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19/02/2004 | CEDH | N°40143/98

CEDH | ZILLI et BONARDO contre l'ITALIE


PREMIÈRE SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 40143/98  présentée par Silvia ZILLI et Flavio BONARDO  contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 19 février 2004 en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    E. Levits,   Mme S. Botoucharova,   MM. A. Kovler,    V. Zagrebelsky,   Mme E. Steiner,   MM. K. Hajiyev, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission europée

nne des Droits de l’Homme le 9 janvier 1998,
Vu la décision partielle de la Cour du 18 avril 2002,
Vu...

PREMIÈRE SECTION
DÉCISION FINALE
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête no 40143/98  présentée par Silvia ZILLI et Flavio BONARDO  contre l’Italie
La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 19 février 2004 en une chambre composée de :
MM. C.L. Rozakis, président,    E. Levits,   Mme S. Botoucharova,   MM. A. Kovler,    V. Zagrebelsky,   Mme E. Steiner,   MM. K. Hajiyev, juges,  et de M. S. Nielsen, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 9 janvier 1998,
Vu la décision partielle de la Cour du 18 avril 2002,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Les requérants, Silvia Zilli et Flavio Bonardo, sont des ressortissants italiens nés respectivement en 1950 et 1948 et résidant à Borgofranco d’Ivrea (localité Paratore).
A.  Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
En 1981 les requérants achetèrent une maison à Borgofranco d’Ivrea- Paratore, pour y habiter.
En 1986, les requérants demandèrent au Maire un permis d’effectuer des travaux de rénovation dans l’immeuble.
En 1987, le maire autorisa les requérants à effectuer les travaux de rénovation de la maison. En 1991 les requérants s’installèrent dans la maison.
a) Les éboulements de 1994
Le 18 mai 1994, un grave éboulement se produisit dans la zone avoisinante la maison des requérants, à l’occasion de fortes pluies.
Par une note du 20 juin 1994, le Service géologique régional informa les autorités locales de Borgofranco d’Ivrea du risque que d’autres éboulements surviennent.
Au cours d’une inondation, entre le 5 et le 6 novembre 1994, un deuxième éboulement se produisit dans la même zone. La maison des requérants fut endommagée.
Par une ordonnance du 6 novembre 1994, le maire de Borgofranco d’Ivrea disposa l’évacuation concernant plusieurs maisons situées à côté de la zone touchée par l’éboulement, dont celle des requérants. Ces derniers, avec leurs enfants, furent obligés d’abandonner leur maison et furent placés dans un logement mis à disposition par la mairie.
Le 6 janvier 1995, les requérants se réinstallèrent dans leur habitation et en informèrent le maire de Borgofranco d’Ivrea.
Le 18 décembre 1995, le maire de Borgofranco d’Ivrea révoqua partiellement l’ordre du 6 novembre 1994. Il décida que celui-ci serait uniquement en vigueur en cas d’alerte météo.
Les requérants exposent avoir été très fréquemment obligés de quitter temporairement leur habitation à cause du risque d’éboulement.
Il ressort du dossier que les requérants reçurent un ordre d’évacuation temporaire le 2 juillet 1997, d’une durée de quatre jours ; puis les 30 septembre 2000 et 14 octobre 2000. Ce dernier ordre d’évacuation fut révoqué le 18 octobre 2000.
Par une ordonnance du 5 juin 2002, le maire renouvela l’ordre d’évacuation temporaire.
b) Le plan de réaménagement du territoire
Le 28 septembre 1995, le Conseil régional approuva un projet qui avait été adopté par la municipalité le 30 juin 1995, dont l’objet était l’application de mesures destinées à la sécurisation de la zone à risque.
Dans un rapport du 20 septembre 2000, la Commission mise en place afin de suivre l’exécution des travaux prévus par le projet du 30 juin 1995, fit état de ce que les mesures nécessaires à la sécurisation de la zone à risque n’avaient pas été complètement appliquées.
Il ressort d’une note de la mairie datée du 10 janvier 2002 et adressée à la Région Piémont, qu’aucune mesure visant la mise en sécurité des lieux touchés par l’éboulement, n’avait été prise entre-temps.
c) La procédure civile entamée par les requérants
En 1997, les requérants assignèrent la commune de Borgofranco devant le tribunal civil d’Ivrea.
Ils demandaient les dommages-intérêts occasionnés lors de l’éboulement du 6 novembre 1994, en alléguant, d’une part, que l’administration était responsable pour leur avoir accordé un permis de rénovation de la maison, tout en sachant que la zone était à risque d’éboulement. D’autre part, les requérants alléguaient que les autorités locales n’avaient pas correctement entretenu la zone boisée et ceci avait aggravé les conséquences de l’inondation et de l’éboulement.
