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04/04/2016 | BELGIQUE | N°S.14.0039.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 avril 2016, S.14.0039.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG S.14.0039.F

* 1. C. F.,

* 2. C.L.,

* demanderesses en cassation,

* representees par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine,11, ou il est fait election de domicile,

* contre

1. INTERCOMMUNALE D'INCENDIE DE LIEGE ET ENVIRONS - SERVICE REGIONALD'INCENDIE, societe cooperative à responsabilite limitee, dont le siegesocial est etabli à Liege (Jupille-sur-Meuse), rue Ransonnet, 5,

representee par Maitre Willy van

Eeckhoutte, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Gand, Drie Koningenstraat, 3, oui...

Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG S.14.0039.F

* 1. C. F.,

* 2. C.L.,

* demanderesses en cassation,

* representees par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine,11, ou il est fait election de domicile,

* contre

1. INTERCOMMUNALE D'INCENDIE DE LIEGE ET ENVIRONS - SERVICE REGIONALD'INCENDIE, societe cooperative à responsabilite limitee, dont le siegesocial est etabli à Liege (Jupille-sur-Meuse), rue Ransonnet, 5,

representee par Maitre Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Gand, Drie Koningenstraat, 3, ouil est fait election de domicile,

2. FONDS DES MALADIES PROFESSIONNNELLES, etablissement public, dont lesiege est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, avenue de l'Astronomie, 1,

* represente par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des QuatreBras, 6, ou il est fait election de domicile,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre les arrets rendus les 3 decembre2010 et 6 mai 2011 par la cour du travail de Liege.

Le 15 mars 2016, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Le president de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgeneral Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, les demanderesses presentent six moyens.

III. La decision de la Cour

VIII. IX. Sur le quatrieme moyen :

Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par les defendeurs et deduitede ce qu'il est nouveau :

Les dispositions dont le moyen invoque la violation interessent l'ordrepublic.

Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par la defenderesse et deduitede ce qu'il est denue d'interet :

* La defenderesse fait valoir que la decision de l'arret attaque du 3decembre 2010 de dire applicable au litige l'article 32, alinea 2,des lois relatives à la reparation des dommages resultant desmaladies professionnelles, coordonnees le 3 juin 1970, est conformeaux conclusions des demanderesses.

Quels que soient les moyens qu'elles ont soumis à la cour du travail, lesdemanderesses ont interet à invoquer contre cet arret, qui, en ne leuradjugeant pas leur demande, leur inflige grief, un moyen qui peut etresouleve pour la premiere fois devant la Cour.

Les fins de non-recevoir ne peuvent etre accueillies.

* Sur le fondement du moyen :

En vertu de l'article 2, 1DEG, de l'arrete royal du 21 janvier 1993relatif à la reparation des dommages resultant des maladiesprofessionnelles en faveur de certains membres du personnel appartenantaux administrations provinciales et locales, affiliees à l'Officenational de securite sociale des administrations provinciales et locales,pris en execution de l'article 1er, alinea 1er, 9DEG, de la loi du 3juillet 1967 sur la prevention ou la reparation des dommages resultant desaccidents du travail, des accidents sur le chemin du travail et desmaladies professionnelles dans le secteur public, le regime en matiere dereparation des dommages resultant des maladies professionnelles dans lesecteur public est applicable aux membres du personnel desintercommunales.

* L'article 4 de cet arrete dispose, à l'instar de l'article 2, alinea6, de la loi du 3 juillet 1967, que donnent lieu à reparation lesmaladies professionnelles reconnues comme telles conformement auxregles des lois coordonnees du 3 juin 1970.

* Aux termes de l'article 5, alinea 1er, du meme arrete, la reparationdu dommage resultant d'une maladie professionnelle est due lorsque lapersonne victime de cette maladie a ete exposee au risqueprofessionnel pendant la totalite ou une partie de la periode aucours de laquelle elle appartenait au personnel vise à l'article 2.

* Il suit de ces dispositions que, si, s'agissant des maladiesprofessionnelles reconnues comme telles, l'arrete royal du 21 janvier1993, comme la loi du 3 juillet 1967, fait reference aux articles 30et 30bis des lois coordonnees du 3 juin 1970, l'article 5 de cetarrete, qui subordonne la reparation du dommage à la conditiond'exposition au risque professionnel, exclut l'application del'article 32 desdites lois coordonnees, auquel il ne se refere pasdavantage que la loi du 3 juillet 1967.

* En tenant l'article 32, alinea 2, des lois coordonnees du 3 juin1970, dans quelqu'une de ses versions, pour applicable au litigerelatif à la reparation de la maladie professionnelle dont auraitete victime l'auteur des demanderesses, sapeur-pompier au service dela defenderesse, l'arret attaque du 3 decembre 2010 viole lesdispositions legales precitees.

* Le moyen est fonde.

* La cassation de cet arret entraine l'annulation de celui du 6 mai2011, qui en est la suite.

* Par ces motifs,

* La Cour

* * Casse l'arret attaque du 3 decembre 2010 ;

* Annule l'arret du 6 mai 2011 ;

* Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse et de l'arret annule ;

* Vu l'article 16, alinea 2, de la loi du 3 juillet 1967 sur laprevention ou la reparation des dommages resultant des accidents dutravail, des accidents sur le chemin du travail et des maladiesprofessionnelles dans le secteur public, condamne la defenderesse auxdepens ;

Renvoie la cause devant la cour du travail de Mons.

Les depens taxes à la somme de quatre cent quatre-vingt-sept euroscinquante-trois centimes envers les parties demanderesses.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersMartine Regout, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du quatre avril deux mille seize par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.

+--------------------------------------+
| F. Gobert | S. Geubel | M. Lemal |
|------------+-----------+-------------|
| M. Delange | M. Regout | Chr. Storck |
+--------------------------------------+

Requete

1er feuillet

REQUETE EN CASSATION

_______________________

Pour : 1DEG. Mme C. F.,

veuve de M. R. L., decede le 19 fevrier 2006, ayant repris l'instance

initialement mue par celui-ci,

2DEG. Mme C. L., domiciliee à 4000 Liege, place Saint-Jacques,

13, citee en reprise d'instance en sa qualite d'ayant droit de M. R. L.,

demanderesses,

assistees et representees par Me Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Courde

cassation, dont le cabinet est etabli à 4020 Liege, rue de Chaudfontaine,11

ou il est fait election de domicile,

Contre : 1DEG. la S.C.R.L. INTERCOMMUNALE D'INCENDIE LIEGE ET

ENVIRONS - SERVICE REGIONAL D'INCENDIE - en abrege S.R.I.,

Inscrite à la BCE sous le nDEG 0248.929.120, dont le siege est etabli à4020 Liege,

rue Ransonnet, 5,

2DEG. le FONDS DES MALADIES PROFESSIONNELLES, etablissement

public dont le siege administratif est etabli à 1210 Bruxelles, avenue

de l'Astronomie, 1,

defendeurs,

A Messieurs les Premier President et Presidents, Mesdames et Messieurs lesConseillers composant la Cour de cassation,

2eme feuillet

Messieurs, Mesdames,

Les demanderesses ont l'honneur de deferer à votre censure les arretsprononces par la sixieme chambre de la cour du travail de Liege les 3decembre 2010 et 6 mai 2011 (R.G. nDEG 2004/AL/32229).

Les faits et antecedents de la cause, tels qu'ils ressortent des piecesauxquelles votre Cour peut avoir egard, peuvent etre brievement resumescomme suit.

Monsieur R. L., ne ., a travaille pour le compte de la defenderesse enqualite de sapeur-pompier statutaire de 1975 à 2000, date de sa mise enpreretraite. De 1975 à 1998, il a ete affecte au service de protection etde lutte contre l'incendie de la Ville de Liege et a participe à desinterventions sur des incendies.

Monsieur L. a introduit une declaration de maladie professionnelle aupresdu service competent le 12 avril 1999. Il se plaignait de l'existenced'une maladie respiratoire qu'il imputait à l'action des inhalations dederives du cyanogene, d'oxyde d'azote, de derives d'ammoniac et de derivesde chlore, auxquels il estimait avoir ete expose en sa qualite desapeur-pompier. Il s'agit d'une maladie de la liste, enregistree sous lecode R 1.108.03.

Le 17 aout 2000, le defendeur a notifie ses conclusions medicales - dontil ressort que Monsieur L.n'etait pas atteint de la maladieprofessionnelle invoquee - à la defenderesse. Celle-ci a notifie àMonsieur L. le 26 septembre 2001 son refus de reconnaitre la maladieprofessionnelle pour laquelle il demandait reparation.

Monsieur L. a introduit un recours devant le tribunal du travail de Liegeà l'encontre de la decision de la defenderesse par une citation du 17avril 2002.

Le defendeur a fait intervention volontaire à la procedure.

Par un jugement du 9 octobre 2002, le tribunal du travail de Liege aordonne avant dire droit une expertise qu'il a confiee au docteurRadermecker.

