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23/05/2016 | BELGIQUE | N°C.14.0570.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 mai 2016, C.14.0570.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.14.0570.F

* D. D.,

* demanderesse en cassation,

* representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence,4, ou il est fait election de domicile,

* * contre

1. ZONE DE POLICE BRUXELLES-CAPITALE - IXELLES, dont les bureaux sontetablis à Bruxelles, rue du Marche au charbon, 30,

2. ETAT BELGE, represente par le ministre de la Securite et del'Interieur, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Loi,2,



* defendeurs en cassation,

* * representes par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour decassation, dont ...

Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.14.0570.F

* D. D.,

* demanderesse en cassation,

* representee par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence,4, ou il est fait election de domicile,

* * contre

1. ZONE DE POLICE BRUXELLES-CAPITALE - IXELLES, dont les bureaux sontetablis à Bruxelles, rue du Marche au charbon, 30,

2. ETAT BELGE, represente par le ministre de la Securite et del'Interieur, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Loi,2,

* defendeurs en cassation,

* * representes par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise,480, ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 29 novembre2013 par la cour d'appel de Bruxelles.

Par ordonnance du 3 mai 2016, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

* articles 10 et 11 de la Constitution ;

* articles 26 et 28 de la loi speciale du 6 janvier 1989 sur la Courconstitutionnelle ;

* article 7 de la loi du 6 fevrier 1970 relative à la prescription descreances à charge ou au profit de l'Etat et des provinces, tel qu'iletait applicable avant l'entree en vigueur de la loi du 22 mai 2003portant organisation du budget et de la comptabilite de l'Etatfederal ;

* article 114 de la loi du 22 mai 2003 portant organisation du budget etde la comptabilite de l'Etat federal ;

* articles 2227 et 2262bis du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque rec,oit les demandes et dit la demande originaireincidente sur reconvention de [la defenderesse] contre [la demanderesse]fondee jusqu'à concurrence de 49.011,13 euros, augmentes des interetsmoratoires echus aux taux legaux depuis le 6 octobre 2007 jusqu'à la date[de l']arret, ordonne la compensation de ce montant avec 15.442,28 euroset condamne en consequence [la demanderesse] à la difference, augmenteedes interets judiciaires au taux legal, depuis la date de l'arret jusqu'auparfait payement, delaissant à [la demanderesse] et à [la defenderesse]leurs depens pour les deux instances.

L'arret attaque se fonde notamment sur les motifs suivants :

« Selon l'article 7, S:S: 1er et 2, de la loi du 6 fevrier 1970 relativeà la prescription des creances à charge ou au profit de 1'Etat et desprovinces : `Sont definitivement acquises à ceux qui les ont rec,ues, lessommes payees indument par l'Etat (et les communautes et regions) enmatiere de traitements, d'avances sur ceux-ci ainsi que d'indemnites oud'allocations qui sont accessoires ou similaires aux traitements, lorsquele remboursement n'en a pas ete reclame dans un delai de cinq ans àpartir du premier janvier de l'annee du paiement. Le delai fixe àl'alinea 1er est porte à trente ans lorsque les sommes indues ont eteobtenues par des manoeuvres frauduleuses ou par des declarations faussesou sciemment incompletes'.

Cette disposition est desormais reprise dans 1'article 114 de la loi du 22mai 2003 portant organisation du budget et de la comptabilite de l'Etatfederal. Elle figure egalement, en ce qui concerne les communautes et lesregions, à l'article 16 de la loi du 16 mai 2003 fixant les dispositionsgenerales applicables au budget, au controle des subventions et à lacomptabilite des communautes et des regions, ainsi qu'à l'organisation ducontrole de la Cour des comptes.

Aucun delai de prescription special n'etant prevu pour les zones de policepluricommunales et les communes en ce qui concerne les actions qu'ellesintentent en repetition de traitements, d'avances sur ceux-ci,d'indemnites, d'allocations ou de prestations accessoires ou similairesaux traitements, indument payes, ces actions se prescrivent par dix ans,conformement aux regles de prescription de droit commun (article 2262bis,S: 1er, alinea 1er, du Code civil), alors que les actions similairesintentees par l'Etat se prescrivent par cinq ans, conformement àl'article 7, S: 1er, precite.

