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11/03/2016 | BELGIQUE | N°F.14.0120.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 mars 2016, F.14.0120.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG F.14.0120.F

WAGRAM INVEST, societe anonyme dont le siege social est etabli à LaHulpe, avenue du Parc, 61,

demanderesse en cassation,

ayant pour conseils Maitres Baudouin Paquot et Jerome Terfve, avocats aubarreau de Bruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenueLouise, 350/2, ou il est fait election de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant l

a Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 14 octobre 2011par la cour d'appel de...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG F.14.0120.F

WAGRAM INVEST, societe anonyme dont le siege social est etabli à LaHulpe, avenue du Parc, 61,

demanderesse en cassation,

ayant pour conseils Maitres Baudouin Paquot et Jerome Terfve, avocats aubarreau de Bruxelles, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenueLouise, 350/2, ou il est fait election de domicile,

contre

ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 14 octobre 2011par la cour d'appel de Liege.

Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.

Le premier avocat general Andre Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

* article 149 de la Constitution ;

* article 49 du Code des impots sur les revenus 1992, et pour autant quede besoin, articles 24, alinea 1er, 1DEG, 183 et 185 de ce code ;

* articles 3, 4, 16, 19, 21, 27bis, S:S: 1er, 2 et 4, de l'arrete royaldu 8 octobre 1976 relatif aux comptes annuels des entreprises tel quemodifie par l'arrete royal du 12 septembre 1983, devenusrespectivement les articles 23, 24, 25, 29, 32, 33, 35, 36, 67, S:S:1er et 2, et 77 de l'arrete royal du 30 janvier 2001 portant executiondu Code des societes ;

* articles 2, points 2 à 5, 31, 32 et, pour autant que de besoin, 34 à42 de la quatrieme directive du Conseil du 25 juillet 1978 fondee surl'article 54, S: 3, g), du Traite et concernant les comptes annuels decertaines formes de societes.

Decisions et motifs critiques

1. L'arret attaque dit l'appel non fonde, confirme, en consequence, lejugement du premier juge en son dispositif et condamne la demanderesse auxdepens.

2. L'arret attaque se fonde sur les motifs suivants :

« Qu'en vertu de l'article 24 de l'arrete royal du 30 janvier 2001portant execution du Code des societes, `les comptes annuels doiventdonner une image fidele du patrimoine, de la situation financiere ainsique du resultat de la societe. Si l'application des dispositions dupresent titre ne suffit pas pour satisfaire à ce prescrit, desinformations complementaires doivent etre fournies dans l'annexe' ;

Que, par ailleurs, l'article 29 de cet arrete royal dispose que `dans lescas exceptionnels ou l'application des regles d'evaluation prevues aupresent chapitre ne conduirait pas au respect du prescrit de l'article 24,alinea 1er, il y a lieu d'y deroger par application dudit article. Unetelle derogation doit etre mentionnee et justifiee dans l'annexe.L'estimation de l'influence de cette derogation sur le patrimoine, lasituation financiere et le resultat de la societe est indiquee dansl'annexe relative aux comptes de l'exercice au cours duquel cettederogation est introduite pour la premiere fois' ;

Que cette disposition a ete introduite par l'arrete royal du 12 septembre1983 dans le cadre de la transposition de la directive 78/660/CEE du 25juillet 1978 concernant les comptes annuels de certaines formes desocietes [...] ;

Que le respect du principe de l'image fidele constitue l'objectifprimordial de la directive et qu'il y a lieu d'interpreter l'expression`cas exceptionnels' en fonction de cet objectif ;

Que l'on peut lire à cet egard :

[...]

`La directive ne precisant pas ce qu'il convient d'entendre par « casexceptionnels », il y a lieu d'interpreter cette expression à la lumierede l'objectif vise par cette directive, selon lequel, ainsi qu'il a eteindique au point 26 du present arret, les comptes annuels des societesvisees doivent donner une image fidele de leur patrimoine, de leursituation financiere ainsi que de leurs resultats (voir egalement, en cesens, arret Tomberger, precite). Les cas exceptionnels vises à l'article31.2 de la directive sont donc ceux dans lesquels une evaluation separeene donnerait pas une image aussi fidele que possible de la situationfinanciere reelle de la societe concernee' (C.J.U.E., arret du14 septembre 1999, DE-ES Bauunternehmung GmbH, C-275/97) ;

Que le principe de l'image fidele en sa fonction derogatoire visee auxarticles 2.5 de la directive et 29 de l'arrete royal du 30 janvier 2001portant execution du Code des societes ne donne pas la faculte mais imposeà la societe de deroger aux regles d'evaluation dans les casexceptionnels ou leur application ne conduirait pas à donner une imagefidele du patrimoine, de la situation financiere ainsi que du resultat dela societe ;

[...]

