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07/12/2000 | CEDH | N°29202/95

CEDH | AFFAIRE ZOON c. PAYS-BAS


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ZOON c. PAYS-BAS
(Requête no 29202/95)
ARRÊT
STRASBOURG
7 décembre 2000
En l'affaire Zoon c. Pays-Bas,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,    A. Pastor Ridruejo,    V. Butkevych,   Mme N. Vajić,   M. J. Hedigan,   Mme W.Thomassen,   M. M. Pellonpää, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 juin et 16 novembre 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour, confor...

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ZOON c. PAYS-BAS
(Requête no 29202/95)
ARRÊT
STRASBOURG
7 décembre 2000
En l'affaire Zoon c. Pays-Bas,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
MM. G. Ress, président,    A. Pastor Ridruejo,    V. Butkevych,   Mme N. Vajić,   M. J. Hedigan,   Mme W.Thomassen,   M. M. Pellonpää, juges,
et de M. V. Berger, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 29 juin et 16 novembre 2000,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  L'affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s'appliquaient avant l'entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales («  la Convention  »), par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 6 mars 1999, puis par le gouvernement néerlandais (« le Gouvernement ») le 17 mars 1999, dans le délai de trois mois qu'ouvraient les anciens articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 29202/95) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant de cet Etat, M. Herman Olivier Zoon (« le requérant »), avait saisi la Commission le 16 juin 1995 en vertu de l'ancien article 25. L'intéressé alléguait qu'il avait dû décider de l'opportunité d'interjeter appel sans s'être vu notifier copie de l'intégralité d'un jugement le reconnaissant coupable d'une infraction et lui infligeant une peine pour celle-ci. Dans son rapport du 4 décembre 1998 (ancien article 31 de la Convention) [Note du greffe : le rapport est disponible au greffe.], la Commission a conclu, par dix-sept voix contre sept, à la violation de l'article 6 §§ 1 et 3 b).
La demande de la Commission renvoie aux anciens articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration néerlandaise reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (ancien article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur à ses obligations au titre de l'article 6 de la Convention.
2.  Le 31 mars 1999, un collège de la Grande Chambre a décidé que l'affaire devait être examinée par une chambre constituée au sein de l'une des sections de la Cour.
3.  Par la suite, la requête a été attribuée à la quatrième section (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Au sein de ladite section, une chambre a été constituée pour examiner l'affaire (articles 27 § 1 de la Convention et 26 § 1 du règlement).
4.  Requérant et Gouvernement ont déposé des observations sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
5.  Une audience a eu lieu en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 29 juin 2000 (article 59 § 2 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  Mme J. Schukking, ministère des Affaires étrangères, agent,  M. J. Struyker Boudier, ministère de la Justice,  Mme L. Ling Ket On, ministère de la Justice, conseillers ;
–  pour le requérant  Me G.H.J. Dolk, advocaat en procureur, conseil.
La Cour a entendu en leurs déclarations ainsi qu'en leurs réponses à des questions posées par elle avant l'audience et par certains des juges à titre individuel pendant l'audience, Me Dolk, Mme Schukking et M. Struyker Boudier.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
A.  Le contexte
6.  Le requérant travaillait comme médecin généraliste à Dirksland, aux Pays-Bas.
7.  Le 9 septembre 1993, une instruction judiciaire préparatoire fut ouverte à son encontre pour faux et fraude.
8.  Au cours de l'instruction, le requérant déclara spontanément qu'en mars 1993 il avait euthanasié l'un de ses patients, à la demande de celui-ci. Or il avait déclaré au médecin légiste de la commune (gemeentelijk lijkschouwer) que le patient était décédé de mort naturelle.
B.  Le procès
9.  Le requérant fut assigné à comparaître devant le tribunal d'arrondissement (Arrondissementsrechtbank) de Rotterdam pour y répondre des charges suivantes :
1)  en ordre principal : meurtre ; en ordre subsidiaire : infliction de la mort à une personne, à la demande de celle-ci ;
2)  falsification en sa qualité de médecin d'un certificat de décès relativement à la cause du décès ;
3)  falsification de prescriptions ;
4)  établissement et présentation de fausses prescriptions pour l'obtention d'un soporifique.