Cette procédure est toujours pendante devant le tribunal civil d’Ivrea.
GRIEFS
Les requérants se plaignent en premier lieu de l’inaction des autorités locales, qui auraient – par le manque d’entretien de la zone à risque - favorisé l’éboulement qui a gravement endommagé leur maison. Les requérants tiennent en outre pour responsables les autorités locales pour leur avoir accordé un permis de rénover la maison tout en sachant que celle-ci était située dans une zone à risque géologique.
Les requérants se plaignent en deuxième lieu que depuis l’éboulement ayant endommagé leur maison, les autorités locales n’ont pas pris les mesures nécessaires à la sécurisation de la zone à risque. De ce fait, ils seraient exposés à un danger constant. Les requérants se plaignent également des désagréments de cette situation, notamment des ordres d’évacuation.
Ils allèguent la violation de l’article 8 de la Convention, de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 2 du Protocole no 4.
EN DROIT
Invoquant l’article 8 de la Convention, l’article 1 du Protocole no 1 et l’article 2 du Protocole no 4, les requérants se plaignent de la situation de danger dans laquelle ils se trouvent et des désagréments qu’ils subissent, notamment des ordres d’évacuation. Ils tiennent pour responsables les autorités locales, au motif que celles-ci les ont autorisés à rénover une maison alors que celle-ci est située dans une zone à risque. En outre, les requérants dénoncent l’inaction des autorités publiques dans la mesure où ces dernières n’ont pas adopté les mesures nécessaires à prévenir l’éboulement de 1994 et n’ont pas mis en sécurité les lieux touchés par l’éboulement.
L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
L’article 1 du Protocole no 1 prévoit :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
L’article 2 du Protocole no 4 prévoit :
« 2.  Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien »
Dans la mesure où les requérants tiennent les autorités locales pour responsables des dommages subis lors de l’éboulement de 1994, le Gouvernement soulève en premier lieu une exception de non-épuisement des voies de recours internes. A cet égard, il fait observer que la procédure en dommages-intérêts engagée par les requérants devant le tribunal d’Ivrea est encore pendante et soutient que ce remède est apte à éliminer la violation alléguée, dans la mesure où les requérants pourront obtenir, le cas échéant, un constat de responsabilité et un dédommagement conséquent.
Sur le fond, le Gouvernement soutient qu’aucune responsabilité par omission n’est attribuable à la commune de Borgofranco car « au moment des faits aucun avis où préavis par rapport à des précautions particulières à prendre pour les habitations de Paratore n’avait été adressé à la commune de Borgofranco ». Le Gouvernement observe à cet égard que l’article 8 de la Convention n’inclut en tout cas pas l’obligation pour les autorités de signaler un danger d’éboulements.
Le Gouvernement soutient que les éboulements ne pouvaient pas être prévus, ni par la commune de Borgofranco, ni par le Maire. Il observe que les rapports géologiques sur la base desquels les requérants accusent la ville de leur avoir accordé le permis de rénovation de la maison malgré le risque d’éboulements, sont viciés par plusieurs confusions dans les toponymes.
En tout état de cause, ces circonstances, font l’objet de la procédure civile instaurée devant le tribunal d’Ivrea et ces griefs sont de ce fait prématurés.
S’agissant des griefs tirés de l’inaction des autorités locales après l’éboulement de 1994, le Gouvernement est d’avis que, la situation litigieuse ayant été provoquée par des causes naturelles, l’on ne saurait mettre à la charge de l’Etat aucune obligation positive découlant de l’article 8 de la Convention. En outre la Cour ne disposerait pas d’un pouvoir de contrôle de l’activité des administrations publiques, qui jouissent d’une large marge d’appréciation.
Le Gouvernement fait enfin observer que les ordres d’évacuation pris à l’égard des requérants sont légitimes, justifiés et proportionnés et que, en tout état de cause, les requérants auraient pu attaquer ces ordres devant le tribunal administratif.
Les requérants s’opposent à la thèse du Gouvernement.
En premier lieu, ils exposent avoir assigné en justice la commune de Borgofranco afin d’obtenir la réparation des préjudices subis à la suite de l’éboulement du 5 novembre 1994. De ce fait, l’objet de cette procédure serait différent par rapport à l’objet de la requête devant la Cour, cette dernière portant essentiellement sur la situation de péril dans laquelle les requérants se trouvaient et sur le comportement défaillant des autorités.
