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23/05/2016 | BELGIQUE | N°C.15.0007.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 mai 2016, C.15.0007.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.15.0007.F

1. P. v. Z.,

2. P. v. Z.,

3. C. v. Z.,

4. J.-F. v. Z.,

5. G. v. Z.,

6. A. C. v. Z.,

7. V. v. Z.,

8. T. v. Z.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

REGION WALLONNE, representee par son gouvernement, en la personne duministre-president, dont le cabinet est etabli à

Namur (Jambes), rueMazy, 25-27, poursuites et diligences du vice-president et ministre desTravaux publics, de l'Agriculture, de la Ru...

Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.15.0007.F

1. P. v. Z.,

2. P. v. Z.,

3. C. v. Z.,

4. J.-F. v. Z.,

5. G. v. Z.,

6. A. C. v. Z.,

7. V. v. Z.,

8. T. v. Z.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile,

contre

REGION WALLONNE, representee par son gouvernement, en la personne duministre-president, dont le cabinet est etabli à Namur (Jambes), rueMazy, 25-27, poursuites et diligences du vice-president et ministre desTravaux publics, de l'Agriculture, de la Ruralite, de la Nature, de laForet et du Patrimoine, dont le cabinet est etabli à Namur, chaussee deLouvain, 2,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 4 fevrier 2014par la cour d'appel de Liege.

Par ordonnance du 3 mai 2016, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le conseiller Didier Batsele a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, les demandeurs presentent un moyen.

III. La decision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la premiere branche :

L'article 16 de la Constitution prevoit que nul ne peut etre prive de sapropriete que pour cause d'utilite publique, dans les cas et de la maniereprevus par la loi.

En vertu de l'article 23 de la loi du 17 avril 1835 sur l'expropriationpour cause d'utilite publique, si les terrains acquis pour travauxd'utilite publique ne rec,oivent pas cette destination, un avis publie dela maniere indiquee à l'article 6 du titre II de la loi du 8 mars 1810fait connaitre les terrains que l'administration est dans le cas derevendre. Dans les trois mois de cette publication, les anciensproprietaires qui veulent reacquerir la propriete desdits terrains sonttenus de le declarer, à peine de decheance. A defaut par l'administrationde publier cet avis, les anciens proprietaires peuvent demander la remisedesdits terrains, et cette remise sera ordonnee en justice sur ladeclaration de l'administration qu'ils ne sont plus destines à servir auxtravaux pour lesquels ils avaient ete acquis.

L'arret, qui constate que « la partie litigieuse a ete utilisee demaniere temporaire dans le cadre des travaux menes à la suite del'expropriation originaire », decide legalement « que le droit invoquede retrocession [...] n'est pas present en l'espece, la seule circonstancequ'un excedent d'emprise ait ete revendu à la fin des travaux à unesociete commerciale ne permettant pas de passer outre le fait que cettepartie litigieuse a ete utilisee temporairement aux fins del'expropriation, ce qui a mis fin à un droit de retrocession ».

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant à la seconde branche :

Sur la base des motifs reproduits dans la reponse à la premiere branche,vainement critiques par celle-ci, l'arret justifie legalement sa decisionque les demandeurs ne disposent pas d'un droit de retrocession.

Fut-elle averee, la violation alleguee de la foi due aux conclusions desdemandeurs serait sans incidence sur la legalite de l'arret qui statuecomme il eut du le faire si cette violation n'avait pas ete commise.

Le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux depens.

Les depens taxes à la somme de neuf cent cinquante-cinq euros trentecentimes envers les parties demanderesses.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, le conseiller DidierBatsele, le president de section Martine Regout, les conseillers MireilleDelange et Marie-Claire Ernotte, et prononce en audience publique duvingt-trois mai deux mille seize par le president de section AlbertFettweis, en presence de l'avocat general delegue Michel Palumbo, avecl'assistance du greffier Lutgarde Body.

+-----------------------------------------+
| L. Body | M.-C. Ernotte | M. Delange |
|-----------+---------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
+-----------------------------------------+

Requete

1er feuillet

REQUETE EN CASSATION

_______________________

Pour : 1DEG. P. V. Z.,

2DEG. P. V. Z.,

3DEG. C. V. Z.,

4DEG. J.-F. V. Z.,

5DEG. G. V. Z.,

6DEG. A.-C. V. Z.,

7DEG. V. V. Z.,

2eme feuillet

8DEG. T. V. Z.,

(...)

demandeurs,

assistes et representes par Me Jacqueline Oosterbosch, avocate à la Courde cassation, dont le cabinet est etabli à 4020 Liege, rue deChaudfontaine, 11, ou il est fait election de domicile,

Contre : la REGION WALLONNE, representee par son Gouvernement, en la

personne de son Ministre-President, dont les bureaux sont etablis à 5100

Namur, rue Mazy, 25-27,

defenderesse.