Que l'on peut lire à cet egard :

`Selon les termes du rapport au Roi qui le precede, l'arrete royal du12 septembre 1983 a entendu traduire reglementairement le principeconsacre peu auparavant par la Cour de cassation dans son arret du 28octobre 1982, que, pour la determination du resultat, il y a lieud'evaluer les creances à long terme non productives d'interets à leurvaleur reelle. Le cas soumis à la Cour de cassation portait sur unecreance d'indemnite du chef de rupture d'un contrat de concessionexclusive de vente. Les cas les plus frequents de creances à plus d'un annon productives d'interet ou assorties d'un interet sensiblement inferieuraux conditions du marche, resultent de delais consentis en matiere dereglement du prix des biens, de travaux, de commandes ou de prestations deservices. Dans la negociation de contrats importants, les conditions depaiement sont, en regle generale, etroitement associees à la negociationet à la fixation du prix, l'interet implicite qui y est relatif se trouvegeneralement incorpore et budgete economiquement dans le prix de vente. Lacontre-valeur reelle de la vente ou de la prestation etant, enl'occurrence, non pas la valeur nominale de la creance mais sa valeuractuelle, l'inscription de cette creance au bilan à sa valeur nominale encontrepartie d'un meme montant accuse au titre de produits, aurait poureffet de fausser le resultat de l'operation en cause et, partant, leresultat global affirme. Il importe dans ces cas, et tel est le cas del'article 27bis introduit par l'arrete royal precite du 12 septembre 1983,de corriger à concurrence de l'escompte (difference entre la valeurnominale du resultat en cause et la valeur actuelle) le montant nominal duresultat en cause (chiffre d'affaires, autre resultat d'exploitation, plusou moins-value de realisation, etc.) et de le rattacher au titre deproduit financier aux exercices ulterieurs, qui auront à supporter lescharges financieres relatives aux capitaux mis en oeuvre pour financercette creance' [...] ;

Qu'en l'espece, il n'est pas discute que le prix d'acquisition des actionspar [la demanderesse] correspond strictement au prix paye par le vendeurayant souscrit à des augmentations de capital peu de temps avant lescessions ;

[...]

Que, par ailleurs, dans la reponse à l'avis de rectification du 17 mai1999, [la demanderesse], representee par le vendeur des actions, analysel'etalement conventionnel du paiement du prix de cession sans interetcomme etant constitutif d'un pret sans interet avec remboursementechelonne dans le temps accorde à [la demanderesse] `dans le but de nepas grever la tresorerie de la societe et de tenir compte d'un element derisque lie à des investissements de haute technologie dans une phase dedeveloppement' ;

[...]

Que [le defendeur] releve à juste titre que, dans ce contexteparticulier, il n'a pas ete tenu compte par les parties lors de lafixation du prix d'acquisition des actions de l'etalement du paiement etque la valeur nominale d'acquisition des participations correspond à leurvaleur reelle, la valeur nominale de la dette ne comportant pas d'interetset correspondant à la valeur actuelle des participations ;

Que l'application des regles des articles 67, S: 2, c), et 77 de l'arreteroyal d'execution du Code des societes corrigeant la valeur nominaled'acquisition des actions en vue de determiner leur valeur actuelle reelleaboutit en l'espece à l'effet inverse consistant à s'ecarter de cettevaleur reelle [...] ;

Qu'elle genere du reste en l'espece des charges financieres purementfictives ;

Qu'il s'agit d'un cas exceptionnel ou l'application des reglesparticulieres d'evaluation relatives à certaines creances ou dettes àplus d'un an ne donne pas une image aussi fidele que possible sur lepatrimoine, la situation financiere et le resultat de la societe au sensdes articles 24 et 29 de l'arrete royal d'execution du Code des societesainsi que de l'article 2 de la directive 78/660/CEE du 25 juillet 1978concernant les comptes annuels de certaines formes de societes et que [lademanderesse] etait tenue dans un tel cas de deroger à l'application desarticles 67, S: 2, c), et 77 de l'arrete royal d'execution du Code dessocietes en s'abstenant de corriger le prix d'acquisition nominal desactions en cause ».

