l'aptitude de [la defenderesse] que des motifs fondessur les necessites du fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissementou du service »,

et apres avoir admis, d'une part, que, dans le cadre d'une procedure enpaiement d'une indemnite pour licenciement abusif de l'ouvrier,« l'employeur n'est [...] pas lie par les motifs repris [...] dans lecertificat de chomage C4 ; [qu']il lui est loisible d'etablir [...] desmotifs qui, bien que non invoques anterieurement, revelent le lienexistant soit entre le licenciement et l'aptitude ou la conduite dutravailleur, soit entre le licenciement et les necessites defonctionnement de l'entreprise », d'autre part, que « seul l'employeurapprecie l'interet de l'entreprise, en sorte que le controle opere par lestribunaux est un controle marginal portant sur l'existence du motif et nonsur l'opportunite de l'invoquer »,

l'arret attaque, par confirmation du jugement entrepris, condamne lademanderesse à payer à la defenderesse la somme de 252.000 francs (soit6.246,91 euros) à titre d'indemnite forfaitaire du chef de licenciementabusif, equivalente à six mois de remuneration, augmentee des interetsjudiciaires, et condamne la demanderesse aux depens.

L'arret attaque fonde cette decision sur deux ordres de motifs :

1. Motifs relatifs aux necessites du fonctionnement de l'entreprise :

a) « Le premier juge a considere que les circonstances economiquesalleguees par la [demanderesse] etaient etablies [...] ; les piecesversees au dossier permettaient en effet de conclure que : - le contrat defac,onnement qui liait [la demanderesse] à SKB, portant sur leconditionnement de tres nombreuses specialites pharmaceutiques etcorrespondant à 30 p.c. de son chiffre d'affaires et environ 15 p.c. deson benefice (20 p.c. en 1995), venait à echeance le 29 fevrier 1996 ; -le bilan de l'annee 1996 accusait une nette diminution du chiffred'affaires global de l'entreprise et une diminution du beneficeimposable ; - cette reduction bilantaire correspondait à une reductiondu nombre d'heures prestees tant par le personnel fixe que par lepersonnel interimaire avec pour corollaire une reduction du nombre detravailleurs fixes et interimaires occupes dans l'entreprise. Toutefois,[...] le premier juge a considere que, si la [demanderesse] rapportait lapreuve de l'existence de difficultes economiques ayant impose un ou deslicenciements, elle ne rapportait pas la preuve que [la defenderesse]devait objectivement etre licenciee des lors que, en cas de chute descommandes SKB (secteur auquel elle etait attachee), la polyvalence de saformation au cours de ces dix annees au service de l'entreprise rendait sareaffectation dans l'un ou l'autre secteur de la productionparticulierement aisee ; en consequence le premier juge a considere qu'iln'etait pas etabli que la reduction escomptee du volume de travail generepar le contrat SKB devait necessairement affecter le poste de travail que[la defenderesse] occupait à ce moment et imposer son licenciement plusde deux mois avant l'echeance du contrat SKB » ;

b) « Sans remettre en cause les conclusions du premier juge, il convientd'observer que :

- les resultats financiers de la [demanderesse] etaient excellents [...]pour l'annee 1995 ;

- la baisse des resultats en 1996 trouve sa cause premiere dans letransfert en 1995 de la fabrication du Rulid vers la maison-mere implanteeà Compiegne, ledit medicament constituant 60 p.c. du chiffre d'affairesde la [demanderesse] ; - la fin programmee du contrat SKB [...] ne resultepas du fait de la societe SKB mais de la denonciation du contrat par la[demanderesse] aux termes de sa lettre du 24 fevrier 1995 [...] ; - lasociete SKB se trouvait dans l'impossibilite materielle de se passer del'intervention de la [demanderesse], en sorte que les activites de la[demanderesse] pour la societe SKB se sont, dans les faits, poursuivieshors contrat ; - fin juin 1996, la [demanderesse] cedait des partsrepresentatives de son capital à la societe anonyme Associated Boosters[...] ; - le 13 novembre 1996, [cette societe] concluait un nouveaucontrat de fac,onnage avec la societe SKB. [...] Il resulte de ceselements que la [demanderesse], avant son transfert dans le giron de lasociete anonyme Associated Boosters, a pose un ensemble d'actesvolontaires qui ont eu pour effet de reduire la valeur bilantaire desparts cedees [...], ce qui permettait en apparence et au nom d'une sainegestion de l'entreprise de proceder au licenciement en 1995 de certainscollaborateurs `pour repondre à une reduction previsible du niveau deproduction', alors que, dans les faits, les activites de l'unite àlaquelle [la defenderesse] etait affectee (conditionnement des specialitespharmaceutiques pour la societe SKB) n'ont jamais ete interrompues. [...] Si des difficultes economiques liees à l'echeance prochaine du dossierSKB paraissaient ineluctables à partir du 26 fevrier 1996, ellesn'existaient pas encore au moment du licenciement litigieux et n'ontd'ailleurs jamais existe qu'en apparence des lors que, dans les faits, la[demanderesse] n'a pas cesse de proceder au conditionnement desspecialites pharmaceutiques de la societe SKB » ;

