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06/06/2016 | BELGIQUE | N°S.15.0067.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 juin 2016, S.15.0067.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

* N° S.15.0067.F

* CARREFOUR BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi àEvere, avenue des Olympiades, 20,

* demanderesse en cassation,

* représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il estfait élection de domicile,









* contre

C.V.,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le

cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11,où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la cour

Le pourvoi en cassation est ...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

* N° S.15.0067.F

* CARREFOUR BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi àEvere, avenue des Olympiades, 20,

* demanderesse en cassation,

* représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il estfait élection de domicile,

* contre

C.V.,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11,où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2015par la cour du travail de Liège.

Le 18 mai 2016, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé desconclusions au greffe.

Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgénéral Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 33, 35, 36, 144, alinéa 1^er, et 149 de la Constitution ;

- articles 19 et 578, 1°, du Code judiciaire ;

- article 1134 du Code civil ;

- article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt déclare l'appel de la demanderesse non fondé, sauf en ce [que lejugement entrepris] a conféré un caractère provisionnel au montant del'indemnité compensatoire de préavis, et condamne la demanderesse à payerà la défenderesse la somme de 30.284,85 euros aux motifs suivants :

« 2. L'application du principe de proportionnalité par la jurisprudence

2.1. La jurisprudence de la Cour de cassation, exprimée à de trèsnombreuses reprises et adoptée par les juridictions de fond, définit ences termes la faute grave constitutive d'un motif grave de rupture :`il suffit que le comportement du travailleur constitue une faute d'unegravité telle qu'elle empêche immédiatement et définitivement lacontinuation des relations professionnelles […]' ;

2.2. Il faut donc que soit établie l'existence d'un fait fautif nonseulement grave, mais dont la gravité intrinsèque est, compte tenu descirconstances de la cause, de nature à altérer immédiatement etdéfinitivement la confiance réciproque des parties, indispensable àl'exécution des relations professionnelles ;

L'atteinte aux relations de confiance entre les parties constitue lecritère essentiel de l'appréciation de la gravité de la faute ; [...]

Il s'ensuit que `toute faute ayant causé une perte radicale et définitivede la confiance de l'employeur en son travailleur et rendant impossiblela poursuite de toute collaboration professionnelle entre les deux partiesjustifie en soi le congé pour motif grave, indépendamment du préjudiceéventuel causé à l'entreprise par le manquement du travailleur' ;

2.3. En effet, toute faute, même d'une certaine gravité, ne peut êtreautomatiquement érigée en motif grave justifiant la rupture immédiate ducontrat de travail sans préavis ni indemnité. Seules les fautes dont lagravité est telle qu'elles ont pour effet de rendre immédiatement etdéfinitivement impossible toute poursuite de la relation contractuelleautorisent l'application de la sanction suprême que constitue la privationd'emploi sans que puisse être presté le préavis légal ou que soit payéel'indemnité en tenant lieu ;

Cette conception s'appuie sur un courant doctrinal et jurisprudentiel ence sens, de même que sur un avis du Conseil national du travail du 28janvier 1978 [...] ;

2.4. La jurisprudence apprécie l'existence du lien de causalité entre lagravité de la faute et l'impossibilité de la collaborationprofessionnelle qui doit en découler par la perte de confiance quel'intensité de la faute commise engendre dans le chef de l'autre partie.Ainsi la cour du travail de Bruxelles, faisant application du principe deproportionnalité, soulignait-elle que la gravité de la faute doit avoir`une incidence à ce point décisive sur les relations entre les partiesqu'elle ne puisse déboucher que sur une rupture instantanée etirréversible des relations préexistantes' [...] ;

2.5. Le professeur Vannes, qui cite à titre d'exemple l'arrêt commentéci-dessus [...], est d'avis qu'il existe une hiérarchie des fautes graves: `Il existe, en effet, des fautes graves qui rendent immédiatement etdéfinitivement impossible toute relation de travail et des fautes gravesqui ne rendent pas immédiatement et définitivement impossible la relationde travail' ; [...]