A Messieurs les Premier President et Presidents, Mesdames et Messieurs lesConseillers composant la Cour de cassation,

Messieurs, Mesdames,

Les demandeurs ont l'honneur de deferer à votre censure l'arret prononcele 4 fevrier 2014 par la douzieme chambre de la cour d'appel de Liege(nDEG 2012/RG/1509).

3eme feuillet

Les faits et antecedents de la cause, tels qu'ils ressortent des piecesauxquelles votre Cour peut avoir egard, peuvent etre ainsi brievementresumes.

Feue A. L., P. V. Z. et les consorts P., C., J.-F., G., A.-C., V. et T. V.Z. (ces huit derniers etant ici demandeurs) etaient proprietaires dediverses parcelles de terrains situees à [...] et ont ete expropries en1984 au benefice du Fonds des routes, dans le cadre de l'amenagement devoirie et de la creation de deux sens giratoires au carrefour des routesnationales [...].

Apres l'achevement de ces travaux, la Region wallonne a vendu une partiedes parcelles litigieuses à un centre commercial, sans publication del'avis prescrit à l'article 23 de la loi du 17 avril 1835 surl'expropriation pour cause d'utilite publique ni avoir avertiindividuellement les anciens proprietaires qu'elle entendait revendre.

Les consorts V. Z. ont fait valoir le droit de retrocession auquel laRegion wallonne a objecte qu'une utilisation temporaire conforme à ladestination initiale suffisait à empecher la naissance du droit àretrocession.

Par exploit du 25 mai 2010, les consorts V. Z. ont alors cite la Regionwallonne afin de la voir condamner à leur payer un euro provisionnel surun dommage evalue à 150.000 EUR (montant principal porte par conclusionsà 235.434,99 EUR).

Par jugement du 3 aout 2012, la chambre des vacations du tribunal depremiere instance de Namur a condamne la Region wallonne au paiement decette derniere somme, majoree des interets de retard au taux legal depuisle 18 juin 2009 et des interets sur lesdits interets depuis le 17 novembre2011 et les depens.

La Region wallonne a interjete appel de cette decision; les consorts V. Z.ont forme un appel incident portant sur le point de depart des interets deretard.

4eme feuillet

L'arret attaque reforme le jugement entrepris, dit la demande originairenon fondee et condamne les consorts V. Z. aux depens des deux instancesqu'il liquide à 2.850 EUR.

A l'encontre de cette decision, les demandeurs ont l'honneur de fairevaloir le moyen de cassation suivant.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions violees

- l'article 23 de la loi du 17 avril 1835 sur l'expropriation pour caused'utilite publique,

- les articles 1319, 1320, 1322 et 1382 du Code civil,

- l'article 16 de la Constitution.

Decision critiquee

Apres avoir constate (i) que les demandeurs qui etaient proprietaires deparcelles sises à [...] ont ete expropries de ces parcelles en 1884 aubenefice du Fonds des routes dans le cadre de l'amenagement de voiries etde la creation de deux sens giratoires, (ii) qu'apres la realisation destravaux, la defenderesse a vendu une partie de ces parcelles à un centrecommercial et (iii) que les demandeurs ont signale avoir un droit àretrocession qui n'avait pas ete respecte mais que la defenderesse arepondu qu'une utilisation temporaire, meme pendant un court laps detemps, conforme à la destination initiale suffit à empecher la naissancedu droit à retrocession, l'arret attaque deboute les demandeurs de leuraction fondee sur la violation du droit à retrocession prevu à l'article23 de la loi du 17 avril 1835 et les condamne aux depens, aux motifs que :

6eme feuillet

"La cour constate d'abord que les parties ne sont pas contraires quant auprincipe theorique applicable en l'espece.

Ainsi (les demandeurs) ne contestent pas expressement qu'une utilisationtemporaire d'utilite publique dans le cadre de l'expropriation en causesuffit à faire perdre le droit à retrocession (...) (Ils) ne contestentpas non plus expressement que cette utilisation peut etre retenue lorsquele terrain exproprie a servi de depot pour les terres provenant destravaux (...).