Les requérants observent ensuite qu’il est inutile d’attendre l’issue de la procédure en dommages-intérêts. A cet égard, ils soutiennent que l’administration avait connaissance du « risque géologique » de la région depuis 1979. A l’appui de leurs allégations, les requérants ont produit un rapport d’expertise qui prouverait la connaissance du danger de la part de ces mêmes autorités qui leur ont accordé, en 1987, le permis de rénover la maison, et n’ont pris aucune mesure visant à sécuriser la zone. Les requérants soutiennent ne pas pouvoir habiter leur maison ni la vendre à cause de la situation de danger.
En deuxième lieu, les requérants soutiennent que les autorités locales ont manqué à leur obligation de prendre des mesures destinées à assurer la protection effective de leurs droits. Aux yeux des requérants, les autorités locales n’ont pas effectué les travaux nécessaires pour sécuriser la zone où leur maison est située.
Les requérants font observer que la situation dans laquelle ils vivent est intolérable et estiment avoir tout fait pour solliciter une intervention de l’administration visant à mettre fin au danger les menaçant. A cet égard, ils observent qu’ils ne disposent d’aucun remède juridictionnel face à l’inaction de l’administration publique.
En ce qui concerne les ordres d’évacuation, les requérants observent qu’ils n’ont pas intérêt à contester leur légalité devant le tribunal administratif, étant donné que, même en cas d’annulation de ces actes de la part du tribunal, la situation de danger demeurerait. Les requérants font observer que les ordres d’évacuation ne font pas directement l’objet de leur grief, étant donné qu’ils ne sont qu’une conséquence de la situation de danger qui persiste à cause du comportement défaillant de l’administration publique.
La Cour estime que l’article 2 du Protocole no 4 ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce et que sur ce point la requête est incompatible ratione materiae, au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
Elle se doit ensuite d’examiner le grief des requérants tiré de la prétendue responsabilité des autorités locales quant à l’octroi du permis de rénover la maison et des préjudices qui en découlent.
A cet égard, la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes.
La Cour note qu’en l’espèce l’action en dommages-intérêts introduite par les requérants devant le tribunal d’Ivrea, visant à faire établir les responsabilités des autorités locales pour ce qui est de la période antérieure à novembre 1994, est pendante.
Dans ces circonstances, la Cour estime que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes, et que cette partie de la requête doit être rejetée au sens de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
Quant au deuxième grief des requérants, visant la non adoption de la part des autorités locales de mesures aptes à remédier à la situation de danger dans laquelle les requérants se trouvent, la Cour rappelle que de la Convention, et notamment de l’article 8 de la Convention, peuvent naître des obligations positives (voir les arrêts Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, Receuil des arrêts et décisions 1998-I, § 58; Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 96, CEDH 2001-I).
Toutefois, la Cour vient de constater que les responsabilités de la situation dénoncée n’ont pas été établies par un jugement national définitif. Dans ces circonstances, et dans les limites de ses compétences, qui l’empêchent de se substituer aux autorités internes afin d’identifier les mesures à adopter, la Cour estime que ce grief est prématuré.
Il s’ensuit que ce grief, tiré de l’article 8 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
La requête est donc irrecevable en partie à cause du non-epuisement des voies de recours internes et en partie comme manifestement mal fondée.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare le restant de la requête irrecevable.
Søren Nielsen Christos Rozakis Greffier Président
DÉCISION ZILLI ET BONARDO c. ITALIE
DÉCISION ZILLI ET BONARDO c. ITALIE 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 40143/98
Date de la décision : 19/02/2004
Type d'affaire : Decision (Finale)
Type de recours : Partiellement irrecevable

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE D'EXECUTION, (Art. 6-1) DELAI RAISONNABLE, (Art. 8-1) RESPECT DU DOMICILE


Parties
Demandeurs : ZILLI et BONARDO
Défendeurs : l'ITALIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-02-19;40143.98 ?

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