2. Motifs relatifs à l'aptitude de la defenderesse :

« Les absences repetees voire de longue duree resultant d'une incapacitede travail dument justifiee - comportement certes non fautif dutravailleur - peuvent mettre en cause le fonctionnement de l'entreprise,voire remettre en cause l'aptitude fondamentale du travailleur à exercerle travail convenu ». « Pour apprecier l'importance de ce comportementau regard des necessites du fonctionnement de l'entreprise [...], ilconvient de tenir compte de la taille de l'entreprise [...], de la naturede son activite, de sa structure et du nombre de travailleurs qui yprestent ». L'absenteisme de la defenderesse en 1995 (59 jours ouvrablespour cause de maladie et 15 jours ouvrables pour cause d'accident dutravail) a ete important. « Ce seul constat ne fait toutefois pas lapreuve que l'absenteisme de [la defenderesse] a effectivement perturbel'organisation du service auquel elle etait affectee, d'autant plus que :- les membres du personnel travaillant dans le service de conditionnementdisposaient d'une parfaite polyvalence pour leur permettre de changer demachine ou de poste de travail en fonction des circonstances ; - en 1995,neuf travailleurs interimaires travaillaient au sein de l'entreprise, cequi, logiquement, permettait aisement de pallier les absences pour causemedicale de [la defenderesse] ou de tout autre membre du personnel. [...]Par consequent, le licenciement de [la defenderesse], intervenu le 12decembre 1995, soit plus de deux mois apres son retour en entreprise àl'issue d'une periode d'incapacite de travail, ne peut etre mis enrelation avec son absenteisme pour cause medicale, d'autant [...] que [ladefenderesse] avait preste vingt-cinq heures supplementaires au cours dessemaines precedentes, ce qui manifeste à l'evidence sa volonte desatisfaire aux exigences economiques de l'entreprise ».

Griefs

En vertu de l'article 63, alinea 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail, est considere comme abusif, pour l'application decet article, le licenciement d'un ouvrier engage à duree indeterminee quiest effectue soit pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude oula conduite de l'ouvrier, soit pour des motifs qui ne sont pas fondes surles necessites du fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou duservice.

Aux termes de l'alinea 2 de cette disposition, en cas de contestation, lacharge de la preuve des motifs du licenciement invoques incombe àl'employeur.

Les regles edictees en matiere de licenciement abusif visent à interdiretout licenciement pour des motifs manifestement deraisonnables.

Les quatre premieres branches ci-apres critiquent l'arret attaque en tantqu'il considere que le licenciement n'etait pas fonde sur les necessitesdu fonctionnement de l'entreprise ; les cinquieme, sixieme et septiemebranches le critiquent en tant qu'il considere que le licenciement nepresentait aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de la defenderesse.

Premiere branche

Il revient à l'employeur d'apprecier si les necessites du fonctionnementde l'entreprise, de l'etablissement ou du service imposent le licenciementd'un ouvrier. Le juge ne peut, en la matiere, censurer les decisions del'employeur que si celles-ci reposent sur un motif manifestementderaisonnable. Sous cette reserve, il n'appartient pas au juge d'apprecierlui-meme l'opportunite du licenciement fonde sur les necessites dufonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou du service.

L'arret attaque admet, dans les motifs cites supra 1, a), que lesdifficultes economiques auxquelles a ete confrontee la demanderesse,notamment l'echeance prochaine du contrat de conditionnement qui liait lademanderesse à la societe SKB, ont « impose un ou des licenciements ».Toutefois, l'arret considere que le licenciement de la defenderesse estabusif au motif que la demanderesse « ne rapporte pas la preuve que [ladefenderesse] devait objectivement etre licenciee », des lors que « lapolyvalence de sa fonction [...] rendait sa reaffectation dans l'un oul'autre secteur de la production particulierement aisee » et que lelicenciement a eu lieu plus de deux mois avant l'echeance du contrat SKB.