2.6. Ce même auteur ajoute : `Cette sanction doit rester exceptionnelle.Ainsi que le relève la doctrine et la jurisprudence, avant d'infligerune sanction aussi grave que celle du congé immédiat sans indemnité nipréavis, l'employeur doit agir avec modération et pondération, sansprécipitation ni réaction excessive' ; […]

3. La notion de motif grave appliquée au secteur de la distribution

3.1. Les juridictions du travail font en général preuve d'une plus granderigueur dans ce secteur confronté il est vrai à un important phénomène devol pouvant être imputé, du moins pour partie, au personnel occupé dansles grandes surfaces de distribution au sein desquelles un contrôlepermanent en tous lieux des faits et gestes du personnel est impossible,le placement de caméras de surveillance étant étroitement réglementé pardes conventions collectives ;

3.2. Force est toutefois de constater que la jurisprudence reste diviséesur l'application du principe de proportionnalité dans ce contexte ;

3.2.1. Une partie de celle-ci, que [la demanderesse] qualifie quant à ellede majoritaire, considère qu'en présence de faits de vol ou dedétournement d'avantages destinés à la clientèle, soit il n'y a toutsimplement pas lieu de recourir à ce principe au vu du caractèreintrinsèquement grave de pareil comportement, soit - à supposer mêmequ'il puisse y être recouru - son application ne peut en aucun casconduire à dénaturer la notion légale de motif grave ;

3.2.1.1. Parmi la nombreuse jurisprudence invoquée par la [demanderesse],on peut relever [...] ;

La cour [du travail de Bruxelles] fait là application du contrôle deproportionnalité dont elle considère qu'il doit avoir nécessairement lieuentre la faute et la sanction par le juge chargé d'apprécier le motifgrave, tout en précisant que le juge ne peut s'écarter à cette occasiondes trois critères du motif grave visés par l'article 35 en sorte que lerecours à ce critère d'appréciation ne peut le conduire à décider qu'unefaute grave qui serait de nature à rendre impossible la poursuite de larelation de travail par la perte de confiance qu'elle entraîne dans lechef de l'employeur ne peut être admise comme motif grave parce qu'elleentraîne des conséquences trop lourdes pour le travailleur ;

Cet arrêt est d'avis qu'inclure des éléments étrangers à la relationcontractuelle entre les parties en prenant en considération des facteurssur lesquels l'employeur n'a pas d'emprise [...] est de nature à induireune insécurité juridique et une inégalité entre les justiciables alorsque l'intensité de la faute grave n'est pas influencée par le préjudicequi découle pour le travailleur des conséquences du licenciement ;

3.2.2. Une autre partie de la jurisprudence met davantage l'accent surl'équilibre qu'il convient de respecter par l'appréciation d'un rapportd'adéquation raisonnable entre la faute et la sanction ;

3.2.2.1. Ainsi [...] : `Est posée la question si un contrôle deproportionnalité doit être effectué entre la gravité de la faute et lasanction la plus grave que constitue le renvoi sur l'heure sans préavisni indemnité. Il doit y avoir assurément adéquation entre la faute et lasanction. Le contrôle effectué par le juge doit cependant uniquementconsister à vérifier si la gravité des faits empêche réellementl'employeur d'occuper le travailleur même durant le délai de préavis etdonc si le rapport de confiance est définitivement ébranlé au point derendre impossible la poursuite, même temporaire, des relations detravail. Le juge vérifie donc si la sanction est raisonnable eu égard auxfaits qui la justifient et entraîne une telle conséquence conformément àce que prévoit l'article 35 de la loi' ;

[…] L'apparente hétérogénéité des décisions commentées ci-dessus tient enréalité au fait que le pouvoir d'appréciation du juge est en cette matièresouverain, sans pour autant bien entendu qu'il puisse en user en violantla notion légale de motif grave telle qu'elle est interprétée par la Courde cassation. Le fil conducteur en a été tracé plus haut : il faut quesoit établie une faute d'une gravité telle qu'elle empêche immédiatementet définitivement la continuation des relations professionnelles ;

3.2.4. La motivation équilibrée dont sont représentatifs les deux derniersarrêts cités ci-dessus permet d'éviter un double écueil : d'une part,celui d'un certain laxisme que comporterait pour d'aucuns le contrôle deproportionnalité ; d'autre part, celui d'une excessive sévérité, en cequ'elle aboutit à s'écarter de la constatation à poser in concreto del'impossibilité immédiate et définitive de toute collaborationprofessionnelle qu'a exprimée le législateur dans l'article 35 de la loidu 3 juillet 1978, en érigeant en motif grave des faits dont le degré degravité est sans proportion raisonnable avec celle de la sanction ;

