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23/05/2016 | BELGIQUE | N°C.15.0440.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 mai 2016, C.15.0440.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.15.0440.F

AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

N. W.,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il es

tfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'a...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.15.0440.F

AG INSURANCE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il estfait election de domicile,

contre

N. W.,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 19 mai 2015 parla cour d'appel de Liege.

Par ordonnance du 3 mai 2016, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 1121, 1122, 1165 et 1416 du Code civil ;

- articles 1er, B, a), et C, de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre ;

- articles 10, 22 et 39 de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre, dans leur version anterieure à leur abrogation parla loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, et, en tant que de besoin,articles 64, 77, alinea 1er, et 93 de la loi du 4 avril 2014 relative auxassurances, qui remplacent ces dispositions ;

- article 2 de l'arrete royal du 24 decembre 1992 reglementant l'assurancecontre l'incendie et d'autres perils en ce qui concerne les risquessimples.

Decisions et motifs critiques

L'arret declare partiellement fondee l'action de la defenderesse etcondamne la demanderesse à lui payer la somme de 135.606,61 euros,augmentee des interets au double du taux legal, considerant que ladefenderesse avait la qualite d'assuree en vertu de la police incendiecouvrant l'immeuble incendie et qu'etant proprietaire de la moitie de cetimmeuble, elle avait droit, à charge de la demanderesse, à la moitie del'indemnite d'assurance.

L'arret motive cette decision de la maniere suivante :

« (La demanderesse) denie la qualite d'assuree à (la defenderesse) deslors qu'elle n'apparait pas comme assuree à la souscription de la policeet que l'assurance pour compte ne se presume pas.

[La defenderesse et son mari] etaient maries sous le regime de laseparation de biens et vivaient ensemble avec leurs enfants dansl'immeuble litigieux, leur propriete indivise lorsque la police a etesouscrite.

La souscription d'une police incendie releve des actes de gestion dupatrimoine commun pour lequel chacun des epoux a un pouvoir concurrent desorte que la police, si elle parait avoir ete souscrite par le seul C. J.,l'a ete pour le compte des epoux (article 1416 du Code civil).

[...] Dans son arret du 18 fevrier 2003, la Cour de cassation a dit qu'envertu de l'article 1416 du Code civil, le patrimoine commun est gere parl'un ou l'autre des epoux, qui peut exercer seul les pouvoirs de gestion,à charge pour chacun de respecter les actes de gestion accomplis par sonconjoint, de sorte que, tant que le regime legal n'est pas dissous d'unedes manieres prevues par l'article 1427 du Code civil, l'epoux quiintervient dans une instance en son nom propre intervient aussi commegestionnaire du patrimoine commun.

Mutatis mutandis, il en est de meme pour une police d'assurance souscritepar l'un des epoux pour proteger un immeuble dont il est proprietaire avecson conjoint et qui constitue le logement familial.

(La defenderesse) a donc la qualite d'assuree et, etant proprietaire pourmoitie de l'immeuble sinistre, elle a droit à la moitie de l'indemnited'assurance à charge de (la demanderesse), augmentee des interets audouble du taux legal depuis le 18 avril 2012, comme elle le demande ».

Griefs

Premiere branche

1. En vertu de l'article 1er, B, a), de la loi du 25 juin 1992 sur lecontrat d'assurance terrestre, on entend par assure, dans une assurance dedommages, la personne garantie par l'assurance contre les pertespatrimoniales.

En vertu de l'article 1er, C, de la meme loi, on entend par beneficiairela personne en faveur de laquelle sont stipulees des prestationsd'assurance.

2. L'article 39, alinea 1er, de la meme loi (et l'article 93 de la loi du4 avril 2014 relative aux assurances, qui l'a remplace) prevoit que laprestation due par l'assureur en vertu d'une assurance à caractereindemnitaire est limitee au prejudice subi par l'assure.

3. D'autre part, aux termes de l'article 1165 du Code civil, lesconventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes. Elles nenuisent point au tiers et elles ne lui profitent que dans le cas prevu àl'article 1121.

L'article 1122 du Code civil dispose qu'on est cense avoir stipule poursoi et ses heritiers et ayants cause, à moins que le contraire ne soitexprime ou ne resulte de la nature de la convention.

4. Il s'ensuit, conformement à la jurisprudence de la Cour, qu'en regle,l'assurance contre le peril d'incendie souscrite en nom personnel par lecoproprietaire indivis du bien assure ne couvre que sa part de proprieteet ne beneficie pas aux autres coproprietaires, sauf s'il resulte del'assurance que le preneur a agi pour leur compte (Cass., 4 fevrier 2013,C.10.0120.F. ; Cass., 25 avril 2013, C.12.0114.F).

Cette jurisprudence est fondee notamment sur la definition de l'assure enassurance de dommages (article 1er, B, a), de la loi sur les assurancesterrestres), sur l'article 1165 du Code civil posant le principe del'effet relatif des contrats et sur le principe indemnitaire limitant laprestation de l'assureur au prejudice subi par l'assure.

