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14/03/2016 | BELGIQUE | N°C.15.0069.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 14 mars 2016, C.15.0069.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.15.0069.F

C. V.,

admise au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 29 janvier 2015 (nDEG G.14.0206.F),

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67,ou il est fait election de domicile,

contre

J.S.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli

à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

en presence de

AG INSURANCE, societe ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.15.0069.F

C. V.,

admise au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 29 janvier 2015 (nDEG G.14.0206.F),

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67,ou il est fait election de domicile,

contre

J.S.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

en presence de

AG INSURANCE, societe anonyme, dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

partie appelee en declaration d'arret commun.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 4 septembre2014 par la cour d'appel de Liege.

Par ordonnance du 26 fevrier 2016, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le president de section Albert Fettweis a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

Article 9, S:S: 2 et 4, de la loi du 22 aout 2002 relative aux droits dupatient

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque, decide, par confirmation du jugement du premier juge,qu'à defaut du respect d'une des conditions prevues par l'article 9, S:4, de la loi du 22 aout 2002 precitee, la demande formee par lademanderesse, de consultation indirecte du dossier medical en relationavec le deces de son fils, n'est pas fondee aux motifs que :

« Le refus manifeste par le patient à la consultation de son dossier estcontraignant ; la loi lui confere la maitrise sur le sort de ses donneesmedicales apres son deces tout en precisant que son opposition à laconsultation de son dossier doit etre expresse. Le texte legal n'exigecependant nullement que cette opposition expresse resulte d'un ecrit desorte qu'il doit etre admis qu'elle peut avoir ete formulee verbalement(en ce sens, avis du 1er septembre 2007 du Conseil national desmedecins).

En l'espece, pour s'opposer à la requete formulee par [la demanderesse],[le defendeur] a affirme que `de son vivant, F.M. avait expressementdemande que tout contact avec sa mere soit rompu et qu'aucune informationle concernant ne lui soit transmise pour raison d'inadequation de cettederniere' (courrier du 28 janvier 2012 du [defendeur]).

Cette allegation du [defendeur] est, dans son ensemble, hautementvraisemblable etant accreditee par les elements soumis à l'appreciationde la cour d'appel.

Ainsi, il apparait des comptes rendus etablis par le [defendeur] au furet à mesure du suivi de son patient F. M. qu'alors que celui-cientretenait regulierement des contacts avec son pere, il a par contre, àpartir du mois de mars 2008, emis clairement et expressement la volonte derompre tout contact avec sa mere.

Le psychologue P., travaillant au centre universitaire provincial `LaClairiere', qui a egalement suivi F. M., a releve egalement la volonte decelui-ci de couper les ponts avec sa mere.

La cour d'appel releve par ailleurs que, dans le cadre des contratsd'entree etablis entre F. M. et l'unite 2 de `La Clairiere', F. M. amentionne par ecrit sous le verbo `mes objectifs et/ou les changements queje souhaite par rapport à ma vie actuelle': `ne plus avoir de contact(definitivement) avec ma mere' (contrat d'entree du 4 fevrier 2009),`supprimer tous contacts avec ma mere' (contrat d'entree du 9 mars 2009)et à coupe les contacts avec ma maman (ancien obj.)' (contrat du 29septembre 2009). Dans le contrat d'entree signe le 4 fevrier 2009, F.M.exprimait expressement sous le verbo `mes demandes par rapport auservice', àvoir une aide de l'equipe pour qu'elle me laisse enfintranquille (ma mere)'.

F. M. a de la sorte clairement exprime le souhait que le corps medicaljoue le role de rempart entre sa personne et celle de sa mere.

[...]

Il y a lieu de considerer qu'en exprimant, à plusieurs reprises, demaniere orale et ecrite, sa volonte de rompre de maniere definitive touterelation avec sa mere, objectif qu'il a finalement atteint, F. M. amanifeste de maniere non equivoque sa volonte expresse de s'opposer àtoute intrusion de sa mere dans la sphere de sa vie privee et à toutdroit d'acces de celle-ci à ses donnees à caractere personnel, fut-ceapres sa mort. En decider autrement reviendrait à annihiler la volonte dupatient et serait contraire à l'intention du legislateur de conferer aupatient la maitrise sur le sort de ses donnees medicales apres son deces.

Il suit de l'ensemble des considerations qui precedent que c'est à bondroit que le premier juge a considere qu'à defaut de l'une des conditionsprevues par l'article 9, S: 4, de la loi du 22 aout 2002, etant l'absenced'opposition expresse du patient à la consultation de son dossier, lademande de consultation ne pouvait etre accordee à [la demanderesse] ».