Cependant,

- avant l'entree en vigueur de l'article 2262bis du Code civil, la Courconstitutionnelle a juge, dans son arret nDEG 35/2002 du 13 fevrier 2002,qu'il n'est pas raisonnablement justifie de soumettre à la prescriptiontrentenaire les actions en repetition de traitements indument payes queles communes intentent contre leurs agents tandis que les autres autoritesprecitees doivent agir contre leurs agents dans un delai de cinq ans, memesi l'agent d'une commune peut agir pendant trente ans contre celle-ci. Deslors, en permettant de reclamer pendant trente ans à un agent communaldes traitements qui lui ont ete payes generalement par erreur, alors qu'unagent de l'Etat, d'une communaute, d'une region ou d'une province echappeà toute reclamation apres cinq ans, le legislateur a pris, à l'egard dupremier, une mesure qui n'est pas raisonnablement justifiee ;

- apres l'entree en vigueur de l'article 2262bis du Code civil, la Courconstitutionnelle a juge, dans son arret 76/2011 du 18 mai 2011, que, bienque le delai de prescription de droit commun soit desormais de dix ans,`force est toujours de constater que ce delai, en ce qui concerne lesactions intentees par les communes et par les zones de policepluricommunales en vue du remboursement de traitements indument payes àleurs agents, est deux fois plus long que le delai de prescriptions'appliquant aux actions intentees par 1'Etat en vue du remboursement detraitements indument payes à ses agents ; que cette difference detraitement a des effets disproportionnes en ce qui concerne les agents descommunes et des zones de police pluricommunales, des lors que l'action enrepetition de traitements qui leur ont ete verses indument concerne dessommes d'argent versees periodiquement et dont le montant augmente au fildu temps, et auxquelles devraient des lors en principe s'appliquer, si cessommes doivent etre remboursees, le delai de prescription abrege fixe par1'article 2277 du Code civil ; que le recouvrement de traitements indusverses pendant une longue periode peut en effet porter sur des montantsqui, à terme, se sont transformes en une dette à ce point importantequ'elle pourrait causer la ruine du debiteur ; que, pour les memes motifsque ceux de l'arret precite, la difference de traitement en cause n'estpas raisonnablement justifiee ; que, toutefois, cette discrimination netrouve pas sa source dans la disposition en cause, mais dans l'absenced'une disposition legislative, applicable aux communes ou aux zones depolice pluricommunales, prevoyant une prescription quinquennale du delaide recouvrement des traitements indus ; qu'il decoule de ce qui precedeque la difference de traitement denoncee n'a pas son siege dans l'article7, S: 1er, de la loi du 6 fevrier 1970 relative aux creances à charge etau profit de 1'Etat et des provinces' ».

3. L'arret attaque en conclut en consequence que, « puisque, d'une part,il n'est pas permis d'appliquer l'article 7, S: 1er, susdit à destraitements que cette disposition ne vise pas et que, d'autre part, ladiscrimination denoncee ne resulte pas d'une disposition legale dont [ladefenderesse] demande l'application - et en particulier de l'article2262bis du Code civil - mais d'une carence legislative, la cour [d'appel]doit faire application de 1'article 2262bis precite et ne peut declarerprescrite l'action en recouvrement de [la defenderesse] pour l'annee 2002,la [defenderesse] etant etrangere à ladite carence ».

Griefs

1. L'article 7 de la loi du 6 fevrier 1970 relative à la prescription descreances à charge ou au profit de l'Etat et des provinces, dont lecontenu est aujourd'hui repris par l'article 114 de la loi du 22 mai 2003portant organisation du budget et de la comptabilite de l'Etat federal,precise que sont definitivement acquises à ceux qui les ont rec,ues, lessommes payees indument en matiere de traitements, d'avances sur ceux-ciainsi que d'indemnites, d'allocations ou de prestations qui sontaccessoires ou similaires aux traitements, lorsque le remboursement n'en apas ete reclame dans un delai de cinq ans à partir du premier janvier del'annee du paiement, porte à dix ans en cas de fraude.