Il ressort de ces motifs que l'arret attaque fonde sa decision selonlaquelle le licenciement est abusif sur une appreciation de l'opportunitedu licenciement de la defenderesse au regard de ce que la cour du travaila estime etre les necessites de l'entreprise. Ainsi, la cour du travails'est immiscee dans la gestion de l'entreprise de la demanderesse.L'arret, qui ne considere pourtant pas que la decision de licenciementprise par la demanderesse serait fondee sur une appreciation deraisonnabledes necessites du fonctionnement de l'entreprise, viole l'article 63,alineas 1er et 2, de la loi du 3 juillet 1978.

Deuxieme branche

En outre, pour justifier le caractere abusif du licenciement, l'arretattaque se fonde, dans ses motifs cites supra 1, b), sur le caracterevolontaire des actes de la politique economique de la demanderesse :« avant son transfert dans le giron de la societe anonyme AssociatedBrookers » (à laquelle la demanderesse a cede des parts representativesde son capital fin juin 1996), la demanderesse « a pose un ensembled'actes volontaires qui ont eu pour effet de reduire la valeur bilantairedes parts cedees », à savoir que, par [lettre] du 24 fevrier 1995, ellea elle-meme denonce le contrat de fac,onnage qui la liait à la societeSKB et qu'elle a transfere la fabrication du medicament Rulid en decembre1995 vers la maison-mere implantee à Compiegne. Selon l'arret, cetensemble d'actes « permettait en apparence et au nom d'une saine gestionde l'entreprise de proceder au licenciement en 1995 de certainscollaborateurs `pour repondre à une reduction previsible du niveau de laproduction', alors que, dans les faits, les activites de l'unite àlaquelle [la defenderesse] etait affectee [...] n'ont jamais eteinterrompues ».

L'arret fonde ainsi sa decision quant au caractere abusif du licenciementsur une appreciation personnelle des necessites du fonctionnement del'entreprise de la demanderesse, alors qu'il revient à l'employeurd'apprecier lui-meme lesdites necessites, sauf appreciation manifestementderaisonnable. L'arret attaque, qui ne constate pas que l'appreciation desnecessites de l'entreprise faite par la demanderesse etait manifestementderaisonnable, viole l'article 63, alineas 1er et 2, de la loi du 3juillet 1978.

Troisieme branche

Pour apprecier le caractere abusif, au sens de l'article 63, alinea 1er,de la loi du 3 juillet 1978, du licenciement d'un ouvrier fonde sur lesnecessites de l'entreprise, le juge doit se placer au moment dulicenciement sans qu'il puisse prendre en consideration les evenementsulterieurs. Un licenciement ne peut etre qualifie d'abusif parce que desevenements survenus posterieurement demontreraient que le licenciementn'etait finalement pas necessaire ou aurait pu etre evite si l'employeuravait suivi une autre politique economique que celle qui a preside aulicenciement.

Dans ses motifs cites supra 1, b), l'arret attaque fonde son appreciationdu caractere abusif du licenciement de la defenderesse, survenu le 12decembre 1995, sur des evenements posterieurs à celui-ci, à savoir queles activites economiques de la demanderesse pour la societe SKB se sont,dans les faits, poursuivies hors contrat (apres que le contrat avec SKBeut pris fin en fevrier 1996) et que, le 13 novembre 1996, la societeanonyme Associated Brookers, à laquelle la demanderesse a cede des partsrepresentatives de son capital fin juin 1996, a conclu un nouveau contratde fac,onnage avec la societe SKB. De ces evenements posterieurs aulicenciement, l'arret attaque deduit que, « dans les faits, les activitesde l'unite à laquelle [la defenderesse] etait affectee (conditionnementdes specialites pharmaceutiques pour la societe SKB) n'ont jamais eteinterrompues ».

L'arret attaque viole ainsi l'article 63, alinea 1er, de la loi du 3juillet 1978.

Quatrieme branche

D'une part, l'arret attaque admet, dans ses motifs cites supra 1, a), quela demanderesse « rapportait la preuve de l'existence de difficulteseconomiques ayant impose un ou des licenciements » ; d'autre part, dansles motifs cites supra 1, b), il considere que ces difficultes economiquesn'ont existe « qu'en apparence ». Ces motifs sont contradictoires.L'arret n'est des lors pas regulierement motive (violation de l'article149 de la Constitution).