Les (demandeurs) estiment par contre que (la defenderesse) n'a pasdemontre et ne demontre pas une telle utilisation temporaire.

La cour constate ensuite qu'il est exact qu'avant la citation introductived'instance, la (defenderesse) s'est effectivement contentee de repondreaux (demandeurs) d'abord de maniere lapidaire et peremptoire puis par desaffirmations d'utilisation peu detaillees et non demontrees.

Neanmoins, il appartient à la cour de statuer à present avec leselements apportes par la (defenderesse) dans le dossier actuellementdepose devant elle et ceci sans s'attarder à des explications anterieurestellement lacunaires qu'elles pourraient actuellement passer pourerronees.

Dans ce dernier cadre, à l'audience des plaidoiries, la cour a deplie etexamine avec les parties les differents plans deposes par la Regionwallonne (...).

Il resulte de l'examen de ces plans les elements suivants :

- les travaux litigieux ont fondamentalement change la disposition deslieux : outre la construction des giratoires, les assiettes des routesnationales ont ete modifiees (...);

- la partie litigieuse, qui a ete vendue apres la fin des travaux par la(defenderesse), est une tres petite partie des parcelles initialementexpropriees aux (demandeurs, soit 20 ares sur 4 hectares (...) et consisteen une assez longue bande de terrain de tres peu de profondeur qui bordela nouvelle assiette des routes nationales et les giratoires (...).

Au surplus, la (defenderesse) fait actuellement etat de :

- une attestation des Entreprises G. qui precise que «nous vousconfirmons par la presente avoir utilise temporairement dans le cadre destravaux des deux giratoires en 2001, les terrains jouxtant les nationales[...] à des fins de stockage provisoires des materiaux à mettre enoeuvre (...);

7eme feuillet

- une attestation du Departement du reseau de Liege de la Direction desRoutes de Liege qui confirme que les excedents revendus ont ete utilisesdans le cadre des travaux de construction du pont de [...] (...) et cecien apportant des precisions sur l'amenagement des abords des nouvellesvoiries.

La cour estime in fine que l'ensemble des elements precites quant au planet aux attestations demontrent à suffisance que la partie litigieuse aete utilisee de maniere temporaire dans le cadre des travaux menes à lasuite de l'expropriation originaire.

La cour soulignera particulierement :

- la situation et la configuration de l'excedent d'emprise (longue bandede terrain de peu de profondeur qui borde les actuels giratoires et lesRoutes nationales) dont il apparait que cette bande a certainement eteutilisee pour permettre l'amenagement des lieux qui ont ete fortementmodifies;

- les attestations precitees qui sont certes arrivees en cours deprocedure et ont ete sollicitees par la (defenderesse) mais apparaissentneanmoins etre exactes et non dementies par des faits apportes par les(demandeurs).

En conclusion, il y a lieu de retenir que le droit invoque de retrocessiondes (demandeurs) n'est pas present en l'espece, la seule circonstancequ'un excedent d'emprise ait ete revendu à la fin des travaux à unesociete commerciale ne permettant pas de passer outre le fait que cettepartie litigieuse a ete utilisee temporairement aux fins del'expropriation, ce qui a mis fin à un droit de retrocession".

Griefs

Premiere branche

L'article 16 de la Constitution prevoit que nul ne peut etre prive de sapropriete que pour cause d'utilite publique, dans les cas et de la maniereprevus par la loi.

8eme feuillet

La loi du 17 avril 1835 sur l'expropriation pour cause d'utilite publiqueprevoit expressement, en son article 23, la retrocession aux anciensproprietaires expropries des terrains (ou partie de ceux-ci) acquis pourtravaux d'utilite publique lorsqu'ils ne sont plus destines à servir auxtravaux pour lesquels ils avaient ete acquis.

Ledit article 23 dispose en effet :

"Si les terrains acquis pour travaux d'utilite publique ne rec,oivent pascette destination, un avis publie de la maniere indiquee à l'article 6,titre II de la loi du 8 mars 1810, fait connaitre les terrains quel'administration est dans le cas de revendre. Dans les trois mois de cettepublication, les anciens proprietaires qui veulent reacquerir la proprietedesdits terrains sont tenus de le declarer, à peine de decheance.

