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20/12/2017 | BELGIQUE | N°P.17.1232.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 20 décembre 2017, P.17.1232.F


N° P.17.1232.F
A. T.
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège, dont les bureaux sont établis à Liège, Mont Saint Martin 22, où il est fait élection de domicile,

contre

ETAT BELGE, représenté par le secrétaire d'Etat à l'Asile et la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, chaussée d'Anvers, 59B,
défendeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Gautier Matray et Sophie Matray, avocats au barreau de Liège.



I. LA PRO

CÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 novembre 2017 par la cour d'app...

N° P.17.1232.F
A. T.
étranger, privé de liberté,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Dominique Andrien, avocat au barreau de Liège, dont les bureaux sont établis à Liège, Mont Saint Martin 22, où il est fait élection de domicile,

contre

ETAT BELGE, représenté par le secrétaire d'Etat à l'Asile et la migration, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, chaussée d'Anvers, 59B,
défendeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Gautier Matray et Sophie Matray, avocats au barreau de Liège.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 28 novembre 2017 par la cour d'appel de Liège, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Françoise Roggen a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

Sur la demande de question préjudicielle :

Le demandeur sollicite de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question suivante : « Les articles 6 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, ainsi que l'article 15 de la directive retour 2008/115, lu en combinaison avec ses considérants 4 et 6, sont-ils compatibles avec une législation, tel l'article 7 de la loi du 15 décembre 1980, qui ne contient pas de critères clairs, précis et prévisibles aux fins de l'appréciation du risque de fuite, de la diligence requise en vue de procéder à l'éloignement et de la possibilité d'éloignement dans un délai raisonnable ? »

En vertu de l'article 5.4 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

Le droit du demandeur à ce qu'il soit statué à bref délai sur la légalité de sa privation de liberté, garanti par la disposition de la Convention précitée, serait violé en l'espèce si une question préjudicielle était posée à la Cour de justice de l'Union européenne, même si cette cour statue selon la procédure préjudicielle d'urgence.

La demande doit, dès lors, être rejetée.

Sur le premier moyen :

Le demandeur soutient, sur la base des troisième et quatrième considérants de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, que le législateur national doit définir, dans une loi, les critères objectifs permettant de justifier les raisons de craindre la fuite d'un étranger en situation irrégulière.

Il a fait valoir que dès lors que l'article 7 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, qui transpose l'article 15 de cette directive, est à cet égard muet et que l'article 1,11°, de cette même loi, qui définit le risque de fuite, est trop imprécis, sa rétention initiale, est, à défaut de prévisibilité de la norme applicable en droit belge, irrégulière.

Le demandeur soutient ensuite que les notions légales de poursuite avec toute la diligence requise des démarches entreprises en vue de l'éloignement de l'étranger et de possibilité d'éloignement effectif dans un délai raisonnable qui sont visées à l'article 7, alinéa 5, de la loi du 15 décembre 1980 manquent de clarté, de sorte que la décision de prolongation de sa rétention est également illégale.

En ce qu'il revient à critiquer les dispositions de la loi du 15 décembre 1980 dont il a été fait application, le moyen, étranger à la décision attaquée, est irrecevable.

Par ailleurs, la légalité d'une disposition telle que celle critiquée par le moyen et dont les juges d'appel ont fait application requiert qu'elle soit suffisamment accessible et que, lue seule ou en combinaison avec d'autres dispositions, elle permette de déterminer les hypothèses dans lesquelles un étranger peut être privé de liberté, de sorte que sa portée soit raisonnablement prévisible.

Dès lors, l'exigence de clarté et de prévisibilité contenue dans les articles 5 de la Convention et 52.1 de la Charte ne s'oppose pas à ce que la loi attribue un pouvoir d'appréciation au juge. Il faut en effet tenir compte du caractère de généralité de la loi, de la diversité des situations auxquelles elle s'applique et de l'évolution des comportements qu'elle embrasse.

L'article 1, 11°, de la loi du 15 décembre 1980, issu de la loi du 19 janvier 2012, définit comme suit le risque de fuite : « Le fait qu'un ressortissant d'un pays tiers faisant l'objet d'une procédure d'éloignement présente un risque actuel et réel de se soustraire aux autorités. Pour ce faire, le ministre ou son délégué se base sur des éléments objectifs et sérieux. »

L'exposé des motifs de la loi du 19 janvier 2012 reprend à titre exemplatif dix critères permettant de justifier ce risque parmi lesquels une entrée illégale et un maintien sur le territoire sans tenter de régulariser sa situation.

Dès lors, l'arrêt justifie légalement sa décision selon laquelle il n'y a pas lieu de remettre en cause la prévisibilité de la loi du 15 décembre 1980.

