La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/09/1988 | CEDH | N°11379/85

CEDH | C. contre la FRANCE


SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11379/85 présentée par C. contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 8 septembre 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir

Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS ...

SUR LA RECEVABILITE de la requête No 11379/85 présentée par C. contre l'Italie __________ La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en chambre du conseil le 8 septembre 1988 en présence de MM. C.A. NØRGAARD, Président G. SPERDUTI E. BUSUTTIL G. JÖRUNDSSON A.S. GÖZÜBÜYÜK A. WEITZEL J.C. SOYER G. BATLINER H. VANDENBERGHE Mme G.H. THUNE Sir Basil HALL MM. F. MARTINEZ C.L. ROZAKIS Mme J. LIDDY M. J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ; Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; Vu la requête introduite le 27 décembre 1984 par C. contre l'Italie et enregistrée le 4 janvier 1985 sous le No de dossier 11379/85 ; Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de la Commission ; Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le 12 mars 1986 et les observations en réponse présentées par le requérant le 29 avril 1986 ; Vu les observations complémentaires présentées par le Gouvernement défendeur les 4 mai et 9 juin 1987, ainsi que les observations complémentaires présentées par le requérant les 26 avril, 16 mai et 2 septembre 1987 ; Vu les documents produits par le Gouvernement défendeur les 17 novembre 1987, 19 janvier et 10 février 1988, ainsi que les documents et les commentaires du requérant parvenus les 11 avril, 29 avril et 18 mai 1988, Après avoir délibéré, Rend la décision suivante :
EN FAIT Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties à la Commission peuvent se résumer comme suit : La requérante, "Consorzio per lo Sviluppo dell'Edilizia Sociale" (CO.SV.E.S.), est une société à responsabilité limitée ayant son siège social à Reggio Calabria. Elle a été constituée le 24 novembre 1978 par onze sociétés coopératives, qui se sont groupées afin de construire des logements pour les 295 sociétaires qu'elles rassemblent. Pour la procédure devant la Commission, la société est représentée par Mme Margherita Lamonica, M. Giuseppe Mazzacuva et M. Michele Miccoli (dûment mandatés à cette fin par délibération du conseil d'admnistration du 17 décembre 1984). Par acte notarié du 21 août 1981, la société requérante acquit des terrains, d'une superficie totale de 86.410 m2, afin d'y réaliser un ensemble résidentiel d'habitations populaires équipé de services collectifs. Le 28 octobre 1983 elle présenta à cette fin au conseil municipal (Consiglio municipale) une demande d'autorisation de lotissement conventionné des terrains acquis et d'autres terrains limitrophes, dont elle envisageait l'achat. La demande fut enregistrée le 17 novembre 1983. Le 28 janvier 1984 le bureau du plan d'urbanisme communiqua au commissaire préfectoral de la commune les destinations auxquelles ledit plan avait affecté les secteurs où les terrains de la société requérante étaient sis, en précisant que les ensembles résidentiels n'étaient pas autorisés dans les zones visées dans la demande de la société requérante. Par note du 8 août 1984 l'adjoint au maire compétent pour les questions d'urbanisme communiqua à la société requérante que son projet, n'étant pas conforme aux prescriptions du plan d'urbanisme, ne pouvait être pris en considération. Entre-temps, le 25 juillet 1984 la requérante s'était adressée, sans succès, à l'administration de la "Regione Calabria" pour lui demander de se substituer au conseil municipal. Le 10 octobre 1984 elle introduisit contre le conseil municipal une plainte qui resta sans suite. Le 27 juillet 1985, la société requérante s'adressa encore à l'administration régionale. Par note du 17 décembre 1986, communiquée à la société requérante pour information, l'administration régionale communiqua au conseil municipal qu'elle considérait comme dépourvue de fondement la demande dont elle avait été saisie par la société requérante, en raison de l'incompatibilité du projet de lotissement avec le plan d'urbanisme. Le conseil municipal, auquel il revient de se prononcer sur la demande d'autorisation introduite le 28 octobre 1983, n'a, à ce jour, pas encore pris de décision.
GRIEFS Devant la Commission, la société requérante se plaint que le conseil municipal refuse d'examiner sa demande d'autorisation de lotissement, limitant ainsi l'exercice de son droit de propriété sans justification aucune. Elle allègue une violation de l'article 1er du Protocole additionnel. Elle se plaint également de ne disposer d'aucun recours pour faire constater l'atteinte à son droit au respect de ses biens et allègue de ce fait la violation des articles 6 et 13 de la Convention.