3. L'arret attaque en deduit :

« Qu'aussi les charges financieres en cause qui ne decoulent pas del'application correcte du droit comptable et dont la realite n'est pasdemontree ne sont-elles pas deductibles ».

Griefs

Premiere branche

1. Aux termes de l'article 2.3 de la quatrieme directive, « les comptesannuels doivent donner une image fidele du patrimoine, de la situationfinanciere ainsi que des resultats de la societe ». Cette disposition esttransposee en droit belge par l'article 24 de l'arrete royal [du 30janvier 2001 portant execution du Code des societes].

L'article 2.5 de cette directive enonce en outre que « si, dans des casexceptionnels, l'application d'une disposition de la presente directive serevele contraire à l'obligation prevue au point 3, il y a lieu de derogerà la disposition en cause afin qu'une image fidele au sens du point 3soit donnee ». Cette disposition est transposee en droit belge parl'article 29 de l'arrete royal.

La Cour de justice de l'Union europeenne a ete amenee à preciser, dansson arret du 3 octobre 2013, l'etendue du principe du respect de l'imagefidele consacre par ces dispositions : celui-ci doit se comprendre « àla lumiere du principe enonce à l'article 32 de la quatrieme directive envertu duquel l'evaluation des postes figurant dans les comptes annuels sefonde sur le prix d'acquisition ou sur le cout de revient des actifs. Envertu de cette disposition, l'image fidele que doivent donner les comptesannuels d'une societe se fonde sur une evaluation des actifs non pas surla base de leur valeur reelle, mais sur celle de leur cout historique.[...] En vertu de l'article 2.5 de ladite directive, il est des lorsenvisageable qu'il y ait lieu de deroger, dans des cas exceptionnels, àl'article 32 de la meme directive, qui impose une evaluation des actifssur la base du prix d'acquisition ou du cout de revient, lorsquel'application de cette methode conduirait à donner une image faussee dupatrimoine, de la situation financiere ainsi que des resultats de lasociete.

Toutefois, force est de constater que [...] la sous-estimation d'actifsdans les comptes des societes ne saurait par elle-meme constituer un `casexceptionnel', au sens de l'article 2.5 de la quatrieme directive.

La possibilite que certains actifs soient sous-estimes dans les comptesdes societes, dans l'hypothese ou leur valeur d'acquisition est inferieureà leur valeur reelle, n'est que le corollaire necessaire du choix operepar le legislateur de l'Union, à l'article 32 de la quatrieme directive,en faveur d'une methode d'evaluation fondee non pas sur la valeur reelledes actifs, mais sur le cout historique de ces derniers » (CJUE nDEG C-322/12 du 3 octobre 2013, Gimle s.a. c/ Etat belge ; egalement CJUE nDEGC-510/12 du 6 mars 2014, Bloomsbury NV c/ Etat belge).

En substance, cet arret de la Cour de justice de l'Union europeenne posedonc les principes suivants :

* l'image fidele que doivent donner les comptes annuels d'une societe sefonde sur une evaluation des actifs sur la base de leur couthistorique et non pas sur la base de leur valeur reelle ;

* ce n'est que dans certains cas exceptionnels qu'il convient de derogerà l'evaluation sur la base du cout historique ;

* la sous-estimation de certains actifs dans les comptes d'une societene suffit pas à constituer un tel cas exceptionnel qui permettraitd'ecarter le recours au cout historique, privilegie par le legislateureuropeen.

C'est en consideration des orientations ainsi donnees par la directive,telle qu'elle est interpretee par la jurisprudence de la Cour de justicede l'Union europeenne, dont elles assurent la transposition, qu'ilconvient de comprendre les dispositions du Code des impots sur les revenus1992 et de l'arrete royal, visees au moyen.

2. En l'espece, l'arret attaque commence par constater que « la valeurnominale d'acquisition des participations correspond à leur valeur reelle» des lors que « le prix d'acquisition des actions par (lademanderesse) correspond strictement au prix paye par le vendeur ayantsouscrit à des augmentations de capital peu de temps avant lescessions ».

La reouverture des debats ne portant pas sur ce point non conteste,l'arret attaque repose à bon droit sur le postulat que lacomptabilisation de l'operation avait ete effectuee en « application desregles des articles 67, S: 2, c), et 77 de l'arrete royal d'execution duCode des societes corrigeant la valeur nominale d'acquisition des actionsen vue de determiner leur valeur actuelle reelle ».