4. L'application de ce principe de proportionnalité aux faits de la cause

Comme l'ont relevé les premiers juges, [la défenderesse] a assurémentcommis une faute grave, en raison des faits dont elle a spontanémentadmis l'existence lors de son audition, dès lors qu'il est légitime pourun employeur d'exiger de ses travailleurs une parfaite honnêteté, quelleque soit la valeur du détournement qu'elle a opéré à son profitd'avantages destinés à la clientèle ;

Il doit toutefois être admis que ce seul écart commis en vingt-deuxannées de service - alors qu'un an et demi auparavant [la demanderesse]lui adressait, à l'occasion de sa vingtième année de présence en sonsein, une lettre […] par laquelle [elle] la félicitait pour sacollaboration sans cesse dévouée durant ces nombreuses années, sonattachement à l'entreprise et sa conscience professionnelle, qui luivalaient l'entière estime de la direction et de ses collègues - nejustifie pas que cette faute isolée soit considérée comme à ce pointgrave qu'elle entraînerait la rupture irrémédiable de la confiance devantêtre placée en elle en sorte que toute poursuite de la relationprofessionnelle en fût devenue immédiatement et définitivementimpossible ;

La faute grave reprochée à [la défenderesse] dans ce contexte propre auxcirconstances de la cause ne se trouve pas dans un rapport raisonnable deproportionnalité avec la sanction que constitue la perte de son emploisans préavis ni indemnité ;

Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a octroyé uneindemnité compensatoire de préavis à [la défenderesse) ».

Griefs

Première branche

L'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travaildispose que chacune des parties peut résilier le contrat de travail sanspréavis ou avant l'expiration du terme pour un motif grave laissé àl'appréciation du juge et sans préjudice de tous dommages-intérêts s'il ya lieu. Est considérée comme constituant un motif grave, toute faute gravequi rend immédiatement et définitivement impossible toute collaborationprofessionnelle entre l'employeur et le travailleur.

Il résulte de cette disposition légale qu'en appréciant le caractère demotif grave de la faute reprochée à la partie licenciée, le juge doitapprécier, mais ne peut apprécier que, s'il s'agit d'une faute grave quirend immédiatement et définitivement impossible toute collaborationprofessionnelle entre l'employeur et le travailleur. En effet, lors del'appréciation de l'existence d'un motif grave, le juge ne peut s'écarterdes critères du motif grave visés à l'article 35 de la loi du 3 juillet1978.

Dans ses conclusions, la demanderesse a fait valoir que la jurisprudencemajoritaire rejette la théorie de la proportionnalité, l'article 35 de laloi du 3 juillet 1978 ne prévoyant aucune exigence de proportionnalitéentre la faute commise par le travailleur et la sanction infligée parl'employeur, et que, si une certaine jurisprudence minoritaire admet leprincipe de proportionnalité, elle refuse de l'appliquer lorsqu'elle estconfrontée à des faits d'une telle gravité qu'ils empêchent la poursuitede toute relation contractuelle.

Énonçant que la défenderesse a assurément commis une faute grave, l'arrêtconfirme cependant le jugement entrepris en ce qu'il a octroyé uneindemnité compensatoire de préavis à la défenderesse pour le motif que lafaute grave reprochée à la défenderesse ne se trouve pas dans un rapportraisonnable de proportionnalité avec la sanction que constitue la pertede son emploi sans préavis ni indemnité. L'arrêt relève que la cour dutravail applique ainsi le principe de proportionnalité aux faits de lacause, cette cour ayant considéré que ce principe permet d'éviter uneexcessive sévérité, en ce qu'elle aboutit à s'écarter de la constatation àposer de l'impossibilité immédiate et définitive de toute collaborationprofessionnelle qu'a exprimée le législateur, en érigeant en motif gravedes faits dont le degré de gravité est sans proportion raisonnable aveccelle de la sanction.