PROCEDURE La présente requête a été introduite le 27 décembre 1984 et enregistrée le 4 janvier 1985. Le 2 décembre 1985 la Commission, en application de l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement italien et de l'inviter à lui présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations le 12 mars 1986 et la société requérante y a répondu le 29 avril 1986. Le 6 mars 1987, la Commission, en application de l'article 42 par. 3 a) de son Règlement intérieur, a décidé d'inviter les parties à lui présenter par écrit des observations complémentaires sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. Le Gouvernement a présenté ses observations complémentaires les 4 mai et 9 juin 1987. La société requérante a présenté les siennes les 26 avril, 16 mai et 2 septembre 1987. Le 14 octobre 1987, se fondant sur l'article 40 par. 2 a) du Règlement intérieur de la Commission, le Rapporteur a demandé au Gouvernement de produire, notamment, copie de certains arrêts du Conseil d'Etat. Le Gouvernement a produit les documents requis les 17 novembre 1987, 19 janvier et 10 février 1988. Ceux-ci ont été communiqués à la société requérante, conformément à l'article 40 par. 2 b) du Règlement intérieur de la Commission. Les documents et commentaires de la société requérante sont parvenus au Secrétariat de la Commission les 11 avril, 29 avril et 18 mai 1988.
ARGUMENTATION DES PARTIES Sur l'existence d'une voie de recours interne et sur la violation alléguée des articles 6 et 13 de la Convention Le Gouvernement expose que face à l'inaction de l'administration compétente, la société requérante aurait pu - et pourrait encore - procéder à la mise en demeure de celle-ci. Il précise que la possibilité de mettre en demeure l'administration est subordonnée à l'existence d'une obligation, à la charge de celle-ci, de se prononcer sur la demande dont elle est saisie. En l'espèce, l'existence de l'obligation de répondre aux demandes d'autorisation de lotissement, bien qu'elle ne ressorte explicitement d'aucune disposition législative, représente depuis plus de vingt ans, suivant la doctrine et la jurisprudence administratives italiennes, un "ius receptum" comme le démontrent, notamment, les arrêts du Conseil d'Etat, Chambre V, n° 134 du 19 février 1965 ; n° 97 du 20 février 1968 ; n° 87 du 21 février 1969 ; n° 256 du 15 avril 1969 ; n° 869 du 3 novembre 1970, n° 609 du 29 août 1972 ; n° 70 du 27 janvier 1986. La mise en demeure de l'administration défaillante et le recours contre son "silence" constituent un procédé d'application générale, sans dérogations ou exceptions, comme il ressort de la jurisprudence du Conseil d'Etat (Consiglio di Stato) et notamment de son arrêt N° 10 du 10 mars 1978. Par cet arrêt, le Conseil d'Etat, siégeant toutes chambres réunies, a statué qu'à défaut d'une autre source de droit la disposition qui règlemente la matière est l'article 25 du décret présidentiel N° 3 du 10 mars 1957. La jurisprudence est depuis lors constante. En vertu de cette disposition, après 60 jours, à compter de la date d'introduction de sa demande, la société requérante aurait eu la possibilité de mettre en demeure le conseil municipal. Sans réponse de la part de cette administration dans le délai de 30 jours, la société requérante aurait pu saisir le tribunal administratif régional (Tribunale Amministrativo Regionale - TAR) et faire valoir devant celui-ci l'illégitimité du "silence-refus" (silenzio rifiuto) du conseil municipal. Le TAR aurait alors pu constater l'existence d'une obligation à charge du conseil municipal de répondre à la demande de la société requérante par l'affirmative ou par la négative. Si le conseil municipal avait persisté dans son silence même en présence d'une décision favorable à la société requérante passée en force de chose juge, la société requérante, après une nouvelle mise en demeure, aurait pu saisir d'un nouveau recours les juridictions administratives et leur demander de répondre à la place de l'administration défaillante. Par ailleurs, face à ce manquement, elle avait également la possibilité de porter plainte au pénal contre les administrateurs responsables, ainsi que de réclamer les dommages et intérêts en faisant valoir leur responsabilité civile et celle, concomittante, de l'administration. En conclusion, le requérant disposait et dispose toujours en droit interne de recours efficaces devant un tribunal conformes aux exigences des articles 6 et 13 de la Convention. Puisque ces recours n'ont pas été utilisés, la condition de l'épuisement préalable des voies de recours internes n'est pas remplie en ce qui concerne le grief soulevé sous l'angle de l'article 1 du Protocole additionnel qui doit être dès lors rejeté pour ce motif. La société requérante réplique que l'institution de la mise en demeure