A defaut par l'administration de publier cet avis, les anciensproprietaires peuvent demander la remise desdits terrains, et cette remisesera ordonnee en justice sur la declaration de l'administration qu'ils nesont plus destines à servir aux travaux pour lesquels ils avaient eteacquis.

(...)".

A defaut d'avis publie, la declaration de l'administration que lesterrains litigieux ne sont plus destines à servir aux travaux pourlesquels ils ont ete acquis ne doit pas etre expresse, la non-destinationpouvant resulter de faits et de constatations demontrant la renonciationde l'administration.

Il s'en deduit que le droit à retrocession ne peut naitre qu'au moment dela declaration du pouvoir expropriant prevue à l'article 23 de la loi du17 avril 1835 ou lorsque ce pouvoir accomplit un acte exclusif de touteutilisation ulterieure à des fins d'utilite publique du bien exproprie etque, partant, une utilisation temporaire avant l'achevement des travaux nepeut ni ouvrir le droit à retrocession ni l'empecher de prendrenaissance.

Il s'ensuit que lorsque l'administration decide de revendre une partie desterrains expropries, elle doit en aviser personnellement les anciensproprietaires afin qu'ils puissent les reacquerir. A defaut de ce faire eten revendant lesdits terrains à un tiers qui poursuit des fins privees -acte equivalant à la declaration que ces terrains ne sont plus destinesà servir aux travaux pour lesquels ils ont ete acquis - l'administrationviole l'article 23 de la loi du 17 avril 1835 et engage sa responsabilitedu fait de cette illegalite.

9eme feuillet

L'arret attaque qui, apres avoir releve que la partie litigieuse vendueapres la fin des travaux par la defenderesse est une petite partie desparcelles initialement expropriees et qu'elle a ete utilisee à des finsde stockage provisoire des materiaux à mettre en oeuvre et dans le cadredes travaux de construction de [...], considere que "la partie litigieusea ete utilisee de maniere temporaire dans le cadre des travaux menes à lasuite de l'expropriation originaire" et qu'"il y a lieu de retenir que ledroit invoque de retrocession (...) n'est pas present en l'espece, laseule circonstance qu'un excedent d'emprise ait ete revendu à la fin destravaux à une societe commerciale ne permettant pas de passer outre lefait que cette partie litigieuse a ete utilisee temporairement aux fins del'expropriation, ce qui a mis fin à un droit de retrocession", n'est paslegalement justifie (violation des articles 23 de la loi du 17 avril 1835,1382 du Code civil et 16 de la Constitution).

Deuxieme branche

Dans leurs conclusions prises devant la cour d'appel, les demandeursfaisaient tout d'abord valoir que "dans le cadre de ses conclusionsprincipales devant le premier juge, la (defenderesse) tente tout d'abordde faire admettre, par le biais d'affirmations purement unilaterales, lepostulat selon lequel une utilisation temporaire des biens litigieux, parle pouvoir expropriant, «suffit pour empecher le droit à retrocession deprendre naissance des lors que l'utilisation est d'utilite publique etprevue au plan d'expropriation». Neanmoins, il ne suffit evidemment pasd'affirmer un fait ou un principe, fut-ce à diverses reprises, pour quece fait ou ce principe devienne, ipso facto, exact et demontre" (pp. 4 et5). Ce n'est que surabondamment que les demandeurs articulaient que "laREGION WALLONNE tente ensuite de faire accroire qu'il y a bien euutilisation temporaire des biens litigieux" (p. 5, nDEG II.2), faisaientvaloir qu'outre le fait que les elements produits par la defenderesse"sont presentes pour la premiere fois et ne peuvent emporter laconviction", "Par ailleurs, ce qui a finalement ete revendu par la REGIONWALLONNE ne peut, par hypothese, avoir ete utilise de fac,on permanentedans le cadre de l'expropriation litigieuse" (p. 7) et concluaient avec lepremier juge que la revente à un centre commercial prouve à l'evidenceque les parcelles n'ont pas rec,u la destination pour laquelle elles ontete expropriees (p. 8).

10eme feuillet

Ainsi les demandeurs contestaient-ils "le postulat selon lequel uneutilisation temporaire des biens litigieux, par le pouvoir expropriant,«suffit pour empecher le droit à retrocession de prendre naissance deslors que l'utilisation est d'utilite publique et prevue au pland'expropriation»".