L'arret attaque estime cependant que le respect de ces dispositions del'arrete royal « aboutit en l'espece à l'effet inverse consistant às'ecarter de la valeur reelle » et que l'operation litigieuse constitue« un cas exceptionnel ou l'application des regles particulieresd'evaluation relatives à certaines creances ou dettes à plus d'un an nedonne pas une image aussi fidele que possible du patrimoine », de sorteque la demanderesse « etait tenue dans un tel cas de deroger àl'application des articles 67, S: 2, c), et 77 de l'arrete royald'execution du Code des societes ».

Autrement dit, l'arret attaque considere que l'operation litigeuseconstituerait un « cas exceptionnel » au sens de l'article 29 del'arrete royal permettant d'ecarter les regles normales de droitcomptable, uniquement en raison du risque de sous-estimation des actionslitigieuses.

Or, ainsi qu'il a ete rappele ci-avant, en depit de l'importanceprimordiale du principe relatif au respect de l'« image fidele » dupatrimoine, « la sous-estimation de certains actifs dans les comptesd'une societe ne suffit pas à en faire un (...) cas exceptionnel » ausens des dispositions visees au moyen, permettant, au nom de ce principe,d'ecarter les regles de comptabilisation en fonction du cout historique.

3. En consequence, apres avoir constate que la comptabilisation del'operation litigieuse avait ete effectuee conformement aux reglesnormales de droit comptable en fonction du cout historique des actifs,l'arret attaque ne pouvait, en se fondant sur la seule consideration quele respect de ces regles normales aboutit à une sous-estimation de cesactifs, decider que cette sous-estimation constituait un cas exceptionnelconduisant à ce que soit ecartee l'application des regles normales dedroit comptable precitees, sans violer toutes les dispositions legalesvisees au moyen (hormis l'article 149 de la Constitution).

Deuxieme branche

1. Aux termes de l'article 31.1, c), de la directive, « le principe deprudence doit en tout cas etre observe et notamment : aa) seuls lesbenefices realises à la date de cloture du bilan peuvent y etre inscrits». Cette disposition est transposee en droit belge par les articles 32 et33 de l'arrete royal [du 30 janvier 2001 portant execution du Code dessocietes].

La Cour de justice de l'Union europeenne precise à cet egard, dansl'arret precite du 3 octobre 2013, que « l'application du principe del'image fidele doit etre guidee, dans la mesure du possible, par lesprincipes generaux figurant à l'article 31 de la quatrieme directive, ausein desquels le principe de prudence enonce à l'article 31.1, c), decette directive revet une importance particuliere (arret Tomberger,precite, point 18).

[...]

En outre, ainsi que le souligne le gouvernement allemand, lasous-estimation de certains actifs, tels que des parts sociales, dans lescomptes d'une societe, en raison de leur evaluation sur la base du prixd'acquisition ou du cout de revient, est conforme au principe de prudenceenonce à l'article 31.1, c), de la quatrieme directive. En particulier,l'evaluation de tels actifs à leur valeur reelle ferait apparaitre uneplus-value dans les comptes de la societe, correspondant à la differenceentre la valeur reelle et la valeur d'acquisition de ces actifs, encontradiction avec l'article 31.1, c), aa), de ladite directive, selonlequel seuls les benefices realises à la date de cloture du bilan peuventy etre inscrits » (CJUE, Gimle s.a. c/ Etat belge, precite).

En substance, cet arret de la Cour de justice de l'Union europeenne posedonc les principes suivants :

Le principe du respect de l'image fidele doit etre subordonne au principede prudence ; le principe de prudence impose une evaluation de certainsactifs sur la base de leur cout historique, meme si cela entraine unesous-estimation.

Il est par ailleurs constant que « l'article 27bis introduit par l'arreteroyal precite du 12 septembre 1983 [devenu l'article 67, S: 2, de l'arreteroyal] a pour objectif `de corriger à concurrence de l'escompte(difference entre la valeur nominale du resultat en cause et la valeuractuelle) le montant nominal du resultat en cause (chiffre d'affaires,autre resultat d'exploitation, plus ou moins-value de realisation, etc.)et de le rattacher au titre de produit financier aux exercices ulterieurs,qui auront à supporter les charges financieres relatives aux capitaux misen oeuvre pour financer cette creance' » (rapport au Roi precedantl'arrete royal du 6 novembre 1987 modifiant l'arrete royal du 8 octobre1976, cite par Mons, 7 novembre 2003, F.J.F., 2004, p. 212).