Les creances nees contre ou au profit des zones de police n'ont quant àelles jamais connu de regime derogatoire au droit commun, de sorte quel'effet de l'article 2227 du Code civil, aux termes duquel « l'Etat, lesetablissements publics et les communes sont soumis aux memes prescriptionsque les particuliers, et peuvent egalement les opposer », jouepleinement, impliquant que l'action en repetition de l'indu se prescritselon le delai de droit commun prevu par l'article 2262bis du Code civil,à savoir dix ans.

Par l'arret nDEG 76/2011 du 18 mai 2011, la Cour constitutionnelle a toutd'abord souligne qu'« aucun delai de prescription special n'etant prevupour les zones de police pluricommunales et les communes en ce quiconcerne les actions qu'elles intentent en repetition de traitements,d'avances sur ceux-ci, d'indemnites, d'allocations ou de prestationsaccessoires ou similaires aux traitements, indument payes, ces actions seprescrivent par dix ans, conformement aux regles de prescription de droitcommun », avant de decider que « force est [...] de constater que cedelai, en ce qui concerne les actions intentees par les communes et parles zones de police pluricommunales en vue du remboursement de traitementsindument payes à leurs agents, est deux fois plus long que le delai deprescription s'appliquant aux actions intentees par l'Etat en vue du remboursement de traitements indument payes à ses agents ; que cettedifference de traitement a des effets disproportionnes en ce qui concerneles agents des communes et des zones de police pluricommunales »,precisant à cet egard que « cette discrimination ne trouve pas sasource dans la disposition en cause, mais dans l'absence d'une dispositionlegislative, applicable aux communes ou aux zones de policepluricommunales, prevoyant une prescription quinquennale du delai derecouvrement des traitements indus », et concluant des lors que «l'absence de disposition legislative etablissant une prescriptionquinquennale de l'action en repetition de traitements indument payes parles communes ou par les zones de police pluricommunales viole les articles10 et 11 de la Constitution ».

Aux termes de l'article 28 de la loi speciale du 6 janvier 1989 sur laCour constitutionnelle, la juridiction qui a pose une questionprejudicielle ainsi que toute autre juridiction appelee à statuer dans lameme affaire sont tenues, pour la solution du litige à l'occasion duquelont ete posees les questions visees à l'article 26 de la loi precitee, dese conformer à l'arret rendu par la Cour constitutionnelle. En outre,l'article 26 precite precise que « lorsque la Cour constitutionnelle adejà statue sur une question ou un recours ayant un objet identique »,la juridiction ne doit pas poser une nouvelle question prejudicielle,l'arret prejudiciel ayant à cet egard une autorite relative renforcee.

En cas d'objet identique, la Cour de cassation reconnait au juge lepouvoir d'ecarter l'application des dispositions legales declareesinconstitutionnelles, sans qu'il puisse etendre par analogie la violationconstatee à une question juridique autre que celle sur laquelle la Courconstitutionnelle a statue, meme si celle-ci porte sur la meme dispositionlegale (Cass., 24 janvier 2011, Pas., 2011, nDEG 66).

Si le juge, en faisant usage du pouvoir que lui confere l'article 26, S: 2, alinea 2, 2DEG, de la loi du 6 janvier 1989, decide de se conformer àun arret rendu par la Cour constitutionnelle en reponse à une questionprejudicielle posee dans une autre affaire, il peut et doit mettre fin àl'inconstitutionnalite dont la Cour constitutionnelle a constatel'existence en suppleant à l'insuffisance de la disposition legalelitigieuse dans le cadre des dispositions legales existantes, de maniereà la rendre conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution, à laseule condition que, pour ce faire, il n'y ait pas lieu d'introduire unetoute autre reglementation de la procedure, de proceder à une nouvellepesee des interets ou encore de repenser la legislation en la matiere(Cass., 2 septembre 2008, Pas., 2008, nDEG 441 ; Cass., 14 octobre 2008,Pas., 2008, nDEG 547; Cass., 5 mars 2012, S.11.0057.F.).