10.  Le 30 août 1994, le requérant déposa réclamation (bezwaarschrift) contre l'assignation (dagvaarding) devant le tribunal d'arrondissement.
11.  A la suite d'une audience tenue à huis clos le 2 décembre 1994, le tribunal d'arrondissement rejeta la réclamation.
12.  Le 27 avril 1995 eut lieu devant le tribunal d'arrondissement une audience au cours de laquelle l'affaire fut examinée au fond. Le requérant et ses conseils, deux avocats travaillant dans le même cabinet à Rotterdam, étaient présents. Dans leurs plaidoiries, ces derniers soulevèrent les points suivants :
a)  l'acte d'accusation n'était pas valable (certains points n'en étant pas exposés de manière suffisamment détaillée) ;
b)  les poursuites étaient irrecevables (le recours à des mesures aussi drastiques qu'une perquisition domiciliaire et une détention provisoire étant excessif et illégal) ;
c)  l'obligation pour les médecins de dénoncer eux-mêmes les cas d'euthanasie, s'exposant ainsi au risque d'être poursuivis au pénal, se heurtait à l'article 6 de la Convention ;
d)  les preuves avaient été obtenues de manière illégale ;
e)  les prescriptions n'étaient constitutives de faux qu'en partie et non dans leur intégralité ;
f)  le requérant avait avoué avoir pratiqué l'euthanasie, ce qui mettait obstacle à une condamnation pour l'infraction plus grave de meurtre ;
g)  la force majeure pouvait être retenue pour les charges d'euthanasie et de faux concernant le certificat de décès ;
h)  le requérant n'avait pas agi avec une intention coupable ;
i)  dans l'éventualité d'une condamnation, aucune peine ne devrait être imposée au requérant, qui avait déjà suffisamment souffert du fait de la procédure (laquelle avait ruiné sa réputation et anéanti sa clientèle), et une peine additionnelle ne servirait aucun but légitime.
13.  Le 11 mai 1995, le tribunal d'arrondissement rendit son jugement en public et en présence des avocats du requérant.
Il y a controverse entre les parties sur le point de savoir s'il fut donné lecture des motifs du jugement et du dispositif ou s'il ne fut donné lecture que du seul dispositif. D'après le Gouvernement, le président du tribunal d'arrondissement, suivant sa pratique habituelle, donna lecture des considérants relatifs à la validité de l'assignation, des principaux considérants sous-tendant le rejet de l'argumentation de la défense concernant la recevabilité des poursuites, d'un résumé des considérants relatifs aux preuves, et des considérants se rapportant au point de savoir si M. Zoon était pénalement responsable. Le requérant affirme quant à lui que ses avocats ont seulement entendu le président déclarer que le prévenu était relaxé de la charge principale énoncée sous le point 1 et de la charge énoncée sous le point 4, que le moyen de défense formulé à l'égard de la charge subsidiaire énoncée sous le point 1 était rejeté, que le prévenu était jugé coupable de la charge subsidiaire énoncée sous le point 1 ainsi que des charges énoncées sous les points 2 et 3, et que la gravité de ces infractions justifiait une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis et une amende de 50 000 florins.
14.  Quant à la notification d'une copie écrite du jugement, le Gouvernement soutient qu'il s'est assuré qu'une version signée du jugement et en forme abrégée (kop-staart vonnis) était disponible lorsque la décision fut prononcée le 11 mai 1995, et que le tribunal d'arrondissement de Rotterdam avait pour pratique à l'époque de ne délivrer une copie en forme abrégée du jugement que sur demande écrite. Le requérant affirme pour sa part que ses avocats téléphonèrent au greffe du tribunal d'arrondissement avant l'expiration du délai d'appel et s'entendirent répondre que le jugement n'était pas disponible. De surcroît, d'après lui, ses avocats ignoraient que le tribunal d'arrondissement avait pour pratique de ne délivrer d'expéditions de ses jugements que sur demande écrite.