de l'administration ne peut pas s'appliquer en l'espèce. En effet, pour procéder à la mise en demeure, il est nécessaire qu'une obligation de pourvoir à l'adoption d'une mesure existe à la charge de l'administration. En d'autres termes, pour pouvoir mettre en demeure l'administration il faudrait, au préalable, qu'elle soit obligée de prendre une décision à l'égard de la demande qui lui est soumise. Tel n'est pas le cas en l'espèce, car les autorités compétentes en matière de lotissement conventionné - notamment le conseil municipal - jouissent d'une marge d'appréciation discrétionnaire pratiquement illimitée. En particulier, l'autorisation de lotissement reste subordonnée à la passation d'une convention entre l'administration et les particuliers intéressés, concernant, entre autres, la répartition des charges financières pour la réalisation de certaines infrastructures d'urbanisation. S'agissant d'une activité de nature contractuelle, aucune obligation de réponse n'est envisageable et aucune contrainte ne saurait s'exercer sur le conseil municipal, comme le démontre bien le fait que la loi ne lui fixe aucun délai pour se prononcer. Ainsi, face au pouvoir discrétionnaire dont l'administration dispose, les particuliers ne peuvent ni lui demander de procéder d'une manière déterminée ni déclencher un contrôle juridictionnel sur son attitude. A cet égard, les décisions mentionnées par le Gouvernement se réfèrent à des cas d'espèce régis par une législation qui, depuis l'entrée en vigueur des lois n° 10/77, 94/82 et 45/85, a été largement modifiée. En tout état de cause, la jurisprudence la plus récente démontre qu'un recours n'est pas admissible contre l'inaction de l'administration quand elle n'a pas l'obligation de répondre, comme c'est le cas en l'espèce. C'est le sens de la jurisprudence de la Chambre V du Conseil d'Etat - notamment dans ses arrêts n° 230 du 9 mars 1984, n° 330 du 21 octobre 1985 et n° 414 du 21 novembre 1985 - ainsi que la Chambre VI - notamment dans son arrêt n° 632 du 5 décembre 1985. En outre, il est certain qu'il n'y a pas de recours possible contre un acte intermédiaire et non définitif, tel que la note du 8 août 1984. Par ailleurs, à supposer même qu'il soit possible de saisir la juridiction administrative d'un recours contre l'inaction du conseil municipal, ledit recours serait inefficace, compte tenu notamment du délai nécessaire pour aboutir à une décision définitive contraignante pour l'administration. En tout cas, en raison de la marge d'appréciation dont l'administration dispose en l'espèce, il n'est pas possible d'envisager un pouvoir de substitution des juridictions administratives face à l'inexécution de leur décision. De plus, la Convention prévoit que les intéressés aient un accès direct aux juridictions pour se plaindre des mesures ou de comportements illégitimes de l'administration. Un procédé qui nécessite au préalable la mise en demeure de l'administration aboutit à imposer aux intéressés une charge supplémentaire qui n'est pas admise par la Convention. Dans ces circonstances et à supposer même qu'une voie de recours efficace existe, la société requérante estime être dispensé d'épuiser une telle voie de recours. En conclusion, la condition de l'épuisement préalable des voies de recours internes est remplie. Quant au fond, il y a violation des articles 6 par. 1 et 13 de la Convention. Sur l'application de l'article 1 du Protocole additionnel Le Gouvernement précise, dès l'abord, que la limite posée au "jus aedificandi" de la société requérante, consistant dans l'obligation d'obtenir au préalable l'autorisation de lotissement, est conforme aux dispositions constitutionnelles qui garantissent la propriété privée et l'initiative économique privée. Les limitations à l'exercice de la propriété privée ne sont admises qu'en vue d'en garantir la fonction sociale et la conformité aux objectifs d'utilité générale. De même, la liberté d'initiative économique ne peut être exercée en opposition ou au détriment de l'utilité sociale : c'est pourquoi elle est assujettie aux contrôles légaux. Ainsi, la limitation du droit de la société requérante paraît entièrement justifiée par les fins sociales que la Constitution assigne expressément à la propriété privée et à la liberté d'initiative économique. La réalisation effective des objectifs d'utilité sociale exige que l'on confie à l'autorité publique la tâche de passer au crible les demandes par lesquelles les sujets privés sollicitent l'autorisation de réaliser une opération immobilière. Cela est nécessaire, notamment, lorsqu'il s'agit d'effectuer des lotissements de la portée et de l'ampleur proposées en l'espèce, et dont l'incidence profonde sur l'aménagement urbain paraît hors de doute. A cet égard, le plan de lotissement se situe au même niveau