5. En outre, le contrat d'assurance et ses modifications (sous reserve del'aveu ou du serment) doivent, en vertu de l'article 10 de la loi du 25juin 1992 (et de l'article 64 de la loi du 4 avril 2014 relative auxassurances, qui l'a remplace), etre constates par ecrit.

Des considerations d'equite ne sauraient deroger à ces dispositionslegales.

6. Il n'etait pas conteste, et l'arret le constate d'ailleurs,

- que, selon les termes de la police, la defenderesse n'etait ni lesouscripteur de la police, ni son beneficiaire, meme si elle etaitcoproprietaire de l'immeuble ;

- que la defenderesse et monsieur J. etaient maries en regime deseparation de biens ;

- qu'au moment de l'incendie, la defenderesse ne vivait plus sous le memetoit que monsieur J. et qu'elle ne beneficiait par consequent pas del'article 2 de l'arrete royal du 24 decembre 1992 vise au moyen, quiconfere la qualite d'assures aux personnes qui vivent sous le meme toitque l'assure.

7. Des lors, en allouant à la defenderesse la moitie de l'indemnited'assurance en sa qualite de coproprietaire de l'immeuble incendie, alorsqu'elle n'avait pas souscrit la police couvrant ce bien en incendie,qu'elle n'en etait pas la beneficiaire et que cette police n'avait pas etesouscrite pour son compte, l'arret meconnait la notion d'assure au sens del'article 1er, B, a), de la loi du 25 juin 1992 visee au moyen, la notionde beneficiaire au sens de l'article 1er, C, de la meme loi et, partant,viole ces dispositions.

Ayant constate que la police d'assurance litigieuse ne mentionnait pas ladefenderesse en qualite d'assuree ou de beneficiaire de l'assurance maislui conferant neanmoins cette qualite, l'arret viole l'article 10, S:S:1er et 2, de la loi du 25 juin 1992 visee au moyen et, en tant que debesoin, l'article 64 de la loi du 10 avril 2014 relative aux assurances,qui l'a remplace.

En outre, en decidant que la defenderesse devait beneficier de l'indemnited'assurance alors qu'elle n'en etait ni le souscripteur ni lebeneficiaire, et en etendant ainsi le benefice de la police à un tiers aucontrat, l'arret viole les articles 1121, 1122 et 1165 du Code civil et 39de la loi du 25 juin 1992 visee au moyen et le principe indemnitaire quece dernier consacre et, en tant que de besoin, l'article 93 de la loi du4 avril 2014 relative aux assurances, remplac,ant ledit article 39.

8. Enfin, l'article 2 de l'arrete royal du 24 decembre 1992 vise au moyen,qui confere la qualite d'assures aux personnes qui vivent sous le memetoit, ne saurait s'appliquer à la defenderesse puisque la cour d'appel aconstate qu'au moment du sinistre, la defenderesse ne vivait plus sous lememe toit que monsieur J. Dans la mesure ou il se fonderait sur leditarticle 2 pour reconnaitre la qualite d'assuree à la defenderesse,l'arret violerait cette disposition.

Seconde branche

9. Aux termes de l'article 1165 du Code civil, les conventions n'ontd'effet qu'entre les parties contractantes. Elles ne nuisent point autiers et ne lui profite, à moins que les parties aientconventionnellement prevu le contraire dans le cadre d'une stipulationpour autrui conforme à l'article 1121 du Code civil.

L'article 1122 du Code civil dispose qu'on est cense avoir stipule poursoi et pour ses heritiers et ayants cause, à moins que le contraire nesoit exprime ou ne resulte de la nature de la convention.

Il resulte de ces dispositions que l'assurance pour compte doit resulterde l'assurance elle-meme et non de considerations extrinseques à celle-ci(voy. à ce propos, Cass., 25 avril 2013, R.G. C.12.0114.F).

10. Par ailleurs, l'article 1416 du Code civil, auquel l'arret se referepour considerer que l'assurance litigieuse avait ete souscrite pour comptede la defenderesse, ne vise que la gestion du patrimoine commun d'epouxmaries sous le regime legal, et non les epoux maries en separation debiens, ce qui, comme le constate expressement l'arret, etait le cas de ladefenderesse et de son mari.

Le fait que, par ailleurs, ceux-ci avaient achete un bien en indivisionn'a pu avoir pour effet de modifier leur regime matrimonial.

11. En se fondant sur un element extrinseque à la police, à savoir leregime matrimonial des parties, pour considerer que monsieur J. avaitsouscrit cette police pour le compte de celle-ci, l'arret viole lesarticle 1165, 1121 et 1122 du Code civil.

