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15/01/2016 | BELGIQUE | N°C.14.0566.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 janvier 2016, C.14.0566.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0566.F

M. Y.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 9 septembre2014 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 17 decembre 2015, le premier avocat general Andre Henkes a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christian Storck

a fait rapport et le premieravocat general Andre Henkes a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0566.F

M. Y.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 9 septembre2014 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 17 decembre 2015, le premier avocat general Andre Henkes a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christian Storck a fait rapport et le premieravocat general Andre Henkes a ete entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- article 3, specialement paragraphe 1er, du reglement (CE) nDEG 805/2004du Parlement europeen et du Conseil du 21 avril 2004 portant creation d'untitre executoire europeen pour les creances incontestees ;

- articles 630, dernier alinea, et 802 à 806 du Code judiciaire ;

- principe general du droit selon lequel une norme de droit internationalconventionnel directement applicable doit prevaloir sur le droit interne.

Decisions et motifs critiques

Par confirmation du jugement entrepris, l'arret declare recevable mais nonfondee la demande, introduite sur requete unilaterale, par laquelle ledemandeur sollicitait la delivrance d'un titre executoire europeen surpied des dispositions du reglement europeen nDEG 805/2004 du Parlementeuropeen et du Conseil du 21 avril 2004 portant creation d'un titreexecutoire europeen pour les condamnations pecuniaires prononcees par uneordonnance du tribunal de premiere instance de Bruxelles du 30 mars 2012.

L'arret se fonde sur les motifs suivants :

« L'existence de la creance pecuniaire resultant de l'inexecution parmadame P. S.-Y. de ses obligations à l'egard [du demandeur] estetablie ;

Cependant, contrairement à ce que soutient ce dernier, cette creance doitetre consideree comme contestee en raison du defaut de madame P. S.-Y. ;

C'est à bon droit, par consequent, que le premier juge a considere qu'iln'y avait pas lieu de certifier, meme partiellement, l'ordonnance du 30[mars] 2012 en tant que titre executoire europeen ».

Griefs

Premiere branche

Le reglement (CE) nDEG 805/2004 du Parlement europeen et du Conseil du 21avril 2004 portant creation d'un titre executoire europeen pour lescreances incontestees s'applique, tant en matiere civile que commerciale,aux decisions, transactions judiciaires et actes authentiques portant surdes creances incontestees, dont il vise à assurer l'execution.

L'article 3, paragraphe 1er, du reglement dispose qu'une creance est« reputee incontestee » dans quatre hypotheses :

« a) si le debiteur l'a expressement reconnue en l'acceptant ou enrecourant à une transaction qui a ete approuvee par une juridiction ouconclue devant une juridiction au cours d'une procedure judiciaire ;

b) si le debiteur ne s'y est jamais oppose, conformement aux regles deprocedure de l'Etat membre d'origine, au cours de la procedurejudiciaire ;

c) si le debiteur n'a pas comparu ou ne s'est pas fait representer lorsd'une audience relative à cette creance apres l'avoir initialementcontestee au cours de la procedure judiciaire, pour autant que sa conduitesoit assimilable à une reconnaissance tacite de la creance ou des faitsinvoques par le creancier en vertu du droit de l'Etat membre d'origine ;

d) si le debiteur l'a expressement reconnue dans un acte authentique ».

Le preambule du reglement precise (considerant 5) : « La notion de`creances incontestees' devrait recouvrir toutes les situations danslesquelles un creancier, en l'absence etablie de toute contestation dudebiteur quant à la nature et au montant d'une creance pecuniaire, aobtenu, soit une decision judiciaire contre ce debiteur, soit un acteexecutoire necessitant une acceptation expresse du debiteur, qu'ils'agisse d'une transaction judiciaire ou d'un acte authentique ».

La deuxieme hypothese visee par l'article 3, paragraphe 1er, est preciseepar le sixieme considerant du reglement, qui indique que « l'absenced'objection de la part du debiteur telle qu'elle est prevue à l'article3, paragraphe 1er, point b), peut prendre la forme d'un defaut decomparution à une audience ou d'une suite non donnee à l'invitationfaite par la juridiction de notifier par ecrit l'intention de defendrel'affaire ».

Il resulte de la combinaison des dispositions de l'article 3, paragraphe1er, b) et c), du reglement avec les articles 630, dernier alinea, et 802à 806 du Code judiciaire que, lorsque le debiteur a fait defaut devant letribunal belge devant lequel il a ete regulierement cite et n'a enconsequence depose aucune conclusion ni fait valoir aucun moyen de defenseorale ou ecrite devant ce tribunal, la creance doit etre « reputeeincontestee » au sens du reglement.

Le motif de l'arret selon lequel la creance du demandeur « doit etreconsideree comme contestee en raison du defaut de madame P. S.-Y. » nejustifie des lors pas legalement la decision de refus du titre executoireeuropeen (violation de toutes les dispositions legales visees en tete dumoyen, à l'exception de l'article 149 de la Constitution).