3eme feuillet

L'expert a depose son rapport le 17 avril 2003. Il a conclu que MonsieurL.etait atteint de la maladie professionnelle dont il revendiquait lareconnaissance et que la reparation legale lui etait due à dater du 18mai 1999, à hauteur d'un taux d'incapacite permanente partielle de 80%,sans prejudice de l'application des facteurs socio-economiques.

A la suite de l'expertise, le tribunal a rendu son jugement au fond le 8decembre 2003. Il a declare l'action de Monsieur L. recevable mais nonfondee. Le tribunal a ecarte les conclusions du rapport d'expertise et aestime que le dossier ne contenait pas suffisamment d'arguments en faveurd'une origine professionnelle de la maladie et que l'affectionrespiratoire presentee par Monsieur L. etait d'origine exclusivementtabagique.

Monsieur L. a interjete appel de ce jugement par une requete deposee augreffe le 15 mars 2004.

Par un arret du 22 decembre 2004, la 6eme chambre de la cour du travail deLiege a ordonne avant dire droit une nouvelle expertise, confiee audocteur Laboury. Cet arret rappelle, en droit : que l'article 3, dernieralinea de la loi du 3 juillet 1967 sur la prevention et la reparation desdommages resultant des accidents du travail, des accidents sur le chemindu travail et des maladies professionnelles dans le secteur public entendpar maladies professionnelles celles qui sont reconnues comme telles enexecution de la legislation relative à la reparation des dommages causespar les maladies professionnelles; qu'il en est de meme de l'article 4 del'arrete royal du 21 janvier 1993 relatif à la reparation des dommagesresultant des maladies professionnelles en faveur de certains membres dupersonnel appartenant aux administrations provinciales et locales; qu'envertu de l'article 5, alinea 1er, de cet arrete royal, la reparation dudommage resultant d'une maladie professionnelle est due lorsque la victimede cette maladie a ete exposee aux risques professionnels de laditemaladie pendant la totalite ou une partie de la periode au cours delaquelle elle appartenait au personnel vise à l'article 2 et que l'alinea2 de cette disposition presume jusqu'à preuve du contraire avoir exposela victime aux risques professionnels de la maladie professionnelle, touttravail effectue pendant la periode visee à l'alinea precedent dans lesadministrations et etablissements mentionnes à l'article 2; que pour lesmembres d'une intercommunale (comme en l'espece), l'exposition aux risquesprofessionnels de la maladie est ainsi presumee jusqu'à preuve ducontraire pour tout travail effectue dans l'intercommunale.

5eme feuillet

Cet arret resume comme suit la preuve à apporter par la victime :"l'agent doit donc demontrer qu'il est atteint d'une maladie respiratoireayant pu etre provoquee par les inhalations de derives du cyanogene,d'oxyde d'azote, de derives d'ammoniac et de derives de chlore, cependantque l'exposition au risque, presumee jusqu'à preuve du contraire,signifie à defaut de preuve contraire qu'il a ete professionnellementsoumis à des inhalations de derives du cyanogene, d'oxyde d'azote, dederives d'ammoniac et de derives de chlore suffisantes en duree etintensite pour creer le risque qu'il contracte cette maladie, celle-cietant ensuite presumee de maniere irrefragable avoir ete effectivementcausee par ces inhalations".

La mission confiee à l'expert est notamment de dire si M. L. "est atteintd'une affection ou de lesions respiratoires ayant pu etre provoquees parl'inhalation de derives du cyanogene, d'oxyde d'azote, de derivesd'ammoniac et de derives de chlore" et, dans l'affirmative, "apres examenmeticuleux des conditions de travail de (M. .) s'il est etabli avec leplus haut degre de vraisemblance que permettent les connaissancesmedicales si (M. L.) n'a pas ete expose au risque professionnel de lamaladie, c'est-à-dire si au cours de sa carriere au service de (las.c.r.l. I.I.L.E.), il n'a pas ete professionnellement soumis à desinhalations de derives du cyanogene, d'oxyde d'azote, de derivesd'ammoniac et de derives de chlore suffisantes, en raison de leur duree,de leur frequence et de leur intensite, et compte tenu aussi de laconstitution physique du patient, pour creer le risque de contracter cettemaladie".

Par un arret du 23 mars 2005, suite à la demande de decharge du premierexpert designe par la cour, un expert remplac,ant, le docteur Boxho, a etedesigne.

Monsieur L.est decede le 19 fevrier 2006 à l'age de 62 ans des suitesd'une bronchopathie pathologique chronique obstructive (BPCO). La premieredemanderesse, veuve de Monsieur L., a repris l'instance. La secondedemanderesse, fille de Monsieur L., a ete citee en reprise d'instance parla defenderesse.

Le rapport d'expertise, qui a ete depose au greffe le 19 septembre 2008,conclut qu'il n'est pas etabli avec le plus haut degre de vraisemblanceque permettent les connaissances medicales que M. L. n'a pas ete expose aurisque professionnel de la maladie et que cette maladie a entraine uneincapacite physique à caractere temporaire de 80 % du 23 mars 1999 au 1erfevrier 2004 et de 100 % du 2 fevrier 2004 à la date du deces.

6eme feuillet

Par le premier arret attaque, du 3 decembre 2010, apres avoir rappele lesregles degagees dans l'arret du 22 decembre 2004 quant à la presomptiond'exposition aux risques professionnels de la maladie et à la charge dela preuve pesant sur la defenderesse, etant "de rapporter la preuvecontraire de ce que l'interesse a ete soumis à l'inhalation desditesfumees toxiques pendant une duree avec une intensite suffisante pour creerle risque qu'il contracte cette maladie", la cour du travail souleve laquestion, qui n'avait pas ete abordee par les parties, s'il convientd'appliquer l'article 32, alinea 2, des lois coordonnees du 3 juin 1970relatives à la reparation des dommages resultant des maladiesprofessionnelles dans sa version anterieure à sa modification par une loidu 13 juillet 2006 entree en vigueur le 1er septembre 2006 ou d'appliquerle texte en vigueur à la date d'introduction de la demande et à la datede la decision litigieuse. La cour ordonne la reouverture des debats surcette question.

Par le second arret attaque, du 6 mai 2011, la cour du travail decide quela version de l'article 2, alinea 2, de la loi du 3 juin 1970 telle quemodifiee par la loi du 13 juillet 2006 est applicable; qu'il appartientdes lors aux demanderesses de demontrer "que l'exposition au risqueprofessionnel que constitue l'inhalation de fumees d'incendie represente,dans le groupe professionnel des pompiers et, plus particulierement dansle chef du defunt, la cause preponderante de la maladie connue sous le nomde bronchopathie pathologique chronique obstructive" et que cette preuven'est pas apportee. Elle declare en consequence l'appel non fonde.

A l'encontre de ces decisions, les demanderesses proposent les moyens decassation suivants.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Dispositions legales violees

- les articles 19, alinea 1er, 20, 1042 et 1077 du Code judiciaire,

7eme feuillet

Decision critiquee

L'arret attaque du 6 mai 2011 deboute la premiere demanderesse, veuve deM. L. decede le 19 fevrier 2006, ayant repris l'instance mue par celui-ciet pretendant en outre à une rente de veuve et la deuxieme demanderesse,fille de M. L., citee en reprise d'instance, de l'action initialement muepar M. L., pour tous ses motifs consideres ici comme integralementreproduits et plus particulierement, sur le fondement de l'appel, que :

"1. L'application de la loi dans le temps.

1.1. L'article 2 du Code civil dispose que «la loi ne dispose que pourl'avenir; elle n'a point d'effet retroactif.»

1.2. Il s'agit, comme l'a rappele la Cour de cassation dans un arret du 22octobre 1970, d'un principe general de droit, garant des interetsindividuels et de la securite juridique.

1.3. sauvegarde du courrier du jour sous 97......La Cour de cassation acependant ete amenee à preciser les limites du champ d'application duprincipe consacre de la sorte en jugeant, dans un arret du 2 mai 1994, que«la loi s'applique non seulement aux situations qui naissent à partir desa mise en vigueur, mais encore aux effets futurs de situations nees sousle regime de la loi anterieure ou se prolongeant sous l'empire de la loinouvelle, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à desdroits dejà irrevocablement fixes».

1.4. Notre Cour a, notamment dans un arret du 16 janvier 2006, faitapplication des principes qui viennent d'etre enonces dans une cause danslaquelle le Fonds des maladies professionnelles, à l'occasion d'uneaction en revision d'une maladie osteo-articulaire prealablement reconnue,avait tente de remettre en question cette reconnaissance de la maladieprofessionnelle en arguant qu'entre-temps la reglementation applicable àladite maladie avait ete modifiee en ce sens qu'etait dorenavant exige quesoit demontree la precocite de l'affection lombaire, preuve dont il etaitsoutenu qu'elle n'etait pas rapportee en l'espece.

