La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/06/2017 | BELGIQUE | N°C.13.0151.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 juin 2017, C.13.0151.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

* N° C.13.0151.F

* CENTRE HOSPITALIER DE …, association sans but lucratif,

* demanderesse en cassation,

* représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine,11, où il est fait élection de domicile,









* contre











B. E.,

défendeur en cassation,

* représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation,dont

le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où ilest fait élection de domicile.











I. La procédure devant la Cour

* Le pourvoi en cassation est dirigé contre ...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

* N° C.13.0151.F

* CENTRE HOSPITALIER DE …, association sans but lucratif,

* demanderesse en cassation,

* représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine,11, où il est fait élection de domicile,

* contre

B. E.,

défendeur en cassation,

* représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où ilest fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

* Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 26 octobre2012 par la cour d'appel de Mons.

Le 1^er juin 2017, l'avocat général Thierry Werquin a déposé desconclusions au greffe.

Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgénéral Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

* La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

Articles 1142, 1147, 1149, 1151 et 1184 du Code civil

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt approuve le premier juge d'avoir « prononcé la résolutionjudiciaire de la convention liant les parties en application de l'article1184 du Code civil, avec effet rétroactif au 1^er février 2012 (lire :2010) », et décide que « le montant de l'indemnité revenant [au défendeur]à titre de dommage matériel s'élève à 238.767,78 euros ».

Cette décision s'appuie sur les motifs que :

« En vertu des articles 137, alinéa 1^er, 7°, et 138 de la loi relativeaux hôpitaux et à d'autres établissements de soins, coordonnée [...] le 10juillet 2008, le gestionnaire de l'établissement de soins est tenu dedemander l'avis du conseil médical sur la révocation des médecinshospitaliers, sauf révocation pour motif grave ;

Il s'agit ainsi d'associer le conseil médical, représentant l'ensemble desmédecins hospitaliers, à des décisions pouvant affecter la bonne marche del'hôpital ou encore l'optimalisation des soins médicaux dispensés aupatient ;

Ces dispositions sont impératives en faveur des médecins hospitaliers etleur violation entraîne la nullité relative de la révocation intervenue[...] ;

En l'espèce, il est constant que l'avis du conseil médical n'a pas étésollicité préalablement à la notification [au défendeur] du préavis derupture de son contrat de collaboration avec [la demanderesse] ;

Cette irrégularité avait d'ailleurs déjà été dénoncée par la lettre duconseil [du défendeur] du 29 janvier 2010 et constatée par le conseilmédical dans sa lettre du 5 février 2010 [...] ;

En raison de cette irrégularité, le congé donné par [la demanderesse]était nul et de nul effet et le contrat n'a pas pris fin [...] ;

Par conséquent, la brusque rupture de la relation contractuelle desparties par [la demanderesse] le 28 janvier 2010, dans des conditionsillégales, et le fait d'avoir `libéré' [le défendeur] de ses activités ausein de l'institution hospitalière de … et … dès le 1^er février 2010constituent des manquements graves qui justifient la résolution judiciairede la convention aux torts [de la demanderesse] […] ;

Par lettre du 9 février 2010, il a été proposé [au défendeur] depoursuivre ses activités mais uniquement sur le site de …, sur lequel ilprestait déjà deux jours une semaine sur sept, ce qu'il a refusé auxmotifs que l'activité de médecin intensiviste sur ce site était fortdifférente de celle qu'il pratiquait sur le site de … et que le contrat neprévoyait pas de déplacement d'un site à l'autre sans l'accord du médecinconcerné ;

Dès lors, comme l'a relevé le premier juge, [la demanderesse] a violé sesobligations contractuelles en [ne] permettant plus [au défendeur]d'exercer ses activités au sein du site de … et en refusant de leréintégrer dans ses anciennes fonctions et, dans un second temps, enmodifiant unilatéralement les modalités d'exécution de son contrat ;

[...] À l'instar des critères retenus pour le calcul du délai de préavisdes employés, il convient d'avoir égard à la possibilité pour l'intéresséde retrouver rapidement un emploi adéquat et équivalent, compte tenu deson ancienneté, de son âge, de sa fonction, de sa rémunération, selon leséléments propres à la cause [...] ;

Vu l'ancienneté et l'âge [du défendeur], sa fonction de médecinspécialiste au sein du service des soins intensifs et sa rémunération, ilse justifie de fixer à dix-huit mois la durée du délai de préavis ;

Il convient [...] de s'en référer, comme le premier juge, au montant deshonoraires perçus par [le défendeur] durant l'année civile 2009, soit159.178,52 euros ».