A cet egard, comme le precise le professeur Scholsem, « plus l'extensionde la regle paraitra `mecanique', àutomatique', commandee par l'esprit dusysteme, de telle maniere que le legislateur, s'il etait appele àintervenir, n'aurait quasiment d'autre choix, plus l'interventionnisme[des cours et tribunaux] paraitra justifie. Si, au contraire, des choixpolitiques doivent etre faits, si de toute evidence plus d'une solutionest concevable ou si la Constitution s'oppose à la creation du droit parle juge, comme en matiere penale, l'arret de la Cour [constitutionnelle]ne permettra pas de mettre fin à la discrimination denoncee » mais «invitera simplement le legislateur, seul competent, à intervenir et à yporter remede » (J.-Cl. Scholsem, « La Cour d'arbitrage et les `lacuneslegislatives'», Les rapports entre la Cour d'arbitrage, le pouvoirjudiciaire et le Conseil d'Etat, La Charte, 2006, 222).

2. En l'espece, par les motifs reproduits au moyen et tenus ici pourintegralement reproduits, et, plus particulierement, apres avoir rappeleque la Cour constitutionnelle avait decide qu'« en ce qui concerne lesactions intentees par les communes et par les zones de policepluricommunales en vue du remboursement de traitements indument payes àleurs agents, [le delai de prescription] est deux fois plus long que ledelai de prescription s'appliquant aux actions intentees par l'Etat en vuedu remboursement de traitements indument payes à ses agents ; que cettedifference de traitement a des effets disproportionnes en ce qui concerneles agents des communes et des zones de police pluricommunales » et que« cette discrimination ne trouve pas sa source dans la disposition encause, mais dans l'absence d'une disposition legislative, applicable auxcommunes ou aux zones de police pluricommunales, prevoyant uneprescription quinquennale du delai de recouvrement des traitements indus», l'arret attaque considere finalement que, « puisque, d'une part, iln'est pas permis d'appliquer l'article 7, S: 1er, susdit à destraitements que cette disposition ne vise pas et que, d'autre part, ladiscrimination denoncee ne resulte pas d'une disposition legale dont lazone de police demande l'application - et en particulier de l'article2262bis du Code civil - mais d'une carence legislative, la cour [d'appel]doit faire application de l'article 2262bis precite et ne peut declarerprescrite l'action en recouvrement de la zone de police pour l'annee 2002,la zone de police etant etrangere à ladite carence ».

Il ne peut etre conteste que la question soulevee dans le cas soumis à lacour d'appel dans le present litige a un objet identique à celui dont aeu à traiter la Cour constitutionnelle dans l'affaire ayant conduit àson arret du 18 mai 2011 (nDEG 76/2011).

Des lors, au lieu de faire application du droit commun, la cour d'appel deBruxelles aurait du mettre fin à l'inconstitutionnalite denoncee ensuppleant à l'insuffisance de l'article 7 de la loi du 6 fevrier 1970,devenu l'article 114 de la loi du 22 mai 2003, de maniere à rendre lanorme que ceux-ci enoncent conforme aux articles 10 et 11 de laConstitution, c'est-à-dire en etendant le champ d'application du delai deprescription prevu par ces articles pour les creances de repetition del'indu appartenant à l'Etat aux creances identiques appartenant à lazone de police.

3. En consequence, en refusant d'etendre le champ d'application del'article 7 de la loi du 6 fevrier 1970 et de l'article 114 de la loi du22 mai 2003, enonc,ant la meme norme, et en faisant erronement applicationdes articles 2227 et 2262bis du Code civil, l'arret attaque violel'ensemble des dispositions visees au moyen.

A supposer que la Cour considere que l'arret attaque est legalementjustifie au regard des articles precites, dont il ferait une correcteinterpretation, encore faudrait-il, avant de rejeter la position proneepar Axa, que l'application de ces dispositions legales, selon cetteinterpretation, ne cree par une discrimination contraire aux articles 10et 11 de la Constitution, des lors qu'en application de l'article 7 de laloi du 6 fevrier 1970, devenu l'article 114 de la loi du 22 mai 2003, ledelai de prescription des creances en repetition de l'indu applicable auxactions intentees par l'Etat n'est que de cinq ans, alors qu'en vertu desarticles 2227 et 2262bis du Code civil, celui applicable aux creances enrepetition de l'indu applicable aux actions intentees par les zones depolice est quant à lui de dix ans.

