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29/03/2024 | BELGIQUE | N°C.23.0253.F-C.23.0262.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 mars 2024, C.23.0253.F-C.23.0262.F


N° C.23.0253.F
J. D.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
1. E. M., agissant en nom personnel et en qualité d’administrateur légal de la personne et des biens de sa fille G. K.,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
2. N. V. B., avocat, agi

ssant en qualité de liquidateur de l’association sans but lucratif Centre hospitalier F. R...

N° C.23.0253.F
J. D.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
contre
1. E. M., agissant en nom personnel et en qualité d’administrateur légal de la personne et des biens de sa fille G. K.,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
2. N. V. B., avocat, agissant en qualité de liquidateur de l’association sans but lucratif Centre hospitalier F. R.,
défendeurs en cassation.
N° C.23.0262.F
N. V. B., avocat, agissant en qualité de liquidateur de l’association sans but lucratif Centre hospitalier F. R.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
1. E. M., agissant en nom personnel et en qualité d’administrateur légal de la personne et des biens de sa fille G. K.,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
2. J. D.,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Les pourvois en cassation sont dirigés contre l’arrêt rendu le 8 novembre 2022 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
À l’appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0253.F, le demandeur présente un moyen dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
À l’appui du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0262.F, le demandeur présente un moyen dans la requête en cassation jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme.
III. La décision de la Cour
Les pourvois sont dirigés contre le même arrêt ; il y a lieu de les joindre.
Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0253.F :
Sur le moyen :
La perte d’une chance est un dommage spécifique qui consiste en la perte certaine d’un avantage probable.
Cet avantage peut consister soit en l’obtention d’un avantage qui aurait pu être obtenu mais ne l’a pas été, soit en l’évitement d’un désavantage qui aurait pu être évité mais ne l’a pas été.
Ce dommage donne lieu à réparation lorsqu’il existe un lien de causalité entre la faute et la perte de chance.
L’arrêt attaqué constate que, « le ... 1991, à dix heures quarante-cinq minutes, [la défenderesse] a été admise à la clinique [dont le défendeur est le liquidateur], pour l’accouchement de son premier enfant », qu’« elle a été prise en charge par [un médecin], stagiaire en début de deuxième année en gynécologie, qui assurait le service de garde sous la supervision du [demandeur], gynécologue de garde, appelable à son domicile », que, « vers minuit ou minuit trente, [ledit stagiaire] a appelé le [demandeur] pour lui demander de venir à l’hôpital », qu’« à une heure six minutes, le [demandeur] a effectué une tentative d’extraction à la ventouse qui a échoué et qu’il a alors été décidé de faire appel à l’anesthésiste pour pratiquer une césarienne », et que la fille de la défenderesse « est née à deux heures douze minutes avec un diagnostic d’asphyxie néonatale et d’inhalation méconiale, à l’origine de graves séquelles neurologiques ».
Il considère que le demandeur « savait que, si la tentative d’extraction par ventouse échouait, il n’aurait pas d’autre alternative que la césarienne et qu’aucun anesthésiste n’était de garde à l’hôpital », qu’« il savait également que le travail avait été de son propre aveu ‘clairement’ dystocique depuis le début, que la dilatation était restée lente malgré le traitement instauré, qu’il y avait une suspicion que la tête de l’enfant soit bloquée dans le détroit supérieur depuis vingt-trois heures, que les tentatives de poussée effectuées à dilatation complète par [ledit stagiaire] vers vingt-trois heures cinquante minutes avaient échoué et que les tracés étaient depuis lors intermédiaires », que, « compte tenu de ces circonstances, le [demandeur] ne pouvait prendre le risque d’attendre les résultats de la tentative de ventouse avant d’appeler l’anesthésiste et aurait dû veiller à ce qu’il soit présent afin qu’il puisse faire directement une césarienne si l’extraction par ventouse échouait, ce qu’il n’a pas fait », et qu’« il a ainsi adopté un comportement fautif ».