Enfin, en relevant pour examiner le risque de fuite visé dans la décision de rétention du demandeur, que celle-ci fait état du fait qu'il n'a pas de résidence connue ou fixe sur le territoire belge, que lorsqu'il a été contrôlé en séjour illégal le 22 août 2017, il n'était pas en possession d'un passeport ou d'un visa valables et qu'il ne s'est pas présenté devant les autorités belges pour signaler sa présence, les juges d'appel ont procédé au contrôle de légalité du titre qui leur était soumis, conformément aux articles 71 et 72 de la loi du 15 décembre 1980, 5 de la Convention, et 6 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Le demandeur soutient encore que l'arrêt viole la foi due à sa requête de mise en liberté, en considérant que la demande de question préjudicielle qu'il présentait ne portait pas sur l'interprétation ou la validité du droit de l'Union mais sur l'interprétation des règles du droit national de sorte que la transposition de la directive 2008/115/CE en droit belge, rendait la question sans pertinence.

Après avoir répondu au demandeur par la considération précitée, les juges d'appel ont toutefois examiné l'objet de la question posée avant de la rejeter au motif qu'une juridiction n'est pas tenue de saisir la Cour de justice de l'Union européenne lorsque, comme en l'espèce, une jurisprudence bien établie existe déjà ou que l'interprétation correcte de la règle de droit en cause ne laisse place à aucun doute raisonnable.

Dans cette mesure, le moyen manque en fait.

Par ailleurs, pris de la violation de l'article 6 du Code judiciaire, le moyen critique la considération de la cour d'appel selon laquelle la question préjudicielle soulevée fait l'objet d'une jurisprudence abondante, approvisionnée notamment par elle, de nombreuses décisions ayant été rendues dans le cadre du contrôle du respect de l'article 7 de la loi du 15 décembre 1980.

Le demandeur soutient en substance que les juges d'appel auraient dû préciser le contenu de cette jurisprudence.

Par la considération qui précède, les juges d'appel n'ont pas statué en la cause par voie de disposition générale ou règlementaire mais ont explicité la raison pour laquelle la question préjudicielle soulevée était dénuée de pertinence.

Leur réponse n'appelait pas d'autres développements, le juge n'ayant pas à donner les motifs de ses motifs.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Sur le second moyen :

Le demandeur soutient que la cour d'appel s'est soustraite au contrôle de légalité visé à l'article 72 de la loi du 15 décembre 1980 en ne vérifiant pas son exacte nationalité.

Il considère que cette vérification, sur la base d'éléments concrets, s'imposait dans la mesure où, entendu après son arrestation, il a fait état d'une nationalité érythréenne qui a été prise en considération et que la rétention reste cependant justifiée par son éloignement vers le Soudan.

Il allègue que les juges d'appel, en se référant au caractère complet et régulier des informations contenues dans le dossier administratif et à l'absence de violation de ses droits de défense, laissent la question de la régularité de son rapatriement vers le Soudan sans réponse satisfaisante, tandis qu'il n'a pu contredire les éléments qui auraient permis de déterminer sa nationalité.

En vue de l'exercice, par les juridictions d'instruction, de leurs attributions en application de la loi du 15 décembre 1980, le législateur n'a pas établi un mode particulier de preuve. Dès lors, l'admissibilité de celle-ci et sa valeur probante sont abandonnées à la libre appréciation du juge.

L'arrêt constate que le demandeur n'a pas précisé in concreto quelles sont les informations manquantes, selon lui, dans les pièces versées au dossier administratif.

Il relève ensuite que le rapport d'entretien téléphonique du 30 août 2017 et le courrier du 1er septembre 2017 identifient clairement le requérant, dont son numéro de sûreté publique, mentionnent les destinataires, à savoir le consul et l'ambassade du Soudan à Bruxelles, et précisent sans ambiguïté la demande, qui consiste en la délivrance d'un document de voyage en faveur de l'intéressé.


Dans la mesure où il critique l'appréciation en fait des juges d'appel quant au caractère complet et fiable des informations contenues dans le dossier administratif, le moyen exige la vérification d'éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir, et est, partant, irrecevable.

En tant qu'il allègue que les juges d'appel se sont soustraits au contrôle de légalité visé à l'article 72 de la loi du 15 décembre 1980, le moyen procède d'une lecture incomplète de l'arrêt et manque en fait.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quarante-sept euros nonante et un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, conseiller faisant fonction de président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt décembre deux mille dix-sept par Benoît Dejemeppe, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.

T. Fenaux F. Lugentz T. Konsek
E. de Formanoir F. Roggen B. Dejemeppe


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.17.1232.F
Date de la décision : 20/12/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-12-20;p.17.1232.f ?

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