La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/01/2016 | BELGIQUE | N°C.14.0492.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 janvier 2016, C.14.0492.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0492.F

M.-C. C.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

F. M.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 18 octobre 2013par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin

a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, l...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.14.0492.F

M.-C. C.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

contre

F. M.,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 18 octobre 2013par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente un moyen.

III. La decision de la Cour

Sur le moyen :

Le principe general du droit de l'enrichissement sans cause requiert lacondition d'absence de cause de l'appauvrissement et de l'enrichissement.

L'arret considere que l'appauvrissement du defendeur, en lien causal avecl'enrichissement de la demanderesse, est etabli, à l'exception dupaiement d'un montant de 307 euros, « ce paiement evoquant plutot uncadeau qu'un enrichissement ».

Il enonce, en reponse aux conclusions de la demanderesse, qu'il n'est pasetabli qu'elle aurait restitue les fonds litigieux au defendeur, quecelui-ci « aurait effectue des achats au moyen de ces fonds » et qu'elle« aurait affecte certaines sommes aux depenses du menage ».

Il considere que le fait que les parties « formaient un couple etavaient, le cas echeant, un projet de vie commune (à supposer ce projetetabli), ne peut, à lui seul, etre considere comme la cause del'appauvrissement et de l'enrichissement correlatif » ; que « larelation des parties a ete de tres courte duree (sept mois) ; [que] l'onpeut meme raisonnablement se poser la question s'il y a eu veritablementcohabitation [et que] l'on n'aperc,oit pas, à tout le moins, en quoil'appauvrissement et l'enrichissement litigieux auraient ete compensesd'une quelconque maniere durant la vie commune ».

Il considere enfin que « le virement le plus important [...] avaitvraisemblablement pour vocation de financer une veranda, à installer dansla maison occupee par [la demanderesse] (encore à l'heure actuelle) ».

De ces considerations, qui gisent en fait, l'arret a pu deduire legalementque « l'appauvrissement [du defendeur] et l'enrichissement [de lademanderesse] sont depourvus de cause ».

Le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de six cent nonante-six euros douze centimesen debet envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, president, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Martine Regout,Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononce en audience publique duvingt-deux janvier deux mille seize par le president de section ChristianStorck, en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistancedu greffier Patricia De Wadripont.

+---------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
|-----------------+-------------+-------------|
| M. Regout | A. Fettweis | Chr. Storck |
+---------------------------------------------+

* Requete

Requete en cassation

Pour

C. M.-C.,

demanderesse en cassation,

assistee et representee par Me Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour decassation soussigne, dont le cabinet est etabli à 6000 Charleroi, rue del'Athenee, 9, ou il est elu domicile.

Contre

M. F.,

defendeur en cassation.

A Messieurs les premier president et president, Mesdames et Messieurs lesconseillers qui composent la Cour de cassation,

Messieurs,

Mesdames,

La demanderesse a l'honneur de soumettre à votre censure l'arretcontradictoirement rendu entre parties le 18 octobre 2013 par la septiemechambre de la cour d'appel de Bruxelles (role general 2011 AR 730).

L'arret attaque condamne notamment la demanderesse à payer au defendeurla somme de 35.069,00 euros, augmentee d'interets, etant le remboursementdu par la demanderesse d'avances diverses qu'il lui aurait consenties aucours de l'annee 2009, et ce sur le fondement de l'enrichissement sanscause.

A l'encontre de l'arret, la demanderesse croit pouvoir vous proposer lemoyen unique de cassation suivant.

Moyen unique de cassation

Dispositions legales et principe general du droit violes

Articles 1131, 1235, 1376 et 1377 du Code civil ;

principe general du droit aux termes duquel nul ne peut s'enrichir sanscause au detriment d'autrui, consacre notamment par les articles citesci-avant.

Decision attaquee et motifs critiques

La cour d'appel condamne notamment la demanderesse à payer au defendeurla somme de 35.069,00 euros, augmentee d'interets, par les motifssuivants :

« 1.