2. En l'espece, l'arret attaque constate que (i) la demanderesse acomptabilise les actions acquises pour leur prix d'acquisition representepar la valeur reelle de la creance consentie pour les acquerir, sousdeduction d'un escompte, conformement aux articles 67, S: 2, c), et 77 del'arrete royal ; (ii) la dette de la demanderesse etait payable à plusd'un an et ne portait pas interet ; (iii) l'objectif poursuivi par lademanderesse etait de ne pas « grever la tresorerie de la societe et detenir compte d'un element de risque lie à des investissements de hautetechnologie en phase de developpement ».

Autrement dit, l'arret attaque admet de la sorte que la comptabilisationde l'operation litigieuse a ete effectuee conformement au principe deprudence au sens de la directive [et] de l'arrete royal, interpretes à lalumiere de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union europeenne.

L'arret attaque decide neanmoins que ce mode de comptabilisation « genere(...) des charges financieres fictives » et qu'en vertu du principe del'image fidele du patrimoine des societes, la demanderesse « etait tenuedans un tel cas de deroger à l'application des articles 67, S: 2, c), et77 de l'arrete royal d'execution du Code des societes ».

Or, ainsi qu'il a ete rappele ci-dessus, c'est le principe de prudence(auquel est subordonne le principe du respect de l'image fidele) quiimpose la comptabilisation de telles charges.

3. En consequence, apres avoir constate que la comptabilisation del'operation litigieuse avait ete effectuee en fonction du cout historiquedes actifs moyennant la deduction d'un escompte au titre de chargesfinancieres, l'arret attaque ne pouvait, en se fondant sur la seuleconsideration que le respect de ces regles aboutit à engendrer descharges financieres purement fictives, decider que la demanderesse devaitcomptabiliser les actifs à leur valeur reelle sans violer le principe deprudence qu'expriment les dispositions legales visees au moyen (hormisl'article 149 de la Constitution).

Troisieme branche

1. Aux termes de l'article 2.3 à 2.5 de la directive, transpose en droitbelge par les articles 24 et 29 de l'arrete royal [du 30 janvier 2001portant execution du Code des societes], si les dispositions legales quiassurent l'application concrete du principe d'image fidele ne permettentpas d'atteindre cet objectif, il y est remedie par le biais d'une mentiondans les annexes qui n'a pas d'impact sur le compte de resultats de lasociete.

Tel est notamment le cas d'une « societe ayant la certitude de realiserun benefice important en raison d'engagement pris quant à la reventefuture d'un actif, [qui] est tenue, en application de l'article 2.4 decette directive, de fournir des informations complementaires à ce sujet» (CJUE, Gimle s.a. c/ Etat belge, precite).

En d'autres termes, ce n'est qu'à titre exceptionnel et lorsqu'unemention aux annexes ne suffit pas à assurer l'application effective duprincipe d'image fidele que l'article 2.5 de la directive permet des'ecarter des principes de comptabilisation au cout historiqued'acquisition.

2. En l'espece, l'arret attaque decide que l'operation litigieuseconstituait un cas exceptionnel conduisant à ce que soit ecarteel'application des regles normales de droit comptable, en se fondant surles constatations et considerations relatees à la premiere branche dupresent moyen sans toutefois examiner la question, relevant de l'ordrepublic, de savoir si une mention aux annexes des comptes annuels de lademanderesse aurait assure l'application effective du principe d'imagefidele au lieu d'une comptabilisation des actions à leur valeur reelle.

A tout le moins, en omettant de proceder à cette verification, l'arretattaque ne permet pas à la Cour d'exercer son pouvoir de controle etn'est pas regulierement motive.

3. En consequence, l'arret attaque viole toutes les dispositions visees aumoyen.

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

L'article 24 de l'arrete royal du 30 janvier 2001 portant execution duCode des societes, dont l'arret attaque fait application, prevoit, en sonalinea 1er, que les comptes annuels doivent donner une image fidele dupatrimoine, de la situation financiere ainsi que du resultat de la societeet, en son alinea 2, que si l'application des dispositions de cet arretene suffit pas pour satisfaire à ce prescrit, des informationscomplementaires doivent etre fournies dans l'annexe.

Suivant l'article 29, alinea 1er, de cet arrete royal, dans le casexceptionnel ou l'application des regles d'evaluation prevues au chapitrecontenant cet article ne conduirait pas au respect de l'article 24, alinea1er, il y a lieu d'y deroger par application dudit article.