En consequence, à titre subsidiaire, [la demanderesse] invite la Cour àposer à la Cour constitutionnelle la question prejudicielle libellee audispositif de la requete en cassation.

Second moyen

Dispositions legales violees

* article 149 de la Constitution ;

* articles 1376, 1377, 1382 et 1383 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

L'arret attaque rec,oit les demandes et dit fondee la demande originairede [la demanderesse] envers la [defenderesse], seulement jusqu'àconcurrence de 15.442,28 euros, augmentes des interets moratoires echusaux taux legaux sur chaque partie du traitement illegalement retenue,depuis sa date d'exigibilite egalement precisee dans ledit releve jusqu'àla date de l'arret, et la dit non fondee pour le surplus.

L'arret attaque se fonde notamment sur les motifs suivants :

« B. Sur les indemnites reclamees par [la demanderesse]

15. [La demanderesse] demande en premier lieu la reparation du prejudicemateriel qu'elle subit et subira par l'effet de son obligation derestitution. Elle demande donc une indemnite egale à l'indu qu'elle doitrembourser.

Cependant, cette obligation de restitution resulte, comme il a ete dit, del'application de la loi et en particulier des articles 1376 et 1377 duCode civil. Il s'ensuit que le dommage ici allegue par [la demanderesse]n'a pas pour cause les fautes qu'elle impute aux [defendeurs]. Parailleurs, des lors qu'il resulte d'une application de la loi, ce dommagene pourrait etre tenu pour un dommage reparable au sens des articles 1382et suivants du Code civil. Enfin, le retard avec lequel [la defenderesse]s'est aperc,ue des erreurs et les a rectifiees profite à [lademanderesse] puisqu'il l'autorise à invoquer la prescription partiellede la reclamation de la [defenderesse] et à conserver une partie despayements indus litigieux.

16. [La demanderesse] invoque en deuxieme lieu un prejudice futur quiresulterait du respect des regles applicables pour le calcul de sestraitements futurs. Pour les memes motifs que ceux qui viennent d'etreenonces, à savoir l'application des dispositions legales à toutes lespersonnes qu'elles concernent et donc egalement à [la demanderesse], memesi elles lui sont moins favorables que l'erreur precedemment commise,celle-ci n'est pas fondee à demander la reparation de ce `manque àgagner'.

17. [La demanderesse] expose encore qu'elle devra contracter un creditbancaire pour faire face au remboursement de l'indu, ce qui l'obligeraità rembourser tous les mois un montant fixe majore d'interets pendantplusieurs annees et à supporter une reduction de son train de vie. Ellereclame de ce chef une indemnite de 10.000 euros.

Cependant, d'une part, elle precise qu'elle a introduit en novembre 2009une demande de pret à temperament qui lui a ete refusee, d'autre part,elle ne produit aucune piece apte à demontrer qu'elle aurait plusrecemment sollicite et obtenu un credit pour rembourser le solde dont elledemeure redevable envers la [defenderesse]. Le prejudice lie à laconclusion d'un pret bancaire est donc purement eventuel ou hypothetiqueet ne justifie pas une demande de reparation ».

En substance, l'arret attaque considere donc que les dommages presents etfuturs vantes par [la demanderesse] n'ont pas pour cause les fautesqu'elle impute à la [defenderesse et au defendeur] et qu'ils ne sont enoutre pas reparables des lors qu'ils resultent d'une application directede la loi et, concernant specifiquement le dommage lie à l'obligationqu'aurait [la demanderesse] de contracter un credit afin de rembourser lemontant qui lui avait ete indument paye, que ce dommage ne seraitqu'eventuel et hypothetique, et ne justifie des lors pas la condamnationde la [defenderesse] à la reparation de ce dommage. L'arret attaquen'examine pas le dommage correspondant à la reduction du train de vieinvoquee par [la demanderesse].