L'arrêt décide ensuite, sous le titre « Dommage résultant de l'absence deconsultation et d'avis du conseil médical », qu'« il convient d'indemniserce dommage distinct du dommage moral et de l'évaluer ex aequo et bono à lasomme de 15.000 euros à défaut pour [le défendeur] de fournir des élémentschiffrés en ce qui concerne sa situation actuelle », et condamne lademanderesse à payer cette somme au défendeur, « majorée des intérêts autaux légal à dater du 28 janvier 2010 jusqu'au parfait paiement, à titrede dommages et intérêts pour absence de consultation et d'avis du conseilmédical ».

Cette décision s'appuie sur les motifs que :

« Pour ce poste, [le défendeur] revendique le paiement d'une indemnité de45.000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte d'une chance depouvoir poursuivre sa carrière en assumant les fonctions qui étaient lessiennes jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans ou, à tout le moins, deretrouver, dans de bonnes conditions, une autre institution prête àl'accueillir ;

Le premier juge a refusé d'allouer cette indemnisation, liée à l'absencede consultation du conseil médical, au motif que [le défendeur] nejustifiait pas d'un dommage distinct de son dommage moral ;

[Le défendeur] fait cependant valoir à juste titre qu'en ne sollicitantpas l'avis du conseil médical, [la demanderesse] a dénié le recours à uneprocédure de concertation et de médiation souvent utile ;

En effet, cette procédure aurait pu déboucher sur une réintégration [dudéfendeur] dans ses fonctions antérieures, lui permettant ainsi depoursuivre ses activités médicales durant plusieurs années encore [...] ;

De la sorte, [le défendeur] a perdu la chance d'une issue plus favorablede sa situation par la faute [de la demanderesse] ;

Cette faute est une condition sine qua non de la perte de chance ».

Griefs

En vertu des articles 1142, 1147 et 1184 du Code civil, le débiteur quin'exécute pas une obligation de faire ou de ne pas faire peut êtrecondamné à des dommages-intérêts. Selon l'article 1149 de ce code, cesdommages-intérêts couvrent la perte que le créancier a faite et le gaindont il a été privé. L'article 1151 du même code précise que lesdommages-intérêts ne doivent comprendre, à l'égard de la perte éprouvéepar le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suiteimmédiate et directe de l'inexécution de la convention.

Il suit de ces dispositions que la partie qui rompt fautivement uneconvention synallagmatique à prestations successives est uniquement tenuede réparer le dommage réellement subi par son cocontractant. Il incombe àce dernier d'établir l'existence d'un lien de causalité certain entre lafaute et le dommage dont il poursuit la réparation.

Le juge peut accorder une réparation pour la perte d'une chance réelled'obtenir un avantage ou d'éviter un préjudice s'il décide que la perte decette chance est imputable à une faute, laquelle doit être la conditiosine qua non de la perte de cette chance. Il ne peut, en revanche, cumulerl'indemnisation du dommage réellement subi par suite d'une inexécutioncontractuelle fautive et la réparation de la perte d'une chance de ne passubir ce dommage.