15.  Le requérant n'attaqua pas le jugement. Le procureur interjeta quant à lui un appel dont il se désista le 2 juin 1995.
C.  Le contenu du jugement en forme abrégée
16.  Le jugement en forme abrégée, dont une copie a été produite par le Gouvernement, comporte notamment les considérations du tribunal d'arrondissement quant à la validité de l'assignation et quant à la recevabilité des poursuites. En ce qui concerne ce dernier point, le tribunal d'arrondissement rejeta l'argument du requérant selon lequel les poursuites pour meurtre et euthanasie étaient irrecevables. Il considéra que, dès lors que l'article 10 de la loi sur les pompes funèbres (Wet op de Lijkbezorging) n'était pas encore entré en vigueur à l'époque de l'acte incriminé, le requérant n'avait pas l'obligation légale de dénoncer le fait qu'il avait commis une infraction.
17.  Le jugement en forme abrégée énumère par ailleurs les infractions dont le tribunal d'arrondissement a relaxé le requérant et celles dont il l'a reconnu coupable. Quant aux moyens de preuve sur lesquels le tribunal d'arrondissement fonda son verdict, le jugement en forme abrégée ne comporte que la mention « P.M. » (pro memoria), signifiant qu'une énumération détaillée des moyens de preuve serait produite à une date ultérieure en cas de besoin. Le tribunal d'arrondissement se pencha ensuite, pour le rejeter, sur le moyen subsidiaire articulé par le requérant pour le cas où les poursuites seraient déclarées recevables et consistant à dire que les preuves avaient été obtenues de façon illégale. Le tribunal d'arrondissement examina ensuite la responsabilité pénale du requérant et fixa la peine qui devait lui être infligée, rejetant l'argument de l'intéressé selon lequel il avait agi de manière légitime dans un cas de force majeure. Le jugement en forme abrégée se conclut par une phrase disant que le jugement a été lu en audience publique le 11 mai 1995.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
18.  En vertu de l'article 359 § 1 du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering ; ci-après « CPP »), tout jugement de condamnation doit comporter les moyens de preuve sur lesquels la condamnation est assise. Toutefois, dès lors qu'en vertu de l'article 345 § 3 CPP le tribunal est tenu de rendre son jugement dans les quatorze jours de la clôture du procès, il n'était pas inhabituel, à l'époque pertinente, que dans un premier temps un jugement en forme abrégée fût rédigé dans les cas de condamnation de l'accusé. Pareil jugement ne mentionnait pas les moyens de preuve sur lesquels la condamnation reposait. Une version complète du jugement n'était pas établie, sauf si la personne condamnée ou le procureur interjetait appel. En pareil cas, les moyens de preuve étaient inclus dans le jugement, et le dossier, comportant le jugement intégral, était communiqué à la cour d'appel.
19.  Dans les cas où un jugement en forme abrégée était établi, il était impossible de satisfaire à l'article 365 § 1 CPP, qui exigeait qu'un jugement (intégral) fût signé dans les quarante-huit heures de son prononcé par les juges ayant connu de la cause. Toutefois, le jugement en forme abrégée était signé tel quel et, dès après la signature, l'accusé ou son conseil pouvait en prendre connaissance – de même que des comptes rendus officiels des audiences – au greffe du tribunal, comme l'article 365 § 3 CPP le prescrivait pour les jugements complets.
20.  Il apparaît qu'à l'époque pertinente le tribunal d'arrondissement de Rotterdam avait pour pratique de ne communiquer à la défense copie du jugement en forme abrégée que sur demande écrite.
21.  En vertu de l'article 404 CPP combiné avec l'article 408 § 1 a), les jugements du tribunal d'arrondissement peuvent être attaqués devant la cour d'appel (Gerechtshof) dans un délai de quatorze jours à compter de la date de leur prononcé en audience publique. L'auteur de l'appel peut s'en désister au plus tard juste avant l'ouverture de l'audience d'appel (article 453 § 1 CPP).