L'arrêt ne décide pas légalement d'octroyer une indemnité compensatoirede préavis à la défenderesse. En effet, selon l'article 35 de la loi du 3juillet 1978, le licenciement sans préavis ni indemnité est justifié dèsque la partie licenciée a commis une faute grave qui rend immédiatementet définitivement impossible toute collaboration professionnelle entrel'employeur et le travailleur. L'intensité de la faute grave n'étant pasinfluencée par le préjudice qui découle pour le travailleur desconséquences du licenciement, l'arrêt ajoute une condition à l'article 35de la loi relative aux contrats de travail en octroyant une indemnité depréavis à la défenderesse au motif que la faute grave reprochée àcelle-ci ne se trouve pas dans un rapport raisonnable de proportionnalitéavec la sanction que constitue la perte de son emploi sans préavis niindemnité (violation de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail). En dépouillant pour ces motifs la demanderessede son droit de licencier la défenderesse sans préavis ni indemnité sansqu'il établisse que la demanderesse en a abusé, l'arrêt viole lesarticles 1134 du Code civil et 35 de la loi du 3 juillet 1978 relativeaux contrats de travail. Dans la mesure où l'arrêt doit être lu en ce sensqu'il vise à éviter l'excessive sévérité résultant de l'article 35 de laloi du 3 juillet 1978, l'arrêt se substitue au législateur, à qui ilappartient de déterminer les conséquences juridiques des fautes gravesqui rendent immédiatement et définitivement impossible toute collaborationprofessionnelle entre l'employeur et le travailleur (violation desarticles 33, 35, 36 et 144, alinéa 1^er, de la Constitution, 19, 578, 1°,du Code judiciaire et 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail).

Deuxième branche

D'une part, se référant à la jurisprudence de la Cour de cassation,l'arrêt énonce qu'il suffit que le comportement du travailleur constitueune faute d'une gravité telle qu'elle empêche immédiatement etdéfinitivement la continuation des relations professionnelles et décideque l'atteinte aux relations de confiance entre les parties constitue lecritère essentiel de l'appréciation de la gravité de la faute. De même,l'arrêt énonce que, selon la jurisprudence [de la cour du travail], lerecours au critère d'appréciation ne peut conduire le juge à déciderqu'une faute grave qui serait de nature à rendre impossible la poursuitede la relation de travail par la perte de confiance qu'elle entraîne dansle chef de l'employeur ne peut être admise comme motif grave parcequ'elle entraîne des conséquences trop lourdes pour le travailleur.

D'autre part, se référant à la jurisprudence [de la cour du travail],l'arrêt énonce également qu'il faut éviter un double accueil : celui d'uncertain laxisme et celui d'une excessive sévérité en s'écartant duconstat à poser de l'impossibilité immédiate et définitive de toutecollaboration professionnelle.

Il résulte du rapprochement de ces motifs une ambiguïté telle qu'ilssont susceptibles de différentes interprétations parmi lesquellesl'interprétation selon laquelle l'arrêt considère que la faute gravecommise par la défenderesse n'est pas à ce point grave qu'elleentraînerait la rupture irrémédiable de la confiance en la défenderesse,pour le motif que la cour du travail a estimé que la sanction queconstitue la perte de son emploi sans préavis ni indemnité n'est pasraisonnable. Or, dans ce cas, l'arrêt n'est pas légalement justifié,comme il a été exposé dans la première branche du moyen.

Le dispositif de l'arrêt étant donc fondé sur des motifs qui sontsusceptibles de différentes interprétations et n'étant pas légalementjustifié dans au moins une de ces interprétations, l'arrêt n'est pasrégulièrement motivé et viole donc l'article 149 de la Constitution.

Troisième branche

Dans ses conclusions, la demanderesse a fait valoir que le règlement detravail prohibe et sanctionne le comportement de la défenderesse, que ladéfenderesse connaissait parfaitement le caractère prohibé de soncomportement, que son comportement frauduleux a persisté plusieurs mois etqu'une caissière qui ne suit pas les instructions de son employeur serend aussi coupable d'une insubordination constituant une faute gravejustifiant son licenciement sans préavis ni indemnité.

L'arrêt ne répond pas à ces moyens régulièrement proposés par lademanderesse. L'arrêt n'est donc pas régulièrement motivé (violation del'article 149 de la Constitution). En outre, il ne résulte pas de l'arrêtque la cour du travail a pris ces éléments en considération en décidantque la faute commise par la défenderesse et considérée par la cour dutravail comme grave ne peut pas être considérée comme à ce point gravequ'elle entraînerait la rupture irrémédiable de la confiance devant êtreplacée en la défenderesse en sorte que toute poursuite de la relationprofessionnelle en serait devenue immédiatement et définitivementimpossible. L'arrêt ne permet donc pas à la Cour de contrôler si la courdu travail a pris en considération tous les éléments pertinents de lacause pour l'évaluation d'un motif grave permettant le licenciement de ladéfenderesse sans préavis ni indemnité (violation des articles 149 de laConstitution et 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats detravail).