Ce faisant, il viole egalement l'article 10 de la loi du 25 juin 1992visee au moyen (et, en tant que de besoin, l'article 64 de la loi du 4avril 2014 relative aux assurances, qui l'a remplace) en se fondant, pouren apprecier la portee, sur des elements extrinseques au contrat, alorsqu'en vertu dudit article 10, le contrat d'assurance et ses modificationsdoivent etre constates par ecrit.

Enfin, en considerant qu'en vertu de l'article 1416 du Code civil,monsieur J. avait souscrit l'assurance pour le compte de la defenderesseegalement, alors que l'article 1416 ne s'applique pas aux epoux maries enseparation de biens, l'arret viole egalement ledit article 1416.

III. La decision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par la defenderesse et deduitedu defaut d'interet :

La defenderesse fait valoir que la decision de l'arret, critiquee par lemoyen, que la defenderesse, etant proprietaire pour moitie de l'immeublesinistre, a droit à la moitie de l'indemnite d'assurance est legalementjustifiee par le motif de droit, qu'elle propose de substituer aux motifsde droit critiques par le moyen, en chacune de ses branches, qu'en vertude l'article 2 de l'arrete royal du 24 decembre 1992 reglementantl'assurance contre l'incendie et d'autres perils, en ce qui concerne lesrisques simples, elle a la qualite d'assuree des lors qu'à la date deconclusion du contrat d'assurance par son defunt mari, elle occupaitl'immeuble couvert par ce contrat et qu'aucune modification n'a eteapportee au contrat apres la separation des epoux.

Si, en vertu de l'article 2 precite, les personnes vivant au foyer dupreneur d'assurance doivent etre considerees comme assurees, elles perdentcette qualite lorsqu'elles cessent de cohabiter avec le preneurd'assurance.

Des lors que l'arret, qui constate qu'au moment du sinistre, les epoux« ne partageaient plus la vie commune », ne contient aucune constatationrelative au sort reserve au contrat d'assurance à la suite de cetteseparation, la fin de non-recevoir, qui obligerait la Cour à proceder àun examen des faits pour lequel elle est sans pouvoir, ne peut etreaccueillie.

Sur le fondement du moyen :

Quant à la seconde branche :

L'article 1416 du Code civil dispose que le patrimoine commun est gere parl'un ou l'autre epoux, qui peut exercer seul les pouvoirs de gestion, àcharge pour chacun de respecter les actes de gestion accomplis par sonconjoint.

Cette disposition legale, qui determine les pouvoirs de gestion dupatrimoine commun par des epoux maries selon le regime legal, estetrangere à la gestion d'un bien indivis par un des epoux maries sous leregime de la separation de biens.

L'arret constate que la defenderesse et monsieur J. « etaient maries sousle regime de la separation de biens et vivaient ensemble avec leursenfants dans l'immeuble litigieux, leur propriete indivise, lorsque lapolice a ete souscrite », et qu'au moment du sinistre, les epoux « nepartageaient plus la vie commune ».

Il considere que « la souscription d'une police incendie releve des actesde gestion du patrimoine pour lesquels chacun des epoux a un pouvoirconcurrent de sorte que la police, si elle parait avoir ete souscrite parle seul C. J., l'a ete pour le compte des epoux (article 1416 du Codecivil) », que, « dans son arret du 18 fevrier 2003, la Cour decassation a dit qu'en vertu de l'article 1416 du Code civil, le patrimoinecommun est gere par l'un ou l'autre des epoux, qui peut exercer seul lespouvoirs de gestion, à charge pour chacun de respecter les actes degestion accomplis par son conjoint, de sorte que, tant que le regime legaln'est pas dissous de l'une des manieres prevues par l'article 1427 du Codecivil, l'epoux qui intervient dans une instance en son nom propre,intervient aussi comme administrateur du patrimoine commun », et que,« mutatis mutandis, il en est de meme pour une police d'assurancesouscrite par l'un des deux epoux pour proteger un immeuble dont il estproprietaire avec son epouse et qui constitue le logement familial ».

L'arret, qui, sur la base de ces considerations, decide que, « etantproprietaire pour moitie de l'immeuble sinistre, [la defenderesse] a droità la moitie de l'indemnite d'assurance », viole l'article 1416 precite.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Et il n'y a pas lieu d'examiner la premiere branche du moyen, qui nesaurait entrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque en tant qu'il condamne la demanderesse à payer lasomme de 135.606,61 euros à la defenderesse et statue sur les depensentre ces parties ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, le conseiller DidierBatsele, le president de section Martine Regout, les conseillers MireilleDelange et Michel Lemal, et prononce en audience publique du vingt-troismai deux mille seize par le president de section Albert Fettweis, enpresence de l'avocat general delegue Michel Palumbo, avec l'assistance dugreffier Lutgarde Body.

+--------------------------------------+
| L. Body | M. Lemal | M. Delange |
|-----------+------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
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23 MAI 2016 C.15.0440.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0440.F
Date de la décision : 23/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-05-23;c.15.0440.f ?
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