22.  La Cour de cassation (Hoge Raad) a jugé qu'un appel introduit au-delà du délai de quatorze jours précité est irrecevable, même si l'accusé ou son conseil, sans qu'on puisse leur reprocher quoi que ce soit à cet égard, se sont trouvés dans l'impossibilité de consulter le jugement du tribunal d'arrondissement dans ledit délai de quatorze jours (arrêt du 11 novembre 1986, Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1987, no 568).
23.  Lorsque la cour d'appel examine l'affaire, elle doit disposer d'une version complète du jugement rendu par la juridiction inférieure. A défaut, le jugement est nul et non avenu et doit être annulé (vernietigd) par la cour d'appel pour vice de forme en application de l'article 359 §§ 1 et 10 CPP. Cela ne signifie toutefois pas que la cour d'appel doive renvoyer l'affaire au tribunal d'arrondissement : l'article 423 § 2 CPP prévoit qu'une affaire ne doit être renvoyée à un tribunal d'arrondissement que si le jugement est annulé et que le tribunal d'arrondissement n'avait pas statué sur le fond. Cette disposition consacre donc le principe du droit à être jugé à deux échelons par des juridictions compétentes pour examiner les faits.
24.  La procédure devant la cour d'appel offre un nouvel examen intégral de l'affaire, dès lors que la plupart des dispositions du CPP qui s'appliquent à la procédure devant la juridiction inférieure valent également en appel (article 415 CPP). L'appelant a la faculté de soumettre ses observations et d'éventuelles observations additionnelles par écrit, tant avant que pendant l'audience. Il peut également présenter des conclusions oralement pendant l'audience et jusqu'à la clôture formelle de l'examen de l'affaire par la cour d'appel (articles 416 et 311 §§ 1 et 4 CPP).
25.  Dans une affaire qui aboutit à un arrêt de la Cour de cassation le 17 septembre 1990, l'accusé se plaignait devant la cour d'appel que le jugement rendu par le tribunal de première instance ne comportait pas les moyens de preuve. La cour d'appel annula le jugement pour défaut de description des moyens de preuve, mais elle ne renvoya pas l'affaire au tribunal d'arrondissement, au motif que celui-ci avait déjà statué sur le fond de l'affaire (paragraphe 23 ci-dessus). En cassation, le requérant invoqua l'article 6 § 3 de la Convention.
L'avocat général (Advocaat-Generaal) près la Cour de cassation produisit des conclusions (conclusie) d'après lesquelles le fait que le jugement de première instance ne comportait pas les moyens de preuve n'avait pas empêché l'accusé de construire sa défense en appel dès lors que, premièrement, un accusé n'a pas à se défendre contre le jugement par lequel il a été condamné mais contre l'accusation dirigée contre lui par le parquet, et que, deuxièmement, la cour d'appel examine l'affaire de manière indépendante sur la base du procès et des assignations et non sur la base du jugement de première instance. La Cour de cassation écarta finalement le pourvoi et motiva sa décision en renvoyant aux conclusions de l'avocat général (NJ 1991, no 12).
26.  Lorsque seul l'accusé a interjeté appel, la cour d'appel peut infliger une peine plus sévère que celle prononcée en première instance si elle statue à l'unanimité (article 424 § 2 CPP). L'unanimité n'est pas requise si le procureur a également interjeté appel. Si la cour d'appel constate que le procureur n'a interjeté appel que dans le seul but de mettre obstacle à l'application de la règle d'unanimité prévue à l'article 424 § 2, le recours du procureur peut être déclaré irrecevable (arrêts rendus par la Cour de cassation le 22 juin 1982, NJ 1983, no 73, et le 29 mars 1983, NJ 1983, no 482).
27.  La pratique décrite au paragraphe 18 ci-dessus fut par la suite codifiée dans les articles 138b et 365a CPP, qui entrèrent en vigueur le 1er novembre 1996, soit après les événements incriminés en l'espèce. Lorsqu'aucun appel n'est interjeté, un jugement complet est rendu disponible sur demande du procureur ou de l'accusé ou de son avocat dans les trois mois à compter du prononcé du jugement, sauf si la demande ne présente pas un intérêt raisonnable (article 365c §§ 1 et 2 CPP, également entré en vigueur le 1er novembre 1996).