Cinquieme branche

Pour que le licenciement ne soit pas abusif au sens de l'article 63,alinea 1er, de la loi du 3 juillet 1978, il suffit qu'il presente un lienavec l'aptitude ou la conduite du travailleur. Lorsque l'absenteisme d'untravailleur (meme justifie par des certificats medicaux) est tel que celaremet en cause son aptitude au travail convenu, l'employeur qui lelicencie en raison de cet absenteisme n'a pas à prouver que cela adesorganise son entreprise. Ce n'est que si le motif du licenciement, lieà l'inaptitude de l'ouvrier à exercer le travail convenu, estmanifestement deraisonnable que le licenciement peut etre qualified'abusif.

Dans ses conclusions prises devant la cour du travail de Mons (appelees« premieres conclusions »), la demanderesse reprochait au premier jugede lui avoir impose de prouver que les absences de la defenderesse onteffectivement perturbe l'organisation du service.

Dans ses motifs cites supra, 2, l'arret attaque admet que « les absencesrepetees, voire de longue duree resultant d'une incapacite de travaildument justifiee [...] peuvent [...] remettre en cause l'aptitudefondamentale du travailleur à exercer le travail convenu » et qu'enl'espece, compte tenu des nombreuses absences de la defenderesse(septante-quatre jours ouvrables en 1995), son absenteisme peut etrequalifie d'important. L'arret attaque estime neanmoins devoir apprecierl'impact de cet absenteisme « au regard des necessites du fonctionnementde l'entreprise », en tenant compte de sa taille, de sa structure et dunombre de travailleurs qui y prestent. L'arret attaque decide que lelicenciement de la defenderesse est abusif des lors que la preuve n'estpas faite que l'absenteisme de la defenderesse a effectivement perturbel'organisation du service auquel elle etait affectee.

L'arret attaque meconnait ainsi que les conditions auxquelles lelicenciement doit repondre pour ne pas etre considere comme non abusif nesont pas cumulatives et viole l'article 63, alineas 1er et 2, de la loi du3 juillet 1978.

Sixieme branche

Comme l'admet l'arret, « seul l'employeur apprecie l'interet del'entreprise, en sorte que le controle opere par les tribunaux est uncontrole marginal portant sur l'existence du motif et non surl'opportunite de l'invoquer ». Le juge n'a donc pas à apprecier si, enfonction du mode d'organisation du travail de l'entreprise, l'inaptituded'un ouvrier à exercer le travail convenu est de nature à perturber lefonctionnement de l'entreprise : cette appreciation est du ressort del'employeur, pour autant qu'elle ne soit pas manifestement deraisonnable.

Or, pour considerer qu'il n'est pas etabli « que l'absenteisme de [ladefenderesse] a effectivement perturbe l'organisation du service auquelelle etait affectee », l'arret se fonde sur les motifs suivants : « lesmembres du personnel travaillant dans le service de conditionnementdisposaient d'une parfaite polyvalence pour leur permettre de changer demachine ou de poste de travail en fonction des circonstances ; en 1995,neuf travailleurs interimaires travaillaient au sein de l'entreprise, cequi, logiquement, permettait aisement de pallier les absences pour causemedicale de [la defenderesse] ou de tout autre membre du personnel » ; enoutre, la defenderesse « avait preste quelque vingt-cinq heuressupplementaires au cours des semaines qui ont precede son licenciement ».

Par ces motifs, l'arret attaque apprecie lui-meme la mesure dans laquellel'absenteisme de la defenderesse etait de nature à perturber l'entreprisede la demanderesse, alors que cette appreciation releve de l'employeurlui-meme. L'arret, qui decide que le licenciement est abusif pour lesmotifs precites, ne constate du reste pas que l'appreciation de lademanderesse quant à la necessite de licencier la defenderesse qui avaitun grand nombre d'absences (septante-quatre jours ouvrables en 1995) etaitmanifestement deraisonnable.

L'arret attaque viole, des lors, l'article 63, alineas 1er et 2, de la loidu 3 juillet 1978.