que le plan détaillé (piano regolatore particolareggiato), instrument d'exécution du plan d'urbanisme (piano regolatore generale). C'est ainsi qu'il demande une série d'interventions administratives complexes de la part, en premier lieu, des organes de la commune et, aussi, de l'autorité régionale préposée au secteur. Quant à la période d'inaction dont la société requérante se plaint, elle ne devrait pas constituer un fait exceptionnel, compte tenu de la complexité du lotissement objet de la mesure sollicitée et de la difficulté d'établir la conformité dudit lotissement avec les principes établis par le plan d'urbanisme, principes qui, en l'espèce, ne sont pas respectés par le projet de la société requérante. En effet le projet présenté par la société requérante s'est avéré en conflit ouvert avec les dispositions du plan d'urbanisme, ce qui a été communiqué à la société requérante dès le 8 août 1984 et a été confirmé par l'administration régionale le 17 décembre 1986. La Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Sporrong et Lönroth, a affirmé de façon explicite la nécessité de réaliser un équilibre approprié entre les besoins généraux de la collectivité et les besoins individuels. Cet équilibre avait été compromis, selon la Cour, par le facteur temps, qui n'a pas une influence comparable en l'espèce. Enfin le laps de temps qui s'est écoulé depuis la saisine du conseil municipal s'explique, du moins en partie, par le fait que la société requérante s'est adressée à l'administration régionale pour qu'elle exerce ses pouvoirs de substitution, ce qui a entraîné la suspension de la procédure d'examen du projet devant le conseil municipal. Compte tenu de ce qui précède, il n'y a eu aucune ingérence illicite dans le droit de propriété de la société requérante. Le grief qu'elle soulève sous l'angle de l'article 1 du Protocole additionnel est donc dépourvu de fondement. La société requérante remarque que l'exercice du droit de propriété peut être limité pour en assurer la fonction sociale et la conformité avec l'intérêt général. Dans ce sens la nécessité d'une réglementation de l'aménagement territorial n'est pas en question et l'institution de contrôles du ressort de l'autorité publique peut ne pas être en soi contraire au droit garanti par l'article 1er du Protocole additionnel. La question se pose différemment lorsque, comme en l'espèce, la limitation du droit de propriété est maintenue sans qu'aucune raison d'intérêt général ne soit indiquée. Le Gouvernement se réfère, il est vrai, aux fins sociales que la Constitution assigne à la propriété privée et il mentionne la sauvegarde des intérêts généraux pour justifier l'activité d'orientation contrôle et limitation de l'administration. Mais, en l'espèce, rien n'a été fait par l'autorité compétente. Elle est restée depuis sa saisine dans l'inaction la plus totale, ce qui montre, au besoin, l'inexistence de raisons d'intérêt général contraire au projet de lotissement présenté. La circonstance que l'adjoint au maire compétent pour les questions d'urbanisme et l'administration régionale se soient exprimés contre le projet du lotissement est, en l'espèce, sans importance car le seul organe compétent pour se prononcer définitivement sur ce projet est le conseil municipal qui, par contre, est resté et reste muet. En outre, les avis négatifs mentionnés par le Gouvernement sont dépourvus de fondement juridique. En effet, le projet de lotissement présenté répondait bien aux fins sociales requises, s'agissant d'un projet destiné à garantir le développement urbain harmonieux d'une zone de Reggio Calabria et qui offrait une réponse appropriée au besoin d'habitations, dans une ville où le manque de logements est particulièrement aigu. Ledit projet de lotissement était également conforme aux critères techniques et aux limites imposées par les dispositions en vigueur, sans compter qu'en tout cas il aurait pu - et pourrait - être autorisé même en dérogation au plan d'urbanisme. La jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme dans l'affaire Sporrong et Lönnroth confirme que la carence de l'administration peut entraîner une violation du droit reconnu par l'article 1 du Protocole additionnel. A cet égard, peu importe la durée de l'inaction lorsque l'intérêt général fait défaut comme en l'espèce. Quant aux démarches entreprises auprès de l'administration régionale, la société requérante précise qu'on ne saurait lui reprocher d'avoir sollicité, avec les moyens dont elle disposait, l'examen de son projet. Ainsi, le silence du conseil municipal constitue une ingérence dans le "droit au respect de ses biens" qui ne peut pas être justifiée, puisqu'elle prime le droit de propriété au-delà de ce qui est admis en vue de sauvegarder l'intérêt général, et même contre cet intérêt.