Griefs

En application de l'article 9, S: 1er, de la loi du 22 aout 2002 relativeaux droits du patient, tout patient « a droit de la part de son praticienprofessionnel à un dossier de patient soigneusement tenu à jour etconserve en lieu sur ».

Le paragraphe 2 precise que « le patient a droit à la consultation dudossier le concernant ».

Apres le deces du patient, il existe un droit propre de consultation de cedossier medical, en faveur de certains proches, dans les conditionsprecisees par l'article 9, S: 4 : « Apres le deces du patient (...), lesparents jusqu'au deuxieme degre inclus ont, par l'intermediaire dupraticien professionnel designe par le demandeur, le droit de consultationvise au paragraphe 2, pour autant que leur demande soit suffisammentmotivee et specifiee et que le patient ne s'y soit pas opposeexpressement ».

En l'espece, la cour d'appel a considere que la derniere condition prevuepar cette disposition legale n'etait pas remplie, dans les termessuivants :

« Il y a lieu de considerer qu'en exprimant, à plusieurs reprises, demaniere orale et ecrite, sa volonte de rompre de maniere definitive touterelation avec sa mere, objectif qu'il a finalement atteint, F.M. amanifeste de maniere non equivoque sa volonte expresse de s'opposer àtoute intrusion de sa mere dans la sphere de sa vie privee et à toutdroit d'acces de celle-ci à ses donnees à caractere personnel, fut-ceapres sa mort. En decider autrement reviendrait à annihiler la volonte dupatient et serait contraire à l'intention du legislateur de conferer aupatient la maitrise sur le sort de ses donnees medicales apres sondeces ».

La cour d'appel deduit en consequence de la seule circonstance que F. M. a exprime « à plusieurs reprises, de maniere orale et ecrite, sa volontede rompre de maniere definitive toute relation avec sa mere, objectifqu'il a finalement atteint » que celui-ci a manifeste de maniere nonequivoque sa volonte expresse de s'opposer à toute intrusion de sa meredans la sphere de sa vie privee et à tout droit d'acces de celle-ci àses donnees à caractere personnel, « fut-ce apres sa mort ».

Par une appreciation souveraine en fait, la cour d'appel pouvait sansdoute deduire de ces declarations de F. M. que celui-ci s'opposait àtout contact avec sa mere de son vivant, ainsi qu'à la transmissiond'informations concernant sa vie et qu'il a clairement exprime de la sorte« le souhait que le corps medical joue le role de rempart entre sapersonne et celle de sa mere ».

Il ne resulte cependant pas de ces declarations une volonte expresse de F.M. d'aller jusqu'à s'opposer à ce qu'apres son deces sa mere puisseconsulter son dossier medical et particulierement les elements de cedossier en relation avec son propre deces. Il ne resulte en effet d'aucunedes circonstances retenues par la cour d'appel que F. M. ait envisagepareille hypothese.

La volonte de F. M. de s'opposer à toute intrusion de sa mere dans lasphere de sa vie privee n'implique pas necessairement la persistance decette volonte apres la mort.

De meme, elle n'implique pas necessairement une volonte de F.M. des'opposer à toute prise de connaissance par sa mere des conditions de sonpropre deces en vue d'en connaitre les circonstances exactes, voire derechercher d'eventuelles responsabilites liees à ce deces.

Il ne resulte en tout cas d'aucun des elements de fait retenus par la courd'appel que F. M. se soit expressement oppose à ce qu'apres son deces,la demanderesse puisse consulter les seuls elements de son dossier medicalen relation avec son deces.

A fortiori en est-il ainsi de la consultation indirecte sollicitee par lademanderesse (par l'intermediaire du docteur B.), laquelle est nonseulement conforme à l'article 9, S: 4, de la disposition legale visee aumoyen mais respecte parfaitement la volonte exprimee par F.M. « que lecorps medical joue le role de rempart entre sa personne et celle de samere ».

La cour d'appel ne fait en realite que deduire l'opposition de F.M., requise par l'article 9, S: 4 precite, de la circonstance que celui-ci nesouhaitait plus aucun contact avec sa mere de son vivant.

Pareille deduction est contraire à l'exigence de l'article 9 precite,selon laquelle, la volonte du patient de s'opposer à ce que ses parentspuissent consulter son dossier apres son deces, particulierement en ce quiconcerne les elements du dossier en relation avec le deces, doit etreexpressement formulee.

