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11/03/2024 | BELGIQUE | N°C.21.0200.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 mars 2024, C.21.0200.F


N° C.21.0200.F
1. R. L., et
2. H. L.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par la ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 2, et par le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, chargé de la Loterie nationale, adjoint à la ministre de l’Intérieur, des R

éformes institutionnelles et du Renouveau démocratique, dont le cabinet est établi à Bruxelles, ...

N° C.21.0200.F
1. R. L., et
2. H. L.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par la ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 2, et par le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, chargé de la Loterie nationale, adjoint à la ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 251/10, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 11 septembre 2020 par la cour d’appel de Liège.
Le 13 février 2024, l’avocat général Hugo Mormont a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 13 février 2024, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général Hugo Mormont a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent un moyen.

III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de l'article 144 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux.
L’autorité administrative qui prend une décision en vertu de son pouvoir discrétionnaire dispose d’une liberté d’appréciation qui lui permet, dans les limites de la loi, de déterminer elle-même les modalités d’exercice de sa compétence et de choisir la solution qui lui paraît la plus adéquate.
Les juridictions judiciaires sont compétentes pour prévenir ou réparer toute atteinte portée fautivement à un droit subjectif par l’autorité administrative dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
Cette compétence est déterminée par l’objet réel et direct de la contestation.
Suivant l'article 39/1, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, le conseil du contentieux des étrangers est une juridiction administrative, seule compétente pour connaître des recours introduits contre les décisions individuelles prises en application des lois sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
Aux termes de l’article 39/2, § 2, de cette loi, le conseil statue en annulation, par voie d'arrêts, sur les autres recours pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir.
Ces dispositions de la loi du 15 décembre 1980 ne dérogent pas au pouvoir de juridiction, que les juridictions judiciaires puisent dans l’article 144 de la Constitution, sur les contestations relatives aux droits subjectifs civils, telles que celles portant sur l’indemnisation, sur la base de l’article 1382 de l’ancien Code civil, des conséquences dommageables des fautes commises par l’État.
En vertu de l’article 159 de la Constitution, les juridictions contentieuses ont le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et la légalité externe de tout acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception.
Tel est le cas du juge judiciaire saisi d’une action destinée à prévenir ou réparer une atteinte portée fautivement par l’autorité administrative, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à un droit subjectif civil, quand bien même l’autorité aurait-elle agi en application de la loi du 15 décembre 1980.
L'arrêt attaqué constate que les demandeurs se sont vu refuser une autorisation de séjour sur la base, en 2013, de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 et, en 2017, de l’article 9bis de cette loi, et ont formé contre ces refus des recours toujours pendants devant le conseil du contentieux des étrangers.
En conclusions, les demandeurs demandaient d’interdire au défendeur de les expulser, en réparation du « dommage subi » à cause des décisions de 2013 et 2017 dont ils soutenaient que, si l’article 9bis de la loi du 15 décembre 1980 confère au défendeur « une compétence discrétionnaire », elles résultaient d’ « une erreur [d’appréciation] engageant la responsabilité civile [du défendeur] sur la base des articles 1382 et suivants [de l’ancien] Code civil », dès lors que, compte tenu de documents médicaux attestant la gravité de l’état de santé du demandeur, son expulsion du territoire « aurait pour conséquence de lui infliger, ainsi qu’à [la demanderesse, son épouse], un traitement inhumain et dégradant », partant, porterait atteinte à leur droit à la protection contre de tels traitements, résultant de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Ils demandaient ainsi, sur la base de l’article 1382 de l’ancien Code civil, la réparation en nature du dommage causé par une atteinte qu’ils prétendaient fautivement portée par le défendeur, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, au droit subjectif civil garanti par l’article 3 de la Convention.
La contestation avait donc pour objet réel et direct les droits subjectifs civils conférés par ces dispositions aux demandeurs.
En se déclarant sans pouvoir de juridiction pour interdire au défendeur d’expulser les demandeurs au motif qu’une telle interdiction « aurait pour conséquence de suspendre voire d’annuler les ordres de quitter le territoire qui leur ont été notifiés et qui n’ont fait l’objet d’aucun recours ou qui ont fait l’objet de recours qui ont été rejetés », l’arrêt attaqué viole les dispositions légales précitées.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant à la seconde branche :
La faute de l'autorité administrative, pouvant sur la base de l’article 1382 de l’ancien Code civil engager sa responsabilité, consiste en un comportement qui, ou bien s'analyse en une erreur de conduite devant être appréciée suivant le critère de l'autorité normalement soigneuse et prudente, placée dans les mêmes conditions, ou bien, sous réserve d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification, viole une norme de droit national ou d'un traité international ayant des effets dans l'ordre juridique interne, imposant à cette autorité de s'abstenir ou d'agir d'une manière déterminée.
L’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants, impose à l’autorité de s'abstenir ou d'agir d'une manière déterminée.
La méconnaissance par l’autorité de ce droit subjectif civil constitue par conséquent, sous réserve d’une cause de justification, une faute au sens de
l’article 1382 de l’ancien Code civil.
L’arrêt attaqué constate que les demandeurs se sont vu refuser l’autorisation de séjour qu’ils avaient demandée sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 en invoquant un risque réel de traitement inhumain ou dégradant. Les demandeurs demandaient à la cour d’appel, en réparation du dommage causé par ce refus qu’ils prétendaient fautif, d’interdire au défendeur de les expulser et soutenaient que l’expulsion porterait atteinte à leur droit civil résultant de l’article 3 de la Convention dès lors qu’elle les exposerait à des traitements inhumains ou dégradants compte tenu de l’état de santé du demandeur.
L’arrêt attaqué, qui, pour décider que le refus de l’autorisation de séjour n’est pas fautif, se borne à considérer que le défendeur n’a pas commis d’ « erreur d’appréciation manifeste » du risque de traitements inhumains ou dégradants allégué par les demandeurs, sans vérifier ni que ce refus n’exposerait pas les demandeurs à un tel traitement ni qu’il existerait une cause de justification, viole l’article 1382 de l’ancien Code civil.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Et la cassation partielle de l’arrêt du 11 septembre 2020 entraîne l’annulation de l’arrêt du 8 janvier 2021, qui en est la suite.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il déclare la cour d’appel sans pouvoir de juridiction pour interdire au défendeur d’expulser les demandeurs et qu’il statue sur la responsabilité du défendeur ;
Annule l’arrêt du 8 janvier 2021 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé et de l’arrêt annulé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Marielle Moris et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du onze mars deux mille vingt-quatre par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.21.0200.F
Date de la décision : 11/03/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-03-11;c.21.0200.f ?

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