(...)

les parties ont entretenu une relation amoureuse durant sept mois, ayantpris fin au mois de juillet 2009 (...) ;

selon (la demanderesse), (le defendeur) aurait reside chez elle à ... ;

selon le defendeur, il n'y aurait jamais eu de veritable cohabitationpuisqu'il aurait toujours conserve son appartement à ... ;

(le defendeur) expose avoir effectue divers paiements pour un montanttotal de 35.376,60 EUR, dont il demande le remboursement à charge de (lademanderesse), à augmenter des interets au taux legal à partir de ladate moyenne du 18 juillet 2009 ;

il invoque, en ordre principal, la theorie de l'enrichissement sans cause(...) ;

(la demanderesse), qui admet avoir elle-meme mis un terme à la relation,conteste devoir rembourser la somme de 35.376,60 EUR, aux motifs (dansl'ordre ou dans le desordre) :

[la cour d'appel resume ensuite les motifs invoques par la demanderesse àl'appui de sa contestation]

(...)

4.

Il y a enrichissement sans cause lorsqu'une personne, par un faitpersonnel, procure à autrui un enrichissement auquel correspond unappauvrissement relatif, sans que ni cet enrichissement, ni cetappauvrissement ne se justifient par quelque cause que ce soit.

5.

En l'espece, l'appauvrissement (du defendeur), en lien causal avecl'enrichissement de (la demanderesse), est etabli, au minimum àconcurrence d'un montant de 35.069,00 EUR (33.700,00 + 1.369,00).

Il resulte, en effet, des pieces du dossier :

* que (le defendeur) a vire les sommes suivantes sur le compte nDEG ...de (la demanderesse) (...) :

+--------------------------------------------------+
| | 4.000,00 EUR |
| * virement du 14 mai 2009 : | |
| | 27.500,00 EUR |
| * virement du 25 mai 2009 : | |
| | 2.200,00 EUR |
| * virement du 26 juin 2009 : | |
| | 33.700,00EUR |
+--------------------------------------------------+

* que (le defendeur) a par ailleurs effectue les paiements suivants, aubenefice du magasin Vastiau Godeau, pour l'achat d'une chambre àcoucher, dont il n'est pas conteste qu'elle est restee en possessionde (la demanderesse), la facture etant d'ailleurs etablie au nom decelle-ci (...) :

+-----------------------------------------------------------------------+
| | 369,60 EUR |
| * paiement par carte bancaire du 11 juillet 2009 : | |
| | 1.000,00 EUR |
| * paiement par carte bancaire du 11 mai 2009 : | |
| | 1.369,00EUR |
+-----------------------------------------------------------------------+

La cour ne retiendra pas, en revanche, le montant de 307,00 EUR, paye parcarte bancaire le 26 juin 2009, au magasin `Bijoux Pati', ce paiementevoquant plutot un cadeau qu'un enrichissement en tant que tel.

[La cour d'appel decide ensuite qu'aucun remboursement des sommes dontquestion ci-avant n'a ete effectue par la demanderesse au defendeur etqu'il « n'apparait pas non plus que (la demanderesse) aurait affectecertaines sommes aux depenses du menage ».]

8.

Dans les circonstances propres à l'espece, l'appauvrissement (dudefendeur) et l'enrichissement de (la demanderesse) sont depourvus decause, c'est-à-dire de justification objective ou raisonnable.

Le fait que (le defendeur) et (la demanderesse) formaient un couple, etavaient, le cas echeant, un projet de vie commune (à supposer ce projetetabli), ne peut, à lui seul, etre considere comme la cause del'appauvrissement et de l'enrichissement correlatif.

Cela reviendrait en effet, d'une part, à rejeter de maniere systematiquela theorie de l'enrichissement sans cause dans les situations àcomposante affective, d'autre part à considerer de maniere tout aussiautomatique que le concubinage presume l'intention liberale du `solvens'.

En l'espece, la theorie de l'enrichissement sans cause est d'autant plusjustifiee que la relation des parties a ete de tres courte duree (7 mois).L'on peut meme raisonnablement se poser la question s'il y a euveritablement cohabitation. L'on n'aperc,oit pas, à tout le moins, enquoi l'appauvrissement et l'enrichissement litigieux auraient etecompenses d'une quelconque maniere durant la vie commune.

Il est encore à souligner que le virement le plus important d'un montantde 27.500,00 EUR, effectue le 25 mai 2009, avait vraisemblablement pourvocation de financer une veranda, à installer dans la maison occupee par(la demanderesse) (encore à l'heure actuelle), dont le cout total avaitete evalue à plus ou moins 28.000,00 EUR (...). »

Griefs

L'enrichissement n'est pas sans cause lorsque le transfert de patrimoinetrouve son origine dans la volonte de la personne appauvrie.