Dans cet arret, la Cour a ecarte la pretention du FMP de revenir sur cequi avait ete anterieurement decide et reconnu, sur la base de lamotivation suivante :

«Cela etant, il resulte des lois coordonnees du 3 juin 1970 que lareconnaissance de la maladie

professionnelle en vertu des criteres reglementaires anciens constitue unesituation definitivement clichee sous l'empire de ces criteres.

Cette situation, qu'il ne faut pas confondre avec les effets futursqu'elle produit, ne peut etre elle-meme remise en question en fonction decriteres reglementaires nouveaux.

9eme feuillet

En consequence, c'est à tort que le F.M.P. pretend que l'action enrevision de l'intime serait sans fondement au motif que la maladie dont ilsouffre ne pourrait plus etre qualifiee de maladie professionnelle et ce,quand bien meme l'interesse conserve le benefice de son indemnisationanterieure ».

2. L'application de ces principes en l'espece.

2.1. Le present litige differe, sur un point essentiel, de celui qui vientd'etre commente ci-dessus.

En effet, lorsqu'est entree en vigueur la loi nouvelle, le 1er septembre2006, la maladie professionnelle dont feu Monsieur L. poursuivait lareconnaissance depuis sa demande du 18 mai 1999 avait fait l'objet d'unedecision negative du FMP contre laquelle le recours judiciaire qu'il avaitintroduit etait encore pendant.

En d'autres termes, les ayants droit du defunt ne disposaient pas, lors del'entree en vigueur de la loi nouvelle, de droits irrevocablement acquisà la reconnaissance de la maladie professionnelle invoquee.

2.2. C'est en consequence la version de l'article 32 de la loi du 3 juin1970 telle qu'elle a ete modifiee par la loi du 13 juillet 2006, quitrouve à s'appliquer aux effets futurs de la situation anterieure neesous l'empire de la loi ancienne, des lors que cette application nepourrait nuire à des droits dejà irrevocablement fixes.

2.3. Il appartient des lors aux (demanderesses) de demontrer, au sens del'article 32, alinea 2, des lois coordonnees le 3 juin 1970, dans saversion en vigueur à dater du 1er septembre 2006, que l'exposition aurisque professionnel que constitue l'inhalation de fumees d'incendierepresente, dans le groupe professionnel des pompiers et, plusparticulierement dans le chef du defunt, la cause preponderante de lamaladie connue sous le nom de bronchopathie pathologique chroniqueobstructive.

2.4. Force est de constater que pareille preuve n'est pas rapporteelorsque l'on releve que l'expert relate, en page 21 de son rapport, que«les fumees de tabac contiennent les substances suffisantes etnecessaires pour produire une BPCO, sachant que plus de 14% des BPCO sontfumeurs» et lorsqu'il ajoute que «l'exposition au tabac à raison d'unpaquet par jour en moyenne durant 34 ans est nettement plus importante quecelle liee aux incendies et est tres largement suffisante pour provoquerla BPCO à elle seule».

C'est dire que si l'inhalation de fumees d'incendie a pu contribuer à lasurvenance de la maladie qui a emporte le defunt, elle n'en est pas lacause preponderante.

10eme feuillet

L'expert le declare sans la moindre equivoque en page 22 de son rapport :

«En clair, il est hautement probable que la cause de la BPCO presenteepar Monsieur L. est tabagique, mais qu'il n'est pas impossible quel'exposition aux fumees d'incendie ait contribue de maniere infime àl'evolution de l'affection.».

2.5. L'argument invoque à titre subsidiaire par le conseil des parties(demanderesses) ne permet pas de reconnaitre la qualification de maladieprofessionnelle à l'affection medicale qui est à l'origine du deces del'interesse.

En effet si le constat pose par l'expert, de ce qu'il y a eu exposition aurisque de la maladie, permet certes d'etablir un lien entre la survenancede la bronchopathie pathologique chronique obstructive dont a ete atteintl'interesse et sa profession de sapeur-pompier et d'en deduire que lapresomption d'exposition au risque dont beneficient les membres dupersonnel d'une intercommunale n'est en l'espece pas renversee, ce memeconstat ne permet pas pour autant de demontrer que cette exposition aurisque d'inhalation de fumees toxiques a ete la cause preponderante deladite maladie.

Il s'ensuit que la maladie professionnelle ne peut etre reconnue et quel'appel doit etre declare non fonde".

Grief

En vertu de l'article 19, alinea 2, du Code judiciaire - applicable endegre d'appel en vertu de l'article 1042 du meme code - , il est interditau juge de se prononcer sur une question qui a dejà ete tranchee par unedecision rendue dans la meme cause et entre les memes parties et qui,etant definitive, a epuise sa juridiction, en sorte que, lorsqu'il s'agitd'une decision prise en degre d'appel, seul le recours en cassation estouvert en vertu des articles 20 et 1077 du Code judiciaire.

L'arret de la sixieme chambre de la cour du travail de Liege du 22decembre 2004, rendu dans la meme cause et entre les memes parties, quidesigne le Dr Laboury et l'arret du 23 mars 2005 qui decharge cet expertet charge le Dr Boxho de la meme mission d'expertise, ont tranchedefinitivement les questions juridiques relatives au mecanisme probatoireen matiere de reparation des maladies professionnelles dans le secteurpublic.

12eme feuillet

L'arret du 22 decembre 2004 a ainsi decide qu'en vertu des articles 3,dernier alinea, de la loi du 3 juillet 1967 sur la prevention et lareparation des dommages resultant des accidents du travail, des accidentssur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteurpublic, et 4 et 5 de l'arrete royal du 21 janvier 1993 relatif à lareparation des dommages resultant des maladies professionnelles en faveurde certains membres du personnel appartenant aux administrationsprovinciales et locales, M. L. qui sollicite "la reparation legale dudommage decoulant d'une maladie professionnelle indiquee sur la liste,c'est-à-dire une maladie respiratoire provoquee par les inhalations dederives du cyanogene, d'oxyde d'azote, de derives d'ammoniac et de derivesde chlore (...) est tenu d'etablir qu'il est atteint de cette maladie dela liste. Une fois cette preuve rapportee, la presomption d'exposition auxrisques professionnels de la maladie, à defaut de preuve contraire,signifierait que (M. L.) serait presume avoir ete professionnellementsoumis à des inhalations à des doses suffisantes pour creer le risquequ'il contracte cette maladie. En outre, la presomption irrefragable decausalite entre la maladie et l'exposition aux risques professionnels decelle-ci conduirait à considerer que la maladie, dont (M. L.) etabliraitetre atteint, aurait ete effectivement causee par son exposition auxinhalations de derives de cyanogene, d'oxyde d'azote, de derivesd'ammoniac et de derives de chlore".

C'est compte tenu de ce mecanisme probatoire que l'arret du 22 decembre2004 decide que la cour n'est pas suffisamment eclairee sur le plantechnique par le rapport d'expertise du Dr Radermecker et qu'elle confieune "mission complete et appropriee" au Dr Laboury, mission consistantnotamment à dire si M. L. "est atteint d'une affection ou de lesionsrespiratoires ayant pu etre provoquees par l'inhalation de derives ducyanogene, d'oxyde d'azote, de derives d'ammoniac et de derives de chlore"et, dans l'affirmative, "apres examen meticuleux des conditions de travailde (M. L.) s'il est etabli avec le plus haut degre de vraisemblance quepermettent les connaissances medicales si (M. L.) n'a pas ete expose aurisque professionnel de la maladie, c'est-à-dire si au cours de sacarriere au service de (la defenderesse), il n'a pas eteprofessionnellement soumis à des inhalations de derives du cyanogene,d'oxyde d'azote, de derives d'ammoniac et de derives de chloresuffisantes, en raison de leur duree, de leur frequence et de leurintensite, et compte tenu aussi de la constitution physique du patient,pour creer le risque de contracter cette maladie". C'est cette mission quisera ensuite confiee à l'expert Boxho par l'arret du 23 mars 2005.

14eme feuillet

Ces arrets ont ainsi definitivement decide :

1DEG. que M. L. devait etablir qu'il etait atteint de la maladierespiratoire indiquee sur la liste dont il demandait reparation;

2DEG. que, si une telle preuve etait apportee, il appartenait alors à ladefenderesse d'etablir que M. L. n'avait pas, dans son metier desapeur-pompier, ete soumis à des inhalations de fumee à des dosessuffisantes pour creer le risque qu'il contracte cette maladie;

2DEG. que, si la defenderesse echouait dans cette preuve contraire, lecaractere irrefragable de la presomption de causalite entre le fait del'exposition et la maladie sur la liste dont M. L. sollicitait reparationexcluait tout debat tant sur le plan de la demande - soit de la relationentre l'activite professionnelle concrete et la maladie - que sur le plande la defense - soit du caractere eventuellement non professionnel de lamaladie.