EN DROIT
I.  SUR L'OBJET DU LITIGE
28.  Dans son mémoire, le requérant dénonçait ce qu'il jugeait être un usage disproportionné et non nécessaire, au cours de l'instruction judiciaire préparatoire, de mesures coercitives, tels un placement en détention provisoire et une visite domiciliaire, ainsi que le dommage infligé à sa réputation par les communiqués de presse diffusés par le parquet au sujet de son affaire.
29.  Dans sa décision du 14 janvier 1998, la Commission n'a déclaré recevable que « le grief du requérant selon lequel il avait eu à décider de l'opportunité d'interjeter appel sans s'être vu notifier copie du jugement complet du tribunal d'arrondissement ». Dès lors que l'objet du litige dont la Cour est saisie se trouve délimité par la décision de la Commission sur la recevabilité, la Cour ne peut prendre en considération le grief mentionné au paragraphe 28 ci-dessus (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 659, § 88).
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 b) DE LA CONVENTION
30.  Le requérant se plaint d'avoir dû décider de l'opportunité d'interjeter appel sans s'être vu notifier copie du jugement écrit complet de première instance. Il y voit une violation de l'article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention. Les parties pertinentes en l'espèce de l'article 6 sont ainsi libellées :
« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [et] publiquement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, (...)
3.  Tout accusé a droit notamment à :
b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
Dans son rapport du 4 décembre 1998, la Commission fait sienne la thèse du requérant selon laquelle il y a eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention. Le Gouvernement est de l'avis contraire.
31.  Dès lors que les exigences du paragraphe 3 de l'article 6 s'analysent en des éléments particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera le grief du requérant sous l'angle des deux textes combinés (voir, parmi d'autres, l'arrêt Vacher c. France du 17 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2147, § 22).
A.  Quant à la disponibilité d'une copie du jugement écrit à l'époque où le requérant devait apprécier l'opportunité d'interjeter appel
32.  Le requérant allègue qu'il ne disposait d'une copie ni du jugement écrit complet ni du jugement en forme abrégée lorsque le délai d'appel vint à expiration. On ne lui aurait pas remis pareille copie au moment du prononcé du jugement, et ses avocats, qui par la suite avaient demandé à en obtenir une, se seraient heurtés à un refus du greffe du tribunal d'arrondissement de Rotterdam.
33.  Pour autant que le Gouvernement affirme que le tribunal d'arrondissement de Rotterdam avait pour pratique de ne pas fournir de copie de ses jugements s'il ne recevait pas de demande écrite à cet effet, le requérant allègue que ses avocats n'étaient pas au courant de cette pratique ; de surcroît, à admettre même l'existence de pareille pratique, celle-ci n'avait jamais été rendue publique, de sorte que l'on ne pouvait raisonnablement attendre des membres du barreau de Rotterdam qu'ils la connussent.
Le requérant et ses avocats se seraient donc vus privés de l'occasion de prendre connaissance des motifs sous-jacents au jugement du tribunal d'arrondissement, et donc d'évaluer en bonne connaissance de cause des chances de succès d'un appel.
34.  En outre, il n'aurait pas été donné publiquement lecture, au moment du prononcé, des motifs du jugement du tribunal d'arrondissement. En tout état de cause, même s'il en avait été donné lecture, cela n'aurait pas suffi à remplacer une copie écrite de l'arrêt que la défense aurait été en mesure d'étudier à loisir.
35.  D'après le Gouvernement, le président du tribunal d'arrondissement donna lecture des considérants du jugement relatifs à la validité de l'assignation, des principaux considérants sous-tendant le rejet du moyen de défense concernant la recevabilité des poursuites, d'un résumé des considérants relatifs aux preuves et des considérants quant au point de savoir si le requérant était pénalement responsable. De surcroît, le jugement porterait la mention qu'il a été lu en audience publique le 11 mai 1995.