Des lors que l'arret constate que la demanderesse et le defendeur a) ontforme un couple, b) avaient « le cas echeant, un projet de viecommune », c) ont pu cohabiter pendant une periode de sept mois, d) quedes versements ont ete effectues par le defendeur à la demanderessedurant cette periode et e) que le plus important de ces versements« avait vraisemblablement pour vocation de financer une veranda àinstaller dans la maison occupee par la demanderesse », la cour d'appeln'a pu legalement decider que l'enrichissement de la demanderesse,resultant de ces versements, etait sans cause aux motifs que « (c)elareviendrait (...) à rejeter de maniere systematique la theorie del'enrichissement sans cause dans les situations à composante affective »et « à considerer de maniere tout aussi automatique que le concubinagepresume l'intention liberale du `solvens' ».

Les circonstances relevees sont en effet susceptibles, en tant que telleset à l'exclusion de toute autre compensation (ecartee par l'arret),d'etre la cause des versements litigieux.

Il incombait des lors à la cour d'appel de verifier, d'une part, leurrealite (s'agissant des faits que l'arret laisse incertains, sans lesecarter toutefois, etant le « projet de vie commune » des parties etleur « cohabitation »), d'autre part, si, etablies, ces circonstances,eu egard aux elements concrets et notamment aux relations entre parties,n'etaient pas significatives de la volonte du defendeur de s'appauvrir auprofit de la demanderesse et, en consequence, de nature à constituer lacause des versements litigieux - etant l'intention liberale du defendeur.

En ecartant, par les motifs critiques, cette possibilite, la cour d'appelne justifie pas legalement sa decision. L'arret meconnait la notiond'enrichissement sans cause.

Developpement

La demanderesse croit pouvoir se referer notamment à votre arret du 19janvier 2009 (role general C 07 0575 N).

De Page a pu ecrire : « ((...) il n'y a pas enrichissement sans cause :(...) (l)orsque le deplacement de richesses trouve sa justification dansla volonte de l'appauvri » et, singulierement, dans une « intentionliberale ». Et d'ajouter : « Rappelons par ailleurs que, dansl'administration de la preuve, il serait errone d'admettre que l'intentionliberale ne se presume pas (...). L'appauvri doit prouver l'absence decause de son appauvrissement. Il doit donc etablir qu'il n'a pas agi dansune intention liberale. » (t. III, nDEG 40, p. 53)

Et P. Van Ommeslaghe (Droit des obligations, Bruylant, 2010, t. II, nDEG788, p. 1120) : « Il arrive assez frequemment que les circonstances del'espece demontrent que la volonte de l'appauvri se trouve à l'origine del'appauvrissement de son patrimoine et qu'il tente ensuite, pour l'une oul'autre raisons, d'obtenir une indemnite à charge d'une personne quiaurait beneficie de son comportement. Cette tentative est dejouee par lajurisprudence, à juste titre. » Et d'ajouter que tel est le cas lorsque« l'appauvri agit avec une intention liberale ». Il ne peut, dans cecas, « se raviser et intenter ensuite une action de in rem verso. »(loc. cit.)

Et dans l'etude qu'il a publiee à la Revue critique (« L'enrichissementsans cause », note sous cass., 9 mars 1950, R.C.J.B., 1952, p. 8), J.Dabin approuve sans reserve les termes de l'arret annote - qui parait bienetre un arret de principe - par lequel vous enonciez que «l'enrichissement n'est pas sans cause lorsque celui qui en profite peut seprevaloir d'un fait juridique legitimant l'accroissement de sonpatrimoine ». L'intention liberale peut etre ce fait juridique.

Et le premier juge avait lui-meme releve que « les dons ont ete faits àl'occasion et pour la mise en menage des parties ».

Il incombait donc à la cour d'appel de verifier si, eu egardsingulierement à la nature des relations entre parties, d'une part, larealite des faits qu'elle laisse incertains, d'autre part, si l'ensembledes circonstances relevees n'etait pas significative de la volonte dudefendeur de s'appauvrir et donc d'une intention liberale dans son chef.

PAR CES CONSIDERATIONS,

L'avocat à la Cour de cassation soussigne vous prie, Messieurs, Mesdames,casser l'arret attaque, ordonner que mention de votre decision serainscrite en marge de l'arret casse, renvoyer la cause et les partiesdevant une autre cour d'appel et statuer comme de droit sur les depens.

Charleroi, le 10 fevrier 2016

Franc,ois T'Kint

Avocat à la Cour de cassation

22 JANVIER 2016 C.14.0492.F/4

Requete/9


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0492.F
Date de la décision : 22/01/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-01-22;c.14.0492.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award