Il en resulte qu'en declarant non fondee la demande de la demanderesse,visant à « permettre au docteur B. de consulter des elements du dossiermedical de F. M. en relation avec le deces de celui-ci » aux seulsmotifs que ce dernier « a clairement exprime le souhait que le corpsmedical joue le role de rempart entre sa personne et celle de sa mere »et « qu'il y a lieu de considerer qu'en exprimant, à plusieurs reprises,de maniere orale et ecrite, sa volonte de rompre de maniere definitivetoute relation avec sa mere », F. M. a manifeste « de maniere nonequivoque sa volonte expresse de s'opposer à toute intrusion de sa meredans la sphere de sa vie privee et à tout droit d'acces de celle-ci àses donnees à caractere personnel, fut-ce apres sa mort », l'arretattaque viole les dispositions legales visees au moyen.

III. La decision de la Cour

En vertu de l'article 9, S: 4, premiere phrase, de la loi du 22 aout 2002relative aux droits du patient, apres le deces du patient, l'epoux, lepartenaire cohabitant legal, le partenaire et les parents jusqu'audeuxieme degre inclus ont, par l'intermediaire du praticien professionneldesigne par le demandeur, le droit de consultation du dossier du patientpour autant que leur demande soit suffisamment motivee et specifiee et quele patient ne s'y soit pas oppose expressement.

Si le juge constate en fait les elements de la cause dont il deduit que lepatient s'est oppose expressement à ce que le dossier le concernant soitconsulte apres son deces par l'un des proches vises à l'article 9, S: 4,precite, la Cour verifie cependant si, de ses constatations, le juge a pulegalement deduire que le patient s'y est oppose expressement au sens decette disposition.

L'arret constate que, pour s'opposer à la demande de la demanderesse deconsulter le dossier concernant son fils defunt F.M., le defendeur aaffirme que « de son vivant, F.M. avait expressement demande que toutcontact avec sa mere soit rompu et qu'aucune information le concernant nelui soit transmise pour raison d'inadequation de cette derniere ».

Il enonce que « cette allegation du [defendeur] est, dans l'ensemble,hautement vraisemblable etant accreditee par les elements soumis àl'appreciation de la cour [d'appel]. Ainsi, il apparait des comptes rendusetablis par le [defendeur] au fur et à mesure du suivi de son patient F.M. qu'alors que celui-ci entretenait regulierement des contacts avec sonpere, il a par contre, à partir de mars 2008, emis clairement etexpressement la volonte de rompre tout contact avec sa mere. Lepsychologue P., travaillant au centre universitaire provincial `LaClairiere', qui a egalement suivi F. M., a releve egalement la volonte decelui-ci de couper les ponts avec sa mere. [Par ailleurs] dans le cadredes contrats d'entree etablis entre F. M.et l'unite 2 de La Clairiere, F.M. a mentionne par ecrit sous le verbo `mes objectifs et/ou leschangements que je souhaite par rapport à ma vie actuelle' : `ne plusvouloir de contact (definitivement) avec ma mere' (contrat d'entree du 4fevrier 2009), `supprimer tous contacts avec ma mere' (contrat d'entree du9 mars 2009) et à coupe les contacts avec sa maman (ancien obj.)'(contrat du 29 septembre 2009 [...]). Dans le contrat d'entree signe le 4fevrier 2009, F. M. exprimait expressement sous le verbo `mes demandes parrapport au service', àvoir une aide de l'equipe pour qu'elle me laisseenfin tranquille (ma mere)' [...]. F.M. a de la sorte clairement exprimele souhait que le corps medical joue le role de rempart entre sa personneet celle de sa mere ».

Sur la base de ces enonciations, l'arret a pu legalement decider « qu'enexprimant, à plusieurs reprises, de maniere orale et ecrite, sa volontede rompre de maniere definitive toute relation avec sa mere, objectifqu'il a finalement atteint, F.M. a manifeste de maniere non equivoque savolonte expresse de s'opposer à toute intrusion de sa mere dans la spherede sa vie privee et à tout droit d'acces de celle-ci à ses donnees àcaractere personnel, fut-ce apres sa mort ».

Le moyen ne peut etre accueilli.

Et le rejet du pourvoi prive d'interet la demande en declaration d'arretcommun.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi et la demande en declaration d'arret commun ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de cinq cent cinquante-neuf eurosseptante-neuf centimes en debet envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du quatorze mars deux mille seize par lepresident de section Albert Fettweis, en presence de l'avocat generaldelegue Michel Palumbo, avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.

+--------------------------------------+
| F. Gobert | S. Geubel | M. Lemal |
|------------+-----------+-------------|
| M. Delange | M. Regout | A. Fettweis |
+--------------------------------------+

14 MARS 2016 C.15.0069.F/1

Requete/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0069.F
Date de la décision : 14/03/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-03-14;c.15.0069.f ?
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