Conformement à l'article 35 de l'arrete royal precite, sans prejudice del'application des articles 29, 67 et 77, les elements d'actif sont evaluesà leur valeur d'acquisition et sont portes au bilan pour cette memevaleur, deduction faite des amortissements et des reductions de valeurs yafferents. Par valeur d'acquisition, il faut entendre, soit le prixd'acquisition defini à l'article 36, soit le cout de revient defini àl'article 37, soit la valeur d'apport definie à l'article 39.

L'article 67, S: 2, c), de l'arrete royal dispose que l'inscription aubilan des creances à leur valeur nominale s'accompagne de l'inscriptionen comptes de regularisation du passif et de la prise en resultats proratatemporis sur la base des interets composes de l'escompte de creances quine sont pas productives d'interet ou qui sont assorties d'un interetanormalement faible, lorsque ces creances : 1DEG sont remboursables à unedate eloignee de plus d'un an, à compter de leur entree dans lepatrimoine de la societe, et 2DEG sont afferentes soit à des montantsactes en tant que produits au compte de resultats, soit au prix de cessiond'immobilisations ou de branches d'activites.

En vertu de l'article 77 de cet arrete, l'article 67 est d'applicationanalogue aux dettes de nature et de duree correspondantes.

Les articles 24 et 29 precites sont la transposition en droit interne del'article 2.3, 2.4 et 2.5 de la quatrieme directive 78/660/CEE du Conseildu 25 juillet 1978 fondee sur l'article 54.3, g), du Traite et concernantles comptes annuels de certaines formes de societes.

La section 7 de cette directive, intitulee « regles d'evaluation »,prevoit à l'article 32 que l'evaluation des postes figurant dans lescomptes annuels se fait selon les dispositions des articles 34 à 42,fondees sur le principe du prix d'acquisition ou du cout de revient.

Dans l'arret nDEG C-322/12 du 3 octobre 2013, la Cour de justice del'Union europeenne a dit pour droit que « le principe de l'image fideleenonce à l'article 2.3 à 2.5 de la quatrieme directive [...] ne permetpas de deroger au principe de l'evaluation des actifs sur la base de leurprix d'acquisition ou de leur cout de revient, figurant à l'article 32 deladite directive, au profit d'une evaluation sur la base de leur valeurreelle, lorsque le prix d'acquisition ou le cout de revient desdits actifsest manifestement inferieur à leur valeur reelle ».

L'arret non attaque du 21 avril 2010 enonce que les articles 67, S: 2, et77 de l'arrete royal precite « autorisent en principe la comptabilisationd'un escompte de dettes non productives d'interet payables à une dateeloignee de plus d'un an » et que « tel est bien le cas en l'espece deslors que les conventions [de cession d'actions] prevoient expressement quele prix est paye sans interet et qu'il s'agit bien [d'une] dette à plusd'un an [...] afferente au prix d'acquisition d'une immobilisationfinanciere et non [...] d'une dette correspondant à un pret d'argent ».

L'arret attaque considere que ces regles particulieres d'evaluation sejustifient « en raison du fait qu'en general le montant nominal de cescreances ou dettes [...] comprend en realite implicitement des interets »mais qu'en l'espece, « il n'a pas ete tenu compte par les parties lors dela fixation du prix d'acquisition des actions de l'etalement du paiement,[...] la valeur nominale de la dette ne comportant pas d'interets etcorrespondant à la valeur actuelle des participations ».

L'arret en deduit que la demanderesse « etait tenue dans un tel cas dederoger à l'application des articles 67, S: 2, c), et 77 [precites] ens'abstenant de corriger le prix d'acquisition nominal des actions encause » puisque leur application « ne donne pas une image aussi fideleque possible du patrimoine, de la situation financiere et du resultat dela societe au sens des articles 24 et 29 de l'arrete royal [...] ainsi quede l'article 2 de la directive » et « aboutit en l'espece à l'effetinverse consistant à s'ecarter de cette valeur reelle ».

En considerant qu'une derogation aux regles d'evaluation specifiques auxdettes à plus d'un an, fondees sur le prix d'acquisition, s'impose par lemotif que leur application aboutit en l'espece à s'ecarter de la valeurreelle des actions acquises, l'arret attaque viole les dispositionslegales precitees.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du onze mars deux mille seize par lepresident de section Albert Fettweis, en presence du premier avocatgeneral Andre Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+----------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
|-----------------+-----------+----------------|
| M. Lemal | M. Regout | A. Fettweis |
+----------------------------------------------+

11 MARS 2016 F.14.0120.F/15


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.14.0120.F
Date de la décision : 11/03/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 08/04/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-03-11;f.14.0120.f ?
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