EN DROIT
1. La société requérante se plaint que le conseil municipal de Reggio Calabria ne se prononce pas sur sa demande d'autorisation de lotissement. Elle allègue, en premier lieu, que l'"inaction" de cette administration porte atteinte à son droit de propriété en violation de l'article 1 du Protocole additionnel (P1-1), qui garantit à toute personne le "droit au respect de ses biens". En ce qui concerne ce grief, le Gouvernement soutient que la société requérante n'a pas satisfait à la condition de l'épuisement préalable des voies de recours internes posée par l'article 26 (Art. 26) de la Convention, aux termes duquel : "la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus". Se fondant sur une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, le Gouvernement fait valoir, en effet, que la société requérante a omis de mettre en demeure le conseil municipal et d'en attaquer, ensuite, le "silence" éventuel devant les juridictions administratives, c'est-à-dire le tribunal administratif régional et le Conseil d'Etat. La société requérante avance, quant à elle, que la procédure indiquée par le Gouvernement n'est pas applicable aux cas des demandes de lotissement, le conseil municipal n'étant pas obligé de répondre à de telles demandes. Elle conteste, par ailleurs, l'efficacité de la voie de recours indiquée par le Gouvernement et estime, en tout état de cause, être dispensée d'épuiser une telle voie de recours. La Commission note d'abord que, comme le Gouvernement le reconnaît, la possibilité de mettre en demeure l'administration, c'est-à-dire dans le cas d'espèce le conseil municipal, est subordonnée à l'existence d'une obligation à charge de celle-ci de se prononcer au sujet de la demande dont elle a été saisie par l'intéressé. 11379/85 La Commission constate, ensuite, qu'il ressort des éléments du dossier que le Conseil d'Etat a, à plusieurs reprises, pris position sur la question de savoir s'il existe à charge du conseil municipal l'obligation de se prononcer à l'égard des projets de lotissement présentés par les particuliers. Cette juridiction, saisie par des particuliers dont la demande d'autorisation de lotissement était restée sans suite, a affirmé qu'"il existe toujours une obligation de la commune de se prononcer sur la demande de l'intéressé, en la recevant ou en la rejetant" et que "le silence maintenu par l'administration, après une mise en demeure régulière ... est illégitime" (cf. arrêt N° 609 du 29 août 1972). Par contre, si l'intéressé ne met pas en demeure l'administration, il ne peut pas se plaindre par la suite de ce qu'elle reste inactive face à sa demande d'autorisation de lotissement conventionné (cf. arrêt N° 70 du 27 janvier 1986). Il ressort également des observations présentées par le Gouvernement que, 30 jours après avoir mis en demeure l'administration, l'intéressé peut, si celle-ci reste inactive, saisir les juridictions administratives auxquelles il revient de déclarer que l'administration a l'obligation de répondre. Après avoir obtenu une décision favorable, l'intéressé doit en demander l'exécution à l'administration. Si celle-ci omet de donner suite à une décision ayant acquis force de chose jugée, l'intéressé peut saisir d'un nouveau recours les juridictions administratives. Celles-ci ont alors le pouvoir de nommer (ou de faire nommer par l'autorité de tutelle) un commissaire "ad acta" qui, agissant à la place de l'administration défaillante et avec les mêmes pouvoirs que celle-ci, se prononcera sur la demande de l'intéressé. Il est vrai que la société requérante nie pouvoir utiliser en l'espèce la voie de recours ainsi décrite, parce qu'il ne lui serait pas possible de mettre en demeure le conseil municipal, ce dernier n'étant pas dans l'obligation de répondre à une demande d'autorisation de lotissement. Toutefois, la Commission est d'avis que la jurisprudence dont la société requérante fait état pour étayer sa thèse n'est pas de nature à mettre en doute l'existence de la voie de recours indiquée par le Gouvernement, qui se fonde sur une jurisprudence bien établie du Conseil d'Etat. Les arrêts que la société requérante