36.  La Cour note que la question de la mesure dans laquelle le jugement du tribunal d'arrondissement a été lu publiquement en présence de la défense demeure controversée. En revanche, nul ne conteste que le dispositif du jugement a été lu en public, en présence des avocats du requérant.
37.  Le Gouvernement affirme que le jugement en forme abrégée pouvait être consulté au greffe du tribunal d'arrondissement après le prononcé et que, conformément à la pratique suivie par le tribunal d'arrondissement de Rotterdam, une copie en aurait été communiquée à la défense si celle-ci en avait fait la demande par écrit. Il n'est pas contesté que, pour un motif quelconque, le requérant et ses avocats n'ont jamais formé pareille demande.
Que les avocats du requérant fussent ou non au courant de ladite pratique, ils n'ont pas contesté que le jugement en forme abrégée pouvait être consulté quarante-huit heures après le prononcé.
38.  Aussi la Cour conclut-elle qu'hormis le fait que le requérant avait connaissance du dispositif du jugement, il lui aurait également été loisible, à lui comme à ses avocats, de prendre connaissance du texte du jugement en forme abrégée bien avant l'expiration du délai d'appel de quatorze jours, ce qui lui aurait permis de disposer d'assez de temps pour interjeter appel. L'Etat défendeur ne saurait être tenu pour responsable de son inaction à cet égard.
B.  Quant au jugement en forme abrégée
39.  Le requérant allègue que le jugement en forme abrégée comportait des informations insuffisantes pour lui permettre de prendre une décision en bonne connaissance de cause sur l'opportunité d'interjeter appel. Ledit jugement ne mentionnait pas les preuves sur lesquelles le tribunal d'arrondissement s'était fondé pour le condamner. Le seul moyen pour lui d'obtenir une copie du jugement intégral aurait consisté à interjeter appel, ce qui l'aurait exposé au risque de voir la cour d'appel lui infliger une peine plus lourde.
S'il avait interjeté appel aux seules fins d'obtenir une copie du jugement intégral, il aurait conservé la possibilité de se désister de son recours après s'être livré, en bonne connaissance de cause, à une appréciation de ses chances de succès, mais il aurait toujours été exposé au risque de voir le parquet interjeter appel lui aussi. Le parquet aurait alors pu maintenir son recours, ce qui aurait impliqué un examen de l'affaire par la cour d'appel. Cet examen se serait sans doute soldé par l'imposition d'une peine plus sévère.
Le requérant estime qu'il était contraire à l'article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention de le forcer à prendre pareil risque simplement aux fins d'obtenir la version intégrale du jugement.
40.  Le Gouvernement explique les motifs qui ont conduit à la pratique consistant à rendre des jugements en forme abrégée dans un premier temps et à ne fournir une version complète qu'en cas d'introduction d'un appel. Le droit néerlandais prévoyait qu'un jugement devait intervenir dans un délai de quatorze jours à compter de la clôture du procès. Or, dans la plupart des cas, il n'était pas possible pour les tribunaux de produire un jugement complet dans ce délai. Il était donc nécessaire de trouver un compromis entre l'exigence de célérité de la justice et celle de l'équité des procès. Cette solution présentait l'avantage supplémentaire de ne pas laisser l'accusé dans un état d'incertitude pendant plus d'une quinzaine.
41.  De plus, le jugement en forme abrégée aurait en l'espèce comporté des informations suffisantes. Les faits de la cause n'étaient pas controversés. Il ne pouvait y avoir aucune incertitude quant aux considérations de fait sur lesquelles la condamnation du requérant se fondait. Les moyens de défense articulés par le requérant étaient d'ordre juridique. Les conclusions du tribunal d'arrondissement relatives à ces moyens de défense, de même que ses considérants relatifs à la fixation de la peine, se trouvaient clairement énoncés dans le jugement en forme abrégée.
42.  Par ailleurs, s'il est vrai qu'un appel doit être introduit dans les quatorze jours du prononcé du jugement, l'appelant a jusqu'à l'audience d'appel pour soumettre ses moyens d'appel. Aussi le Gouvernement soutient-il que si le requérant avait interjeté appel le jugement intégral lui aurait été communiqué suffisamment tôt pour qu'il pût présenter des moyens d'appel additionnels.