Deuxieme branche

L'expression « le debiteur ne s'y est jamais oppose, conformement auxregles de procedure de l'Etat membre d'origine », contenue à l'article3, paragraphe 1er, b), du reglement, signifie que, pour qu'une creancesoit reputee « contestee » (ou ne soit pas « reputee incontestee »),il faut que le debiteur ait fait valoir ses defenses de maniere recevable,conformement aux regles de procedure applicables devant la juridictiond'origine, c'est-à-dire devant la juridiction qui l'a condamne aupaiement de la creance.

Cela signifie qu'une creance sera reputee incontestee, en application del'article 3, paragraphe 1er, b), du reglement, soit si le defendeur n'ajamais comparu devant la juridiction qui l'a condamne au paiement, soits'il a comparu mais n'a pas valablement fait valoir ses moyens de defense,conformement aux regles de procedure ou de competence applicables devantla juridiction d'origine (conclusions deposees hors delai, non signees,non valablement communiquees à la partie adverse, deposees au greffed'une juridiction incompetente, etc.).

L'article 3, paragraphe 1er, du reglement, et en particulier son point b),doivent se comprendre dans le sens que le defaut d'un debiteur qui n'a paspresente un moyen de defense ou de contradiction à la creance selon lesformes imposees par les regles de procedure applicables devant lajuridiction d'origine en ce qui concerne l'admissibilite des defensesorales ou ecrites suffit pour que la creance soit « reputeeincontestee », au sens autonome du reglement, nonobstant le fait qu'envertu du droit interne de la juridiction d'origine, le defaut du defendeurest interprete comme une contestation de la demande.

Le motif de l'arret selon lequel la creance du demandeur « doit etreconsideree comme contestee en raison du defaut de madame P. S.-Y. » nejustifie des lors pas legalement la decision de refus du titre executoireeuropeen.

En fondant sa decision sur ce motif, l'arret fait illegalement prevaloirles regles de droit interne relatives au defaut du defendeur, tellesqu'elles se deduisent des articles 630, dernier alinea, et 802 à 806 duCode judiciaire, sur les dispositions du reglement, en violation duprincipe general du droit selon lequel une norme de droit internationalconventionnel directement applicable doit prevaloir sur le droit interne(violation des dispositions du reglement et du principe general du droitvises en tete du moyen).

Troisieme branche

En ce qui concerne le caractere « inconteste » de la creance, l'article3, paragraphe 1er, du reglement fait une distinction nette entre leshypotheses visees respectivement par les litteras b) et c).

Le point b) vise l'hypothese ou « le debiteur ne [s'est] jamais oppose[à la creance], conformement aux regles de procedure de l'Etat membred'origine, au cours de la procedure judiciaire ».

Le point c) vise le cas ou, apres avoir initialement conteste la creanceau cours de la procedure judiciaire, le debiteur n'a pas comparu ou nes'est pas fait representer lors d'une audience ulterieure, « pour autantque sa conduite soit assimilable à une reconnaissance tacite de lacreance ou des faits invoques par le creancier en vertu du droit de l'Etatmembre d'origine ».

Le rapprochement de ces deux dispositions etablit que l'expression« conformement aux regles de procedure de l'Etat membre d'origine, aucours de la procedure judiciaire », figurant au point b), vise les reglesde procedure qui permettent de considerer comme recevables et acquis auxdebats les conclusions ou memoires deposes par le debiteur ou deconsiderer comme valable sa defense orale.

En revanche, dans l'hypothese ou le debiteur a « initialement conteste[la creance] au cours de la procedure judiciaire », l'article 3,paragraphe 1er, c), renvoie aux regles du droit interne de l'Etat membred'origine pour determiner si et à quelle condition l'absence decomparution ou de representation du debiteur au cours d'une audienceulterieure est « assimilable à une reconnaissance tacite de la creanceou des faits invoques par le creancier ».

Lorsque le debiteur a fait defaut des l'introduction de la demande et n'aen consequence jamais fait valoir la moindre defense orale ou ecrite, ilfaut appliquer l'article 3, paragraphe 1er, b), du reglement et considererque l'on se trouve dans l'hypothese ou « le debiteur ne [s'est] jamaisoppose [à la creance] ». Dans ce cas, le reglement ne permet pasl'application de regles de droit interne qui assimilent le cas echeant ledefaut du debiteur « à une reconnaissance tacite de la creance ou desfaits invoques par le creancier ». Le renvoi à de telles regles de droitinterne n'est possible que dans l'hypothese visee par le point c),c'est-à-dire dans l'hypothese ou le debiteur a « initialement contestela creance au cours de la procedure judiciaire » mais s'est ensuiteabstenu de comparaitre ou de se faire representer à une audienceulterieure.

En resume, le defaut initial du defendeur - qui n'a par hypothese presenteaucune defense orale ou ecrite - a toujours comme consequence que lacreance est « reputee incontestee », au sens autonome du reglement, envertu de l'article 3, paragraphe 1er, b), independamment de l'existence deregles de droit interne qui assimileraient le defaut à une contestationde la demande.

