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11/03/2024 | BELGIQUE | N°C.22.0492.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 mars 2024, C.22.0492.F


N° C.22.0492.F
ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard Pachéco, 44,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 251/10, où il est fait élection de domicile,
contre
S. W.,
défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 27 juin 2022 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 20 fév

rier 2024, l’avocat général Hugo Mormont a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 20 février...

N° C.22.0492.F
ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard Pachéco, 44,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 251/10, où il est fait élection de domicile,
contre
S. W.,
défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 27 juin 2022 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 20 février 2024, l’avocat général Hugo Mormont a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 20 février 2024, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général Hugo Mormont a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.

III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la troisième branche :
En vertu de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, ces actes doivent faire l’objet d’une motivation formelle et, suivant l’article 3 de la même loi, l’administration doit indiquer les considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision et la motivation doit être adéquate.
Une motivation adéquate doit permettre au destinataire de connaître les motifs de la décision le concernant. Pareille adéquation dépend de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
Il appartient au juge du fond d’apprécier en fait si la motivation de la décision est adéquate. Ce faisant, il ne peut toutefois violer la notion légale d’obligation de motivation incombant aux autorités.
L’arrêt constate que le demandeur refuse au défendeur un visa pour faire des études, au motif que ce dernier « n’a pas produit d’éléments suffisants permettant à l’autorité administrative de s’assurer que son séjour en Belgique à des fins d’études ne présente pas un caractère abusif ; [qu’] en effet, au vu du questionnaire complété par ses soins lors du dépôt de sa demande, il appert que les réponses fournies contiennent des imprécisions, des manquements, voire des contradictions telles qu’elles démontrent que [le défendeur] n’a pas recherché les informations concernant les études envisagées avec tout le sérieux requis par un étudiant étranger décidant d’entreprendre la démarche coûteuse d’études en Europe et résolu à s’impliquer dans un projet d’études sérieux ; [qu’] en tant que telles, ces réponses constituent un faisceau suffisant de preuves mettant en doute le bien-fondé de la demande et le but du séjour sollicité » et énonce que, pour satisfaire aux articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991, « il suffit que la décision fasse apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de son auteur afin de permettre au destinataire de comprendre les justifications de cette décision [et] les contester dans le cadre d’un recours, et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle [de légalité, c’est-à-dire de] vérifier si l’autorité n’a pas tenu pour établis des faits qui ne ressortent pas du dossier administratif et si elle a donné desdits faits, dans la motivation tant matérielle que formelle de sa décision, une interprétation qui ne procède pas d’une erreur manifeste d’appréciation [et que] le refus de visa de longue durée pour études doit reposer sur une motivation qui répond aux arguments invoqués par l’intéressé pour justifier son intention réelle d’accomplir des études en Belgique ».
En considérant que « la décision litigieuse est manifestement stéréotypée en ce qu’elle ne précise nullement ni les réponses [du défendeur] jugées imprécises et à quelles questions ni les contradictions que l’autorité [lui] impute », et que « ce défaut de motivation adéquate […] ne permet ni [au défendeur] ni aux juridictions de s’assurer que la demande de visa litigieuse a été traitée avec sérieux et refusée pour des motifs légalement admissibles », l’arrêt n’exige pas que les motifs de la décision litigieuse répondent à tous les arguments invoqués par le défendeur et indiquent toutes ses réponses jugées imprécises, et décide légalement que la motivation de la décision de refus de visa litigieuse est « manifestement inadéquate ».
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la première et à la deuxième branche :
En vertu de l'article 144 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux ; aux termes de l'article 145, les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi.
L’article 584 du Code judiciaire dispose que le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l'urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.
L’autorité administrative qui prend une décision en vertu de son pouvoir discrétionnaire dispose d’une liberté d’appréciation qui lui permet, dans les limites de la loi, de déterminer elle-même les modalités d’exercice de sa compétence et de choisir la solution qui lui paraît la plus adéquate.
Les juridictions judiciaires sont compétentes pour prévenir ou réparer toute atteinte illicite portée à un droit subjectif par l’autorité administrative dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
Cette compétence est aussi reconnue au juge des référés, dans les limites prévues par la loi.
Elle est déterminée par l’objet réel et direct de la contestation.
Suivant l'article 39/1, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, le conseil du contentieux des étrangers est une juridiction administrative, seule compétente pour connaître des recours introduits contre les décisions individuelles prises en application des lois sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
Aux termes de l’article 39/2, § 2, de cette loi, le conseil statue en annulation, par voie d'arrêts, sur les autres recours pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir.
L'article 39/82, § 1er, alinéa 1er, dispose que, lorsqu'un acte d'une autorité administrative est susceptible d'annulation en vertu de l'article 39/2, le conseil est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution.