Il s'en deduit que l'arret attaque du 6 mai 2011, qui admet que le constatpose par l'expert Boxho "de ce qu'il y a eu exposition au risque de lamaladie, permet (...) d'etablir un lien entre la survenance de labronchopathie pathologique chronique obstructive dont a ete atteint (M.L.) et sa profession de sapeur-pompier et d'en deduire que la presomptiond'exposition au risque dont beneficient les membres du personnel d'uneintercommunale n'est en l'espece pas renversee" mais qui met à charge desdemanderesses la preuve que l'exposition au risque d'inhalation de fumeestoxiques a ete, dans le chef de M. L., la cause preponderante de laditemaladie et les deboute de leur action au motif qu'elles n'apportent pascette preuve, revient sur ce qui a dejà ete definitivement juge par lesarrets des 22 decembre 2004 et 23 mars 2005. Il viole, partant, lesarticles 19, alinea 2, 20, 1042 et 1077 du Code judiciaire.

Developpements du premier moyen de cassation

Le premier moyen n'appelle pas de developpements particuliers. Lesdemanderesses se referent notamment à votre arret du 28 juin 2001 (Pas.,nDEG 405), par lequel votre Cour a considere que, bien qu'elle ordonne parailleurs d'office une reouverture des debats, la cour du travail quidetermine la portee d'une convention collective de travail conclue entreune organisation de travailleurs et un employeur, prononce sur cettequestion une decision qui epuise sa juridiction et qui, partant, estdefinitive.

15eme feuillet

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Dispositions legales violees

- les articles 19, alinea 1er, 20, 1042 et 1077 du Code judiciaire,

Decision critiquee

L'arret attaque du 3 decembre 2010 - apres avoir constate que la cour dutravail a, par son arret du 22 decembre 2004, charge le Dr Laboury(ulterieurement remplace par le Dr Boxho) "d'emettre un avis sur laquestion de savoir si (M. L.), ancien sapeur-pompier etait ou non atteintde (la) maladie respiratoire provoquee par l'inhalation de fumees toxiquestelle que definie par le code de la liste"; que l'expert "a egalement etecharge, en cas de reponse affirmative à cette premiere question,d'emettre son opinion sur la question de savoir si, avec le plus hautdegre de vraisemblance que permettent les connaissances medicales, lesecond (defendeur) renverse la presomption d'exposition au risque qui(...) pese sur lui en vertu de la loi"; qu'il "est acquis aux debats quel'interesse est decede des suites d'une bronchopathie pathologiquechronique obstructive (denommee ci-apres : «BPCO»)"; que l'expert Boxhoa conclu que M. L. etait "atteint d'une affection ou de lesionsrespiratoires ayant pu etre provoquees par l'inhalation de derives ducyanogene, d'oxyde d'azote, de derives d'ammoniac et de derives du chlore"et qu'il n'etait "pas etabli avec le plus haut degre de vraisemblance quepermettent les connaissances medicales que (M. L.) n'a pas ete expose aurisque professionnel de la maladie" au cours de sa carriere au service dela defenderesse et enfin que, selon le regime probatoire applicable dansle secteur public, l'agent ne supporte que la preuve de la maladieprofessionnelle, l'exposition au risque etant alors presumee jusqu'àpreuve du contraire et que si cette preuve contraire n'est pas apportee,l'agent beneficie de la presomption irrefragable de ce que la maladie aeffectivement ete causee par cette exposition - ordonne d'office lareouverture des debats pour permettre aux parties de conclure sur ladetermination de la version de l'article 32, alinea 2, des loiscoordonnees le 3 juin 1979 : soit celle en vigueur à la dated'introduction de la demande et à la date de la decision litigieuse, soitcelle actuellement en vigueur apres sa modification par la loi du 13juillet 2006, pour tous ses motifs consideres ici comme integralementreproduits et plus particulierement que :

16eme feuillet

"1.2.1. La disposition legale applicable à la date de la demande.L'article 32, alinea 1er, des lois coordonnees le 3 juin 1970 dispose :

«La reparation des dommages resultant d'une maladie professionnelle ( ...) est due lorsque la personne, victime de cette maladie, a ete exposee aurisque professionnel pendant tout ou partie de la periode au cours delaquelle elle appartenait à une des categories de personnes visees àl'article 2 ou pendant la periode au cours de laquelle elle a ete assureeen vertu de l'article 3.»

Applique à la reparation des maladies professionnelles dans le secteurpublic, il convient de lire le texte de cette disposition en ce sens qu'ildoit etre considere que les agents beneficient d'une presomptiond'exposition au risque pendant toute la periode durant laquelle ils ontfait partie du personnel d'une administration provinciale ou locale.

L'article 32, alinea 2, des lois coordonnees le 3 juin 1970, dans saversion visee par la loi du 21 decembre 1994, en vigueur lors del'introduction de la demande de l'interesse de meme que lorsque a eteadoptee la decision contestee posait une double condition à lareconnaissance du risque professionnel: il faut que l'exposition soitnettement plus grande que celle subie par la population en general etqu'elle soit, selon les connaissances medicales generalement admises, denature à provoquer la maladie :

«Il y a risque professionnel, au sens de l'alinea 1er, lorsquel'exposition à l'influence nocive est inherente à l'exercice de laprofession et est nettement plus grande que celle subie par la populationen general et dans la mesure ou cette exposition est, selon lesconnaissances medicales generalement admises, de nature à provoquer lamaladie.»

La Cour de cassation, saisie de cette version du texte, a juge que :

«Dans la reglementation de la legislation relative aux maladiesprofessionnelles, il n'est pas requis, relativement au lien de causalitedirect et determinant entre le risque professionnel et la maladie, quel'exercice de la profession constitue la cause exclusive de la maladie; lapredisposition n'est pas exclue et la charge de la preuve relative àl'importance de l'influence de la predisposition n'est pasdavantage imposee au beneficiaire.»

1.2.2. La modification de la disposition legale.

La loi du 13 juillet 2006, entree en vigueur le 1er septembre 2006, amodifie, dans le sens d'une plus grande severite le critere dereconnaissance vise par l'article 32, alinea 2 des lois coordonnees :

«II y a risque professionnel au sens de l'alinea Ier, lorsquel'exposition à l'influence nocive est inherente à l'exercice de laprofession et est nettement plus grande que celle subie par la populationen general et dans la mesure ou cette exposition constitue dans lesgroupes de personnes exposees, selon les connaissances medicalesgeneralement admises, la cause preponderante de la maladie.»"

17eme feuillet

Grief

Ainsi qu'il ressort de l'expose des griefs du premier moyen de cassation,expose considere ici comme integralement repris, les arrets prononces dansla meme cause et entre les memes parties les 22 decembre 2004 et 23 mars2005 ont definitivement tranche les questions juridiques relatives aumecanisme probatoire en matiere de reparation des maladiesprofessionnelles dans le secteur public, en sorte que la cour du travail aepuise sa juridiction sur ces questions au sens de l'article 19, alinea 2,du Code judiciaire applicable en degre d'appel en vertu de l'article 1042du meme code et que, en vertu des articles 20 et 1077 dudit code, seul unrecours en cassation etait ouvert aux defendeurs sur ces questions.

L'arret attaque du 3 decembre 2010 ordonne d'office la reouverture desdebats pour permettre aux parties de s'expliquer sur la question de laversion de l'article 32, alinea 2 applicable, au litige et en envisageantque soit applicable la version de cet article 32, alinea 2, apres l'entreeen vigueur de la loi du 13 juillet 2006, qu'elle interprete comme ayant"modifie, dans le sens d'une plus grande severite, le critere dereconnaissance" de la maladie professionnelle. Si, ce faisant, la cour dutravail a considere que, nonobstant les decisions des arrets des 22decembre 2004 et 23 mars 2005 relatives à la charge de la preuve pesantrespectivement sur les parties, qu'elle a rappelees dans l'arret attaque,elle pouvait neanmoins reconsiderer les preuves à apporter par lesparties, elle statue sur une question definitivement tranchee et viole lesarticles 19, alinea 2, 20, 1042 et 1077 du Code judiciaire.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Dispositions violees

- les articles 1er et 2 de la loi du 3 juillet 1967 sur la prevention oula reparation des dommages resultant des

accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail etdes maladies professionnelles dans le secteur public, l'article 2, tantdans sa version avant sa modification par la loi du 17 mai 2007 qu'apres

cette modification,

20eme feuillet

- les articles 2, 4 et 5 de l'arrete royal du 21 janvier 1993 relatif àla reparation de dommages resultant d'une

maladie professionnelle en faveur de certains membres du personnelappartenant aux administrations

provinciales et locales, affiliees à l'Office National de SecuriteSociale des administrations provinciales et

locales,

- l'article 32, spec. alinea 2, des lois coordonnees du 3 juin 1970relatives à la reparation des dommages

resultant des maladies professionnelles, tant dans la version de cettedisposition applicable avant sa

modification par la loi du 13 juillet 2006 qu'apres cette modification.