Griefs

Premiere branche

1. Il est constant que la causalite entre une faute et un dommage estetablie des lors que, sans cette faute, le dommage ne se serait pasproduit tel qu'il s'est realise in concreto (Cass., 30 mai 2001, Pas., I,994 ; Cass., 1er avril 2004, Pas., I, 527) et que, meme si le jugeconstate souverainement les faits d'ou il deduit l'existence oul'inexistence d'un lien de causalite entre la faute et le dommage, la Courpeut neanmoins controler si, de ces constatations, le juge a pu legalementdeduire cette decision (voy. not. Cass., 10 mai 2007, Pas., 2007, I, 888 ;Cass., 30 avril 2003, Pas., 2003, 905).

A cet egard, [la] jurisprudence [de la Cour] a consacre la theorie del'equivalence des conditions, en decidant que peut constituer une cause dudommage « chaque circonstance sans laquelle le fait ne se serait pasproduit tel qu'il a eu lieu » (voir, notamment, l'arret de principe du 4decembre 1950, Pas., 1951, 201), impliquant, en consequence, qu'en cas depluralite de causes ayant concouru à la realisation d'un dommage, chacundes auteurs d'un fait dommageable est repute avoir cause la totalite dudommage (P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruxelles, Bruylant,2010, p. 1557 ; Cass., 24 mars 2005, Pas., 2005, 703 ; 24 mars 1999, Dr.circ., 1999, 279). Il en resulte que la causalite peut egalement etreindirecte, des lors qu'il suffit qu'il soit etabli que le dommage neserait pas survenu de la meme fac,on sans la faute (B. Dubuisson, Laresponsabilite civile, t. Ier, Larcier, 2009, 338).

Pour ecarter la responsabilite de l'un des protagonistes, le juge du fonddoit des lors constater que, meme sans sa faute, le dommage se seraitneanmoins produit tel qu'il s'est realise (Cass., 6 fevrier 2003, Pas.,2003, 283) ou, en d'autres termes, le juge doit se demander, pour chacunedes fautes, si, en l'absence de celle-ci, le dommage tel qu'il se presentein concreto se serait ou non realise (Cass., 24 mars 2005, Pas., 2005,703 ; 24 mars 1999, Dr. circ., 1999, 279).

2. Par les motifs reproduits au moyen et tenus ici pour integralementreproduits, l'arret attaque se limite à declarer que le prejudicemateriel que subit et subira [la demanderesse] « par l'effet de sonobligation de restitution » « resulte (...) de l'application de la loiet en particulier des articles 1376 et 1377 du Code civil », pour deciderqu'en consequence, « le dommage ici allegue par [la demanderesse] n'apas pour cause les fautes qu'elle impute aux [defendeurs] ».

Or, la circonstance que la survenance du dommage allegue par [lademanderesse], consistant en une obligation de restitution, resulte del'application de la loi, n'efface pas en elle-meme le fait que cetteobligation de restitution ait ete engendree en amont par des comportementslitigieux, en l'absence desquels le dommage ne serait pas survenu de lameme fac,on.

Partant, l'arret attaque n'a pu se dispenser d'avoir egard aux effets desfautes commises par les defendeurs sur la survenance du dommage alleguepar [la demanderesse].

2. En consequence, ni par les considerations qui precedent ni par aucuneautre, l'arret attaque n'exclut que, sans la faute imputee à la[defenderesse], le dommage invoque par [la demanderesse] eut pu seproduire comme il s'est produit, meconnaissant ainsi la notion legale delien de causalite (violation des articles 1382 et 1383 du Code civil) etfaisant aussi une application erronee des articles 1376 et 1377 du Codecivil, qui se limitent à imposer une obligation de restitution sansdispenser le juge de rechercher l'origine et les effets des circonstancesfautives qui ont engendre cette obligation de restitution lorsqu'elle estconstitutive d'un dommage allegue (violation des articles 1376 et 1377 duCode civil).