Le paragraphe 2, alinéa 1er, précise que la suspension de l'exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l'annulation de l'acte contesté sont invoqués et à la condition que l'exécution immédiate de l'acte risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Aux termes de l'article 39/84, alinéa 1er, lorsque le conseil est saisi d'une demande de suspension d'un acte conformément à l'article 39/82, il est seul compétent, au provisoire et dans les conditions prévues à l'article 39/82, § 2, alinéa 1er, pour ordonner toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, à l'exception des mesures qui ont trait à des droits civils.
L'article 63, alinéa 2, de la même loi prévoit que les décisions administratives prises en application des articles 3, 7, 11, 19 du titre II, chapitre II, et des articles 74/11 et 74/14 du titre IIIquater ne sont pas susceptibles d'une demande en référé sur la base de l'article 584 du Code judiciaire.
Ces dispositions de la loi du 15 décembre 1980, qui confèrent au conseil du contentieux des étrangers le pouvoir d'ordonner, dans le cadre d'un référé administratif et dans les conditions prévues à l'article 39/82, § 2, alinéa 1er, la suspension de l'exécution des décisions individuelles qu'il a le pouvoir d'annuler et, au provisoire, toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, ne dérogent pas au pouvoir de juridiction, que les juridictions judiciaires puisent dans
les articles 144 et 145 de la Constitution, sur les contestations relatives aux droits subjectifs civils et, sauf les exceptions établies par la loi, politiques.
En vertu de l’article 159 de la Constitution, les juridictions contentieuses ont le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et la légalité externe de tout acte administratif sur lequel est fondée une demande, une défense ou une exception.
Tel est le cas du juge judiciaire saisi d’une action destinée à prévenir ou réparer une atteinte portée fautivement par l’autorité administrative, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à un droit subjectif, quand bien même l’autorité aurait-elle agi en application de la loi du 15 décembre 1980.
L'arrêt constate que le défendeur, qui s’est vu refuser le visa demandé pour faire des études et a formé contre ce refus un recours en suspension et en annulation toujours pendant devant le conseil du contentieux des étrangers, demandait aux juridictions judiciaires statuant en référé d’enjoindre au demandeur de prendre une nouvelle décision sur sa demande de visa ; il énonce que, à première vue, la compétence de délivrer les visas pour études conférée au demandeur par l’article 58 de la loi du 15 décembre 1980, dans la version applicable au litige, n’est pas complètement liée et que ni le droit fondamental à l’éducation et à l’instruction dont bénéficie le défendeur en vertu de l’article 14 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ni d’autres droits fondamentaux et dispositions ne lui confèrent un droit subjectif au visa et au séjour pour études.
Il considère toutefois que, à première vue, dès lors que l’ « obligation de motivation adéquate » résultant des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 garantit « le respect du droit fondamental à l’éducation prévu par l’article 14 de la Charte », le défaut de motivation adéquate du refus du visa, constaté par les motifs vainement critiqués par la troisième branche du moyen, porte atteinte à ce droit fondamental du défendeur, partant, que le refus du visa est illégal.
Par ces énonciations, l’arrêt décide légalement que « l’ ‘objet véritable’ [de la demande du défendeur] est d’obtenir la protection de ce droit à l’instruction lésé ».
Il considère par ailleurs que, à première vue, « selon [l’] attestation [d’admission aux études obtenue en janvier 2021, le défendeur] devait être arrivé sur le territoire avant le 1er octobre 2021 pour pouvoir justifier de l’accomplissement des formalités requises par l’établissement scolaire ; [que] le refus [du visa] lui a été notifié le 6 juillet 2021, [qu’] il y avait donc nécessairement urgence à lui permettre de contester ce refus ; [que] le recours en suspension d’extrême urgence devant le conseil du contentieux des étrangers [ne lui] était pas accessible [et qu’] il ne ressort d’aucune décision produite par [le demandeur] que [le défendeur], qui conteste cette possibilité, aurait pu obtenir du conseil du contentieux des étrangers une décision éventuelle d’annulation pour illégalité manifeste dans un délai qui lui aurait permis d’entrer sur le territoire [en temps utile] ».
Par ces énonciations, l’arrêt reconnaît légalement l’urgence requise par l’article 584 du Code judiciaire.
Il expose que le juge des référés, « tenu par l’article 159 de la Constitution de refuser de donner effet au refus du visa illégal », « est compétent pour, après avoir écarté un refus manifestement illégal, donner injonction [au demandeur] de prendre une nouvelle décision adéquatement motivée, c’est-à-dire qui justifierait de l’exercice effectif et non arbitraire [...] de sa compétence d’appréciation, afin de sauvegarder le droit civil fondamental à l’instruction reconnu [au défendeur] ».
Par l’ensemble de ces énonciations, l’arrêt décide légalement, sans ni violer les dispositions légales précitées ni méconnaître le principe général du droit de la séparation des pouvoirs, d’enjoindre au demandeur de procéder à une nouvelle appréciation de la demande de visa du défendeur.
Dans cette mesure, le moyen, en ces branches, ne peut être accueilli.
Dans la mesure où il critique le motif, surabondant, relatif à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le moyen, qui, en sa première branche, ne saurait entraîner la cassation, est irrecevable à défaut d’intérêt.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de sept cent septante-six euros cinquante-trois centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin, Marielle Moris et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du onze mars deux mille vingt-quatre par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.22.0492.F
Date de la décision : 11/03/2024
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-03-11;c.22.0492.f ?

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