Les motifs de l'arret ne permettent pas de determiner si, en l'espece,l'on se trouvait dans l'hypothese visee par le point b) ou par le point c)de l'article 3, paragraphe 1er, du reglement. Or, la decision entrepriseserait legalement justifiee dans l'hypothese ou, apres avoir initialementconteste la creance, au cours de la procedure judiciaire, la debitricen'aurait pas comparu ou ne se serait pas fait representer à une audienceulterieure (article 3, paragraphe 1er, c), du reglement) et ne serait paslegalement justifiee dans l'hypothese ou la debitrice aurait fait defautdes l'introduction de la demande, sans jamais faire valoir aucune defenseorale ou ecrite (article 3, paragraphe 1er, b), du reglement).

Dans sa requete d'appel, le demandeur invoquait expressement l'applicationde « l'article 3, 1er, b), du reglement 805/2004 ». En se fondant sur leseul motif dejà cite que la « creance doit etre consideree commecontestee en raison du defaut de madame P. S.-Y. », sans preciser s'ils'agissait d'un cas d'application du point b) ou du point c) de l'article3, paragraphe 1er, du reglement, alors que sa decision serait illegale encas d'application du point b) et legale en cas d'application du point c),l'arret ne permet pas à la Cour de controler la legalite de sa decisionet n'est des lors pas regulierement motive (violation de l'article 149 dela Constitution).

En outre, l'arret laisse sans reponse la requete d'appel du demandeur quiinvoquait expressement l'application de l'article 3, paragraphe 1er, b),du reglement (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

Aux termes de l'article 3, S: 1er, alinea 2, b) et c), du reglement (CE)nDEG 805/2004 du Parlement europeen et du Conseil du 21 avril 2004 portantcreation d'un titre executoire europeen pour les creances incontestees,une creance est reputee incontestee si le debiteur ne s'y est jamaisoppose, conformement aux regles de procedure de l'Etat membre d'origine,au cours de la procedure judiciaire ou si le debiteur n'a pas comparu oune s'est pas fait representer lors d'une audience relative à cettecreance apres l'avoir initialement contestee au cours de la procedurejudiciaire, pour autant que sa conduite soit assimilable à unereconnaissance tacite de la creance ou des faits invoques par le creancieren vertu du droit de l'Etat membre d'origine.

Il suit de ces dispositions que le legislateur communautaire a laisse audroit de l'Etat membre d'origine de decider si le comportement d'unepartie au cours de la procedure judiciaire constitue une maniere des'opposer à la creance ou de la reconnaitre.

Le defaut d'une partie qui n'a jamais comparu ou ne comparait plusconstitue, selon le droit belge applicable au litige, un mode decontestation de la demande.

En constatant le defaut de madame S.-Y. devant le juge qui a rendul'ordonnance du 30 mars 2012, l'arret justifie legalement sa decision quela creance sur laquelle statue cette ordonnance « doit etre considereecomme contestee ».

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la deuxieme branche :

Il suit de la reponse à la premiere branche du moyen qu'en disposantqu'une creance est reputee incontestee si le debiteur ne s'y est jamaisoppose, conformement aux regles de procedure de l'Etat membre d'origine,au cours de la procedure judiciaire, l'article 3, S: 1er, alinea 2, b), dureglement (CE) nDEG 805/2004 du 21 avril 2004 renvoie au droit nationalpour les consequences qui doivent etre deduites, quant au caractereinconteste de la creance, du defaut de la partie qui n'a jamais comparu aucours de la procedure judiciaire.

Des lors que l'interpretation correcte de cette disposition communautaires'impose avec une telle evidence qu'elle ne laisse place à aucun douteraisonnable, la question prejudicielle proposee par le demandeur ne doitpas etre posee à la Cour de justice de l'Union europeenne.

Le moyen, qui, en cette branche, repose sur une autre interpretation deladite disposition, manque en droit.

Quant à la troisieme branche :

Des lors que l'article 3, S: 1er, alinea 2, b) et c), du reglement (CE)nDEG 805/2004 laisse dans les deux hypotheses qu'il vise au droit nationalde determiner les consequences du defaut d'une partie sur le caractereinconteste de la creance, l'arret, qui n'etait tenu de preciser laquellede ces hypotheses se rencontre en l'espece ni pour repondre auxconclusions du demandeur ni pour permettre à la Cour d'exercer soncontrole, n'est pas affecte de l'ambiguite denoncee par le moyen, en cettebranche.

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de trois cent septante-cinq euros envers lapartie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Martine Regout, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du quinze janvier deux mille seize par lepresident de section Christian Storck, en presence du premier avocatgeneral Andre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+-----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+------------+----------------|
| M. Regout | D. Batsele | Chr. Storck |
+-----------------------------------------------+

15 JANVIER 2016 C.14.0566.F/2


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0566.F
Date de la décision : 15/01/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 10/02/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-01-15;c.14.0566.f ?
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