Decision critiquee

L'arret attaque du 6 mai 2011 deboute la premiere demanderesse, veuve deM. L. decede le 19 fevrier 2010, ayant repris l'instance mue par celui-ciet pretendant en outre à une rente de veuve et la deuxieme demanderesse,fille de M. L., citee en reprise d'instance, de l'action initialement muepar M. L. pour tous ses motifs et plus particulierement ceux repris aupremier moyen, consideres ici comme repris.

Grief

Aux termes de l'article 1er de la loi du 3 juillet 1967, un regime dereparation des dommages resultant des maladies professionnelles estinstitue pour les membres du personnel qui appartiennent notamment auxintercommunales, regime qui doit etre rendu applicable à ce personnel parle Roi aux conditions et dans les limites qu'il fixe.

L'article 2 de l'arrete royal du 21 janvier 1993 rend le regime dereparation des maladies professionnelles dans le secteur public applicableau personnel des intercommunales, tel M. L., sapeur-pompier, agent de ladefenderesse.

22eme feuillet

Pour les travailleurs du secteur public, les dispositions des loiscoordonnees du 24 decembre 1963 ne sont applicables que lorsque la loi du3 juillet 1967 ou ses arretes d'execution, en l'espece l'arrete royal du21 janvier 1993, y renvoient expressement, ou à tout le moins lorsque lesdispositions des lois coordonnees sont conciliables avec les specificitesdu regime de reparation des maladies professionnelles dans le secteurpublic.

L'article 2 de la loi du 3 juillet 1967, dans sa version anterieure à samodification par la loi du 17 mai 2007, dispose qu'"on entend par maladiesprofessionnelles, celles qui sont reconnues comme telles en execution dela legislation relative à la reparation des dommages causes par lesmaladies professionnelles". Depuis sa modification par la loi du 17 mai2007, cet article 2 dispose qu'"on entend par maladies professionnelles,celles qui sont reconnues comme telles en execution des articles 30 et30bis des lois relatives à la prevention des maladies professionnelles età la reparation des dommages resultant de celles-ci, coordonnees le 3juin 1970". L'article 4 de l'arrete royal du 21 janvier 1993 dispose que :"Donnent lieu à reparation les maladies professionnelles reconnues commetelles conformement aux regles des lois relatives à la reparation desdommages resultant des maladies professionnelles, coordonnees le 3 juin1970".

Il ressort de ces dispositions que le legislateur s'est refere à la listedes maladies professionnelles reconnues comme telles en execution del'article 30 des lois coordonnees du 3 juin 1970 et à la possibiliteofferte à la victime de faire la preuve qu'elle est atteinte d'unemaladie hors liste dans les conditions prevues par l'article 30bis. Il neresulte ni de ces dispositions ni d'aucune autre disposition de la loi du3 juillet 1967 et de l'arrete royal du 21 janvier 1993 que le legislateuraurait entendu se referer aux conditions de reparation des maladiesprofessionnelles contenues dans l'article 32 desdites lois coordonnees.

Ce renvoi à l'article 32 et plus particulierement son alinea 2 - quellequ'en soit la version - est au surplus inconciliable avec les conditionset limites de l'indemnisation des victimes de maladie professionnelle dansle secteur public.

Dans ce secteur, la loi elle-meme ne contient aucune condition liee àl'exposition au risque. Ce sont les arretes royaux d'execution qui fixentles conditions et limites de l'indemnisation des victimes d'une maladieprofessionnelle.

24eme feuillet

C'est ainsi que l'article 5 de l'arrete royal du 21 janvier 1993 disposeque :

"La reparation du dommage resultant d'une maladie professionnelle est duelorsque la personne victime de cette maladie, a ete exposee au risqueprofessionnel de ladite maladie pendant la totalite ou une partie de laperiode au cours de laquelle elle appartenait au personnel vise àl'article 2.

Est presume, jusqu'à preuve du contraire, avoir expose la victime aurisque professionnel de la maladie professionnelle, tout travail effectuependant la periode visee à l'alinea precedent dans les administrations etetablissements mentionnes à l'article 2".

Cette presomption generale d'exposition au risque, edictee dans le seulsecteur public et emportee par la seule condition que le membre dupersonnel ait effectue un travail dans une administration ou etablissementmentionne à l'alinea 2, est inconciliable avec le systeme probatoireinstaure par l'article 32 des lois coordonnees, qui, quelle qu'en soit laversion, fait en regle peser sur la victime la charge de la preuve del'exposition au risque.

Il s'en deduit que l'arret attaque du 6 mai 2011 applique illegalement aulitige l'article 32, alinea 2, des lois coordonnees qui n'est pasapplicable aux travailleurs du secteur public et meconnait lesdispositions applicables à ces travailleurs, à savoir celles prevues parla loi du 3 juillet 1967 dont aucune disposition ne renvoie à l'article32 des lois coordonnees et celles prevues par l'article 2 de l'arreteroyal du 21 janvier 1993 qui instaure une presomption generaled'exposition au risque (violation de l'article 32, alinea 2, des loiscoordonnees le 3 juin 1970 et des articles 1 et 2 de la loi du 3 juillet1967 et 2, 4 et 5 de l'arrete royal du 21 janvier 1993).

Developpements du troisieme moyen de cassation

Le troisieme moyen, dirige contre l'arret du 6 mai 2011, soutient que lacondition d'exposition au risque, prevue par l'article 32, alinea 2, deslois coordonnees n'est pas applicable aux travailleurs du secteur public.

Il est certain que le principe meme de la reparation des maladiesprofessionnelles implique l'existence d'un risque professionnel.

25eme feuillet

Toutefois, si les deux regimes de reparation que sont le regime du secteurprive et celui du secteur public presentent de grandes similitudes, ilspresentent aussi des differences. Il ressort ainsi des travauxpreparatoires de la loi du 3 juillet 1967 qu'il n'etait "nullementquestion d'une extension pure et simple du regime du secteur prive ausecteur public" (Doc. parl., Ch., 1966-1967, nDEG 339/6 [2]). En effet,"le Gouvernement n'a pas juge possible ni souhaitable de soumettre lesagents des services publics aux memes dispositions que les ouvriers et lesemployes du secteur prive. Le statut des fonctionnaires comporte desparticularites dont il convient de tenir compte et qui justifient, danscertains cas, l'adoption de regles propres" (Doc. parl., Ch., 1964-1965,nDEG 1023/1[3 et 4]; Doc. parl. Senat, 1966-1967, nDEG 242 [2 et 3 et]).

L'article 2 de la loi du 3 juillet 1967, depuis sa modification par la loidu 17 mai 2007, renvoie aux maladies professionnelles reconnues commetelles en execution des articles 30 et 30bis des lois coordonnees. Ilressort des travaux preparatoires de cette loi que le but de lamodification etait de confirmer la pratique dejà acquise que, comme dansle secteur prive, il existait dans le secteur public deux regimes dereconnaissance des maladies professionnelles, à savoir celui de la liste(article 30) et celui des maladies hors liste (article 30bis des loiscoordonnees) (Doc. parl., Ch., sess. 2006/2007, nDEG 2917/1 [10]).

Tant avant qu'apres l'entree en vigueur de cette modification, l'article 2doit donc etre lu comme renvoyant aux conditions de reconnaissance desarticles 30 et 30bis des lois coordonnees du 3 juin 1970. Ainsi que lesouligne S. R., le renvoi aux lois coordonnees est limite à ces articles(La preuve en accidents du travail et en maladies professionnelles, TSRRDS, 2013, p. 473). Cet auteur souligne que l'article 32, alinea 2, deslois coordonnees dans le secteur prive est une condition distincte quis'analyse comme une condition d'indemnisation (eodem. cit., pp. 469 et471).

Dans le secteur public, la loi ne contient en elle-meme aucune conditionliee à l'exposition au risque. Ce sont les arretes royaux d'execution quila prevoient. Ainsi, l'arrete royal du 21 janvier 1993 pose-t-il cettecondition en son article 5, alinea 1er et instaure-t-il une presomptiond'exposition au risque qui s'applique par le seul fait de l'occupation parl'employeur public.

Il en ressort que, alors que la victime d'une maladie professionnelle dela liste dans le secteur prive doit etablir l'exposition au risque, teln'est pas le cas dans le secteur public.

27eme feuillet

La condition prevue par l'article 32, alinea 2, des lois coordonnees, tantavant qu'apres sa modification, n'est donc pas applicable aux travailleursdu secteur public au double motif, d'une part, qu'aucun renvoi à cettedisposition n'est prevu par la loi du 3 juillet 1967 et son arreted'execution du 21 janvier 1993 et, d'autre part, que cette disposition estinconciliable avec la presomption generale d'exposition au risque contenuedans l'article 5 de l'arrete royal du 21 janvier 1993.