43.  Le Gouvernement conteste en outre que le requérant se serait exposé à un risque particulier en interjetant appel. Le parquet jouit d'une compétence autonome pour interjeter appel, indépendamment de toute démarche accomplie par l'accusé. En général, pour des raisons d'économie procédurale, il s'abstient d'interjeter appel, mais en cas d'introduction de pareil recours par l'accusé, ces raisons cessent de s'appliquer. Lorsque l'accusé se désiste de son appel, le parquet doit décider s'il maintient le sien. Quelle que soit sa décision à cet égard, elle se fonde sur des motifs raisonnables ayant trait au fond de l'affaire.
44.  Enfin, si l'appel est maintenu, la cour d'appel procède à un réexamen complet de l'affaire. Il est inhérent à pareille procédure que la cour d'appel se forge sa propre opinion sur l'affaire et que, lorsqu'elle le juge approprié, elle impose une peine plus sévère.
45.  La Cour n'est pas appelée à s'exprimer d'une façon générale sur la pratique suivie aux Pays-Bas en matière de jugements en forme abrégée. Aussi limitera-t-elle son examen aux faits de la présente espèce.
46.  Les moyens de défense invoqués par le requérant concernaient la validité de l'assignation, la recevabilité des poursuites, la légalité de la manière dont les preuves avaient été obtenues, la qualification juridique des actes imputés au requérant et les circonstances atténuantes (paragraphe 12 ci-dessus). Ces questions étaient abordées dans le jugement en forme abrégée (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Le requérant ne le conteste pas du reste.
47.  Certes, les éléments de preuve ayant servi de fondement à la condamnation du requérant ne sont pas énumérés dans le jugement. Toutefois, le requérant n'a jamais nié avoir commis les actes à lui imputés et n'a jamais contesté les preuves à charge en tant que telles. De surcroît, il n'a pas prétendu et il n'apparaît pas que sa condamnation se fonde sur des preuves qui n'auraient pas figuré au dossier et n'auraient pas été produites à l'audience devant le tribunal d'arrondissement.
48.  La Cour note par ailleurs que, dans la procédure pénale néerlandaise, un appel n'est pas dirigé contre le jugement de première instance mais contre les charges pesant sur l'accusé. C'est ainsi qu'une procédure d'appel implique un nouvel établissement complet des faits et du droit applicable. Il en résulte, aux yeux de la Cour, que le requérant et ses avocats auraient pu se livrer en connaissance de cause à une appréciation de l'issue possible d'un appel à la lumière du jugement en forme abrégée et des preuves figurant au dossier.
49.  La Cour admet que la faculté pour le parquet de former et de maintenir un appel est autonome et n'est en aucune façon tributaire de la question de savoir si la défense a interjeté appel. Dans ces conditions, la possibilité de voir le parquet imiter la démarche de la défense qui décide d'interjeter appel ne peut revêtir une importance décisive.
50.  Eu égard aux circonstances de la présente espèce, on ne peut donc dire qu'une atteinte critiquable ait été portée aux droits de la défense du fait de l'absence d'un jugement complet ou du défaut, dans le jugement en forme abrégée, d'une énumération détaillée des éléments de preuve ayant servi de fondement à la condamnation.
51.  En conséquence, il n'y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention combiné avec l'article 6 § 3 b).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
Dit qu'il n' y a pas eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention combiné avec l'article 6 § 3 b).
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 7 décembre 2000, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Vincent Berger  Georg Ress   Greffier Président
ARRÊT ZOON c. PAYS-BAS
ARRÊT ZOON c. PAYS-BAS  


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 29202/95
Date de la décision : 07/12/2000
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Non-violation de l'art. 6-1 et 6-3-b

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-3-b) PREPARATION DE LA DEFENSE


Parties
Demandeurs : ZOON
Défendeurs : PAYS-BAS

Références :

Notice Hudoc


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2000-12-07;29202.95 ?
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