Septieme branche

Dans ses conclusions devant la cour du travail de Mons (intitulees« premieres conclusions »), la demanderesse avait fait valoir que ladefenderesse presentait « un taux d'absenteisme pour cause de maladie oud'accident du travail fort eleve » (59 jours ouvrables pour cause demaladie et 15 jours ouvrables pour cause d'accident du travail en 1995, 56jours ouvrables pour cause de maladie et 8 jours ouvrables pour caused'accident du travail en 1994) ; « que cet absenteisme important a desconsequences nefastes sur l'organisation du travail au sein del'entreprise et a un impact important sur la productivite du departementet par voie de consequence sur celle de l'entreprise » ; que,« lorsqu'il est necessaire de proceder à une reduction des effectifspour cause de diminution du chiffre d'affaires, il est parfaitement normald'operer une selection en se fondant sur le critere d'efficacite desdifferents travailleurs ; qu'il n'y a donc aucun comportement generateurd'un abus de droit dans le chef de l'employeur qui effectue une telleselection en se fondant sur un critere d'efficacite et en choisissant delicencier celui ou celle dont le rendement, independamment de toute faute,est incontestablement affecte par des absences repetees du chef de maladieou d'incapacite, ces absences fussent-elles dument justifiees par descertificats medicaux » ; qu'en raison de l'echeance du contrat defac,onnage conclu avec SKB prevue pour fevrier 1996, de la decision dugroupe HMR, dont la demanderesse faisait partie, de ne pas maintenirl'ensemble de sa production sur le site de la demanderesse, de lanecessite de trouver un repreneur pour eviter la fermeture du site, lademanderesse a licencie cinq travailleurs ; « qu'il est des lorssuffisant de constater [...] que des mesures de restructuration de natureindustrielle etaient imposees par l'etat de la concurrence, d'une part, etque d'autre part, les absences dument etablies de [la defenderesse]justifiaient le choix de l'interessee parmi les differents membres dupersonnel à licencier pour arriver à la conclusion que le licenciementne revet aucun caractere abusif ».

L'arret attaque ne denie pas que la demanderesse etait confrontee à desdifficultes economiques qui lui ont impose des licenciements mais il nerencontre pas le moyen precite des conclusions de la demanderesse selonlequel, eu egard à la necessite de proceder à des licenciements, iln'etait pas abusif de licencier la defenderesse qui avait un tauxd'absences tres eleve. L'arret attaque n'est des lors pas regulierementmotive (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La decision de la Cour

La decision de l'arret attaque que critique la cinquieme branche du moyenest inconciliable avec l'arret de renvoi du 18 fevrier 2008.

Ce moyen, en cette branche, a la meme portee que celui qui fut accueillipar cet arret.

Le pourvoi doit, des lors, etre examine par les chambres reunies de laCour.

Quant à la cinquieme branche :

En vertu de l'article 63, alinea 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail, est considere comme abusif, pour l'application decet article, le licenciement d'un ouvrier engage pour une dureeindeterminee qui est effectue pour des motifs qui n'ont aucun lien avecl'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondes sur lesnecessites du fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou duservice.

S'il lui revient d'apprecier si le motif du licenciement n'est pasmanifestement deraisonnable, le juge ne peut deduire le caractere abusifdu licenciement de la circonstance que l'inaptitude du travailleur n'a pasaffecte le fonctionnement de l'entreprise, de l'etablissement ou duservice.

Examinant « les motifs [du licenciement] lies à l'aptitude de la[defenderesse] », l'arret attaque admet que « les absences repetees,voire de longue duree, resultant d'une incapacite de travail dumentjustifiee [...] peuvent remettre en cause l'aptitude [...] du travailleurà exercer le travail convenu ».

En considerant que « l'absenteisme [...] important » de la defenderessen'a pas « effectivement perturbe l'organisation du service auquel elleetait affectee », l'arret attaque ne justifie pas legalement sa decisionque le licenciement « ne peut etre mis en relation avec [cet]absenteisme » et qu'il est, partant, abusif.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour, statuant en chambres reunies,

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour du travail de Liege, qui se conformera àla decision de la Cour sur le point de droit juge par elle.

Ainsi juge par la Cour de cassation, chambres reunies, à Bruxelles, ousiegeaient le premier president chevalier Jean de Codt, le president PaulMaffei, le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, les presidents de section Albert Fettweis et Alain Smetryns, lesconseillers Koen Mestdagh, Martine Regout, Michel Lemal, Antoine Lievenset Bart Wylleman, et prononce en audience publique du quatorze decembredeux mille quinze par le premier president chevalier Jean de Codt, enpresence de l'avocat general Jean Marie Genicot, avec l'assistance dugreffier en chef Chantal Van Der Kelen.

+-----------------------------------------------+
| Ch. Van Der Kelen | B. Wylleman | A. Lievens |
|-------------------+-------------+-------------|
| M. Lemal | M. Regout | K. Mestdagh |
| | | |
| A. Smetryns | A. Fettweis | D. Batsele |
| | | |
| Ch. Storck | P. Maffei | J. de Codt |
+-----------------------------------------------+

14 DECEMBRE 2015 S.14.0082.F/14


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.14.0082.F
Date de la décision : 14/12/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2015
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2015-12-14;s.14.0082.f ?
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