Après avoir considéré que la demanderesse a commis une faute « en nesollicitant pas l'avis du conseil médical » préalablement à la rupture dela convention qui la liait au défendeur, contournant ainsi « uneprocédure de concertation et de médiation » impérative qui « aurait pudéboucher sur une réintégration [du défendeur] dans ses fonctionsantérieures, lui permettant ainsi de poursuivre ses activités médicalesdurant plusieurs années encore », et octroyé de ce chef au défendeur uneindemnité compensatoire de préavis, l'arrêt retient que cette faute, quirend la rupture du contrat irrégulière et se trouve en lien causal certainavec le préjudice effectif qu'il répare, a également entraîné pour ledéfendeur la perte d'une « chance d'une issue plus favorable de sasituation », justifiant l'allocation distincte d'une indemnité « évalu[ée]ex aequo et bono à la somme de 15.000 euros ».

Ce faisant, l'arrêt méconnaît la notion légale de dommage réparable, dèslors qu'il condamne l'auteur de la faute à réparer à la fois le dommageréellement subi et la perte d'une chance de ne pas le subir, allouantainsi davantage que la réparation intégrale de celui-ci (violation detoutes les dispositions visées au moyen).

III. La décision de la Cour

En vertu des articles 1142, 1147, 1149, 1151 et 1184 du Code civil, lapartie qui rompt fautivement un contrat synallagmatique n'est tenue enversl'autre partie qu'à la réparation du dommage que celle-ci a réellementsubi.

Le juge qui constate que la faute d'une partie justifie la résolutionjudiciaire du contrat et qui accorde à l'autre partie la réparation dudommage consistant en la privation du profit qu'elle escomptait ne peutallouer en outre à celle-ci la réparation du dommage consistant en laperte de la chance de ne pas subir cette privation.

L'arrêt constate que la demanderesse, qui n'invoquait pas de motif grave,a, au mépris des articles 137, alinéa 1^er, 7°, et 138 de la loi sur leshôpitaux et autres établissements de soins, coordonnée le 10 juillet 2008,révoqué le défendeur sans avoir recueilli préalablement l'avis du conseilmédical et considère qu'« en raison de cette irrégularité, le congé étaitnul et de nul effet et le contrat n'a pas pris fin » et que, « parconséquent, la brusque rupture de la relation contractuelle […], dans desconditions illégales, et le fait d'avoir `libéré' [le défendeur] de sesactivités au sein de l'institution hospitalière […] constituent desmanquements graves qui justifient la résolution de la convention aux tortsde [la demanderesse] » au même titre que le refus « de le réintégrer dansses anciennes fonctions » sinon « en modifiant unilatéralement lesmodalités d'exécution de son contrat ».

« Vu l'ancienneté et l'âge [du défendeur], sa fonction de médecinspécialiste au […] service des soins intensifs et sa rémunération »,l'arrêt fixe « à dix-huit mois la durée du délai de préavis » et à268.767,78 euros « le montant de l'indemnité [lui] revenant à titre dedommage matériel ».

L'arrêt n'a dès lors pu, sans violer les dispositions légales précitées,accorder en outre au défendeur, à titre de « dommage résultant del'absence de consultation et d'avis du conseil médical », une indemnité dequinze mille euros « pour perte d'une chance de pouvoir poursuivre sacarrière en assumant les fonctions qui étaient les siennes jusqu'à l'âgede soixante-cinq ans ou, à tout le moins, de retrouver, dans de bonnesconditions, une autre institution prête à l'accueillir ».

Le moyen est fondé.

* Par ces motifs,

* La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne la demanderesse à payer audéfendeur la somme de quinze mille euros en principal « à titre dedommages-intérêts pour absence de consultation et d'avis du conseilmédical » et qu'il statue sur les dépens ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtpartiellement cassé ;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Christian Storck, le conseiller DidierBatselé, les présidents de section Albert Fettweis et Martine Regout et leconseiller Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt-deuxjuin deux mille dix-sept par le président de section Christian Storck, enprésence de l'avocat général Michel Nolet de Brauwere, avec l'assistancedu greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Regout |
|------------------------+-----------------------+-----------------------|
| A. Fettweis | D. Batselé | Chr. Storck |
+------------------------------------------------------------------------+

22 JUIN 2017 C.13.0151.F/2


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.13.0151.F
Date de la décision : 22/06/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 22/09/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-06-22;c.13.0151.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award