L'arret attaque, qui considere que les demandeurs "ne contestent pasexpressement qu'une utilisation temporaire d'utilite publique suffit àfaire perdre le droit à retrocession", refuse de lire dans leursconclusions un element qui y figure et meconnait des lors la foi qui leurest due (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Developpements du moyen unique de cassation

La premiere branche du moyen fait valoir qu'il resulte de l'article 23 dela loi du 17 avril 1835 sur l'expropriation pour cause d'utilite publiqueque lorsque le pouvoir expropriant decide de revendre une partie des biensexpropries parce qu'ils ne sont plus destines à servir aux travaux pourlesquels ils ont ete acquis, elle doit en aviser les anciens proprietairesafin qu'ils puissent les reacquerir.

La circonstance que ces biens sont une petite partie des parcellesinitialement expropriees et ont temporairement servi à des fins destockage provisoire des materiaux à mettre en oeuvre pour les travaux nechange rien au fait qu'une fois les travaux acheves ces terrains ne sontplus destines auxdits travaux, condition du droit à la retrocession auxtermes memes de l'article 23 precite.

La doctrine n'est guere explicite quant aux conditions d'application del'article 23 de la loi du 17 avril 1835 et notamment quant au fait qu'uneutilisation temporaire suffirait pour empecher le droit à retrocession deprendre naissance ou suffirait à le faire perdre.

11eme feuillet

Certains auteurs se bornent à considerer qu'une utilisation, memetemporaire, empeche la retrocession sans pour autant donner les raisons decette solution (voy., not., Bernard Paques, L'expropriation pour caused'utilite publique, rep. not., t.XIV, p. 95), tandis que d'autresn'envisagent pas l'hypothese de l'utilisation temporaire (voy. A. Dal,L'expropriation pour cause d'utilite publique, La Charte, 1993, p. 199; dumeme auteur, Le regime judiciaire de la retrocession en matiered'expropriation pour cause d'utilite publique, obs. sous civ. Bruxelles,12 mars 1998, J.L.M.B., 1999, pp. 861-866; Michel Kaiser, "La procedureordinaire", in L'expropriation pour cause d'utilite publique, Bruylant,2013, p. 316, note 129; V. Defraiteur, Le droit de retrocession en matiered'expropriation, J.T., 2012, pp. 514-515).

Une partie de la doctrine reprend comme telle la formulation d'un arret dela cour d'appel de Bruxelles du 31 mars 1883 (Pas., II, 231) qui avaitconsidere que le droit à retrocession ne naissait que si les actes posespar l'expropriant etaient exclusifs de toute affectation conforme à ladestination initiale et que le fait que les terrains litigieux aient servide depot pour les terres lors des travaux" empeche le droit deretrocession de prendre naissance" (voy. pour la reprise de cette formule,les Novelles, Lois politiques et administratives, t. IV, vDEGExpropriation pour cause d'utilite publique, nDEG 311).

Le R.P.D.B. (Tome V, VDEG Expropriation pour cause d'utilite publique,nDEG459), rappelle qu'une circulaire du ministere des finances du 4septembre 1891 (nDEG1215) indique qu'il est exclu que le droit deretrocession puisse s'exercer sur les immeubles "dont l'utilisationtemporaire ou provisoire a ete prevue soit expressement dans le texte del'arrete decretant l'utilite publique, soit implicitement par inductiontiree de la nature de l'entreprise". L'auteur remarque que dans la secondehypothese, "la prevision implicite doit resulter d'une appreciation defait : en general, il y a lieu de considerer l'immeuble comme ayant rec,udefinitivement sa destination, lorsque le travail, meme provisoire, estune consequence necessaire de l'oeuvre principale, solution qui selon lacirculaire se degage des motifs de l'arret de la cour d'appel precite du31 mars 1883".

Cette these ne trouve aucun appui dans la loi qui ne permet pas au pouvoirexpropriant de revendre à son profit à des tiers des parcelles (ou desparties de celles-ci) expropriees. M. l'avocat general Melot, dans sesconclusions precedant l'arret de votre Cour du 2

12eme feuillet

juin 1898 (Pas., I, 221), avait souligne que la these selon laquellel'administration seule est investie du droit de reconnaitre et de declarerque les terrains expropries ne sont pas destines à des travaux d'utilitepublique, "serait reconnaitre que l'Etat peut exproprier des biens pourcause d'utilite publique, les soustraire à cette affectation, s'abstenirde donner l'avis prevu par la loi de 1835, ecarter l'action enretrocession en refusant de faire la declaration prevue par cette loi, enun mot, qu'il lui est loisible de s'approprier des biens particuliers pourles ajouter à son domaine prive en assurant par surcroit à cette partiede son domaine toutes les protections dont jouit le domaine public".