Ces regles avaient ete parfaitement perc,ues par l'arret rendu dans lameme cause le 22 decembre 2004, dont les demanderesses soutiennent dans lepremier moyen qu'il est definitif quant aux regles probatoires applicablesà la pretention de M. L., travailleur du secteur public, à la reparationde la maladie professionnelle de la liste appelee "BPCO". Le troisiememoyen est donc propose à titre subsidiaire.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Dispositions violees

- les articles 1er et 2 de la loi du 3 juillet 1967 sur la prevention oula reparation des dommages resultant des

accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail etdes maladies professionnelles dans le secteur public, l'article 2, tantdans sa version avant sa modification par la loi du 17 mai 2007 qu'apres

cette modification,

- les articles 2, 4 et 5 de l'arrete royal du 21 janvier 1993 relatifs àla reparation de dommages resultant d'une

maladie professionnelle en faveur de certains membres du personnelappartenant aux administrations

provinciales et locales, affiliees à l'Office National de SecuriteSociale des administrations provinciales et

locales,

- l'article 32, spec. alinea 2, des lois coordonnees du 3 juin 1970relatives à la reparation des dommages

resultant des maladies professionnelles, tant dans la version de cettedisposition applicable avant sa

modification par la loi du 13 juillet 2006 qu'apres cette modification.

28eme feuillet

Decision critiquee

L'arret attaque du 3 decembre 2010 ordonne d'office la reouverture desdebats pour permettre aux parties de conclure sur la determination de laversion de l'article 32, alinea 2, des lois coordonnees le 3 juin 1979 :soit celle en vigueur à la date d'introduction de la demande et à ladate de la decision litigieuse, soit celle actuellement en vigueur apressa modification par la loi du 13 juillet 2006, pour tous ses motifsconsideres ici comme integralement reproduits et plus particulierementceux repris au deuxieme moyen consideres ici comme integralement repris.

Grief

Ainsi que les demanderesses l'ont soutenu dans l'expose du grief dutroisieme moyen de cassation, grief considere ici comme integralementrepris, l'article 32 des lois coordonnees et plus particulierement sonalinea 2, n'est pas applicable à la reparation des maladiesprofessionnelles dans le secteur public dans la mesure ou la loi du 3juillet 1967 et l'arrete d'execution du 21 janvier 1993 ne s'y sont pasrefere et ou le mecanisme probatoire de cet article 32 est inconciliableavec les conditions et limites de l'indemnisation des victimes de maladiesprofessionnelles dans le secteur public.

S'il doit etre interprete en ce sens qu'en ordonnant la reouverture desdebats sur la version de l'article 32 des lois coordonnees applicable aulitige, l'arret attaque a dejà definitivement decide que cet article 32et plus particulierement son alinea 2, etait applicable à la reparationd'une maladie professionnelle d'un travailleur du secteur public, ilapplique illegalement cette disposition au litige relatif à la reparationd'une maladie professionnelle dans le chef de M. L., travailleur dusecteur public et meconnait les dispositions applicables à cetravailleur, à savoir celles prevues par la loi du 3 juillet 1967 dontaucune disposition ne renvoie à l'article 32 des lois coordonnees etcelles prevues par l'article 2 de l'arrete royal du 21 janvier 1993 quiinstaure une presomption generale d'exposition au risque (violation del'article 32, alinea 2, des lois coordonnees le 3 juin 1970 et desarticles 1 et 2 de la loi du 3 juillet 1967 et 2, 4 et 5 de l'arrete royaldu 21 janvier 1993).

29eme feuillet

CINQUIEME MOYEN DE CASSATION

Dispositions violees

- l'article 2 du Code civil,

- l'article 579.1, du Code judiciaire,

- les articles 3, 3bis, 4 et 8 de la loi du 3 juillet 1967 sur laprevention ou la reparation des dommages

resultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemindu travail et des maladies

professionnelles dans le secteur public, l'article 2, tant dans sa versionavant sa modification par la loi du

17 mai 2007 qu'apres cette modification,

- les articles, 2, 10 à 13, 16, 20 et 21, de l'arrete royal du 21 janvier1993 relatifs à la reparation de

dommages resultant d'une maladie professionnelle en faveur de certainsmembres du personnel

appartenant aux administrations provinciales et locales, affiliees àl'Office National de Securite Sociale des

administrations provinciales et locales.

Decision critiquee

L'arret attaque du 6 mai 2011 deboute la premiere demanderesse, veuve deM. L. ., ayant repris l'instance mue par celui-ci et pretendant en outreà une rente de veuve et la deuxieme demanderesse, fille de M. L., citeeen reprise d'instance, de l'action initialement mue par M. L. pour tousses motifs et plus particulierement ceux repris au premier moyen,consideres ici comme repris.

Grief

En vertu de l'article 2 de l'arrete royal du 21 janvier 1993, le regime enmatiere de reparation des maladies professionnelles prevu par la loi du 3juillet 1967 est applicable à M. L., membre du personnel d'uneintercommunale, et a cree dans son chef un droit subjectif à lareparation de cette maladie dans les conditions prevues par la loi, droitsubjectif dont sont titulaires ses ayants droit en ce qui concerne lesarrieres, la premiere demanderesse ayant egalement un droit propre à unerente.

31eme feuillet

En vertu de l'article 3 de la loi du 3 juillet 1967, les membres dupersonnel ont droit à une rente en cas d'incapacite permanente due à unemaladie professionnelle. Le droit à cette rente, fixe conformement àl'article 4, nait des que l'incapacite est permanente (article 20 del'arrete royal du 21 janvier 1993). En vertu de l'article 3bis de la loidu 3 juillet 1967, les membres du personnel d'une intercommunale ontdroit, lorsqu'ils ont du cesser le travail à la suite d'une incapacitetemporaire et jusqu'à la consolidation, à beneficier d'une indemnitepour incapacite temporaire payable aux memes epoques que le traitement ousalaire habituel. Ce droit est confirme par l'article 21 de l'arrete royaldu 21 janvier 1993. Enfin, en vertu des articles 3 et 8 de la loi, lorsquela maladie professionnelle a cause le deces de la victime, le conjointsurvivant a droit à une rente, droit qui nait des le deces (article 20 del'arrete royal du 21 janvier 1993).

Le prealable administratif oblige qu'est l'introduction d'une demandeformelle aupres de l'administration competente (articles 10 et 11 del'arrete royal du 21 janvier 1993) a pour seule consequence que la victimene peut soumettre aux juridictions du travail une pretention qui n'a pasfait l'objet d'une demande selon les formes prescrites. Ce prealableadministratif n'emporte aucune consequence sur la naissance du droit auxindemnites, qui intervient le jour ou les conditions legales pour l'octroide ces indemnites sont reunies.

En vertu de l'article 12 de l'arrete royal du 21 decembre 1993, ledefendeur, apres avoir instruit le dossier, notifie à l'autoritecompetente ses conclusions.

Conformement à l'article 13 de cet arrete royal, l'autorite notifie alorssa decision à la victime ou à ses ayants droit. L'autorite qui statuesur les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations exerceune competence liee, statuant sur des dispositions qui consacrent desdroits subjectifs aux prestations prevues par la loi. Lorsque l'autoritereconnait le droit, cet acte n'est pas constitutif mais declaratif dedroits.

Lorsque l'autorite refuse de reconnaitre le droit à la reparation d'unemaladie professionnelle, les seules consequences sont (i) que la creancen'est pas exigible et (ii) que, conformement aux articles 579.1 du Codejudiciaire et 16 de l'arrete royal du 21 janvier 1993, il appartient à lavictime ou ses ayants droit qui contestent le refus de l'autorite dereconnaitre l'existence d'une maladie professionnelle de soumettre ladecision administrative au tribunal du travail competent.

32eme feuillet

Les juridictions du travail doivent alors faire ce que l'autorite publiqueaurait du faire à l'epoque ou elle aurait du le faire et dans le respectdu droit subjectif aux prestations sociales, acquis des que les conditionsde la reconnaissance du droit ont ete reunies. Les decisions desjuridictions du tribunal du travail ne sont pas constitutives maisdeclaratives de droits tels qu'ils auraient du etre reconnus par l'acteadministratif conteste. Il s'en deduit que, en cas de modification desdispositions legales relatives à la reconnaissance d'une maladieprofessionnelle, celles que le juge doit appliquer sont, en l'absence dedispositions transitoires specifiques, celles que l'administration auraitdu appliquer à l'epoque de sa saisine.