Il considère également qu’« un hôpital doit être organisé de manière à pouvoir répondre aux situations d’urgence qui se manifestent, ce qui implique que les anesthésistes de garde soient sur place afin que les interventions urgentes puissent se faire sans délai », que, « faute d’avoir organisé ce système, la césarienne n’a pu se faire dans les suites immédiates de l’échec de la ventouse » et que « c’est à juste titre que le second collège [d’experts] a retenu un défaut d’organisation dans le chef [de la clinique] ».
Il relève que l’affirmation que les « graves séquelles neurologiques [ayant] compromis [le] développement [de la fille de la défenderesse] de manière irréversible […] ne seraient pas dues à une inhalation méconiale est en contradiction totale avec le dossier médical » et que c’est bien « dans le délai qui s’était écoulé entre l’échec de la ventouse et la réalisation de la césarienne, […] à ce moment-là que le fœtus avait avalé du liquide méconial à l’origine de ses souffrances ».
Rencontrant le moyen de la clinique que, « dans la mesure où des dégâts cérébraux peuvent survenir entre 10 et 15 minutes, les chances de réaliser une césarienne avant que les dégâts ne surviennent étaient nulles dès lors que le temps requis pour procéder à la césarienne, une fois la décision prise, est de l’ordre de
30 minutes », l’arrêt attaqué considère « qu’il s’agit d’un délai théorique qui peut être adapté en fonction des circonstances, lesquelles justifiaient que la césarienne puisse se faire rapidement après l’échec de la ventouse, ce qui aurait été possible si un anesthésiste avait été présent » et que, « si tel avait été le cas, il peut être admis que l’enfant, dont l’extraction par césarienne a été aisée, serait né dans la demi-heure qui a suivi l’échec de la ventouse [et qu’] en raison des fautes [du demandeur et de la clinique], l’enfant est né à deux heures douze minutes ».
Il ajoute que le syndrome de l’inhalation méconiale « ne [se] serait pas produit tel qu’il s’est produit si la césarienne avait été réalisée plus rapidement » mais qu’« il est exact que le collège n’a pu dire avec certitude si une césarienne pratiquée plus tôt aurait évité le syndrome ».
Il considère que, « même s’il n’est pas démontré de manière certaine que, sans les fautes [du demandeur et de la clinique, la fille de la défenderesse] n’aurait eu aucune lésion », le second collège d’experts a souligné que « ce qui reste anormal, c’est le délai, c’est une perte de chance » et a « confirmé que ce délai anormalement long était en lien avec les préjudices de [la défenderesse et de sa fille] ».
En déduisant de ces énonciations que la fille de la défenderesse « a, en raison de ces fautes, subi un dommage qui consiste en la perte d’une chance réelle d’éviter les séquelles telles qu’elles se sont produites », l’arrêt, qui considère, sans verser dans la contradiction dénoncée par le moyen, que, sans les fautes du demandeur et de la clinique, le dommage de la fille de la demanderesse consistant en la perte de chance d’éviter les lésions qui sont survenues ne se serait pas produit tel qu’il s’est produit, justifie légalement sa décision de condamner le demandeur et la clinique à indemniser la défenderesse et sa fille jusqu’à concurrence de la chance perdue qu’il évalue, dans les circonstances de la cause, à 50 p.c.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0262.F :
Sur le moyen :
Pour les motifs donnés en réponse au moyen invoqué dans le cadre du pourvoi inscrit au rôle général sous le numéro C.23.0253.F, l’arrêt attaqué, qui ne décharge pour le surplus pas la défenderesse de la charge de prouver l’existence d’un lien causal entre la faute et le dommage, justifie légalement sa décision de condamner l’association sans but lucratif dont le demandeur est le liquidateur à réparer le dommage de la défenderesse et de sa fille.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Joint les pourvois inscrits au rôle général sous les numéros C.23.0253.F et C.23.0262.F ;
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux dépens de son pourvoi.
Les dépens taxés dans la cause C.23.0253.F à la somme de cinq cent quarante-deux euros quarante-neuf centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Les dépens taxés dans la cause C.23.0262.F à la somme de quatre cent quatre-vingt-sept euros cinquante-huit centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt-quatre euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Ariane Jacquemin et Simon Claisse, et prononcé en audience publique du vingt-neuf mars deux mille vingt-quatre par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.23.0253.F-C.23.0262.F
Date de la décision : 29/03/2024
Type d'affaire : Droit civil

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2024-03-29;c.23.0253.f.c.23.0262.f ?

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