Seconde branche

1. Il est constant que « le dommage consiste dans l'atteinte à uninteret ou dans l'atteinte à un avantage quelconque, pour autant quecelui-ci soit stable et legitime » (Cass., 17 juin 1975, Pas., 1975, I,999 ; Cass, 14 mai 2003, R.C.J.B., 2004, p. 135), etant precise quel'indemnisation ne peut etre refusee lorsque l'irregularite est sansrapport avec l'avantage perdu. En d'autres termes, « les articles 1382 et1383 du Code civil obligent l'auteur d'un acte fautif à reparer ledommage cause par cet acte des que ce dommage est certain et qu'il neconsiste pas en la privation d'un avantage illegitime. Le seul fait pourle demandeur à une action en responsabilite de se trouver dans unesituation illicite n'implique pas necessairement qu'il ne puisse seprevaloir de la lesion d'un interet ou de la privation d'un avantagelegitime » (Cass., 4 novembre 2011, J.T., 2012, p. 530 ; R. Jafferali,« L'interet legitime à agir en reparation - Une exigence...illegitime ? », J.T., 2012, p. 253 et s.).

Il en resulte que le dommage est caracterise par la perte d'un avantage,apprecie concretement, correspondant à la difference negative existantentre deux situations, la premiere etant celle dans laquelle se trouve lavictime apres la realisation du fait dommageable et la seconde celle danslaquelle la victime se serait trouvee en l'absence de celui-ci (voir L.Cornelis, « Le dommage », Responsabilites. Traite theorique et pratique.Bruxelles, Kluwer, 2000, p. 4 ; P. Van Ommeslaghe, « Droit desobligations », Traite de droit civil belge, t. II, Bruylant, 2013, p.1543).

2. Par les motifs reproduits au moyen et tenus ici pour integralementreproduits, l'arret attaque se borne à considerer que le dommage vantepar [la demanderesse] « resulte d'une application de la loi, [et que] cedommage ne pourrait etre tenu pour un dommage reparable au sens desarticles 1382 et suivants du Code civil », conclusion à laquelle ilarrive egalement pour le dommage futur allegue par [la demanderesse], dontil rejette la demande de reparation au motif que celui-ci resulterait de« l'application des dispositions legales [applicables] à toutes lespersonnes qu'elles concernent ».

L'arret attaque se limite donc à declarer que la situation dans laquellese trouvait [la demanderesse] etait illicite mais omet d'apprecier ladifference entre cette situation et celle dans laquelle [la demanderesse]se serait trouvee en l'absence du fait ayant engendre cette situationillicite et en particulier en ce que cette difference se concretisait enune reduction du train de vie de [la demanderesse], celle-ci pouvantconstituer la lesion d'interet ou la privation d'un avantage legitime ausens de [la] jurisprudence precitee.

3. En consequence, ni par les considerations qui precedent ni par aucuneautre, l'arret attaque ne justifie legalement sa decision selon laquellele prejudice de [la demanderesse] resultant de l'obligation de rembourserl'indu à la suite des actes fautifs de la [defenderesse] ne constituaitpas la lesion d'un interet legitime ou la privation d'un avantage de cettenature (violation des articles 1382 et 1383 du Code civil).

A tout le moins, l'arret attaque ne rencontre pas le moyen par lequel [lademanderesse] se prevalait d'un dommage consistant en une reduction de sontrain de vie (violation de l'article 149 de la Constitution).

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

En vertu de l'article 2227 du Code civil, l'Etat, les etablissementspublics et les communes sont soumis aux memes prescriptions que lesparticuliers.

Suivant l'article 2262bis, S: 1er, du Code civil, toutes les actionspersonnelles sont prescrites par dix ans.

En vertu de l'article 7, S: 1er, de la loi du 6 fevrier 1970 relative àla prescription des creances à charge ou au profit de l'Etat et desprovinces, puis de l'article 114, S: 1er, de la loi du 22 mai 2003 portantorganisation du budget et de la comptabilite de l'Etat federal, sontdefinitivement acquises à ceux qui les ont rec,ues les sommes payeesindument par l'Etat en matiere de traitements, d'avances sur ceux-ci ainsique d'indemnites, d'allocations ou de prestations qui sont accessoires ousimilaires aux traitements, lorsque le remboursement n'en a pas etereclame dans un delai de cinq ans à partir du premier janvier de l'anneede paiement.

Il resulte de la combinaison de ces dispositions que, à defaut de rentrerdans le champ d'application des lois precitees des 6 fevrier 1970 et 22mai 2003, l'action en repetition de traitements payes indument par lescommunes et zones de police pluricommunales est soumise à un delai deprescription de dix ans.