C'est sur la base de ces dispositions qu'il appartenait à la cour dutravail : (i) de decider si et à quelle date M. L. avait ete atteint dela maladie professionnelle de la liste dont il reclamait reparation; (ii)de decider si la defenderesse avait fait la preuve contraire de l'absenced'exposition au risque professionnel; (iii) si tel n'etait pas le cas,d'appliquer la presomption irrefragable de causalite entre la maladieprofessionnelle figurant sur la liste des maladies professionnelles et lerisque genere par le milieu professionnel. Sur ces bases, il luiappartenait de decider si cette maladie professionnelle avait emporte desincapacites temporaires et/ou permanentes et d'en tirer les consequencesquant aux droits aux indemnites tels qu'ils etaient acquis sous l'empiredes lois applicables lorsque la demande de reparation a ete introduite etinstruite en ce compris, à supposer que cette disposition soit applicableà la reparation des maladies professionnelles dans le secteur public,l'article 32, alinea 2, dans la version anterieure à sa modification parla loi du 13 juillet 2006. Il appartenait egalement à la cour du travailde determiner si cette maladie professionnelle avait cause le deces de M.L. sous l'empire des dispositions applicables lors de ce deces, soit au 19fevrier 2006.

Contrairement à ce que decide l'arret attaque, ces pretentions neconstituaient nullement des effets futurs nes sous le regime de la loianterieure au sens de l'article 2 du Code civil, des lors que l'action desdemanderesses visait à voir consacrer des droits definitivement acquismeme si le paiement desdites indemnites n'etait pas exigible du fait durefus de la defenderesse de reconnaitre le caractere professionnel de lamaladie de M. L.

L'arret attaque, qui constate que, depuis sa demande du 18 mai 1999, M. L.a poursuivi la reconnaissance d'une maladie professionnelle de la liste etqui decide d'appliquer à cette pretention les regles probatoires del'article 32 de la loi du 3 juin 1970 telle qu'elle a ete modifiee par laloi du 13 juillet 2006, aux motifs qu'il s'agit d'effets futurs d'unesituation anterieure nee sous l'empire de la loi

33eme feuillet

ancienne et que les droits auxquels il est ainsi pretendu n'ont pas eteconsacres mais refuses par la decision administrative soumise auxjuridictions du travail, meconnait la regle que le droit de la securitesociale, dont notamment la loi du 3 juillet 1967 et l'arrete royal du 21janvier 1993, consacre en faveur des travailleurs du secteur public desdroits subjectifs ou droits-creances à la reparation des consequencesd'une maladie professionnelle des que les conditions legales dereconnaissance de ces droits sont reunies (violation des articles 3, 3bis,4 et 8 de la loi du 3 juillet 1967, 20 de l'arrete royal du 21 janvier1993 en cas d'incapacite permanente ou de deces, 21 en cas d'incapacitetemporaire), attribue au refus de la reconnaissance desdits droits parl'autorite competente des consequences que celui-ci n'a pas, à savoir queledit refus emporterait comme consequence qu'il n'existe pas de droitirrevocablement fixe, et meconnait le role du juge qui exerce en cas derefus de reconnaissance desdits droits un pouvoir de pleine juridiction ence compris de substitution (violation des articles 16 de l'arrete royal du21 janvier 1993 et 579 du Code judiciaire).

Developpements du cinquieme moyen de cassation

Le cinquieme moyen de cassation fait grief à l'arret attaque du 6 mai2011 d'avoir decide que la pretention des demanderesses à voirreconnaitre judiciairement l'existence de la maladie professionnelle dontM. L. a demande la reparation le 12 avril 1999 et à leur en accorderreparation en tant qu'ayants droit et, pour la premiere demanderesse, entant que veuve de M. L., visait à voir reconnaitre des effets futursd'une situation anterieure nee sous l'empire de la loi ancienne, àlaquelle l'article 2 du Code civil s'appliquait des lors qu'il n'existaitpas de droits dejà irrevocablement fixes, compte tenu de la decision dela defenderesse du 26 septembre 2001 refusant de reconnaitre cette maladieprofessionnelle.

Ce moyen est egalement presente à titre subsidiaire, des lors que lesprincipes juridiques applicables à la reconnaissance de la maladieprofessionnelle de M. L. et à son indemnisation avaient eteirrevocablement fixes par les arrets des 22 decembre 2004 et 23 mars 2005et qu'en outre, les demanderesses soutiennent que l'article 32,specialement l'alinea 2, des lois coordonnees n'est pas applicable, M. L.etant un travailleur d'une intercommunale.

Les regles applicables au contentieux de la securite sociale sont, ainsique le rappelle H. M. (La charge de la preuve dans le contentieuxjudiciaire de la securite sociale, T.S.R. R.D.S., 2013, nDEG 2, pp. 353 etsuiv.) :

34eme feuillet

- que le droit de la securite sociale consacre en faveur des assuressociaux des droits subjectifs ou droits creances;

- que les actes administratifs pris en application des dispositionsenonc,ant des droits subjectifs ne sont pas constitutifs mais seulementdeclaratifs de ces droits;

- que lorsque l'administration exerce une competence liee, le droitsubjectif est le droit à la prestation sociale pour la periode surlaquelle l'institution a statue ou aurait du le faire;

- que lorsque le pouvoir de l'administration est lie, le juge exerce unpouvoir de pleine juridiction, en ce compris de substitution. En d'autrestermes, il doit faire ce que l'administration aurait du faire à l'epoqueou elle aurait du le faire. Pas plus que l'acte administratif, le jugementn'est constitutif de droits. Il est declaratif des droits qui auraient duetre reconnus.

S'agissant de la reconnaissance d'une maladie professionnelle, le pouvoirde l'administration est incontestablement lie. Le role du juge charge,conformement aux articles 579 du Code judiciaire et 16 de l'arrete royaldu 21 janvier 1993, de connaitre des demandes relatives à la reparationdes dommages resultant des maladies professionnelles est de verifier si età quelle date un droit à reparation d'une maladie professionnelle de laliste etait ne dans le chef de la victime, en l'espece M. L..

Votre Cour a dejà eu l'occasion de confirmer que le droit à uneprestation sociale determinee nait lorsque la personne interessee reunitles conditions fixees par la loi, meme si la creance correlative à cedroit ne devient exigible que suite à sa reconnaissance par une autoriteadministrative ou judiciaire (en ce sens, voy. Cass., 4 mars 1993, Pas.,1993, I, p. 248, nDEG127 au sujet du droit à la pension de veuve d'uninvalide de guerre; sur la difference entre naissance et exigibilite d'undroit en matiere de reparation des accidents du travail dans le secteurpublic, voy. Cass., 28 novembre 1996, Pas., 1996, I, p. 1180, nDEG463).

Il existe certes, en matiere de maladies professionnelles, un prealableadministratif oblige, à savoir l'introduction d'une demande formelle(articles 10 à 16 de l'arrete royal du 21 janvier 1993). Cela signifieque la victime ne peut soumettre aux juridictions du travail une demandequi n'a pas ete prealablement soumise à l'employeur public selon lesformes prescrites et qu'elle ne peut le faire qu'apres avoir laisse à cetemployeur public le temps qui lui est donne pour statuer sur cettedemande. La decision

36eme feuillet

negative de cet employeur public a uniquement pour consequence qu'aucuneindemnite n'est exigible tant qu'une condamnation n'est pas prononcee parune decision judiciaire non susceptible d'un recours ordinaire. Elle n'apas pour consequence que les droits aux indemnites reparant la maladieprofessionnelle n'auraient pas existe.

La cour du travail etait saisie par la requete d'appel de M. L. de lapretention de celui-ci à voir enteriner le rapport d'expertise et àentendre dire pour droit qu'il a ete atteint d'une maladie professionnellereparable entrainant une incapacite globale de 100% à dater du 18 mai1999.

Ensuite du rapport de l'expert Boxho designe en degre d'appel, ses ayantsdroit pretendaient à la reparation d'une incapacite physique de 80 + 20%pour la periode du 23 mars 1999 au 1er fevrier 2004, de 100% du 2 fevrier2004 jusqu'au deces du 19 fevrier 2006 et pour la premiere demanderesse,de la rente de veuve.

Il ne s'agit nullement d'effets futurs d'une situation anterieure au sensde l'article 2 du Code civil.

Admettre le raisonnement de la cour du travail consisterait à admettreque deux personnes se trouvant dans la meme situation lors de la demandede reparation, à savoir etre victimes d'une incapacite temporaire oupermanente ensuite d'une maladie professionnelle, seraient traiteesdifferemment selon que l'autorite publique a applique correctement la loien faisant droit à la demande ou illegalement refuse d'y faire droit.Telle n'est pas la portee de l'article 2 du Code civil et ce raisonnementmeconnait la nature du contentieux dont la cour du travail etait saisie.

SIXIEME MOYEN DE CASSATION

Dispositions violees

- l'article 32, alinea 2, des lois coordonnees du 3 juin 1970 relatives àla prevention des maladies

professionnelles et à la reparation des dommages resultant de celles-ci,dans la version modifiee

par la loi du 13 juillet 2006.