III. La décision de la Cour

VII. 

Quant à la première branche :

L'article 35, alinéa 1^er, de la loi du 3 juillet 1978 relative auxcontrats de travail dispose que chacune des parties peut résilier lecontrat sans préavis ou avant l'expiration du terme pour un motif gravelaissé à l'appréciation du juge et sans préjudice de tousdommages-intérêts s'il y a lieu.

Est, aux termes du deuxième alinéa de cet article, considérée commeconstituant un motif grave, toute faute grave qui rend immédiatement etdéfinitivement impossible toute collaboration professionnelle entrel'employeur et le travailleur.

Pourvu qu'il ne méconnaisse pas la notion légale de motif grave, le jugeapprécie souverainement la gravité de la faute et son incidence sur lapossibilité de poursuivre la relation professionnelle.

Il peut, à la condition de ne pas modifier les critères que la loi donnede cette notion, avoir égard à tous éléments de nature à fonder sonappréciation.

L'arrêt constate que la demanderesse « fait grief [à la défenderesse]d'avoir […] détourné à son profit des `points bonus' de clients à l'aidede la carte de dépannage, qu'elle a transférés sur sa `carte bonus'personnelle […] jusqu'à hauteur d'une somme totale de cinquante-cinqeuros ».

Il relève que, « tout en ne contestant pas la matérialité des faits […],[la défenderesse] invoque […] le principe de proportionnalité pourconsidérer que la sanction qui lui a été infligée […], par la perte de sonemploi sans préavis ni indemnité, alors qu'elle justifiait à la date de larupture d'une ancienneté de presque vingt-deux ans de serviceirréprochable, est disproportionnée par rapport à la faute qu'elle a […]admis avoir commise », tandis que la demanderesse « souligne que la […]proportionnalité […] ne peut en aucun cas conduire à dénaturer la notionlégale de motif grave ».

Après avoir admis que la défenderesse « a assurément commis une fautegrave », l'arrêt considère « que ce seul écart commis en vingt-deux ans deservice - alors qu'un an et demi auparavant, [la demanderesse] luiadressait, à l'occasion de sa vingtième année de présence en son sein, unelettre par laquelle [elle] la félicitait pour sa collaboration sans cessedévouée durant ces nombreuses années, son attachement à l'entreprise et saconscience professionnelle, qui lui valaient l'entière estime de ladirection et de ses collègues - ne justifiait pas que cette faute isoléefût considérée comme à ce point grave qu'elle entraînât la ruptureimmédiate de la confiance devant être placée en elle en sorte que toutepoursuite de la relation professionnelle en fût devenue immédiatement etdéfinitivement impossible » et que « la faute reprochée à l'intéresséedans ce contexte propre aux circonstances de la cause ne se trouve pasdans un rapport raisonnable de proportionnalité avec la sanction queconstitue la perte de son emploi sans préavis ni indemnité ».

En liant l'appréciation de la possibilité de poursuivre les relationsprofessionnelles malgré la faute grave commise par la défenderesse, quiconstitue le critère légal de la notion de motif grave, au critère, quilui est étranger, de la disproportion entre cette faute et la perte de sonemploi, l'arrêt viole l'article 35, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

* Par ces motifs,

* La Cour

* Casse l'arrêt attaqué ;

* Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtcassé ;

* Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;

* Renvoie la cause devant la cour du travail de Mons.

* Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles,où siégeaient le président de section Christian Storck, lesconseillers Koen Mestdagh, Mireille Delange, Antoine Lievens et Ericde Formanoir, et prononcé en audience publique du six juin deux milleseize par le président de section Christian Storck, en présence del'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffierFabienne Gobert.

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| F. Gobert | E. de Formanoir | A. Lievens |
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| M. Delange | K. Mestdagh | Chr. Storck |
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6 juin 2016 s.15.0067.f/12


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.15.0067.F
Date de la décision : 06/06/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-06-06;s.15.0067.f ?
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