invoque à l'appui de sa thèse (cf. argumentation des parties, p. 6) ne concernent en effet que l'impossibilité de mettre en demeure l'administration lorsque celle-ci n'est pas obligée de répondre ainsi que l'impossibilité d'attaquer devant les juridictions administratives des actes intermédiaires et non définitifs. En l'espèce, l'avis contenu dans la note du 8 août 1984 ne pouvait être considéré comme un acte définitif. Cette jurisprudence ne vise cependant pas la question de savoir si le conseil municipal a ou n'a pas l'obligation de se prononcer sur un projet de lotissement dont il est saisi. La société requérante soutient, d'autre part, qu'à supposer même que le recours indiqué par le Gouvernement existe, il ne serait toutefois pas efficace, en raison notamment de la durée prévisible de la procédure et compte tenu de la marge d'appréciation discrétionnaire très étendue accordée à l'administration en matière d'urbanisme. Quelle que soit la valeur des arguments avancés par la société requérante, la Commission rappelle que s'il existe un doute quant à l'efficacité d'une voie de recours "c'est là un point qui doit être soumis aux tribunaux internes eux-mêmes avant tout appel au tribunal international" (cf. requête N° 6271/73, déc. Comm. 13.5.76, D.R. N° 6, p. 62). Sur la base de ces considérations, la Commission estime que la société requérante n'a pas épuisé sur le point considéré les voies de recours dont elle disposait en droit italien. De plus, l'examen de l'affaire n'a permis de déceler aucune circonstance particulière qui aurait pu dispenser la requérante, selon les principes de droit international généralement reconnus en la matière, d'épuiser les voies de recours internes. En particulier, le fait que le recours devant les juridictions administratives, ne soit possible qu'après la mise en demeure de l'administration concernée ne constitue pas une telle circonstance. Il s'ensuit que la société requérante n'a pas satisfait à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à l'article 27 par. 3 (Art. 27-3) de la Convention.
2. La société requérante se plaint, en deuxième lieu, ne disposer d'aucun recours devant un tribunal pour faire sauvegarder son droit de propriété et allègue de ce fait la violation de l'article 6 (Art. 6) de la Convention. Aux termes de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention, "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... par un tribunal ..., qui décidera ... des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil". Or, la Commission vient de constater que la société requérante dispose en droit italien d'une voie de recours devant les juridictions administratives, qui assurément revêtent la qualité de "tribunaux" au sens de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention, lui permettant de faire valoir l'illégalité du silence de l'administration et, par là, de sauvegarder son droit de propriété. Il s'ensuit que la requête est, sur ce point, manifestement mal fondée et doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention. Par ailleurs, compte tenu de sa décision relative à l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention, la Commission estime qu'aucun problème distinct ne se pose au regard de son article 13 (Art. 13). Les exigences de ce dernier sont en effet moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l'espèce. Par ces motifs, la Commission DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE
Le Secrétaire adjoint Le Président de la Commission de la Commission (J. RAYMOND) (C.A. NØRGAARD)


Synthèse
Formation : Cour (plénière)
Numéro d'arrêt : 11379/85
Date de la décision : 08/09/1988
Type d'affaire : DECISION
Type de recours : Frais et dépens - radiation du rôle (règlement amiable) ; Préjudice moral - réparation pécuniaire

Analyses

(Art. 6-1) PROCES EQUITABLE, (Art. 6-2) PRESOMPTION D'INNOCENCE, (Art. 6-3-d) INTERROGATION DES TEMOINS, (Art. 8-1) RESPECT DE LA CORRESPONDANCE


Parties
Demandeurs : C.
Défendeurs : la FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;1988-09-08;11379.85 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award