38eme feuillet

Decision critiquee

L'arret attaque du 6 mai 2011 deboute la premiere demanderesse, veuve deM. L. decede .... ayant repris l'instance mue par celui-ci et pretendanten outre à une rente de veuve et la deuxieme demanderesse, fille de M.Lejeune, citee en reprise d'instance, de l'action initialement mue par M.L. pour tous ses motifs et plus particulierement ceux repris au premiermoyen, consideres ici comme repris.

Grief

Aux termes de l'article 32, alinea 2, des lois coordonnees, dans laversion modifiee par la loi du 13 juillet 2006 : "il y a risqueprofessionnel au sens de l'alinea 1er, lorsque l'exposition à l'influencenocive est inherente à l'exercice de la profession et est nettement plusgrande que celle subie par la population en general et dans la mesure oucette exposition constitue, dans les groupes de personnes exposees, selonles connaissances medicales generalement admises, la cause preponderantede la maladie".

Cette disposition n'a pas pour portee d'aggraver la preuve individuelle àapporter par la victime d'une maladie professionnelle de la liste en luiimposant de demontrer que l'exposition au risque a ete la causepreponderante de ladite maladie. Elle doit en effet etre lue en paralleleavec l'introduction, dans l'article 62bis des lois coordonnees, de lanotion de maladie en relation avec le travail, disposition par laquelle lelegislateur a entendu mettre en place un systeme permettant au FMPd'intervenir pour d'autres maladies que celles visees aux articles 30 et30bis de cette loi. L'article 62bis, S: 1er, alinea 2 definit les maladiesen relation avec le travail comme celles qui peuvent apparaitre en dehorsde tout exercice professionnel mais qui voient leur evolution ou leuragressivite influencee de maniere pejorative par les contraintes decoulantde certains metiers. Le S: 2 charge le Roi de designer chaque maladie enrelation avec le travail et de preciser les mesures qui seront financeesainsi que les conditions et les modalites de ce financement, ces mesuresdevant se rapporter aux postes enumeres par ce S: 2. La distinction entreles maladies professionnelles et les maladies en relation avec le travail

est etablie au niveau du groupe et non de l'individu, etant expressementprecise dans les travaux preparatoires "que la definition proposee durisque professionnel n'impose en rien à la victime

40eme feuillet

individuelle d'apporter la preuve que l'exposition a constitue dans soncas concret la cause preponderante de la maladie. Au niveau du casindividuel, c'est la presomption legale du rapport de causalite entre uneexposition prouvee au risque professionnel et l'existence prouvee d'unemaladie correspondant à l'exposition qui est d'application".

L'arret attaque, qui admet que M. L. etait atteint d'un bronchopathiepathologique chronique obstructive et que le constat pose par l'expertBoxho est qu'il y a eu exposition au risque de la maladie, en sorte qu'unlien est etabli entre la survenance de cette maladie et la profession desapeur-pompier et que la presomption dont beneficient les membres dupersonnel d'une intercommunale n'est en l'espece pas renversee, mais quiimpose aux demanderesses de "demontrer que cette exposition au risqued'inhalation de fumees toxiques a ete la cause preponderante de laditemaladie" et les deboute de leurs pretentions au motif qu'elles n'ont pasapporte cette preuve, donne à l'article 32, alinea 2 des lois coordonneesdu 3 juin 1970 dans la version en vigueur à dater du 1er septembre 2006,une portee qu'il n'a pas, violant, partant, cette disposition.

Developpements du sixieme moyen de cassation

Le sixieme moyen de cassation, presente à titre subsidiaire, soutient quela modification de l'article 32, alinea 2, des lois coordonnees n'a pas laportee que lui attribue l'arret attaque.

Les travaux preparatoires de cette loi precisent à cet egard que :

"La proposition de modification de l'article 32, 2eme alinea, doit etrelue en parallele avec la proposition d'introduire l'article 62bis (...).En effet, en introduisant la notion «maladie en relation avec letravail» dans l'article 62bis, il est necessaire de faire une distinctionla plus claire possible entre les maladies professionnelles proprementdites (article 30) et les maladies en relation avec le travail (article62bis).

La difference essentielle entre maladie professionnelle et maladie enrelation avec le travail, ne vise ni la nature des activitesprofessionnelles comportant un risque ni la nature de la maladie mais laforce du rapport de causalite entre les deux. Si ce rapport causal, dansdes groupes de personnes exposees, est suffisamment fort, l'inscriptiondans la liste des maladies professionnelles est possible. Si ce

42eme feuillet

rapport causal, toujours au niveau des populations exposees, est plutotfaible, il n'est pas question de maladie professionnelle mais d'unemaladie en relation avec le travail. Cette distinction doit etreclairement faite dans la loi, sinon on s'expose à beaucoup de confusion.

Etant donne que la loi sur les maladies professionnelles ne permet pas dediscussion en cas de maladie professionnelle (art. 30) à propos durapport de causalite dans un cas individuel, la definition du risqueprofessionnel doit preciser les conditions generales auxquelles doitrepondre l'exposition pour pouvoir etre reconnue comme cause de lamaladie. L'exposition doit etre suffisamment importante pour qu'elleconstitue un risque d'apparition de la maladie. Des expositions de faibleintensite ou de courte duree à certaines influences nocives ne signifientpas necessairement une exposition impliquant un risque.

Pour pouvoir parler d'une maladie professionnelle, il faut au moins quedans des groupes de personnes exposees à une influence nocive determinee,la maladie soit plus frequente que dans la population generale. Lecaractere professionnel de la maladie s'etablit au niveau du groupe, nonau niveau de l'individu. C'est particulierement le cas des maladies quiapparaissent spontanement dejà dans la population generale.

Beaucoup de maladies peuvent etre provoquees par de nombreux facteurs.Souvent, le concours de differents facteurs constitue la cause proprementdite. Un facteur determine peut, dans les groupes etudies, provoquer uneaugmentation faible ou importante du nombre de cas de maladies. Dansl'esprit de la proposition qui est formulee, une faible augmentation durisque ne suffit pas pour considerer la maladie comme maladieprofessionnelle au sens de l'article 30. Une faible augmentation du risquepeut etre suffisante pour decrire la maladie comme «maladie en relationavec le travail». Adopter un autre point de vue aurait pour consequenceque de nombreuses maladies, frequentes dans la population generale,seraient reconnues comme maladies professionnelles, meme si l'influencedes facteurs professionnels n'est que marginale, voire hypothetique.

C'est pourquoi on exige que l'exposition à l'influence nocive, au niveaudes populations exposees, constitue la cause preponderante de la maladie.

Il convient de souligner que la definition proposee du risqueprofessionnel n'impose en rien à la victime individuelle d'apporter lapreuve que l'exposition a constitue dans son cas concret la causepreponderante de la maladie. Au niveau du cas individuel, c'est lapresomption legale du rapport de causalite entre une exposition prouvee aurisque professionnel et l'existence prouvee d'une maladie correspondant àl'exposition qui est d'application" (souligne par les demanderesses) (Doc.Parl., Ch. sess. 2003-2004, nDEG 1334/1 [15 à 17]).

43eme et dernier feuillet

S. R. conclut de ces travaux preparatoires qu'"il apparait donc que lelegislateur n'a pas entendu faire supporter à la victime la charge de lapreuve effective du lien causal entre la maladie et l'exposition àl'influence nocive. L'evolution legale ne devrait donc pas modifierl'interpretation anterieure, qui vise un rapport de causalite possible, denature theorique mais suffisant, tenant compte des particularites de lavictime, en ce compris des predispositions qui ont pu influer sur lasurvenance de la maladie". Toute autre interpretation serait à son estime"susceptible de heurter le mecanisme legal mis en place par les loiscoordonnees, qui erigent le lien causal en preuve distincte del'exposition et, en sus, presument irrefragablement celui-ci pour lesmaladies de la liste. Puisque la presomption irrefragable est susceptiblede jouer, l'objet de la preuve impose par l'article 32 ne peut etre celuid'un lien causal effectif entre la maladie et l'exposition au risque. Lefait que l'examen s'opere au niveau du groupe (professionnel) et non del'individu n'y change rien". Elle souligne egalement que : "Dans lesecteur public, la presomption s'applique dans tous les cas de figure. Lavictime ne doit pas prouver l'exposition au risque. Cette notionintervient donc au plan de la defense et sera examine dans ce cadre" (op.cit., pp. 494 et 495).

PAR CES CONSIDERATIONS,

l'avocate à la Cour de cassation soussignee, pour les demanderesses,conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser les arretsattaques; ordonner que mention de votre arret soit faite en marge desdecisions annulees; renvoyer la cause et les parties devant une autre courdu travail; statuer comme de droit quant aux depens.

Jacqueline Oosterbosch

Liege, le 14 avril 2014

4 AVRIL 2016 S.14.0039.F/5

Requete/44


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.14.0039.F
Date de la décision : 04/04/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-04-04;s.14.0039.f ?
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