Dans son arret du 18 mars 1948 (J.T., 1948, p. 298), votre Cour a precisel'objectif de l'article 23 de la loi du 17 avril 1835. Elle a considerequ'"il ne resulte pas necessairement de ce texte que la declaration donts'agit doit etre expresse, qu'en decider autrement serait livrerl'exproprie à l'arbitraire de l'administration à qui il serait permis,en gardant le silence, de conserver des biens expropries qui ne doiventplus recevoir la destination pour laquelle l'expropriation a eu lieu;qu'il est dans l'esprit de l'article 23 susvise, insere dans la loi du 17avril 1835 pour empecher un tel abus, que la non-destination puisseresulter de faits et de constatations demontrant a renonciation del'administration" (soulignement ajoute). On aperc,oit bien le motifsous-jacent à l'interpretation qu'une utilisation meme temporaire, fut-cependant un court laps de temps, des terrains pour le stockage de materiauxempeche le droit à retrocession. Il s'agit ni plus ni moins desubordonner ce droit à la decision arbitraire du pouvoir expropriant quipourrait ainsi y faire obstacle pour beneficier de la plus-value apporteepar les travaux et n'appliquer l'article 23 de la loi du 17 avril 1835 quelorsque les parcelles qui ne sont definitivement plus utilisees aux finsde l'expropriation ont perdu de la valeur ensuite des travaux. En effet,l'article 23 de la loi du 17 avril 1835 prevoit que le prix des terrainsà retroceder sera fixe par le tribunal si l'exproprie n'opte pas pour larestitution du montant de l'indemnite rec,ue pour ses terrains et que leprix fixe par le tribunal ne peut "en aucun cas exceder le montant del'indemnite".

Comme l'a dejà releve la cour d'appel de Liege (23 mai 1980, J.L.M.B.,1980, p. 329), affirmer "qu'une utilisation temporaire aux fins annonceessuffit à empecher le droit à retrocession de prendre naissance (...) etqu'en pareil cas une destination ulterieure meme privee seraitparfaitement legitime (...) "aboutirait à rendre possible et fort aiseetoute espece de fraude".

14eme feuillet

C'est la declaration du pouvoir expropriant que le bien ou une partie decelui-ci ne sera plus utilise aux fins d'expropriation ou, à defaut,l'acte exclusif de toute utilisation ulterieure à des fins d'utilitepublique (comme l'est la vente à des tiers à des fins privees) qui ouvrele droit à la retrocession et ce droit ne peut avoir disparu avant d'etrene. En decider autrement reviendrait à permettre à l'administration derevendre à des tiers tout excedent d'emprise pour autant qu'elle puissejustifier y avoir installe, fut-ce un tres court laps de temps, un localtemporaire pour les ouvriers ou un depot de materiaux, ce qui estprecisement ce que l'article 23 de la loi du 17 avril 1835 veut empecher.

La seconde branche du moyen est presentee à titre subsidiaire dansl'hypothese ou, nonobstant la prudence des termes employes - à savoir queles demandeurs ne contestent pas "expressement" qu'une utilisationtemporaire d'utilite publique suffit à faire perdre le droit àretrocession - l'arret attaque devrait etre lu comme ayant fonde sadecision qu'une telle utilisation temporaire suffit à faire perdre ledroit à retrocession sur l'absence de contestation de ce postulat par lesdemandeurs. Dans cette hypothese, il meconnait la foi due à leursconclusions. En effet, les demandeurs - qui fondaient leur action surl'article 23 de la loi du 17 avril 1835 - contestaient expressement enpremier lieu que ledit postulat soit "exact et demontre", pour soutenirensuite qu'en tout etat de cause aucune utilisation meme temporaireconforme à la destination prevue n'etait demontree.

15eme et dernier feuillet

PAR CES CONSIDERATIONS,

l'avocate à la Cour de cassation soussignee, pour les demandeurs, conclutqu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arret attaque; ordonnerque mention de votre arret soit faite en marge de la decision annulee;renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel; statuercomme de droit quant aux depens.

Jacqueline Oosterbosch

Liege, le 23 decembre 2014

23 MAI 2016 C.15.0007.F/4

Requete/15


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0007.F
Date de la décision : 23/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-05-23;c.15.0007.f ?
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