Par l'arret nDEG 76/2011 du 18 mai 2011, la Cour constitutionnelle, qui areleve que la difference de traitement a des effets disproportionnes en cequi concerne les agents des communes et des zones de policepluricommunales, a considere que cette discrimination ne trouve pas sasource dans l'article 7, S: 1er, de la loi du 6 fevrier 1970 mais dansl'absence d'une disposition legislative, applicable aux communes ou auxzones de police pluricommunales, prevoyant une prescription quinquennaledu delai de recouvrement des traitements indus. Elle a des lors juge quel'article 7, S: 1er, precite ne viole pas les articles 10 et 11 de laConstitution et que l'absence de disposition legislative etablissant uneprescription quinquennale de l'action en repetition de traitementsindument payes par les communes ou par les zones de police pluricommunalesviole les articles 10 et 11 de la Constitution.

La lacune ainsi constatee necessite l'intervention du legislateur pourdeterminer les modalites du nouveau regime de prescription à mettre enoeuvre pour les communes ou zones de police pluricommunales.

Le moyen, qui est tout entier fonde sur le soutenement quel'inconstitutionnalite constatee resulte des articles 7, S: 1er, et 114,S: 1er, precites et que le juge doit y mettre fin en etendant leur champd'application à la creance de la defenderesse en repetition destraitements indument payes, manque en droit.

La question prejudicielle que la demanderesse demande de poser à la Courconstitutionnelle a un objet identique à celle qui a donne lieu àl'arret nDEG 76/2011 precite.

Il n'y a des lors pas lieu de poser une nouvelle question prejudicielle.

Sur le second moyen :

Quant à la premiere branche :

Apres avoir releve que la demanderesse demande « une indemnite egale àl'indu qu'elle doit rembourser » au titre de « la reparation duprejudice materiel qu'elle subit et subira par l'effet de son obligationde restitution », l'arret attaque considere que « [ce] dommage [...] n'apas pour cause les fautes qu'elle impute [aux defendeurs] » des lors que« cette obligation de restitution resulte [...] de l'application de laloi et en particulier des articles 1376 et 1377 du Code civil » et que« le retard avec lequel [la defenderesse] s'est aperc,ue des erreurs etles a rectifiees profite à [la demanderesse] puisqu'il l'autorise àinvoquer la prescription partielle de la reclamation de [la defenderesse]et à conserver une partie des payements indus litigieux ».

Contrairement à ce que suppose le moyen, en cette branche, l'arret neconstate pas l'existence de fautes commises par les defendeurs.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la seconde branche :

Dans la mesure ou il invoque la violation de l'article 149 de laConstitution, le moyen, qui, en cette branche, n'indique pas le passagedes conclusions portant sur la reduction du train de vie de lademanderesse auquel il n'aurait pas ete repondu, est imprecis, partant,irrecevable.

Pour le surplus, l'arret considere, en ce qui concerne le « prejudicefutur qui resulterait du respect des regles applicables pour le calcul deses traitements futurs », que, « pour les memes motifs que ceux quiviennent d'etre enonces [à propos du prejudice materiel], à savoirl'application des dispositions legales à toutes les personnes qu'ellesconcernent et donc egalement à [la demanderesse], meme si elles lui sontmoins favorables que l'erreur precedemment commise », la demanderesse« n'est pas fondee à demander la reparation de ce `manque à gagner' ».

Contrairement à ce que soutient le moyen, l'arret ne considere pas que leprejudice de la demanderesse ne constitue pas la lesion d'un interetlegitime ou la privation d'un avantage de cette nature.

Dans la mesure ou il est recevable, le moyen, en cette branche, manque enfait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de huit cent septante-sept euros trente et uncentimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, le conseiller DidierBatsele, le president de section Martine Regout, les conseillers MireilleDelange et Marie-Claire Ernotte, et prononce en audience publique duvingt-trois mai deux mille seize par le president de section AlbertFettweis, en presence de l'avocat general delegue Michel Palumbo, avecl'assistance du greffier Lutgarde Body.

+------------------------------------------+
| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Delange |
|-----------+----------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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23 MAI 2016 C.14.0570.F/2


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0570.F
Date de la décision : 23/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-05-23;c.14.0570.f ?
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